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mercredi 9 août 2023

9. 15. Introduction des Colleges, & signamment de celuy de la Sorbonne.

Introduction des Colleges, & signamment de celuy de la Sorbonne.

CHAPITRE XV.

Jusques icy nous avons parlé de l' Estat auquel estoit l' Université de Paris, c' est à dire jusques en l' an mil deux cens cinquante. D' ores en avant nous discourrons de l' Institution des Colleges, qui apporta nouveau visage, & deduirons de quelle façon nos lectures furent exercees, & l' ont esté jusques à huy: qui n' est pas une recherche de peu de merite. Charondas Legislateur des Thuriens fut grandement solemnizé par nos ancestres, de ce qu' entre autres choses, il avoit ordonné que les bonnes lettres fussent enseignees aux despens de la Republique. A fin que le pauvre y eust par tout, ainsi comme le plus riche. Cette mesme opinion entra par succession de temps és testes d' uns & autres Prelats & Seigneurs de nostre France: non pour en faire une loy generale par toute la ville de Paris (cestuy fut un coup de Maistre, je veux dire du grand Roy François premier de ce nom, dont je parleray en son lieu) ains aux petites communautez qu' ils voulurent bastir. Car apres que le mesnage de nostre Université eut esté ainsi diversement conduit & manié, comme je vous ay discouru, il prit une nouvelle devotion aux Seigneurs, & principalement Ecclesiastiques, de bastir des maisons en cette Université (qui furent appellees Colleges) en faveur des pauvres, qu' ils vouloient y estre habituez, sous le nom de Boursiers, & y estre nourris & enseignez, aux despens du revenu par eux pour cet effect assigné. Le premier que je trouve en avoir esté l' inventeur, ce fut nostre bon Roy Sainct Louys, suivy par Maistre Raoul de Sorbonne son Confesseur, par lequel je commenceray au village de Sorbonne pres de Sens, comme quelques uns estiment, & les autres en un village de mesme nom, au Retelois.

Ce fut anciennement une coustume fort familiere à ceux qui pour avoir quelque asseurance de soy, se vouloient mettre sur la monstre, d' emprunter le surnom des lieux où ils estoient nez, plus soucieux de les honorer, que leurs familles. Ainsi le veirent nos ancestres en un Pierre de Alliaco, premierement grand Maistre du College de Navarre, puis Cardinal. Ainsi en Jean Cacliere, qui se nomma Jean Gerson, en Nicolas de Clamengy, en Henry de Gandauo, en Guillaume de Lorry, qui premier esbaucha le Roman de la Roze, en Jean de Mehun, qui le paracheva, lequel estoit surnommé Clopinel: & à peu dire, ainsi le veit-on en ce Maistre Robert de Sorbonne, qui eut pere & mere de basse condition, comme nous apprenons du Sire de Joinville en la vie de sainct Louys. Toutesfois il se fit paroistre par ses estudes personnage de grand sens. Et pour premier mets de sa fortune, fut honoré d' une prebende de Cambray, puis d' une autre en l' Eglise nostre Dame de Paris. Entre ses œuvres nous trouvons un traicté concernant le fait de nos consciences, & seroit impossible de dire combien il est plein de devotion & belles sentences. Vous pourrez juger par cette premiere desmarche, quel est le demeurant de son escrime. Multi multa sciunt, seipsos nesciunt, quaerunt Deum per exteriora, & seipsos nesciunt per interiora. Quid prosunt litterae eruditionis Prisciani, Aristotelis, Justiniani, Gratiani, Galeni, in pellibus ovinis, & caprinis, nisi deleas de libro conscientiae tuae, litteras mortis. Quid prosunt haec lecta, & non intellecta, nisi te ipsum legas & intelligas. Proposition certes pleine de pieté, & ainsi va le demeurant de l' œuvre. Qui le rendit avec quelques autres siens traictez si recommandable, que nostre Roy sainct Louys le voulut voir, & apres l' avoir haleiné, luy fit quelquesfois cet honneur de le faire disner avec luy, & depuis en usa fort pieusement, comme l' un des principaux outils de sa conscience, le prenant pour son Confesseur.

Ce bon Roy bastit plusieurs Temples & Hospitaux en l' honneur de Dieu, & de son Eglise, & d' un mesme zele luy prit opinion de voir un College en l' Université de Paris, voüé à l' enseignement de la jeunesse. Il asseuroit de la preud'hommie de Maistre Robert: c' est pourquoy il ne doubta de deposer entre ses mains sa nouvelle devotion. Cela se voit par ses patentes de l' an 1250. du mois de Fevrier.

Ludovicus Dei gratia Francorum Rex, universis praesentes litteras inspecturis Salutem. Notum facimus quod nos Magistro Roberto de Sorbona, Canonico Cameracensi dedimus, & concessimus ad opus Scholarium, qui inibi moraturi sunt domum quae fuit Ioannis de Aurelianensi, cum stabulis quae fuerunt Petri Poulaine contiguis eidem domui, quae domus cum stabulis sita est Parisius in vico de Coupe-gueule, ante Palatium Thermarum.

(C' estoit ce que depuis on appella l' Hostel de Clugny.) Je vous laisse le demeurant de lettres, par lesquelles, ores que le mot de College n' y soit inseré: toutesfois c' est cela mesme qui a depuis esté observé és maisons qu' avons en nostre Université appellees Colleges. Et à tant ce n' est pas sans grande raison, que j' attribuë l' invention de cette nouvelle oeconomie à ce bon Roy. Car vous ne trouverez autre titre plus ancien en nostre Université qui en ait parlé.

Or le Roy ayant seulement declaré en gros & en tasche, quelle estoit sa volonté, M. Robert qui sçavoit l' intention de son Maistre, ne tendre qu' à l' advancement & exaltation de l' Eglise: Mesme que le premier fondement de l' Université avoit esté la Theologie, il voulut par un sage & beau commentaire, voüer ce nouveau College en faveur des pauvres Escoliers qui voudroient faire profession de la Theologie; qui seroit comme un arboutant pour soustenir l' Eglise de Dieu, contre les assauts furieux des Heretiques.

Belle chose, & digne d' estre gravee dedans l' immortalité, que la Theologie, ayant esté le premier fondement de nostre Université, ait eu pour son habitation le premier College de tous les Colleges. Mais chose non moins admirable, qu' un simple Chanoine ait ouvert la porte, & enseigné aux Prelats & grands Seigneurs une si noble Architecture.

Et neantmoins lors de ces lettres patentes, ce College ne fut tout à fait conclud, ains en l' an mil deux cens cinquante & cinq seulement, comme nous recueillons d' un vieux Calandrier, contenant les Statuts du College: & encore d' une vieille inscription en pierre de taille prés la porte du jardin, en la salle du College, où se font les actes de Sorbonne. Le passage du Calandrier est tel, sur le vingt-cinquiesme jour d' Aoust, jour dedié à la solemnization de la Feste de S. Louys: Festum Beati Ludovici Regis, sub quo fundata fuit domus de Sorbona, circa annum 1253. Magistro Roberto existente eius Confessore. Et celuy de la salle est tel, Ludovicus Rex Francorum, sub quo fundata fuit domus de Sorbona, circa annum Domini 1253. Si ceux qui firent ces deux glosses eussent bien consideré le texte des lettres du Roy, ils n' eussent pas dit que sous son regne le College avoit esté fondé, ains qu' il en estoit le fondateur, comme celuy qui en avoit jetté la premiere pierre pour le bastir.

Ils ne le firent pas, d' autant qu' apres ce premier projet du Roy, M. Robert y apporta plusieurs grands advantages de sa part; car encore trouve-l'on plusieurs autres biens-faits qu' il fit au College, par un eschange qu' il fit en Novembre l' an mil deux cens cinquante huit, avec le mesme Roy sainct Louys. Et toutesfois ce preudhomme sçachant qu' on en avoit la premiere obligation au Roy, ne voulut jamais prendre le titre de fondateur, ains seulement de Proviseur. Ainsi l' apprenons nous d' un vieux titre dont le commencement est tel. Magister Robertus de Sorbona Canonicus Parisiensis, Provisor, seu Procurator congregationis pauperum Magistrorum studentium Parisius in Theologica Facultate. Ce qui donna depuis grande authorité aux Proviseurs de ce College, comme l' on voit par les Statuts, entre lesquels y avoit un article exprez, par lequel estoit ordonné, que s' il se presentoit quelque different entr'eux, il se terminast coram Provisore domus, sans toutesfois deroger à la jurisdiction Royale. Article depuis par honneur tres-estroictement observé, & ayant le Proviseur telle prerogative sur les siens; aussi le Pape Clement quatriesme, par ses Bulles de l' an mil deux cens soixante & neuf, ordonna que le Proviseur estant allé de vie à trespas, Nullus in eius locum per fraudis astutiam apponeretur, nisi quem loci Archidiaconus, & Cancellarius Parisiensis, & Magistri actu Regentes in Theologica Facultate, necnon Decretistarum, & Medicorum decani, Rector Universitatis Parisiensis, Procuratores quatuor Nationum, communiter vel maior pars duxerint apponendum. Idemque Provisor in Congregatione vestra pauperes Magistros, & idoneos, qui rexerint in Artibus, de quacunque sint natione poßint admittere, & exinde minus & idoneos amovere, prout inspectis universis circunstantijs viderit expedire. Qui n' estoit pas une petite authorité que le Pape Clement quatriesme attribuoit au Proviseur, pour honorer la memoire de celuy qui premier s' en estoit donné le titre. Bulle que je vous ay icy representee, non tant en faveur des Proviseurs de ce College, que de l' Université, pour vous monstrer que deslors elle estoit parfaite & accomplie en ses membres, ainsi que nous l' avons depuis veuë. Ce preudhomme fit son testament le jour sainct Michel l' an mil deux cens soixante & dix, & mourut l' an mil deux cens soixante & quatorze. Et auparavant son decez il avoit achepté en l' an mil deux cens soixante & unze la maison, où est aujourd'huy assis le College de Caluy, depuis appellé la petite Sorbonne, comme estant une fille d' icelle, par la liberalité que M. Robert luy avoit faite.

Le College de Sorbonne ainsi institué, estant adoncques le seul de l' Université, les leçons de Theologie y furent de là en avant transferees, & cesserent en la maison Episcopale; vray que tout ainsi que d' ancienneté, aussi on continua d' y prendre le bonnet, honneur, & laurier de la Doctorande. Et comme cette compagnie fortifiast en cette saincte emploite, aussi excita elle plusieurs Prelats, & personnes Ecclesiastiques, qui voulurent contribuer à cette mesme devotion, voire le renvierent d' un point sur M. Robert de Sorbonne. Car bastissans des Colleges, outre les pauvres Escoliers par eux voüez à la Theologie, bute singuliere de leurs opinions, ils y adjousterent l' estude des Arts, comme planche pour y parvenir.

Ainsi le voyez vous és Colleges des Thresoriers de Harcour, Cholets, Cardinal le Moine, Lizieux, Autun. Quand je dy des Arts, je n' entens icy seulement parler de la Philosophie, ains de la Grammaire, & autres bonnes lettres qui la suivent. Et de cela je n' en veux plus beau Commentaire que du College de Harcour, par la dotation duquel de l' an mil trois cens unze, combien qu' il fust nommément porté, que le revenu ordinaire seroit destiné ad usum, victum, & sustentationem pauperum Scholarium in artibus & Theologia studentium ibidem institutorum, & instituendorum, secundum formam & ordinationem quae in statutis à nobis super hoc editis plenius continentur. Toutesfois le College estant divisé en deux diverses maisons au dessus de l' Eglise de sainct Cosme & sainct Damian, des deux costez de la ruë, l' une est voüee pour la demeure des Theologiens, & l' autre aux Grammairiens, c' est à dire pour ceux qui estudient, tant és lettres humaines que Philosophie. Comme aussi peut-on recueillir du College de Lizieux, auquel Estouteville Abbé de Fescamp, ayant ordonné douze Theologiens, & vingt & quatre Artiens en l' an mil quatre cens douze, il adjousta ces mots.

Item, je veux & ordonne que la dite maison soit divisee en deux: lesquelles prindrent depuis le nom, l' une des Grammairiens, & l' autre des Theologiens; Reigle qu' il faut tenir pour toute asseuree, sinon lors qu' outre le mot d' Artien on y adjouste par expres celuy de Grammairien, comme il fut en la fondation du College de Navarre.

jeudi 25 mai 2023

2. 4. De plusieurs particularitez qui concernent le Parlement.

De plusieurs particularitez qui concernent le Parlement. 

CHAPITRE IV. 

Je veux que le Lecteur repreigne icy son haleine, & c' est pourquoy d' un chapitre il me plaist d' en faire deux. D' autant qu' au discours de ce Parlement il y a plusieurs particularitez qui meritent de n' être oubliees. Car en premier lieu pour donner occasion & aux Juges de bien juger, & aux parties de ne provigner leurs procés, nos anciens eurent premierement une coustume generale de faire adjourner les Juges, pour venir soustenir leur jugé à leurs perils & fortunes. Et faisoient seulement intimer & signifier l' appel à la partie qui avoit obtenu gain de cause, afin qu' elle assistast au plaidoyé, si bon luy sembloit, pour oster toute occasion au Juge de ne s' entendre & colluder avec l' appellant. Laquelle coustume, ores qu' elle soit perie, si en sont encores demourees les vieilles traces jusques à nous: En ce qu' encores pour le present on adjourne les Juges, & inthime-l' on seulement les parties. Qui me fait presque penser (d' autant que je voy ceste façon de faire être observee tant à l' endroit des Juges Royaux, qu' autres Juges guestrez & pedanees) que de vieille & primitive institution estoient aussi bien les Juges Royaux pris à parties comme les autres, & que depuis par succez de temps fut supprimee la rigueur de ceste coustume: De sorte que puis apres elle fut seulement pratiquee à l' endroit des Juges non Royaux, comme nous apprenons du Vieux stile de Parlement. Et à ceste mienne opinion assiste, que par anciennes Ordonnances ils devoient assister en personnes aux jours de leurs Parlements, pour veoir reformer leurs sentences: Et du droict mesmes originel des François, ils eurent une sorte de Juges qu' ils appelloient Rhatimbourgs, expressemment destinez pour decider les causes qui se presentoient pour le fait de la Loy Salique. Lesquels se trouvans avoir sententié autrement que la Loy ne portoit, se rendoient pour ceste faute emendables en certaine somme envers celuy contre lequel ils avoient jugé, ainsi que l' on trouve au chapitre soixantiesme de la Loy Salique. Tellement qu' il n' est pas du tout hors de propos d' estimer qu' anciennement tous Juges de quelque qualité qu' ils fussent estoient responsables de leurs jugemens: Et que depuis ceste coustume fut retraincte & limitee encontre ceux seulement qui se trouvoient Juges non Royaux: jusques à ce que finalement s' est ceste maniere de faire du tout anichilee entre nous, ne nous estant demouré pour remarque de toute ceste ancienneté que les paroles sans effect. Car encores que nous facions adjourner les Juges comme vrayes parties, si est-ce que cela se fait à present tant seulement pour la forme: demourant en la personne de l' inthimé le fais & hazard des despens. 

Et à la mienne volonté que ceste ancienne coustume eust repris sa racine en nous, pour bannir les ambitions effrenees qui voguent aujourd'huy par la France en matiere de judicature. 

Aussi eurent nos ancestres une chose qu' ils observerent tressoigneusement, parce que du commencement il n' estoit permis bailler assignation aux parties adverses, sinon aux jours qui estoient du Parlement de leurs Bailliages ou Seneschaussees. Pour laquelle chose entendre, faut noter que ce Parlement estant fait continuel l' on distribua les territoires, ordonnant par rang, certains jours dediez pour rendre droict à chasque Bailliage. Ces jours selon qu' ils estoient ordonnez, s' appelloient jours du Parlement de Vermandois, Touraine, Anjou, Maine, ou autrement. Et estoit lors une coustume notable & recogneuë par nos vieilles Ordonnances: Car apres que l' on s' estoit presenté, on faisoit les roolles ordinaires, dans lesquels chaque cause estoit couchee à son rang. Se pouvant chacun asseurer d' avoir expedition en justice, selon son degré de priorité ou posteriorité. Et trouve l' on mesmement Arrest donné long temps apres la resseance du Parlement, par lequel dés le neufiesme d' Octobre mil quatre cens trente six, sur les importunitez qui se presentoient par les parties qui vouloient enfraindre ce vieil ordre, fut ordonné que les Lundis & les Mardis on plaideroit des causes ordinaires, & non d' autres: Et defendu à toutes personnes de ne demander les Audiences extraordinaires. Pour lesquelles furent reservez les Jeudis, ainsi qu' il plairoit au President qui tiendroit l' Audience les distribuer en faveur des veufues, orphelins & pauvres. Ordonnance renouvellee par le quarantedeuxiesme Article de l' Edict d' Orleans de l' an 1560. Pour retourner au progrés de mon propos, en ceste distribution de Bailliages assignez à certains jours, estoit un chacun astraint de soy contenir dans les bornes de son Parlement, jusques à ce que la subtilité des praticiens trouva une clause de Chancellerie que l' on a encores de coustume d' inserer dedans les lettres d' appel, par laquelle il est porté de donner assignation à sa partie adverse, posé que ce ne soit des jours dont l' on plaidera au Parlement, ainsi que Jean de Bouteiller vieux praticien nous * ammonneste de faire en sa pratique, intitulee Somme rurale, en laquelle y a plusieurs decisions anciennes tres-notables. De là commencerent à sourdre je ne sçay quelles petites chiquaneries (comme les esprits des hommes ne demeurent jamais oiseux és cas où leur profit se presente) sçavoir si ceste clause estant obmise, l' impetrant des lettres devoit à son adversaire les despens de l' assignation, comme l' ayant de son auctorité privee & sans derogation expresse assigné à jours hors le Parlement: Sur laquelle difficulté Jean Gallus, homme qui florissoit du temps de Charles VI. se vante en quelque endroit de ses decisions avoir respondu. Et de fait en la question 124. il dispute ce qu' opere ceste clause mise dans un relief d' appel.

Entre ces honorables coustumes, nos anciens eurent une chose digne de grande recommandation. Car desirans couper toute broche aux procés, ce neantmoins cognoissans que de permettre en ceste Cour qu' il y eust certains hommes qui n' eussent autre vacation qu' à procurer les affaires d' un estranger, seroit au lieu d' amortir les procés, les immortaliser à jamais, d' autant qu' il est bien mal-aisé qu' un homme ayme la fin d' une chose dont despend le gain de sa vie: pour ceste cause estoit un chacun forcé de venir aux assignations en personne. Et toutesfois là où il n' eust eu si prompte expedition & depesche que les affaires de sa maison desiroient, luy estoit permis creer un Procureur en sa cause. Non pas avec tel abandon qu' à present, ains par benefice du Prince, & encore sous telle condition que le Parlement expiré, s' expiroit aussi chaque procuration. Tant estoient nos ancestres soucieux d' empescher qu' aucun ne fit son estat de viure à la poursuite & solicitation des causes d' autruy. Prevoyant le mal qui depuis en est advenu. Ceste usance estoit fort loüable, & à bonne intention instituee: toutesfois (voyez comme une chose bonne d' entree se corrompt par traicte de temps) la malice & opiniastreté des plaideurs ne cessant, failloit renouveller d' an en an telles procurations par benefice du seel, dont les Secretaires corbinoient un grand gain. De là est que la premiere lettre qui se trouve au Protecole de Chancelerie, ce sont lettres que nos predecesseurs appelloient Grace à plaidoyer par Procureur. Par lesquelles le Roy, de grace speciale permettoit à une partie de plaider par Procureur au Parlement & dehors, jusques à un an. Pour obvier à tels abus, la Cour depuis d' un bon advis, voulut que par Requeste generale presentee par les Procureurs au commencement de chaque Parlement, seroient icelles procurations continuees annuellement par l' authorité de ceste Cour, sans que de là en avant il fut besoin avoir recours au seel. Laquelle chose s' est observee jusques en l' an mil cinq cens vingthuict, que par Ordonnance du Roy François I. furent toutes telles procurations confirmees & continuees jusques à ce qu' elles fussent revoquees expressemment par les Maistres. Ainsi sont creuz en nombre excessif Procureurs. Au moyen dequoy à bonne & juste raison le Chancelier Olivier, defendit par Edict exprés, sous le regne de François I. qu' on n' eust à en pourvoir aucuns de nouveau à cet estat. Lesquelles mesmes defences avoient esté faites du temps de Charles huictiesme, en l' an mil quatre cens quatre-vingts & sept. 

Voilà comment chaque chose a pris divers plis selon la diversité des temps & saisons. Outre lesquelles mutations, encores s' en sont trouvees d' autres dignes d' être en ce lieu remarquees. Car les Espices que nous donnons maintenant, ne se donnoient anciennement par necessité. Mais celuy qui avoit obtenu gain de cause par forme de recognoissance, ou regraciement de la Justice qu' on luy avoit gardee, faisoit present à ses Juges de quelques dragees & confitures: car le mot d' Espices par nos anciens estoit pris pour confitures & dragees, & ainsi en a usé maistre Alain Chartier en l' histoire de Charles septiesme, chapitre commançant l' an mil quatre cens trente quatre. Où il dit que le Roy Charles septiesme sejournant en la ville de Vienne, & ayant esté visité par la Royne de Sicile, Le Roy luy fit, dit-il, grande chere & vint apres souper, & apres ce que la Royne eut fait la reverence au Roy, dancerent longuement, & apres vint vin & espices, & servit le Roy Monseigneur le Comte de Clermont de vin, & Monsieur le Connestable servit d' espices: Et en cas semblable Philippes de Commines au second chapitre de ses Memoires, dit, que Philippes Duc de Bourgongne donna congé aux Ambassadeurs qui estoient venus de la part du Roy de France, apres qu' il leur eut fait prendre le vin & les espices: Lequel mot pris en ceste signification, s' est perpetué jusques à nous, és festins solemnels qui se celebrent aux escoles des Theologiens de ceste ville de Paris, esquels l' on a sur le dessert accoustumé de demander le vin & les espices. Ces espices doncques se donnoient du commencement par forme de courtoisie à leurs Juges, par ceux qui avoient obtenu gain de cause, ainsi que je disois ores. Neantmoins le malheur du temps voulut tirer telles liberalitez en consequence: Si que d' une honnesteté on fit une necessité. Pour laquelle cause le dixseptiesme jour de May, mil quatre cens deux, fut ordonné que les espices qui se donneroient pour avoir visité les procés, viendroient en taxe. Et pour-autant que les Procureurs vouloient user de mesme privilege sur leurs clients, le dixneufiesme jour ensuivant furent faites defences aux Procureurs, de n' exiger de leurs Maistres aucunes choses sous ombre d' Espices: Toutesfois si les parties estoient grosses & qu' il eust esté question de matiere qui importast, estoit permis de leur donner deux ou trois liures d' Espices. Depuis les Espices furent eschangees en argent, aimans mieux les Juges toucher deniers que des dragees. Tout de la mesme façon que nous voyons qu' aux doctorandes la pluspart de nos Maistres de la Sorbonne aimerent mieux choisir vingts sols qu' un bonnet: Ou en cas encores beaucoup plus semblable, ainsi que l' on fait en la ville de Tholose: Auquel lieu les nouveaux Docteurs ont accoustumé de faire presens de boettes de dragees aux Docteurs Regents, par forme de gratification de leur nouvelle promotion: Ce que j' ay veu de mon temps plusieurs Regents avoir eschangé en argent.

Or combien que ce lieu & souverain Parlement ait quelquefois esté repris pour les chiquaneries & longueurs qui y ont esté introduites entre les parties privees: si a-il esté tousjours destiné, pour les affaires publiques, & verification des Edicts: Car tout ainsi que sous Charlemagne & ses successeurs ne s' entreprenoit chose de consequence au Royaume que l' on ne fit assemblee & de Prelats & de Barons, pour avoir l' œil sur ceste affaire: aussi le Parlement estant arresté, fut trouvé bon que les volontez generales de nos Roys n' obtinssent point lieu d' Edicts, sinon qu' elles eussent esté verifiees & emologuees en ce lieu. Laquelle chose premierement se pratiquoit sans hypocrisie & dissimulation. Deferans nos Roys grandement aux deliberations de la Cour. Et avec ce, l' on prestoit pour les grands & premiers Estats de la France serment en ceste Cour. Ainsi trouve-l' on és registres, neufiesme Septembre mil quatre cens sept, serment presté par Jean Duc de Bourgongne comme Pair: le septiesme Nouembre (Novembre) mil quatre cens dix, reception d' un grand Pannetier: & aussi un Mareschal de France, receu le sixiesme jour de Juin mil quatre cens dixsept: & le mesme jour un Admiral: Et le seiziesme jour ensuivant un grand Veneur: le troisiesme de Fevrier mil quatre cens vingt & un, le grand Maistre des Arbalestiers: le seiziesme Janvier mil quatre cens trente neuf, Courtenay receu Admiral: Et qui plus est, un Tresorier & general administrateur des Finances, le seiziesme Avril mil quatre cens vingt cinq: Et le semblable le treiziesme Octobre mil quatre cens trente neuf. Laquelle chose nous avons veu s' observer de nostre temps sous le regne du Roy Henry second, en la reception de Messire Gaspard de Colligny Seigneur de Chastillon en l' Estat de l' Amirauté. Toutesfois je ne sçay comment ces coustumes se sont par traicte de temps sinon du tout anichilees, pour le moins non si estroictement observees comme nos anciens avoient fait. Aussi semble-il que telles coustumes ayent esté plus soigneusement observees lors des minoritez de nos Roys, ou en cas d' alteration de leur bon sens, comme estoient presque toutes les annees que j' ay specifices cy dessus. Pendant lequel temps l' authorité de la Cour a esté tousjours de quelque plus grande efficace que sous la maiorité de nos Roys. Et au surplus au regard des emologations des Edicts, encores que l' usance en soit venuë jusques à nous, si faut-il que nous recognoissions que quelquesfois on les passe & enterine contre l' opinion de ceste Cour. Et l' un des premiers qui à son plaisir força les volontez de la Cour, feignant de luy gratifier en tout & par tout, fut Jean Duc de Bourgongne (fleau ancien de la France) duquel entre autres choses on lit que voulant, pour gagner le cœur du Pape, faire suprimer les Ordonnances qui avoient esté faictes quelques annees auparavant contre les abus de la Cour de Rome, envoya par plusieurs fois sous le nom du Roy, Edict revocatoire d' icelles, que jamais la Cour ne voulut emologuer. Au moyen dequoy Messire Eustache de Laistre, Chancelier, fait de la main de ce Duc, le Comte de sainct Pol lors gouverneur de Paris, le Seigneur de Mauteron, vindrent au Parlement le trentiesme de Mars mil quatre cens dixhuict: Et firent publier ces lettres revocatoires, sans ouyr le Procureur general & en son absence. Et commanda le Chancelier que l' on y mit Lecta publicata &c. Et apres son partement vindrent plusieurs Conseillers au Greffier, remonstrer que puis que c' estoit contre la deliberation de la Cour, il ne devoit mettre Lecta. Ou bien s' il le vouloit mettre devoit y adjouster clause, par laquelle il apparut que la compagnie n' avoit approuvé ceste publication: Lequel fit responce qu' il se garderoit de mesprendre. Et le lendemain ceux des Enquestes vindrent à la grand Chambre faire pareilles remonstrances. Surquoy fut dit que nonobtant ceste publication, la Cour n' entendoit approuver ceste revocation, & aussi qu' il y avoit par le commandement du Chancelier. Depuis ce temps les affaires de France furent tousjours en grands troubles, sous la subjection des Anglois. Pendant lequel temps le Duc de Bet-fort, lors Regent se feit semblablement souvent croire contre la volonté de la Cour. Et les choses estans au long aller reduites sous la puissance de Charles septiesme (vray & legitime heritier de la Couronne) Louys unziesme son fils, entre tous les autres Roys de France, n' usa gueres de l' authorité de ceste grande compagnie, sinon entant que directement elle se conformoit à ses volontez: Voulant être ordinairement creu d' une puissance absoluë & opiniastreté singuliere. Ainsi que mesmement on lit de luy estant encores simple Dauphin en certaine publication requise au profit de Charles d' Anjou Comte du Maine, beau-frere de Charles septiesme. Car comme Charles d' Anjou requist que l' on eust à publier en la Cour, la donation qui luy avoit esté faite par le Roy, des terres de sainct Maixant, Mesles, Ciuray & autres, à quoy le Procureur general du Roy fist lors responce que les deux Advocats estoient absens, & que sans leur conseil il ne pouvoit rien: & que par le conseil du Comte fut repliqué qu' il n' estoit besoin de conseil en la cause qui lors s' offroit: il se leva lors un Evesque qui remonstra que le Dauphin l' avoit là envoyé expressemment, pour faire publier ces lettres. Au moyen dequoy la Cour, veu le temps & volonté du Dauphin, qui pressoit ainsi ceste affaire, feist enregistrer sur le reply des lettres. Lecta de expresso mandato Regis per Dominum Delphinum præsidentem in ipsius relatione: Fait le vingt-quatriesme de Juillet mil quatre cens quarante & un. Mais le Dauphin manda querir soudain les Presidens, & leur dist qu' il vouloit que l' on ostast ce (de expresso mandato) & qu' il ne bougeroit de Paris jusques à ce que cela fust rayé. Protestant que s' il advenoit quelque inconvenient par faute d' avoir esté la part où il luy avoit esté enjoint par le Roy, en faire tomber toute la tare & coulpe sur la Cour. A cause dequoy la Cour, temporisant en partie, ordonna le vingtquatriesme jour de Juillet ensuivant que l' on osteroit le de expresso: mais que le registre en demeureroit chargé pour l' advenir. Tellement que ces mots furent seulement rayez de dessus les lettres. Et depuis en l' an mil quatre cens soixante cinq le mesme Louys, estant Roy, fist publier bon gré mal gré en plaine Cour par son Chancelier le don qu' il avoit fait au Comte de Charolois, & nonobstant toutes protestations que fissent la plus grand part des Conseillers, il voulut que sur le reply fut mis Registrata, audito Procuratore regis, & non contradicente. Telles protestations ont esté depuis assez familieres en ceste Cour. Et se trouvent assez d' Edicts portans: De expresso & expressissimo mandato Regis, pluribus vicibus reiterato. Laquelle clause tout ainsi qu' elle est adjoustee, pour bonne fin, aussi souhaiteroient plusieurs (paraventure non sans cause) que ceste honorable compagnie se rendit quelquesfois plus flexible, selon que les necessitez & occasions publiques le requierent. 

Grande chose veritablement, & digne de la Majesté d' un Prince, que nos Roys (ausquels Dieu a donné toute puissance absoluë) ayent d' ancienne institution voulu reduire leurs volontez sous la civilité de loy: & en ce faisant, que leurs Edicts & Decrets passassent par l' alambic de cest ordre public. Et encores chose pleine de merveille, que deslors que quelque ordonnance a esté publiee & verifiee au Parlement, soudain le peuple François y adhere sans murmure: comme si telle compagnie fust le lien qui noüast l' obeïssance des subjects avec les commandemens de leur Prince. Qui n' est pas œuvre de petite consequence pour la grandeur de nos Roys. Lesquels pour ceste raison ont tousjours grandement respecté ceste compagnie, encore que quelquesfois sur les premieres avenuës, son opinion ne se soit en tout & par tout renduë conforme à celles des Roys. Voire que comme si cest ordre fust le principal retenail de toute nostre Monarchie, ceux qui jadis par voyes obliques aspirent à la Royauté, se proposerent d' establir une forme de Parlement la part où ils avoient puissance. Enguerrand de Monstrellet nous raconte que Jean Duc de Bourgongne ayant esté dechassé de la ville de Paris & de la presence du Roy Charles sixiesme, de laquelle il faisoit pavois, pour favoriser ses entreprises encontre la maison d' Orleans, s' empara puis apres de plusieurs villes, comme de celles d' Amiens, Senlis, Mondidier, Pontoise, Montlehery, Corbeil, Chartres, Tours, Mante, Meulant, & Beauvois: & tout d' une suitte s' estant joinct & uny avec la Royne Isabelle (laquelle estoit lors en dissension avec son fils Charles, qui depuis fut septiesme Roy de ce nom) il advisa d' envoyer maistre Philippes de Morvilliers dedans la ville d' Amiens, accompagné de quelques personnages notables & d' un Greffier : pour y faire, sous le nom de la Royne, une Cour souveraine de Justice au lieu de celle qui estoit au Parlement de Paris. Afin qu' il ne fust besoin d' aller en la Chancellerie du Roy pour obtenir mandemens, ny pour quelque autre cause qui peust advenir és Baillages d' Amiens, Vermandois, Tournay, Seneschaussée de Ponthieu, ny és terres qui estoient en sa subjection & obeïssance. Auquel Morvilliers il bailla un seel, dans lequel estoit emprainte l' image de la Royne, estant droicte & ayant les deux bras tendus vers la terre: Du costé droict les armes de France my-parties avec celles de Bauieres, duquel lieu elle estoit extraicte. Et estoit escrit à l' entour, C' est le seel des causes souveraines & appellations pour le Roy. Ordonnant que les lettres s' expediroient sous le nom de la Royne, en la maniere qui s' ensuit. Isabel par la grace de Dieu Royne de France, ayant pour l' occupation de Monseigneur le Roy le gouvernement & administration de ce Royaume, par l' ottroy irrevocable à nous sur ce fait par mondit Seigneur & son Conseil. Ceste usurpation & monopole de la Royne & Duc de Bourgongne apprit puis apres la leçon à Charles lors simple Dauphin: Car estans le Capitaine de l' Isl' Adam & les Bourguignons entrez dans Paris de nuict, & par intelligence, il seroit impossible de raconter tout au long les pilleries, & inhumanitez qui furent exercees à l' encontre de ceux qui tenoient le party contraire de Bourgongne. Messire Bernard d' Armignac Connestable, Messire Henry de Marle Chancelier, Jean Gauda grand Maistre de l' artillerie, les Evesques de Coutance, Senlis & Clermont furent miserablement mis à mort, avec sept ou huict cens pauvres hommes prisonniers: En ce miserable spectacle la pluspart des hommes notables de la Cour de Parlement, & singulierement ceux qui favorisoient sans arriere boutique le Dauphin, se retirerent avec luy pour eviter la fureur de ceste populace. J' ay leu dans Historien que j' ay en ma possession, & qui estoit curieux de rediger par escrit les miseres de ce temps-là, que l' an mil quatre cens dixneuf qui fut deux ans apres l' entree de l' Isl' Adam, le Dauphin ayant recueilly ses forces, ordonna pour le fait de la Justice un Parlement dans Poictiers, Presidens & Conseillers: C' est à sçavoir de ceux qui en ceste desolation s' estoient garentis par suitte. Et lors fut advisé pour le commencement, que les causes des grands jours de Berry, Auvergne, & Poictou, seroient les premieres expediees. Gardans au demeurant tout le stile de la Cour de Parlement de Paris. Pareillement evoqua-l' on toutes les causes qui estoient pendantes à Paris: au moins celles qui estoient des pays obeïssans au Dauphin: lequel prit deslors le tiltre de Regent en France. Charles sixiesme toutesfois, qui estoit adonc mal ordonné de son cerveau, ne laissoit pas d' avoir son Parlement dans Paris, auquel fut estably (par la volonté du Duc Jean) premier President Messire Philippes de Morvilliers, duquel j' ay fait n' agueres mention. Bien est vray que le Parlement cho* sans rien faire depuis l' entree de l' Isl' Adam, qui fut le vingt-neufiesme de May mil quatre cens dixsept, jusques au vingt-cinquiesme de Juin: pendant lequel entreget, le peuple usoit des vies des hommes comme si elles leurs eussent esté baillees à l' abandon. Ainsi demourerent les affaires de France bigarrees l' espace de vingt ans ou environ, y ayant double Parlement, l' un dans Paris pour les Anglois qui possedoient le Royaume de France, & se disoient legitimes heritiers de luy: & dans Poictiers pour les adherans du Dauphin. Depuis, ces Anglois en l' an 1436. le treziesme jour d' Avril, furent dechassez de Paris par le Connestable de Richemont, & autres plusieurs grands Seigneurs partissans de Charles septiesme. Au moyen dequoy le sixiesme jour ensuivant, ceux de la Cour de Parlement de Paris deleguerent quelques-uns de leur corps vers le Connestable, pour entendre ce qui luy plairoit qu' ils feissent. Ausquels il fist responce qu' il en escriroit au Roy son maistre, & le prieroit de les avoir pour recommandez: mais ce pendant qu' ils expediassent les causes comme de coustume. Ceste gratieuseté contenta grandement un chacun: Toutesfois le Roy decerna depuis ses patentes le quinziesme de May, par lesquelles le Parlement & Chambre des Comptes furent interdicts. Je trouve dans un livre, auquel toutes choses qui advenoient en ce temps-là, sont escrites par forme de papier Journal, que le jour sainct Clement au mesme an, revint le Connestable dans Paris & sa femme, & qu' avec eux estoient l' Archevesque de Rheims, Chancelier, le Parlement du Roy & entrerent par la porte Bordelle (c' est celle que nous appellons aujourd'huy porte sainct Marcel) qui lors nouvellement avoit esté desmuree: Et que le jeudy ensuivant vigile de sainct André, fut crié à son de trompe que le Parlement du Roy Charles, qui depuis sa departie avoit esté tenu dans Poictiers, & sa Chambre des Comptes à Bourges, se tiendroit desormais au Palais Royal de Paris, en la forme & maniere que ses predecesseurs Roys de France avoient accoustumé de faire. Et dit l' Autheur qu' ils commencerent le premier jour de Decembre ensuivant à le tenir. Auquel mesme jour nos registres portent, que tous les Conseillers firent renouvellement de serment d' être fideles & loyaux subjects au Roy Charles septiesme. Lors que le Parlement de Poictiers revint, messire Adam de Cambray y estoit premier President, lequel fut employé à plusieurs grandes Legations & Ambassades pour le fait de la paix & union du Roy & du Duc de Bourgongne: Les os duquel personnage reposent dans les Chartreux de Paris. 

Or en ceste nouvelle reünion des deux Parlements, pour-autant que pendant le tumulte des guerres, plusieurs choses avoient esté en tres-mauvais ordre, & mesmement que durant cestuy temps les Requestes du Palais avoient esté suprimees, & sans effect: Charles septiesme apres s' estre rendu paisible, voulant remettre tout en bon estat, ordonna qu' en la grand Chambre y auroit trente Conseillers, quinze Laiz, & quinze Clercs: Et en la Chambre des Enquestes quarante, seize Laiz, & vingt quatre Clercs. Remettant sus la jurisdiction des Requestes en laquelle il ordonna cinq Conseillers Clercs, & trois Laiz, en ce compris leur President. De laquelle il fist publier l' auditoire le cinquiesme jour de Juillet mil quatre cens cinquante deux: Et pourautant qu' en la Chambre des Enquestes y avoit deux Presidents, il la voulut diviser en deux pour l' expedition des procés: Enjoignant semblablement qu' en la Tournelle se vuidassent les causes criminelles: A la charge toutesfois que si en definitive il falloit juger d' aucun crime qui emportant peine capitale, que le jugement s' en fit en la grand Chambre. Depuis la multitude des procés fit faire trois Chambres des Enquestes: Et par François premier du nom y feut adjoustee la quatriesme, que l' on appella du Domaine: parce que sous le nom & pretexte du Domaine il trouva ceste invention pour tirer argent de vingt nouvelles Conseilleries qu' il exposa lors en vente.

Or ont tous ces Conseillers un privilege annexé à leurs offices, lors qu' ils y entrent, par lequel ils se peuvent sous le nom d' autruy (qu' ils empruntent pour cest effect) nommer sur telles Eveschez & Abbayes qu' il leur plaist pour avoir (à leur rang & tour) le premier benefice vaquant, & qui se trouve en despendre. Laquelle coustume semble avoir pris commencement du temps que les Anglois gouvernoient, vivant toutesfois. Charles VI. Et à ce propos se trouve dans les registres, que l' an mil quatre cents & vingt, le douziesme jour de Fevrier, fut advisé, que pour pourveoir les Conseillers de benefices, l' on escriroit au Roy que son plaisir fust leur donner les benefices vaquans en regale: & aussi d' en escrire aux Ordinaires. Et le vingt-huictiesme de May mil quatre cens trente quatre, Maistre François Lambert requit être inseré au roolle que la Cour envoyoit au Pape, attendu qu' il avoit esté autresfois Conseiller. 

A quoy fut dit qu' il seroit enroollé: Lequel Indult je croy leur fut accordé par le Pape, afin que par telle maniere de gratification la Cour ne s' opposast plus si souvent aux Annates & autres pernicieuses coustumes que le Pape levoit sur le Clergé. Chose que la Cour de Parlement ne voulut aucunement recevoir, & à cause dequoy il y avoit eu mille piques entre la Cour de Rome, & celle de Paris. Et de fait, combien que ceste cause ne soit expliquee, si est-ce que depuis que cest Indult eut grande vogue, je ne voy plus que la Cour fist tel estat d' empescher les Annates comme elle avoit fait au precedent. Et neantmoins furent telles nominations de la Cour intermises pour quelque temps par sa nonchalance ou negligence: Jusques à ce que sous le regne de François premier, maistre Jacques Spifame Conseiller, homme d' un esprit remuant, ayant fueilleté les anciens registres, & voyant que ce droict leur estoit deu, mais que par long laps de temps il s' estoit à demy esgaré, prit la charge d' en faire les poursuittes & diligences envers le Pape Paul troisiesme: Ce qu' il fit si dextrement, que depuis il en apporta belles bulles à la Cour. Au moyen desquelles elle a depuis iouy plainement de ce privilege. 

Depuis que Charles septiesme eust reduit les choses en tel train que j' ay discovru cy dessus, encores que la Cour de Parlement de Paris semblast avoir toute authorité par la France, si est-ce que pour le soulagement des subjects, le mesme Charles retrancha quelque peu la jurisdiction & cognoissance qu' avoient eu par le passé les Parisiens. Car comme ainsi fut que deslors que le Parlement fut arresté, il estendit sa puissance sur tous les territoires de la France, cestuy Roy premierement eclipsa le païs de Languedoc, & une partie de l' Auvergne: establissant un Parlement dedans la ville de Tholose: Lequel y avoit esté à demy ordonné par Philippes le Bel, mais non avec tels liens & conditions que sous Charles. A l' imitation duquel, Louys onziesme son fils eschangea le conseil qui estoit tenu dans Grenoble pour le Dauphiné, & l' erigea semblablement en Parlement. Par succession de temps puis apres, Louys douziesme en crea un autre dans la ville de Bordeaux, pour les pays de Gascongne, Xaintonge, & Perigord: un autre en celle d' Aix, pour la Provence: un dans Dijon pour la Bourgongne: Et un finalement dans Roüen pour contenir toute la Normandie en devoir. Demourant tousjours ce nonobstant au Parlement de Paris le nom de la Cour des Pairs, & semblablement la puissance & authorité d' emologuer les Edicts generaux de la France, comme elle faisoit auparavant. De nostre temps on a plusieurs fois mis en deliberation & conseil de faire un nouveau Parlement à Poictiers, tout ainsi qu' autresfois ceste mesme deliberation avoit esté mise en avant sous le regne de Charles septiesme. Et n' est pas chose qu' il faille passer sous silence, que pour les grands frais qui se faisoient souventes fois en ceste Cour en causes de petite consequence, le Roy Henry deuxiesme de ce nom au voyage d' Allemagne institua en chaque siege Presidial certain nombre de Conseillers pour decider les procés en dernier ressort, qui monsteroient à dix liures de rente, & à deux cens cinquante liures pour une fois. Aussi en l' an mil cinq cens cinquante quatre, sous ce mesme Roy, par un general changement de face, fut ce Parlement de Paris fait Semestre, & divisé en deux seances, dont l' une estoit destinee depuis le premier de Janvier, jusques au dernier de Juin: & l' autre du mois de Juillet, jusques à la fin de l' annee. Ayant chaque seance, ses Presidens & Conseillers particulierement. Tellement qu' au lieu de quatre Presidents qui estoient de tout temps & ancienneté, se veirent huict Presidents. Et de la mesme façon que le Roy avoit fait cruës d' Officiers, aussi leur augmenta-il leurs gages, jusques à huit cens liures par an, avec defenses de ne toucher de là en avant espices des parties. Qui fut l' une des plus grandes mutations & traverses que receut jamais ceste Cour. Je sçay bien qu' on trouve en l' an mil quatre cens six, sous Charles sixiesme, un Mauger receu President cinquiesme, & extraordinaire: & un maistre Anthoine Minart du semblable, sous François premier: Et encore une creuë de vingt Conseillers sous le mesme Roy. Et du temps de Louys onziesme en l' an mil quatre cens soixante cinq, Hales receu tiers Advocat pour le Roy. Toutesfois ceux-cy estoient tousjours unis ensemble, & representans un mesme corps: mais au Semestre la division estoit telle, que ce que les courtisans ne pouvoient obtenir en une seance, ils le practiquoient en l' autre, rendans par ce moyen l' authorité de la Cour à demy illusoire. Au moyen dequoy fut ceste invention annullee, & les choses remises en leur premier estat au bout de trois ans, c' est à dire en l' an mil cinq cens cinquante sept, peu auparavant la reprise de la ville de Calais. Bien est vray que pour la multiplicité des Presidents & Conseillers qui ne pouvoient être si tost reduits par mort en leur nombre ancien & primitif, l' on advisa de faire une chambre de Conseil supernumeraire, où se vuideroient les appoinctez au conseil de la grand Chambre. Tellement qu' ainsi que les choses sont disposees pour le jourd'huy, il y a grand Chambre ordonnee pour la plaidoirie & publication des Edicts: celle du Conseil qui la fuit, ausquelles deux chambres indifferemment president les cinq premiers Presidents qui restent aujourd'huy du Semestre. Puis quatre chambres des Enquetes, entre lesquelles est comprise celle que l' on appelle la chambre du Domaine. De toutes lesquelles ensemble on tire la chambre qui est destinee au criminel. Le tout sans asseurance de certain nombre de Conseillers, pour autant que par Edict publié la vueille de la nostre Dame de Septembre, mil cinq cens soixante, tours Officiers furent suprimez par mort, & n' est loisible à aucun de l' endemettre és mains du Roy, jusques à ce que les Offices erigez pour subvenir à l' iniquité & injustice des guerres soient reduicts au nombre qui estoit il y a trente ans. Vray que le Roy a depuis donné plusieurs dispenses en contre l' Edict qui estoit bien fort rigoureux.

Lors que je mis en lumiere pour la premiere fois ce second livre de mes Recherches, l' ordre des Chambres du Parlement estoit tel que j' ay deduict: Mais depuis, en l' an 1568. fut erigee de nouveau une cinquiesme Chambre des Enquestes, & par mesme moyen suprimee celle du Conseil, & furent renvoyez tous les Conseillers, aux Chambres des Enquestes, dont ils avoient esté tirez. Et en l' an mil cinq cens quatre vingt fut de nouvel aussi erigee une seconde chambre des Requestes, par le Roy Henry troisiesme: Et tout d' une suitte creez vingt nouveaux Conseillers, qui furent espars par les Chambres des Enquestes, sans que la necessité publicque le conviast de ce faire. 

Certainement en ce Parlement, outre les choses par moy discovruës, se trouvent plusieurs particularitez notables. Et n' est pas chose qu' il faille oublier, que le vingt & uniesme jour de Novembre, l' an mil quatre cens & cinq, par arrest furent faites deffenses qu' aucun ne s' appellast Greffier de quelque Greffe que ce fut, Royal, ou autre, ny Huissier, fors les Greffiers & Huissiers de ceste Cour. Se trouve aussi qu' en ceste mesme annee les Presidens avoient obtenu lettres patentes du Roy, par lesquelles leur estoit permis de corriger & oster les Conseillers quand ils faudroient, toutesfois ne fut obtemperé à icelles: & le dixhuictiesme Fevrier fut arresté que l' on s' excuseroit au Roy.

Ceste compagnie, comme j' ay dit, a esté tousjours fort recommandee dans la France, comme celle par laquelle sans esclandre sont verifiees les volontez de nostre Prince. Une chose toutesfois y est sur tout ennuyeuse, c' est la longueur des procedures, laquelle semble y avoir fait sa derniere preuve par la subtilité de ceux qui manient les causes d' autruy: Lesquels pendant qu' ils ombragent & revestent leurs mensonges de quelques traicts de vraysemblance, mendians d' une contrarieté de loix la decision de leurs causes, tiennent tousjours une pauvre partie en suspens. Estans bons coustumiers prendre en cecy aide d' une Chancellerie: Laquelle fut premierement introduitte pour subvenir aux affligez, par benefice du Roy, qui s' en veut dire le protecteur. Neantmoins les plus fins & rusez en usent comme d' une chose inventee, pour tenir en haleine ceux qui se sont opiniastrez à leur ruine, pour trouver par ce moyen quelque ressource à une cause desesperee. Tirants, & Advocats, & Procureurs, de telles longueurs (j' ay cuidé dire langueurs) un grand profit. Qui est cause que plusieurs bons esprits de la France, picquez de l' amorce du gain present, laissent bien souvent les bonnes lettres pour suivre le train du Palais, & s' assopissent par ceste voye, pendant que comme asnes voüez au moulin, ils consomment leurs esprits à se charger de sacs, au lieu de livres. 

mardi 27 juin 2023

4. 15. Jeux de Paulme, Bonnets ronds.

Jeux de Paulme, Bonnets ronds

CHAPITRE XV.

Au milieu des affaires serieuses il n' est point hors de propos de donner quelque relasche à son esprit. Je veux que ce chapitre soit de cette marque, & par forme de passe temps conjoindre les jeux de Paulme, avec les Bonnets ronds. Car aussi est-ce un deduict qui est ordinairement aimé par les escoliers. Il me plaist doncques icy discourir dont vient que nous appellons jeux de Paulme, les Tripots, où nous prenons nostre esbat avec des Raquettes, & non avecques la paulme de la main, & les Bonnets que portent les gens de robbe longue, Bonnets ronds, combien qu' ils soient quarrez. Cela est estrange maintenant, & sera paravanture plus à l' advenir, & tel se mocquera de telles recherches, comme trop basses, qui peut estre en communs propos ne sera marry d' en faire son profit.

Lors que les Tripots furent introduits par la France, on ne sçavoit que c' estoit de Raquette, & y joüoit-on seulement avec le plat de la main, & de pelotes: chose que je descouvre d' un vieux livre en forme de papier journal, dont je m' aide souvent en ces miennes Recherches. En l' an 1427. (dit-il) vint à Paris une femme nommee Margot aagee de vingt-huict ans, qui estoit du pays de Hainault, laquelle joüoit mieux à la Paulme qu' oncques homme eust veu, & avec ce joüoit de l' avant main, & de l' arriere-main tres-puissamment, tres malicieusement, & tres habillement, comme pouvoit faire homme, & y avoit peu d' hommes qu' elle ne gagnast, si ce n' estoit les plus puissans joüeurs, & estoit le jeu de Paris, où le mieux joüoit en la ruë Garnier sainct Ladre, qui estoit nommé le petit Temple. Passage que vous voyez authorizer en tout & par tout mon opinion, de laquelle je me croy d' avantage, par ce qu' autresfois parlant à un nommé Gastelier, il me fit un discours qui est digne d' estre recité. Cet homme en sa jeunesse avoit esté bon joüeur de Paulme, & depuis fut long temps Huissier de la Cour, & venant sur l' aage, resigna son Estat: mais quelque ancienneté d' aage qu' il eust (car quand il m' aprit ce que je diray, il estoit aagé de 76. ans & plus) si ne pouvoit-il oublier son premier deduict. Et de fait il n' y avoit jour que s' il y avoit quelque belle partie en son quartier, il n' en voulust estre spectateur. C' estoit un plaisir auquel il finit ses jours, & moy jeune homme qui n' y prenois pas moins de plaisir que luy, le gouvernois de fos à autre par occasion. Un jour entre autres il me compta qu' en sa jeunesse il avoit esté des premiers joüeurs de Paulme de son temps, mais que le deduit en estoit tout autre, parce qu' ils joüoient seulement de la main, & poussoient de telle façon la pelote que fort souvent elle estoit portee au dessus des murailles, & lors les uns joüoient à mains descouvertes, & les autres pour se faire moins de mal y apportoient des gands doubles. Quelques uns depuis plus fins, pour se donner quelque advantage sur leurs compagnons y mirent des cordes, & tendons, a fin de jetter mieux & avec moins de peine la balle. Ce qui se pratiqua tout communément. Et finalement de là s' estoit introduite la Raquette telle que nous voyons aujourd'huy, en laissant la sophistiquerie du Gand: Ha! vrayement dis-je lors à par moy, il y a grande apparence d' estimer que le jeu de Paulme vient de là: par ce que l' exercice consistoit principalement au dedans de nostre main ouverte, que nous appellons Paulme, depuis lisant le passage que je vous ay cy-dessus recité, j' en fus du tout confirmé.

Pareille mutation est advenuë aux Bonnets que nous appellons Bonnets ronds, combien qu' ils soient quarrez. Car anciennement les plus grands portans les Chapperons sur leurs testes, l' usage petit à petit s' en estant perdu, cela demeura seulement aux gens de robbe longue, enquoy l' on s' aidoit du Bourlet qui est rond, lequel environnoit le circuit de nos testes, & ce surplus du chaperon pendoit d' un costé, & de l' autre on environnoit son col: Chose qui ne se peut mieux representer que par des petits Marmouzets qui sont encores au commencement des barreaux de la Chambre doree du Parlement de Paris. Cela estoit penible & une grande charge de teste, au moyen dequoy il fut trouvé bon de retrancher tous ces grands apentis du Chaperon, & se reserver seulement ce qui representoit le Bourlet pour couvrir la teste. C' est pourquoy on s' advisa de faire avec grandes aiguilles des Bonnets ronds qui representoient le Bourlet (& paravanture furent-ils appellez Bonnets au lieu de Bourlets par un doux eschangement de l' un à l' autre) ce qui continua longuement. Car encores de ma jeunesse les plus vieux Theologiens prenans à Religion de ne rien changer des vieilles coustumes, en portoient. Et y avoit un petit monde de peuple qui en vivoit en cette grande ruë des Cordelieres, aux fauxbourgs sainct Marceau de Paris, lesquels furent fort long temps en mauvais mesnage avec les Escoliers, jusques à faire une forme de guerre civile les uns contre les autres. A ces Bonnets ronds on commença d' y apporter je ne sçay quelle forme de quadrature grossiere & lourde, qui fut cause que de mes premiers ans j' ay veu qu' on les appelloit Bonnets à quatre brayettes: le premier qui y donna la façon, fut un nommé Patrouillet, lequel se fit fort riche Bonnetier aux despens de cette nouveauté, & en bastit une fort belle maison en la ruë de la Savaterie, qui appartient aujourd'huy à Monsieur du Val Conseiller. Depuis, le Bonnet ayant changé de forme, luy est toutesfois demeuré le nom de Bonnet rond. Coustume toutesfois tres-inepte, mesmes que nous reparions nos testes rondes de Bonnets quarrez. Enquoy l' on peut dire que par une grande bigarrerie nous avons par hazard trouvé la quadrature du cercle, amusoir ancien des Mathematiciens, où ils ne peurent jamais donner attainte.



vendredi 19 mai 2023

CHAPITRE III. Combien le nom Gaulois s' amplisia anciennement ...

Combien le nom Gaulois s' amplisia anciennement: & contre les calomnies de quelques autheurs, qui, souz leur faux donner à entendre, voulurent obscurcir noz victoires.

CHAPITRE III.

Sur tous les peuples qui se sont adonnez à covrir l' Univers, l' on en peut à mon jugement remarquer trois de grande recommandation: entre lesquels, faut donner le plus ancien lieu aux Gaulois, le second aux Germains, & le tiers aux Sarrazins. D' autant que les premiers avant que Rome eust attaint au grand degré de souveraineté, les seconds sur la fin de l' Empire d' Italie, & les derniers, celuy de Constantinople commençant à tomber en ruïne, donnerent tant d' espreuves de leurs vaillantises, qu' il y eut peu de contrees, desquelles, selon la varieté du temps ils ne goustassent. Et vrayement quant à noz Gaulois, il fut une saison qu' ils establirent en tant de regions leurs conquestes, que pour ceste occasion plusieurs gens appellerent indifferemment l' Europe souz le nom de Celte ou Gaulois qui se rapportent l' un à l' autre. Qui fut cause que Joseph Juif, pensant subtiliser contre Appion le Grammairien, voulut improperer aux Historiographes Gregeois une ignorance du faict des Gaules: pour autant qu' indifferemment ils comprenoient plusieurs nations souz leur nom, qui n' estoient de leur originaire enceincte. Mais non toutesfois s' avisant que luy-mesmes en cest endroict s' abusoit. Parce qu' en la plus part de toutes les contrees de l' Europe, les Gaulois avoient eu victoires, & bien souvent avecques leurs victoires planté leurs noms. Ainsi tesmoigne Cesar qu' ils avoient anciennement occupé plusieurs environs de la grand Bretaigne. Et d' avantage il atteste qu' ils ficherent aussi leurs demeures dans la Germanie vers la coste de la forest Hercinienne. Et non contens de ce païs, continuerent leurs conquestes jusques en la Scythie, (comme en font foy les Celtoscythes) & aux Espaignes, ainsi que nous pouvons tirer des Celtiberes, peuples, au rapport de Plutarque, extraicts du vieil rige des Gaulois. S' estans veuz mesmement commander à une partie d' Italie, de la Grece, & de la Phrigie. Tellement qu' ayans fait sonner leurs victoires en une Germanie, Scithie, Espaignes, grande Bretaigne, Italie, Grece, & Bithinie, il ne faut trouver trop estrange, que non seulement les Grecs, mais aussi quelques autres, qui nous attouchoient de plus pres, confondissent sous ce nom Gaulois les autres peuples qui dépendoient de la grandeur d' eux. Tout ainsi, comme l' on a veu depuis, une Germanie avoir prins le nom universel d' Allemaigne (qui avoit ses bornes à part) mais pour la victoire que les Allemans firent quelquesfois du reste de la Germanie. Non pourtant que tels autheurs, comme il est à presumer pour telle confusion, n' entendissent le fonds & source de nostre Gaule, mais pource que d' elle, comme d' un grand arbre, s' estoit estendu le branchage parmy toute ceste Europe. Et mesmement que les anciens Gaulois, lors qu' ils avoient conquesté nouvellement un pays, estoient coustumiers d' en exterminer de tout poinct les premiers habitateurs, ou bien leur permettoient viure souz eux comme leurs subjects & vassaux, en la maniere que depuis les mesmes Gaulois esprouverent par la venuë  des François. Or entre tant de conquestes s' en trouvent trois principalement, desquelles, (encores que sur toutes memorables) si n' en avons nous instructions, que par les mains de noz ennemis. La premiere est ceste grande expedition, qui fut faite souz Ambigat Roy de Bourges quand Bellovese & Sigovese ses nepueux prindrent par sort en partage, l' un le pays de l' Italie, & l' autre celuy de la Germanie: leur succedant leur entreprinse si heureusement, que chacun d' eux sans grand destourbier prit terre la part où il avoit projecté: eternisans en chaque pays, par la fondation des villes qu' ils y bastirent, la memoire des nations qui s' estoient avecques eux acheminees à si nobles voyages. 

A maniere que les Venitiens mesmes (afin que je ne m' arreste aux autres peuples d' Italie, qui nous doivent leur nativité, desquels Troge Pompee fait assez grande mention, par l' organe de son abreviateur Justin) prindrent leur nom de ceste flotte, c' est à dire, du peuple de Vannes. De laquelle gloire, combien que quelques Italiens (comme Marc Anthoine Sabellic,) veullent frustrer nostre Gaule, pour la rapporter à quelques Enetiens, peuples forgez à credit, & qu' ils veulent tirer du pays de Paphlagonie, si eit-ce que Polibe autheur ancien attestoit par le confrontement & rapport des mœurs des Venitiens d' Italie, avec les citoyens de Vannes, qu' ils avoient pris leur ancienne origine de nous. Chose, à laquelle condescend volontairement Strabon. Certes les historiographes Latins, qui voulurent discovrir sur ce voyage, pour obscurcir quelque peu la loüange qu' ils ne nous pouvoient bonnement desrober, disent que les Gaulois allechez de la douceur des vins d' Italie, dont ils avoient en certaine information par espions, se donnerent de plus grande ardeur ce pays en proye: toutesfois, l' on sçait que toutainsi que d' un costé Bellovese s' achemina en Italie, aussi d' une autre part Sigovese prit l' adresse de la Germanie, pays pour lors & encores pour le jourd'huy, bien peu cultivé de vignoble. Qui monstre que ce ne fut une friandise des vins, qui nous feit apprendre le chemin de delà les monts, ains la proximité & cofinage des lieux. Parquoy les autres un peu plus sobres, & non si advantageux à mesdire, disent que l' occasion de ce grand desbord fut pour descharger le pays des Gaulois, adonques trop abondant en peuple. Laquelle opinion, bien qu' elle ne soit animeuse comme la premiere, si est-ce que qui considerera le commun cours de nostre nature, mal-aisément qu' il trouve que la Gaule doiue jamais avoir esté plus populeuse qu' à present. Car les grands & peuplez pays (comme il est certain) se sont ou par la disposition du ciel, comme sont les climats froids & Septentrionnaux, ou par la force des loix, qui pour suppléer au commun defaut du pays addressent tous leurs privileges aux mariages, pour inviter par ce moyen les subjects à multiplier en hommes, leur patrie: comme furent plusieurs ordonnances des Lacedemoniens, Atheniens, & Romains, & encor' de nostre temps d' avantage, entre les Mahumetistes, qui pour ceste cause permettent à un seul homme avoir en une mesme famille plusieurs femmes. Lesquelles deux reigles ayans deffailly en nostre Gaule, je ne trouve point raison pourquoy nous devions estimer ces bons peres du vieux temps, plus seconds en peuples, que quand depuis quatre cens ans en ça avec une infinité de Chrestiens souz la main de Boüillon (Bouillon) & autres Princes nous nous croisasmes encontre les Infideles. Par quoy, à dire le vray, leur vertu, ensemble leurs loix militaires, les acheminerent lors & plusieurs fois depuis à si loüables entreprises. Que si paraventure aujourd'huy se trouvoit estrange qu' à un amas de gens de guerre noz Roys avec grande difficulté levent trente ou quarante mil hommes, & que les anciens Gaulois comptoient leurs armees par cent & deux cent mille, je responds que l' occasion de cela procede de la diversité des polices, l' une apprenant principalement à iouer des cousteaux, & l' autre à manlet une plume: tellement que tout ainsi que noz anciens ne marchoient point en champ de bataille qu' avec une fourmiliere de peuples, aussi maintenant en contr' eschange noz Roys leveroient plustost deux cens mille, suyvans l' estat de la plume, que trente mille hommes de guerre. Qui a esté cause que quelque estranger escrivant dessus Ptolomee, à bon droict nous reproche qu' en ce seul pays de France se trouvent plus de chiquaneux & gaste-papiers, qu' en une Allemaigne, Italie, & Espaigne, trois autres grandes regions de l' Europe. De laquelle façon de faire combien que les anciens Gaulois ne fussent du tout eslongnez, ayans aussi bien que nous gens deputez à la vuidange des proces, si avoient-ils d' une autre part, ainsi que je disois au premier chapitre, Chevaliers du tout affectez à la guerre, soubs la devotion desquels de toute ancienne coustume se consacroient diversement les gens du tiers Estat & menu peuple: ne faisans autre compte de mort ou de vie, que celle qui plaisoit au seigneur, souz lesquels ils s' estoient vouez. Qui causoit, & que la justice ne demeuroit point en friche, & que les guerres se faisoient avecques si grand nombre de gens, que les Gaulois de leurs propres forces & sans armes auxiliaires subjuguerent toute l' Europe. En ceste façon, pour retourner sur mes arrhes, conquirent-ils la plus grande partie d' Italie, & aussi de la Germanie, souz leurs Princes Bellovese & Sigovese. En ceste façon exploicterent-ils leur second voyage, quand les Senonois, ayans passé les monts, meirent pour quelques indignitez qu' ils recevrent des Ambassadeurs des Romains, la ville de Rome à sac: dans laquelle ayans quelques journees commandé, ils en furent finalement dejectez tant par defaillance de viures, que par une surprise de Camille. En ceste façon soubs Belgion, & depuis soubz Brennon leurs Capitaines, occuperent-ils une grande partie de la Grece, & de là passans en la Bythinie que maintenant nous appellons Natolie, fonderent en l' une & l' autre contree un grand Royaume. Lesquels trois voyages, il me suffit monstrer seulement au doigt, tant pour être assez amplement couchez par Tite-Live, Justin & autres anciens autheurs, que pour en avoir esté la memoire rafraichie de nostre temps és livres expressément à ce dediez, par feu Messire Guillaume du Bellay, Chevalier, & depuis par Guillaume Postel, ausquels tout homme studieux pourra avoir son recours. Bien adjousteray-je apres eux, que le voyage de Rome rendit de là en avant le nom des Gaulois si redouté au peuple Romain, que lors que le moindre bruit s' eslevoit d' une entreprinse Gauloise, les Romains couroient aux armes comme au feu. Et pour ceste occasion s' estans à leurs propres cousts & despens faicts sages de nostre vertu, curent tousjours argent peculier & de reserve au thresor public, auquel jamais on ne touchoit, sinon pour subvenir aux fraiz des affaires qui se presentoient contre eux de nostre part. Et d' avantage, aux immunitez & exemptions des guerres, qu' ils ottroyoient, ils estoient coustumiers par clause ordinaire excepter celles qui s' offriroient du costé des Gaules. Et au regard de la Grece, y ayans assis nostre demeure, on recite qu' en toutes les grandes entreprises qui se brassoient au Levant, les Princes avoient vers nous leur recours, comme à un ressort de franchise, soit qu' il feust question de restablir en son trosne un pauvre Roy depossedé, ou de porter confort & aide à quelques peuples desolez. En toutes lesquelles entreprises combien que par fois nous cussions du bon, par fois du pire (comme sont les armes de leur nature journalieres) si est-ce que le desastre ne vint jamais en comparaison de nostre heur. Je sçay bien quelques historiographes voulurent anciennement soustenir, que tous ceux qui s' estoient retirez vers la Grece, avoient esté desconfits par la seule puissance de Dieu, au ravage du temple de Delphe, si faut-il bien presumer que la calamité ne fust si grande, veu qu' apres tant de revolutions d' annees, sainct Hierosme recognoissoit que le langage des Galates ou Gallogrecs se conformoit en grande partie avec celuy des Trevires, peuples situez dans nostre Gaule Belgique. Au demeurant, entant que touche le Camille tant rechanté par les Romains, & dont à chaque propos ils font banniere contre nous, pour quelque victoire qu' il rapporta de nous pendant le siege du Capitolle, je croy qu' il leur eust esté du tout plus seant de s' en taire: pour-autant que, si le commencement de ceste guerre fut entrepris (comme nous enseignent leurs propres histoires) pour un juste droict d' espee violé par leurs Ambassades, encores verra l' on que la fin trouva plus malheureuse issuë. Car qui est celuy, qui ne sçait que pendant une surseance d' armes, je veux dire, lors que par commune capitulation des deux osts, les Gaulois estoient au conseil pour sçavoir s' ils devoient lever le siege pour l' argent qui leur estoit offert, ou le continuer, Camille leur vint covrir sus en temps du tout importun & aliene des armes? Laquelle chose mesmement (afin que je ne m' aide d' autre tesmoignage, que de celuy de leurs Princes ) luy fut puis apres assez souvent reprochee en plein Senat par Manle le Capitolin. Et toutesfois quelle que ait esté ceste roupte, il la faut plustost imputer à la famine, qui long temps auparavant batailloit contre nous, qu' au Capitaine Camille: lequel, à bien dire, estonna plustost nostre armee ja attenuee d' une longue faim, qu' il ne luy meffit, quoy que Tite-Live, perpetuel ennemy du nom Gaulois, en vueille dire: Et qu' ainsi ne soit, Jules Frontin, au livre qu' il nous a laissé par escrit des ruses de guerre, est tesmoing qu' apres ceste deffaite, les Romains nous donnerent passage par la riviere du Tybre (Tíber): fournissans viures & munitions, jusques à ce que nous fussions bien loing esloignez de leur ville. Qui nous peut asseurer, qu' il y avoit gens assez de nostre costé pour intimider ou escarmoucher les Romains, & que la retraicte, que nous fismes, procedoit: plus d' une disette de victuailles, que de victoire signalee qu' ils eussent euë contre nous. Je ne doute point qu' il semblera à quelques uns, qui presteront l' œil au present discours, que je me soye plustost destiné, & en ce chapitre & aux autres deux de devant, à la loüange ou deffence de nos vieux Gaulois, qu' à une simple deduction ou narré. Chose que librement je confesse: n' estant pas grandement soucieux que l' on m' ait en opinion de Panegyriste ou Encomiaste, moyennant que ce que je dis se rende conforme au vray: aussi que la necessité m' y semond. Car s' estant l' authorité de quelques autheurs Latins par longue trainee de temps insinuee entre nous, ou, pour mieux dire, affinee, tellement qu' ils sont reputez veritables, il est fort mal-aisé de desraciner ceste opinion du commun, que par un mesme moyen l' on ne passe les bornes d' un simple narrateur. En quoy l' on ne sçavroit mieux convaincre tels-autheurs, que par ce que nous apprenons d' eux-mesmes. D' autant que voulans quelquesfois denigrer nos victoires pour donner lustre aux leurs, ils ne s' avisent pas qu' ils se contredisent, c' est à dire, qu' ils veulent donner à entendre d' un à nostre desavantage: & neantmoins qui confrontera leurs longs propos piece à piece, il trouvera qu' ils monstrent tout le contraire. Or est-ce un dire ancien, qui tombe souvent en la bouche du commun peuple, qu' il faut que tous braves menteurs soient gens de bonne memoire, pour se garder de mesprendre.

dimanche 9 juillet 2023

6. 18. Traict memorable de Chevalerie, courtoisie, & liberalité du Chevalier Bayard.

Traict memorable de Chevalerie, courtoisie, & liberalité du Chevalier Bayard.

CHAPITRE XVIII.

Apres avoir mis quelques discours des bonnes lettres sur le mestier, il ne sera hors de propos si pour contr'eschange, je donne icy lieu aux armes. J' ay au Chapitre precedent discouru sur la vie de Pierre Abelard, extraict d' une noble famille de Bretagne: Je vous representeray maintenant un Pierre de Bayard Gentil-homme du Dauphiné: Tous deux parangons, celuy-là aux bonnes lettres, cestuy-cy au faict des armes. Le premier sçavant & superlatif dessus les sçavans, d' un esprit bizarre, irrequiet, & presomptueux: Qui luy fit encourir plusieurs censures & reprimendes de ses superieurs. Le second vaillant dessus les vaillans, mais d' un esprit modeste, calme, & bien reiglé: Qui le feit aymer des grands, & honorer des petits: & par mesme moyen rapporter le tiltre de Bon Chevalier sans peur & sans reproche. Son trisayeul mourut aux pieds du Roy Jean à la journee de Poictiers, son bisayeul en celle d' Azincour sous Charles VI. son ayeul en la bataille de Mohtlehery, & son pere griefvement blessé en celle de Guinegaste. Belle production certes d' une Genealogie, pour rendre recommandable le Gentil-homme dont je parle, & neantmoins peu de chose, si la recommandation principale ne provenoit de son propre fonds. Toutes les loüanges que nous mandions de nos ancestres sont pauvres, quand nous manquons a nous mesmes. Jamais ne fut guerrier en son tout, accomply de tant de bonnes parties que luy. Les uns se trouvent accompagnez de proüesse, mais en eux quelques-fois defaut, ou le lignage, ou la prudence. Et ores que les deux s' y rencontrent, toutes-fois le mestier de la guerre engendre souvent le mespris de Dieu, & des hommes, en ceux qui pensent estre quelque outrepasse sur leurs compagnons. J' adjouste que pour se mettre plus aisément sur la monstre, ils logent avecques l' ambition d' honneur, souventes-fois l' avarice, aux despens du pauvre peuple, & tout d' une suitte, tantost la cruauté, tantost la paillardise selon les occasions. Tous vices esloignez de nostre bon Chevalier, qui n' avoit autre impression en son ame, premierement que l' honneur de Dieu, puis le service de son Roy, pour la deffence de sa Couronne. Liberal & courtois le possible, rendant aux Dames tel devoir que l' on peut desirer d' un preux Chevalier, & jeu sans vilenie. En toutes les escarmouches se trouvant tousjours à la pointe, pour faire teste à l' ennemy, & aux retraites le dernier, pour servir d' espaule aux siens: N' oubliant un seul point de bien obeïr à ceux qui avoient puissance de commandement sur luy, ny de bien commander, aux gendarmes qui estoient sous sa charge: Sage en ses advis aux deliberations de la guerre: Magnanime & prompt à la main aux executions: Magnanimité ordinairement suivie d' un heureux succez. Aimé non seulement des nostres, mais aussi de nos ennemis qui le redoutoient. Il poussa pied à pied sa fortune, premierement gendarme de la compagnie du Comte de Ligny, puis guidon, en apres chef d' une compagnie de gendarmes: & finalement Lieutenant de Roy. Servit trois Roys, Charles VIII. Louys XII. François I. Et singulierement ce dernier pour les paradoxes vertus qu' il recogneut en luy, le choisit pour recevoir l' Ordre de Chevalerie par ses mains. Plus belle closture ne pouvoit estre de son histoire que celle-là. Je n' ay pas icy entrepris de vous pourtraire tout au long sa vie, qui fut escrite d' une plume hardie en l' an 1527. par homme qui ne se voulut nommer, ains me contenteray de vous en refraischir par ce chapitre, la memoire, que je voy presque ensevelie par l' ingratitude des ans.

Pendant les guerres que nous eusmes sous le Roy Louys XII. en Italie contre les Venitiens, c' estoit un vray jeu de barres: tantost les villes prises par les uns, puis par les autres reprises. Entr'autres, la ville de Bresse estant retombée és mains des Venitiens, le Duc de Nemours Lieutenant general du Roy en la Lombardie, mit toute son entente à la remettre és mains de son Maistre, & y ayant mis le siege, comme il fallut aller à l' assaut, il avoit esté advisé par le conseil des Capitaines, que le Seigneur de Molart avecques ses gens de pied conduiroit la premiere pointe: Mais ayant chacun opiné, Bayard prit la parole, & dit au Duc de Nemours. Monseigneur sauf vostre reverence, & de tous Messeigneurs, il me semble qu' il faut faire une chose dont nous ne parlons. Interrogé par le Seigneur de Nemours que c' estoit. C' est, dit-il, que vous envoyez Monsieur de Molart faire la premiere pointe. De luy je suis asseuré qu' il ne rebouchera pas, ny beaucoup de gens de bien qu' il a avecques luy. Mais si les ennemis ont gens bien aguerris avecques eux, sçachez qu' ils les mettront à la pointe, & pareillement leurs harquebuziers: Or en telles affaires il ne faut jamais reculer: & si d' aventure ils repoussoient les nostres, & qu' ils ne fussent soustenus par la gendarmerie, il en pourroit sourdre un grand desordre. Parquoy je suis d' advis qu' avecques Monsieur de Molart on mette cent, ou cent cinquante hommes d' armes, lesquels seront pour beaucoup mieux soustenir le faix, que les gens de pied qui sont armez à la legere. Lors dit le Duc de Nemours. Vous dites vray, Monsieur de Bayard, mais qui est le Capitaine qui se voudra hazarder à la mercy de leurs haquebuttes? Ce sera moy s' il vous plaist (respondit Bayard) & croyez que la Compagnie dont j' ay la charge, sera aujourd'huy tel service au Roy & à vous, qu' aurez sujet & matiere de vous en contenter. Quand il eut ainsi parlé, tous les Capitaines se regarderent l' un l' autre grandement estonnez de cette offre si perilleuse. Toutes-fois ayant demandé la charge, elle luy demeura: Le Capitaine de Molart & ses gens vont à l' assaut, & sur les aisles estoit Bayard avecques les siens à pied tous gens de choix & eslite: car la plus part de ses gendarmes avoient esté, ou Capitaines en chef, ou des principaux membres des Compagnies: mais ils aimerent mieux apres, estre de sa compagnie que de commander, tant ils honoroient ses vertus. A bien assailly, bien deffendu: Et se jetta Bayard d' une telle furie, qu' il entra le premier, & passa le rampart, & apres luy plus de mille soldats. De sorte qu' ils gaignerent le premier fort. Mais cette hardiesse luy fut cher venduë. Car il receut un coup de picque dedans le haut de la cuisse, qui entra si avant que le bout rompit, & demeura le fer, & un bout du fust dedans. Bien pensoit-il estre blessé à mort: Au moyen dequoy il dit à Molart. Compagnon faites marcher vos gens, la ville est gaignee, de moy, je ne sçavrois tirer outre, car je suis mort. Le sang luy ruisseloit en grande abondance, lequel luy fut estanché par deux de ses archers, avecques leurs chemises qu' ils deschirerent, & en la premiere maison qu' ils trouverent desmonterent un huis, sur lequel ils le chargerent, & le plus doucement qu' ils peurent, avecques l' aide de quelques autres le porterent en une maison plus apparente qu' ils virent là à l' entour. C' estoit le logis d' un fort riche Gentil-homme, qui s' en estoit fuy en un Monastere: & sa femme estoit demeurée au logis, avecques deux belles filles qu' elle avoit, lesquelles s' estoient cachées en un grenier sous du foin. Quand on vint heurter à la porte, la Damoiselle resoluë d' attendre la misericorde de Dieu: voyant ce Chevalier que l' on portoit ainsi blecé luy ouvrit elle mesme la porte, laquelle il fit aussi tost refermer, & y mit les deux archers, leur disant: Gardez sur vostre vie, que personne n' entre ceans, si ce ne sont de mes gens. Je suis asseuré que quand on sçavra que c' est mon logis, nul ne s' efforcera d' y entrer. Et d' autant que pour me secourir, je suis cause que faillez à gaigner quelque chose, ne vous souciez, vous n' y perdrez rien, & je vous recompenseray d' ailleurs. Les Archers firent son commandement: Et il fut porté en une fort belle chambre où la Damoiselle le conduisit. Puis se jettant à genoux devant luy, parla en cette maniere, rapportant son langage au François. Noble Seigneur je vous presente cette maison, & tout ce qui est dedans: Car je sçay bien qu' elle est vostre, par le devoir de la guerre: mais je supplie tres-humblement vostre Seigneurie, qu' il vous plaise me sauver l' honneur & la vie, & de deux jeunes filles que mon mary & moy avons, qui sont prestes à marier. Bayard que je vous ay figuré pour miroüer de Chevalerie & d' honneur, luy respondit. Madamoiselle je ne sçay, si je pourray eschapper de ma playe. Mais tant que l' ame me battra au corps, à vous, ny à vos filles ne sera faict desplaisir, non plus qu' à moy: gardez les seulement en vos chambres, & donnez ordre qu' elles ne soient veuës: Il n' y a homme en ma maison qui s' ingere d' entrer en lieu, que ne vueillez, vous asseurant au demeurant qu' avez en moy un Gentil-homme qui non seulement ne vous pillera, mais vous fera toute la courtoisie qu' il pourra. Quand la bonne Damoiselle l' ouyt en cette façon parler, elle fut toute asseurée. Je vous laisse à part avecques quelle fureur fut prise la ville de Bresse, non seulement sous l' esperance du pillage, mais aussi pour le regret de la perte de nostre grand Achilles, chacun estimant que le bon Chevalier Bayard fust mort: Cela n' est point de mon suject. Je me contenteray de vous dire, que la Damoiselle fit venir un bon Chirurgien sien voisin qui visita la playe de Bayard grande & profonde, toutes-fois l' asseura qu' il estoit hors du danger de mort. Au second appareil le vint trouver le Chirurgien du Duc de Nemours qui le pensa, & en fit tres-bien son devoir: & quelques jours apres fit retourner en sa maison son hoste: Auquel il dit qu' il ne se donnast point de melancholie, n' ayant chez luy logé que de ses amis. Le Duc le venoit souvent visiter pour le consoler: & sur la rencontre de divers propos, luy raconta entr'autres choses, le desir que le Roy Louys douziesme son oncle avoit que pour l' asseurer du Milanois, on exterminast tout à fait l' Espagnol de la Lombardie. Et que la conclusion de ses lettres estoit d' une bataille: A laquelle le Duc s' estoit resolu par l' avis general de tous ses Capitaines, & souvent disoit à Bayard. Monsieur de Bayard mon amy, pensez de vous guerir: car je sçay bien qu' il faudra que donnions une bataille aux Espagnols entre cy & un mois, & si ainsi estoit, j' aymerois mieux avoir perdu tout mon bien que n' y fussiez, tant j' ay grande fiance en vous. Bayard respondit: Croyez Monseigneur que s' il est ainsi qu' il y ait bataille, tant pour le service du Roy mon Maistre, que pour l' amour de vous, & pour mon honneur qui va devant, je m' y ferois plustost porter en littiere que je n' y fusse. Le Duc luy fit plusieurs presens, selon sa puissance, & pour un jour luy envoya cinq cens escus, que Bayard donna aux deux Archers, qui estoient demeurez avecques luy quand il fut blecé, & apres avoir donné ordre aux affaires de la ville s' en partit en bonne deliberation d' accomplir le commandement du Roy qui luy estoit faict pour mettre fin à la guerre. Cette resolution fit une autre playe en l' esprit de Bayard, non moindre que celle du corps, craignant que pour l' incommodité de sa personne il ne peust estre de la partie. Luy venant chacun jour nouvelles du camp des François comment ils approchoient les Espagnols. Il avoit gardé cinq semaines le lit sans en partir: Mais sur ces nouvelles, il se fit lever pour sonder ses forces, & se promena quelque peu par la chambre. Et combien qu' il se trouvast foible, toutes-fois le grand cœur qu' il avoit ne luy donnoit le loisir d' y songer. Il envoya querir le Chirurgien qui le pensoit, & luy dit. Mon amy je vous prie me dire, s' il y a point de danger de me mettre en chemin, il me semble que je suis guery, ou peu s' en faut, & vous promets ma foy qu' à mon jugement, le demeurer d' oresnavant me pourra plus nuire qu' amander: Car je me fasche merveilleusement. Ses serviteurs avoient ja dict au Chirurgien le grand desir dont il brusloit d' estre à la bataille, & que tous les jours il ne regrettoit autre chose que de ne s' y trouver: Parquoy pour contenter aucunement son opinion, joinct l' estat de son mal, luy dit en son langage. Monsieur vostre playe n' est pas encores clause, toutes-fois par dedans elle est toute guerie. Vostre barbier vous verra habiller encore ceste fois, & mais que tous les jours au matin & au soir, il y mette une petite tente & une emplastre dont je luy bailleray l' oignement, il ne vous empirera point, & si n' y a nul danger: Car le grand mal de la playe est au dessus, & ne touchera à la selle de vostre cheval. Qui eust donné un Royaume à Bayard il n' eust pas esté plus content. Son Chirurgien fut plus que bien contenté, & se delibera de partir dans deux jours, commandant à ses gens que pendant ce temps ils meissent en ordre tout son cas.

La beauté de ce conte est, que son hostesse qui se tenoit tousjours sa prisonniere, comme aussi son mary & ses enfans, & que leurs biens meubles estoient siens (car ainsi en avoient faict les François aux autres maisons, comme elle sçavoit bien) eut plusieurs imaginations, estimant que si son hoste les vouloit traiter à la rigueur il tireroit d' eux à son partement plus de dix ou douze mille escus, eu esgard à la grandeur de leur bien & revenu, se delibera de luy faire quelque honneste present, se promettant, veu ses honnestes deportemens, & la gentillesse de son cœur, qu' il s' en contenteroit. Le matin dont le Chevalier devoit desloger l' apresdiner, la Damoiselle avecques un sien serviteur portant une petite boëtte d' acier, entra en sa chambre, où elle trouva qu' il se reposoit en une chaire, apres s' estre fort proumené, pour tousjours peu à peu essayer sa jambe, elle se jetta à deux genoux, mais incontinent il la releva, & ne voulut jamais souffrir qu' elle dit une parole, que premier ne fust assise aupres de luy, & puis commença son propos en cette maniere. Monseigneur, la grace que Dieu me fit à la prise de cette ville, de vous adresser en cette vostre maison, ne me fut pas moindre, que d' avoir sauvé la vie à mon mary, la mienne, & de mes deux filles, avecques ce qu' elles doivent avoir plus cher, qui est leur honneur. Davantage depuis qu' y arrivastes ne m' a esté fait, ny au moindre de mes gens une seule injure, mais toute courtoisie, & n' ont pris vos gens, des biens qu' ils y ont trouvez, la valeur d' un seul denier sans payer. Monseigneur, je suis assez advertie, que mon mary, moy, mes enfans, & tous ceux de la maison sommes vos prisonniers, pour en faire & disposer à vostre bon plaisir, ensemble des biens qui sont ceans. Mais cognoissant la noblesse de vostre cœur, à qui nul autre ne pourroit attaindre, suis venuë pour vous supplier tres-humblement qu' il vous plaise avoir pitié de nous, en eslargissant vostre accoustumee liberalité. Voicy un petit present que nous vous faisons: il vous plaira le prendre à gré. Alors prit la boëtte que ce serviteur portoit, & l' ouvrit devant le Chevalier qui la veit peline de beaux ducats. Mais luy qui d' un cœur genereux n' avoit jamais fait conte d' argent, se prit à rire, puis luy dit: Madamoiselle, combien y a-il de ducats en cette boëtte? La pauvre femme ayant peur qu' il fust courroucé d' en voir si peu, luy dit. Monseigneur, il n' y en a que deux mille cinq cens: mais si vous n' estes content, nous en trouverons plus largement. Alors il dit. Par ma foy, Madamoiselle, quand me donneriez cent mille escus, vous ne m' auriez pas tant faict de bien, que de la bonne chere que j' ay euë-ceans, & de la bonne visitation que m' avez faicte. Vous asseurant qu' en quelque lieu que je me trouve, aurez tant que Dieu me donnera vie, un Gentil-homme à vostre commandement. De vos ducats je n' en veux point, & vous remercie, reprenez-les. J' ay toute ma vie plus aimé les personnes que les escus, & ne pensez que je ne m' en aille aussi content de vous, que si cette ville estoit en vostre disposition, & me l' eussiez donnee. La bonne Damoiselle fut bien estonnee de se voir esconduite: Si se remit encores à genoux, mais gueres ne l' y laissa le bon Chevalier: & relevee qu' elle fut, luy dit. Monseigneur, je me sentirois à jamais la plus mal-heureuse femme du monde, si n' emportiez le peu de present que je vous fais, qui n' est rien au prix de la courtoisie que m' avez cy-devant faicte, & faictes encores de present par vostre grande bonté. Quand le Chevalier la vit ainsi ferme, & opiniastre en sa liberalité luy dit. Bien doncques Madamoiselle, je le prends pour l' amour de vous, mais allez moy querir vos deux filles: car je leur veux dire adieu. La pauvre femme qui cuidoit estre en Paradis de ce que son present avoit esté en fin accepté, alla querir ses filles, lesquelles estoient belles, bonnes, & bien enseignees, & avoient beaucoup donné de passe-temps au Chevalier durant sa maladie:

Parce qu' elles sçavoient fort bien chanter, joüer du lut, & de l' espinette. Si furent amenees devant luy, lequel pendant qu' elles s' accoustroient avoit faict mettre les ducats en trois parties, és deux, à chacune mil ducats, & à l' autre cinq cens. Elles arrivées se jettent à genoux, mais incontinent furent relevées: Puis la plus aisnée des deux commença de dire. Monseigneur, ces deux pauvres filles, ausquelles avez tant faict d' honneur que de les garder de toute injure, viennent prendre congé de vous, en remerciant tres-humblement vostre Seigneurie, de la grace qu' elles ont receuë, dont à jamais (pour n' avoir autre puissance) seront tenuës de prier Dieu pour vous. Le Chevalier quasi larmoyant, en voyant tant de douceur & d' humilité en ces deux belles filles, respondit: Mes Damoiselles vous faictes ce que je deurois faire, c' est de vous remercier de la bonne compagnie que m' avez faicte, dont je me sens fort vostre obligé. Vous sçavez que gens de guerre ne sont pas volontiers chargez de belles besongnes pour presenter aux Dames. De ma part il me desplaist grandement, que je n' en suis bien garny, pour vous en faire present. Madamoiselle vostre mere m' a donné deux mille cinq cens ducats, que voyez sur cette table. Je vous en donne à chacune mille pour ayder à vous marier: & pour ma recompense, vous prierez s' il vous piaist Dieu pour moy, autre chose je ne vous demande. Si leur meit les ducats en leurs tabliers voulussent ou non, puis s' addressa à la mere à laquelle il dict. Madamoiselle je prendray ces cinq cens ducats à mon profit, pour les departir aux pauvres Religions des Dames qui ont esté pillées, & vous en donne la charge: car mieux entendez où sera la necessité que toute autre, & sur cela je prends congé de vous, & leur toucha en la main à la mode d' Italie, lesquelles se meirent à genoux, plorans si tres-fort qu' il sembloit qu' on les voulust mener à la mort. Lors dit la mere, fleur de Chevalerie, à qui nul ne se doit comparer, le benoist Sauveur & Redempteur Jesus-Christ qui souffrit mort & passion pour tous les pecheurs, le vous vueille remunerer en ce monde, & en l' autre. Apres se retirerent en leurs chambres. Il fut temps de disner. Le Chevalier feit appeller son Maistre d' hostel, auquel il commanda que tout fust prest pour monter à cheval sur le midy. Le Gentil-homme du logis qui ja avoit entendu par sa femme la grande courtoisie de son hoste vint en sa chambre, & le genoüil en terre le remercia cent mille fois, en luy offrant sa personne & tous ses biens, desquels il pourroit disposer comme siens. Chose dont le Chevalier le remercia, & le feit disner avecques luy. Et apres ne demeura gueres qu' il ne demandast ses chevaux, tant luy tardoit qu' il n' estoit avecques sa compagnie par luy tant desiree, ayant belle peur que la bataille se donnast avant qu' il y fust. Ainsi qu' il sortoit de la chambre pour monter, les deux belles filles descendirent, & luy feirent chacune un present qu' elles avoient ouvré pendant sa maladie. L' un estoit de deux bracelets faicts de cheveux, d' or & d' argent tant proprement que merveilles: L' autre estoit une bourse sur satin cramoisy ouvrée subtilement. Grandement les remercia, & leur dit que les deux presens venoient de si bonnes mains, qu' il les estimoit hors de prix: & pour plus les honorer se feit mettre les bracelets aux bras, & meit la bourse en sa manche, avecques promesse que tant qu' ils dureroient il les porteroit pour l' amour d' elles. Sur ces paroles monta à cheval & vint trouver le Duc de Nemours qui l' attendoit avecques bonne devotion, & certes je ne pense point que l' on puisse representer Histoire diversifiée de tant de belles fleurs, comme cette-cy: & pour dire en un mot, de ce seul exemple vous pouvez recueillir quel fut le demeurant de sa vie.