mercredi 5 juillet 2023

6. 5. Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

CHAPITRE V.

Grande pitié, jamais personne ne secourut la France si à propos, & plus heureusement que cette Pucelle, & jamais memoire de femme ne fut plus deschiree que la sienne. Les Anglois l' estimerent, & sorciere & heretique, & sous cette proposition la firent brusler. Quelques uns des nostres se firent accroire que ce fut une feintise telle, que de Numa Pompilius dans Rome, quand il se vantoit communiquer en secret avecques Egerie la Nymphe, pour s' acquerir plus de creance envers le peuple, & telle est l' opinion du Seigneur de Langey au troisiesme livre de la discipline militaire chapitre 3. A quoy les autres adjoustent & disent que les Seigneurs de la France supposerent cette jeune garce, feignans qu' elle estoit envoyee de Dieu pour secourir le Royaume, mesme quand elle remarqua le Roy Charles à Chinon entre tous les autres, on luy avoit donné un certain signal pour le recognoistre. J' en ay veu de si impudens & eshontez, qui disoient que Baudricour Capitaine de Vaucouleur en avoit abusé, & que l' ayant trouvee d' entendement capable, il luy avoit fait joüer cette fourbe: Quant aux premiers je les excuse, ils avoient esté malmenez par elle, & nul ne sçait combien douce est la vengeance que celuy qui a receu l' injure. Quant aux seconds, bien qu' ils meritent quelque reprimande, si est-ce que je leur pardonne aucunement, parce que le malheur de nostre siecle aujourd'huy est tel, que pour acquerir reputation d' habille homme, il faut Machiavelizer. Mais par le regard des troisiesmes, non seulement, je ne leur pardonne, mais au contraire ils me semblent estre dignes d' une punition exemplaire, pour estre pires que l' Anglois, & faire le procés extraordinaire à la renommee de celle à qui toute la France a tant d' obligation. Ceux là luy osterent la vie, ceux-cy l' honneur, & l' ostent par un mesme moyen à la France, quand nous appuyons le restablissement de nostre Estat sur une fille deshonoree. 

De ma part je repute son histoire un vray miracle de Dieu. La pudicité que je voy l' avoir accompagnee jusques à sa mort, mesme au milieu des troupes, la juste querelle qu' elle prit, la proüesse qu' elle y apporta, les heureux succés de ses affaires, la sage simplicité que je recueille de ses responses aux interrogatoires qui luy furent faits par des juges du tout voüez à sa ruine, ses predictions qui depuis sortirent effect, la mort cruelle qu' elle choisit, dont elle se pouvoit garentir, s' il y eust eu de la feintise en son fait: Tout cela, dis-je me fait croire (joinct les voix du ciel qu' elle oyoit) que toute sa vie & histoire fut un vray mystere de Dieu: Aussi est ce la verité que son pere avoit songé que cette fille deuroit quelquesfois viure au milieu des soldats, comme je remarqueray en son lieu. J' ay veu autresfois la copie de son procez en la Librairie de sainct Victor, puis en celle du grand Roy François à Fontainebleau, & depuis ay eu en ma possession l' espace de quatre ans entiers le procés originaire, auquel tous les actes, lettres patentes du Roy Henry, advis de l' Université de Paris, interrogatoires faits à la Pucelle estoient tout au long copiez, & au bout de chaque fueillet y avoit escrit, Affirmo, ut supra, Bosquille, c' estoit le Greffier, & à la fin du registre estoient les seings, & seaux de l' Evesque de Beauvais, & de l' Inquisiteur de la Foy, ensemble celuy du Greffier. Qui fait que j' en puis parler plus hardiment. Je veux doncques icy raconter comme les choses se passerent, & vous discourant les principaux poincts de son procés, vous pourrez aussi recueillir par ses responses tout ce qui fut de sa maison & de son histoire particuliere.

Apres que le Duc de Bourgongne eut esté creé Lieutenant general de Paris, il mit le siege devant Compieigne, où il trouva à qui parler, car en fin il fut contraint de le lever, vray qu' en une sortie que firent le Capitaine Poton, & la Pucelle, le malheur voulut que l' un & l' autre y furent pris. Quant à Poton il courut la commune fortune des autres gens de guerre, d' en estre quitte pour sa rançon, où d' estre changé pour un autre, mais non cette pauvre Pucelle, la prise de laquelle fut si agreable aux Anglois, qu' ils en firent chanter un Te Deum dans l' Eglise nostre Dame de Paris, & quittans la forme ordinaire que l' on observe aux prisonniers de bonne guerre, luy voulurent faire son procés. Le bastard de Vendosme l' avoit prise, qui la monstra au Duc de Bourgogne lequel la bailla en garde à messire Jean de Luxembourg, auquel il avoit plus de fiance. Deslors elle commença d' avoir deux maistres. Les Anglois desiroient de l' avoir, a fin de la sacrifier au feu. Le Duc n' y donnoit pas grand obstacle, mais bien Luxembourg & le bastard, ne voulans estre defraudez de la rançon, les uns combattans pour la vie, les autres pour la bourse. Messire Pierre Cauchon Evesque de Beauvais, qui lors estoit en grand credit pres des Anglois, faisoit toute instance à ce qu' elle luy fust deliuree, comme heretique, qui avoit esté prise dans son Diocese. Le jeune Roy se met de la partie, pour le moins ceux de son conseil: En fin elle est mise en ses mains, moyennant cinq mille liures, qui furent baillees à Messire Jean de Luxembourg, & trois cens liures de rente au bastard de Vendosme. L' Université de Paris desiroit que cette cause fust renvoyee à Paris: Toutesfois le Roy par ses lettres patentes du 30. Janvier 1430, donne toute charge à l' Evesque de Beauvais, c' estoit celuy qui peu auparavant avoit esté envoyé expres en Angleterre pour l' amener en France. Le 9. ensuivant l' Evesque demande aux Doyen, Chanoines, & Chapitre de Roüen, territoire pour rendre la cause plus exemplaire, le siege Archiepiscopal estant lors vacquant. Ce qui luy fut tres-volontiers accordé. En cecy il est assisté de frere Jean Magistri, de l' Ordre des freres Prescheurs, Vicegerant de frere Jean Graverant Inquisiteur general de la foy: Messire Jean Estinet Evesque de Bayeux est faict Promoteur en cette cause. Or pour garder l' ordre judiciaire, la Pucelle est citee devant l' Evesque au 21. Fevrier, a fin de venir respondre aux faits proposez encontre elle par le Promoteur. Cette pauvre fille avoit tant de crainte de Dieu en son ame, qu' avant que de subir interrogatoire, elle demanda d' ouyr la Messe. Ce qui luy fut refusé, de tant qu' elle portoit l' habit d' homme, qu' elle ne vouloit delaisser. Je reciteray les principaux articles, sur lesquels elle fut interrogee, à la charge que s' il n' y a tant de grace, il y aura paraventure plus de creance pour ceux qui liront ce Chapitre. Les faits du Promoteur furent couchez en Latin, comme est l' ordinaire en Cour d' Eglise, & fut son interrogatoire fait à diverses journees, selon les instructions & memoires, qu' en donnoit le Promoteur, & à dire le vray, jamais une personne accusee ne fut tant chevalee par un juge pour estre surprise, & toutes-fois jamais personne ne respondit plus à propos que cette cy: Monstrant assez par cela qu' elle estoit assistee de Dieu, & de la verité, au milieu de ses ennemis. En la plus part des demandes qu' on luy faisoit s' il y avoit de l' obscurité, elle demandoit jour d' advis pour communiquer aux sainctes, avecques lesquelles elle parloit, comme en cas semblable, si les juges se trouvoient empeschez sur ses responses, ils en escrivoient à l' Université de Paris, a fin d' en avoir son opinion, laquelle s' assembloit tantost aux Bernardins, tantost aux Mathurins, & pour cette cause le procez est plain d' une infinité de ses advis, qu' il n' est besoin d' inserer icy. Je me contenteray seulement de vous representer l' ame de ce procez, au moins mal qu' il me sera possible.

Interrogee sur le premier article de dire verité, respondit que ses pere, & mere elle les diroit, mais des revelations, que non, & qu' elle les avoit dictes à son Roy Charles, & que dans huictaine elle sçavroit bien si elle les deuroit reveler. Interrogee de son nom, elle dist qu' en son pays on l' appelloit Jannette, & depuis qu' elle vint en France fut appellee Jeanne Darc, du village de Dompré: Que son pere s' appelloit Jacques Darc, & sa mere Isabelle: Que l' un de ses parrains estoit appellé Jean Lingue, l' autre Jean Berrey. De ses marraines, l' une Jeanne, l' autre Agnes, l' autre Sibille, & qu' elle en avoit eu encores quelques autres, comme elle avoit ouy dire à sa mere: Qu' elle estoit lors de l' aage de vingt & neuf ans ou environ, Lingere & Fillandiere de son mestier, & non bergere, alloit tous les ans à confesse, oyoit souvent une voix du Ciel, & que la part où elle l' oyoit y avoit une grande clarté, & estimoit que ce fust la voix d' un Ange. Que cette voix l' admonestoit maintesfois d' aller en France, & qu' elle feroit lever le siege d' Orleans, luy dist qu' elle allast à Robert de Baudricourt, Capitaine de Vaucouleur, lequel luy donneroit escorte pour la mener, ce qu' elle fit, & le cogneut par cette voix. Item dixit quod bene scit quòd Deus diligit ducem Aurelianensem, ac etiam quòd plures revelationes de ipso habuerat, quàm de alio homine vivente, excepto illo, quem dicit Regem suum. Qui est à dire, item elle dit qu' elle sçavoit bien que Dieu aimoit le Duc d' Orleans, & qu' elle avoit eu plus de revelations de luy, que de nul autre vivant, fors & excepté de celuy qu' elle appelle son Roy. Recognoist avoir fait donner une escarmouche à jour de feste devant Paris: Interrogee si c' estoit bien fait, elle dist, passez outre: Interrogee quand elle avoit ouy la voix, elle respond, hier trois fois, la premiere au matin, la seconde sur le vespre, & la troisiesme, quum pulsaretur pro Ave Maria de sero. On l' interroge si elle a veu des Fees, dit que non, qu' elle sçache: mais bien qu' une sienne marraine femme du Maire d' Aulbery se vantoit les avoir quelquesfois veuës vers l' arbre des Fees, joignant leur village de Dompré. Qui estoient ceux ou celles qui parloient à elle, dit que c' estoit saincte Catherine, & saincte Marguerite, lesquelles elle avoit veuës souvent, & touchees depuis qu' elle estoit en prison, & baisé la terre par où elles estoient passees, & que de toutes ses responses elle prenoit conseil d' elles: Qu' elle avoit pris la robbe d' homme par expres commandement de Dieu: Qu' elle fut blecee au col devant la ville d' Orleans: Item dicit quòd antequam sint septem anni, Anglici, dimittent maius vadium quàm fecerunt coram Aurelianis, & quòd totum perdent in Francia: Dicit etiam quòd praefati Anglici habebunt maiorem perditionem, quàm unquam habuerunt in Francia, & hoc erit per magnam victoriam, quam Deus mittet Gallis. Qui est à dire, Item elle dit que devant qu' il soit sept ans, les Anglois delairront un plus grand gage que celuy qu' ils firent devant Orleans, & qu' ils perdront tout ce qu' ils ont dans la France. Dit en outre qu' ils feront une perte plus grande en France qu' ils n' avoient fait auparavant: & que cela adviendra par une grande victoire que les François avront sur eux. Interrogee si elle portoit quelques armoiries, dist que non, ains seulement son estendart. Mais que le Roy en avoit donné à ses freres c' est à sçavoir un escu en champ d' azur, auquel il y avoit deux fleurs de Lys d' or, au milieu une couronne. Je diray cecy en passant, que le Roy d' Angleterre escrivant une lettre aux Prelats, concernant la presomption de cette Pucelle. Elle avoit esté (dit-il) si audacieuse de charger les fleurs de Lys en ses armes, qui est un escu à champ d' azur, avec des fleurs de Lys d' or, & une espee la pointe en haut feruë en une couronne. Au demeurant elle dit à l' Evesque que son pere un jour entre les autres songea qu' elle iroit avec des gensdarmes: Ce que craignant il la tenoit ordinairement de court, & disoit souvent à ses fils que s' il pensoit que cela deust avenir, il avroit beaucoup plus cher qu' on la noyast. On luy impute qu' estant prisonniere à Beaurevoir, elle avoit sauté du haut en bas de la tour pour se tuer, elle confesse le fait, mais que c' estoit en esperance de se sauver: Elle demande d' oüir la Messe, & puis de recevoir Dieu à la feste de Pasques, ce qu' on luy accorde, en reprenant l' habit de femme, mais elle n' y veut entendre. Sur le fait de l' adoration, dit que si quelques uns avoient baisé ses mains, ou sa robbe, ce n' avoit point esté de son consentement. Dit qu' à l' arbre des Fees, & à la fontaine pres de Dompré elle parla à sainctes Catherine, & Marguerite, mais non aux Fees: Et y commença de parler dés l' aage de treize ans. Que quelquesfois on luy avoit bien imputé d' avoir parlé aux Fees, mais qu' il n' en estoit rien, & ainsi l' avoit dit à un de ses freres. Qu' au 20. an de son âge elle alla à Neuf-chastel en Lorraine, où elle demeura chez une hostesse nommee la Rousse, & là menoit les bestes aux champs, mesmes les chevaux paistre, & abreuver: Et ainsi apprit de se tenir à cheval: Que pendant qu' elle estoit à Neuf-chastel, elle fut citee pardevant l' Official de Toul pour un mariage, mais qu' elle gaigna sa cause. Qu' apres y avoir servy cinq ans, elle retourna chez son pere, puis malgré luy s' en alla à Vaucouleur, où Robert de Baudricourt ne tint compte d' elle pour la premiere, ny seconde fois, mais à la troisiesme, il la receut & l' habilla en homme, puis luy bailla vingt Chevaliers, un Escuyer, & quatre varlets qui la menerent au Roy estant à Chinon. Sollicitee par ses Juges de reprendre l' habit de femme, elle respond qu' elle ne requeroit d' avoir de cet habit qu' une chemise apres sa mort. De rechef solicitee de laisser l' habit d' homme, & qu' en ce faisant on la recevroit au S. Sacrement de Communion. Noluit huic praecepto obsequi, in quo apparet peruicacia eius, & obduratio ad malum, & contemptus Sacramentorum. A la fin elle accorde de reprendre une robbe de femme pour ouyr la Messe, mais à la charge que l' ayant ouye elle reprendroit celle d' homme. Ad hoc fuit et dictum quod ipsa caperet habitum muliebrem simpliciter, & absolutè. Ad quod ipsa respondit, Tradatis mihi habitum ad modum unius filiae Burgensis, scilicet unam Houpelandam longam, & similiter Capitium muliebre, & ipsa accipiam pro audiendo missam. Dicebat se malle mori, quàm revocare id quod Dominus fecit sibi fieri, hoc est ut ferret habitum virilem. Dit qu' elle avoit promis au Roy lors qu' elle le salüa la premiere fois de faire lever le siege d' Orleans, de le faire sacrer Roy, & qu' elle le vengeroit de ses ennemis. Luy fut improperé que tousjours elle avoit empesché la paix avec l' Anglois. Ce qu' elle accorda, disant que la paix ne se pouvoit faire qu' ils ne vuidassent du tout de la France. Le Promoteur luy reproche qu' elle avoit faict cacher derriere l' Autel de saincte Catherine de Fierbois une espee qu' elle envoya querir depuis qu' elle eut parlé au Roy pour le tromper: Quod ipsa negat, scilicet se fecisse hoc dolosè: Bien confesse-elle qu' avant qu' aller à Chinon, elle avoit ouy trois Messes en ce lieu de saincte Catherine: Luy reproche d' avantage qu' elle se disoit avoir esté envoyee de Dieu pour faire la guerre. Chose du tout contrevenante à sa volonté pour n' avoir rien tant en horreur, que l' effusion de sang. Respond que par les lettres qu' elle avoit escrites au Roy d' Angleterre, & Princes de son sang, elle avoit premierement demandé la paix, & depuis faict la guerre. La teneur de la lettre est transcrite au procez: Qu' elle avoit faict mourir un Franquet, dict que c' estoit un volleur: que pour tel recogneu, il fut defaict par sentence du Bailly de Senlis: Qu' elle avoit plusieurs fois receu le Corpus Domini en habit d' homme, & aussi qu' elle avoit flechy le genoüil devant les dictes voix, ce qu' elle recogneut, & confessa. Le Promoteur. Item quod ipsa Ioanna in tantum suis adinventionibus Catholicos seduxit, quod multi in praesentia eius eam adoraverunt ut sanctam, & adhuc adorant in absentia, ordinando in reverentiam eius Missas & Collectas in Ecclesiis: imò dicunt eam maiorem esse omnibus sanctis Dei post beatam Virginem, elevant imagines, & repraesentationis eius in basilicis sanctorum, ac etiam in  plumbo, & alio metallo repraesentationes eius super se ferunt. A quoy elle respondit qu' elle s' en rapportoit à Dieu. Contra praceptum Dei  assumpsit dominationem supra viros, constituendo se caput exercitus. Elle dit que si elle avoit esté chef de guerre, c' avoit esté pour battre les Anglois: Dict en outre que son estendart estoit de toille, ou boucassin bordé de veloux, avecques un champ semé de fleurs de Lys, au milieu d' iceluy y avoit un Dieu figuré, tenant un monde costoyé de deux Anges revestus de blanc, & au dessous estoit escrit; Iesus Maria. Il n' y avoit en cette responce aucun mal, toutesfois les Juges tournans tout ce qui avoit esté par elle fait ou dit en venin, luy remonstrerent que Voluerat attribuere tales vanitates Deo, & Angelis, quod est contra reverentiam Dei & Sanctorum: Et si sa fiance estoit en son estendart: A quoy elle respondit sagement, que toute sa fiance estoit en celuy dont elle portoit l' image. Pourquoy elle tint seule cet estendart sur l' Autel, quand le Roy fut couronné, Illud fuerat (dit-elle) in poena, & ideo rationabile erat quod esset in honore. Qu' ayant esté blecee devant Paris, elle offrit depuis, & fit appendre dans l' Eglise sainct Denis son harnois par gloire, dit que par devotion elle l' offrit à S. Denis, comme font tous ceux qui sont blecez en guerre, aussi que S. Denis est le commun cry de la France, S. Denis Mont-joye. On luy demande si elle se vouloit rapporter au jugement de l' Eglise militante: Elle dit que ouy, pourveu qu' elle ne luy commandast rien impossible, Scilicet declarata per eam de visionibus, & revelationibus, quas dixit se fecisse ex parte Dei, quas nollet revocare pro quocunque, & si Ecclesia diceret istas visiones esse illusiones, nollet tunc se referre ad hominem, sed ad Deum.

Les articles tirez des confessions de la Pucelle estoient, qu' elle aagee de treize ans, disoit avoir veu sainct Michel, saincte Catherine, & saincte Marguerite, mesme une grande troupe d' Anges. Que ces sainctes luy conseillerent depuis d' aller trouver Charles VII. pour le secourir, & de changer l' habit d' homme, lequel elle avoit mieux aimé porter que d' oüyr la Messe, ou recevoir le precieux Corps de nostre Seigneur, & avoit refusé en cela de se soubmettre au jugement de l' Eglise militante, ains s' en estoit rapportee au seul Dieu. Item quod dicit quod ipsa est certa de quibusdam mere contingentibus, & occultis, & quod cognovit per voces, quas nunquam ante viderat. Ulterius dicit quod ex quo habeat de mandato Dei deferre habitum viri, oportebat eam accipere tunicam brevem, Caputium, Gipponem, brachas, & caligas cum aiguilletis, capillis suis super aurium summitates scißis in rotundum. D' avantage qu' elle s' estoit precipitee du haut en bas de certaine tour, aymant mieux mourir que de tomber és mains des ennemis: Et quod non tantum audivit, & vidit, sed etiam tetigit corporaliter & sensibiliter Catharinam, & Margaretam, & osculata erat terram, super quam gradiebantur.

En fin apres que le Promoteur eut pris telles conclusions qu' il luy pleut par sentence de l' Evesque, & du Vicegerent de l' Inquisiteur, il est dit que tout ce qui avoit esté fait par la Pucelle, n' estoit que factions, & tromperie, pour seduire le pauvre peuple, ou bien invention du Diable, & qu' en tout cecy elle avoit commis blaspheme contre l' honneur de Dieu, impieté contre ses pere, & mere, idolatrie contre l' honneur de nostre mere saincte Eglise. Autre blaspheme d' avoir mieux aimé ne recevoir le Corps de Dieu, & communier au S. Sacrement de l' Autel, que de quitter l' habillement d' homme. A ce jugement opinerent les Evesques de Constance, & Lizieux, le Chapitre de l' Eglise Cathedrale de Roüen, seize Docteurs, & six tant Licentiez, que Bacheliers en Theologie, & unze Advocats de Roüen. Cette sentence envoyee à l' Université de Paris, pour donner advis sur icelle, elle s' assembla au College de sainct Bernard, sous l' authorité de Maistre Pierre de Gonda Recteur, & apres avoir le tout veu, la Faculté de Theologie fut d' advis par l' organe de Maistre Jean de Troyes, celle de Decret par celuy de Maistre Guerraut Boissel leurs Doyens, que la Pucelle estoit vrayement heretique & schismatique, & sur cette resolution l' Université depescha deux lettres du quatorziesme jour de May, mil quatre cens trente & un. L' une au Roy Henry, l' autre à l' Evesque de Beauvais, a fin de la faire mourir: Toutes-fois cet advis ne fut suivy pour ce coup, mais ayant esté la Pucelle admonestee de se soubmettre au jugement de l' Eglise, elle fait responce qu' elle entendoit se soubmettre à toute raison, ainsi qu' elle avoit tousjours protesté par son procez: On l' exposa sur un escharfaut public, où apres avoir esté preschee, elle dit lors qu' elle se soubmettoit au jugement de Dieu, & de nostre sainct Pere le Pape. Puis voyant que l' on vouloit passer outre, elle protesta de tenir tout ce que l' Eglise ordonneroit, disant plusieurs fois que puis que tant de gens sages soustenoient que les apparitions n' estoient de Dieu, elle le vouloit aussi croire, & fit une abjuration publique inseree tout au long au procez. Sur quoy intervint autre sentence, par laquelle elle est absoulte du lien d' excommunication, & condamnee à perpetuelle prison, Ut cum pane doloris ibi commissa defleret. Et deslors elle reprit l' habit de femme, & l' envoya-l'on en une prison les fers aux pieds: Ce neantmoins furent mis ses habillemens d' homme pres d' elle, pour voir quels seroient ses deportemens. Elle ne fut pas si tost seule, & revenuë à son second penser, qu' elle fit penitence de son abjuration, & reprit ses premiers habits d' homme. Le lendemain au matin visitee, estant trouvee en son ancien appareil, & interrogee sur ce changement, elle respond l' avoir faict par le commandement expres des sainctes, & qu' elle aimoit mieux obeïr aux commandemens de Dieu, que des hommes. A ce mot on la declare heretique relapse, & tout d' une suitte elle est renvoyee au bras seculier, où elle fut condamnee d' estre bruslee toute vifve par sentence du trentiesme May 1431. depuis envoyee au Parlement de Paris, pour y estre enregistree. Les Normans non contens de l' avoir condamnee à mort, la voulurent mitrer lors qu' ils l' envoyerent au gibet, & estoient ces mots escrits sur la mitre, Heretique, Relapse, Apostate, Idolatre, & au devant d' elle un Tableau plain d' injures & contumelies, ne se pouvans assouvir de sa seule mort, ores qu' elle fust tres-cruelle.

L' Université de Paris voulant aussi joüer son rolle, fit une procession generale le jour de sainct Martin d' Esté à sainct Martin des Champs, où un frere Dominicain fit une declamation encontre cette pauvre fille, pour monstrer que tout ce qu' elle avoit faict c' estoient œuvres du Diable, non de Dieu.

Au milieu de tous ces fleaux toutes-fois, pendant qu' on luy faisoit son procez, vint à Paris une femme nommee Peronne, qui estoit du pays de Bretagne, laquelle soustint publiquement que la Pucelle avoit esté envoyee de Dieu, & que de ce elle avoit plusieurs revelations par l' Ange, qu' elle voyoit souvent habillé de robbe blanche: Et parce qu' elle ne voulut jamais desmordre cette creance, elle fut escharfaudee, & preschee le troisiesme de Septembre, mil quatre cens trente, & le jour mesme bruslee. C' estoit six ou sept mois auparavant la condamnation de la Pucelle. Depuis les affaires de la France estans devenuës plus calmes par l' extermination des Anglois, Maistre Robert Cibole Docteur en Theologie, Chancelier de l' Université, par Livre exprez escrivit en l' an mil quatre cens cinquante six, contre tous ceux qui l' avoient declaree heretique, j' en ay veu autres fois le Livre és mains du Feron, ce grand rechercheur d' armoiries.

Mais puis qu' un Theologien, & Chancelier de l' Université n' a douté d' accuser tous ces Messieurs là d' impieté, pourquoy ne suivray-je ses traces? S' il vous plaist recueillir ce que j' ay discouru cy-dessus, tout le motif de sa condamnation fut pour deux causes: L' une pour s' estre contre les commandemens de S. Paul habillee en homme, l' autre pour avoir adjousté foy aux voix, qui se presentoient à elle de nuict. Or pour le regard de ces voix, on ne peut dire que ce fust artifice, cela pouvoit estre dit, quand elle se presenta au Roy, a fin d' exciter les Capitaines, & soldats, à se plonger de meilleur cœur dans la querelle de leur Prince: Mais estant és mains de la Justice, se pouvant garantir de la mort, comme elle avoit fait en quittant les habillemens d' homme, & neantmoins le lendemain les ayant repris, qui luy estoit une asseurance de mort tres-cruelle, il ne faut point faire de doute, qu' elle r'entra sur ses alteres par l' advis qu' elle en eut la nuict, comme elle confessa à ses Juges. Quel jugement doncques pouvons nous en cecy faire d' elle, je dy pour en parler sans passion? Non autre certes, sinon qu' elle estimoit que toutes ces voix venoient de Dieu, qui luy avoit du commencement commandé de prendre l' habit d' homme pour sauver le Roy, & puis ne le laisser quelque crainte de mort que l' on luy mist devant les yeux: Et c' est pourquoy elle dist tant de fois, que combien qu' elle se soubmist au jugement de l' Eglise militante, toutes-fois elle vouloit embrasser premierement celuy de Dieu. Mais cette voix estoit-elle de Dieu, ou du Diable? Je sçay bien que le Diable se transforme assez souvent en l' Ange de Dieu pour nous piper. C' est ce que l' Evangile nous enseigne: puis qu' il joüe de fois à autre ce personnage, il faut doncques croire que Dieu envoye aussi quand il veut ses bons Anges sous telles images qu' il luy plaist, pour nous induire à bonnes choses. La Bible est toute pleine de tels exemples. Le mesme Dieu qui estoit lors, est celuy qui gouverne cet Univers, pourquoy douterons nous que sa puissance ne soit telle, & par consequent ses effects? En tout ce procez par moy discouru, vous ne remarquez autre chose qu' une ame toute Catholique, qui ne demande que confession, oüir la Messe, recevoir Dieu, moyennant que ce soit en l' habit qui luy est commandé par les voix: Parce qu' elle estime que ce soit un commandement expres, & particulier de Dieu qui luy est fait. Mais pourquoy prit-elle l' habit d' homme? Estoit-ce pour un meschant œuvre? Pour porter confort & aide à son Roy, contre l' indeuë usurpation des Anglois. Davantage voyez comme illuminee des rayons du sainct Esprit par ces voix, elle predit des choses qui advindrent: Car je vous laisse à part, qu' elle recogneut premierement Baudricourt, puis le Roy, que elle n' avoit jamais veu, cela pouvoit estre sujet à caution, & pourra quelque sage-mondain dire que c' estoit une partie joüee par l' entremise de quelques uns, qui luy avoient servy sous main de protecoles: Quant à moy, je veux croire que ce fut par inspiration de Dieu, puis qu' en tout ce que je diray cy-apres, je n' y voy nulle hypocrisie. Elle dit au Roy qu' elle estoit envoyee de Dieu pour degager Orleans du siege, puis pour faire Sacrer, & Couronner le Roy à Rheims, ne le fit-elle? Par les lettres que sur son advenement elle escrivit au Roy d' Angleterre, elle luy manda que s' il n' entendoit à la paix, il verroit le Roy Charles entrer en tout honneur dans Paris, & qu' ainsi luy avoit esté revelé, cela n' advint-il puis apres? Par une de ses responces elle dit à ses Juges que le Duc d' Orleans estoit bien aimé de Dieu, comment pouvoit-elle juger cela que par l' inspiration divine? Elle dit encores à ses Juges qu' avant le terme de sept ans, l' Anglois seroit exterminé de la France. S' il ne le fut de la France, ne le fut-il de Paris en l' an mil quatre cens trente six ville capitale de la France, par le moyen dequoy le Roy Charles gaigna quarante cinq dessus la partie? Mais sur tout me plaist quand cette guerriere pour braver ses Juges par une belle saillie, leur dit que le Duc d' Orleans qui estoit leur prisonnier il y avoit quinze ans passez, estoit le bien aymé de Dieu. Voyons si cette parolle fut menteuse. Il sortit de prison l' an mil quatre cens quarante, & à son retour espousa en la ville de sainct Aumer, Catherine de Cleues, niepce de Philippes Duc de Bourgongne, dont il eut un seul fils du nom de Louys. Auparavant sa prison il avoit eu un enfant naturel Jean Comte de Dunois, appellé communément par nos Historiographes, le Bastard d' Orleans, qui depuis és annees mil quatre cens cinquante & deux, reduisit sous la puissance du Roy Charles les pays de Normandie & Guyenne. Et quant au legitime ce fut nostre bon Roy Louys douziesme de ce nom, qui pour ses bons & doux deportemens fut apres son decez honoré du bel Eloge de Pere du Peuple, qu' un Claude de Seissel Evesque de Marseille ne douta par livre exprez de parangonner à tous les autres Roys de France. Un Prince pouvoit-il estre mieux aimé de Dieu, que de luy envoyer deux enfans, ausquels nostre France fut depuis tant redeuable? Et puis au bout de cela apres tant de bons actes, apres tant de predictions veritables, en une querelle si juste, apres tant d' heureux succez, nous dirons que c' estoient illusions du Diable? Certes il ne faut point avoir de pieté en la teste qui le soustiendra. Adjoustez, & cestuy est un traict d' Histoire fort memorable: si les anciennes Histoires sont vrayes on trouve unes Semiramis & Jeanne, qui sous habillemens d' hommes exercerent, celle là une Royauté, cette-cy la Papauté: Toutesfois avant que la partie fust parachevee, elles nous servirent d' un plat de leur mestier: Parce que chacune fit un enfant, chose qui leva leur masque. Mais nostre Jeanne, encores que l' Anglois recherchast tous moyens de la calomnier, si ne luy impropera-il impudicité par tout le discours de son procez, jaçoit qu' elle eust vescu au milieu de plusieurs grandes armees, où telle desbauche est plus que souvent en usage. Et c' est pourquoy la posterité non sans grande raison luy donna le tiltre de Pucelle, qui luy est demeuré jusques à huy. Ce neantmoins il y a aujourd'huy quelques plumes si eshontees qui ne doutent de la pleuvir pour garce de Baudricourt. Au demeurant je ne veux oublier que sa memoire fut de si grande recommandation entre nous apres sa mort, qu' en l' an 1440. le commun peuple se fit accroire que la Pucelle vivoit encores, & qu' elle estoit eschappee des mains des Anglois, qui en avoient fait brusler une autre en son lieu: Et pource qu' il en fut trouvee une en la gendarmerie en habillement desguisé, le Parlement fut contraint la faire venir, la representer sur la pierre de Marbre du Palais, au peuple, pour monstrer que c' estoit une imposture.

Je serois ingrat envers la memoire du Roy Charles premierement, puis de cette miraculeuse guerriere, si pour closture de ce Chapitre, je n' y enchassois cet Eloge, qui me semble d' une singuliere recommandation. Elle avoit trois freres, Jaquemin, Jean, & Pierre dit Pierrelot, dont les deux derniers s' embarquerent à pareille fortune que leur sœur, faisans profession des armes. Le Roy en consideration des grands & signalez services qu' il avoit receuz de la Pucelle, tant à la levee du siege d' Orleans, que son Sacre, dont elle avoit esté la principale porte-banniere, l' annoblit, ensemble ses pere, mere, freres, & leur posterité, tant masculine que feminine, par ses Patentes en forme de Chartre, donnees à Mehun sur Yeure, au mois de Decembre mil quatre cens vingt-neuf, verifiees le seiziesme de Janvier ensuivant, en la Chambre des Comptes de Paris, lors transferee à Bourges. La teneur des lettres est telle. Considerantes laudabilia grataque servitia nobis ac regno nostro iam per dictam Ioannam puellam multimode impensa, & quae in futurum impendi speramus, certisque alijs causis ad hoc animum nostrum inducentibus, praefatam puellam, Iacobum Darc patrem, lsabellam eius uxorem, matrem, Iacqueminum, Ioannem & Petrum Perrelo, fratres ipsius puellae, & totam suam parentelam, & lignagium, & ion favorem & pro contemplatione eiusdem & eorum, posteritatem masculinam, & foemineam in legitimo matrimonio natam & nascituram nobilitavimus, & peu apres. Concedentes eisdem & eorum posteritati, tam masculinae, quam femineae, in legitimo matrimonio procreatae, & procreandae, ut ipsi feoda & retrofeoda, & res nobiles à nobilibus, & alijs quibuscumque personis acquirere, & tam acquisitas, quàm acquirendas retinere ac possidere perpetuo valeant. Privilege admirable, & non jamais octroyé à autre famille. Bien trouvons nous un Eude le Maire natif du village de Challo sainct Mas pres d' Estampes, & ses successeurs tant en ligne feminine que masculine avoir esté dispensez de toutes daces: mais non pour cela reputez Nobles, ny joüy du Privilege de Noblesse. 

Jamais service fait à la France ne vint au parangon de celuy de la Pucelle. Aussi jamais lettres d' annoblissement ne furent de tel poids & mesure que celles-cy. Annoblissement tellement embrassé, que comme ainsi soit qu' en la Normandie, il y ait quelques hommes issus des filles de cette lignee, ils joüissent de ce privilege. Et ainsi voy-je, uns Robert Fournier, Lucas de Chemin, oncle & nepueu, apres ample cognoissance de cause, & examen de leur genealogie, avoir fait enregistrer ces lettres d' annoblissement pour eux & les leur en la Cour des Aydes de Normandie, le 13. Decembre 1608. depuis que le Privilege d' Eude le Maire a esté supprimé.

Or pour plus signalee remarque de cette gratification, le Roy Charles voulut que les freres de la Pucelle portassent en leurs armoiries un escu en champ d' azur, auquel y avroit deux fleurs de Lys d' or, & au milieu une Couronne: & en outre, qu' au lieu du surnom Darc qu' ils avoient apporté du ventre de leur mere, ils fussent de là en avant surnommez du Lys. Comme si la Couronne de France, & le Lys eussent par les paradoxes exploicts & chef d' œuvres de la Pucelle repris leur ancienne force, dignité & vertu. Chose que je descouvre par un extraict tres-notable dont je vous veux faire part. Dés l' an mil quatre cens vingt cinq, on avoit baillé à six liures de rente fonciere par chacun an, le marc d' argent revenant à sept liures, une Isle assise sur la riviere de Loire, contenant deux cens arpens, vulgairement appellee l' Isle aux Boeufs, dont les Receveurs du Domaine d' Orleans, faisoient estat par leurs comptes: Advient que les detempteurs s' en departent le vingt & sixiesme Juillet, mil quatre cens quarante trois, & la remettent és mains de Charles Duc d' Orleans pere de Louys, qui fut depuis Roy de France douziesme du nom, lequel deux jours apres en fit don à Pierre frere de la Pucelle, verifié le vingtneufiesme par Maistre Jean le Fuzelier General de ses finances, pour en joüïr par luy & Jean son fils leurs vies durant, en consideration dequoy cette partie depuis mise en recepte fut couchee à neant, tant & si longuement qu' ils vesquirent. Comme de faict vous trouvez tout cela amplement narré par le compte de l' an mil quatre cens quarante quatre, rendu en la Chambre des Comptes, par Maistre Robin Gaffard, portant entr'autres choses l' article de recepte ces mots qui servent à mon intention. Laquelle Isle mon dict Seigneur le Duc a donné à Messire Pierre du Lys Chevalier; Oüye la supplication du dit Messire Pierre, contenant que pour acquiter la loyauté envers le Roy nostre dit Seigneur, & Monsieur le Duc d' Orleans, il se partit de son pays pour  venir au service du Roy nostre dit Seigneur, & de Monsieur le Duc en la compagnie de Jeanne la Pucelle sa sœur, avec laquelle jusques à son absentement, & depuis jusques à present il a exposé son corps & ses biens ou dit service, & au fait des guerres du Roy, tant à la resistance des anciens ennemis du Royaume, qui tindrent le siege devant la ville d' Orleans, comme à plusieurs voyages faicts & entrepris par le Roy nostre dit Seigneur, & ses chefs de guerre, & autrement en plusieurs & divers lieux. Je vous laisse le demeurant de l' article, auquel est pareillement fait mention de Jean du Lys fils de Pierre: Me contentant qu' on voye que ce Pierre surnommé du Lys estoit frere de la Pucelle. Surnom que je voy luy avoir esté baillé, & à son fils en tous les comptes subsequens faisans mention d' eux.

Je ne me puis faire accroire que cestuy ayant affaire à un grand Prince du Sang eust osé changer son surnom Darc en celuy du Lys: sans que luy & ses freres eussent permission expresse de ce faire, par le benefice du Roy. Mais sortout me plaist qu' on trouve par quelques anciens tiltres que plusieurs des leur qui les survesquirent, apres avoir mis le surnom du Lys, adjoustoient tout suivamment ces mots Dits la Pucelle, pour monstrer qu' ils estoient de sa lignee. Au demeurant comme par succession de temps cette famille fut casuellement espanduë en diverses branches par la France, tant en lignee masculine que feminine: Aussi Maistre Charles du Lys, Conseiller du Roy, & son Advocat general en la Cour des Aydes de Paris, a pardevers soy plusieurs enseignemens, par lesquels il se treuve & preuve en estre un des rejettons.

6. 5. Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

lundi 3 juillet 2023

6. 4. Du restablissement de l' Estat sous Charles septiesme, & comme en cecy il y eut du miracle tres-expres de Dieu.

Du restablissement de l' Estat sous Charles septiesme, & comme en cecy il y eut du miracle tres-expres de Dieu.

CHAPITRE IV.

Il est meshuy temps que je reprenne mon haleine de la longue carriere que je me suis donnee par le chapitre precedant; chapitre, dis-je, plus long que n' estoit ny mon premier project, ny la portee de ce livre, mais depuis poussé d' une juste douleur je l' ay fait de propos deliberé, comme estant une vraye image des mal-heurs qui voguent aujourd'huy par la France. Tout ainsi qu' apres avoir esté agitez d' une grande maladie, il est requis un long temps avant que de recouvrer plaine guarison, aussi pour restablir un Estat desolé, comme estoit le nostre, il n' y falloit pas peu de temps apres, & convint le regaigner par les mesmes outils qu' il avoit esté perdu, je veux dire par les armes, le tout se tournant tousjours à la charge & affoiblissement du peuple, remede toutesfois tres-necessaire, tout ainsi que la medecine, qui tourmente nos corps pour les guerir: En quoy je veux recognoistre qu' il y eut du miracle de Dieu tres-expres: Car si nous considerons Charles septiesme, sous le regne duquel advint ce grand restablissement, quelque chose que l' on se persuade de luy, ce n' estoit un subjet capable pour cet effect. Premierement il estoit au milieu de ses afflictions du tout addonné à ses voluptez, faisoit l' amour à une belle Agnes, oubliant par le moyen d' elle toutes les choses necessaires à son Estat: & dit-on que ce brave Capitaine la Hire venant un jour botté, crotté, battu de pluye, & du vent, le salver pour luy conter quelques exploits de guerre par luy faits, il le trouva au milieu des Dames menant sa maistresse à la danse (je me mocque certes de moy, quand j' appelle une simple Damoisselle, maistresse d' un Roy) lequel demandant à la Hire ce qu' il luy sembloit de cette belle compagnie, il luy respondit d' une parole brusque & hardie, que jamais ne s' estoit trouvé Roy qui perdist si joyeusement son Estat, comme luy: Outre cette particularité vicieuse, il avoit, si je ne m' abuse, une foiblesse de sens non vrayement telle que son pere, mais ayant esté paistry d' une paste d' homme foible d' entendement, il en portoit quelque quartier en son esprit: Pour le moins trouvé-je que de deux ans en deux ans il avoit nouveaux gouverneurs, qui tenoient les premiers rangs pres de luy, voire que les extremitez qu' il y apportoit, causerent de fois à autres des jalousies particulieres en ses Princes, qui cuiderent renverser ce qui luy restoit du Royaume. Les deux principaux ministres de ses actions, & peut-estre de sa ruine furent Tanneguy du Chastel, & Louvet President de Provence, car ils furent cause de la mort du Duc Jean. Ceux-cy le possederent longuement par dessus les autres, mesmes Tanneguy du Chastel, avec une arrogance infinie, lequel abusant de la facilité de son maistre, tua en sa presence, & en son conseil le Comte Dauphin d' Auvergne, l' an 1424. dont les Princes & Seigneurs courroucez, la Royne de Sicile belle mere du Roy, le Connestable de Richemont & autres Seigneurs de marque l' abandonnerent. Qui fut cause que Tanneguy fut contraint de quitter la place, demeurant Louvet seul en son lieu: Mais luy se voyant assiegé de mesme haine, & ne pouvant resister aux grands Seigneurs se retira en Avignon, & onc puis ny l' un ny l' autre ne furent veus. Ce dernier estoit beau-pere du bastard d' Orleans: ainsi se racointerent en Cour la Royne, & le Connestable, accordans que le sire du Grat demeurast gouverneur du Roy, au lieu du President: mais le Grat desplaisant aux grands fut traitté plus rudement que les deux autres, parce qu' il fut pris & noyé par le Connestable: & depuis le seigneur de la Trimoüille espousa & sa veufve, & la bonne grace du Roy. Quelque peu apres il entre en disgrace, & est pris en sa chambre par le sieur de Bueil son nepueu, qui luy fit payer six mille escus de rançon: Et entra au gouvernement en son lieu Messire Charles d' Anjou frere puisné du Roy René de Sicile, Comte de Provence: Bref, tant de changemens de gouverneurs me font juger la foiblesse de son jugement. Au demeurant pendant le debat qui advint contre Tanneguy, & Louvet, fut prise la ville du Mans par les Anglois. Le registre de Parlement du huictiesme Aoust mil quatre cens vingt quatre porte:

La ville du Mans renduë aux Anglois, lesquels estoient du tout ou peu s' en falloit au dessus des François, lors fort diminuez de puissance, & quasi tous deffaits, & mis en desconfiture. De jalousie que l' on conceut contre le sieur de la Trimoüille, les Comtes de Clermont & de la Marche, prennent la ville de Bourges d' emblee, & comme ils avoient mis le siege devant la grosse Tour, estant secouruë par le Roy & le seigneur de la Trimoüille, les autres furent contrains de sonner la retraitte en leurs maisons. Jeux qui se joüoient entre les sujects du Roy contre luy à la veuë des Anglois, & peut-on de cela recueillir quel advantage on leur donnoit. Ce neantmoins Dieu nous regardant d' un œil de pitié, luy envoya des Capitaines guerriers, qui prindrent sa querelle en main lors que peut-estre moins il y pensoit: Entre autres Jean bastard d' Orleans, & Poton de Xaintraille (quelques uns l' appellent de Saincte Treille) & Jean de Vignoles dit la Hire, tous deux extraicts de bas lieu, celuy-là du pays de Xaintonge, cestuy de Champagne, qui du commencement se firent Capitaines d' eux mesmes, & sans auctorité du Roy, & depuis acquirent tant de reputation contre les Anglois, qu' ils les redoutoient par dessus les autres, & non (contant) content de cela, Dieu voulut encores y apporter une particularité plus grande: car il y envoya la Pucelle Jeanne, par le ministere & entremise de laquelle nous reconquismes la plus grande partie des villes qui avoient esté soustraictes par l' Anglois, à laquelle j' entends bailler son Eloge particulier au chap. suivant.

Mais quant à present je diray qu' apres la mort du Duc Jean, jamais Prince ne se trouva plus affligé que Charles lors Dauphin de France, d' autant qu' il fut exheredé par Charles VI. son pere par le contract de mariage de Henry Roy d' Angleterre, & Catherine de France, lesquels furent instituez heritiers du Roy, & accordé que Henry s' intituleroit cependant Regent en France, & heritier de la couronne, que nulle paix ne seroit faicte avecques Charles de Valois, sinon par assemblee de trois Estats, & du consentement des deux Roys, & du Duc de Bourgongne, qui estoit reduire les choses à une impossibilité: Car d' assembler les Estats legitimement au milieu des armees, à peine qu' on le vit jamais, & au surplus l' esperance d' un grand Royaume qui estoit desja presque arrivé à son accomplissement d' un costé, & la vengeance que l' autre Prince couvoit dedans sa poitrine pour la mort de son pere, estoient telles, que c' estoit mettre les affaires hors de toute opinion de paix. Ces conventions ainsi passees, & le mariage solemnizé en face de saincte Eglise, il falloit interposer l' authorité du Parlement devant que le Roy d' Angleterre partist pour s' en aller en son pays. Les deux Roys viennent au Parlement, où maistre Nicolas Roulin Advocat de la doüairiere de Bourgongne instituë une accusation à huis ouvert contre Charles de Valois, & apres luy maistre Pierre de Marigny Advocat du Roy, conclud à ce qu' il fust proclamé à trois briefs jours à la Table de Marbre du Palais, pour l' homicide par luy commis en la personne du Duc Jean. Ce qui est faict à son de trompe & cry public, & apres tout l' ordre judiciaire à ce requis, & observé, il est par arrest declaré indigne de succeder à la couronne. Arrest dont il appella devant la face de Dieu, & fit vœu de relever à la pointe de son espee, mais certes ce ne fut pas sans une infinité de travaux de luy, & de tous les siens. Or apres que le Roy d' Angleterre fut sorty de Paris, cette tragedie se joüant de telle façon pres du Roy, le cœur ne faillit au Dauphin, par ce qu' il fit Tanneguy du Chastel Gouverneur des villes qui luy obeïssoient en Brie & Champagne, & le Comte de Fouës, de celles de Languedoc, lequel en chassa le Prince d' Orenge qui en avoit occupé plusieurs. Tellement que le Dauphin possedoit le Languedoc, la Guyenne, le Dauphiné, Touraine, le Maine, Anjou, Poictou, Berry, la haulte & basse Marche, Angoulmois, Perigort, Limosin, l' Auvergne, & prenant tiltre & qualité de Regent, il establit du commencement son principal siege dans Tours, mais depuis il le divisa en deux, transferant son Parlement en la ville de Poictiers, & sa Chambre des Comptes dans Bourges. L' Anglois possedoit presque le demeurant de la France, car mesmement apres le partement du Dauphin, il reduisit sous sa puissance les villes de Sens, Melun, Meaux, Montereau & Moret, sans grand destourbier, jamais ne fut un plus grand chaos par la France. L' Anglois, le Bourguignon, & une partie des François symbolisoient à la ruine du Dauphin: luy d' un autre costé subsistoit aidé de la vraye Noblesse Françoise & de l' eslite de celle d' Escosse, qui commença lors d' apprendre le chemin de la France si heureusement, qu' en commemoration & recognoissance de ses bons & agreables services, est demeuree pres de nos Rois une garde Escossoise: Plusieurs & diverses rencontres: tantost du bon, tantost du mauvais. La veille de Pasques l' an mil quatre cens vingt & un, en une rencontre pres de Baugé furent tuez par les nostres le Comte de Clarence frere du Roy d' Angleterre, le Comte de Cam, les sieurs de Grey & de Ros, & plusieurs autres, jusques au nombre de quinze cens hommes, & fut lors le Comte de Bouquam Escossois pour ses braves exploicts fait Connestable de France: au contraire quelque temps apres ce Comte de Bouquam est pris & mis en route pres la ville de Creuam.

Mais pour n' enjamber sur l' ordre du temps, faut noter que Henry cinquiesme deceda le 29. Aoust 1422. delaissé Henry sixiesme son fils aagé seulement de seize mois, & ordonna Regent en France le Duc de Bethfort son frere: En Angleterre le Duc de Glocestre son autre frere, & au Duc de Waruith aussi son frere donna le gouvernement de la personne de Charles VI. lequel Duc ne le survesquit pas longuement, car il mourut le 21. d' Octobre ensuivant. Dés lors furent les deux Princes intitulez Rois de France, & au milieu de cette division ce n' estoient que feux, volleries, pilleries, carnage: Bref jamais au Royaume ne fut veu un plus piteux desarroy que cestuy: mais specialement toutes choses arrivoient à poinct nommé au Duc de Bethfort, qui premierement prit Compieigne, puis Crotoy, desconfit Poton de Xaintrailles pres Guyse, & le prit, d' une mesme furie obtint une grande victoire devant Vernueil au Perche, où il fit passer au fil de l' espee quatre ou cinq mil François, Bretons, Gascons, Dauphinois, Escossois, le Vicomte de Narbonne, le Comte d' Aumale, & les Ducs d' Alençon, & le Mareschal de la Fayette pris. Le bon-heur de l' Anglois commaença de s' arrester en l' an 426. au siege de Montargis, dont il ne peut venir à fin, ny pour cela ses affaires n' en empirerent de beaucoup, par ce que le Comte de Salbery luy ayant amené nouvelles forces d' Angleterre, il prit Jargeau & Join-ville. De là mit le siege devant Orleans, où encores quelques François voulans aller secourir la ville, furent defaicts pres de Rouvray. A maniere que le Roy Charles septiesme estoit presque reduit au desespoir de toutes choses, estant mesmement assiegé par les divisions de sa Cour (or voyez comme Dieu inesperément le regarda d' un œil de pitié) voicy Jeanne la Pucelle qui se presente à luy dans Chinon habillee en homme, laquelle choisit le Roy au milieu de tous les autres, ores qu' il se fust desguisé, & apres l' avoir salüé, luy declara qu' elle estoit envoyee de Dieu, pour remettre sus ses affaires. Au commencement chacun s' en mocquoit, pensant que ce fust une folle, & nul ne vouloit adjouster foy à ses promesses. Toutesfois par importunitez on luy baille gens & armes: Cela estoit en l' an mil quatre cens vingt huict, au mesme temps que l' Anglois tenoit estroittement assiegee la ville d' Orleans. Dés lors la Pucelle escrivit unes lettres de bravade aux Duc de Bethfort, Comte du Suffort, Talbot & autres, les exhortant de vuider la France, leur promettant que là où ils ne la voudroient croire d' amitié, elle les feroit sortir par force. Je suis icy envoyee (portoit une parcelle de la lettre) par Dieu le Roy du ciel, pour vous mettre hors de toute la France, & si voulez obeïr, je vous prendray à mercy. Et n' ayez point en vostre opinion que vous tiendrez le Royaume de France, ains le tiendra le Roy Charles vray heritier. Car Dieu le Roy du ciel, fils de saincte Marie le veut. Les Anglois n' en ayans fait compte, elle s' achemine avecques l' Ost du Roy à Orleans. Ce fut dés lors tout nouveau visage d' affaires, par ce que dés son arrivee elle renuitaille la ville, prend plusieurs forts qui la bloquoient. Là mourut le Comte de Salbery, sur lequel reposoit lors la premiere esperance des Anglois: & le Comte de Suffort, ayant pris sa place, fut quelque peu apres pris des nostres. Ce ne fut plus qu' un torrent de victoires. Par ce que l' ennemy ayant levé le siege d' Orleans, nous reprismes, si ainsi voulez que je le die, en moins d' un clin d' œil, Jargeau, Join-ville, Baugency, defismes en bataille rangee l' Anglois, où furent tuez quatre mille des leurs & plus, & signamment Talbo (Talbot), Reveston, & l' Estably leurs principaux Capitaines pris. Et d' une mesme route furent reduites sous l' obeïssance du Roy, les villes de Gien, Auxerre, Troyes, S. Florentin, Chaalons, Rheims, où le Roy fut sacré & couronné le vingt neufiesme Juillet ensuivant, & ce grand flot de bonne fortune guidé par la Pucelle, comme par la main de Dieu. Les villes lors que le Roy passoit, luy venoient apporter les clefs. Ainsi se rendirent à luy Compieigne, Creil, Beauvois, Soissons, Chasteau-Tierry, Provins, Crespy en Valois, Aumale, le Pont sainct Maixance, Choisy, Gournay sur Aronde, Senlis. Et dit Enguerrant de Monstrelet, que s' il fust lors allé vers sainct Quentin, Corbie, Amiens, Abbeville, la plus part des habitans estoient disposez de se rendre. Au sortir de Senlis il vint loger à sainct Denis, où la Pucelle luy conseilla d' assaillir la ville de Paris chaudement, se promettant qu' il l' emporteroit. Il liure l' assaut. A bien assailly, mieux deffendu, & est contraint de sonner la retraicte. Le Roy ayant failly à cette entreprise, reprend le chemin de Touraine & Berry, laissant garnisons aux villes par luy de nouveau reprises. En cet assaut de la ville de Paris commença la fortune de la Pucelle à s' arrester: parce qu' elle y fut blessee & quelque temps apres prise devant Compieigne, jusques à ce qu' elle fut executee à mort à Roüen: Et quant à celle du Duc de Bethfort, elle commença aussi grandement à ravaller, d' autant que les Parisiens se defians de ses forces, le confinerent au gouvernement de Normandie, & voulurent pour gouverneur le Duc de Bourgongne. Ce Duc Anglois se voyant en cette façon malmené, prend un advis fort convenable pour remettre sus ses affaires. Il donne ordre de faire venir en France le petit Roy (qui jusques là s' estoit tousjours tenu en Angleterre) esperant que par sa presence ses affaires seroient plus authorisees. Il arrive le quatriesme de May à Calais, & le vingt cinquiesme du mois la Pucelle fut prise faisant une saillie sur les Anglois qui avoient mis le siege devant Compieigne. Tellement que c' estoit un grand esclair qui sembloit estre en la fortune de ce jeune Roy, d' estre arrivé à poinct nommé en France lors que ce grand Daimon de nos affaires avoit esté pris & reduit dessous sa puissance. Pour la prise de la Pucelle on chante un Te Deum dedans l' Eglise de Paris, & se preparoient les Parisiens de recevoir en toute joye & allegresse leur Roy: Toutesfois il s' achemina premierement à Roüen pour commander (comme il est vraysemblable) que l' on tint soigneusement la main à faire mourir la Pucelle. Le jugement de mort estant depuis contre elle donné & executé, il sembloit que toutes choses favorisassent l' Anglois, toutesfois ce fut le commancement de ses mal-heurs: car au mesme an que cette pauvre fille innocente fut executee, soudain apres que l' on eut envoyé sa sentence de mort à Paris, pour y estre enregistree, Dieu par un juste jugement permist que le Parlement se mutina sur une question de ses gages, lequel s' en estoit aucunement remué dés l' an 1429. Mais la nouvelle arrivee du Roy luy en avoit faict entr'oublier le maltalent. Cette plainte recommença de plus beau l' an ensuivant, & fut conclud de n' entrer plus au Palais, si l' on n' estoit payé des gages, portant le registre du Greffe ces mots, & in hoc signaverunt indissolubile  vinculum charitatis, & societatis, ut sint socij constitutionis, & laboris. Cela fut du douziesme Fevrier, & le vingtseptiesme d' Avril cessation de plaidoirie, c' est vers le temps que la Pucelle fut condamnee, pour le moins sa sentence est du mois de May. Messire Louys de Luxembourg Chancelier adverty de cette extraordinaire desbauche, vient à toute bride à Paris pour y donner ordre, remonstre les necessitez urgentes du Roy, promet de les faire payer d' une partie de leurs gages, & de l' autre leur faire bailler des heritages en recompense. Apres qu' il fut sorty, on delibera de cette affaire, & fust arresté que s' ils n' estoient payez pour un an des arrerages, ils chommeroient tout à fait, & fut le premier President chargé d' en faire rapport au Chancelier: non contens de cela, ils depeschent encores quelques Conseillers par devers le Roy, qui en revindrent aussi peu contens qu' ils y estoient allez. En Novembre mil quatre cens trente & un, fut disputé de l' entree du Roy. Je veux icy coucher tout au long le registre du Parlement qui en fait mention, car il le merite bien, pour monstrer le peu de compte que l' on faisoit de ce Roy. Le vingt troisiesme Novembre l' entree du Roy à Paris où ceux de la Cour allerent au devant, & partirent entre neuf & dix, & trouverent le Roy au Moulin à vent en allant vers sainct Denis, & là proposa le premier President, & ce faict s' en retournerent comme ils estoient venus: au demeurant de l' entree neant par faute de parchemin. Car quant aux registres de la Chambre des Comptes, vray thresor des choses notables de la France, & specialement de Paris, ils n' en font aucune mention. Je vous ay voulu expres cotter ce passage, d' autant que soit ou que par faute de parchemin, ou de bonne volonté, il fut ainsi conceu, c' estoit un prognostic taisible que la puissance de l' Anglois prendroit bien tost fin dedans Paris. Ce neantmoins l' entree ne laissa d' estre assez pompeuse & pleine de ces feintes que l' on avoit accoustumé de faire lors. Et quelques jours apres Henry sixiesme fut couronné Roy dedans sainct Denis. Ny pour cela il n' avança de rien plus ses affaires, ains sa fortune declina tousjours de là en avant, comme estant lors arrivee au plus haut de son periode, & voicy comment. La colere du Duc de Bourgongne s' estoit avec le temps refroidie: & de fait quelque temps auparavant il avoit fait trefue de six mois avec le Roy Charles. Davantage vers le mesme temps que Henry fit son entree, Anne femme du Duc de Bethfort sœur du Duc de Bourgongne mourut, & par sa mort mourut par mesme moyen l' amitié qui estoit entre les deux Ducs. Poton, & la Hire, deffont, & tüent huict cens Anglois. En ce mesme temps le bastard d' Orleans s' empare de sainct Denis, Houdam, & du Pont sainct Maixant: & neantmoins pour tous ces advantages le Roy ne s' enfloit de rien plus: Car au Concile de Basle il offrit de laisser aux Anglois toute la Normandie, & toutes les villes, qu' ils possedoient en la Guyenne, moyennant qu' ils voulussent les recognoistre tenir de luy en foy & hommage. A quoy ils ne voulurent condescendre: de sorte que sur ce refus il prend sur eux les villes de Chartres, Dieppe, Fescam, Harfleu, Longue-ville, Tancarville, Corbeil, & Brie-Comte-Robert, sans destourbier, comme s' il eust envoyé ses fourriers seulement pour marquer ses logis. Les aproches d' une bonne paix commencent de se dresser entre les François & les Bourguignons. Premierement les Ducs de Bourgongne & Bourbon, & Comte de Richemont beaux freres la jurent ensemble à Nevers: Celle du Roy est remise en la ville d' Arras: la ville de Ruë prise sur les Anglois 1435. Au mesme an le Comte d' Arrondelle est deconfy devant Gerberoy par la Hire. En fin la paix concluë au mesme an dans la ville d' Arras, entre le Roy & le Duc de Bourgongne, à laquelle le Duc de Bethfort ne voulut entendre, quelque semonce que luy en fist le Cardinal de saincte Croix Legat en France. Quelque peu apres meurt Isabelle vefve du Roy Charles sixiesme, en son jeune aage l' une des premieres allumettes des guerres civiles, & quelques mois apres le Duc de Bethfort le plus fort arcboutant de Henry qui lors n' avoit que treize ou quatorze ans pour le plus, & n' y avoit plus que les Evesques de Terouenne, Paris, & Beauvais, qui conduisoient l' orne. Le Parlement mal content comme j' ay dit, en cet estrif les nostres ayans pris le pont de Charenton, les Parisiens se voyans sans chef, voulurent tirer des prisons messire Jean de la Haye pour le faire Capitaine general de la ville. Ce qui fut empesché par le Parlement pour la consequence. Tous ces divorses estant tels, & les Bourgeois de Paris se voyans esloignez de remedes, & proches de leur ruine, voicy sur ces entrefaictes ce qui advint. Le seigneur de l' Isle-Adam s' estoit de l' an mil quatre cens trente deux, rendu bon François, bien venu du Roy, & continué en son Estat de Mareschal de France. Le Vendredy d' apres les festes de Pasques l' an 1436 luy, le Comte de Richemont Connestable de France, & le bastard d' Orleans deffirent 800. Anglois, qui estoient sortis de Paris, pour aller faire un degast general en tous les villages d' alentour, pour couper chemin aux nostres de viures & munitions. De ce pas ils vindrent à la porte S. Jacques, & somment les portiers de la leur ouvrir. Ils avoient intelligence au dedans, de maniere que le seigneur de l' Isle-Adam y entra le premier par une grande eschelle qu' on luy avalla, & mit la banniere de France sur la porte, criant Ville gaignee. Lors estoit Prevost des Marchands Michel l' Allier Maistre des Comptes, qui fit armer le peuple pour le Roy. Le cœur ne failloit aux Anglois. En cette premiere esmeute ils se diviserent en trois batailles, dont la principale estoit conduite par l' Evesque de Terouenne, mais les chaisnes qu' on avoit tenduës par les ruës leur firent perdre toutes leurs forces. Joinct que le peuple par les fenestres les assommoit à coups de pierres, au moyen dequoy ils furent contraints de se retirer dedans la Bastille: Et combien que les François eussent deliberé de mettre à sac la ville de Paris, si est-ce qu' ils y entrerent avec tres-grande modestie, esmeus d' une compassion & pitié, parce qu' ils virent rompre à force la porte S. Jacques en leur faveur, & en entrant, les Parisiens furent remerciez de l' honneste soubmission, dont ils avoient usé envers leur Roy leur naturel & legitime Seigneur, & à l' instant mesme furent faictes defenses par les carrefours à son de trompe de loger és maisons des Bourgeois, ne d' y manger contre leur volonté, ny d' user d' aucun reproche, ou faire desplaisir à quelque homme de quelque qualité qu' il fust s' il n' estoit Anglois ou soldat. Voila comme Paris fut reduit: mais je vous supplie me permettre de faire icy une saillie, car en plus beau sujet ne sçavrois je employer ma plume, pour vous monstrer comme Dieu se joüa lors des cœurs de nos Princes: parce que s' il vous plaist y prendre garde de pres, vous trouverez qu' il employa les mesmes outils pour le restablissement de l' Estat qu' il avoit fait pour la ruine. Philippes Duc de Bourgongne, qui pour vanger la mort du Duc Jean son pere, avoit mis le Roy Charles, sa femme, sa fille, & à peu dire, la plus grande partie du Royaume entre les mains de l' Anglois, est celuy qui l' en retire, sinon en tout, pour le moins en la plus grande partie, par la paix & reconciliation qui fut entre luy & les nostres. En cas semblable l' Isle-Adam, qui avoit chassé de Paris Charles VII. en l' an 1418. quand il y entra en faveur du Duc Jean, est celuy qui y entre pour y establir le Roy. Mais avec des effets fort contraires: car y entrant la premiere fois en faveur d' un tyran, il traicta les sujets du Roy d' une façon tres-cruelle, & la seconde pour un Roy, il les traicta comme un pere fait ses enfans: & finalement Henry V. du commencement ne demandoit que la jouyssance de la Normandie & de la Guyenne sans souveraineté, ce dont il fut refusé par les nostres, qui agrandit ses affaires, de sorte qu' au lieu de ce qu' il avoit demandé, il se vit par le mariage de luy avecques Catherine de France, posseder le Roy, la Royne, & la plus grande partie du Royaume. Le semblable advint à Charles VII. car ayant offert la Normandie à l' Anglois, & ce qu' il tenoit en Guyenne, n' ayant l' Anglois voulu accepter cette offre, le Roy reconquist puis apres entierement tout son Royaume.

Or apres que Paris fut ainsi mis és mains du Roy, le Parlement delegua quelques seigneurs de la Cour pardevers le Connestable de Richemont, pour sçavoir de luy comme ils se devoient comporter. Ausquels il fit response qu' ils exerçassent leurs estats tout ainsi que devant, jusques à ce qu' ils eussent lettres du Roy. Les Anglois qui estoient dedans la Bastille, sortirent le 17. Avril, & depuis le Parlement & Chambre des Comptes de Paris interdits par lettres patentes du Roy du 15. de May, mais restablis le 16. Novembre ensuivant, c' estoit que le Roy vouloit donner loisir aux Officiers qu' il avoit pres de luy, de retrouver le chemin de leurs maisons: Et le Jeudy veille de sainct André fut crié à son de trompe que le Parlement qui avoit esté tenu à Poictiers, & sa Chambre des Comptes à Bourges, se tiendroient desormais au Palais Royal de Paris en la forme & maniere que ses predecesseurs Roys de France avoient accoustumé de faire: & commencer le jour sainct Eloy 1. de Decembre, & furent r'appellez par douceur quelques Bourgeois que l' on avoit mis hors apres la departie des Anglois, par ce qu' ils avoient trop favorisé leur party: Ainsi furent les compagnies tant de Paris que de Poictiers & Bourges reünies: & le lendemain sainct Martin d' Hyver, le Roy Charles & son fils Louys firent leur entree dans Paris (armez tout à blanc) par la porte sainct Denis, en laquelle ville le Roy n' avoit esté depuis le 29. de May, mil quatre cens dix-huict, lors qu' il fut contrainct la quitter par les gens du Duc de Bourgongne.

Pour s' estre faict Maistre de la ville de Paris, encores qu' il eust grand advantage sur la partie, si n' estoit-il paisible de plusieurs autres places & villes de son Royaume. Pour y donner ordre il fait son Lieutenant General par toute la France, le Comte de Dunois, par le moyen duquel il reconquit toute la Normandie, & la derniere ville de la conqueste fut Chierbourg le douziesme Aoust 1450. & l' an d' apres fut concluë & arrestee dans la ville de Tours la conqueste de la Guyenne, dont fut pareillement baillée la charge au Comte de Dunois, lequel pays il reduisit sous l' obeïssance du Roy, & la derniere ville qu' il prit fut Bayonne. Le huictiesme d' Aoust 1452. Talbot brave Capitaine entre les Anglois ne voulut pour cela quitter la partie: par intelligence qu' il avoit avecques quelques factieux citoyens, il reprend la ville de Bordeaux, & plusieurs autres. Le Roy retourne en Guyenne, pour le faire court, combat entre les François & Anglois devant Chastillon, où Talbot fut tué, & sa compagnie deconfite (desconfite): En la mort de ce grand guerrier finit toute la fortune des Anglois: parce que deslors Bordeaux & le demeurant de la Guyenne furent du tout faits François. Au demeurant j' ay dit sur le commencement de ce chapitre qu' il y eut du miracle tres-expres de Dieu au restablissement des affaires de la France. En ce que sous un Roy aucunement addonné à ses plaisirs, & qui par une foiblesse d' opinion se laissoit assez mal à propos gouverner par uns & autres favoris, Dieu luy envoya de bons & fideles Capitaines pour le secourir, mesme nostre Pucelle: Mais le miracle eust esté plus grand, si Henry V. nouveau conquesteur d' une grande partie de la France eust peu transmettre sa conqueste à sa posterité, laissant par sa mort pour successeur de ses Estats, un enfant aagé seulement de seize mois, encores que comme sage Prince il eust apporté par son testament tout ce que l' on pouvoit desirer pour la conservation de son fils & de ses deux Royaumes.