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jeudi 17 août 2023

POUR PARLER DE LA LOY.

POUR PARLER DE LA LOY.

En ce Dialogue l' Autheur entend detester plusieurs esprits libertins, qui se donnent tous discours en bute, monstrant combien il est chatoüilleux de donner loy & permission à chacun de disputer de la Loy generale, sous laquelle il est appellé: Et en passant, descouvre la calamité d' un malheureux siecle, auquel le bon endure aussi bien que le mauvais, sous un pretexte mal emprunté de la Justice.


PREMIER FORÇAT. LE COMITE.

SECOND FORÇAT.


Seigneur Comite pour Dieu mercy, & ne vueille exercer en mon endroict toutes sortes d' indignitez, mais si en toy a (comme en toute personne vivante) quelque marque d' humanité, de grace que la qualité & estat de ma personne te flechisse. 

COMITE. Et qui est donc ce causeur qui publie ses qualitez?

I. FORÇAT. En premier lieu, Seigneur Comite, entens que je ne suis point né Barbare, mais extraict de cette florissante nation d' Italie, davantage que mon influence choisit pour lieu de ma nativité, cette brave ville de Rome, jadis chef de tout l' Univers, & ores Siege des SS. Peres. En toutes ces deux parties heureux certes & trop heureux, si, contant de ma premiere fortune, & guidé simplement par mes instructions maternelles, je n' eusse voulu penetrer és secrets de la Philosophie. Ainsi te peux tu bien vanter d' avoir icy à ta cadene, non seulement un Italien, mais un Romain, & encore un Romain Philosophe.

COMITE. Vray Dieu quel fantosme est-ce cy! comment se pourroit-il bien faire qu' entre tant de pendarts, j' eusse non seulement icy un Philosophe pendart? Car d' Italiens & Romains, ce ne m' est point nouveauté d' en avoir veu par leurs delicts, arriver à mesme condition que celle où tu és à present, mais oncques autre Philosophe que toy je ne vey estre exposé à la rame. Aussi avois-je tousjours entendu que cette Philosophie, laquelle je cognois seulement de nom, estoit un guidon de tout heur, sans lequel nous ne participions en rien de l' homme, fors de l' exterieur de la face. Tellement que maintesfois avec un regret du passé, je detestois ma fortune, & l' injustice de ceux qui eurent la premiere charge de moy: lesquels, comme jaloux & envieux de mon bien, me destournerent si tost des livres, à peine les ayant goustez.

I. FORÇAT. Je ne sçay pas si les livres t' eussent apporté ce bien que tu estimes: parce que tu ne fusses pas tant arrivé à ce point de Philosophie, dont tu parle par leur lecture, que par un assiduel pour-pensement & rapport en ton esprit de toutes choses, qui d' une suite & liaison se tirent de l' une à l' autre. Au reste je te prie que de cette heure, te faisant par mon malheur mieux advisé, tu n' impropere plus à tes parens l' opinion qu' ils eurent de t' entremettre à negotiation, peut estre de plus grand poids que ces vains & inutiles discours, desquels est seulement venu tout le motif de mon mal.

COMITE. Tu palieras les matieres en telle sorte que tu voudras, si ne me sçavroit-il passer devant les yeux, que de cette Philosophie, ains que plustost de ton forfaict ne soit advenu le malheur qu' il faut maintenant que tu boives.

I. FORÇAT. Seigneur Comite, tous tant de Forçats dont tu as icy le chastiment, ont delinqué chacun en leur endroit, sans aucun discours de raison, semonds seulement à mal faire d' une malignité d' esprit: mais s' il te plaist que je te file de point en point, & raconte par le menu l' occasion de mes Galeres, tu entendras que non point par un lasche cœur (ja ne plaise à celuy qui tient l' escrin de mes pensees que j' encoure jamais telle reproche) mais que par un certain jugement je suis tombé en l' erreur dont il faut que malheureusement à cette heure je souffre la punition.

COMITE. Et bien je suis tres-content, pendant qu' il ne fait temporal, & que nous sommes icy à l' anchre en ce lieu de seurté & repos, te donner audience pour quelque temps: mais premier que de t' avancer, pour quelle desconvenuë fus tu amené en ce lieu?

I. FORÇAT. Pour plusieurs occasions, qui sonnent mal envers vous, comme font meurtres, paillardises, larcins, & autres choses que selon vos loix ordinaires, vous appellez fautes & malversations.

COMITE. En bonne foy tu me payes icy en chansons, & faut bien dire que ta profession soit contrevenante à ta parole. Car qui fut oncques le Philosophe qui fit mestier & marchandise de telles denrees, fors que toy? Et si je suis bien recors, j' ay quelquesfois appris, que les plus sages, desquels tu te vantes emprunter le nom, s' esloignoient autant de femmes, argent, & autres telles piperies, qui esmeuvent nos passions, comme aujourd'huy nous y sommes enclins & subjets.

I. FORÇAT. Tu t' abuses Seigneur Comite, & ne faut point en cecy faire une generalité, d' autant que si on veit quelquesfois un Xenocrate morne & pensif, avoir eu une femme à l' abandon sans luy toucher, je luy mettray en contrecarre, un Aristipe, non moindre que luy en renom, publiant entre ses plus notables rencontres, qu' il ressembloit le Soleil, lequel sans se soüiller, esplanissoit ses rayons dans les esgousts, & escluses: & luy du semblable sans alteration de son bon sens ou esprit, alloit & frequentoit les bordeaux. Semblablement si vous eustes un Diogene folastre, vilipendant les deniers, de son mesme temps en contr' eschange ce grand personnage Platon hantoit les Cours des grands Seigneurs, sous tel espoir de profit qu' il se proposoit en tirer: Et pour te dire en peu de paroles, tous les Philosophes anciens furent hommes, consequemment attrempans, ou pour mieux dire hypocrisans & desguisans leurs passions, selon qu' ils estoient plus discrets: mais qu' ils s' en trouvassent aucuns impassibles, ce sont certes illusions & abus, dont ils s' entretenoient en credit envers le simple populaire, sous l' escorce de leur beau parler. Au demeurant quand tous ceux-là dont tu parles eussent esté tels que tu dis, ne pense point Seigneur Comite, que jamais j' asservisse mon esprit dessous les preceptes d' autruy, ains tant qu' une liberté & franchise a peu voguer dedans moy, tant me suis-je consacré à une Philosophie. Que si par fois, par une taisible rencontre de jugemens & humeurs, je me suis trouvé simbolisant en opinion avecques autres, fais moy de grace ce bien de croire, que non par une vaine authorité de mes ancestres, je me sois mis de leur party à cause de leur primauté, mais seulement pour autant que tel ou tel fut mon advis, aidé de quelques raisons qu' un long discours m' avoit apportees: Et pour ce ne me mets point sur les rangs quels ayent esté mes ancestres. Suffise toy, puis qu' il te plaist en ma faveur desrober une heure à tes plus urgentes affaires, que dés que j' eus cognoissance des choses, je projettay de n' endurer jamais injure, de n' estre jamais souffreteux, & au surplus donner la vogue à mes plaisirs comme j' avois le vent en poupe. De là, si tu le veux sçavoir, est issuë toute la source de mon mal. Et a fin que tu l' entendes tout au long, sçaches seigneur Comite que discourant sur toute cette ronde machine apres un long divorce de toutes choses en mon esprit, je resolu à la parfin un fondement perpetuel, sur lequel depuis je basty toutes mes pensees. Le fondement dont je te parle c' estoit Nature: de cette Nature, disois-je, si nous croyons aux Legistes, sont provignees toutes leurs loix, de cette mesme les Medecins prindrent naissance, lesquels pour cette occasion furent anciennement, ce me semble, en la France appellez par mot Grec Physiciens, de ceste Nature, les arts, de cette Nature, les sciences: Parquoy à cette grande Nature, faut generalement raporter toutes nos œuvres & pensemens. 

Or que me causa tout ce discours? une telle confusion que remaschant tout cecy en mon cerveau, il m' entra en teste, non du premier jour, ains petit à petit, & par quelque traicte de temps, que ce mot de larrecin avoit esté inventé par tyrans, la vengeance ostee par covards, & la copulation charnelle modifiee par personnes de petit effet, & qui mesuroient le commun devoir selon le cours de leurs puissances particulieres. Premierement je voyois que au cours de nostre premiere Nature tout estoit tellement uny, que sans aucune distinction du Mien & Tien un chacun vivoit à sa guise, mettant en communauté tout ce que lors la terre gaye produisoit de son propre instinct: de son propre instinct (dy-je) par ce que depuis ennuyee du tort que nous luy faisons, ayant donné de son creu aux uns & aux autres particuliers ce qui appartenoit au commun, retira dans ses entrailles toute sa force, deliberee de ne nous communiquer ses thresors, si elle n' estoit sollicitee d' an en an, par assidues instances & semonces de nos charrues. Ainsi devisant à par moy: Toutes choses sunt (sont) donc communes, & cestuy-cy disgratié en toutes parties, & seulement une image taillee en homme fera son propre du commun: Et moy pauvret, que nature voulut assortir d' un cœur genereux & hautain, feray hommage à cette Idole reparee, qui n' aura yeux pour considerer mes merites: ny aureilles pour les convertir à mes prieres? Plustost plustost m' envoye le Ciel tout ce desastre que souffrir vie si penible. Et en cette resolution conduisant mes discours à effect, je me mis veritablement à desrober, mais quelles choses? celles que je pensois communes: estimant que puis qu' on semoit sur le fonds auquel j' avois droict par nature, je n' en pouvois devoir au fort que les façons. Et ainsi continuay de là en avant mes larcins, me chatoüillant en cest endroict, & flattant de la commune usance des autres, lesquels je voyois (encores que par mot desguisé) toutesfois sous le nom d' une trafique generale, estre d' un mesme mestier que moy: estant loisible à un chacun de decevoir son compagnon jusques à la moitié de juste prix.

COMITE. Et viença gentil Philosophe, ne te devoit-il souvenir que par cette sotte opinion tu violois non seulement les loix humaines, mais aussi celles de Dieu, qui te commandent n' avoir rien de l' autruy?

I. FORÇAT. Je te diray, j' arrivay en fin sur ce poinct, & apres plusieurs tracassemens & destours, je m' advisay que cette mesme police de communauté se tenoit dans les Religions plus recluses & familieres de l' observance du vieux temps. Au moyen dequoy je concluois qu' il falloit par necessité que celuy seul fust larron, qui troublant l' ordre de nature voulut attribuer à son usage peculier, ce qui estoit commun à tous: Ce ne suis-je doncques point, disois je, qui doive estre appellé larron, ains celuy qui premier mist bornes aux champs, celuy qui encourtina de murs les bourgades, bref, celuy qui plein de doute & soupçon, fortifia de frontieres son pays à l' encontre de son voisin, & tous ceux generalement qui serrez dans mesme cordelle, establissent toutes leurs loix sur cette particularité d' heritages & possessions. Estant donc en cette opinion, & envelopé dans ce labyrinthe de folie, folie puis-je bien nommer, puis que l' evenement me l' apprend, de cette opinion je tournay mon pensement en un autre erreur d' aussi fascheuse digestion, peut-estre que le premier. Fortune qui sur l' entree acheminoit mes entreprises à mon souhait, pour ne manquer d' honneste pretexte, me voulut de larron faire devenir gendarme.

COMITE. Un gendarme donc Philosophe. Et vrayement tu m' en veux conter, comme s' il y avoit en France autres Philosophes que ces grands Regens, qui de tout temps se sont habituez és fameuses Universitez, comme est celle de Paris.

I. FORÇAT. La plus part de ceux dont tu parles sont maistres és Arts, & qui n' apprindrent onc autre chose que de parler congruement, avec quelques petites fleurettes & embellissemens d' histoires Grecques ou Latines, dont ils reparent leurs escrits: mais que jamais ils sonderent profondement les poincts qu' ils jugent infaillibles, je meure si tu en trouves un tout seul.

COMITE. Certainement tu me fais rire, & ne l' eusse jamais creu, mais pour ne t' esloigner de ton propos.

I. FORÇAT. Soudain que je me vey apoincté sous la charge d' un Capitaine (qui à la verité m' avoit en quelque reputation pour me veoir, contre l' ordinaire des siens, par fois sortir à mon honneur de quelque propos de merite) il m' entra en la fantaisie un certain esprit de vengeance, non point vrayement par legereté, comme tu peux apercevoir, en la plus part de ces nouveaux advanturiers, lesquels ne se voyent bransler l' espee à leur costé qu' ils n' accompagnent aussi tost leurs gestes d' un minois de mauvais garçon, avec une infinité de reniemens & blasphemes: mais conduisant toutes mes œuvres par discours, je ruminois que si par instigation de Nature nous devions bien vouloir à ceux qui nous moyennoient quelque bien, tout de la mesme raison devions nous mal vouloir aux autres qui nous pourchassoient nostre mal.

COMITE. Ouy, mais tu sçavois bien que nostre Religion t' enseignoit du tout le contraire: quand il est porté par expres de rendre le bien pour le mal. 

I. FORÇAT. Tu dis vray, mais je destournois ce passage en autre sorte que tu ne fais, le prenant à mon advantage pour article de conseil, & non de commandement. Pour cette cause conduisant ce mien propos jusques à mainmettre, je resolvois de souffrir plustost mille morts, que d' endurer une injure, opinion grandement louee entre nous autres Italiens, & davantage tant approuvee de toute memoire par la Noblesse de France, qu' il semble qu' anciennement celuy qui poursuivoit son injure ne fist tant acte de vengeance, que de deffence. A raison dequoy (si comme estranger je ne m' abuse en l' observation de vostre Langue) entre deffendre & revenger, vous autres Messieurs les François ne mettez point de difference. Tant y a que d' une mesme fonteine (fontaine), bien que les effects fussent divers, je tirois l' amitié d' un pere à un fils, l' honneur que l' on porte à la vieillesse, la compassion des desolez, la recognoissance des biens faicts, & finalement la vengeance, toutes lesquelles notions je reputois estre engravees en nous, par cette grande mere Nature par une taisible obligation: que successivement nous nous procurons l' un l' autre. Voire que si outre l' instinct de Nature on estimoit beaucoup les quatre premieres, pour l' occasion du public, cette derniere ne devoit moins estre estimee, a fin que celuy qui nous offençoit, apprit par son propre exemple à refrener ses injures, & ne faire tort à autruy: qui estoit un des premiers endoctrinemens de Justice. Que veux-tu plus? De larron je me fis brave homme, & soustenant le poinct d' honneur s' il en fut onc, sans toutesfois que pour l' exercice de l' un, je misse l' autre à nonchaloir. 

COMITE. Tu me contes icy merveilles, d' autant que malaisément ces deux qualitez s' accouplent ensemble, comme ainsi soit que l' une procede de la part d' un homme genereux & magnanime, & l' autre d' un cœur lasche & chetif. Car quant au tiers poinct concernant le plaisir des femmes, lequel tu n' as encores deduit, je ne m' en scandalise beaucoup, comme estant un peché commun, & qui nous est dés nostre jeunesse affecté par une certaine & cachee suggestion de Nature.

I. FORÇAT. La verité est telle que tu dis. Aussi faisant le foye ses distributions naturelles en nous, il envoye aux vaissaux spermatiques le sang plus espuré, comme à chaque autre de nos membres ce qui luy est plus necessaire pour l' entretenement de ce corps.

COMITE. Quand en tout ce que tu deduis il y eust eu quelque apparence, comme toutesfois il n' y a, pour une infinité de raisons que l' usage & sens commun nous a apprises, si est-ce qu' encores te falloit-il mettre frein & moyen à tes pensees. De ma part bien que je n' eusse jamais le loisir de passer tant de resveries en mon esprit, si est-ce que selon mon gros sens, il me semble que tu estois beste, & que si tu eusses esté plus sage, tu te fusses contenté de viure selon la loy de ton pays.

I. FORÇAT. Tu me rameines en une grande difficulté. Car qui sçait si j' eusse peu gaigner ce poinct sur moy, estant né pour estre quelque jour exposé en cette misere où tu me vois, & qu' il falloit que pour quelque mien meffait je fusse mis à la chiorme? Quoy que ce soit, pendant que trop ententif je conduis toutes mes actions au cours de cette brusque Philosophie, je suis tombé en l' estat où tu me vois à present. D' une chose te veux-je prier, pour toute conclusion, c' est que si en toy se loge quelque estincelle d' humanité, ainsi que ta face & façons m' en donnent certain prognostic, tu vueilles espargner envers moy la puissance que tu as de meffaire, & me traicter non selon ma presente fortune, ains selon celle de laquelle j' estois plus digne.

II. FORÇAT. Seigneur Comite, entens, je te prie, ce que j' ay à te dire, sans t' arrester si longuement aux paroles de cet Italien.

COMITE. Et qui es tu?

II. FORÇAT. Qui je suis? à peine te le puis-je dire en ces abysmes d' opinions, esquelles nous sommes maintenant plongez, voyant ces Philosophes masquez tels que celuy que tu as icy accosté, revoquer toutes choses en doute, voire celles qui sont plus claires que le jour. Car que te puis-je asseurer si je suis homme ou beste, puis que la plus part de nous tous, dessous un faux visage d' homme, couvrons des opinions bestiales? Toutesfois si tu veux sçavoir mon estre, sçaches que je suis né natif du monde.

COMITE. Tu ne nous dis rien de nouveau.

II. FORÇAT. Trop plus nouveau que cela que t' a dit ce sot Italien, quand sur le commencement de ses propos pour se magnifier envers toy, il s' est vanté estre yssu non seulement de l' Italie, mais aussi de cette grande villasse ou villegaste de Rome. Et quant à moy, encores que ceux qui eurent de moy cognoissance, pendant ma plus heureuse fortune, me publiassent de cette genereuse & brave nation de France, si n' en fey-je jamais aucun compte, ains tousjours reputay en moy cette loüange estre mal acquise, que l' on pensoit tirer d' une vaine opinion de son pays. D' autant qu' oncques nation si barbare ne se trouva qui n' enfantast de bons cerveaux: Vray que les emploites & exercices d' iceux se sont trouvez estre divers, selon la diversité des contrees, chacun accommodant son sens aux mœurs des Regions, & au cours des necessitez qu' il voyoit avoir plus de lieu és pays où ils s' estoit destiné de passager cette vie. 

COMITE. Sur mon Dieu, selon ce que j' en puis juger tu n' es point du tout hors de propos.

II. FORÇAT. Par là doncques tu peux cognoistre en cest Italien, dés l' entree de ses arraisonnemens, je ne sçay quoy de sa nation, c' est à dire d' un homme vanteur, & qui pour quelque heureux succez qui advint quelquesfois à ces vieux Romains, estime au regard de soy, le surplus de toutes nations barbare, non considerant toutesfois que tout ainsi que jadis cette Rome envahist la plus part de toute autre contree, chaque contree depuis a voulu avoir encontre elle sa revange: qui a tellement succedé, que de toute cette Italie ne luy reste que le nom. Bien est vray que pource qu' ils ouïrent dire que leurs ancestres sur toute chose eurent leur liberté en recommandation, tout ce demeurant depuis s' attachant sans plus à ce mot, imagina non pas une liberté telle que pratiquoient les Romains à la conduite de leur police, mais une certaine licence qu' eux tous rongent contre le public. De maniere que la plus part d' eux vivant sous une & autre domination, ne songe à autre chose qu' à quelques libertez mal basties, qui toutesfois luy sont bonnes, mais qu' elles tournent à son profit, quoy que peut estre elles se trouvent contrevenantes aux bonnes mœurs. De là sans chercher autre source, est venu toute l' ignorance de ce folastre Italien; de là est procedee l' imagination qu' il a de la communauté des choses. Imagination toutesfois non conceue pour autre raison, sinon pour autant que Nature dés la naissance de luy, ne fut en son endroit si prodigue de ses richesses, comme à plusieurs, d' autant que si dés son premier estre il eust rencontré la fortune plus favorable, maintenant eust-il presché tout d' autre sorte. Et tout de la mesme façon que ce gentil Philosophe a voulu approuver la communion des richesses, un autre aussi advisé, mais peut estre plus riche que luy, faisant un nez de cire à Nature, prouvera par elle mesme la separation des domaines, telle que la praticquons aujour-d'huy. Parquoy pour te dire en peu de paroles, Comite, ce n' est point Philosophie, ains plustost vraye folie, vouloir par un particulier jugement retifuer contre l' esperon de nos loix: ains me semble qu' en un seul mot tu luy as trop plus que Philosophiquement coupé la broche, quand d' un bon sens naturel sur la fin de ses propos, tu luy as dit que posé que tous ses discours fussent de quelque apparence, si les falloit-il abhorrer, pour autant que comme le bon soldat il ne vivoit point au commandement de son Capitaine. Car pour te dire le vray (outre ce que tous les poincts qu' il a eu grand peine à te faire trouver bons, sont du tout contrevenans à nostre Christianisme) certes des choses qui touchent à la loy, mais qu' elles nous soient donnees à entendre, la dispute nous en doit estre du tout retranchee: autrement si vous en levez les defenses, vous ferez d' une souche autant de branches, comme vous les avrez entees en une diversité de cerveaux, & s' entretiendra un chacun en cette loy selon le cours de ses humeurs, ou de ce qu' il verra luy estre le plus expedient & apoint, pour parvenir à son intention.

COMITE. Tu dis vray, mais viença quand je m' advise. Esclave, pour quel forfaict fus tu doncques confiné en ce lieu? Car je croy par cette foy si asseuree que tu as ton Prince, que qui ne t' y eust amené tu n' y fusses jamais venu de ton bon gré.

II. FORÇAT. En bonne foy, Comite, ce n' a esté mon delict, mais ma bonté qui m' a pourchassé cette peine.

COMITE. Seigneur Dieu voicy des merveilles.

II. FORÇAT. Patience, car s' il te plaist que tout au long je te raconte le temps passé de ma vie, croy m' en Comite, & t' en informes plus amplement si bon te semble, par ceux qui ont de moy cognoissance, oncques jour de ma vie je ne pensay de transgresser ma loy d' un seul poinct, de propos deliberé, ains tousjours me suis evertué de me conformer au cours d' icelle, & en ce faisant ne faire au prejudice d' autruy chose qui me tourneroit à desplaisir, estant attentee contre moy. Premierement tout mon dessein fut de mener une vie calme, bannie de cette grande Cour des Seigneurs, & semblablement des tumultes & chiquaneries des Cohues, non toutesfois qu' en ce projet je ne recogneusse fort bien n' estre point né pour moy seul. Au moyen dequoy je determinay aider aux necessiteux de mon bien, ou de mon conseil, selon l' exigence des cas: qui m' apporta telle faveur & applaudissement envers un simple populaire, que de ceux qui me cognoissent je fus reputé pour un Roy: Roy veritablement estois-je, par ce que sans passion je guidois toutes mes œuvres, & si je voyois quelques uns, comme zelateur du pien public s' aigrir encontre la justice, estimans par leur opinion particuliere qu' elle fust mal administree, ou murmurer contre la licence des grands, comme outrageusement entreprenans sur la liberté du commun, au contraire tousjours je pensois que tout se faisoit pour un bien, voire que les choses allans mal (ce que je ne me pouvois faire acroire) il falloit que d' un grand desordre s' engendrast à la fin finale un ordre, ainsi que de l' ancien Chaos & confusion s' escloyt la concorde universelle de toutes choses. Et au surplus je resolvois que c' estoit combatre son umbre, d' entrer en telles vanitez, desquelles le remede gisoit en la seule main du Seigneur: non de ce seigneur superficiel, qui n' est que comme une monstre de l' autre, mais de celuy qui luy seul tient le gouvernail de ce monde: partant que trop meilleur estoit sans se tourmenter vainement ny des honneurs, ny de l' heur ou malheur de nostre saison, penser qu' il n' y eut jamais homme qui se contentast de son temps. Ainsi vivois-je en ma maison reiglee pour te dire sans vanterie, comme une vraye Republique, distribuant les offices à un chacun de ma famille, & ce que chacun avoit à faire selon la grandeur & portee de son esprit: faisant à tous mes serviteurs faveur selon le poids de leurs merites: Chose trop longue à te deduire: suffise toy Seigneur Comite, qu' estant en cette tranquillité & repos de mon esprit cogneu des hommes vertueux, non toutesfois bien voulu de quelques favoris des Dieux, fortune jalouse de mon heur, ou peut estre me prenant pour un autre, me procura tout le desastre auquel tu vois que je suis.

COMITE. Et vrayement tu avois trop bonne ame pour estre envoyé aux galeres.

II. FORÇAT. Je prosperois & accroissois moyennement mon avoir, sans faire tort à autruy: mon bien pour te le faire court, a esté cause de mon mal.

I. FORÇAT. Et comment estois tu si sot, puis que comme homme de cerveau tu pouvois discerner aisément que l' origine de ton malheur provenoit de tes richesses, que tu ne les abandonnois premier que de tomber en tel accessoire?

II. FORÇAT. Il n' en a pas tenu à moy, & le Castor me donnoit enseignement de ton dire; mais il estoit necessaire, a fin qu' on ne faillist de pretexte, prendre le corps pour avoir confiscation de mes biens.

COMITE. Tu nous conte icy merveilles, comme si ceux qui tiennent la Justice en main se fussent de tant oubliez.

II. FORÇAT. Ceux dont tu parles jugent par l' examen & instruction de tesmoins, à cause dequoy est fort facile leur imposer, sans toutesfois que pourtant il leur faille rien improperer de leur office. Car leur estant la loy prefixe comment ils doivent proceder sur nostre vie ou nostre mort, que peuvent-ils faire de moins, que s' arrester en la preuve qu' ils ont tiree de l' asseurance & confrontation de quelques hommes, de la parole desquels depend le fil de nostre vie, en tel cas? Partant, ce n' est point à mes Juges à qui j' en porte maltalent, ny semblablement à celuy qui par une liberalité de mon Prince possede aujourd'huy tout mon bien, car paraventure par une mesgarde, & sous un faux donner à entendre s' est-il acheminé à la poursuite de ma ruine. Et à qui doncques? peut estre à mon Instigateur? certes nenny: pour autant que j' ay opinion que par permission divine cet homme ait esté suscité pour executer contre moy le jugement de Dieu, lequel à la longue s' il luy plaist sortira meilleur effect.

COMITE. Et je te jure mon Dieu qu' oncques telle patience je ne veis dessous cette cappe du ciel. Mais encore, as-tu point eu de regret apres la perte de tous tes biens, d' estre exposé aux bastonnades & anguillades de ces galeres?

II. FORÇAT. N' en fais doute, d' autant que je n' approuvay & n' esprouvay jamais l' indoleance tant preschee & solemnisee par quelques vieux radoteux & Philosophes de pierre, toutesfois ayant par une longue traicte recueilly en moy mes esprits, joint que c' estoit un faire le faut, duquel je ne me pouvois dispenser, je concluds de porter mon mal non sans grande douleur de mon corps, estant inacoustumé de recevoir telles caresses: mais avec telle patience que le discours des choses humaines me le pouvoit moyenner. Parquoy amassant toute cette masse de l' Univers ensemblement, je commençay à courir sur les Roys, Princes, & grands Seigneurs, puis sur les Magistrats & autre telle maniere de gens, qui tiennent le second rang entre nous, & ainsi de l' un à l' autre entretenant mes discours, je voyois que nous tous tirions unanimement à la rame, non vrayement manuellement, mais que chacun de nous estant ainsi qu' en une grande mer, agitez des flots & vagues, n' estions non plus que des pauvres galiots, jamais en repos, jusques à ce qu' eussions pris terre, receptacle de tous nos maux, quand apres avoir satisfaict au commun cours de nos miseres, en fin de jeu sommes contraincts luy sacrifier la derniere despouille de nous. Car si tu y prens garde de pres tu trouveras que combien que le populaire soit serf & vassal des grands Seigneurs, qu' eux mesmes en cette affluence de biens & faveur de toutes choses, se rendent les uns des autres esclaves, pour se maintenir en grandeur: Parce qu' un chacun plus veut il

estre grand & embrasser l' ambition, plus sent-il de fleaux & molestes dans son ame. Tellement qu' au plus grand contentement de ce monde, encores n' est-il pas content. Or est-ce une chose asseuree qu' oncques aucun de nous ne naquit, moyennant qu' il fust accompagné de quelque petit esprit, qu' il n' aspirast quant & quant à monter aux honneurs, & aux biens, sans trouver assouvissement. Ainsi sommes nous tous miserables: voire ceux qui par commune reputation des idots (idiots) sont icy tenus pour heureux. A bon droit donc Seigneur Comite, dois-je prendre consolation, puis qu' en ma grande adversité j' ay pour compagnie les grands Roys.

COMITE. Consolation peux-tu prendre en ce grand repos d' esprit, & à la mienne volonté cher amy (car ainsi te veux-je nommer) que tels Esclaves que toy gouvernassent nos Republiques, ou pour le moins que les Magistrats qui ne te ressembleroient de cerveau, tinssent le lieu que tu tiens icy. Et au surplus, tant s' en faut que j' esgale la condition de plusieurs tyrans à la felicité de la tienne, qu' au contraire je t' estime sans aucune comparaison plus heureux: attendu que sans aucune forfaicture en une tranquilité d' esprit, tu souffres quelque mal du corps, & eux en un aise du corps endurent une infinité de traverses d' esprit, & remords de conscience, avec une perpetuelle tare & infamie, qui leur demeure & leur demeurera de leurs extorsions tyranniques. Parquoy, te voyant de si bonne paste, je me delibere desormais jurer une eternelle alliance avec toy, à la charge que tu pourras faire estat de moy, comme de ta propre personne. 

II. FORÇAT. Seigneur Comite, j' accepte ta bonne volonté, en attendant qu' avec plus heureuse fortune je te puisse donner à cognoistre combien j' ay ton amitié agreable. Et toutesfois puis qu' en cette mienne adversité tu me veux faire tant de bien de me choisir des tiens, encores ne me puis je abstenir que je ne recommande cest Italien, lequel je te prie avoir en mesme degré que moy, parce qu' il n' en est indigne, & y a quelque cas en luy duquel tu dois faire compte.

COMITE. Je ne t' esconduiray pour ce coup, & ores que je sçache bien que nous autres & luy soyons grandement differens de mœurs & complexions, pour la diversité des pays, que la Nature mesme voulut separer d' un grand entreject de montagnes, pour n' avoir rien que sourdre ou partager les uns avec les autres, si le veux-je bien à ta semonce adjouster à nostre compagnie en tiers-pied, a fin que d' oresnavant par ton moyen & le sien nous puissions tromper la marine, par quelques propos d' eslite, pendant que ces autres forçats, pour toute consolation, s' amuseront de s' entretromper de bayes, & donner la mocque l' un à l' autre.

Fin du Pour-parler de la Loy.

dimanche 2 juillet 2023

5. 3. Guerres civiles, entre l' Empereur Louys le Debonnaire & ses enfans.

Guerres civiles, entre l' Empereur Louys le Debonnaire & ses enfans.

CHAPITRE III.

Soudain apres que Louys eut esté recogneu heritier Souverain & Universel de l' Empereur Charlemagne son pere, dedans la ville d' Aix la Chappelle, il chassa d' aupres de soy je ne sçay quelle enjance de femmes dont la Cour de son pere estoit plaine: & quelque peu apres donna ordre à la reformation de la discipline Ecclesiastique, qui estoit aucunement en desordre. Et pour le regard des armes reduisit sous son obeissance les Bretons qui s' en estoient soustraicts. Tous actes dignes de recommandation: mais en ce dernier il fit un hola. Car en tout le demeurant de sa vie, il se monstra d' une façon assez fetarde, qui cousta depuis grandement à cette France, comme vous pourrez remarquer parce que je vous reciteray presentement.

Combien qu' il ne fust permis à un nouveau Pape, apres avoir esté esleu, d' entrer en son throsne Pontifical, qu' il n' eust esté auparavant confirmé par lettres patentes de l' Empereur, qui estoit l' un des plus beaux fleurons de sa Couronne Imperiale, toutes-fois le Pape Paschal I. de ce nom pour le peu de courage qu' il recognoissoit en nostre Empereur, ne douta de s' instaler de son authorité privee en son siege, sans le reblandir, & en fut quitte pour telles quelles excuses dont il le paya. C' est l' un des premiers coups de massuë que nostre France receut dedans la ville de Rome. Qui fut secondé par une autre recharge non moins dure. Car l' Empereur ayant depuis envoyé vers le mesme Pape, Lothaire son fils aisné, pour estre par luy honoré de la Couronne Imperiale, il receut nouvelles, qu' apres son retour, Paschal avoit dedans son Palais de Latran fait creuer les yeux à Theodore son premier Secretaire, & à Leon son Nomenclateur, & tout d' une suite fait mourir l' un & l' autre. Non pour autre raison, sinon que Lothaire sejournant à Rome ils luy avoient fait demonstration de plusieurs grands & affectionnez services. Cruauté tenuë pour tres-asseuree par toute l' Italie. Toutesfois apres quelques ceremonies d' Ambassades, dont nostre Empereur se flattoit ordinairement, il se contenta pour toute satisfaction d' un des-adveu faict par le Pape, revestu de son serment: Ores qu' il fust desdit par le seul recit de l' Histoire, & par la voix generale & universelle de tout le peuple: Les Italiens qui en s' agrandissant par effect de nos despoüilles, ne furent chiches de belles paroles, voulurent attribuer cecy à une pieté, & pour cette cause l' honorerent du mot Latin Pius, & les Sages-mondains de nostre France l' imputans à un manque & faute de courage, l' appellerent le Debonnaire. Couvrans sa pusillanimité, du nom de Debonnaireté. Sur ce propos il me souvient que le Roy Henry troisiesme disoit en ses communs devis, qu' on ne luy pouvoit faire plus grand despit que de le nommer le Debonnaire. Parce que cette parole impliquoit sous soy, je ne sçay quoy du sot. Le prenant de cette façon, c' est emporter la piece à cet Empereur. Et neantmoins de l' accuser de sottise tout à fait, ce seroit grandement errer, s' il vous plaist remarquer les deux grands coups d' Estat, dont j' ay parlé au precedent Chapitre, quand pour asseurer son Empire il fit mourir son nepueu Bernard qui estoit plus à craindre, d' une mort naturelle, & ses trois freres bastards, qui estoient de plus foible alloy, d' une mort civile. Or voyez je vous prie comme Dieu se mocque de la sagesse des hommes qui n' est qu' une folie envers luy. Et vrayement ce n' est pas sans raison qu' aux prieres de nos Eglises nous le supplions de ne se vouloir souvenir, ny de nos pechez, ny de ceux de nos peres & meres, & n' en faire tomber la punition sur nous. Le Debonnaire selon le monde s' estoit affranchy de la crainte de ceux qui luy pouvoient plus nuire. Dieu veut qu' il ne soit affligé, ny par son nepueu, ny par ses freres bastards, ains par ses propres enfans, & que cette playe saigne contre toute sa posterité jusques au dernier souspir, tant en la France, qu' Allemagne, qui est le suject du present chapitre.

Pour ne confondre cette histoire faut noter que le Debonnaire eut trois enfans masles d' Hermingarde sa premiere femme, qu' il assortit de divers Royaumes. Car à Pepin son second fils, il donna celuy d' Aquitaine, à Loys son troisiesme, celuy de Baviere, & pour le regard de Lothaire son fils aisné il le designa son heritier principal en tout le demeurant de ses terres & Seigneuries, luy donnant mesmement deslors le tiltre de Roy d' Italie, & d' Empereur. Hermingarde estant decedee, il convola en secondes nopces avecques Judict, dont il n' eut qu' un seul fils, nommé Charles, qui fut un nouveau suject de tragedie. Car elle possedant son mary, moyenna de luy une donation de tous les pays d' Austrasie, en faveur de son fils, c' est celuy que nous avons depuis appellé le Chauve. Les enfans du premier lict sont irritez de cette immense donation. Je vous traceray le crayon de cette histoire en gros, laissant les autres particularitez à ceux qui en ont cy devant escrit. Nouvelle guerre suscitee par les enfans contre le pere, dont le succez fut tel, que Judict est renduë Religieuse voilee à saincte Radegonde de Poictiers, sous la puissance de Pepin: & le Debonnaire & Charles demeurent sous celle de Lothaire. Depuis se fait entr'eux quelque surseance de mauvaises volontez, l' Empereur & sa femme restablis en leurs dignitez, par l' entremise de Pepin & Louys seulement. Judict, rongeant une vengeance mortelle contre Pepin, est la garde duquel elle avoit esté confinee, pendant son affliction, faict donner par le pere à son fils Charles le Royaume d' Aquitaine, au lieu de l' Austrasie. Quoy faisant c' estoit defrauder le titulaire de celuy qui luy estoit dés pieçà acquis. Seminaire d' une autre guerre, mais beaucoup plus furieuse que la premiere, qui produisit des espouventables effects. Car en moins de rien les enfans rendus les plus forts se saisirent en la ville de Compiegne, tant de l' Empereur que de l' Imperatrice, envoyant Judict à Tortonne ville de la Lombardie pour y tenir prison clause. Ce fait Pepin & Louys retournerent en leurs Royaumes, laissans leur pere és mains de leur frere aisné, qui luy fit faire & parfaire son procés par le Clergé. De maniere qu' en l' Eglise sainct Medard de Soissons au milieu d' une infinité de peuple, il fut degradé de sa dignité imperiale.

Quelque temps apres les deux freres puisnez ayans pitié du mauvais traictement que leur pere recevoit par Lothaire, se liguent ensemblement contre luy à la suscitation de Pepin, auquel toutesfois l' injure avoit esté faicte, & donnerent si bon ordre à leur faict que l' Empereur & sa femme furent reintegrez, nonobstant les destourbiers & empeschemens que leur frere aisné y apportast. Si en cette histoire tragique il y avoit eu quelque lieu de reprimende, c' estoit en la personne de Lothaire qui s' estoit continuellement opiniastré à la ruine de son pere, & si quelque lieu de repremiation, c' estoit en faveur des deux puisnez, lesquels apres leurs rebellions estoient revenus à recognoissance & honnestes submissions envers leur pere, luy donnans confort & ayde sur son restablissement. Toutesfois par un jugement rebours l' opiniastreté profita à Lothaire, & les submissions nuisirent à ces deux puisnez. Pepin decedé quelque temps apres, delaissé un sien fils du mesme nom que luy pour son successeur au Royaume d' Aquitaine. Judict qui d' un costé ne respiroit en son ame qu' une grandeur pour son fils Charles à quelque condition que ce fust, mais qui d' un autre avoit senty combien la main de Lothaire estoit pesante, s' advisa d' un nouveau conseil. Qui fut de l' attirer à soy en la façon qui s' ensuit. Il est mandé de l' Italie par l' Empereur qui luy propose sa volonté estre telle, de faire un partage de tous ses pays entre luy & Charles, fors & excepté celuy de Bavieres qui appartiendroit à Louys: A la charge que tout ainsi qu' il avoit tenu son plus jeune frere sur les fons baptismaux, aussi seroit-il tenu d' estre son parrain en la protection qui escherroit en son lot. Offre non seulement acceptee franchement, mais aussi promise & juree solemnellement par Lothaire. Et sur ces conventions fut faict le partage entr'eux au souhait de l' Imperatrice, dans lequel entre autres contrees escheut particulierement à son fils la Neustrie, qui est la France que nos Roys possedent aujourd'huy. Par ce partage la part & portion de Louys Roy de Bavieres estoit racourcie au petit pied sans esperance de ressource, advenant la mort de son pere. Et quant au jeune Prince Pepin, il demeuroit lourche, son Royaume d' Aquitaine estant confus en celuy de Charles le Chauve son oncle. Occasion pour laquelle le Clergé & la Noblesse d' Aquitaine envoyerent par devers l' Empereur, l' Evesque de Poictiers & quelques autres Prelats, pour le supplier vouloir avoir pitié de son petit fils. La responce qu' ils eurent de luy, fut qu' il avroit esgard à leurs remonstrances, au prochain Parlement qu' il tiendroit en la ville de Chaalons, & qu' en attendant sa responce ils s' en retournassent en leurs pays. Promesse faicte, mais non tenuë, & de faict le Parlement rompu, il s' en va avecques sa femme en Auvergne faisant partie de l' Aquitaine, où les Prelats & principaux de la Noblesse firent le serment de fidelité à Charles. De là il arrive à Poictiers en deliberation de recevoir le semblable des Poictevins, mais sur ces entrefaictes nouvelles luy vindrent que Louys son fils avoit pris les armes, & remuoit nouveau mesnage contre luy. Au moyen dequoy il fut contraint de rebrousser chemin pour luy faire teste, mais comme il estoit en cette deliberation, vaincu de l' aage & de despit pres de Majence, il fut surpris d' une maladie dont 40. jours apres il mourut. Jamais il n' y eut plus d' injustice de pere envers ses enfans que cette cy, d' apparier en tout & par tout un cadet avec son aisné, tenir Pepin son petit fils pour un chiffre, & Louys pour une piece de rebut. Nonobstant les grandes obligations qu' il eust en luy, l' Imperatrice Judict n' avoit autre plus grande asseurance pour le soustenement de son fils que Lothaire. Toutesfois Dieu veut qu' il en soit le premier infracteur, & lors voicy un nouveau mesnage qui se pratique entr'eux. Car Louys & Charles se liguent contre leur aisné avecques lequel Pepin son nepueu se mit de la partie, esperant que pour closture du jeu il trouveroit en luy quelque ressource contre Charles. Il ne fut point lors question de passer leurs affaires à l' amiable. Leur different se vuida en la campagne de Fontenay à trois lieuës pres d' Auxerre, où fut liuree une bataille la plus sanglante qui fut jamais en cette France, en laquelle mourut la fleur de la Noblesse de tous leurs pays: de là en avant ce fut rat en paille. Car ces Princes ayans affaires de guerriers & les guerriers de places à leurs bienseances, ils s' en firent accroire sans que leurs Roys les en ozassent bonnement desdire. En fin ils acheverent leurs querelles par où ils devoient commencer, & s' en rapporterent à quelques seigneurs de marque, lesquels apres avoir loti Lothaire comme aisné & Empereur, laisserent à Louys la plus grande partie de toute l' Allemagne, lequel de là en avant prit titre non de Roy de Bavieres, ains de la Germanie, & à Charles advint la Neustrie & autres pays circonvoisins, prenant pour cette cause qualité de Roy de France. Car comme j' ay dict nostre France Occidentale estoit lors appellee Westrie, & depuis Neustrie, à la difference de la France Orientale que l' on appella du commencement Ostrie, & par succession de temps Austrasie. Et à vray dire, c' est en luy auquel commença le plant de la France, tel que l' on a depuis veu continuer en la lignee de Hugues Capet. Or se donnerent-ils par leur partage la peau de l' Ours qui estoit en vie. Je veux dire non seulement ce qu' ils possedoient reellement & de fait, mais aussi ce qu' ils ne possedoient, ains pretendoient devoir posseder à tort ou à droit. Tellement que la paix generalle entr'eux arrestee, estoit un acheminement de nouvelles guerres, contre uns & autres seigneurs possesseurs, dont ils ne devoient avoir autres garends de leurs lots, que leurs glaives, ny pour ce partage toutesfois ils ne laisserent d' enjamber les uns sur les autres quand les occasions s' y presenterent. Qui fut cause pendant leurs divorces intestins, de donner voye aux Sarrazins dedans l' Italie, aux Hongres dedans l' Allemagne, aux Danois (que nous appellasmes Normans) tant en la France, qu' Allemagne: Et combien qu' auparavant ces derniers vinssent, si ainsi voulez que je le die, en nostre France a tatons, ils y vindrent sous Charles le Chauve en flotes, & depuis continuerent leurs inundations, guidez tantost de la riviere de Loire, tantost de celle de Seine, l' oree desquelles ils establirent leurs demeures premierement en la ville de Blois, puis en celle de Roüen & des environs.

Mais pour n' anticiper sur les temps, Charles le Chauve garny de son partage se voulut avant tout œuvre heurter contre Pepin son nepueu Roy d' Aquitaine, mais voyant qu' il y faisoit mal ses affaires, tourna visage tant contre les Bretons qui s' estoient donnez un nouveau Roy, que contre les Normans qui rodoient le pays d' Anjou, & de Touraine. Ausqueis il voulut opposer Robert grand Capitaine, yssu de Saxe, luy assignant un grand territoire sous le nom & tiltre de Marquisat, comme celuy qu' il destinoit pour defendre contr'eux les marches & limites de la Touraine & Anjou. Ce choix cousta puis apres la ruine totale des siens dedans cette France. Car c' est de luy dont de main à autre nasquit le Roy Hugues Capet. Ce que Charles le Chauve n' avoit peu gaigner par armes contre Pepin son nepueu, il pourpensa de l' obtenir par pratiques sourdes. Comme de fait ce jeune Roy trahy luy fut liuré par les siens, l' accusant d' exercer une cruelle tyrannie contr'eux, & tout d' une main fut rendu Moine par son oncle en l' Abbaye sainct Medard de Soissons où il paracheva ses jours, le Chauve se faisant couronner Roy d' Aquitaine dedans la ville de Bordeaux, Dieu ne le voulut pas rendre exempt de la punition qu' il devoit porter pour l' injustice par luy commise envers son nepueu. Parce que Carloman l' un de ses enfans le guerroya quelque temps apres. Vray qu' en fin vaincu, il fut condamné par le pere d' avoir les yeux creuez. Supplice auquel le pere avoit part, aussi bien comme le fils, ou bien nature manquoit en luy. Il n' est pas qu' il ne sentist une algarade du Roy de Germanie son frere sous le mesme pretexte que celuy avoit exercé contre son nepueu, d' autant qu' il fut solicité par quelques seigneurs de la France de vouloir s' emparer de l' Estat, pour mettre fin aux tyrannies que le Roy Charles exerçoit sur ses sujects. Sur cette sollicitation les portes de la France luy sont ouvertes, où sans autre destourbier il fut ordonné Roy dedans la ville de Sens, pendant que le Chauve estoit empesché contre les Normans, & advança grandement ses affaires, favorisé d' un esclair de fortune qui luy fit courte compagnie. Car ayant eu advis d' une nouvelle revolte qui se faisoit en Allemagne contre luy, pour y remedier, il y envoya ses gensdarmes & sujects qui luy estoient tres-fonciers, estimant que ceux qu' il s' estoit fraischement acquis le conserveroient en sa nouvelle dignité. En cecy grandement trompé de son opinion, parce que de la mesme facilité qu' ils s' estoient rendus à luy, ils s' en soustrahirent: Se reduisans sous l' obeïssance originaire de leur vray & legitime Roy. Et par ainsi se reconcilierent les deux freres par beaux semblans, en attendant commodité plus propice, pour empieter l' un sur l' autre. Je vous recite cecy, ne gardant point l' ordre des temps, pour monstrer en quel mesnage estoient lors les affaires de cette famille dedans nostre France.

L' Empereur Lothaire voulant faire penitence des torts & injures qu' il avoit procurees au Debonnaire son pere se rend Moine, delaissant tous & chacuns ses biens à ses enfans. Dont Louys son aisné fut Roy d' Italie, & Empereur, Lothaire son second Roy du païs d' Austrasie, qui depuis emprunta de luy le nom de Lotharingie, & Charles son dernier Roy de Provence, Dauphiné, Savoye, & d' une partie du Lyonnois. Charles meurt quelque temps apres, & delaisse son Royaume à ses deux freres qui le partagerent entr'eux sans fraude & malengin. Il fut suivy quelques ans apres par Lothaire qui n' avoit autre plus proche heritier que Louys l' Empereur son frere, lequel lors estoit empesché dans l' Italie à se defendre contre les Sarrazins, comme semblablement Louys Roy de Germanie son oncle encontre quelques siens sujects nouvellement revoltez. Il n' estoit pas adoncques question de les secourir par Charles le Chauve ainsi qu' il estoit obligé de faire, mais luy abusant de ces occasions, donna si bon ordre à son faict qu' en peu de temps il se rendit maistre & seigneur du Royaume de Lothaire, & comme tel se fit couronner Roy d' Austrasie ou Lotharinge dedans la ville de Mets. Nouvelle discorde entre les deux oncles, non pour rendre à Louys leur nepueu le bien qui luy appartenoit, ains pour le partager ensemble, & pour n' en venir aux mains, à Louys de Germanie escheurent les villes & contrees attenans le Rhin, & au Chauve, la Provence, le Dauphiné, & la Savoye. Cet Empereur Louys ainsi frustré par ses oncles decede n' ayant qu' une seule fille nommee Hermingarde: Charles le Chauve, qui estoit aux escoutes, adverty de cette mort negotie son fait de si bonne sorte avecques le Pape Jean huictiesme de ce nom, que moyennant une grande somme de deniers dont il luy fit present, ce Pape le couronna Empereur & Roy d' Italie le jour de Noüel l' an 876. luy vendant un droict auquel il n' avoit aucun droict. Toutesfois le seul tiltre coulouré de l' authorité de ce grand Prelat, luy rendit cette qualité asseuree: lequel tout d' une suitte s' achemine à Pavie, où en presence de tout le Clergé & de la Noblesse du païs, il se fit proclamer & couronner Roy de Lombardie. Je vous laisse icy les divisions & rumeurs qui se trouverent pour cette cause entre luy & le Roy de Germanie son frere: comme Carloman son premier fils voulut venir en l' Italie pour envahir l' Estat, & plusieurs autres particularitez, n' ayant icy entrepris de vous escrire toute cette histoire, ains de la vous monstrer au doigt en passant. Et me contenteray de vous dire, que tout ce qui fut lors entrepris contre le Chauve fut en vain: La fortune ne voulut permettre à Carloman de passer plus outre. Sur ces entrefaites Louys Roy de Germanie va de vie à trespas delaissez Carloman, Louys & Charles, depuis surnommé le Gras, qui tous porterent diversement titres & qualitez de Roys. Ce que je vous reciteray cy apres est un inventaire de morts violentes, & non naturelles qui se trouverent en cette famille. Charles le Chauve meurt apres en l' an huict cens septante huict, empoisonné par Zedechie Juif son medecin lors qu' il retournoit d' Italie. Auquel succeda Louys le Begue son fils unique, qui fut couronné Empereur par le Pape Jean, mais à vray dire il n' en porta que le masque. Il regna seulement deux ans, & mourut aussi de poison, tout ainsi comme son pere. Il eut deux enfans bastards, Louys & Carloman, & un legitime nommé Charles le Simple qui nasquit apres son decés. Cela fut cause que ses deux freres bastards entreprindrent sur luy la couronne de France, & regnerent quelques anees. Louys monté sur un bon coursier, poursuivant à toute bride par forme de jeu une Damoiselle, elle se lance dans une maison, ferme la porte sur soy, & ce Prince ne pouvant retenir son cheval fort en bride, se heurta de telle façon, qu' il se rompit les reins, dont il mourut. Apres sa mort Carloman son frere chassant fut tué par un sanglier, n' ayant qu' un fils nommé Louys, qui mourut dedans l' an de son regne. Et par ces trois morts, à Charles le Simple vray & legitime heritier devoit appartenir la couronne de France. Voila de quelles façons moururent ces quatre Princes chez nous. Ne pensez pas que les Princes Allemans furent de beaucoup meilleure condition. Car des trois enfans de Louys Roy de Germanie, Carloman mourut le premier, delaissé seulement Arnoul son bastard, auquel il donna par son appanage la Carinthie. Loys le Jeune eut un seul fils portant le mesme nom que luy, qui mourut du vivant de son pere d' une malheureuse mort. Car folastrant dedans une chambre avecques quelques seigneurs de son aage, il tomba casuellement du haut en bas d' une fenestre & se rompit le col: Suivy peu apres de son pauvre pere esploré. De maniere que toutes les grandes terres, Seigneuries & possessions qui estoient hors le pourprix de ce Royaume de France eschevrent à Charles le Gras restant seul & unique des Princes de ce cette famille qui habitoient outre le Rhin: Comme aussi dedans cette France ne restoit plus autre rejetton de cette grande famille des Martels que Charles le Simple.

Je commenceray par Charles le Gras, & puis acheveray par l' autre. Jamais ne se vit un si grand conflus de bonnes fortunes qu' en cettuy du commencement, & jamais Prince ne fut en fin touché d' un si malheureux revers que luy mesme, quand fortune luy voulut tourner visage. Car en moins de rien il se vit par le decés de ses deux freres, Empereur & Roy de tous les pays qui avoient esté possedez par Charlemagne son bisayeul. Manquoit à sa grandeur nostre Royaume de France, lors affligé par les courses des Normands, nostre Charles le Simple ne se trouvant assez suffisant pour leur faire teste, les François appellerent à leur secours l' Empereur Charles le Gras, & l' establirent Roy de la France, vray qu' il n' y fit pas grand sejour. Ainsi plaisoit-il à fortune, pour rendre la puissance de ce Roy generalement absoluë. Mais peu de temps apres, elle luy joüa un tour de son mestier. Car en moins d' un clin d' œil il fut abandonné de soy, de sa femme, de sa sœur Hildegarde, & de ses principaux favoris, & par mesme moyen de tous ses sujects. Je dis abandonné de soy: Parce qu' à un instant il devint stupide, & perclus de son cerveau: Je dis de sa femme, laquelle le voyant par cette indisposition, estre tombé au mespris de tous les siens, se fit separer d' avecques luy en plain Parlement, où elle jura que pendant dix ans qu' ils estoient demeurez ensemble, ils ne s' estoient cognus par attouchemens mutuels. Chose dont son mary fut d' accord. Je dis par Hildegarde sa sœur, laquelle d' un esprit bizarre, indignee du changement inopiné de son frere, au lieu de luy subvenir, sollicita à face ouverte ceux ausquels il avoit plus de fiance, de se soustraire de son obeïssance. Ce qu' ils firent; luy baillans pour son gouverneur, Arnoul bastard son nepueu, lequel sous ce tiltre s' empara des Royaumes de la Germanie & Italie, se faisant proclamer Empereur. N' estant resté pour tout partage que la mendicité à ce pauvre Prince, lequel fut contraint d' avoir recours, non aux armes pour le recouvrement de son Estat, ains aux larmes, & tres humbles supplications, a fin qu' il pleust à Arnoul luy bailler quelques terres pour son entretenement, ce qu' il fit, mais d' une main assez chiche. Tant ce pauvre Prince estoit tombé au mespris de tous. Histoire pleine de compassion & pitié, en laquelle je remarque deux Charles avoir esté grands terriens: Le premier surnommé le Grand, & l' autre le Gras: mais tout ainsi qu' en l' un residoit la vivacité de cœur, & en l' autre la pesanteur de corps & d' esprit, aussi produisirent-ils deux effects du tout contraires. Arnoul mourant laissa Louys son fils unique, successeur de son Estat, aagé seulement de sept ans, qui mourut, l' an neuf cens douze, en l' aage de dix-huict ans, sans hoirs procreez de son corps. Et en luy finit toute la posterité de Charlemagne qui habitoit outre le Rhin. Que si les loix introduites en faveur des successions, eussent lors eu lieu, il est certain que Charles le Simple, comme son plus proche parent luy devoit succeder. Mais ce fut un autre joüet de fortune, non moins miserable que Charles le Gras. Tant y a que par la mort de Louys, Conrad Duc de Franconie fut creé Roy d' Allemagne, & apres luy Henry Duc de Saxe, duquel vindrent les Othons, nouveau plant de Royauté en Allemagne. Restoit en cette France Charles le Simple, autre vray portraict entre les Princes de calamité & misere, dont premierement son bas aage, puis sa sottise furent autheurs & architectes. Car pendant son enfance, ses freres bastards usurperent sur luy la couronne, & depuis Eude son tuteur se fit couronner Roy de France, lequel mourant le restablit par son testament. Restably qu' il fut, il oublia tous les malheurs de son bas aage: & favorisant un Aganon simple gentil-homme, par dessus tous les Princes & grands seigneurs de la France, il engendra un si grand despit dans leurs ames, qu' en haine de ce seul object, Robert frere d' Eude comme son heritier se fit proclamer Roy de France, titre qui fut continué apres sa mort en Raoul Duc de Bourgongne son gendre. La France estant lors generalement affligee par le conflit de ces nouveaux Roys, contre le Simple, & entierpied par les Normans, qui sçeurent fort bien faire leur profit de ces longs troubles: en fin ce pauvre Roy finit ses jours dedans les prisons de Peronne, par les artifices d' Heribert arriere-fils de Bernard Roy d' Italie. De maniere que la Royne Ogine sa veufve fut contrainte de se retirer chez le Roy d' Angleterre son frere, avecques Louys son petit enfant, auquel pour ceste cause la posterité donna le surnom d' Outremer. Hugues le Grand, fils de Robert qui sans porter titre de Roy, fassoit trophees de nos Roys, semond Ogine de retourner en cette France avec promesse de recevoir son fils en son Throsne, comme il fit quelque peu de temps: Et neantmoins il ne fut au long aller gueres mieux traicté que son pere. Car laissant à part le demeurant de son histoire, Hugues luy fit tenir prison clause, un an entier dedans la ville de Laon, sous la garde de Thibault Normand soldat de fortune, qui dans les troubles s' estoit fait Comte de Chartres, homme du tout voüé à la faction de Hugues. Finalement ce jeune Roy estant remis en liberté, apres avoir esté diversement traversé, courant un loup, son cheval luy faut des quatre pieds, & le tua. Il avoit deux enfans masles, Lothaire, & Charles, celuy-là qui fut Roy de France par image tout ainsi que Louys d' Outremer son pere, cettuy-cy Duc de Lorraine, qui recogneut tenir son Duché en foy & hommage de l' Empire. Quelque temps apres Lothaire est empoisonné, auquel succede Louys son fils qui mourut de pareille mort. Et par son decez Hugues Capet fils de Hugues le Grand, s' impatronisa de l' Estat, sans qu' autre Prince luy fist contre-teste. Vray que deux ans apres Charles oncle de Louys, se souvint de s' y opposer, & prit les armes contre luy, mais un peu trop tard. Joinct qu' il avoit accueilly la haine publique des François, pour s' estre rendu imperialiste en son Duché. Fortune en fin pour abandonner de tout poinct cette famille, le fit liurer és mains de Hugues Capet, par la trahison d' Adalberon Evesque de Laon, auquel il avoit mis toute sa fiance. De là fut mené prisonnier avec sa femme & ses enfans en la ville d' Orleans, où ils moururent. Ainsi prist fin cette grande famille de Charles Martel en ce dernier Charles: & ainsi prindrent accroissement deux autres nouvelles familles: l' une des Othons dedans l' Allemagne, & celle de Hugues Capet dedans cette France. Pepin fils de Martel fut couronné Roy de France en la ville de Soissons l' an 750. Louys dernier Roy de cette famille mourut l' an 981. 75. ans apres la mort de l' autre Louys, qui fut aussi le dernier Roy des Carliens en Allemagne. La famille des Martels regna 237. ans en nostre France: celle de Capet jusques à huy, qui est la fin de l' an 1606. l' espace de 616. ans. Non sans recevoir unes & autres algarades, dont avec l' aide de Dieu elle s' est autant de fois garentie.

jeudi 25 mai 2023

2. 4. De plusieurs particularitez qui concernent le Parlement.

De plusieurs particularitez qui concernent le Parlement. 

CHAPITRE IV. 

Je veux que le Lecteur repreigne icy son haleine, & c' est pourquoy d' un chapitre il me plaist d' en faire deux. D' autant qu' au discours de ce Parlement il y a plusieurs particularitez qui meritent de n' être oubliees. Car en premier lieu pour donner occasion & aux Juges de bien juger, & aux parties de ne provigner leurs procés, nos anciens eurent premierement une coustume generale de faire adjourner les Juges, pour venir soustenir leur jugé à leurs perils & fortunes. Et faisoient seulement intimer & signifier l' appel à la partie qui avoit obtenu gain de cause, afin qu' elle assistast au plaidoyé, si bon luy sembloit, pour oster toute occasion au Juge de ne s' entendre & colluder avec l' appellant. Laquelle coustume, ores qu' elle soit perie, si en sont encores demourees les vieilles traces jusques à nous: En ce qu' encores pour le present on adjourne les Juges, & inthime-l' on seulement les parties. Qui me fait presque penser (d' autant que je voy ceste façon de faire être observee tant à l' endroit des Juges Royaux, qu' autres Juges guestrez & pedanees) que de vieille & primitive institution estoient aussi bien les Juges Royaux pris à parties comme les autres, & que depuis par succez de temps fut supprimee la rigueur de ceste coustume: De sorte que puis apres elle fut seulement pratiquee à l' endroit des Juges non Royaux, comme nous apprenons du Vieux stile de Parlement. Et à ceste mienne opinion assiste, que par anciennes Ordonnances ils devoient assister en personnes aux jours de leurs Parlements, pour veoir reformer leurs sentences: Et du droict mesmes originel des François, ils eurent une sorte de Juges qu' ils appelloient Rhatimbourgs, expressemment destinez pour decider les causes qui se presentoient pour le fait de la Loy Salique. Lesquels se trouvans avoir sententié autrement que la Loy ne portoit, se rendoient pour ceste faute emendables en certaine somme envers celuy contre lequel ils avoient jugé, ainsi que l' on trouve au chapitre soixantiesme de la Loy Salique. Tellement qu' il n' est pas du tout hors de propos d' estimer qu' anciennement tous Juges de quelque qualité qu' ils fussent estoient responsables de leurs jugemens: Et que depuis ceste coustume fut retraincte & limitee encontre ceux seulement qui se trouvoient Juges non Royaux: jusques à ce que finalement s' est ceste maniere de faire du tout anichilee entre nous, ne nous estant demouré pour remarque de toute ceste ancienneté que les paroles sans effect. Car encores que nous facions adjourner les Juges comme vrayes parties, si est-ce que cela se fait à present tant seulement pour la forme: demourant en la personne de l' inthimé le fais & hazard des despens. 

Et à la mienne volonté que ceste ancienne coustume eust repris sa racine en nous, pour bannir les ambitions effrenees qui voguent aujourd'huy par la France en matiere de judicature. 

Aussi eurent nos ancestres une chose qu' ils observerent tressoigneusement, parce que du commencement il n' estoit permis bailler assignation aux parties adverses, sinon aux jours qui estoient du Parlement de leurs Bailliages ou Seneschaussees. Pour laquelle chose entendre, faut noter que ce Parlement estant fait continuel l' on distribua les territoires, ordonnant par rang, certains jours dediez pour rendre droict à chasque Bailliage. Ces jours selon qu' ils estoient ordonnez, s' appelloient jours du Parlement de Vermandois, Touraine, Anjou, Maine, ou autrement. Et estoit lors une coustume notable & recogneuë par nos vieilles Ordonnances: Car apres que l' on s' estoit presenté, on faisoit les roolles ordinaires, dans lesquels chaque cause estoit couchee à son rang. Se pouvant chacun asseurer d' avoir expedition en justice, selon son degré de priorité ou posteriorité. Et trouve l' on mesmement Arrest donné long temps apres la resseance du Parlement, par lequel dés le neufiesme d' Octobre mil quatre cens trente six, sur les importunitez qui se presentoient par les parties qui vouloient enfraindre ce vieil ordre, fut ordonné que les Lundis & les Mardis on plaideroit des causes ordinaires, & non d' autres: Et defendu à toutes personnes de ne demander les Audiences extraordinaires. Pour lesquelles furent reservez les Jeudis, ainsi qu' il plairoit au President qui tiendroit l' Audience les distribuer en faveur des veufues, orphelins & pauvres. Ordonnance renouvellee par le quarantedeuxiesme Article de l' Edict d' Orleans de l' an 1560. Pour retourner au progrés de mon propos, en ceste distribution de Bailliages assignez à certains jours, estoit un chacun astraint de soy contenir dans les bornes de son Parlement, jusques à ce que la subtilité des praticiens trouva une clause de Chancellerie que l' on a encores de coustume d' inserer dedans les lettres d' appel, par laquelle il est porté de donner assignation à sa partie adverse, posé que ce ne soit des jours dont l' on plaidera au Parlement, ainsi que Jean de Bouteiller vieux praticien nous * ammonneste de faire en sa pratique, intitulee Somme rurale, en laquelle y a plusieurs decisions anciennes tres-notables. De là commencerent à sourdre je ne sçay quelles petites chiquaneries (comme les esprits des hommes ne demeurent jamais oiseux és cas où leur profit se presente) sçavoir si ceste clause estant obmise, l' impetrant des lettres devoit à son adversaire les despens de l' assignation, comme l' ayant de son auctorité privee & sans derogation expresse assigné à jours hors le Parlement: Sur laquelle difficulté Jean Gallus, homme qui florissoit du temps de Charles VI. se vante en quelque endroit de ses decisions avoir respondu. Et de fait en la question 124. il dispute ce qu' opere ceste clause mise dans un relief d' appel.

Entre ces honorables coustumes, nos anciens eurent une chose digne de grande recommandation. Car desirans couper toute broche aux procés, ce neantmoins cognoissans que de permettre en ceste Cour qu' il y eust certains hommes qui n' eussent autre vacation qu' à procurer les affaires d' un estranger, seroit au lieu d' amortir les procés, les immortaliser à jamais, d' autant qu' il est bien mal-aisé qu' un homme ayme la fin d' une chose dont despend le gain de sa vie: pour ceste cause estoit un chacun forcé de venir aux assignations en personne. Et toutesfois là où il n' eust eu si prompte expedition & depesche que les affaires de sa maison desiroient, luy estoit permis creer un Procureur en sa cause. Non pas avec tel abandon qu' à present, ains par benefice du Prince, & encore sous telle condition que le Parlement expiré, s' expiroit aussi chaque procuration. Tant estoient nos ancestres soucieux d' empescher qu' aucun ne fit son estat de viure à la poursuite & solicitation des causes d' autruy. Prevoyant le mal qui depuis en est advenu. Ceste usance estoit fort loüable, & à bonne intention instituee: toutesfois (voyez comme une chose bonne d' entree se corrompt par traicte de temps) la malice & opiniastreté des plaideurs ne cessant, failloit renouveller d' an en an telles procurations par benefice du seel, dont les Secretaires corbinoient un grand gain. De là est que la premiere lettre qui se trouve au Protecole de Chancelerie, ce sont lettres que nos predecesseurs appelloient Grace à plaidoyer par Procureur. Par lesquelles le Roy, de grace speciale permettoit à une partie de plaider par Procureur au Parlement & dehors, jusques à un an. Pour obvier à tels abus, la Cour depuis d' un bon advis, voulut que par Requeste generale presentee par les Procureurs au commencement de chaque Parlement, seroient icelles procurations continuees annuellement par l' authorité de ceste Cour, sans que de là en avant il fut besoin avoir recours au seel. Laquelle chose s' est observee jusques en l' an mil cinq cens vingthuict, que par Ordonnance du Roy François I. furent toutes telles procurations confirmees & continuees jusques à ce qu' elles fussent revoquees expressemment par les Maistres. Ainsi sont creuz en nombre excessif Procureurs. Au moyen dequoy à bonne & juste raison le Chancelier Olivier, defendit par Edict exprés, sous le regne de François I. qu' on n' eust à en pourvoir aucuns de nouveau à cet estat. Lesquelles mesmes defences avoient esté faites du temps de Charles huictiesme, en l' an mil quatre cens quatre-vingts & sept. 

Voilà comment chaque chose a pris divers plis selon la diversité des temps & saisons. Outre lesquelles mutations, encores s' en sont trouvees d' autres dignes d' être en ce lieu remarquees. Car les Espices que nous donnons maintenant, ne se donnoient anciennement par necessité. Mais celuy qui avoit obtenu gain de cause par forme de recognoissance, ou regraciement de la Justice qu' on luy avoit gardee, faisoit present à ses Juges de quelques dragees & confitures: car le mot d' Espices par nos anciens estoit pris pour confitures & dragees, & ainsi en a usé maistre Alain Chartier en l' histoire de Charles septiesme, chapitre commançant l' an mil quatre cens trente quatre. Où il dit que le Roy Charles septiesme sejournant en la ville de Vienne, & ayant esté visité par la Royne de Sicile, Le Roy luy fit, dit-il, grande chere & vint apres souper, & apres ce que la Royne eut fait la reverence au Roy, dancerent longuement, & apres vint vin & espices, & servit le Roy Monseigneur le Comte de Clermont de vin, & Monsieur le Connestable servit d' espices: Et en cas semblable Philippes de Commines au second chapitre de ses Memoires, dit, que Philippes Duc de Bourgongne donna congé aux Ambassadeurs qui estoient venus de la part du Roy de France, apres qu' il leur eut fait prendre le vin & les espices: Lequel mot pris en ceste signification, s' est perpetué jusques à nous, és festins solemnels qui se celebrent aux escoles des Theologiens de ceste ville de Paris, esquels l' on a sur le dessert accoustumé de demander le vin & les espices. Ces espices doncques se donnoient du commencement par forme de courtoisie à leurs Juges, par ceux qui avoient obtenu gain de cause, ainsi que je disois ores. Neantmoins le malheur du temps voulut tirer telles liberalitez en consequence: Si que d' une honnesteté on fit une necessité. Pour laquelle cause le dixseptiesme jour de May, mil quatre cens deux, fut ordonné que les espices qui se donneroient pour avoir visité les procés, viendroient en taxe. Et pour-autant que les Procureurs vouloient user de mesme privilege sur leurs clients, le dixneufiesme jour ensuivant furent faites defences aux Procureurs, de n' exiger de leurs Maistres aucunes choses sous ombre d' Espices: Toutesfois si les parties estoient grosses & qu' il eust esté question de matiere qui importast, estoit permis de leur donner deux ou trois liures d' Espices. Depuis les Espices furent eschangees en argent, aimans mieux les Juges toucher deniers que des dragees. Tout de la mesme façon que nous voyons qu' aux doctorandes la pluspart de nos Maistres de la Sorbonne aimerent mieux choisir vingts sols qu' un bonnet: Ou en cas encores beaucoup plus semblable, ainsi que l' on fait en la ville de Tholose: Auquel lieu les nouveaux Docteurs ont accoustumé de faire presens de boettes de dragees aux Docteurs Regents, par forme de gratification de leur nouvelle promotion: Ce que j' ay veu de mon temps plusieurs Regents avoir eschangé en argent.

Or combien que ce lieu & souverain Parlement ait quelquefois esté repris pour les chiquaneries & longueurs qui y ont esté introduites entre les parties privees: si a-il esté tousjours destiné, pour les affaires publiques, & verification des Edicts: Car tout ainsi que sous Charlemagne & ses successeurs ne s' entreprenoit chose de consequence au Royaume que l' on ne fit assemblee & de Prelats & de Barons, pour avoir l' œil sur ceste affaire: aussi le Parlement estant arresté, fut trouvé bon que les volontez generales de nos Roys n' obtinssent point lieu d' Edicts, sinon qu' elles eussent esté verifiees & emologuees en ce lieu. Laquelle chose premierement se pratiquoit sans hypocrisie & dissimulation. Deferans nos Roys grandement aux deliberations de la Cour. Et avec ce, l' on prestoit pour les grands & premiers Estats de la France serment en ceste Cour. Ainsi trouve-l' on és registres, neufiesme Septembre mil quatre cens sept, serment presté par Jean Duc de Bourgongne comme Pair: le septiesme Nouembre (Novembre) mil quatre cens dix, reception d' un grand Pannetier: & aussi un Mareschal de France, receu le sixiesme jour de Juin mil quatre cens dixsept: & le mesme jour un Admiral: Et le seiziesme jour ensuivant un grand Veneur: le troisiesme de Fevrier mil quatre cens vingt & un, le grand Maistre des Arbalestiers: le seiziesme Janvier mil quatre cens trente neuf, Courtenay receu Admiral: Et qui plus est, un Tresorier & general administrateur des Finances, le seiziesme Avril mil quatre cens vingt cinq: Et le semblable le treiziesme Octobre mil quatre cens trente neuf. Laquelle chose nous avons veu s' observer de nostre temps sous le regne du Roy Henry second, en la reception de Messire Gaspard de Colligny Seigneur de Chastillon en l' Estat de l' Amirauté. Toutesfois je ne sçay comment ces coustumes se sont par traicte de temps sinon du tout anichilees, pour le moins non si estroictement observees comme nos anciens avoient fait. Aussi semble-il que telles coustumes ayent esté plus soigneusement observees lors des minoritez de nos Roys, ou en cas d' alteration de leur bon sens, comme estoient presque toutes les annees que j' ay specifices cy dessus. Pendant lequel temps l' authorité de la Cour a esté tousjours de quelque plus grande efficace que sous la maiorité de nos Roys. Et au surplus au regard des emologations des Edicts, encores que l' usance en soit venuë jusques à nous, si faut-il que nous recognoissions que quelquesfois on les passe & enterine contre l' opinion de ceste Cour. Et l' un des premiers qui à son plaisir força les volontez de la Cour, feignant de luy gratifier en tout & par tout, fut Jean Duc de Bourgongne (fleau ancien de la France) duquel entre autres choses on lit que voulant, pour gagner le cœur du Pape, faire suprimer les Ordonnances qui avoient esté faictes quelques annees auparavant contre les abus de la Cour de Rome, envoya par plusieurs fois sous le nom du Roy, Edict revocatoire d' icelles, que jamais la Cour ne voulut emologuer. Au moyen dequoy Messire Eustache de Laistre, Chancelier, fait de la main de ce Duc, le Comte de sainct Pol lors gouverneur de Paris, le Seigneur de Mauteron, vindrent au Parlement le trentiesme de Mars mil quatre cens dixhuict: Et firent publier ces lettres revocatoires, sans ouyr le Procureur general & en son absence. Et commanda le Chancelier que l' on y mit Lecta publicata &c. Et apres son partement vindrent plusieurs Conseillers au Greffier, remonstrer que puis que c' estoit contre la deliberation de la Cour, il ne devoit mettre Lecta. Ou bien s' il le vouloit mettre devoit y adjouster clause, par laquelle il apparut que la compagnie n' avoit approuvé ceste publication: Lequel fit responce qu' il se garderoit de mesprendre. Et le lendemain ceux des Enquestes vindrent à la grand Chambre faire pareilles remonstrances. Surquoy fut dit que nonobtant ceste publication, la Cour n' entendoit approuver ceste revocation, & aussi qu' il y avoit par le commandement du Chancelier. Depuis ce temps les affaires de France furent tousjours en grands troubles, sous la subjection des Anglois. Pendant lequel temps le Duc de Bet-fort, lors Regent se feit semblablement souvent croire contre la volonté de la Cour. Et les choses estans au long aller reduites sous la puissance de Charles septiesme (vray & legitime heritier de la Couronne) Louys unziesme son fils, entre tous les autres Roys de France, n' usa gueres de l' authorité de ceste grande compagnie, sinon entant que directement elle se conformoit à ses volontez: Voulant être ordinairement creu d' une puissance absoluë & opiniastreté singuliere. Ainsi que mesmement on lit de luy estant encores simple Dauphin en certaine publication requise au profit de Charles d' Anjou Comte du Maine, beau-frere de Charles septiesme. Car comme Charles d' Anjou requist que l' on eust à publier en la Cour, la donation qui luy avoit esté faite par le Roy, des terres de sainct Maixant, Mesles, Ciuray & autres, à quoy le Procureur general du Roy fist lors responce que les deux Advocats estoient absens, & que sans leur conseil il ne pouvoit rien: & que par le conseil du Comte fut repliqué qu' il n' estoit besoin de conseil en la cause qui lors s' offroit: il se leva lors un Evesque qui remonstra que le Dauphin l' avoit là envoyé expressemment, pour faire publier ces lettres. Au moyen dequoy la Cour, veu le temps & volonté du Dauphin, qui pressoit ainsi ceste affaire, feist enregistrer sur le reply des lettres. Lecta de expresso mandato Regis per Dominum Delphinum præsidentem in ipsius relatione: Fait le vingt-quatriesme de Juillet mil quatre cens quarante & un. Mais le Dauphin manda querir soudain les Presidens, & leur dist qu' il vouloit que l' on ostast ce (de expresso mandato) & qu' il ne bougeroit de Paris jusques à ce que cela fust rayé. Protestant que s' il advenoit quelque inconvenient par faute d' avoir esté la part où il luy avoit esté enjoint par le Roy, en faire tomber toute la tare & coulpe sur la Cour. A cause dequoy la Cour, temporisant en partie, ordonna le vingtquatriesme jour de Juillet ensuivant que l' on osteroit le de expresso: mais que le registre en demeureroit chargé pour l' advenir. Tellement que ces mots furent seulement rayez de dessus les lettres. Et depuis en l' an mil quatre cens soixante cinq le mesme Louys, estant Roy, fist publier bon gré mal gré en plaine Cour par son Chancelier le don qu' il avoit fait au Comte de Charolois, & nonobstant toutes protestations que fissent la plus grand part des Conseillers, il voulut que sur le reply fut mis Registrata, audito Procuratore regis, & non contradicente. Telles protestations ont esté depuis assez familieres en ceste Cour. Et se trouvent assez d' Edicts portans: De expresso & expressissimo mandato Regis, pluribus vicibus reiterato. Laquelle clause tout ainsi qu' elle est adjoustee, pour bonne fin, aussi souhaiteroient plusieurs (paraventure non sans cause) que ceste honorable compagnie se rendit quelquesfois plus flexible, selon que les necessitez & occasions publiques le requierent. 

Grande chose veritablement, & digne de la Majesté d' un Prince, que nos Roys (ausquels Dieu a donné toute puissance absoluë) ayent d' ancienne institution voulu reduire leurs volontez sous la civilité de loy: & en ce faisant, que leurs Edicts & Decrets passassent par l' alambic de cest ordre public. Et encores chose pleine de merveille, que deslors que quelque ordonnance a esté publiee & verifiee au Parlement, soudain le peuple François y adhere sans murmure: comme si telle compagnie fust le lien qui noüast l' obeïssance des subjects avec les commandemens de leur Prince. Qui n' est pas œuvre de petite consequence pour la grandeur de nos Roys. Lesquels pour ceste raison ont tousjours grandement respecté ceste compagnie, encore que quelquesfois sur les premieres avenuës, son opinion ne se soit en tout & par tout renduë conforme à celles des Roys. Voire que comme si cest ordre fust le principal retenail de toute nostre Monarchie, ceux qui jadis par voyes obliques aspirent à la Royauté, se proposerent d' establir une forme de Parlement la part où ils avoient puissance. Enguerrand de Monstrellet nous raconte que Jean Duc de Bourgongne ayant esté dechassé de la ville de Paris & de la presence du Roy Charles sixiesme, de laquelle il faisoit pavois, pour favoriser ses entreprises encontre la maison d' Orleans, s' empara puis apres de plusieurs villes, comme de celles d' Amiens, Senlis, Mondidier, Pontoise, Montlehery, Corbeil, Chartres, Tours, Mante, Meulant, & Beauvois: & tout d' une suitte s' estant joinct & uny avec la Royne Isabelle (laquelle estoit lors en dissension avec son fils Charles, qui depuis fut septiesme Roy de ce nom) il advisa d' envoyer maistre Philippes de Morvilliers dedans la ville d' Amiens, accompagné de quelques personnages notables & d' un Greffier : pour y faire, sous le nom de la Royne, une Cour souveraine de Justice au lieu de celle qui estoit au Parlement de Paris. Afin qu' il ne fust besoin d' aller en la Chancellerie du Roy pour obtenir mandemens, ny pour quelque autre cause qui peust advenir és Baillages d' Amiens, Vermandois, Tournay, Seneschaussée de Ponthieu, ny és terres qui estoient en sa subjection & obeïssance. Auquel Morvilliers il bailla un seel, dans lequel estoit emprainte l' image de la Royne, estant droicte & ayant les deux bras tendus vers la terre: Du costé droict les armes de France my-parties avec celles de Bauieres, duquel lieu elle estoit extraicte. Et estoit escrit à l' entour, C' est le seel des causes souveraines & appellations pour le Roy. Ordonnant que les lettres s' expediroient sous le nom de la Royne, en la maniere qui s' ensuit. Isabel par la grace de Dieu Royne de France, ayant pour l' occupation de Monseigneur le Roy le gouvernement & administration de ce Royaume, par l' ottroy irrevocable à nous sur ce fait par mondit Seigneur & son Conseil. Ceste usurpation & monopole de la Royne & Duc de Bourgongne apprit puis apres la leçon à Charles lors simple Dauphin: Car estans le Capitaine de l' Isl' Adam & les Bourguignons entrez dans Paris de nuict, & par intelligence, il seroit impossible de raconter tout au long les pilleries, & inhumanitez qui furent exercees à l' encontre de ceux qui tenoient le party contraire de Bourgongne. Messire Bernard d' Armignac Connestable, Messire Henry de Marle Chancelier, Jean Gauda grand Maistre de l' artillerie, les Evesques de Coutance, Senlis & Clermont furent miserablement mis à mort, avec sept ou huict cens pauvres hommes prisonniers: En ce miserable spectacle la pluspart des hommes notables de la Cour de Parlement, & singulierement ceux qui favorisoient sans arriere boutique le Dauphin, se retirerent avec luy pour eviter la fureur de ceste populace. J' ay leu dans Historien que j' ay en ma possession, & qui estoit curieux de rediger par escrit les miseres de ce temps-là, que l' an mil quatre cens dixneuf qui fut deux ans apres l' entree de l' Isl' Adam, le Dauphin ayant recueilly ses forces, ordonna pour le fait de la Justice un Parlement dans Poictiers, Presidens & Conseillers: C' est à sçavoir de ceux qui en ceste desolation s' estoient garentis par suitte. Et lors fut advisé pour le commencement, que les causes des grands jours de Berry, Auvergne, & Poictou, seroient les premieres expediees. Gardans au demeurant tout le stile de la Cour de Parlement de Paris. Pareillement evoqua-l' on toutes les causes qui estoient pendantes à Paris: au moins celles qui estoient des pays obeïssans au Dauphin: lequel prit deslors le tiltre de Regent en France. Charles sixiesme toutesfois, qui estoit adonc mal ordonné de son cerveau, ne laissoit pas d' avoir son Parlement dans Paris, auquel fut estably (par la volonté du Duc Jean) premier President Messire Philippes de Morvilliers, duquel j' ay fait n' agueres mention. Bien est vray que le Parlement cho* sans rien faire depuis l' entree de l' Isl' Adam, qui fut le vingt-neufiesme de May mil quatre cens dixsept, jusques au vingt-cinquiesme de Juin: pendant lequel entreget, le peuple usoit des vies des hommes comme si elles leurs eussent esté baillees à l' abandon. Ainsi demourerent les affaires de France bigarrees l' espace de vingt ans ou environ, y ayant double Parlement, l' un dans Paris pour les Anglois qui possedoient le Royaume de France, & se disoient legitimes heritiers de luy: & dans Poictiers pour les adherans du Dauphin. Depuis, ces Anglois en l' an 1436. le treziesme jour d' Avril, furent dechassez de Paris par le Connestable de Richemont, & autres plusieurs grands Seigneurs partissans de Charles septiesme. Au moyen dequoy le sixiesme jour ensuivant, ceux de la Cour de Parlement de Paris deleguerent quelques-uns de leur corps vers le Connestable, pour entendre ce qui luy plairoit qu' ils feissent. Ausquels il fist responce qu' il en escriroit au Roy son maistre, & le prieroit de les avoir pour recommandez: mais ce pendant qu' ils expediassent les causes comme de coustume. Ceste gratieuseté contenta grandement un chacun: Toutesfois le Roy decerna depuis ses patentes le quinziesme de May, par lesquelles le Parlement & Chambre des Comptes furent interdicts. Je trouve dans un livre, auquel toutes choses qui advenoient en ce temps-là, sont escrites par forme de papier Journal, que le jour sainct Clement au mesme an, revint le Connestable dans Paris & sa femme, & qu' avec eux estoient l' Archevesque de Rheims, Chancelier, le Parlement du Roy & entrerent par la porte Bordelle (c' est celle que nous appellons aujourd'huy porte sainct Marcel) qui lors nouvellement avoit esté desmuree: Et que le jeudy ensuivant vigile de sainct André, fut crié à son de trompe que le Parlement du Roy Charles, qui depuis sa departie avoit esté tenu dans Poictiers, & sa Chambre des Comptes à Bourges, se tiendroit desormais au Palais Royal de Paris, en la forme & maniere que ses predecesseurs Roys de France avoient accoustumé de faire. Et dit l' Autheur qu' ils commencerent le premier jour de Decembre ensuivant à le tenir. Auquel mesme jour nos registres portent, que tous les Conseillers firent renouvellement de serment d' être fideles & loyaux subjects au Roy Charles septiesme. Lors que le Parlement de Poictiers revint, messire Adam de Cambray y estoit premier President, lequel fut employé à plusieurs grandes Legations & Ambassades pour le fait de la paix & union du Roy & du Duc de Bourgongne: Les os duquel personnage reposent dans les Chartreux de Paris. 

Or en ceste nouvelle reünion des deux Parlements, pour-autant que pendant le tumulte des guerres, plusieurs choses avoient esté en tres-mauvais ordre, & mesmement que durant cestuy temps les Requestes du Palais avoient esté suprimees, & sans effect: Charles septiesme apres s' estre rendu paisible, voulant remettre tout en bon estat, ordonna qu' en la grand Chambre y auroit trente Conseillers, quinze Laiz, & quinze Clercs: Et en la Chambre des Enquestes quarante, seize Laiz, & vingt quatre Clercs. Remettant sus la jurisdiction des Requestes en laquelle il ordonna cinq Conseillers Clercs, & trois Laiz, en ce compris leur President. De laquelle il fist publier l' auditoire le cinquiesme jour de Juillet mil quatre cens cinquante deux: Et pourautant qu' en la Chambre des Enquestes y avoit deux Presidents, il la voulut diviser en deux pour l' expedition des procés: Enjoignant semblablement qu' en la Tournelle se vuidassent les causes criminelles: A la charge toutesfois que si en definitive il falloit juger d' aucun crime qui emportant peine capitale, que le jugement s' en fit en la grand Chambre. Depuis la multitude des procés fit faire trois Chambres des Enquestes: Et par François premier du nom y feut adjoustee la quatriesme, que l' on appella du Domaine: parce que sous le nom & pretexte du Domaine il trouva ceste invention pour tirer argent de vingt nouvelles Conseilleries qu' il exposa lors en vente.

Or ont tous ces Conseillers un privilege annexé à leurs offices, lors qu' ils y entrent, par lequel ils se peuvent sous le nom d' autruy (qu' ils empruntent pour cest effect) nommer sur telles Eveschez & Abbayes qu' il leur plaist pour avoir (à leur rang & tour) le premier benefice vaquant, & qui se trouve en despendre. Laquelle coustume semble avoir pris commencement du temps que les Anglois gouvernoient, vivant toutesfois. Charles VI. Et à ce propos se trouve dans les registres, que l' an mil quatre cents & vingt, le douziesme jour de Fevrier, fut advisé, que pour pourveoir les Conseillers de benefices, l' on escriroit au Roy que son plaisir fust leur donner les benefices vaquans en regale: & aussi d' en escrire aux Ordinaires. Et le vingt-huictiesme de May mil quatre cens trente quatre, Maistre François Lambert requit être inseré au roolle que la Cour envoyoit au Pape, attendu qu' il avoit esté autresfois Conseiller. 

A quoy fut dit qu' il seroit enroollé: Lequel Indult je croy leur fut accordé par le Pape, afin que par telle maniere de gratification la Cour ne s' opposast plus si souvent aux Annates & autres pernicieuses coustumes que le Pape levoit sur le Clergé. Chose que la Cour de Parlement ne voulut aucunement recevoir, & à cause dequoy il y avoit eu mille piques entre la Cour de Rome, & celle de Paris. Et de fait, combien que ceste cause ne soit expliquee, si est-ce que depuis que cest Indult eut grande vogue, je ne voy plus que la Cour fist tel estat d' empescher les Annates comme elle avoit fait au precedent. Et neantmoins furent telles nominations de la Cour intermises pour quelque temps par sa nonchalance ou negligence: Jusques à ce que sous le regne de François premier, maistre Jacques Spifame Conseiller, homme d' un esprit remuant, ayant fueilleté les anciens registres, & voyant que ce droict leur estoit deu, mais que par long laps de temps il s' estoit à demy esgaré, prit la charge d' en faire les poursuittes & diligences envers le Pape Paul troisiesme: Ce qu' il fit si dextrement, que depuis il en apporta belles bulles à la Cour. Au moyen desquelles elle a depuis iouy plainement de ce privilege. 

Depuis que Charles septiesme eust reduit les choses en tel train que j' ay discovru cy dessus, encores que la Cour de Parlement de Paris semblast avoir toute authorité par la France, si est-ce que pour le soulagement des subjects, le mesme Charles retrancha quelque peu la jurisdiction & cognoissance qu' avoient eu par le passé les Parisiens. Car comme ainsi fut que deslors que le Parlement fut arresté, il estendit sa puissance sur tous les territoires de la France, cestuy Roy premierement eclipsa le païs de Languedoc, & une partie de l' Auvergne: establissant un Parlement dedans la ville de Tholose: Lequel y avoit esté à demy ordonné par Philippes le Bel, mais non avec tels liens & conditions que sous Charles. A l' imitation duquel, Louys onziesme son fils eschangea le conseil qui estoit tenu dans Grenoble pour le Dauphiné, & l' erigea semblablement en Parlement. Par succession de temps puis apres, Louys douziesme en crea un autre dans la ville de Bordeaux, pour les pays de Gascongne, Xaintonge, & Perigord: un autre en celle d' Aix, pour la Provence: un dans Dijon pour la Bourgongne: Et un finalement dans Roüen pour contenir toute la Normandie en devoir. Demourant tousjours ce nonobstant au Parlement de Paris le nom de la Cour des Pairs, & semblablement la puissance & authorité d' emologuer les Edicts generaux de la France, comme elle faisoit auparavant. De nostre temps on a plusieurs fois mis en deliberation & conseil de faire un nouveau Parlement à Poictiers, tout ainsi qu' autresfois ceste mesme deliberation avoit esté mise en avant sous le regne de Charles septiesme. Et n' est pas chose qu' il faille passer sous silence, que pour les grands frais qui se faisoient souventes fois en ceste Cour en causes de petite consequence, le Roy Henry deuxiesme de ce nom au voyage d' Allemagne institua en chaque siege Presidial certain nombre de Conseillers pour decider les procés en dernier ressort, qui monsteroient à dix liures de rente, & à deux cens cinquante liures pour une fois. Aussi en l' an mil cinq cens cinquante quatre, sous ce mesme Roy, par un general changement de face, fut ce Parlement de Paris fait Semestre, & divisé en deux seances, dont l' une estoit destinee depuis le premier de Janvier, jusques au dernier de Juin: & l' autre du mois de Juillet, jusques à la fin de l' annee. Ayant chaque seance, ses Presidens & Conseillers particulierement. Tellement qu' au lieu de quatre Presidents qui estoient de tout temps & ancienneté, se veirent huict Presidents. Et de la mesme façon que le Roy avoit fait cruës d' Officiers, aussi leur augmenta-il leurs gages, jusques à huit cens liures par an, avec defenses de ne toucher de là en avant espices des parties. Qui fut l' une des plus grandes mutations & traverses que receut jamais ceste Cour. Je sçay bien qu' on trouve en l' an mil quatre cens six, sous Charles sixiesme, un Mauger receu President cinquiesme, & extraordinaire: & un maistre Anthoine Minart du semblable, sous François premier: Et encore une creuë de vingt Conseillers sous le mesme Roy. Et du temps de Louys onziesme en l' an mil quatre cens soixante cinq, Hales receu tiers Advocat pour le Roy. Toutesfois ceux-cy estoient tousjours unis ensemble, & representans un mesme corps: mais au Semestre la division estoit telle, que ce que les courtisans ne pouvoient obtenir en une seance, ils le practiquoient en l' autre, rendans par ce moyen l' authorité de la Cour à demy illusoire. Au moyen dequoy fut ceste invention annullee, & les choses remises en leur premier estat au bout de trois ans, c' est à dire en l' an mil cinq cens cinquante sept, peu auparavant la reprise de la ville de Calais. Bien est vray que pour la multiplicité des Presidents & Conseillers qui ne pouvoient être si tost reduits par mort en leur nombre ancien & primitif, l' on advisa de faire une chambre de Conseil supernumeraire, où se vuideroient les appoinctez au conseil de la grand Chambre. Tellement qu' ainsi que les choses sont disposees pour le jourd'huy, il y a grand Chambre ordonnee pour la plaidoirie & publication des Edicts: celle du Conseil qui la fuit, ausquelles deux chambres indifferemment president les cinq premiers Presidents qui restent aujourd'huy du Semestre. Puis quatre chambres des Enquetes, entre lesquelles est comprise celle que l' on appelle la chambre du Domaine. De toutes lesquelles ensemble on tire la chambre qui est destinee au criminel. Le tout sans asseurance de certain nombre de Conseillers, pour autant que par Edict publié la vueille de la nostre Dame de Septembre, mil cinq cens soixante, tours Officiers furent suprimez par mort, & n' est loisible à aucun de l' endemettre és mains du Roy, jusques à ce que les Offices erigez pour subvenir à l' iniquité & injustice des guerres soient reduicts au nombre qui estoit il y a trente ans. Vray que le Roy a depuis donné plusieurs dispenses en contre l' Edict qui estoit bien fort rigoureux.

Lors que je mis en lumiere pour la premiere fois ce second livre de mes Recherches, l' ordre des Chambres du Parlement estoit tel que j' ay deduict: Mais depuis, en l' an 1568. fut erigee de nouveau une cinquiesme Chambre des Enquestes, & par mesme moyen suprimee celle du Conseil, & furent renvoyez tous les Conseillers, aux Chambres des Enquestes, dont ils avoient esté tirez. Et en l' an mil cinq cens quatre vingt fut de nouvel aussi erigee une seconde chambre des Requestes, par le Roy Henry troisiesme: Et tout d' une suitte creez vingt nouveaux Conseillers, qui furent espars par les Chambres des Enquestes, sans que la necessité publicque le conviast de ce faire. 

Certainement en ce Parlement, outre les choses par moy discovruës, se trouvent plusieurs particularitez notables. Et n' est pas chose qu' il faille oublier, que le vingt & uniesme jour de Novembre, l' an mil quatre cens & cinq, par arrest furent faites deffenses qu' aucun ne s' appellast Greffier de quelque Greffe que ce fut, Royal, ou autre, ny Huissier, fors les Greffiers & Huissiers de ceste Cour. Se trouve aussi qu' en ceste mesme annee les Presidens avoient obtenu lettres patentes du Roy, par lesquelles leur estoit permis de corriger & oster les Conseillers quand ils faudroient, toutesfois ne fut obtemperé à icelles: & le dixhuictiesme Fevrier fut arresté que l' on s' excuseroit au Roy.

Ceste compagnie, comme j' ay dit, a esté tousjours fort recommandee dans la France, comme celle par laquelle sans esclandre sont verifiees les volontez de nostre Prince. Une chose toutesfois y est sur tout ennuyeuse, c' est la longueur des procedures, laquelle semble y avoir fait sa derniere preuve par la subtilité de ceux qui manient les causes d' autruy: Lesquels pendant qu' ils ombragent & revestent leurs mensonges de quelques traicts de vraysemblance, mendians d' une contrarieté de loix la decision de leurs causes, tiennent tousjours une pauvre partie en suspens. Estans bons coustumiers prendre en cecy aide d' une Chancellerie: Laquelle fut premierement introduitte pour subvenir aux affligez, par benefice du Roy, qui s' en veut dire le protecteur. Neantmoins les plus fins & rusez en usent comme d' une chose inventee, pour tenir en haleine ceux qui se sont opiniastrez à leur ruine, pour trouver par ce moyen quelque ressource à une cause desesperee. Tirants, & Advocats, & Procureurs, de telles longueurs (j' ay cuidé dire langueurs) un grand profit. Qui est cause que plusieurs bons esprits de la France, picquez de l' amorce du gain present, laissent bien souvent les bonnes lettres pour suivre le train du Palais, & s' assopissent par ceste voye, pendant que comme asnes voüez au moulin, ils consomment leurs esprits à se charger de sacs, au lieu de livres.