jeudi 6 juillet 2023

6. 10. Qu' il est tres-dangereux au suject quel qu' il soit de se faire craindre par son Roy,

Qu' il est tres-dangereux au suject quel qu' il soit de se faire craindre par son Roy, exemple memorable en la personne du Connestable de Sainct Pol.

CHAPITRE X.

Jamais seigneur non souverain ne fut eslevé en si haut degré de fortune que cestuy-cy, & jamais seigneur ne se trouva si mal user de sa bonne fortune que luy. Il estoit extrait de cette grande illustre maison de Luxembourg, qui avoit produit quatre ou cinq Empereurs de suitte, beau-frere du Roy Louys unziesme, seigneur d' une infinité de grandes terres, Connestable de France, appoincté du Roy de quarante cinq mille florins par an, qui estoit beaucoup en ce temps-là, avoit quatre cens hommes d' armes entretenus & soudoyez, dont luy seul estoit le Commissaire & Controlleur, chose dont le Roy temporisant a ses importunes grandeurs ne l' osoit desdire. Possedoit les villes de Bohaims & Hams, & encores celle de sainct Quentin absolument, qui luy servoit de leurre, pour repaistre les esperances d' uns & autres Princes. Levoit un escu pour pippe de vin passant dedans ses villes, pour estre transportee aux païs bas, & soustenu du vent de tant de faveurs, nageant entre deux eaux, commandoit, ou pour mieux dire gourmandoit un Roy de France, & un grand Duc de Bourgongne, les nourrissant par sourdes brigues en perpetuelles divisions, & par ce moyen estoit par eux contrainct & debouté. Opinion vrayement fole. Car l' homme sage ne doit rien tant craindre que d' estre craint de son Roy. Celuy qui en use autrement se trouve en fin de jeu mauvais marchand, comme il advint à ce grand seigneur dont je parle. D' autant que les deux Princes, apres plusieurs connivences se voyans ainsi par luy malmenez commencerent de conspirer à sa ruine, pendant la negotiation d' une trefue dedans la ville de Boüynes. Et en fut le premier promoteur sous main le Roy Louys envers les favoris du Duc de Bourgongne, & specialement envers le seigneur d' Imbercourt qui avoit receu mal à propos un desmentir de luy en la ville de Roye. Et de cela on peut recueillir quelle estoit la grandeur de ce Connestable, veu qu' à face ouverte le Roy son maistre ne luy  osoit faire teste. En tels traictez quelque silence que l' on y desire, les parois ont yeux, langues, & aureilles. Il eut quelque vent de cette pratique, & aussi tost en fit sa plainte à l' un & à l' autre Prince. Qui appresta suject d' une nouvelle defiance entr'eux, pour sçavoir celuy qui avoit descouvert ce secret, tant ils craignoient de luy desplaire. La partie est tenuë en surseance: & comme le Roy estoit plein de moyens artificieux, pour se developper d' un mauvais affaire, aussi voulut-il bien faire paroir au Connestable, bien qu' il fust son suject, qu' il n' avoit jamais rien brassé au desavantage de luy. Et pour s' en esclaircir il fut question de les aboucher ensemble. L' orgueil du Connestable fut tel qu' il voulut entrer en mesme paction avec son Roy, comme autresfois avoit fait Jean Duc de Bourgongne, avec Charles septiesme, lors Dauphin, sur le pont de Montereau Fault-Yonne. Le jour est arresté entre Noyon & la Fere, sur la chaussee d' une petite riviere, où fut mise une forte barriere. Là arrive le Connestable le premier, armé d' une cuirace sous un habillement volant, accompagné de trois cens gensdarmes. Le Roy n' y arrive si tost, & faisant cens fois plus qu' il ne devoit, avant que d' y arriver, luy envoye des ambassadeurs pour s' excuser s' il tardoit tant. Et quelque temps apres il y vient, suivy du Comte de Daupmartin grand Maistre de France, & de six cens Gentils-hommes d' eslite. Là fut le pour-parler entr'eux, en presence de cinq ou six seigneurs, tout le demeurant faisant alte. Pour conclusion il fut arresté que tous umbrages seroient ensevelis: & de ce pas le Connestable franchit la barriere, & passant du costé du Roy vint loger ce mesme jour avec luy en la ville de Noyon, & le lendemain reprit ses brisees vers sainct Quentin, son repaire & giste ordinaire. Je vous prie vouloir balancer en passant auquel des deux y eut plus de faute, ou à l' orgueil du suject envers son Roy, ou en l' humilité du Roy envers son sujet. Toutes & quantesfois que nous voyons nostre Prince s' humilier plus que l' ordinaire envers nous, en une asseurance de tout, nous devons tout craindre. Jusques icy vous avez entendu les grandeurs de ce Connestable, entendez maintenant son raval. Le Roy revenu à son second penser commença de se hontoyer, estimant avoir fait un pas de Clerc de s' estre de cette façon demis à l' endroit de son Connestable. Qui luy accreut un maltalent beaucoup plus grand qu' auparavant. L' aposthume se meurissoit de plus en plus aux cœurs des deux Princes, à laquelle il falloit avec le temps donner air. Trefue de neuf ans est concluë entr'eux à Veruins, par laquelle il fut arresté de la liuraison du Connestable és mains du Roy par le Duc. Et suivant cet arrest il fut quelques jours apres liuré à l' Admiral de France bastard de la Maison de Bourbon, qui le conduisit jusques à la Bastille de Paris, sur la fin du mois de Novembre 1575.

J' en reciteray tout au long l' histoire, comme celle de laquelle tous grands Seigneurs, s' ils sont sages, peuvent bien faire leur profit. Là il fut receu par les Seigneurs Doriole Chancelier, & Boulanger l' un des Presidens, & quelques autres sieurs du Parlement. Mesme par le sire Denis Hesselin (ainsi le nomme l' ancienne histoire) maistre d' hostel du Roy, Esleu de Paris, & Prevost des Marchands de la ville, qui estoient lors toutes qualitez de grande marque. Baillé en garde à Philippes l' Huillier, & au Seigneur de sainct Pierre. Son procez ne fut pas de longue duree, d' autant que par arrest du 19. Decembre apres avoir narré tous les points dont il estoit accusé & convaincu, il fut dit. Que la Cour le deposoit de l' Office de Connestable, & tous offices Royaux, & le declaroit crimineux de crime de leze Majesté. Le condamnoit à avoir la teste tranchee sur un escharfaut en la place de Greve, & tous ses biens confisquez envers le Roy: & pour l' honneur de son dernier mariage, la Cour de grace ordonnoit que le corps seroit ensevely en terre saincte. Ce sont les propres mots & suite du dispositif de l' arrest que j' ay voulu de propos deliberé inserer tout au long. Par ce qu' aujourd'huy le formulaire des arrests, en tels cas, est de declarer premierement le seigneur qui est prevenu, attaint & convaincu du crime de leze Majesté, & en consequence de cela le degrader des honneurs & dignitez dont il avoit esté auparavant pourveu par le Roy, & en cestuy on le dépose premierement, & puis on le declare crimineux de leze majesté: Comme n' ayans voulu que cette grande dignité de Connestable eust esté infectee du crime de leze majesté. 

Le mesme jour que l' arrest fut donné ce Connestable est amené au Palais par les sieurs de S. Pierre, & de Toute-ville Prevost de Paris eux deux montez sur chevaux, luy au milieu. Arrivez qu' ils y furent, il monte les grands degrez, receu par les Seigneurs de Gaucourt & Hesselin, qui le conduisirent au lieu où le Chancelier l' attendoit, lequel l' ayant par une honneste preface admonnesté de vouloir estre constant, comme un Seigneur tel qu' il estoit, le somma de luy rendre l' Ordre de S. Michel, qu' il avoit du Roy: A quoy il satisfit promptement. Puis luy demanda son espee, principale remarque de sa dignité de Connestable. Mais il respondit qu' elle luy avoit esté ostee deslors de son emprisonnement. A cette parole le Chancelier le quitta, & aussi tost arriva maistre Jean de Popincourt President qui luy fit lire son arrest. Je vous laisse plusieurs particularitez qui se passerent entr'eux, pour vous dire que soudain apres il fut mis és mains de quatre Docteurs en Theologie, frere Jean Sourdun Cordelier, un Augustin, le Penitentier, & Maistre Jean Hue Curé de S. André des Arts. Il vouloit avant que de mourir recevoir le corps de nostre Seigneur, mais la Cour ne le voulut permettre, & au lieu de ce fut celebree une Messe, & baillé du pain beny & de l' eauë beniste. Ce fait il fut consolé par les quatre Peres, jusques à ce que sur les deux heures apres midy il descendit du Palais, & remonta sur son cheval pour aller à l' hostel de ville, devant lequel estoient dressez les escharfaux pour son execution. Estant conduit au bureau, apres avoir donné lieu à la nature, & à ses regrets, il fit son testament sous le bon plaisir du Roy, qu' il pria estre escrit sous luy par le Seigneur Hesselin. Sur les trois heures il entre sur l' escharfaut, où il se mit à genoux, jetta les yeux sur l' Eglise de nostre Dame, fit devotement son oraison, baisa plusieurs fois la Croix qui luy estoit presentee par le Cordelier: jusques là il avoit eu les mains franches, mais soudain qu' il se fut levé, l' executeur de la haute justice les luy lia avec une petite corde. Je trouve qu' à cette mort estoient presens, en la place, le Chancelier, les sieurs de Gaucourt, de Toute-ville, S. Pierre, Hesselin, le Greffier de la Cour, & quelques autres Officiers, en la presence desquels il demanda pardon au Roy. Puis s' agenoüilla sur un petit carreau de laine aux armes de la ville, qu' il remua de l' un de ses pieds pour le mettre à son apoint. Et lors luy furent les yeux bandez, & aussi tost la teste levee. Il avoit par son testament ordonné d' estre inhumé aux Cordeliers, où Hesselin donna ordre de faire sur le champ porter la teste & le corps conduit de quarante torches, & assista à l' enterrement, & le lendemain aux Obseques qu' il fit celebrer avec tout l' honneur commun que l' on pouvoit desirer. Et par ce que ce Seigneur Hesselin fut des premiers entremetteurs de cette grande histoire, je diray de luy pour closture de ce chapitre, qu' il a esté bisayeul de Maistre Louys Hesselin Conseiller du Roy & Maistre en sa Chambre des Comptes de Paris, personnage de singuliere recommandation, & dont je fay grand Estat. Voila l' histoire tragique de ce grand Seigneur que je vous ay representee pour servir de leçon, & au suject, & au Prince souverain. A celuy-là pour luy enseigner que quelque grandeur qui soit en luy il n' y a rien qu' il doive tant craindre que de se faire redouter & craindre par son Roy: & au Prince souverain que sur tout, ores qu' il le puisse d' une authorité absoluë, toutesfois il se doit bien donner garde de faire mourir un sien subject sans cognoissance de cause, & comme l' on dit, d' une mort d' Estat. Qui ne produit ordinairement que mescontentement general du peuple, & le mescontentement, troubles, & guerres civilles, closture ordinaire de l' Estat. L' abouchement du Duc Jean de Bourgongne, avec Charles Dauphin sur le pont de Montereau Fault-Yonne, & le coup de Tanneguy du Chastel, quand sur le champ par une querelle d' Allemant il tua le Duc, devoient selon quelques sage mondains, servir de leçon au Roy Louys II. pour se deffaire promptement, par personne interposee de son Connestable lors que sans respect de sa majesté, il se voulut par conference, aucunement apparier à luy. Il se donna bien garde de le faire, ains s' en reserva la vengeance par la justice de son Parlement. Aussi produisirent ces deux morts deux divers effets. Car de la fosse du Duc Jean sourdit un seminaire de guerres, qui fut la desolation de nostre Royaume: & de celle du Connestable, un repos aux ames des deux Princes, & ensevelissement de tous les maux qui prenoient leurs vies par sa vie.

6. 9. Du procez extraordinaire fait, premierement à Messire Philippe Chabot Admiral de France, puis a Messire Guillaume Pouyet Chancelier.

Du procez extraordinaire fait, premierement à Messire Philippe Chabot  Admiral de France, puis a Messire Guillaume Pouyet Chancelier.

CHAPITRE IX.

Ce que j' ay deduit cy-dessus regarde les belles pointes des mots, ce que je deduiray cy-apres regardera les belles rencontres des faits, pour enseigner tous les Juges de n' accomomoder leurs volontez en jugeant, aux volontez extraordinaires des Roys leurs Maistres. Des Essars fit mourir Montaigu, pour contenter l' opinion de celuy dont il estoit lors idolatre: Et Dieu permit que depuis il fut decapité, mais avecques une suitte beaucoup plus ignominieuse que celle dont il avoit traité Montaigu, comme j' ay plus amplement discouru ailleurs. Je feray un saut du regne de Charles VII. à celuy de François I. M' asseurant que ce que je discourray ne desplaira aux Lecteurs. Entre ceux qui eurent bonne part en ses bonnes graces, ce fut Messire Philippe Chabot, & ne trouve Seigneur de tout ce temps-là ny depuis qui eut approché nos Roys, lequel ait esté tant chargé de dignitez que cestuy. Car il estoit Chevalier de l' Ordre, Admiral de France, Lieutenant general du Roy au pays & Duché de Bourgongne, Conseiller au Conseil Privé, & en outre Lieutenant general de Monsieur le Dauphin aux Gouvernemens de Dauphiné & de Normandie. Telles trouvay-je ses qualitez par l' Arrest contre luy donné dont je parleray cy-apres. Le Roy ne croyoit qu' en luy seul; entre ceux qui avoient son oreille. Toutesfois comme les opinions des Roys se changent sans sçavoir quelques-fois pourquoy, aussi commença-il avecques le temps de se lasser de luy, & en fin il luy despleut tout à fait. De maniere qu' un jour entr'autres il le menaça de le mettre és mains de ses Juges, pour luy estre fait son procez extraordinaire. A quoy l' Admiral ne remettant devant ses yeux combien c' est chose dangereuse de se joüer à son Maistre, luy respondit d' une façon fort altiere, que c' estoit ce qu' il demandoit, sçachant sa conscience si nette, qu' il ne pouvoit estre faite aucune bresche, ny à ses biens, ny à sa vie, ny à son honneur: Ne se souvenant pas du Verset du Roy David, quand parlant à Dieu il disoit:

Si tu veux par rudesse 

Nos pechez mesurer, 

Seigneur, Seigneur qui est-ce 

Qui pourra plus durer?

Cette responce despleut tant au Roy, que soudain il fit decerner une commission contre luy: & combien qu' és commissions extraordinaires les Chanceliers n' ayent jamais accoustumé de presider, pour faire le procez criminel à quelque Seigneur que ce soit, ains seulement quand la Cour de Parlement y vaque, auquel cas un Chancelier selon les occasions y preside, comme chef de la Justice. Toutes-fois en cestuy-cy que le Roy affectionnoit pour l' irreverence dont il estimoit l' Admiral avoir usé envers luy, le Chancelier Pouyet fut de la partie: avecques vingt & quatre que Presidens, que Conseillers triez de divers Parlemens. Et le Roy estant lors à Fontaine-bleau, & le procez instruict en la ville de Melun, par le narré de l' Arrest qui fut puis apres donné contre l' Admiral, on trouve que deux & trois fois il fut interrogé par le Chancelier, lequel y presida lors du Jugement, & qui est chose grandement remarquable, en tout le procez nul article par lequel on luy imputast crime de felonnie & leze Majesté, ains quelques exactions induëment par luy faites sur quelques pescheurs, sous pretexte de son Admirauté: Qui fut cause que du commencement il n' y avoit aucune aigreur de la part des Juges, mais le Chancelier voyant que le Roy affectionnoit la condamnation de leur prisonnier, commença de se roidir contre son innocence, aux yeux de toute la compagnie, qui s' en offença aucunement; d' autant qu' à face ouverte il taschoit de reduire toutes les opinions à la sienne, en quoy ores qu' il ne fust du tout creu, si en attira-il quelques uns à sa cordelle. Tellement que l' Admiral ne fut pas condamné à mort, mais bien traité fort rudement, & comme les opinions eussent balancé, les unes au plus, les autres au moins, en cet estrif; le Chancelier indigné, que les choses ne luy succedoient à point nommé, quand ce vint à luy d' opiner, il pria la compagnie de l' en dispenser. Ce qu' elle ne luy voulut accorder, de sorte que voyant que ce luy estoit un faire le faut; en deux mots il declara qu' il passoit à l' opinion la plus severe. Avant que l' Arrest fust signé, le Rapporteur du procez luy en apporta la minute, non pour la corriger tout à fait, mais bien pour voir s' il y avoit quelques obmissions par inadvertence. Toutesfois pour contenter son opinion, se donnant pleine carriere, le change selon que sa passion le portoit, & estant de cette façon radoubé; l' envoye à tous les autres Conseillers pour le soubsigner. Ce que du commencement ils refuserent de faire, mais les violentant d' une continuë, & de menaces estranges, ils furent contraints de luy obeïr. Voire que l' un d' eux meit au dessous de son seing, un petit V, du commencement, & vers la fin un I, ces deux lettres jointes ensemble faisans un VI, pour denoter qu' il l' avoit signé par contrainte. J' ay voulu repasser sur l' Arrest, par lequel je remarque une animosité tres-expresse, & sur le commencement, & sur le milieu, le commencement de l' Arrest est tel. François par la grace de Dieu Roy de France, à tous ceux qui ces presentes lettres verront, salut. Comme sur les plaintes à nous faites de plusieurs infidelitez, desloyautez & desobeïssances envers nous, oppression de nostre pauvre peuple, forces publiques, exactions induës, commissions, impressions, ingratitudes, contemnement & mespris, tant de nos commandemens, que defenses, entreprises sur nostre authorité, & autres fautes, abus, & malversations, crimes & delits que l' on disoit avoir esté commis & perpetrez par Philippes Chabot, &c. Sçavoir faisons que nous avons dit & declaré, disons & declarons icejuy Chabot estre attaint & convaincu, mal, induëment, illicitement, injustement & infidelement, contre les deffences par nous de nostre bouche à luy faites, & par impression & force publique, sous ombre de son Admirauté, pris & exigé és annees mil cinq cens trente & six, & trente & sept, vingt sols sur les pescheurs de la coste de Normandie, qui esdictes annees ont esté aux harangaisons, & la somme de six liures sur chacun batteau qui estoit allé aux macquereaux, combien que luy eussions, comme dict est, deffendu de bouche ne rien prendre.

Autres plus grands chefs d' accusation ne vois-je. Je ne veux point excuser ces fautes, mais il n' y a Seigneur en France sous lequel ses ministres & serviteurs ne puissent tomber en tel desarroy, ny pour cela je ne voy point qu' ils soient recherchez; Unes lettres patentes d' abolition à petit bruict les ensevelit sans qu' il en soit jamais parlé. Aussi au cas qui s' offre le Chancelier ne trouvant grand suject de condamnation en l' Admiral fut contrainct de cotter nouvelle qualité de crime en luy, comme d' ingratitude. Vice vrayement que l' on abhorre naturellement, mais pour lequel on ne fit jamais le procez extraordinaire à un homme: Le Chancelier estimoit en ce faisant apporter contentement à son Maistre, & toutes-fois Dieu voulut qu' au contraire de son intention le Roy ayant veu l' Arrest commença de se mocquer des Juges, & sur tout de se courroucer contre le Chancelier qui luy avoit promis monts & merveilles. Ce grand Roy, comme il est grandement vray-semblable, souhaittoit en l' Arrest condamnation de mort, pour accomplir puis apres un trait absolu de misericorde envers celuy dont il ne pouvoit oublier l' amitié, encores qu' il l' eust voulu faire repentir de la response trop brusque, dont l' Admiral avoit usé envers luy: & s' estans les choses passees de la façon que dessus, le Roy le manda querir pardevers soy, & sans user de plus longs propos, luy dict. Pour contenter vostre opinion j' ay faict faire vostre procez, & avez veu le succez qu' en avez eu pour trop vous croire: Maintenant je veux contenter la mienne, & d' une puissance absoluë vous restablir en tel estat qu' estiez auparavant l' arrest. A quoy l' Admiral repartit; Pour le moins, Sire, je loüe Dieu qu' en tout mon procez il n' y a un seul mot de felonnie que j' aye commise, ou voulu commettre contre vostre Majesté. Cette parole arresta tout court le Roy, lequel pour en estre esclaircy decerna nouvelle commission à autres Juges pour sçavoir s' il n' avoit point esté attaint & convaincu de ce crime. Les Commissaires voyent les procedures & pieces, ausquelles ils n' en trouvent aucune mention, & sans y avoir recours, l' arrest mesme portoit un ample tesmoignage qu' il n' en estoit rien. Au moyen dequoy apres avoir oüy leur rapport, le Roy decerna ses lettres Patentes, par lesquelles il le remettoit en sa bonne fame & renommee telle comme auparavant, sur lesquelles fut donné arrest, prononcé en robbe rouge aux grands Arrests de Pasques le 29. jour de Mars 1541. Le coup toutesfois du premier arrest l' ulcera de telle façon qu' il ne survesquit pas longuement. Adonc commença la fortune de liurer nouvelle chance, car le Roy renvoya en sa maison Messire Anne de Montmorency Connestable de France; & voulut le procez estre fait au Chancelier, à la requeste de son Procureur general en sa Cour de Parlement de Paris: Plusieurs memoires sont apportez contre luy, mais les plus signalez & picquans furent les extraordinaires deportemens dont il avoit usé envers les Juges au procez de l' Admiral: Mesmes furent contre luy produits à tesmoins, quelques Conseillers qui avoient esté de la partie, & n' y eut rien qui tant luy nuisit que cela en sa condamnation. Comme on procedoit à son procez, la veufve & heritiers de l' Admiral obtindrent lettres Patentes addressees aux mesmes Juges, pour faire revoir le procez, se constituans demandeurs en declaration d' innocence.

De maniere que le 23. Avril 1545. fut donné arrest contre luy, par lequel pour les entreprises par luy faites outre son pouvoir, abus & exactions, il fut privé de l' Estat de Chancelier, & declaré inhabile à tenir office Royal; & encores condamné en la somme de cent mille liures envers le Roy, & à tenir prison jusques à plein payement, & confiné jusques à cinq ans en tel lieu & seure garde qu' il plairoit au Roy. Arrest qui fut prononcé en la grand Chambre, l' Audience tenant, par Berruyer l' un des quatre Notaires & Secretaires de la Cour. A la prononciation duquel le Chancelier fut present, & comme tous les astres avoient lors conjuré contre luy, aussi fut par les mesmes Juges, à la poursuitte de la veufve & heritiers de l' Admiral, donné un autre arrest, par lequel celuy de Melun fut declaré nul. Belle leçon à tout Juge pour demeurer en soy, & ne laisser fluctuer sa conscience dedans les vagues d' une imaginaire faveur, qui pour fin de jeu le submerge.

Je vous ay recité deux Histoires dont pourrez recueillir deux leçons: L' une que quelque commission qu' un Juge reçoive de son Prince, il doit tousjours buter à la Justice, & non aux passions de celuy qui le met en œuvre, lequel revenant avec le temps à son mieux penser, se repent apres de sa soudaineté, & recognoist tout à loisir celuy estre indigne de porter le tiltre de Juge, qui a abusé de sa conscience pour luy complaire: L' autre que jamais un Seigneur qui pour avoir eu bonne part en la faveur du Roy son Maistre, a esté employé aux grandes affaires, tombant en son indignation, ne doit permettre s' il luy est possible de tomber és mains de la Justice, & qu' on luy face son procez, quelque innocence qu' il pense resider en luy. D' autant que ce qu' il estimoit, pendant sa vogue, un peccadille, venant devant les yeux des Juges, est non seulement estimé peché mortel, ains criminel. Cela se manifesta aux deux Seigneur (sic), qui soubs le Roy François tindrent deux des premieres dignitez de la France: en l' Admiral Chabot, & au Connestable de Montmorency. Celuy-là ayant brusquement respondu, qu' il faisoit pavois de sa conscience contre tous les Juges: Et cestuy quand se voyant disgracié, il reblandit avec toute humilité la bonté du Roy son Maistre, & le supplia de se contenter, qu' il se retirast en sa maison. Qui estoit une punition tres-griefve de le priver de sa presence. Non qu' il se sentist moins innocent que l' autre, mais s' estant fait sage aux despens de la hardiesse de son compagnon.

Cecy me fait souvenir d' un conseil que je donnay à Monsieur le Mareschal de Montmorency son fils aisné, lequel ayant esté envoyé prisonnier par le commandement expres du Roy Charles IX. à la Bastille, sentant sa conscience saine (car ainsi puis-je dire, comme chose tres-veritable, que je ne vy jamais grand seigneur accompagné de plus grande preud'hommie que luy, & en ay haleiné plusieurs) voulut demander juges, & pour distribution de Conseil, feuz Messieurs Mangot & de Montelon, & moy. Et m' envoya sous main, Sublet sieur de sainct Estienne (qui avoit esté precepteur de Madame son espouse, aujourd' huy Duchesse d' Angoulmois) avecques un petit billet d' une ligne, pour sçavoir si je voudrois estre de la partie. Car pour bien dire en telles piteuses affaires chacun craint d' approcher ces pauvres Seigneurs affligez. A quoy je luy respondis que non seulement j' en serois tres-volontiers, ains reputois à grand honneur, qu' il m' eust choisi avecques ces deux miens compagnons: Et que deslors comme son Advocat, le premier conseil que je luy donnois estoit de ne demander, ny juges, ny distribution de Conseil: mais au contraire, que nuls juges ne luy fussent bons. Parce qu' en telles prisons, que j' appellois prisons d' Estat, fondees sur le maltalent de son Roy, il falloit tirer les choses en longueur. Pendant laquelle la colere du Roy s' estanchant, aussi se diminuoit l' opinion du delit. Conseil qu' il ne mist sous pieds, assisté en cecy de la bonté de Monsieur le premier President de Tou, personnage dont on ne peut assez favoriser la memoire, lequel par sa debonnaireté & prudence, donna ordre qu' on ne remua rien contre luy. Et depuis, le Roy Charles decedé, & Henry troisiesme son frere luy ayant succedé, apres que l' on eut mis sous pieds tous courroux, les prisons luy furent à pur & à plain ouvertes.