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vendredi 2 juin 2023

3. 4. Comme & avec quel progrés les Papes s' impatroniserent de Rome, & d' une partie d' Italie.

Comme & avec quel progrés les Papes s' impatroniserent de Rome, & d' une partie d' Italie.

CHAPITRE IIII.

Aux discours qui se sont cy-dessus passez il n' estoit question de toucher au temporel, ains ceste superiorité si vertueusement soustenuë par l' Evesque de Rome, regardoit seulement le spirituel, & ne pensoit lors ce Prelat à s' impatroniser de la ville de Rome, & des environs, & moins encore de donner loy aux Empereurs, & Roys: mais les occasions selon les changemens des temps, & regnes, le pousserent à ceste grandeur. Je ne sçay comment il advient que humant l' air d' une contree, nous transformons par mesme moyen les effects de nostre Religion aux mœurs du Pays, soubz lequel nous sommes nourris. Jamais n' avoit esté, du temps mesme du Paganisme, que l' Egypte ne fust estimee superstitieuse, la Grece aiguë, & subtile, comme celle qui avoit produict plusieurs sectes de Philosophes, Rome ambitieuse le possible, & qui dés sa premiere enfance sembloit être nee pour commander: Aussi quelques temps apres que la Religion Chrestienne fut establie en l' Egypte, ce pays nous produisit plusieurs esprits sombres, & melancoliques, qui faisoient des voeus esloignez de la commune usance des autres: La Grece plusieurs heresies, qui ont mesme par suitte de temps apporté la division entre l' Eglise Latine, & la Grecque: Et Rome de mesme façon au millieu de ses ruines couuoit de longue main un Estat Monarchique soubz le nom de la Religion. Estat vrayement miraculeux qui a eu ses principaux Conseillers non seulement establis dedans l' enclos d' une seule ville, ains espars par toutes les Provinces, au gré & contentement des Empereurs, Roys & Princes souverains: Estat qui sans être gardé par les armes a faict trembler, & passer souz sa misericorde les plus grands Monarques du monde. Jamais Histoire ne contint plus de Religion & de saincteté, que celle que les Evesques de Rome apporterent premierement pour gaigner ce haut degré, que depuis ils ont tenu en l' Eglise, & jamais Histoire ne fut plaine de tant de prudence, que celle que nous reciterons maintenant pour le temporel: outre ce qu' ils trouverent les temps commodes, & si ainsi le faut dire furent conduicts par la main pour executer leurs desseins. Parquoy le contentement ne sera petit, ce me semble, de sçavoir par quels moyens ces saincts Peres sont parvenus à si grande seigneurie de biens, que mesmes ils ont voulu enjamber avec le temps toute puissance, & auctorité sur les Roys, jusques à faire vacquer les Royaumes. Constantin le Grand ayant donné fin à toutes les guerres civiles, soit qu' il veit plusieurs peuples Orientaux se revolter contre l' Empire, ou qu' il fut d' une nature disposee à nouveautez, delibera de chercher lieu commode sur l' emboucheure de la mer, par lequel il peust donner ordre aux courses, & surprises des Barbares. Ce lieu par bonne & meure deliberation fut trouvé en la ville de Byzance, laquelle, non seulement il fortifia de tout poinct, mais la rebastit tout à neuf, la faisant nommer de son nom Constantinople: & non content de l' avoir embellie de Palais, & superbes bastimens, il y transporta de la ville de Rome plusieurs belles antiquailles, & qui plus est, luy & ses successeurs y firent ordinaire demeure: de sorte que là où les Empereurs magnifioient auparavant, & Rome, & l' Italie, ce pays fut peu apres reduit en la mesme forme que les autres Provinces, & regy par Ducs, & gouverneurs. Car quand mesmes il y avoit deux Empereurs, dont l' un demouroit en l' Orient, & l' autre en l' Occident, si est-ce que je ne sçay par quelle fatalité, ils choisissoient plustost toute autre habitation que la ville de Rome, les uns s' habituans à Milan, les autres en nostre ville de Paris, les aucuns en celle d' Arles, & les autres, comme les Roys des Ostrogots, en la ville de Ravenne. Je ne puis rendre raison de cecy, sinon qu' il sembloit que la fortune de Rome lasse d' être commandee par les armes, vouloit faire preuve à quelle grandeur elle pourroit parvenir estant gouvernee par gens qui feroient seulement profession de la parole de Dieu, & de l' Escriture.

Du changement de ce siege Imperial plusieurs nations estrangeres prindrent subject, & argument d' assaillir l' Italie, peut-être par un juste courroux du Ciel pour ioüer la vengeance de plusieurs siecles passez, & faire desgorger le butin de tous autres peuples, dont par tant de centaines d' ans les Italiens estoient enflez. A ceste occasion fut l' Italie trois fois ravagee par les barbares, & autant de fois, Rome prise, & saccagee. Premierement soubz Alaric Roy des Visegots, puis soubz Ataulphe son successeur, & finalement par Gentseric Roy des Vandales, qui se donna le loisir de ruiner ceste ville l' espace de quatorze jours entiers. Cela fut cause que les Empereurs, soit qu' ils fussent lors aneantis, ou que le desastre de l' Empire fust tel, commencerent de tenir la plus part des Provinces de l' Occident comme demy abandonnees. Tellement que les Allains, Bourguignons, François, Pictes, Anglosaxons, & les Vandales, & Visegots prindrent diversement leur chanteau és Gaules, en la grande Bretaigne, & Espaigne: & commença l' Estat des Empereurs de s' esbranler grandement en Italie. Au moyen dequoy, comme si ce pays leur esté totalement arraché des poings par ces trois inondations, & ravages, ils oublierent à la longue d' y commander en personnes. Cependant par occasion, il se leva une vermine de petits tyrans en ce pays là, qui pour n' offencer la Majesté de l' Empire, n' osoient prendre le tiltre d' Empereurs, aussi ne se vouloient-ils donner qualité si basse que de simples Gouverneurs: mais nageans entre les deux par un mot comme moytoyen se firent appeller Patrices: Dignité qui secondoit aucunement l' Imperiale, ainsi que j' ay deduict au livre precedant, & dont Constantin avoit esté le premier autheur. Ceux-cy furent Avite, Majorian, Severian, Antheme, Olibre, & quelques autres jusques à un Orestes, puis Augustule son fils, qui fut tué par Odoacre Roy des Heruliens, lequel entre les estrangers fut le premier qui à descouvert prit tiltre, & qualité du Roy d' Italie, & y regna quatorze ans, & depuis du vouloir & consentement de Zenon Empereur, fut tué *par Theodoric Roy des Ostrogots, qui fut investy du pays d' Italie par le mesme Empereur, où luy, & deux ou trois de ses successeurs regnerent, establissans leur demeure en la ville de Ravenne: jusques à ce que Justinian Empereur premier de ce nom, espiant son apoint, par l' entremise de son grand capitaine Bellissaire, reprit Rome laquelle fut encores depuis reprise par Totilas, l' un des successeurs de Theodoric, & par luy demantelee de murailles par une indignation forcenee: deliberant la rayer rez pieds rez terre, & rendre pastis à bestes, s' il n' en eust esté destourné par les lettres, & honnestes remonstrances de Bellissaire, le priant de ne vouloir ruiner tout à faict la ville, en laquelle il pouvoit à l' advenir commander, si tant estoit que le douteux succez de la guerre le voulust favoriser. Ainsi delaissa-il son premier propos: mais adverty que ce grand guerrier approchoit, duquel, Vitige son devancier Roy avoit à bonnes enseignes esprouvé les forces (Car Bellissaire l' avoit pris en champ de bataille, & depuis mené en triomphe dedans la ville de Constantinople) quitta la place, & enleva quant & soy la plus grande partie des Senateurs de Rome, & les autres, les espandit avecq' leurs femmes, & familles çà & là, laissant la ville toute deserte & inhabitee. Depuis Bellissaire y estant entré sans aucun destourbier, la repara, & rempara au moins mal qu' il luy fut possible, r'alliant petit à petit le pauvre peuple tout esgaré & esperdu.

Apres tant de heurts ainsi repliquez, je ne voy point que les Empereurs du Levant feissent grand estat de la ville de Rome, estant, ce leur sembloit, comme une espaue exposee à la misericorde de celuy qui la pouvoit premier occuper. Et de faict Narses ayant exterminé de tout poinct le nom des Gots de l' Italie, & Longin estant envoyé en son lieu pour y commander, il ne daigna jamais passer par la ville de Rome pour la reparer de ses cheutes. Et qui y apporta le dernier accomplissement de ruine, fut Constant fils de Constantin second, lequel ayant esté mis en route par les Lombards (qui nouvellement s' estoient empietez du pays d' Italie, à la semonce de Narses) repassant par la ville de Rome, comme s' il y eust voulu faire sa derniere main, enleva en cinq jours qu' il y sejourna le peu de bon, & de beau qui y restoit de ces memorables ruynes. Et disent les historiographes qu' en ce peu de temps il fit plus de deluge à la ville, que n' avoient fait tous ces grands desbords barbaresques, que j' ay presentement recitez. 

Le peu d' oeil que les Empereurs eurent de là en avant sur ceste ville, & les grandes secousses qu' elle avoit souffertes tant de fois, furent cause que les Papes, qui y avoient voüé perpetuelle demeure (joinct le credit qu' ils avoient gaigné sur les Eglises) y prindrent de grandes puissances, mesmes sur le fait de la police. Car encores que l' on n' appellast aux Archeveschez & Eveschez que ceux qui estoient en reputation de preud' hommes, si est-ce que comme j' ay dit ailleurs, les anciens estoient tres aises de choisir gens habilles, & disposez pour manier les affaires du monde, & c' est dont se plaignoit saint Hierosme en son livre premier contre Jovinian, qu' és elections des Prelats on s' amusoit quelquesfois plus à choisir des sage-mondains, que des gens de bien. Cela se faisoit pour autant qu' aux affaires qui se presentoient en une ville, on avoit accoustumé de les envoyer en ambassade par devers le Prince. Et disoit à ce propos Sidonius escrivant à Evagrius, parlant de l' election de l' Evesque de Bourges, qui avoit esté remise à son arbitrage, que s' il eust esleu quelque Moine on luy eust imputé à vice. D' autant que cestuy eust esté plus propre de jouër le personnage d' un Abbé, que d' un Evesque, & qu' il luy eust esté plus seant d' interceder pour nos ames envers le Juge celeste, que de harenguer pour nos corps envers le Prince terrien. Estans doncques tous personnages de marque ceux qui estoient appellez au Pontificat de Rome, il ne leur fut pas trop mal aisé à la longue de s' agrandir aux despens de la Couronne Imperiale. Mesmes depuis la venue des Lombards, contre lesquels les Papes estoient contrains, avec l' Eglise, de se defendre, pour le moins de racheter d' eux la paix au prix de leurs bourses. Il y a tantost vingt & septans (disoit sainct Gregoire, escrivant à Constance Emperiere, femme de Maurice) qu' en ceste ville de Rome nous sommes environnez des armes des Lombards, en quoy je ne vous veux point dire combien l' Eglise fournit d' argent chaque jour, a fin de viure seurement au milieu d' eux. Et escrivant depuis à l' Empereur Phocas, il contoit trente cinq ans. Et tout ainsi que les Empereurs pour les raisons cy dessus desduites, s' accoustumerent de faire peu d' estat de Rome, pareillement ce mesme contentement enseigna au Pape de ne respecter les Empereurs de la façon qu' il avoit fait, lors qu' ils estoient paisibles de l' Italie. Aussi adoncques commencez vous de voir, & un Pelage second, & un Gregoire premier, entrer en l' exercice de leurs charges, apres leurs elections, auparavant qu' ils eussent esté confirmez par l' Empereur. Ce qu' ils n' eussent pas osé entreprendre auparavant, les choses estans quoyes & tranquiles en ce pays là. Et pour toute reparation en sont quittes par une excuse pretextee de la crainte qu' ils avoient des Lombards. Et Constantin troisiesme voyant combien son authorité estoit diminuée à l' endroict des Papes, quasi par un jeu forcé, mais couvert du manteau d' une volonté liberale, accorda que l' election des Papes fust bonne & vallable, sans attendre son consentement, ou de son Lieutenant. Et diminua encores ceste Majesté Imperiale envers les Romains de tant que sous Justinian second, fils de Constantin, l' Exarquat, qui avoit duré 64 ans, cessa & fut reduit par les Lombards sous leur puissance. C' estoient les villes de Ravenne, Cezenne, Creme, Forin, Imole, Bolongne, Modenne, & quelques autres. Qui plus est les Empereurs Grecs non seulement ne tenoient rien de la vieille Majesté de l' Empire, mais sembloient être un rebut, ou mocquerie de fortune. Car le mesme Justinian, dont j' ay presentement parlé, fust chassé par Leonce Patrice lequel (luy ayant faict couper le nez, & les aureilles) l' envoya en exil. Le mesme Leonce chastié de pareille peine, dont il avoit usé contre son seigneur souverain fut emprisonné par Tibere, qui occupa sur luy l' Empire. Toutesfois, & Leonce, & Tibere pris par Justinian, il les fit tous deux mourir, & luy tout essaurillé, & enazé qu' il estoit, & reintegré en sa Couronne. Apres luy philipique ayant imperé un an, & quelques mois, on luy creue les yeux, & le reduit-on à son premier rang. Anastaise son successeur est contrainct de se tondre, & faire vœu de Religion. Comme faict le semblable Theodose qui luy succeda, pendant toutes lesquelles desbauches, & que fortune prenoit plaisir au desplaifir de ces pauvres Princes, il ne faut trouver estrange si le Pape s' establit en grandeur dedans la ville de Rome. Et ce qui le fit plus hardiment contemner leur authorité, c' est que l' Empire en fin tomba és mains de Leon, qui fist guerre juree aux images: en vengeance de quoy le Pape luy fist autre guerre par fulminations & censures Ecclesiastiques. 

Adoncques prenoit grand pied dans la France la famille des Martels. Car tout ainsi qu' entre toutes les nations du Ponant, les François s' estoient rendus redoutables, aussi entre tous les François florissoit Charles Martel, lequel pour la necessité de noz Roys, avoit soubs le nom de Maire du Palais introduit par devers soy la Majesté de la Couronne, tellement qu' il ne luy manquoit que le nom de Roy seulement. Gregoire le tiers voyant que d' un costé il avoit pour ennemy mortel l' Empereur de Grece, duquel il ne redoutoit pas tant les forces, pour être plus eslongné de luy: d' un autre costé que Luitprand Roy de Lombardie, avoit denoncé la guerre aux Romains: mesmes avoit mis le siege devant Rome, il pensa qu' il luy failloit chosir nouveau party. Pour ceste cause se meit soubs la protection de Martel, à la persuasion duquel, Luitprand se desista de son entreprise, & tout le reste de sa vie traitta debonnairement les Romains. Ceste premiere ouverture apporta depuis de grands biens à la Papauté, voire que je vous puis presque dire que l' asseurance de leur grandeur temporelle vient de là: Tellement que tout ainsi qu' à Gregoire premier l' on doit l' asseurance de la superiorité de l' Eglise, aussi à Gregoire le tiers est deu l' un des plus grands traicts, qui ait oncques esté entrepris par les Papes pour la temporalité, d' autant ou qu' il faut être du tout menteur en l' histoire, ou recognoistre que la premiere grandeur des Papes en leur temporel, procede tant de la protection, que liberalité des François. 

Or ne pouvoit estre confederation plus à propos que celle qui fut lors traittee entre les Papes & les Martels: par ce que les uns & les autres aspiroient chacun endroict soy à mesme but. Les uns d' être les premiers en Italie, & les autres en ceste France. Ceux-là avoient assez de pretexte, mais non de force: & ceux-cy plus de force qu' il ne leur failloit, mais avoient besoin de pretexte. Ces deux defauts feurent suppleez l' un par l' autre, par ceste nouvelle alliance. 

A Childeric Prince de peu d' effect &va leur, estoit escheuë la Couronne de France, & soubs l' authorité de Pepin fils de Martel se manioit tout l' Estat de France, toutesfois d' ozer remuer quelque nouveau mesnage contre le Roy, il estoit fort malaisé. Car la reverence du seul nom de Clovis qui avoit chassé le Romain des Gaules, supplanté le Bourguignon, Visegoth: & encores vaincu l' Alemant, auparavant indomptable, estoit tellement emprainte au cœur des François, que combien que sa posterité forlignant, ne servit lors presque que d' image, si est-ce que la seule memoire de ce grand guerrier, & la devotion que le commun peuple avoit envers ses successeurs pour le respect de luy, faisoit tenir les Princes & grands Seigneurs en cervelle. D' un autre costé le Pape, qui avoit toute voix & authorité dedans Rome, pour l' insuffisance des Empereurs de la Grece, & neantmoins n' avoit la force pour faire teste aux Lombards, qui vindrent de rechef luy faire la guerre apres la mort de Luitprand, soubs la conduitte d' Astolfe leur Roy, ne pouvoit bonnement parvenir à ses desseins, s' il n' avoit secours estranger. Pour ceste cause Pepin desja allié avec les Papes, par la confederation d' entre Gregoire le tiers & son pere, desirant approprier à soy & aux siens, non seulement l' effect, mais le nom de la Royauté, depescha deux hommes d' Eglise par devers Zacharie Pape, pour le rang & authorité qu' il tenoit entre les Prelats a fin d' interposer son decret, & donner advis auquel des deux appartenoit mieux le sceptre, ou à celuy, qui sans aucun soin laissoit fluctuer les affaires de son Royaume à la mercy de tous vents, & qui en toutes les actions, outre la recommandation de ses ancestres, n' avoit rien que la parade exterieure d' un Roy, ou bien à l' autre, qui avec moindre faveur de parentelle, portoit le faix & charge de tout le Royaume. Zacharie qui estoit sur le poinct d' appeller Pepin à son aide contre les Lombards, ne voulut mesprendre de parole à celuy qu' il esperoit luy devoir assister d' effect. Parquoy il sententia pour & en faveur du second, & que c' estoit celuy-là auquel la Couronne devoit loyaument appartenir. Grande est certes l' auctorité d' un Prelat de quelque Religion qu' il soit, pour lier la conscience d' un peuple, qui a l' œil fiché dessus luy. Ceste sentence estoit donnee par forme d' advis seulement, toutesfois Pepin en sçeut bien faire son profit: & les Papes mesmes depuis la sceurent fort bien tirer en consequence, pour monstrer qu' ils avoient puissance de conferer les Royaumes, selon que les occasions de ce faire se presentoient. Ceste mesme sentence requeroit plus ample execution pour la ceremonie: ceste execution se rencontre à poinct nommé. 

Astolfe Roy des Lombards pressoit journellement la ville de Rome. Au moyen dequoy Estienne succeur de Zacharie est contrainct de venir en France, pour implorer l' aide de Pepin. Et vrayement il falloit pour authoriser l' establissement de ce nouveau Roy, que celuy par l' authorité duquel il s' estoit mis en possession du nom, & des armes de France, fut grand. Parquoy Pepin pour n' oublier rien de son devoir, va à pied au devant du S. Pere, entrant dans Paris, & non content de ceste honneste submission, meine son cheval par les resnes, jusques au Palais. Pepin à ceste nouvelle entree est sacré & Couronné Roy par le Pape, en l' Eglise de sainct Denis, & le Royaume à luy confirmé, & à sa posterité. En contre-eschange dequoy il s' achemine avec Estienne en Italie contre les Lombards, où il sçeut si bien faire ses besongnes, qu' il reprit sur eux l' Exarquat, & reduisit leurs affaires en plus grande modestie que jamais auparavant, asseurant par ce moyen en l' Estat des Papes encontre eux. L' Empereur qui lors commandoit à la Grece prevoyant ce qui advint puis apres, depesche Ambassadeurs par devers le Roy, pour le prier de ne favoriser point tant la cause de l' Eglise, qu' il frustre l' Empire de l' Exarquat, ensemble de la ville de Rome. Toutesfois Pepin sçachant que la grandeur du Pape estoit la sienne (car plus seroit de Pape estably en puissance & authorité, plus seroit asseurée la Couronne à sa famille) presta l' aureille sourde à ces remonstrances, donnant avant que departir toutes les terres de l' Exarquat au Pape. Et deslors Paule Epiatre chambellan de l' Empereur, commença de saigner du nez, n' osant plus prendre le nom de Duc, ou gouverneur dans la ville de Rome, ny mesmes manier en aucune façon les affaires sous le nom, & authorité de son maistre. Voila la premiere & plus signalee donation, qui ait jamais esté faicte aux Papes, & qui lors commença de les advantager à huis ouvert, en auctorité temporelle. Ny pour cela toutesfois ne furent ils rendus proprietaires de Rome: mais leur ayant esté donné l' Exarquat en plaine proprieté, tout ainsi qu' apres l' expulsion des Gots, ceux qui tenoient le premier lieu dans Italie, estoient les Exarques, aussi le Pape estant fait Exarque par ceste donation, tenoit certainement grand rang entre les puissances temporelles. 

Les affaires doncques d' Italie estoient telles. Au Pape appartenoit l' Exarquat en proprieté, dont Pepin estoit demouré souverain. Les Lombards possedoient une bonne partie du pays où ils avoient planté leur premiere & ancienne demeure: La Pouïlle & la Sicile estoient és mains de l' Empereur: Et quant à la ville de Rome, elle balançoit, ne desauouant tout à fait l' Empereur de Grece à seigneur, mais aussi le recognoissant avec si peu de remarques, qu' il estoit mal-aisé de juger s' il en estoit seigneur, ou non. Ce pendant la fortune du temps, qui sembloit s' être du tout vouëe à l' advancement de la Papauté, ne peut permettre que Didier Roy des Lombards demourast quoyement dans ses bornes, ains voulut reprendre de plus beau les anciennes querelles des siens contre les Romains. Adrian qui lors estoit Pape appella à son secours les François, sur lesquels commandoit Charles fils de Pepin, qui depuis pour sa generosité, & hautes chevaleries, merita le surnom de Grand. Ce Prince prend la charge de ceste affaire, & delibere de coucher de sa reste. Pour le faire court, les choses luy succederent si à propos qu' il extermina de tout point Didier, & sa race. Reduisant soubs l' obeyssance des François tout le pays d' Italie, fors la Poüille, & la Sicile. Ce coup apporta nouvelle face aux affaires de tout l' Occident, pour autant que la maison des Martels, & la famille des Papes fraternisoient tellement ensemble, que leurs grandeurs temporelles despendoient reciproquement l' une de l' autre. Cela fut cause qu' Adrian Pape pour oster à l' Empereur de Grece toute opinion de retour en Italie, se delibera par la voix du peuple faire tomber és mains de Charles (nous le nommons Charlemaigne d' un mot corrompu du Latin) la ville de Rome, qui depuis quelques annees en là n' obeissoit que par contenance aux Gregeois: Toutesfois de luy octroyer le tiltre d' Empereur du premier coup, c' estoit une entreprise trop hardie, & ne pouvoit faire cela sans s' exposer à l' envie de plusieurs nations. 

Au moyen dequoy il le fait eslire Patrice de Rome, faisant reprendre vigueur à la ville par où mesme elle avoit failly. Car s' il vous en souvient j' ay dit cy-dessus qu' apres les premieres courses des Barbares, il y eut quelques moyens Seigneurs, comme Avite, Autheme, Majorian, & autres qui s' impatroniserent de la ville, & de l' Italie, lesquels pour n' oser prendre la qualité d' Empereurs, se firent appeller Patrices, sur lesquels Odoacre envahit l' Estat d' Italie. Et tout ainsi que par eux il faillit, aussi pour restablir les choses en leur ancienne dignité, Adrian pourchassa ce tiltre de Patritiat à Charlemagne (ne luy donnant du commencement le tiltre d' Empereur, pour n' irriter l' Empereur de Grece:) Mais avec toutes prerogatives de grandeur: Tellement qu' au lieu, où anciennement l' Empereur pretendoit la confirmation tant du Pape, qu' autres Evesques luy appartenir, cela fut accordé à Charlemaigne, & ses successeurs: mesmes que nul ne pourroit être sacré Archevesque, ou Evesque en quelque Province de son obeissance, qu' il n' eust esté par luy investy. En ce voyage, pour recompense, Charlemaigne confirme au S. Pere, l' advantage qui luy avoit esté fait par Pepin. Ainsi fut entre eux partagé le gasteau, aux despens de l' Empire, à l' un estant confirmé l' Exarquat, comme de son propre, à l' autre le Patritiat: pour iouïr du reste de l' Italie: & neantmoins qu' il commanderoit sur toute l' Italie, sans exception en toute souveraineté, fors sur le pays de la Poüille. 

Estant Adrian allé de vie à trespas, & à luy succedé Leon, soudain qu' il eut esté esleu, il envoya les clefs de l' Eglise de S. Pierre à Charlemagne, & la banniere, tant pour le prier de vouloir confirmer son eslection, qu' aussi qu' il luy pleust envoyer à Rome quelque seigneur, pour recevoir le serment de fidelité des Romains. Sur ces entrefaites le peuple courroucé le voulut destituer de son siege, luy imputant plusieurs choses mal convenables à sa dignité. La cognoissance de ce different est sursise jusques à la venue de Charles, que l' on attendoit de jour à autre dans Rome, avec une merveilleuse devotion & attente de plusieurs peuples, qui accouroient de toutes parts en ceste ville, pour voir son entree magnifique, & sembloit par ce seul spectacle que Rome eust esté restablie en son ancienne splendeur. En ce mesme temps Irene Imperatrice de Constantinople avoit cruellement fait creuer les yeux à l' Empereur Constantin son fils, & par ce moyen jouissoit à tort, sous le nom de luy, du droict de l' Empire. Chose qui luy avoit apporté une haine publique de tous. La presence d' une femme commandant à un tel Empire contre l' ordre ancien, la cruauté barbaresque d' une mere contre son fils, & haine publique de tous encontre elle, donnerent occasion au Pape, & au Roy de passer outre, & de Patrice prendre le tiltre d' Empereur: Mais auparavant il failloit que Leon satisfist au peuple, & se purgeast devant le Roy. Il importoit certes à la grandeur future des Papes que ceste accusation advint pour en avoir si brave yssue. Estant doncques Charles arrivé à Rome, & receu avec telle pompe & magnificence que sa Majeté requeroit, quelques jours apres les preparatifs de l' accusation dressez, il s' assiet en un haut throsne, oit les parties d' une part & d' autre, mais quand ce vint à la prononciation de son arrest, luy qui n' aspiroit à choses basses, sçachant que plus il exalteroit de Pape, plus il se faciliteroit une voye à la grandeur qu' il projettoit, declara que ce n' estoit à luy de juger de celuy qui avoit les clefs des cieux en main, lequel ne devoit recevoir autre juge que de sa seule conscience. Partant remettoit la decision de ceste accusation au serment du S. Pere. Ce jugement estant loué d' un chacun, Leon se leva sur pieds, & monté sur une haute chaire, afferma que tout ce qu' on luy avoit improperé, estoit une pure calomnie: & sur ceste sienne declaration fut absous à pur & à plain. L' on se souvenoit encore des jugemens de Constantin, & Valentinian qui en avoient usé tout de la mesme façon. Car ç' a esté une regle fort familiere aux Ecclesiastics de tirer à necessité ce que du commencement on leur avoit accordé par devotion. Leon estant declaré par privilege special juge, tesmoin & partie en son propre fait, & ne pouvans ses jugemens être controulez par autre que de luy seul, l' on ne fist pas lors grande doute d' executer ce qui restoit. Ainsi receut Charlemaigne la Couronne de l' Empire, & fut sacré Empereur par les mains du grand Pontife de Rome avecques un applaudissement general de toute l' Europe. Et pour autant qu' Irene voyoit que ce luy estoit jeu forcé, elle luy accorda liberalement ce tiltre avec la iouyssance de Rome, & de l' Italie, hormis de la Poüille & de la Sicile. Pratiquant sous main le mariage de luy, & d' elle. A quoy il ne voulut entendre, & en ceste façon le Pape, & le Roy se donnans l' esteuf l' un à l' autre, s' enrichirent des despouilles de l' Empire, & de là en avant commença nouvelle face d' Estat à l' Empire, se trouvant party en deux principautez, qui n' avoient nulle correspondance de l' une à l' autre, comme on avoit veu autrefois, y ayant lors deux Empereurs continuellement divers, l' un du Levant, & l' autre de l' Occident. 

Cest exemple depuis servit aux Papes. Car tout ainsi que Pepin, & Charlemaigne avoient emprunté leurs pretextes pour se faire maistres & seigneurs souverains, premierement de la France, puis de l' Italie, aussi Robert Guischard Normand s' estant emparé du Royaume de Naples, au prejudice du vray heritier, pour asseurer son estat à sa posterité, eut recours à l' authorité du S. Siege, & se fit vassal de la Papauté. Ce qui s' est perpetué jusques à huy.

La famille de Charlemaigne estoit creuë en trois Princes consecutifs, Charles Martel, Pepin & Charlemaigne, soubs lequel elle avoit attaint au comble de sa grandeur: elle decreut par mesmes degrez en trois autres Princes, Louys le Debonnaire, Charles le Chauve, & Louys le Begue. Car le demeurant de ceste lignee ne fut qu' un rebut de fortune, & à mesure qu' elle declina, aussi de mesme proportion se dispenserent les Papes des confederations, & promesses, qui avoient esté par eux jurees avec Pepin & Charlemaigne. A Leon succeda Estienne quatriesme, puis Paschal premier, & tout ainsi que lors du declin des Empereurs de Grece, Pelage second s' estoit le premier des Papes ingeré en l' exercice de sa charge, sans attendre la confirmation de l' Empereur de l' Orient: aussi cestuy Paschal prit le premier la hardiesse de iouyr de la Papauté, sans attendre le consentement du Debonnaire, lequel en fit plainté par ses Ambassades: Mais le Pape cognoissant le Prince, avec lequel il avoit à demesler ce fuseau, leur fit response, qu' il ne falloit point tirer en perpetuelle consequence les loix qui avoient esté introduites pour la necessité du temps, & sçeut bien pallier ses excuses (joint que le cœur

genereux des autres Roys manquoit grandement en cestuy) que non seulement le Debonnaire prit en payement ces paroles, mais qui plus est, quelques uns disent que par une liberalité inepte il renonça au droict de confirmation des Papes. Et ce qui authorisa encores d' avantage la puissance des Papes dans Rome, apres le decez de Louys le Debonnaire, fut que pendant que Lothaire, Louys, & Charles le Chauve ses enfans combattoient les uns encontre les autres pour leur partage: du temps de Leon quatriesme, les Sarrazins qui lors rodoient presque tout le monde, vindrent donner jusques à Rome, qu' ils pillerent, & meirent à sac, sans que celuy qui tenoit lors tiltre d' Empereur entre nous, fit contenance de la secourir. Qui fut cause que le Pape la fit reparer és Eglises, & fortifier de boulevers; mesmes bastit un chasteau en forme de roquette, que nous appellons le chasteau S. Ange, & luy mesmes alla en personne à la guerre. Sigisbert Croniqueur dit qu' il fit une nouvelle Rome, qui est celle que l' on a depuis habitee, laquelle il fit appeller de son nom Leonine.

Depuis ce temps je ne voy point que les Papes ayent tenu grand conte de la lignee de Charlemaigne, en quelques contrees qu' elle fust esparce. Et les divisions mesmes qui peu apres coururent par la France, entre Charles le Gras, Eude, & Raoul, chacun d' eux prenant diversement le tiltre de Roy de France, abastardirent presque toute la reputation que nos Empereurs avoient acquise par leur vaillance & sagesse dedans l' Italie. Tellement que vous voyez que l' on commence de là en avant à les mater par loix, & ordonnances Decretales. Par ce que Nicolas premier ordonna que les Empereurs & Princes seculiers n' eussent aucun lieu aux Concils, sinon qu' il fust question de la foy. Que les seculiers ne jugeroient de la vie des Clercs: que le Pape ne pouvoit estre lié, ou delié par puissance humaine. Et Adrian second son successeur, que nulle puissance seculiere ne se devoit immiscer en l' election des Patriarches, Metropolitains, ou Evesques, comme estant chose contre Dieu. Ne parlant de la Papauté: car puis qu' il donnoit la loy aux Roys, & Empereurs, il ne faisoit point de doute qu' ils n' avoient aucune jurisdiction, ou cognoissance de cause sur luy, ny sur ses successeurs. Et lors se reigloient toutes choses fort aigrement contre les Princes par anathemes & censures Ecclesiastiques. 

Toutesfois encores n' estoient les Papes du tout affranchis de la crainte de ceste grande lignee. Pour s' en asseurer de tout poinct, la fortune du temps suscita dedans l' Italie, une racaille de tyrans, uns Guy, Lambert, Berenger premier, un Louys, puis un Hugues seigneurs de la Provence, un Raoul de Bourgongne, un Beranger (Berenger, Berenguer) second, tous lesquels remuerent ce païs là, avec une infinité de maux. Au moyen dequoy le Pape a recours aux Othons d' Alemaigne, qui lors commençoient de poindre, comme nouveaux rejettons de fortune. Car pendant que les Berengers avoient d' un costé remué l' Estat d' Italie, les Allemans esleurent Empereur sur eux, Conrad lequel en mourant designa pour son successeur Henry Duc de Saxe, auquel succeda Othon premier grand guerrier. Cestuy appellé par les Romains chassa tout à fait les Berengers, & leurs corrivaux, d' Italie. La ruine de tous ces seigneurs, & le peu de sejour qu' Othon faisoit en Italie, rendit les Papes beaucoup plus asseurez que devant, encores que ce ne fust sans coups ferir. Mais vous ne les voyez gueres de là en avant passer par la mercy des autres Princes. En ces Othons vous commencerez de trouver nouvelle face d' affaires. Car ayant l' Empire continué de pere en fils par droict successif du premier au second, & du second au troisiesme Othon, Gregoire cinquiesme s' avisa de rendre l' Empire electif. Il semble que ce nom de Gregoire ait esté fatal pour l' accroissement de la Papauté en six ou sept Gregoires, premier, troisiesme, cinquiesme, septiesme, neufiesme, unziesme, & de nostre temps en Gregoire treziesme. Parquoy fut celebré un Concil du consentement de tous les Princes de la Germanie, par lequel il fut arresté, & conclud qu' advenant la mort de l' Empereur, on y pourvoyroit par la voye d' election qui seroit commise à six Princes d' Allemagne, dont les trois seroient Ecclesiastics, les Archevesques de Majence, Treues, & Cologne, & les trois seculiers c' estoient les Marquis de Brantbourg, Duc de Saxe, & Comte Palatin. Et s' ils estoiet partis en voix, on y adjouteroit pour septiesme le Duc de Boesme pour les departir. A la charge qu' apres que l' Empereur seroit esleu, il recevroit confirmation, puis couronnement par le Pape. Ainsi par succession de temps voila la chance tournee. Car au lieu, où auparavant les Empereurs s' estoient donnez la loy d' élire, ou de confirmer les Papes esleus, maintenant par ce Decret conciliaire, ils ont ceste mesme confirmation à l' endroit des Empereurs, & ne faict-on plus de doute qu' en l' election du Pape n' y soit plus requise l' authorité Imperiale. Depuis ceste constitution ainsi faite l' on n' a point veu que les Papes n' ayent eu tres-grande puissance temporelle dans Rome, dessus les Empereurs: & encores que les aucuns leurs voulussent envier cette grandeur, si est-ce que les Papes s' en sont fait croire, quelque resistance que l' on leur ait faite. 

Il seroit impossible de dire combien ce temps là produisit de divisions & discordes aux principaux Estats de l' Europe. Car d' un costé nostre France estoit infiniement embrouillee par les factions d' Eude, & ses successeurs, qui ouvrirent la porte au Royaume à Hugues Capet. D' ailleurs chacun dans l' Italie sembloit jouer à boute-hors, d' autant que tantost un Guy, & Lambert occupent l' Estat, tantost apres eux Berenger premier, puis Louys, qui en est encores chassé par le mesme Berenger, luy d' une mesme fortune par Raoul Bourguignon, & Raoul par Hugues Comte d' Arles, & cestuy-cy par Berenger second petit fils du premier. En cas semblable l' Estat de Rome estoit en mesme conbustion. Car apres que la femme Anglesche soubs l' habit d' homme eust esté si impudente d' imposer aux yeux de toute la Chrestienté, Formose ayant esté quelques annees apres creé Pape avecq' le mescontentement de plusieurs seigneurs de la ville, Estienne sixiesme son successeur annulla tous les Decrets par luy faits, & non assouvy de ceste vengeance, par une inhumanité estrange fit tirer le corps du tombeau, & revestir d' ornemens Pontificaux: puis en forme de degradation le fit despouiller publiquement piece apres piece, & reduire en habillement laical, soubs lequel il luy fit recevoir sepulture, apres luy avoir fait couper deux doigts, & jetter dans le Tibre. Au contraire Romain successeur d' Etienne, restablit tout ce qui avoit esté annullé par son predecesseur. Et ainsi par trois ou quatre successions de Papes, chacun defaisoit ce que son predecesseur avoit fait & ordonné en ce grand theatre de Rome, à la veuë de tous les Chrestiens. 

Au bout de ces longs troubles, & divorces, comme ainsi soit que des corruptions viennent les generations, & des grands desordres, les grands ordres: aussi se planterent nouvelles polices en l' Occident. Car tout ainsi qu' en la Germanie furent establis six Magistrats pour Electeurs de l' Empire, qui ont grande auctorité pour la conservation de cest Estat: aussi quelque temps apres la venuë de Hugues Capet, qui fut presque vers le mesme temps, s' insinua entre nous en ceste France le departement de noz douze Pairs, six Ecclesiastics, & six Laiz, pour être comme Conseillers, & intendans generaux des affaires de nostre France: & de mesme façon les Papes, qui de toute ancienneté s' estoient habituez dans Rome, voyans que par devers eux demouroient les prerogatives, & anciennes remarques de l' Empire, voulurent avoir autour d' eux un conseil, de la façon que les Empereurs. Pour ceste cause commença d' être grandement elevé en authorité, & grandeur,  vers le temps de Jean dix & neufiesme, pour toutes les affaires du sainct Siege, le consistoire des Cardinaux. Toutesfois par ce que ceste compaignie pour le rang qu' elle tient entre nous, merite bien d' avoir sa remarque à part, j' en discourray en un autre chapitre ce que j' en pense devoir estre dit. 

Or combien que depuis que l' Empire fut electif, le Pape donnast presque la Loy aux Empereurs, & que par ce moyen nul Prince Chrestien ne s' ozast parangonner en authorité avecq' luy, si avoit-il une bride en sa maison qui l' empeschoit: c' estoit le peuple Romain, lequel licentieusement se dispensoit de fois à autre encontre luy. Car estant perpetuellement en luy emprainte la memoire de son ancienne liberté, il pensoit que par nul laps de temps elle ne pouvoit être prescrite. Parquoy pour aucunement contenter ses opinions desbordees, fut erigé un nouvel estat dans Rome, qui fut appellé Senateur, dont encores aujourd'huy en voit-on quelques remarques. C' estoit une image du Patritiat, qui avoit esté autrefois deferé à Charlemaigne. Et combien qu' en cestuy l' on ne veit pour dire le vray que le masque d' un Magistrat, toutesfois encores ne pouvoient avoir les Papes tel controleur à leur porte. A ceste cause Lucius second, voulant par force bannir cest office de Rome, fut à coups de pierres outragé par la commune, de telle façon qu' il en mourut. Et Eugene troisiesme son successeur, ayant excommunié le peuple, avec Jourdain leur Senateur, fut contraint d' abandonner la ville, & s' en venir en ceste France, ressource ancienne des Papes lors de leurs afflictions: Nous en voyons encores une Epistre expresse de sainct Bernard qu' il escrivit au peuple de Rome le blasmant tres-aigrement de ce qu' il s' estoit ainsi indiscrettement bandé contre son chef. Et en fut mesmement Adrian quatriesme en grande altercation avecq' les Romains. Toutesfois ayans les Papes puis apres recueilly en ce fait leurs esprits, & pourpensé que ceste dignité n' estoit qu' un amusoir de peuple, mesmes que la voulant suprimer tout d' un coup c' estoit se heurter contre une folle populace, qui est comme un torrent, lequel plus reçoit d' obstacles & barrieres, plus fait de violens efforts. Pour ceste cause ils estimerent qu' ils viendroient à la longue mieux à chef de leur intention par une sage tolerance. Ce qu' ils firent, & leur succeda ce conseil si à propos, que non seulement ce Senateur passa puis apres en toutes choses par où ils voulurent, mais en sceurent fort bien faire leur profit quand les occasions le requirent, estant un nom de Magistrat sans effect, qu' ils presentoient toutesfois aux Princes estrangers, quand ils les vouloient allecher de venir en Italie, pour prendre leur querelle en main encontre leurs ennemis. Car ainsi en userent-ils à l' endroit de Charles Comte d' Anjou, pour exterminer de Naples la posterité de Federic second: & encores depuis envers Pierre d' Arragon, pour chasser celle de Charles quand ils en furent las. En fin ceste belle qualité de Senateur, s' estant par traicte de temps changee en simple tiltre (parce que la colere du peuple s' estoit matee petit à petit) demoura par devers les Papes tout l' Estat de Rome & des environs sans aucune contradiction: Et en effect voila les procedures par lesquelles ils s' impatronizerent par le menu de ceste grande ville.

dimanche 2 juillet 2023

5. 3. Guerres civiles, entre l' Empereur Louys le Debonnaire & ses enfans.

Guerres civiles, entre l' Empereur Louys le Debonnaire & ses enfans.

CHAPITRE III.

Soudain apres que Louys eut esté recogneu heritier Souverain & Universel de l' Empereur Charlemagne son pere, dedans la ville d' Aix la Chappelle, il chassa d' aupres de soy je ne sçay quelle enjance de femmes dont la Cour de son pere estoit plaine: & quelque peu apres donna ordre à la reformation de la discipline Ecclesiastique, qui estoit aucunement en desordre. Et pour le regard des armes reduisit sous son obeissance les Bretons qui s' en estoient soustraicts. Tous actes dignes de recommandation: mais en ce dernier il fit un hola. Car en tout le demeurant de sa vie, il se monstra d' une façon assez fetarde, qui cousta depuis grandement à cette France, comme vous pourrez remarquer parce que je vous reciteray presentement.

Combien qu' il ne fust permis à un nouveau Pape, apres avoir esté esleu, d' entrer en son throsne Pontifical, qu' il n' eust esté auparavant confirmé par lettres patentes de l' Empereur, qui estoit l' un des plus beaux fleurons de sa Couronne Imperiale, toutes-fois le Pape Paschal I. de ce nom pour le peu de courage qu' il recognoissoit en nostre Empereur, ne douta de s' instaler de son authorité privee en son siege, sans le reblandir, & en fut quitte pour telles quelles excuses dont il le paya. C' est l' un des premiers coups de massuë que nostre France receut dedans la ville de Rome. Qui fut secondé par une autre recharge non moins dure. Car l' Empereur ayant depuis envoyé vers le mesme Pape, Lothaire son fils aisné, pour estre par luy honoré de la Couronne Imperiale, il receut nouvelles, qu' apres son retour, Paschal avoit dedans son Palais de Latran fait creuer les yeux à Theodore son premier Secretaire, & à Leon son Nomenclateur, & tout d' une suite fait mourir l' un & l' autre. Non pour autre raison, sinon que Lothaire sejournant à Rome ils luy avoient fait demonstration de plusieurs grands & affectionnez services. Cruauté tenuë pour tres-asseuree par toute l' Italie. Toutesfois apres quelques ceremonies d' Ambassades, dont nostre Empereur se flattoit ordinairement, il se contenta pour toute satisfaction d' un des-adveu faict par le Pape, revestu de son serment: Ores qu' il fust desdit par le seul recit de l' Histoire, & par la voix generale & universelle de tout le peuple: Les Italiens qui en s' agrandissant par effect de nos despoüilles, ne furent chiches de belles paroles, voulurent attribuer cecy à une pieté, & pour cette cause l' honorerent du mot Latin Pius, & les Sages-mondains de nostre France l' imputans à un manque & faute de courage, l' appellerent le Debonnaire. Couvrans sa pusillanimité, du nom de Debonnaireté. Sur ce propos il me souvient que le Roy Henry troisiesme disoit en ses communs devis, qu' on ne luy pouvoit faire plus grand despit que de le nommer le Debonnaire. Parce que cette parole impliquoit sous soy, je ne sçay quoy du sot. Le prenant de cette façon, c' est emporter la piece à cet Empereur. Et neantmoins de l' accuser de sottise tout à fait, ce seroit grandement errer, s' il vous plaist remarquer les deux grands coups d' Estat, dont j' ay parlé au precedent Chapitre, quand pour asseurer son Empire il fit mourir son nepueu Bernard qui estoit plus à craindre, d' une mort naturelle, & ses trois freres bastards, qui estoient de plus foible alloy, d' une mort civile. Or voyez je vous prie comme Dieu se mocque de la sagesse des hommes qui n' est qu' une folie envers luy. Et vrayement ce n' est pas sans raison qu' aux prieres de nos Eglises nous le supplions de ne se vouloir souvenir, ny de nos pechez, ny de ceux de nos peres & meres, & n' en faire tomber la punition sur nous. Le Debonnaire selon le monde s' estoit affranchy de la crainte de ceux qui luy pouvoient plus nuire. Dieu veut qu' il ne soit affligé, ny par son nepueu, ny par ses freres bastards, ains par ses propres enfans, & que cette playe saigne contre toute sa posterité jusques au dernier souspir, tant en la France, qu' Allemagne, qui est le suject du present chapitre.

Pour ne confondre cette histoire faut noter que le Debonnaire eut trois enfans masles d' Hermingarde sa premiere femme, qu' il assortit de divers Royaumes. Car à Pepin son second fils, il donna celuy d' Aquitaine, à Loys son troisiesme, celuy de Baviere, & pour le regard de Lothaire son fils aisné il le designa son heritier principal en tout le demeurant de ses terres & Seigneuries, luy donnant mesmement deslors le tiltre de Roy d' Italie, & d' Empereur. Hermingarde estant decedee, il convola en secondes nopces avecques Judict, dont il n' eut qu' un seul fils, nommé Charles, qui fut un nouveau suject de tragedie. Car elle possedant son mary, moyenna de luy une donation de tous les pays d' Austrasie, en faveur de son fils, c' est celuy que nous avons depuis appellé le Chauve. Les enfans du premier lict sont irritez de cette immense donation. Je vous traceray le crayon de cette histoire en gros, laissant les autres particularitez à ceux qui en ont cy devant escrit. Nouvelle guerre suscitee par les enfans contre le pere, dont le succez fut tel, que Judict est renduë Religieuse voilee à saincte Radegonde de Poictiers, sous la puissance de Pepin: & le Debonnaire & Charles demeurent sous celle de Lothaire. Depuis se fait entr'eux quelque surseance de mauvaises volontez, l' Empereur & sa femme restablis en leurs dignitez, par l' entremise de Pepin & Louys seulement. Judict, rongeant une vengeance mortelle contre Pepin, est la garde duquel elle avoit esté confinee, pendant son affliction, faict donner par le pere à son fils Charles le Royaume d' Aquitaine, au lieu de l' Austrasie. Quoy faisant c' estoit defrauder le titulaire de celuy qui luy estoit dés pieçà acquis. Seminaire d' une autre guerre, mais beaucoup plus furieuse que la premiere, qui produisit des espouventables effects. Car en moins de rien les enfans rendus les plus forts se saisirent en la ville de Compiegne, tant de l' Empereur que de l' Imperatrice, envoyant Judict à Tortonne ville de la Lombardie pour y tenir prison clause. Ce fait Pepin & Louys retournerent en leurs Royaumes, laissans leur pere és mains de leur frere aisné, qui luy fit faire & parfaire son procés par le Clergé. De maniere qu' en l' Eglise sainct Medard de Soissons au milieu d' une infinité de peuple, il fut degradé de sa dignité imperiale.

Quelque temps apres les deux freres puisnez ayans pitié du mauvais traictement que leur pere recevoit par Lothaire, se liguent ensemblement contre luy à la suscitation de Pepin, auquel toutesfois l' injure avoit esté faicte, & donnerent si bon ordre à leur faict que l' Empereur & sa femme furent reintegrez, nonobstant les destourbiers & empeschemens que leur frere aisné y apportast. Si en cette histoire tragique il y avoit eu quelque lieu de reprimende, c' estoit en la personne de Lothaire qui s' estoit continuellement opiniastré à la ruine de son pere, & si quelque lieu de repremiation, c' estoit en faveur des deux puisnez, lesquels apres leurs rebellions estoient revenus à recognoissance & honnestes submissions envers leur pere, luy donnans confort & ayde sur son restablissement. Toutesfois par un jugement rebours l' opiniastreté profita à Lothaire, & les submissions nuisirent à ces deux puisnez. Pepin decedé quelque temps apres, delaissé un sien fils du mesme nom que luy pour son successeur au Royaume d' Aquitaine. Judict qui d' un costé ne respiroit en son ame qu' une grandeur pour son fils Charles à quelque condition que ce fust, mais qui d' un autre avoit senty combien la main de Lothaire estoit pesante, s' advisa d' un nouveau conseil. Qui fut de l' attirer à soy en la façon qui s' ensuit. Il est mandé de l' Italie par l' Empereur qui luy propose sa volonté estre telle, de faire un partage de tous ses pays entre luy & Charles, fors & excepté celuy de Bavieres qui appartiendroit à Louys: A la charge que tout ainsi qu' il avoit tenu son plus jeune frere sur les fons baptismaux, aussi seroit-il tenu d' estre son parrain en la protection qui escherroit en son lot. Offre non seulement acceptee franchement, mais aussi promise & juree solemnellement par Lothaire. Et sur ces conventions fut faict le partage entr'eux au souhait de l' Imperatrice, dans lequel entre autres contrees escheut particulierement à son fils la Neustrie, qui est la France que nos Roys possedent aujourd'huy. Par ce partage la part & portion de Louys Roy de Bavieres estoit racourcie au petit pied sans esperance de ressource, advenant la mort de son pere. Et quant au jeune Prince Pepin, il demeuroit lourche, son Royaume d' Aquitaine estant confus en celuy de Charles le Chauve son oncle. Occasion pour laquelle le Clergé & la Noblesse d' Aquitaine envoyerent par devers l' Empereur, l' Evesque de Poictiers & quelques autres Prelats, pour le supplier vouloir avoir pitié de son petit fils. La responce qu' ils eurent de luy, fut qu' il avroit esgard à leurs remonstrances, au prochain Parlement qu' il tiendroit en la ville de Chaalons, & qu' en attendant sa responce ils s' en retournassent en leurs pays. Promesse faicte, mais non tenuë, & de faict le Parlement rompu, il s' en va avecques sa femme en Auvergne faisant partie de l' Aquitaine, où les Prelats & principaux de la Noblesse firent le serment de fidelité à Charles. De là il arrive à Poictiers en deliberation de recevoir le semblable des Poictevins, mais sur ces entrefaictes nouvelles luy vindrent que Louys son fils avoit pris les armes, & remuoit nouveau mesnage contre luy. Au moyen dequoy il fut contraint de rebrousser chemin pour luy faire teste, mais comme il estoit en cette deliberation, vaincu de l' aage & de despit pres de Majence, il fut surpris d' une maladie dont 40. jours apres il mourut. Jamais il n' y eut plus d' injustice de pere envers ses enfans que cette cy, d' apparier en tout & par tout un cadet avec son aisné, tenir Pepin son petit fils pour un chiffre, & Louys pour une piece de rebut. Nonobstant les grandes obligations qu' il eust en luy, l' Imperatrice Judict n' avoit autre plus grande asseurance pour le soustenement de son fils que Lothaire. Toutesfois Dieu veut qu' il en soit le premier infracteur, & lors voicy un nouveau mesnage qui se pratique entr'eux. Car Louys & Charles se liguent contre leur aisné avecques lequel Pepin son nepueu se mit de la partie, esperant que pour closture du jeu il trouveroit en luy quelque ressource contre Charles. Il ne fut point lors question de passer leurs affaires à l' amiable. Leur different se vuida en la campagne de Fontenay à trois lieuës pres d' Auxerre, où fut liuree une bataille la plus sanglante qui fut jamais en cette France, en laquelle mourut la fleur de la Noblesse de tous leurs pays: de là en avant ce fut rat en paille. Car ces Princes ayans affaires de guerriers & les guerriers de places à leurs bienseances, ils s' en firent accroire sans que leurs Roys les en ozassent bonnement desdire. En fin ils acheverent leurs querelles par où ils devoient commencer, & s' en rapporterent à quelques seigneurs de marque, lesquels apres avoir loti Lothaire comme aisné & Empereur, laisserent à Louys la plus grande partie de toute l' Allemagne, lequel de là en avant prit titre non de Roy de Bavieres, ains de la Germanie, & à Charles advint la Neustrie & autres pays circonvoisins, prenant pour cette cause qualité de Roy de France. Car comme j' ay dict nostre France Occidentale estoit lors appellee Westrie, & depuis Neustrie, à la difference de la France Orientale que l' on appella du commencement Ostrie, & par succession de temps Austrasie. Et à vray dire, c' est en luy auquel commença le plant de la France, tel que l' on a depuis veu continuer en la lignee de Hugues Capet. Or se donnerent-ils par leur partage la peau de l' Ours qui estoit en vie. Je veux dire non seulement ce qu' ils possedoient reellement & de fait, mais aussi ce qu' ils ne possedoient, ains pretendoient devoir posseder à tort ou à droit. Tellement que la paix generalle entr'eux arrestee, estoit un acheminement de nouvelles guerres, contre uns & autres seigneurs possesseurs, dont ils ne devoient avoir autres garends de leurs lots, que leurs glaives, ny pour ce partage toutesfois ils ne laisserent d' enjamber les uns sur les autres quand les occasions s' y presenterent. Qui fut cause pendant leurs divorces intestins, de donner voye aux Sarrazins dedans l' Italie, aux Hongres dedans l' Allemagne, aux Danois (que nous appellasmes Normans) tant en la France, qu' Allemagne: Et combien qu' auparavant ces derniers vinssent, si ainsi voulez que je le die, en nostre France a tatons, ils y vindrent sous Charles le Chauve en flotes, & depuis continuerent leurs inundations, guidez tantost de la riviere de Loire, tantost de celle de Seine, l' oree desquelles ils establirent leurs demeures premierement en la ville de Blois, puis en celle de Roüen & des environs.

Mais pour n' anticiper sur les temps, Charles le Chauve garny de son partage se voulut avant tout œuvre heurter contre Pepin son nepueu Roy d' Aquitaine, mais voyant qu' il y faisoit mal ses affaires, tourna visage tant contre les Bretons qui s' estoient donnez un nouveau Roy, que contre les Normans qui rodoient le pays d' Anjou, & de Touraine. Ausqueis il voulut opposer Robert grand Capitaine, yssu de Saxe, luy assignant un grand territoire sous le nom & tiltre de Marquisat, comme celuy qu' il destinoit pour defendre contr'eux les marches & limites de la Touraine & Anjou. Ce choix cousta puis apres la ruine totale des siens dedans cette France. Car c' est de luy dont de main à autre nasquit le Roy Hugues Capet. Ce que Charles le Chauve n' avoit peu gaigner par armes contre Pepin son nepueu, il pourpensa de l' obtenir par pratiques sourdes. Comme de fait ce jeune Roy trahy luy fut liuré par les siens, l' accusant d' exercer une cruelle tyrannie contr'eux, & tout d' une main fut rendu Moine par son oncle en l' Abbaye sainct Medard de Soissons où il paracheva ses jours, le Chauve se faisant couronner Roy d' Aquitaine dedans la ville de Bordeaux, Dieu ne le voulut pas rendre exempt de la punition qu' il devoit porter pour l' injustice par luy commise envers son nepueu. Parce que Carloman l' un de ses enfans le guerroya quelque temps apres. Vray qu' en fin vaincu, il fut condamné par le pere d' avoir les yeux creuez. Supplice auquel le pere avoit part, aussi bien comme le fils, ou bien nature manquoit en luy. Il n' est pas qu' il ne sentist une algarade du Roy de Germanie son frere sous le mesme pretexte que celuy avoit exercé contre son nepueu, d' autant qu' il fut solicité par quelques seigneurs de la France de vouloir s' emparer de l' Estat, pour mettre fin aux tyrannies que le Roy Charles exerçoit sur ses sujects. Sur cette sollicitation les portes de la France luy sont ouvertes, où sans autre destourbier il fut ordonné Roy dedans la ville de Sens, pendant que le Chauve estoit empesché contre les Normans, & advança grandement ses affaires, favorisé d' un esclair de fortune qui luy fit courte compagnie. Car ayant eu advis d' une nouvelle revolte qui se faisoit en Allemagne contre luy, pour y remedier, il y envoya ses gensdarmes & sujects qui luy estoient tres-fonciers, estimant que ceux qu' il s' estoit fraischement acquis le conserveroient en sa nouvelle dignité. En cecy grandement trompé de son opinion, parce que de la mesme facilité qu' ils s' estoient rendus à luy, ils s' en soustrahirent: Se reduisans sous l' obeïssance originaire de leur vray & legitime Roy. Et par ainsi se reconcilierent les deux freres par beaux semblans, en attendant commodité plus propice, pour empieter l' un sur l' autre. Je vous recite cecy, ne gardant point l' ordre des temps, pour monstrer en quel mesnage estoient lors les affaires de cette famille dedans nostre France.

L' Empereur Lothaire voulant faire penitence des torts & injures qu' il avoit procurees au Debonnaire son pere se rend Moine, delaissant tous & chacuns ses biens à ses enfans. Dont Louys son aisné fut Roy d' Italie, & Empereur, Lothaire son second Roy du païs d' Austrasie, qui depuis emprunta de luy le nom de Lotharingie, & Charles son dernier Roy de Provence, Dauphiné, Savoye, & d' une partie du Lyonnois. Charles meurt quelque temps apres, & delaisse son Royaume à ses deux freres qui le partagerent entr'eux sans fraude & malengin. Il fut suivy quelques ans apres par Lothaire qui n' avoit autre plus proche heritier que Louys l' Empereur son frere, lequel lors estoit empesché dans l' Italie à se defendre contre les Sarrazins, comme semblablement Louys Roy de Germanie son oncle encontre quelques siens sujects nouvellement revoltez. Il n' estoit pas adoncques question de les secourir par Charles le Chauve ainsi qu' il estoit obligé de faire, mais luy abusant de ces occasions, donna si bon ordre à son faict qu' en peu de temps il se rendit maistre & seigneur du Royaume de Lothaire, & comme tel se fit couronner Roy d' Austrasie ou Lotharinge dedans la ville de Mets. Nouvelle discorde entre les deux oncles, non pour rendre à Louys leur nepueu le bien qui luy appartenoit, ains pour le partager ensemble, & pour n' en venir aux mains, à Louys de Germanie escheurent les villes & contrees attenans le Rhin, & au Chauve, la Provence, le Dauphiné, & la Savoye. Cet Empereur Louys ainsi frustré par ses oncles decede n' ayant qu' une seule fille nommee Hermingarde: Charles le Chauve, qui estoit aux escoutes, adverty de cette mort negotie son fait de si bonne sorte avecques le Pape Jean huictiesme de ce nom, que moyennant une grande somme de deniers dont il luy fit present, ce Pape le couronna Empereur & Roy d' Italie le jour de Noüel l' an 876. luy vendant un droict auquel il n' avoit aucun droict. Toutesfois le seul tiltre coulouré de l' authorité de ce grand Prelat, luy rendit cette qualité asseuree: lequel tout d' une suitte s' achemine à Pavie, où en presence de tout le Clergé & de la Noblesse du païs, il se fit proclamer & couronner Roy de Lombardie. Je vous laisse icy les divisions & rumeurs qui se trouverent pour cette cause entre luy & le Roy de Germanie son frere: comme Carloman son premier fils voulut venir en l' Italie pour envahir l' Estat, & plusieurs autres particularitez, n' ayant icy entrepris de vous escrire toute cette histoire, ains de la vous monstrer au doigt en passant. Et me contenteray de vous dire, que tout ce qui fut lors entrepris contre le Chauve fut en vain: La fortune ne voulut permettre à Carloman de passer plus outre. Sur ces entrefaites Louys Roy de Germanie va de vie à trespas delaissez Carloman, Louys & Charles, depuis surnommé le Gras, qui tous porterent diversement titres & qualitez de Roys. Ce que je vous reciteray cy apres est un inventaire de morts violentes, & non naturelles qui se trouverent en cette famille. Charles le Chauve meurt apres en l' an huict cens septante huict, empoisonné par Zedechie Juif son medecin lors qu' il retournoit d' Italie. Auquel succeda Louys le Begue son fils unique, qui fut couronné Empereur par le Pape Jean, mais à vray dire il n' en porta que le masque. Il regna seulement deux ans, & mourut aussi de poison, tout ainsi comme son pere. Il eut deux enfans bastards, Louys & Carloman, & un legitime nommé Charles le Simple qui nasquit apres son decés. Cela fut cause que ses deux freres bastards entreprindrent sur luy la couronne de France, & regnerent quelques anees. Louys monté sur un bon coursier, poursuivant à toute bride par forme de jeu une Damoiselle, elle se lance dans une maison, ferme la porte sur soy, & ce Prince ne pouvant retenir son cheval fort en bride, se heurta de telle façon, qu' il se rompit les reins, dont il mourut. Apres sa mort Carloman son frere chassant fut tué par un sanglier, n' ayant qu' un fils nommé Louys, qui mourut dedans l' an de son regne. Et par ces trois morts, à Charles le Simple vray & legitime heritier devoit appartenir la couronne de France. Voila de quelles façons moururent ces quatre Princes chez nous. Ne pensez pas que les Princes Allemans furent de beaucoup meilleure condition. Car des trois enfans de Louys Roy de Germanie, Carloman mourut le premier, delaissé seulement Arnoul son bastard, auquel il donna par son appanage la Carinthie. Loys le Jeune eut un seul fils portant le mesme nom que luy, qui mourut du vivant de son pere d' une malheureuse mort. Car folastrant dedans une chambre avecques quelques seigneurs de son aage, il tomba casuellement du haut en bas d' une fenestre & se rompit le col: Suivy peu apres de son pauvre pere esploré. De maniere que toutes les grandes terres, Seigneuries & possessions qui estoient hors le pourprix de ce Royaume de France eschevrent à Charles le Gras restant seul & unique des Princes de ce cette famille qui habitoient outre le Rhin: Comme aussi dedans cette France ne restoit plus autre rejetton de cette grande famille des Martels que Charles le Simple.

Je commenceray par Charles le Gras, & puis acheveray par l' autre. Jamais ne se vit un si grand conflus de bonnes fortunes qu' en cettuy du commencement, & jamais Prince ne fut en fin touché d' un si malheureux revers que luy mesme, quand fortune luy voulut tourner visage. Car en moins de rien il se vit par le decés de ses deux freres, Empereur & Roy de tous les pays qui avoient esté possedez par Charlemagne son bisayeul. Manquoit à sa grandeur nostre Royaume de France, lors affligé par les courses des Normands, nostre Charles le Simple ne se trouvant assez suffisant pour leur faire teste, les François appellerent à leur secours l' Empereur Charles le Gras, & l' establirent Roy de la France, vray qu' il n' y fit pas grand sejour. Ainsi plaisoit-il à fortune, pour rendre la puissance de ce Roy generalement absoluë. Mais peu de temps apres, elle luy joüa un tour de son mestier. Car en moins d' un clin d' œil il fut abandonné de soy, de sa femme, de sa sœur Hildegarde, & de ses principaux favoris, & par mesme moyen de tous ses sujects. Je dis abandonné de soy: Parce qu' à un instant il devint stupide, & perclus de son cerveau: Je dis de sa femme, laquelle le voyant par cette indisposition, estre tombé au mespris de tous les siens, se fit separer d' avecques luy en plain Parlement, où elle jura que pendant dix ans qu' ils estoient demeurez ensemble, ils ne s' estoient cognus par attouchemens mutuels. Chose dont son mary fut d' accord. Je dis par Hildegarde sa sœur, laquelle d' un esprit bizarre, indignee du changement inopiné de son frere, au lieu de luy subvenir, sollicita à face ouverte ceux ausquels il avoit plus de fiance, de se soustraire de son obeïssance. Ce qu' ils firent; luy baillans pour son gouverneur, Arnoul bastard son nepueu, lequel sous ce tiltre s' empara des Royaumes de la Germanie & Italie, se faisant proclamer Empereur. N' estant resté pour tout partage que la mendicité à ce pauvre Prince, lequel fut contraint d' avoir recours, non aux armes pour le recouvrement de son Estat, ains aux larmes, & tres humbles supplications, a fin qu' il pleust à Arnoul luy bailler quelques terres pour son entretenement, ce qu' il fit, mais d' une main assez chiche. Tant ce pauvre Prince estoit tombé au mespris de tous. Histoire pleine de compassion & pitié, en laquelle je remarque deux Charles avoir esté grands terriens: Le premier surnommé le Grand, & l' autre le Gras: mais tout ainsi qu' en l' un residoit la vivacité de cœur, & en l' autre la pesanteur de corps & d' esprit, aussi produisirent-ils deux effects du tout contraires. Arnoul mourant laissa Louys son fils unique, successeur de son Estat, aagé seulement de sept ans, qui mourut, l' an neuf cens douze, en l' aage de dix-huict ans, sans hoirs procreez de son corps. Et en luy finit toute la posterité de Charlemagne qui habitoit outre le Rhin. Que si les loix introduites en faveur des successions, eussent lors eu lieu, il est certain que Charles le Simple, comme son plus proche parent luy devoit succeder. Mais ce fut un autre joüet de fortune, non moins miserable que Charles le Gras. Tant y a que par la mort de Louys, Conrad Duc de Franconie fut creé Roy d' Allemagne, & apres luy Henry Duc de Saxe, duquel vindrent les Othons, nouveau plant de Royauté en Allemagne. Restoit en cette France Charles le Simple, autre vray portraict entre les Princes de calamité & misere, dont premierement son bas aage, puis sa sottise furent autheurs & architectes. Car pendant son enfance, ses freres bastards usurperent sur luy la couronne, & depuis Eude son tuteur se fit couronner Roy de France, lequel mourant le restablit par son testament. Restably qu' il fut, il oublia tous les malheurs de son bas aage: & favorisant un Aganon simple gentil-homme, par dessus tous les Princes & grands seigneurs de la France, il engendra un si grand despit dans leurs ames, qu' en haine de ce seul object, Robert frere d' Eude comme son heritier se fit proclamer Roy de France, titre qui fut continué apres sa mort en Raoul Duc de Bourgongne son gendre. La France estant lors generalement affligee par le conflit de ces nouveaux Roys, contre le Simple, & entierpied par les Normans, qui sçeurent fort bien faire leur profit de ces longs troubles: en fin ce pauvre Roy finit ses jours dedans les prisons de Peronne, par les artifices d' Heribert arriere-fils de Bernard Roy d' Italie. De maniere que la Royne Ogine sa veufve fut contrainte de se retirer chez le Roy d' Angleterre son frere, avecques Louys son petit enfant, auquel pour ceste cause la posterité donna le surnom d' Outremer. Hugues le Grand, fils de Robert qui sans porter titre de Roy, fassoit trophees de nos Roys, semond Ogine de retourner en cette France avec promesse de recevoir son fils en son Throsne, comme il fit quelque peu de temps: Et neantmoins il ne fut au long aller gueres mieux traicté que son pere. Car laissant à part le demeurant de son histoire, Hugues luy fit tenir prison clause, un an entier dedans la ville de Laon, sous la garde de Thibault Normand soldat de fortune, qui dans les troubles s' estoit fait Comte de Chartres, homme du tout voüé à la faction de Hugues. Finalement ce jeune Roy estant remis en liberté, apres avoir esté diversement traversé, courant un loup, son cheval luy faut des quatre pieds, & le tua. Il avoit deux enfans masles, Lothaire, & Charles, celuy-là qui fut Roy de France par image tout ainsi que Louys d' Outremer son pere, cettuy-cy Duc de Lorraine, qui recogneut tenir son Duché en foy & hommage de l' Empire. Quelque temps apres Lothaire est empoisonné, auquel succede Louys son fils qui mourut de pareille mort. Et par son decez Hugues Capet fils de Hugues le Grand, s' impatronisa de l' Estat, sans qu' autre Prince luy fist contre-teste. Vray que deux ans apres Charles oncle de Louys, se souvint de s' y opposer, & prit les armes contre luy, mais un peu trop tard. Joinct qu' il avoit accueilly la haine publique des François, pour s' estre rendu imperialiste en son Duché. Fortune en fin pour abandonner de tout poinct cette famille, le fit liurer és mains de Hugues Capet, par la trahison d' Adalberon Evesque de Laon, auquel il avoit mis toute sa fiance. De là fut mené prisonnier avec sa femme & ses enfans en la ville d' Orleans, où ils moururent. Ainsi prist fin cette grande famille de Charles Martel en ce dernier Charles: & ainsi prindrent accroissement deux autres nouvelles familles: l' une des Othons dedans l' Allemagne, & celle de Hugues Capet dedans cette France. Pepin fils de Martel fut couronné Roy de France en la ville de Soissons l' an 750. Louys dernier Roy de cette famille mourut l' an 981. 75. ans apres la mort de l' autre Louys, qui fut aussi le dernier Roy des Carliens en Allemagne. La famille des Martels regna 237. ans en nostre France: celle de Capet jusques à huy, qui est la fin de l' an 1606. l' espace de 616. ans. Non sans recevoir unes & autres algarades, dont avec l' aide de Dieu elle s' est autant de fois garentie.

mercredi 16 août 2023

10. 25. Cheute de la seconde famille nos Roys. / Fin du Dixiesme Livre des Recherches.

Cheute de la seconde famille nos Roys.

CHAPITRE XXV.

Je laisse à nos autres Historiographes les conquestes, glorieuses victoires, & superbes arrois de cette seconde famille: car quant à moy j' ay maintenant pris pour mon partage ses ruines: Quoy faisant je ne pense rapporter peu de profit à nos Princes, & grands Seigneurs, quand de bon heur ils se feront sages par la folie d' autruy. Nous sommes les gettons des Roys, qu' ils font valoir plus ou moins, comme il leur plaist, & les Roys sont les gettons de Dieu: Jamais famille ne receut plus de faveur, & benediction du ciel, que celle des Martels en trois Princes consecutifs, Charles Martel, Pepin, & Charlemagne & jamais elle ne fut tant terrassee qu' en trois autres, qui les survesquirent, Louys le Debonnaire, Charles le Chauve, & Louys le Begue. Je nomme entre ces six Charles Martel, ores qu' il ne portast jamais titre de Roy entre les siens, mais ce fut luy qui par sa proüesse & sage conduite, fit voye aux siens à la Royauté. Joint qu' apres son decez, sa statuë fut honoree d' une Couronne Royale, en son tombeau, comme l' on peut voir en l' Eglise, & Abbaïe de S. Denis. Les trois premiers furent torrens de fortune, qui l' augmenterent: les trois derniers precipices qui la ravalerent: car quant aux autres qui leur succederent, ce ne furent que des avortons qui ne firent que contenance de regner sans regner. Et combien qu' en Charlemagne fust l' accomplissement de la grandeur de cette famille; toutesfois je dirois volontiers s' il m' estoit loisible, qu' il jetta les premiers fondemens de la ruine. Vous entendrez les raisons pourquoy.

Le Roy Pepin mourant laissa deux enfans, Charles & Carloman: Ausquels par partage fait entr'eux escheut tout ce qui estoit compris és Gaules dedans l' enceinte du Rhin, monts Pyrenees & Apennin: & à Carloman tout ce qui nous appartenoit au delà du Rhin. Cestuy-cy mourut trois ans apres le decez de son pere, delaissez de la Royne Berthe sa femme, deux enfans. Et adonc Charles, par un droict de bienseance s' empara de tous & chacuns leurs pays. Chose dont la veufve voulant avoir premierement sa raison, se retira avec ses enfans vers Tassilon Duc de Baviere, mais l' ayant trouvé trop foible, pour venir à chef de cette vengeance, elle prit sa route vers Didier Roy des Lombards, qu' elle pensoit avoir juste cause d' indignation contre luy. D' autant qu' ayant espousé en premieres nopces Theodore sa fille, il la luy avoit renvoyee dedans le premier an de leur mariage. Toutesfois le malheur voulut, que Didier ayant esté desconfit à la semonce du Pape Adrian par Charles, & despoüillé de son Royaume, fut avec sa Royauté enseveli le tort que Charles tenoit à ses nepueux. Cette histoire est aucunement touchee par nos Annalistes, & toutesfois mise au rang des pechez oubliez, comme si ce ne fust qu' une peccadille d' avoir mis à nud ses nepueux en la succession de leur pere. Peché neantmoins qui fut rudement vangé sur les siens par un juste jugement de Dieu.

Apres avoir repudié la fille du Roy Didier, il espousa consecutivement trois femmes, dont de la premiere il eut six enfans, Charles, Pepin, Louys, Bertrude, Berthe, & Gillette: de la seconde, Tetrude, & Hildude: & de la troisiesme, nuls. Charles mourut du vivant du pere, sans hoirs procreez de soy, Pepin son second fils Roy d' Italie mourut pareillement le pere vivant, delaissé son fils Bernard pour son successeur: De maniere qu' à Charles (depuis dit Charlemagne, pour la magnanimité de ses faits) ne restoit plus de masle que Louys pour son fils, & Bernard pour arriere-fils. Or est-ce la verité qu' apres le decez de sa quatriesme femme il se ferma en matiere de mariage. Mais comme il est mal aisé de tenir une bonne fortune en bride, aussi ce grand Prince ayant attaint au dessus de tous ses desirs, par les grandes victoires qu' il avoit rapportees de ses ennemis, commença de n' avoir dedans sa maison, autre plus grand ennemy que soy mesme. Se donnant à la veüe de tous diverses garces, desquelles il eut trois bastards, Dreux, Hugues, & Theodoric, sans faire estat des bastardes. Et à l' exemple de luy, ses propres filles ne manquerent de serviteurs, non plus que la plus part des autres Dames. De maniere que la Cour de ce grand Empereur, n' estoit qu' une banque de toute honte & pudeur. Qui le fit tomber en telle nonchalance de son devoir, que combien qu' en luy fut l' accomplissement de cette famille: toutes-fois la fin de sa vie fut le commencement de sa ruine.

François Petrarque fort renommé entre les Poëtes Italiens, discourant en une Epistre Latine son voyage de la France, & de l' Allemagne, nous raconte que passant par la ville d' Aix la Chappelle, il apprit de quelques Prestres une histoire prodigieuse, qu' ils tenoient de main en main pour tres-veritable. Qui estoit que Charles le Grand, apres avoir conquesté plusieurs païs, s' esperdit de telle façon en l' amour d' une simple femme, que mettant tout honneur & reputation sous pieds, il oublia non seulement les affaires de son Empire, mais aussi le soing de sa propre personne, au grand desplaisir de chacun. Estant seulement ententif à courtizer ceste Dame, laquelle par bon heur commença de s' alliter d' une fort grosse maladie qui luy apporta la mort. Dont les Princes & grands Seigneurs furent grandement resjoüis. Esperans que par cette mort Charles reprendroit comme devant, & ses esprits, & ses affaires en main. Toutesfois il se trouva tellement infatué de cet amour, qu' encores cherissoit il ce cadaver, l' embrassant, baisant, & accolant de la mesme façon que devant, & au lieu de prester l' aureille aux legations qui luy survenoient il l' entretenoit de mille bayes, comme s' il eust esté plein de vie. Ce corps commençoit desja, non seulement de mal sentir, mais aussi se tournoit en putrefaction, & neantmoins n' y avoit aucun de ses favoris qui luy en ozast parler; Dont advint que l' Archevesque Turpin mieux advisé que les autres, pourpensa que telle chose ne pouvoit estre advenuë, que par quelque sorcelerie. Au moyen dequoy espiant un jour l' heure, que l' Empereur s' estoit absenté de la chambre, commença de foüiller le corps de toutes parts: Finalement trouva dedans sa bouche au dessous de sa langue un anneau, qu' il luy osta le jour mesme. Charlemagne retournant sur ses premieres brisees, se trouva fort estonné de voir une carcasse ainsi puante. Parquoy, comme s' il se fust reveillé d' un profond somme, commanda que l' on l' ensevelit promptement. Ce qui fut fait, mais en contr'eschange de cette folie, il tourna tous ses pensemens vers l' Archevesque porteur de cet anneau, ne pouvant estre de là en avant sans luy, & le suivant en tous les endroits. Quoy voyant ce sage Prelat, & craignant que cet anneau ne tombast és mains de quelque autre, le jetta dedans un lac prochain de la ville. Depuis lequel temps l' on tenoit que l' Empereur s' estoit trouvé si espris de l' amitié du lieu, qu' il ne desempara la ville d' Aix, où il bastit un Palais, & un Monastere, en l' un desquels il parfit le reste de ses jours, & en l' autre voulut y estre ensevely: ordonnant par son testament que tous les Empereurs de Rome eussent à se faire sacrer premierement en ce lieu.

Que cela soit vray ou non je m' en rapporte, tout ainsi que le mesme Petrarque, à ce qui en est: si estoit-ce un commun bruit, qui lors couroit en la ville d' Aix, lieu ou reposerent les os de Charlemagne. De laquelle histoire ou fable Germantian a fort bien sceu faire son profit, pour averer & donner quelque authorité à l' opinion de ceux qui soustiennent les malins esprits se pouvoir enclorre dedans des anneaux. Or que Charlemagne fust grandement adonné aux Dames sur la fin de son aage, mesme que ses filles qui estoient à la suite fussent quelque peu entachees d' amourettes, Aimoïn le Moine, vivant du temps du Debonnaire, nous en est tesmoin authentique: qui dit qu' à l' advenement de ce Prince à la Couronne, la premiere chose qu' il eut en recommandation, fut de bannir de la Cour les grands troupeaux des filles de joye qui y estoient demeurez depuis le decez de Charlemagne son pere, & aussi de confiner en certains lieux ses sœurs, qui ne s' estoient peu garentir des mauvais bruits, pour la dissoluë frequentation qu' elles avoient euës avec plusieurs hommes. Quelque grandeur de souveraineté qui soit en un Roy, ores que comme homme, de fois à autres il s' eschape, si doit-il tousjours rapporter ses pensees à Dieu, & croire qu' il est le vray juge de nos actions, pour les punir quelquesfois en nous de nostre vivant, ou bien à nos enfans apres nos decez. Chose que trouverez averee en ce que je discourray cy-apres. N' attendez doncques de moy au recit de ce present suject, que des injustices, partialitez & divisions entre les peres & les enfans, guerres civiles de freres à freres, oncles qui malmenerent leurs nepueus, tromperies entremeslees de cruautez, le tout basty par juste jugement de Dieu. Et parce que des trois enfans masles de Charlemagne il ne restoit que Louys le Debonnaire son fils, & Bernard son petit fils, c' est en cestuy auquel je commenceray les discours de cette histoire tragique.


Fin du Dixiesme Livre des Recherches.

tombeau, Charlemagne, Carlomagno, Carolus Magnus, Carles Magne, Carolo Magno

samedi 1 juillet 2023

5. 2. Que la mort de Bernard Roy d' Italie petit fils de l' Empereur Charlemagne fut une mort d' Estat,

Que la mort de Bernard Roy d' Italie petit fils de l' Empereur Charlemagne fut une mort d' Estat, contre l' opinion commune de nos Historiographes.

CHAPITRE II.

Charlemagne auparavant que de mourir avoit faict Pepin son fils aisné, Roy d' Italie, & Louys son puisné Roy d' Aquitaine. Ce fut une Loy depuis observee en cette famille, qu' à l' aisné qui devoit succeder à l' Empire estoit donné le Royaume d' Italie, voire dés le vivant du pere mesme. Ainsi fut-il baillé par l' Empereur Louys le Debonnaire, à Lothaire son fils aisné, ainsi par le mesme Lothaire à Louys aussi son aisné. Le tout de la mesme façon que nous appellons aujourd'huy Roy des Romains, celuy est destiné à l' Empire apres la mort de l' Empereur: Tiltre qui a esté emprunté de cette longue ancienneté. Car entre le Roy d' Italie & des Romains, il n' y avroit pas grande difference qui accompagneroit le Roy des Romains de l' effect. Advint que le Roy Pepin meurt du vivant de Charlemagne son pere, & par sa mort transmit le Royaume d' Italie à Bernard son fils: Auquel consequemment si le droict de representation eust lors eu lieu, la Couronne Imperiale estoit deuë. Nos Historiographes nous enseignent que Louys dés le vivant de son pere avoit esté par luy associé, & faict compagnon de son Empire. De moy, je le veux croire avec eux, encores que le Prince Nitard petit fils de Charlemagne par sa fille Berthe, n' en face aucune mention en sa vie, Regnavit (dit-il parlant de Charlemagne) per annos duos & triginta, Imperijque gubernacula cum omni foelicitate per annos quatuordecim poßedit. Haeres autem tantae sublimitatis Ludovicus filiorum eius ex iusto matrimonio susceptorum novissimus, caeteris decedentibus succeßit. Qui ut pro certo patrem deceßisse comperit, Aquas ab Aquitania protinus venit, quo undique ad se venientem populum suae ditionis addixit. S' il eust esté fait Empereur dés le vivant du pere, ce placard meritoit bien d' estre icy enchassé. Et à vray dire, qui prendroit ce passage par la simple lettre, sans y apporter quelque commentaire, il sembleroit que Louys demeurant dedans l' enceinte de France, ayant eu les premieres nouvelles de la mort de son pere, eust gaigné le devant de Bernard son nepueu qui residoit en Italie, & l' eust supplanté de la benediction de son ayeul.

Or combien que je ne vueille pas aisément desdire en cet endroit l' opinion commune de cette association d' Empire, toutesfois je soustiendray librement, que jamais il n' y eut chose qui affligea tant l' Empereur Louys en son ame, que Bernard, lequel il fit quelque temps apres mourir, feignant qu' il s' estoit voulu rebeller contre luy. Qui estoit une accusation supposee pour apporter quelque excuse à cette mort. Je sçay bien qu' à cette parole j' arresteray tout court le Lecteur, pour estre le premier de ce nom qui mette cette opinion en avant. Je ne me veux point icy chatoüiller: mais voyez si mes conjectures sont bonnes, que j' emprunte de ceux mesmes qui accusent Bernard de rebellion.

Premierement la question n' est pas petite de sçavoir si ce crime de rebellion pouvoit tomber en celuy, qui se pouvoit pretendre estre fondé en juste tiltre par le moyen du droict d' ainesse qu' il pensoit estre fondu en luy par la representation du Roy Pepin son pere, fils aisné de Charlemagne. Mais laissant cette particularité en arriere, qui estoit toutesfois le motif de la crainte du Debonnaire, ceux qui nous ont redigé sa vie par escrit, disent que ce Bernard reduit aux termes de desespoir, voyant son oncle s' armer contre luy, le vint trouver en cette France, & se prosternant à ses pieds, le supplia tres-humblement de luy vouloir pardonner sa faute: comme feirent semblablement tous ses complices, & entre autres un Reginard son Connestable: Toutesfois qu' ils ne le peurent de luy obtenir, ains furent mis entre les mains de la justice, qui condamna entre les autres, Bernard à mort, & que l' oncle meu de pitié, voulut qu' il eust seulement les yeux creuez, dont ce jeune Prince indigné, mourut trois jours apres de regret. Voila le courant de cette histoire. Par tout le discours de la vie de Louys le Debonnaire, on le represente un Prince calme le possible, lent & tardif à se courroucer, prompt à se reconcilier, enclin à la misericorde, qui ne refusa jamais pardon à celuy qui luy demandoit, quelque conjuration qu' il eust auparavant brassee. Ainsi en usa-il envers Guinemark qui avoit fait revolter la Bretaigne contre luy: Ainsi à l' endroict de Berca Comte de Barcelone convaincu de crime de leze Majesté: ainsi à ceux qui avoient suivy le party de Lothaire son fils, commuant la condamnation de leurs morts en bannissemens, & ainsi à une infinité d' autres Seigneurs factionnaires. Bernard seul se trouva ne pouvoir joüir de cette clemence, lequel se tenant clos & couvert dedans son Royaume d' Italie, pouvoit longuement amuser les forces de l' Empereur, qui mieux aimoit le repos d' une Chambre, que la poussiere des champs, toutesfois comme asseuré de sa conscience, il se vint jetter entres ses bras: dont vient que l' oncle fut chiche de sa misericorde envers son nepueu, luy dis-je, qui en estoit prodigue envers ceux qu ne luy attouchoient de proximité de lignage. Je n' en rendray point la raison, ains le lairray juger par celuy, qui non preocupé d' opinion, se donnera le loysir de me lire. On me dira que pour me flater j' adjouste icy à la lettre, & que Bernard ne se presenta à l' Empereur, que lors qu' il ne sçavoit plus de quel bois faire fleches. Belle objection vrayement, qui la pourroit lier avecques ce qui s' estoit passé. Car quand Bernard vint en France, il n' avoit encores senty aucuns efforts de la guerre, ains seulement sur un bruit que son oncle s' armoit souz un faux donner à entendre que Bernard s' estoit remué contre luy. Tout cela, ce sont paroles (me dira quelque autre) bonnes à estre contestees en un barreau par des Advocats qui combatent pour la vraysemblance, & non pour la verité. Or entendez je vous prie ce que j' ay maintenant à vous dire. Charlemagne, outre Pepin & Louys ses deux enfans legitimes, avoit trois bastards, Dreux, Hugues, & Thierry. Voyez ce qu' en recite Nytard duquel je fais tres-grand fonds en cette histoire: lequel apres avoir touché, & la venuë de Louys en la ville d' Aix, & la reception qui luy fut faite par ses sujets, comme je l' ay icy dessus representé, dit ainsi: Fratres quoque adhuc tenera aetate Draconem, Hugonem, & Theodoricum participes mensae esse, quos & in Palatio una secum nutriri praecepit, & Bernardo nepoti suo Pepini Regnum Italiae conceßit. Qui quoniam paulò pòst, ab eo defecit, capitur, & à Bertmondo Lugdunensis provinciae praefecto luminibus pariter & vita privatur. Hinc autem metuens ne post dicti fratres, populo solicitato eadem facerent, ad conventum publicum eos venire praecepit, totondit, ac sub libera custodia commendavit. Pour le regard des bastards, on voit à l' œil une moinerie, ou pour mieux dire mommerie d' Estat, pardevant un Parlement & assemblee generale des Princes & grands Seigneurs: Et quant à la mort de Bernard, il y apporte quelque excuse en cette parole Defecit, comme aussi escrivant l' Histoire de son temps, & de son oncle, il luy eust esté aucunement mal seant de ne donner quelque lustre à cette mort. Mais le subsequent des bastards me fait juger de l' antecedant pour Bernard, & qui me fortifie plus en mon opinion, c' est que l' autheur qui donna entre les anciens plus de façon à cette histoire de rebellion, nous enseigne que le Debonnaire quelque temps apres espoint d' un bon instinct de sa conscience, en un solemnel Parlement qu' il tint en son Palais d' Attigny, fit confession & penitence publique de ces deux fautes par luy commises. Anno subsequenti (dit cet Autheur) domnus Imperator conventum generalem coire iußit in loco cuius vocabulum est Attiniacus: In quo, convocatis ad concilium Episcopis, Abbatibus, spiritualibusque viris, necnon Regni sui proceribus, primo quidem fratribus reconciliari studuit, quos inuitos attonderi fecerat. Post haec autem palam se erraße confessus, & imitatus Imperatoris Theodosij exemplum, poenitentiam spontaneam suscepit, tam de his, quam quae in Bernardum proprium nepotem gesserat: S' il y avoit eu de la rebellion au nepueu, il ne falloit point de penitence à l' oncle. La juste condamnation de l' un estoit la justification de l' autre. Et à peu dire entre les chefs, pour lesquels il fut depuis degradé de sa dignité Imperiale par le Clergé dedans la ville de Soissons, à l' instigation de Lothaire son fils aisné, cestuy concernant ses freres & son (neueu) nepueu estoit le premier. Eo quod fratribus & propinquis (portoit le narré de l' arrest) violentiam intulerit, & nepotem suum, quem ipse liberare poterat, interficere permiserit. Passage qui ne porte pas que l' Empereur eust fait mourir le Roy son (neueu) nepueu, ains que le pouvant empescher il ne l' avroit fait. Qui monstre qu' en cette mort il y avoit plus du fait des hommes, que de Dieu, ou de la Justice. Aussi estoit-ce l' un des points que Thegan coadjuteur de l' Evesque de Triers, reprenoit en luy particulierement, que pendant que comme devot il s' amusoit trop à Psalmodier, & comme adonné aux bonnes lettres, il consommoit la meilleure partie du temps à la lecture des livres, ses conseillers & favoris luy faisoient acroire tout ce qu' ils vouloient. Omnia cautè & prudenter agens (dit cet Autheur parlant de luy) nihil indiscretè faciebat, praeterquam quod consiliarijs suis magis credidit quàm opus esset. Quod ei fecit Psalmodiae occupatio, & lectionum aßiduitas.

Bernard ayant esté occis, son corps fut porté en la ville de Milan, où il repose. Et combien que toute l' Italie fust de là en avant du tout exposee sous la puissance du Debonnaire, & que la mort du jeune Prince fust excusee par les courtizans, sous le pretexte de rebellion, toutesfois au veu & sceu de l' Empereur on l' honora de cet Epitaphe dans la principale Eglise: Bernardus civilitate mirabilis, caeterisque pijs virtutibus inclytus Rex, hic quiescit. Regnavit an. 4. Mens 5. Obiit 15. Cal. Maij indict. II. filius piae memoriae Pepini. Epitaphe, si je ne m' abuse, qui faisoit le procez au procez qu' on luy avoit fait. Et qui me fortifie de plus en plus à mon opinion, c' est qu' Adon Evesque de Vienne qui florit vers le temps de Charles le Chauve, & s' estoit du tout voüé à la celebration de cet Empereur, se donna bien garde en sa Chronique de parler, ny de la mort de Bernard, ny de la degradation des trois freres bastards, comme estans pieces qu' il ne pouvoit debiter sans obscurcir cette histoire. Ce Roy Bernard laissa un fils unique, nommé Pepin, qui eut trois enfans, Bernard, Pepin, & Heribert Comte de Vermandois (que le commun de nos Annales appelle par abreviation Hebert). Cestuy entres autres siens enfans eut un Aldebert fils puisné. D' un autre costé Louys le Debonnaire fut pere de Charles le Chauve, duquel nasquit Louys le Begue, & de luy Charles le simple. Admirable justice de Dieu qui se trouve entre ces deux familles. Car soit, ou que pour asseurer son Estat souz le masque de rebellion, ou non, Louys le Debonnaire eust consenty à la mort du Roy Bernard son nepueu, tant y a que ceste playe saigna longuement.

Parce que Dieu voulut en ramantevoir la vangeance en la troisiesme generation de l' une & de l' autre famille, je veux dire jusques à Charles le Simple, que Heribert fit mourir dedans les prisons de Peronne: Et pour accomplissement de vangeance (chose pleine de honte & pudeur) Ogine veufve de Charles, convoia en secondes nopces avec Aldebert fils d' Heribert. Qui estoit assassiner tout à fait la memoire de son mary. En effet voila quel jugement je fais de cette Histoire, que je supplie tout favorable Lecteur vouloir prendre de bonne part.

mardi 23 mai 2023

LIVRE SECOND. CHAPITRE I. Lequel des deux, de la Fortune, ou du Conseil, a plus ouvré à la manutention de ce Royaume de France.

DES RECHERCHES DE LA FRANCE.

LIVRE SECOND. 

Lequel des deux, de la Fortune, ou du Conseil, a plus ouvré à la manutention de ce Royaume de France. 

CHAPITRE I.

Toutes les fois que je considere en moy les traverses qu' a receu nostre Royaume, je ne puis qu' avec grande admiration, je ne m' estonne & ne mette entre les choses qui se sont passees plus miraculeusement en ce monde, comme il a esté possible que sain & entier il se soit perpetué jusques à nous. D' autant que s' il vous plaist repasser la plus part des Royaumes qui se feirent grands par les ruynes de l' Empire, vous les trouverez avoir esté fort transitoires, & par maniere de dire, en moins de rien s' être esvanoüis en fumee. Car les Bourguignons qui commencerent à s' accroistre en grandeur sur le temps de Gratian Empereur, se trouverent abastardis environ l' Empire d' Anastaise: qui sont peut-être cent ans. Et les Vandales (appellez par noz anciens Vvandels - Wandels) qui sous Valentinian le tiers, par la semonce de Boniface, avoient avecques leur Roy Gentzerich occupé le pays d' Affrique, en furent totalement expulsez par le grand Belissaire du temps de Justinian, c' est à dire soixante ans apres leur entree: Semblablement les Ostrogots, qui avecques leur Roy Theodoric du consentement de l' Empereur Zenon, s' estoient faicts maistres de l' Italie, & d' une partie de la Provence, furent de fonds en comble rasez par la derniere rencontre que Narses eut contr' eux du temps de l' Empereur Justin: qui est environ soixante ou quatre vingts ans pour le plus apres leur premiere venuë. Et les Lombards, qui sous le mesme Empereur à l' instigation de Narses, s' emparerent de la Gaule Cisalpine, prenans leur fin soubz nostre preux Charlemagne, ne durerent que deux cens dix ans. 

Nous seuls, qui avions comme les autres trouvé nostre grandeur dedans les despoüilles de Rome, sommes demourez redoutez & florissans jusques à huy, sans avoir enduré la possession d' autres Roys que de ceux qui ont faict estat de la Gaule comme de leur vray sejour. Certes qui considerera noz affaires, à peine qu' il puisse bonnement balancer, auquel des deux nous sommes plus redeuables de ceste prosperité & bon heur, ou à la fortune & hazard, ou à une bonne conduitte. Car qui est celuy, je vous prie, qui ne trouve grandement esmerveillable, quand apres la mort de Clovis le Royaume ne commençant encor qu' à naistre, il se trouva par deux fois demembré en quatre parties, avecques une infinité de guerres civiles, & neantmoins que la fortune nous fut de tant favorable, qu' apres tant de divisions, il se reconsolida en fin de compte par la mort des autres Roys en un seul ? Au surplus, lors que noz Roys commencerent par leur neantise à s' abastardir, ne fut ce point chose estrange & non accoustumee d' eschoir qu' à ceste belle occasion aucuns estrangers s' ingerassent d' enjamber dessus noz marches, comme l' on avoit veu auparavant advenir à ce grand Empire Romain? Et s' il nous faut passer plus bas, quel plus grand miracle de fortune sçavroiton dire, que quand le Royaume fut divisé en tant de Ducs & Comtes, qui depuis Charles le Simple jusques bien avant souz la lignee de Hugues Capet faisoient contreteste à noz Roys, toutesfois à la fin finale fut le tout reuny à la Couronne & en la personne du Roy? Je n' adjouste à tout cecy que le Royaume estant au dessouz de toutes affaires, le temps a tousjours eufanté quelques braves Princes & Seigneurs, quasi pour relever à poinct nommé la grandeur de ceste nostre Monarchie. Tesmoins en sont les Martels & Pepins, pendant l' assopissement de la generation de Clovis, tesmoin en est un Conquerant, par la vaillantise duquel noz Roys sont demourez en partie tels que nous les voyons aujourd'huy: combien qu' au precedant pour la multitude des Ducs & Comtes, ils ne servissent quasi que de monstre. Et depuis les Anglois desertans la France par plusieurs ans, se trouva finalement ce gentil Roy Charles septiesme, qui par la proüesse & prudence de ses bons Capitaines, les en extermina de tout poinct. Qui sont toutes œuvres de la Fortune: car si les choses eussent pris plus longue traitte, sans nous donner à chaque occasion Princes ainsi magnanimes, à la verité il n' y alloit que de la ruyne de France. Quand je nomme icy la Fortune, afin que je n' appreste à aucuns, occasion de se scandaliser, j' entens les mysteres de Dieu qui ne se peuvent descouvrir par nostre prudence humaine.

Et toutes fois qui avecques la Fortune voudra considerer la police & bonne conduitte de noz Roys, je m' asseure qu' il l' à trouvera n' avoir cedé à la Romaine. En quoy me semble que pour deduire les choses de leur fondement, il faut que selon les mutations des lignees nous considerions diversement les confirmations du Royaume. Premierement, s' il vous plaist discovrir en quel estat furent noz affaires souz Clovis, trouverez vous plus grand Roy, soit que nous tournions nostre esprit aux armes, soit que nous nous arrestions à la paix & *ment d' une commune police. Lequel ayant forcé par sa vaillance les Gaules, & rendues souz luy paisibles, n' eut chose en plus grande recommandation pour perpetuer sa Monarchie, & gaigner le cœur de ses subjets, que de s' accommoder à la commune Justice, & ensemble Religion du pays. Parquoy usans les Gaulois par ancienne observance de la police qui long temps auparavant leur avoit esté prescrite par les Romains: & semblablement estans de commune profession Chrestiens: Clovis, comme Prince sage & advisé n' eschangea rien des Comtes (qui estoit invention Romaine) & entant que touche la Religion Chrestienne, il en prit aussi le vray & sainct caractere. Laquelle chose, combien que je pense qu' elle luy vint en partie par zele & devotion, fut (comme je croy) l' un des principaux moyens par lequel il attira le commun peuple de Gaule à luy porter affection. Aussi ont remarqué Procope & Agathie qui attouchoient presque son temps, & la Justice, & la Religion, en nos Roys par dessus tous autres Princes qui avoient occupé les Provinces des appartenances de l' Empire. Et à dire le vray, il captiva tellement le cœur des Gaulois, que long temps apres combien que ses successeurs ne s' entretinssent envers le peuple que par image, sans avoir l' œil sur leurs affaires, toutesfois la chose en quoy se trouva le plus empesché Pepin, voulant faire tomber la Couronne en sa famille, fut à desraciner ceste ancienne opinion que le peuple avoit conceüe de la lignee de Clovis. Au moyen dequoy il s' advisa par une gentille invention d' y employer la saincte auctorité du Pape. De maniere, qu' estant le Royaume reduict soubs la puissance des Martels, outre les armes ausquelles ils furent fort florissans (car ils confirmerent souz nostre vasselaige l' Allemaigne, gaignerent toute l' Italie, & esbranslerent par plusieurs fois les Espaignes) fut par eux introduitte une notable police souz Pepin & Charlemaigne, lesquels en leurs plus urgens affaires, commencerent de faire assemblees sans feintise de leurs Barons. Je dis assemblees sans feintise: d' autant qu' assez long temps auparavant les Maires, pour tromper le peuple en avoient introduit l' usage: faisant Pepin & son fils communication des affaires publiques à leurs premiers & grands seigneurs. Comme si avec la Monarchie, ils eussent voulu entremesler l' ordre d' une Aristocratie & gouvernement de plusieurs personnages d' honneur. Ce qui a esté l' un des premiers commencemens des Parlemens que nous avons en ceste France, comme je pense deduire au chapitre ensuivant. Vray que tout ainsi qu' en la personne de Charlemaigne, nostre Royaume se trouva grand en extremité, aussi fut ceste grandeur bornee en luy, & ses deux devanciers Pepin & Martel, se trouvant ce grand feu amorty en leurs successeurs. Tellement qu' en Hugues Capet (trosiesme changement de lignee) qui ne fut si grand guerroyeur, se trouverent les grandes polices: Car là où auparavant nos conquestes estoient furieuses, les estendans sur une Allemaigne, Italie, & Espaigne, de là en avant nos Roys se contentans de leurs frontieres, commencerent au lieu de leurs armes, à se fortifier par loix pour entretenir leur grandeur. De là fut mise en avant l' opinion des douze Pairs de France, de là l' entretenement des Parlemens en leur auctorité & grandeur, à la decision des affaires de la Justice, souz le jugement dequels mesmes se soubmet la Majesté de nostre Prince: Puis le renouvellement de la loy Salique, introduction d' appennages aux fils de Roys, interdiction des dons & alienations du domaine de la Couronne sans cognoissance publique: appellations comme d' abus pour brider sans aucun scandale la puissance des Prelats, entreprenans dessus l' auctorité Royale: Regallesen Eveschez & Archeveschez, & autres mille telles considerations, lesquelles bien pesees certainement il se trouvera que toutes les maximes qui sont requises à maintenir en sa grandeur une Monarchie de marque, se trouvent observees en la nostre. De toutes lesquelles choses ou partie d' icelles nous parlerons à leur rang, tant en ce deuxiesme livre, qu' aux autres, selon que les occasions nous admonesteront de faire. Qui monstre qu' en nostre Republique, le conseil ayant esté conjoinct d' une mesme balance avec la fortune, noz Roys sont arrivez à ceste grandeur que nous les voyons aujourd'huy: En laquelle Dieu les vueille continuer sans foule & oppression de leurs subjects.