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dimanche 23 juillet 2023

6. 36. Preuve miraculeuse advenuë tant au Parlement de Rouen, que de Paris, pour deux crimes dont la preuve estoit incogneuë aux Juges.

Preuve miraculeuse advenuë tant au Parlement de Rouen, que de Paris, pour deux crimes dont la preuve estoit incogneuë aux Juges.

CHAPITRE XXXVI.

Je veux sauter de la ville de Tholose, à celle de Rouen, & de Rouen à Paris. Maistre Emery Bigot Advocat du Roy au Parlement de Rouen, personnage de singuliere recommandation, qui exerça dignement l' espace de cinquante ans cest estat, me raconta autresfois une histoire de mesme subject. Il me dist les noms & surnoms des personnes, que j' ay oubliez, me souvenant seulement de la substance du fait. Il y avoit un marchand Luquois, qui s' estoit habitué dés long temps dans l' Angleterre, auquel ayant pris envie d' aller mourir avec ses parens, il les pria par lettres de luy apprester une maison, se deliberant de les aller voir dedans six mois pour le plus tard, & finir avec eux ses jours. Vers ce mesme temps il part d' Angleterre, suivy d' un sien serviteur François, avec tous ses papiers, & obligations, & descend en la ville de Rouen, où apres avoir fait quelque sejour, il prend la route de Paris: mais comme il est sur la montagne pres d' Argentueil, il est tué par son valet, favorisé de la pluye, & du mauvais temps qui lors estoit, & lors jette le corps dans les vignes. Comme cela se faisoit, passe par là un aveugle, conduit de son chien, lequel ayant entendu une voix qui se dueilloit, il demanda que c' estoit: à quoy le meurdrier respond que c' estoit un malade qui alloit à ses affaires. L' aveugle passe outre, & le Valet chargé des deniers, & papiers de son maistre se fit payer dans Paris comme porteur des obligations, & scedules. On attendit dans Luques un an entier ce marchand, & voyant qu' il ne venoit, on despesche homme expres pour en avoir des nouvelles, lequel entendit dedans Londres le temps de son partement, & qu' il avoit fait voile à Rouen: Où pareillement luy fut dit en l' une des hostelleries, qu' il y avoit environ six mois qu' un marchand Luquois y avoit logé, & estoit allé à Paris. Depuis quelque perquisition qu' il fist il se trouva en defaut, & ne peut avoir vent ny voye de ce qu' il cherchoit. Il en fait sa plainte à la Cour de Parlement de Rouen, laquelle commence d' embrasser cette affaire, commandant au Lieutenant Criminel d' en faire diligente recherche par la ville, & à Monsieur Bigot au dehors. La premiere chose que fit le Lieutenant, fut de commander à l' un de ses Sergens de s' informer par toute la ville s' il y avoit point quelque homme, qui depuis sept ou huit mois en là eust levé une nouvelle boutique. Le mouchard ne faut au commandement, & rapporte au Juge qu' il en avoit trouvé un, duquel ayant sceu le nom, le Lieutenant fait supposer une obligation, par laquelle ce nouveau marchand s' obligeoit corps & biens de payer la somme de deux cens escus dans certain temps, & en vertu d' icelle commandement luy estant fait de payer, il respond que l' obligation devoit estre fausse, & qu' il ne sçavoit que c' estoit. Le Sergent prenant cette response pour refus, le constituë prisonnier: & comme ils alloient de compagnie, il advint au marchand de luy dire qu' il se sçavroit bien deffendre contre cette procedure. Mais n' y a il point autre chose? adjousta il: Le Sergent dresse son exploict, & rapporta au Lieutenant Criminel comme le tout s' estoit passé, lequel s' attachant à ces paroles, s' il n' y avoit point autre chose: dés lors commanda qu' on luy amenast le prisonnier, & arrivé devant luy, il fait retirer un chacun, & d' une douce parole luy dist qu' il avoit fait retirer tous les autres, voulant traiter doucement cette affaire avecques luy: Qu' à la verité il l' avoit fait mettre en prison sous une obligation supposee, mais qu' il y avoit bien autre anguille sous roche: Car il sçavoit pour certain que le meurdre du Luquois avoit esté par luy commis: Que de cela il n' en avoit certaine preuve: Toutesfois desiroit manier cette affaire avec toute douceur. Que le deffunct estoit estranger, despourveu de tout support: Partant il estoit fort aisé de faire passer toutes choses par oubliance, moyennant que le prisonnier voulust de son costé s' aider. Cela se disoit de telle façon, comme si le Juge l' eust voulu sonder pour tirer argent de luy, à quoy il n' avoit veine qui tendist. A cette parole le prisonnier sollicité d' un costé d' un remords de sa conscience, d' un autre estimant que l' argent luy serviroit en cecy de garend, respondit au Juge qu' il voyoit bien qu' il y avoit en cecy de l' œuvre de Dieu: puis que où il n' y avoit autre tesmoin que luy, cela estoit venu à cognoissance, & que sur la promesse qui luy estoit faite, il recognoistroit franchement ce qui estoit de la verité. A cette parole le Juge estimant estre arrivé à chef de son intention, mande querir le Greffier: mais le prisonnier ce pendant voyant qu' il avoit fait un pas de sot, apres que le Juge luy eut fait lever la main pour dire la verité, commence de joüer autre roolle, & de soustenir que toute cette procedure estoit pleine de calomnie & fausseté. Le Juge se voyant aucunement frustré de son opinion, renvoya le marchand aux prisons, en attendant plus ample preuve. Mais luy apres avoir pris langue des autres prisonniers (qui sont maistres en telles affaires) appelle de son emprisonnement, & prend à parties tant le Sergent que le Lieutenant Criminel. Je vous laisse à penser si la cause estoit sans apparence de raison. Il s' inscrit en faux contre l' obligation. Il n' y falloit pas grande preuve, parce que les parties en estoient d' accord: Et de fait le Lieutenant vint par expres au Parlement, où il discourut tout au long comme les choses s' estoient passees. La Cour qui cognoissoit la preud' hommie de cest honneste homme, suspendit le cours de cette poursuitte jusques à quelque temps. Pendant lequel, elle donna charge à Monsieur Bigot de s' informer sur tout le chemin de Rouen à Paris s' il en pourroit sçavoir nouvelles. Ce qu' il fit avec toutes les diligences à ce requises. En fin passant par Argentueil, le Bailly luy dist que depuis quelques mois on avoit trouvé un cadaver dans les vignes my-mangé des chiens, & corbeaux, dont il avoit fait son procés verbal, duquel le sieur Bigot prit la copie. Sur ces entrefaites survint l' aveugle demandant l' aumosne en l' hostellerie où il estoit logé, lequel entendant la perplexité en laquelle ils estoient, leur discourut amplement ce qu' il avoit vers le mesme temps entendu sur la montagne: Bigot luy demande s' il recognoistroit bien la voix, l' autre respond qu' il estimoit qu' ouy. Sur cela il le fait mettre en trousse sur un cheval, & l' ameine en la ville de Rouen. Jamais trait n' avoit esté plus hardy en Justice que celuy du Lieutenant Criminel, toutesfois grandement subject à calomnie. Celuy que je reciteray maintenant ne sera de moindre effect. Le sieur Bigot estant de retour, apres avoir rendu raison de sa commission, on se delibere d' ouyr cest aveugle, & en apres le confronter au prisonnier: Luy doncques ayant tout au long discouru ce qu' il avoit entendu sur la montagne, & ce qu' on luy avoit respondu, interrogé s' il recognoistroit bien la voix, respond qu' ouy. On le confronte de loing au prisonnier sans le faire parler. Et apres que l' aveugle se fut retiré, on demande à l' autre s' il avoit moyens de proposer reproches contre luy. Dieu sçait s' il fut lors en beau champ. Car il remonstra que jamais on n' avoit practiqué tant d' artifices pour calomnier l' innocence d' un homme de bien, comme l' on avoit fait contre luy: Que premierement le Lieutenant Criminel en vertu d' une fausse obligation l' avoit fait constituer prisonnier, puis luy avoit voulu faire accroire avoir fait teste à teste une cognoissance particuliere de ce qui n' estoit point: & au bout de cela, de luy representer maintenant un aveugle pour tesmoin, c' estoit outrepasser toutes les regles de sens commun. Nonobstant cela, la Cour voyant qu' il ne disoit autre chose, on fait parler une vingtaine d' hommes les uns apres les autres, & à mesure qu' ils se teurent, on demanda à l' aveugle s' il recognoissoit leurs voix. A quoy il fit response que ce n' estoit aucun d' eux. En fin le prisonnier ayant parlé, l' aveugle dit que c' estoit la voix de celuy qui luy avoit respondu sur la montagne pres d' Argentueil. Ce mesme broüillement de voix ayant esté deux & trois fois reïteré, l' aveugle tomba tousjours sur un mesme poinct sans varier. Prenez separément toutes les rencontres de ce procés, vous y en trouverez beaucoup qui font pour l' absolution: Mais quand vous avrez meurement consideré le contraire, il y a une infinité de circonstances qui vont à la mort: Un nouveau citoyen qui avoit dressé nouvelle boutique quelque temps apres la disparition du Luquois, la preud'hommie du Lieutenant Criminel cogneuë de tous, la deposition par luy faite, assistee de celle du Sergent: Mais sur tout la miraculeuse rencontre de l' aveugle, qui se trouva tant à la mort du Luquois, que depuis en l' hostellerie où estoit Bigot: & finalement que sans artifice il avoit recogneu la voix du meurtrier au milieu de plusieurs autres. Toutes ces considerations mises en la balance, firent condamner ce pauvre malheureux à estre roüé, & auparavant estant mis sur le mestier, il confessa le tout à la descharge de la conscience de ses Juges, & fut le jour mesme executé à mort. 

Je vous en raconteray un autre non moins miraculeux que cestuy. En l' an 1551. la nuict de Noël un homme nommé Moustier du village de Sainct Leup pres de Montmorency assomma d' un marteau pres de l' Eglise de saincte Oportune dans Paris, une jeune femme allant à la Messe de minuict, & luy osta ses bagues. Ce marteau avoit esté desrobé le mesme soir à un pauvre Mareschal voisin qui se nommoit Adrian Douë, lequel pour cette cause soupçonné d' avoir fait ce meurdre, fut tres-rudement traité par la Justice: Car pour en tirer quelque preuve, on l' exposa à une torture extraordinaire pour les presomptions violentes qui couroient encontre luy. De maniere qu' on le rendit estropié, luy ostant le moyen de gagner sa vie: & mourut ainsi miserable, apres avoir esté reduit en une grande pauvreté. On demeure pres de vingt ans sans recognoistre le malfaicteur: & sembloit que la memoire de cest assassin eust esté ensevelie dans la fosse de cette pauvre femme. Or entendez comme cela vint en fin à cognoissance, mais à vray dire, bien tard.

Jean le Flameng, Sergent des tailles de Paris, qui depuis fut premier Huissier en la Cour des Generaux des Aides, estant au village de Sainct Leup, pour executer une commission des Esleuz, un jour d' Esté pendant son souper, en presence de quelques habitans du lieu racontoit en quel estat il avoit laissé sa maison: Que sa femme y estoit malade, assistee seulement d' un jeune garçon: il y avoit lors ce vieillard, & un sien gendre, lesquels sur cette parole, partent la nuict, portans chacun d' eux un coffin plein de cerises, & un oison, & arrivent sur les dix heures du matin à la maison du Flameng: là ils buquent: La femme se met aux fenestres pour sçavoir qui c' estoit, ils luy respondent qu' ils avoient charge de son mary de luy apporter cet oison, & des cerises. A cette parole la porte leur estant ouverte, par le jeune gars, ils la referment sur luy, & à l' instant mesme luy coupent la gorge: Ce pauvre enfant se debatant, la femme oyant ce debat, se met en une gallerie, qui respondoit sur sa chambre, pour voir que c' estoit, elle apperceut un flux de sang dans sa cour, l' un d' eux luy dist que c' estoit du sang de l' oison: Ce pendant l' autre montoit de vistesse pour penser la surprendre: Elle se doutant de la verité du fait regagne promptement sa chambre: ferme sa porte au verroüil, & commence de s' escrier par la fenestre qu' on la vint secourir, & qu' il y avoit des voleurs dedans la maison. Ces deux malheureux voyans qu' ils avoient failly à leur entreprise, veulent sortir avant que la rumeur fust plus grande. La porte s' ouvroit & fermoit à clef par dedans. Dieu veut que la voulant ouvrir, la clef se rompt dedans la serrure. Se voyans pris, comme le rat dedans la ratiere, toute leur esperance fut d' avoir recours aux cachettes. Le plus jeune se musse au sommet d' une cheminee, le vieillard au profond d' une cave, & se descend dans le puis par un souspirail qui y regardoit: Le tumulte se fait grand par tout le voisinage. Plusieurs y accourent avecques armes, la porte enfoncee dedans, on trouve le corps du jeune garçon estendu sur la place. On court par toute la maison: Celuy qui estoit dans la cheminee fut le premier pris, & apres une longue recherche, l' autre qui ne monstroit que la teste au profond du puis. Ils sont menez au Chastelet, le procés leur est fait & parfait du jour au lendemain, condamnez à estre roüez, & en trois cens liures de reparation envers le Flameng: Appel: la sentence confirmee par arrest: ils sont menez aux Halles pour estre executez. Comme ils estoient sur l'  escharfaut, le vieillard requiert qu' on luy amenast la veufve du Mareschal, dont j' ay n' agueres parlé. Venuë qu' elle est, il luy demande pardon, dit qu' il ne veut mourir sa conscience chargee de cest autre meurdre. Que c' estoit luy qui avoit tué la jeune femme pres saincte Oportune. Le Greffier redige tout au long par escrit sa confession. Ce fait, ils sont roüez. Je vous ay jusques icy discouru comme ces miserables furent pris par un exprés miracle de Dieu, & qu' en fin ce meschant vieillard s' accusa du malheureux meurdre par luy commis, il y avoit vingt ans passez. Ce que je diray maintenant paravanture merite bien de vous estre representé. La veufve du Mareschal demande pardevant le Prevost de Paris, reparation sur les biens du vieillard. Qui luy est par sentence adjugee, jusques à la somme de quatre cens liures. De là sourd une autre question, d' autant que cette veufve soustenoit devoir estre payee devant les trois cens liures du Flameng, & ainsi fut jugé pour elle, dont le Fiameng ayant appellé, sa cause fut par moy plaidee contre Maistre Jean Chipart, Advocat de la veufve, pour laquelle il disoit que le delict avoit esté commis vingt ans passez, & puis que son mary innocent en avoit porté la tare, la raison vouloit bien aussi que l' amende de quatre cens liures fust la premiere payee, embellissant de plusieurs autres belles raisons sa cause: Au contraire je soustenois qu' il ne falloit aisément adjouster foy à la deposition du vieillard, au prejudice du Flameng: Car lors il estoit une personne morte civilement, joinct que mourant sur la poursuitre qu' en avoit fait le Flameng, ce meschant homme pouvoit avoir esté induit à faire cette deposition pour se venger de luy. Qu' en matiere de delicts, il n' y avoit point d' hypotheque: & finalement que sans la poursuitte faite par le Flameng, jamais le vieillard ne fust venu à recognoissance. Que tout ainsi que celuy qui fait des impenses necessaires pour la conservation d' une maison, est payé auparavant tous autres creanciers hypothequaires, ores qu' il leur soit subsequent de date: Aussi devoit-il estre le semblable au cas present en faveur du Flameng. Sur cela les parties appoinctees au Conseil, en fin s' ensuivit arrest, par lequel il fut ordonné qu' elles seroient payees par desconfiture, c' est à dire aux souls la liure sur les biens de ce vieillard.

mardi 6 juin 2023

3. 9. Du deschet, & desbauche de nos privileges, soubs la seconde lignee de noz Roys.

Du deschet, & desbauche de nos privileges, soubs la seconde lignee de noz Roys. 

CHAPITRE IX.

L' ignorance de nos Prelats envelopee des guerres civiles (qui ne produisent ordinairement autre chose que la desolation de l' Estat Ecclesiastic) ceste ignorance, di-je, commençant de tomber au temps de ce grand Nicolas, il ne faut pas trouver estrange s' il ne fut adoncques mal-aisé de nous faire descheoir d' un degré ou deux de nos anciens privileges. Aussi certainement est-ce luy dessous ceste seconde lignee qui y donna la premiere atteinte, & pour une tres-juste cause que l' on ne doit passer soubs silence, a fin que ce nous soit une leçon pour nous apprendre de n' abuser des benefices, qui nous sont accordez de Dieu. Je vous ay n' agueres recité un abus qui fut fait au Concil de Lion, ou bien de Soissons, tenu contre Louys le Debonnaire, je vous en raconteray maintenant un autre qui fut commis en la ville d' Aix, pour gratifier à la passion d' un Roy, qui n' estoit pas veritablement Roy de France, mais estoit l' un des successeurs de Charlemaigne, & si tenoit son Royaume dedans l' enclos de noz Gaules. Il prit opinion au Roy Lothaire second, petit fils du Debonnaire, de repudier la Roine Tutbergue sa femme, voulant espouser Uvaldrade (Waldrade) sa concubine, de l' amour de laquelle il estoit infiniement esperdu. Ce qu' il ne pouvoit faire sans scandale: car la Royne estoit apparentee de plusieurs grands Princes. Cela fust cause qu' il y voulut employer un faux pretexte de l'  Eglise, & abuser du remede *commun de la France, je veux dire de l' auctorité d' un Concil. Waldrade estoit niepce de Gontier Archevesque de Cologne, & grand Aumosnier du Roy, qui prend ceste affaire en main, & pour parvenir à son dessein, attire à sa cordelle Tutgrand, Archevesque de Treues. Le Concil est encommencé premierement dans Cologne, puis parachevé à Aix la Chapelle (siege du Royaume de Lothaire) ou par commune resolution de toute l' assemblee ce divorce fut approuvé, & le Mariage trouvé bon d' entre le Roy & Waldrade. Les parens de la pauvre Royne ne s' en peurent taire: Ils vont au recours des affligez en la ville de Rome: où ils trouverent le Pape Nicolas tres-disposé à embrasser leur complainte, lequel dés l' instant mesmes delegua Hagayer, & Rodoal Evesques, Legats en ceste France pour s' informer comme le tout s' estoit passé. C' estoit à parler François entreprendre à huys ouvert sur nos anciens privileges. Car auparavant vous ne trouverez point que jamais le semblable eust esté pratiqué en la France. Lothaire craignant la fulmination Apostolique s' excuse sur les Evesques de son Royaume, dit qu' il n' a rien fait que par leur adveu & authorité. Ces deux Legats luy conseillent d' envoyer par devers le Pape les deux Archevesques qui avoient presidé en ce Concil, a fin (comme il est à croire) que la punition qui seroit exercee sur eux, servit de bride non seulement aux autres Prelats, mais aux Roys. Le Roy les croit & de fait envoye Gontier, & Tutgrand à Rome pour prendre raison de leur fait. C' estoit un second deschet de nos privileges. Ils avoient affaire à un tres-advisé Prelat, lequel, bien qu' il estimast ses sentences n' être sujettes à controle que de luy seul, comme il avoit escrit à l' Empereur de Constantinople, si ne voulut-il franchir le pas pour le premier coup contre nous: Mais pour n' être veu deroger de plain faut à nos privileges, ne voulut employer sa puissance absoluë, ains nous combattant de nos mesmes armes, fit faire un Concil, par l' advis duquel il anathematiza ces deux Prelats, les priva de leurs Archeveschez, degrada de l' ordre de Prestrise, & reduisit pour tout soulas à la communion des Laiz. Et combien que ce jugement ne feust pas agreable à tous, comme nouveau, & non jamais au precedent veu dans la France, & que ces deux Prelats s' en plaignissent à l' Empereur Loys, frere de Lothaire. Disans que jamais Metropolitain n' avoit esté destitué de son siege entre nous, sans le vouloir du Prince, accompaigné de la sentence des autres Metropolitains. Ce nonobstant, ce decret sortit son plain effect, & ne peurent jamais ces deux Evesques obtenir restitution du Pape, encores que par deux & trois fois ils s' allassent jetter à ses pieds. Jugement certes tres-sainct, & tres-juste. Car si Dieu oste les Royaumes, & les transmet d' une main à autre, pour le peché des Roys, comme nous en voyons plusieurs exemples dans la Bible, hé vrayement quand il eust permis que tout à fait nous fussions decheuz de nos privileges anciens, nous n' eussions esté chastiez que selon noz demerites. L' exemple que je vous viens de reciter servit puis apres de grande planche. Car à la suitte de ce jugement, Nicolas voyant que Lothaire perseveroit en son peché, depescha Arsenius autre Legat, lequel passant plus outre que les deux autres, assembla de l' authorité Apostolique un Concil encontre Lothaire, l' exhorte d' abandonner sa concubine, & de retourner à sa vraye espouse, sur peine d' encourir les censures Ecclesiastiques. Ce que Lothaire fut contraint de faire. Et en ce mesme Concil le Legat excommunia Eugiltrude femme de Bosson, lequel elle avoit quitté pour adherer à Uvanger (Wanger), l' un de ses vassaux: Adjurant tous les Prelats des Gaules, Germanie, & Neustrie, par l' authorité de Dieu tout puissant, de S. Paul, & de Nicolas Pape universel, de ne recevoir ceste Princesse en leurs Eglises. 

Voila comment nostre Eglise Gallicane descheoit de ses anciennes libertez: Et combien que le sainct Siege eust lors attaint à tout ce que l' on pouvoit souhaitter de grandeur, comme mesmes l' on peut remarquer par le huictiesme Concil general de Constantinople tenu soubs Adrian second, toutesfois nostre Eglise ne pouvoit aisement souffrir que le Pape entreprist sur noz Ordinaires: & de ce s' en trouve un exemple fort notable soubs le mesme Adrian deuxiesme, du temps de Charles le Chauve, n' estant encores Empereur. Il s' estoit fait donner quelques biens de l' Eglise de Laon par Hincmare, lors Evesque de ce lieu. Don qui avoit esté bien & deuëment emologué. Depuis il redonna ces mesmes terres à un Gentil-homme, duquel, l' Evesque induit d' une repentance, les vouloit repeter: mais luy n' en voulant passer condemnation, fut soudain excommunié par l' Evesque. C' estoit un baston, dont lors & apres escrimerent trop librement les Superieurs de l' Eglise, & qui fit venir par succession de temps ces excommunications en nonchaloir, pour en user indifferemment, & les mettre en œuvre sans discretion. Le Gentil-homme en appelle, & releve son appel par devant Hincmare Archevesque de Rheims, lequel fut un tres-grand personnage de son temps. Apres que l' Archevesque eust cogneu du merite de ceste cause, & comme les choses s' estoient passees à l' endroict du Roy, il annulla la sentence, & renvoya le Gentil-homme absous des censures Ecclesiastiques. Dont l' Evesque de Laon indigné, appella en Cour de Rome. Ceste appellation trouvee insolente, & nouvelle, Charles le Chauve s' en remuë, & fait assembler les Prelats de la Province à Rheims, où par l' advis du Concil cest appel fut declaré non recevable, ny vallable. D' autant que par les anciens decrets de l' Eglise Gallicane, les causes ne devoient outre-passer les limites du Royaume, où elles avoient esté encommencees. Chose dont le Pape Adrian indigné, blasma grandement Hincmare Archevesque, & en escrivit mesmement lettres au Roy, pleines de courroux, & contumelie. Parquoy enjoignir à l' un & à l' autre par puissance, & autorité Apostolique, qu' ils deferassent à cest appel, & que les parties eussent à se trouver à Rome, pour y être la cause jugee. A quoy Charles aidé, comme il est vray-semblable, des instructions de l' Archevesque, respondit assez brusquement que c' estoit contre tout l' ordre ancien de Rome, & de la France, que le Roy ordonné de Dieu pour reformer toutes les fautes de ses subjets, permit que celuy eust recours à Rome, qui avoit esté condamné par un Synode Provincial en presence de son Metropolitain, & que jamais ses predecesseurs Roys de France, n' estoient tombez en cest accessoire: que les saincts decrets anciens, mesmes de Rome, resistoient à ceste nouvelle entreprise. Parquoy desiroit faire, non ce que le Pape, mais bien l' Eglise ancienne de Rome, ordonnoit. L' exhortant pour conclusion qu' il eust à l' advenir à se deporter de lettres de telle substance envers luy, & ses Prelats, a fin qu' ils n' eussent occasion de l' esconduire.

Telle fut doncq' la responce de Charles, beaucoup plus forte & vertueuse que celle qu' il fist puis apres, estant Empereur. L' ambition extraordinaire meurdriere de tous les Estats, n' hebergeoit lors en son cerveau, ny le temps, & l' occasion ne luy avoient encores suggeré les memoires, qu' il pratiqua depuis la mort de Louys Empereur d' Italie son nepueu. Cest Empereur decedant, avoit delaissé trois enfans, Carloman, Louys, & Charles le Gras, ausquels par droict successif devoit appartenir cest Empire, toutesfois Charles le Chauve par brigues & moyens sinistres, les supplanta, & se fit couronner Empereur de Rome par le Pape Jean huictiesme, avec lequel ayant lié sa fortune, il la voulut estayer par nouvel advis, & rendre grand à son possible celuy qui l' avoit gratifié de ce beau tiltre d' Empereur. 

Ce Prince d' un esprit remuant, fantasque, & bisarre, homme de peu d' effect, auquel la famille des Martels doit principalement sa ruine, voulut pour se magnifier en qualité d' Empereur, faire tenir un Concil general en un lieu nommé Pontigon, où il se trouva lors en personne, habillé à la Françoise, non à la Grecque, & avec luy Jean Evesque de la Toscane, Legat du Pape Jean huictiesme: lequel dés la premiere seance fit faire lecture des bulles Apostoliques, par lesquelles le Pape leur permettoit l' ouverture du Concil: & aussi deleguoit Ansegise Evesque de Sienne pour son Legat, tant sur les Gaules, que Germanie, approuvoit, & avoit pour agerable tout ce qui seroit par luy faict, luy permettant d' y faire celebrer les Concils, comme si le Pape y eust esté en personne. Les Evesques grandement estonnez de ceste nouvelle commission, demanderent avant que de passer plus outre, d' en avoir copie. Ce que le Roy, qui s' entendoit avecq' le Pape, refusa, & ordonna que puis que sa Sainteté l' avoit ainsi ordonné, Ansegise tint la primace de toutes les Gaules, & en ceste qualité luy fit bailler siege par dessus tous les autres Prelats, baillant à l' Evesque de la Toscane le costé droit. Hincmare Archevesque de Rheims se leve sur pieds, & s' oppose fortement à ceste entreprise, soustenant hautement que c' estoit directement contrevenir aux decrets anciens de l' Eglise Gallicane. Bref les choses se passererent lors au contentement des Prelats, nonobstant l' intervention manifeste du Roy. Dont luy irrité retournant à ceste assemblee, lors habillé à la Gregeoise (comme Prince plain de vanité qu' il estoit) somma de rechef ces Prelats de satisfaire au vouloir du Pape en faveur d' Ansegise. A quoy ils respondirent que jamais ils n' avoient desobey aux commandemens reguliers du Pape, ny de ses predecesseurs. Et comme il les pressast d' avantage de franchir le pas, il ne peut obtenir d' eux non plus en la derniere session, qu' il avoit faict en la premiere. Qui monstroit qu' en eux n' estoit encor du tout esteinte ceste ancienne vertu, & liberté de nostre Eglise Gallicane. Et comme Jean huictiesme ne s' en fust voulu taire, ains eust escrit lettres plaines de commination aux Eglises, & Clergé de France, pour n' avoir voulu endurer son Legat, Hincmare fit une responce concernant les Privileges de nostre Eglise, & c' est ce que veut dire Flodoard, parlant de luy, quand il dict. Respondit etiam ad capitula quædam Episcopis Regni Francorum à Joanne Papa transmissa, de privilegiis sedium, per capitula septem: quoniam idem Papa nisus fuerat Ansegisum Senensem Episcopum, primatem constituere, ut Apostolica vice per Gallias, & Germanias frueretur, cui conatui venerabilis hic praesul Hincmarus obstitit. Il respondit, (fait-il) quelques articles envoyez aux Evesques de France par le Pape Jean, sur les Privileges des Eglises Cathedrales, & ce par sept Chapitres. D' autant que ce Pape s' estoit efforcé d' establir Ansegise Evesque de Sienne Primat, & son vicegerant par toutes les Gaules & Germanies. Auquel dessein ce venerable Prelat Hincmare resista: & neantmoins par ce que l' on luy improperoit calomnieusement que defendant nos privileges si fortement, il avoit en cela mespris contre le S. siege de Rome. Qui est une opinion qui peut aisément entrer en un cerveau morfondu. Voicy qu' en dit le mesme Flodoard. Scripsit & Apologeticum contra obtrectatores suos, qui calumniabantur eum diversis obtrectationum apetitionibus, scilicet apud Joannem Papam, quod nollet autoritatem recipere, & decreta Pontificum sedis Romanae, atque & tunc in Synodo Tricassina, & postea in hoc Apologetico respondit, refellens *convitiatores suos, & se decretalia Pontificum Romanorum à sanctis Conciliis recepta, & approbata recipere, & sequi discretè pro ut sunt sequenda depromens. Il escrivit (dit-il) un Apologetic contre ses mesdisans, qui le calomnioient diversement envers le Pape Jean, comme s' il n' eust voulu recevoir les decrets du Siege Apostolic de Rome. Chose dont il se purgea tant au Concil tenu à Troye, que par cest Apologetic, declarant qu' il adheroit aux decrets des Papes receus & approuvez par les saincts Concils, enseignant comment il y falloit distinctement obeyr. Qui sont passages dignes d' être notez pour l' ancienneté de nos privileges. Et à la mienne volonté que ce livre fust en essence. Et certes on ne peut oster à Hincmare qu' il ne fust un tres-grand personnage, & l' un des plus grands protecteurs en ce temps là de nos privileges: mais si vous tournez le fueillet, vous le trouverez aussi avoir esté sur son advenement, & selon les occasions, l' un des plus grands perturbateurs d' iceux. Et par ce que parlant de luy avec personnages de ce temps, studieux de l' antiquité, je ne leur pouvois faire accroire cela, je le vous veux representer par un exemple digne aussi du present subjet. Ebon Archevesque de Rheims avoit esté l' un des principaux entremetteurs de la conspiration qui fut dressee contre le Debonnaire par ses enfans, qui fut cause que cest Empereur estant depuis restably en ses Estats, s' en voulut ressentir contre luy, & le fit priver de son Archevesché par le Pape Sergius deuxiesme, & en son lieu fut mis Hincmare. Encores que ce personnage fust infiniement bien duict, & nourry aux privileges anciens de nostre Eglise Gallicane, & qu' il ne fust pas d' advis de les changer aisement, comme vous avez peu entendre par les choses que je vous ay presentement discourues: si est-ce que prevoyant ce qui advint depuis, & desirant se rendre asseuré de tout point, non seulement ne se contenta des voix & suffrages du Clergé, assistez de l' authorité de l' Empereur, mais voulut recevoir confirmation par le Pape, auquel l' Empereur adressa lettres patentes pour cest effect, si ne peut il toutesfois de telle façon obvier aux inconveniens que le Debonnaire estant mort, Lothaire son fils Empereur ne fist restituer Ebon en son ancien siege, avec le consentement de quelques Evesques, lequel aussi non content de ce, alla à Rome, où il fut receu par le Pape en sa communion, & de là retourna à l' exercice de sa charge, en laquelle il promeut quelques uns aux ordres, & aux autres il confera divers benefices selon que l' occasion s' estoit presentee. Mais aussi tost qu' Ebon fut decedé, & Hincmare de retour en son Archevesché, il les priva de tous les biens, degrez, & honneurs qu' ils avoient receuz du deffunct, comme ayans esté conferez par celuy qui n' avoit eu pouvoir de ce faire. Ce pauvre peuple ne s' en peut taire, & fut la matiere de telle façon ventilee, que l' on en vint jusques à un Concil qui fut tenu à Soissons, auquel lieu, par ce que la cause se traictoit contre le Metropolitain, il fut dit que les parties conviendroient de 2. ou 3. Juges, sous l' arbitrage desquels seroit la question terminee en la presence du Concil. C' estoit la forme qui estoit prescrite tant par un Concil Africain, que par les loix Synodales de Charlemaigne. Chose à quoy Hincmare condescendit liberalement, mais avec une protestation telle que l' on lit dans les actes de ce Concil, qui fut telle. Ego Hincmarus sanctae Metropolitanae Ecclesiæ Rhemorum Episcopus in hac dumtaxat caussa, quae ventilatur de his, qui se à Domino Ebone depositionem suam asserunt ordinatos, eligo mihi iudices, quos Canones Electos appellant, Uveinlonem (Weinlonem) Senonensem Archiepiscopum, Pardulsum dioceseos nostra Laudunensem coepiscopum servantem locum nostrum in hoc iudicio, nostræ authoritatis salvo in omnibus primatii Metropolis Rhemorum Ecclesia iure, & manente in suo statu, quod quidem ius cum aliis Metropolitanis mihi à sacris canonibus est collatum: salva etiam reverentia Apostolica sedis, quae in omnibus caussis debet reverenda adhiberi, sicut Innocentius Papa ad Victricum Rhotomagensem scribit Episcopum, & sancti etiam Canones præfigere dignoscuntur. C' estoit en bon langage un huis de derriere qu' il se reservoit & un recours au siege Apostolic, s' il luy fust mesadvenu de sa cause, contre l' ancienne usance de France. Là furent deduictes plusieurs choses sur la destitution, & restitution d' Ebon, & à vray dire, toutes les fleiches que l' on descochoit d' une part & d' autre, ne concernoient que la grandeur, & authorité du Siege Apostolic. Par ce que Hincmare remonstroit que Sergius Pape avoit reduit Ebon en une communion laicale, & privé de son Archevesché, mesmes sur ce que la congregation des Evesques de France luy en avoit escrit. Au contraire qu' il avoit esté receu, & instalé en ce siege par election du Clergé, & lettres patentes du Roy, ensemble par confirmation du mesme Sergius. Que suivant cela il avoit receu l' honneur du Pallium du sainct Siege: Que tout ce que ses adversaires alleguoient de la restitution faire par Lothaire, & quelques Evesques, estoit en partie supposé, & en partie contre les Canons Ecclesiastics. Surquoy, apres avoir ouy meurement les parties, il fut sententié pour Hincmare, & ordonné que les destitutions tiendroient. Toutesfois Hincmare non content de cela, en advertit encores le sainct Siege, & fit confirmer par Benoist Pape tout ce qui avoit esté arresté en ce Concil. Et non content de cela, Benoist donna d' abondant ce privilege à Hincmare, que nul de ses diocesains apres avoir souffert sentence de condemnation de luy, n' en peust appeller. Quoy faisant, il derogeoit grandement à nos privileges en ostant la voye ancienne d' appel du Metropolitain au Concil provincial. Hincmare pensoit s' être de ceste façon asseuré pour avoir d' un costé suivy la vieille discipline de France, j' entends d' avoir fait confirmer par Concils ses sentences: & encores la nouvelle forme, ayant fait par une abondance de seurté ratifier par le Pape, tout ce qui s' estoit passé à Soissons. Toutesfois ses parties adverses ayant fait consultation pour eux sur la protestation du mesme Hincmare vont à Rome, discourent leur fait avecq' humble supplication au Pape Nicolas premier successeur de Benoist, lequel casse & annulle ceste sentence Synodale contre eux donnee, & les restitue en entier. Par ce qu' il ne falloit imputer à ces pauvres gens à vice, si suivans la foy du public, & l' erreur commun de tous, qui vient au supplement du droict, ils avoient pris provision de celuy qui estoit par la commune voix du peuple en opinion d' être leur vray superieur. Nicolas estoit un grand Pape, mais il s' atachoit aussi à un bien grand Archevesque, lequel revenant comme d' un profond sommeil, & cognoissant la faute qu' il avoit commise en soy departant de nos anciens privileges, pour avoir recherché de là les monts ce qui naissoit dans nostre France, escrivit une lettre bien ample à Nicolas (avec tel honneur toutesfois que requeroit la dignité qu' il soustenoit, car il l' appelle son unique Seigneur, Pere des Peres) par laquelle lettre il luy remonstre modestement sans riens toutesfois obmettre qu' il ne devoit retracter ce qui avoit esté passé & conclud en un Concil National, le tout ainsi que nous aprenons plus amplement de Flodoard.

A quel propos tout cecy? non à autre, sinon pour monstrer comme les affaires de nostre Eglise Gallicane se trouverent adoncques vagues & fluctuantes pour l' injure du temps, & que pour vray dire, il n' y avoit riens si certain que l' incertain. Par ce que ceux qui en tenoient la plus forte clef, embrouilloient à leur appetit la serrure, faisans sur un mesme subject le faict & defaict. Car vous voyez ce grand Prelat avoir du commencement sa retraicte à Rome, pour la manutention & asseurance de sa dignité, craingnant quelque algarade de Lothaire lors qu' il seroit Empereur: & d' avantage, qu' il proteste avoir recours vers le Pape en ce Concil de Soissons, sa cause se trouvant en balance. Toutesfois depuis s' estant avecq' le temps asseuré de la volonté de l' Empereur, il en ferma du tout la porte de Rome à l' Evesque de Laon: comme au contraire Charles le Chauve du commencement ne portant que tiltre de Roy, souz Adrian deuxiesme favorisa noz privileges, contre lesquels depuis il s' arma en faveur du Siege de Rome souz Jean huictiesme, par lequel il avoit esté sacré Empereur. Et qui approfondira ceste Histoire, trouvera qu' il n' y eut que l' ambition en l' un & l' autre, qui leur fit oublier l' ancienneté de nostre Eglise. Car a fin que l' on ne pense point que ce soit une charité que je leur preste soubz faux gages, Rheginon parlant du sacre & Couronnement de Charles le Chauve, dit qu' il l' achepta à beaux deniers contens, pour defrauder de l' Empire les vrays & legitimes heritiers. Carolus senior (dit-il) Romam secundò profectus, ubi iampridem Imperatoris nomen à præsule sedis Apostolicae ingenti pretio emit. Charles l' aisné vint à Rome pour la seconde fois, où dés pieça il avoit achepté du Pape le tiltre d' Empereur grande somme d' argent. Auquel lieu il appelle Charles l' aisné, à la diference de Charles le Gras l' un de ses nepueux fils de l' Empereur. En cas semblable Leon quatriesme pour attirer de toutes les façons qu' il peut Hincmare à sa devotion, luy envoya le Pallium avec une prerogative extraordinaire qu' il n' avoit jamais octroyee, comme Flodoard, faisant grande commemoration de luy, nous enseigne en ces paroles, quand il dit que, Pro sua sanctitatis, & sapientiae reverentia per interventionem Lotharii Imperatoris, Pallium ad quotidianum suscepit usum à quarto Leone Papa à quo iam aliud perceperat, ut designatis sibi solemnitatibus servandum: quem quotidianum Pallii usum nulli unquam Archiepiscopo se concessisse, vel deinceps concessurum esse, idem Papa in Epistola ad eum directa testatur. C' est à dire, Que pour la reverence de la saincteté & sagesse qui estoit en luy, Leon quatriesme luy avoit envoyé le Pallium par l' entremise de l' Empereur Lothaire, pour en user tous les jours, lequel il avoit une autrefois receu pour en user aux solemnitez à ce dediees, & protesta lors le Pape par lettres à Hincmare qu' il n' avoit jamais octroyé, ny n' octroyeroit à l' advenir ceste prerogative à nul autre. Il ne falloit point dire que Leon ne l' eust jamais octroyé. Car la verité est qu' au paravant nul n' en avoit usé de ceste façon. Et de faict sainct Gregoire en osta l' usage à l' Archevesque de Ravenne, qui maintenoit luy être permis par ancien privilege d' en user tous les jours. Que s' il vous plaist raporter chaque chose à son temps, il sera fort aisé de cognoistre d' où proceda l' entreprise qui fut faite par l' un & l' autre au prejudice de nostre Eglise. Car lors que Charles fit tenir ce deuxiesme Concil, dont j' ay parlé cy-dessus, ce fut soubz Jean, dont il avoit achepté la Couronne de l' Empire, & le Concil de Soissons fut celebré soubz Benoist successeur de Leon, lors, que la memoire n' estoit encores effacce en l' esprit de Jean, du bien fait qu' il avoit receu de son predecesseur, voulans chacun endroit soy favoriser ceux ausquels ils se sentoient obligez, aux despens de nostre liberté ancienne: & l' un des plus grands instrumens qui se trouva & lors, & depuis pour asservir noz Prelats, fut le Pallium, dont chacun se rendoit par une ambition particuliere esclave, a fin d' être comme Vicegerans du sainct Siege en ceste France: mesmes que les Papes se dispensoient fort aisément de l' envoyer non seulement aux Metropolitains, mais aussi aux simples Evesques. Quoy faisans, c' estoit apporter prejudice à ces Metropolitains, ausquels les Evesques chargez de cest honneur, se vouloient parangonner par le moyen de ceste gratification. Chose dont Foulques Archevesque de Rheims se plaignit envers Formose Pape, disant que cela apportoit deux maux, c' est à sçavoir, la confusion & desordre en l' Eglise Gallicane, & l' avilissement de cest honneur en la Romaine, pour être conferé sans acception de personnes autant aux indignes, comme à ceux qui le meritoient, & aux Evesques, comme aux Archevesques. 

Les affaires de la France n' estoient lors arrivees à tel periode, où elles tomberent puis apres: mais toutes ces choses n' estoient qu' un fondement de la mutation qui devoit puis apres advenir tant en l' Estat Ecclesiastic, que seculier, dont le Chauve fut l' un des premiers Autheurs: aussi ne me peut-on denier que le lot qui luy escheut en partage, n' ait esté presque celuy dont noz Roys furent assortis, & que nous appelames depuis Royaume de France. Or depuis l' Empire du Chauve, jusques à la venuë de Capet, ne recherchez une vraye & asseuree face d' Estat, ny en la France, ny en Allemaigne, ains seulement un preparatif general de changement. Ce ne fut qu' un Chaos & meslange qui dura plusieurs longues annees. En tout cest entreject de temps, vous voyez un Bosson faict Roy de Provence, un Bauldouin se faire Comte de Flandre, un Raoul le Normant occuper l' Estat du pays, que nous appellons Normandie, un autre de mesme nom, celuy de Bourgongne, Guy, & Berenger, le Royaume d' Italie, Eude, & apres son frere Robert celuy de France, & apres luy Raoul son gendre: Arnoul Bastard, chasser Charles le Gras son oncle vray Empereur d' Allemaigne, pour s' en impatroniser. Pendant les quelles confusions, tout ainsi que la Majesté Royalle estoit tellement rabaissee, qu' à peine recognoissoit on le vray Roy de France, aussi s' evanouist la dignité de l' Eglise & des Prelats. Car combien que l' on fit contenance de proceder par election aux Eveschez, si estoient elles briguees, non par menees sourdes, pour couvrir la honte & pudeur, ains par la force & violence publique des plus grands: esquelles toutesfois pour apporter quelque asseurance, ils eurent recours à la voye qu' avoit suivy Hincmare. C' estoit de les faire confirmer & ratifier par le Pape, l' authorité duquel estoit lors arrivee en tel credit, que soudain qu' elle y estoit passee, on estimoit que toutes les fautes precedantes estoient couvertes. Et là où auparavant nous recherchions Rome ordinairement par devotion pour voir les saincts lieux, nous la recherchames de là en avant, pour couvrir & faire sortir effect à nostre ambition. Chose que je vous veux monstrer par un seul exemple pour tous; parce qu' en toute mon Histoire je ne me suis proposé que de cotter les plus signalez exemples d' entre plusieurs, & mesmement tirez des Autheurs qui furent ou du temps, ou fort proches des choses que je raconte. Seulphe (quatriesme en ordre en l' Archevesché de Rheims apres Hincmare) estant allé de vie à trespas, le Comte Hubert qui lors tenoit grand lieu en France, moyenna par les trafiques d' Abbon, & Bonon Evesques de Soissons, & Chaalons, que Hugues son fils, qui n' avoit encores attaint l' aage de cinq ans, fust éleu Archevesque de Reims: & pendant le soubz-aage de cest enfant, Raoul Roy, bailla à son pere par forme d' œconomat, le gouvernement du revenu de l' Archevesché: mais par ce que ceste election estoit indubitablement vitieuse, Heribert depesche messagers par devers Jean Pape, acompagnez d' Abbon, lesquels avec tres-humbles supplications, le requirent qu' il luy pleust par un privilege special confirmer ceste election. Ce qu' il fait: mais veut par mesme moyen qu' Abbon fut Vicegerant, & fist tous actes d' Archevesque en ce lieu au spirituel, jusques à ce que Hugues eust attainct aage complet pour être sacré. C' estoit mettre en œuvre à bonnes enseignes la proposition de Nicolas premier, lors qu' il disoit que tout ce qui estoit ordonné par le Pape, ne pouvoit être cassé, & qu' il donnoit dispense, ainsi qu' il trouvoit bon de faire, selon la qualité des personnes qui se retiroient devers luy. Cela estant ainsi depesché, Heribert commença de ravager en ceste Eglise, comme un loup affamé au meillieu d' un troupeau de brebis, & destituë Flodoard Chanoine de l' Eglise de Rheims, (duquel j' ay emprunté ceste Histoire) & autres siens compagnons, pour n' avoir voulu assister à ceste election. Et depuis Oldaric Evesque d' Aix s' en estant fuy de son Diocese, pour la persecution des Sarrazins, le mesme Heribert le fit commettre au lieu d' Abbon à l' administration du spirituel, luy laissant pour ses aliments le simple revenu d' une prebende & d' une petite Abbaye. L' indignité de ceste procedure fut cause que Louys d' Outremer arrivé à la Couronne voulut faire proceder à nouvelle election, par laquelle Artolde fut éleu & mis au lieu de Hugues, & peut estre n' y avoit-il pas plus de devotion en ceste-cy, qu' en la premiere. Car Heribert estoit celuy qui avoit fait mourir en prison Charles le Simple pere de Louys: toutesfois il y avoit plus de pretexte en ceste-cy qu' en l' autre, pour la qualité des mœurs & de l' aage. Artolde donc estant entré en la iouyssance de cest Archevesché il en est jecté dehors par Heribert, & Hugues le Grand son beau-frere, & à l' instant mesme pour oster tout obstacle, Hugues est remis en fort bas aage & sacré Prestre, puis Archevesque. Et vrayement & l' election, & la confirmation de Hugues, & tout ce qui avoit esté fait à la suitte de cecy par les superieurs de l' Eglise, estoit tant éloigné de droict divin & humain, qu' en ceste concurrence de deux Prelats, il n' y avoit que tenir pour luy: toutesfois encore n' osa l' on rompre ce qui avoit esté faict, que par les mesmes voyes dont l' on avoit usé en faveur de luy. Ce fut d' avoir recours à un Concil National dans Verdun, non toutes fois authorisé des Metropolitains, comme estoit nostre premiere coustume, mais souz l' authorité de l' Archevesque de Treues, president, non en ceste qualité d' Archevesque, mais comme Legat du sainct Siege. Et en ce Concil fut Hugues destitué de son Archevesché comme incapable.

Et si les Eveschez estoient en ceste façon mal menagees, encores y avoit-il aux Abbayes, & autres moindres benefices plus grand desordre. Par ce que les Roys s' estoient licentiez de conferer les Abbayes aux Princes, Seigneurs, & Gentils-hommes, pour les tenir leur vie durant, comme les Fiefs. Et comme en tels desordres generaux chacun veut faire le Roy, le semblable faisoient les autres Seigneurs à l' endroit de leurs favoriz, pour raison des moindres benefices. Ainsi lisons nous que Baudouin Comte de Flandres osta plusieurs Eglises parochialles aux vrais titulaires, pour en gratifier de sa propre authorité ceux que bon luy sembla. Desbauche qui estoit un prognostic tres certain du changement de ceste seconde lignee. Car il n' y a riens qui excite tant le courroux de Dieu, que de voir ses Eglises profanees, & tomber en la main de ceux qui se sont vouez au service du Prince temporel, & non du spirituel. Il me souvient avoir leu dedans Luithprand, que Hugues Comte de Provence, ayant esté infiniment heureux en tout le cours de ses affaires. (Car il avoit adjoinct sans grande difficulté à son estat toute l' Italie) Manasses Archevesque d' Arles son cousin le vint trouver, où apres luy avoir faict quelques services, Hugues pour le rendre grand, luy donna les Eveschez de Veronne, Tarente, & Mantouë. Lisez la suitte de ceste histoire, qui est expressement dediee pour ce Prince, vous trouverez que depuis qu' il eut en ceste façon licentieusement abusé des dignitez de l' Eglise, jamais il ne prospera, ains allerent tousjours les affaires en decadence jusques au dernier soupir de sa vie. Au contraire ce mesme Luithprand en son quatriesme livre nous recite qu' Othon premier Empereur de ce nom estant constitué en grandes angusties de guerre contre Henry son frere, & Gilbert son beau-frere Duc de Lorraine, un sien grand Seigneur Comte qui l' avoit suivy & servy fidelement en toutes ses guerres, le pria par lettres de luy vouloir donner une Abbaye lors vacante, riche & opulente en biens, & possessions temporelles, a fin que par le revenu d' icelle il eust moyen de stipendier ses soldats, & en soustenir plus aisément le defroy de la Guerre. A quoy l' Empereur d' un visage riant dit au Gentilhomme porteur de la lettre, qu' il avoit envie de faire response à son maistre plustost de bouche, que par lettre. Ce qu' entendu par ce Comte il fut infiniment resiouy, tenant ja pour accordé le Benefice qu' il avoit demandé. Et de ce pas s' achemina devers l' Empereur, le rechargeant de mesme requeste. Auquel ce Prince en presence de tout le peuple: Il faut (dit-il) plus obeïr à Dieu, qu' aux hommes. Car qui est celuy si peu clair-voyant qui ne voye que la requeste que me faites maintenant, n' est pas tant requeste, qu' une taisible, & ouverte menace pour la necessité en laquelle vous me voyez reduit? Mais il est escrit, ne donnez point aux chiens ce qui est sanctifié, lequel passage estant par les Docteurs pris en sens allegorique, j' estimerois donner aux chiens, si je donnois à celuy qui suit la guerre temporelle, un monastere, qui est dedié pour les Religieux qui guerroyent souz les estendarts de Dieu seulement. Pour ceste cause je veux bien que sçachiez en presence de tout ce peuple, que vous, qui me demandez avecq' telle arrogance un don tant desraisonnable, ne l' obtiendrez jamais ne (de) moy, ny autre chose dont me requeriez. Partant s' il vous vient à plaisir de prendre vostre vol vers ces autres rebelles, le plustost sera le meilleur.

Ces choses estans proferees d' une magnanimité digne d' un si grand Empereur, ce Comte non seulement ne tourna visage vers l' autre party, mais se jette aux pieds de son maistre, le priant tres-humblement de luy vouloir pardonner la faute, en laquelle il estoit inadvertemment tombé. Et à tant vivant cest Empereur en ce sainct propos, & ayant Dieu pour son protecteur au lieu des hommes, non seulement vint à chef de ses ennemis, mais qui plus est chassa sans esperance de retour, & Hugues, & Berenger, de l' Italie, la remettant souz l' Empire, dont elle avoit esté distraicte par deux ou trois successions d' Empereurs. Au contraire la posterité de Charlemaigne faisant lictiere des Eveschez & Abbayes, perdit la Couronne & fut cause d' eschanger l' ancienne discipline de nostre Eglise en une nouvelle, dont nous parlerons cy apres. 

jeudi 25 mai 2023

2.5. De l' ancienneté & progrez de la Chambre des Comptes.

De l' ancienneté & progrez de la Chambre des Comptes. 

CHAPITRE V. 

Apres avoir discouru du Parlement, il faut que je parle à son ordre de la Chambre des Comptes, comme estans deux compagnies qui fraternisent de tout temps ensemble, bien que soubz diverses charges: Soubz la premiere & seconde lignee de noz Roys, & bien avant soubz la troisiesme, il n' y avoit dedans Paris, Chambre des Comptes, non plus que Parlement. Tout cela se manioit à la suitte des Roys. Je ne puis mieux comparer ceste affaire, qu' à ce que nous voyons encores aujourd'huy en la Cour du Roy, où il y a un Conseil de grands Seigneurs que l' on divise en deux. Dont l' un est appellé Conseil de Justice, ou des parties, l' autre des Finances, ou d' Estat. Ainsi soubz le nom du Parlement, qui estoit le Conseil de noz Roys, on exerçoit ces deux charges pres d' eux. Depuis pour la commodité des subjects, ou paravanture pour le nombre excessif des Seigneurs qui y estoient, il fut trouvé bon d' en descharger la Cour du Roy & l' establir en certain lieu. Ce fut dans Paris, ville Metropolitaine de la France, où l' on feit deux compaignies souveraines, l' une pour la distribution de la Justice de partie à partie, telle que j' ay cy-dessus deduicte, l' autre pour l' ordre des finances & autres choses dont je parleray cy-apres. Compaignies qui curent plusieurs rencontres de l' une à l' autre. Toutes deux furent faictes sedentaires soubz le regne de Philippe le Bel. Et tout ainsi qu' elles avoient esté tirees d' un mesme corps, quand elles sejournoient pres de noz Roys, aussi furent-elles logees dedans un mesme pourprix, au Palais Royal de Paris. Ces deux Colleges furent du commencement appellez Chambres: Mot de tres-grande dignité envers noz anciens dans l' Europe, comme nous pouvons recueillir tant de la Chambre consistoriale de Rome, que de la Chambre Imperiale en Allemaigne. Les uns & les autres appellez Maistres: Ceux-là du Parlement, ceux-cy des Comptes. Autre mot qui prit grand pied sur le declin de l' Empire de Rome. Et comme le Parlement fust composé, partie de personnes Ecclesiastiques, partie de Laiz, aussi le fut la Chambre. Les Advocats & Procureurs generaux du Roy estoient communs pour les deux compaignies jusques en l' an 1454. que pour accommoder les affaires, fut de nouvel erigé un Procureur general pour la Chambre. Ce qui s' est continué jusques à huy. j' adjousteray que comme en la Chambre y avoit Rapporteurs des Comptes qui ne jugeoient, ains seulement les Maistres, aussi se faisoit le semblable en la Chambre des Enquestes du Parlement par sa premiere institution: Les uns estans par nos vieilles Ordonnances appellez Jugeurs, les autres Rapporteurs. Les Baillis, Seneschaux, & Procureurs du Roy des sieges inferieurs, venans rendre raison de leurs charges tous les ans, il failloit que cela fust faict par un commun vœu, en la presence de deux Maistres du Parlement, & d' un de la Chambre des Comptes, qui dressoient leurs procez verbaux, pour en faire diversement leurs rapports à leurs compagnies. Pareillement les Baillis & Seneschaux lors de leur reception, faisoient le serment, tant au Parlement qu' en la Chambre. Et pource que l' on pourroit dire que cela se faisoit en la Chambre, d' autant qu' ils estoient lors comptables du domaine du Roy, je le croy, mais aussi est-ce la verité que ceste coustume dura long temps apres qu' ils n' exercerent plus ceste charge, voire jusques au regne de Louys XII. En l' une & l' autre compagnie se sont tousjours verifiez les Edicts, establissements d' Apanages, engagements du Domaine, & autres affaires qui regardent l' Estat general de la France. 

J' adjousteray que comme l' on envoyoit deux fois l' an vers Pasques, & la sainct Michel, des Conseillers du Parlement pour tenir l' Eschiquier de Justice en la Normandie, aussi faisoit on le semblable des Maistres de la Chambre, pour le faict & examen des comptes. Il n' est pas qu' ils n' ayent quelquesfois pretendu avoir un droict d' indult sur les benefices, sinon tel que le Parlement, pour le moins non grandement eslongné d' iceluy. J' ay voulu toucher par expres toutes ces particularitez contre ceux qui se sont acroire qu' auparavant l' establissement de la Chambre de dans Paris, & long temps apres, les comptes estoient examinez par les Maistres d' hostel du Roy, & que venans sur leur vieil aage on les gratifioit de ceste charge. Chose dont ils n' ont aucuns registres, que de leurs vaines imaginations. Car au contraire il ne se trouve que jamais Maistres d' hostel y soient entrez anciennement, fors un qui tenoit grand rang pres du Roy Jean: Cerluy dont je parle fut Messire Nicolas de Brac, fondateur de la chappelle de Brac. D' ailleurs ceux qui sement ceste opinion, pensent que la Chambre ne peut cognoistre que de la ligne de compte: Qui est une heresie en l' histoire. 

Parquoy pour discourir de fonds en comble ce qui est de l' ancienneté & progrez de ceste compagnie, il ne faut point faire de doute que ceux qui du commencement curent ceste charge, estoient à la suitte de noz Roys. Nous eumes soubz le regne de Philippe de Valois un Jean de sainct Just, Maistre des Comptes, personnage de singuliere recommandation, que je voy avoir esté grandement studieux de l' ancienneté, selon la portee de son temps: parce qu' il nous laissa un Memorial aux archifs de la Chambre, que l' on appelle le registre de sainct Just. Cestuy sur quelque obscurité qui se presentoit lors en la Chancellerie entre la Chambre, & le College des Secretaires du Roy, escrivant au Chancelier, entre autres choses luy remonstre qu' il avoit tousjours entendu de ses anciens, que ceux de la Chambre des Comptes n' estoient pas residens dans Paris, si comme ils avoient esté depuis le temps de saint Louys. Il disoit vray: mais il ne cotte point vers quel temps fut faict ce changement. Et il ne faut point douter que ce fust soubz Philippe le Bel, & quelques annees auparavant la resseance du Parlement. 

Or consistoit leur charge en trois subjects, au-menagement des finances, dont est procedé l' ordre que l' on tient aujourd'huy aux Comptes: en celuy du Domaine, autrement appellé par nos anciens Tresor, dont est issuë la police des Tresoriers generaux, & finalement en celuy des Monnoyes, dont depuis a esté tiree la Cour des generaux des Monnoyes. Il n' est pas que les tailles, aides, & subsides ayans esté introduits en ceste France depuis l' advenement de la famille des Valois, les principaux reglemens n' ayent souvent passé par ceste compagnie. Er pour remarque speciale de sa grandeur, je me contenteray de vous en representer trois placards, qui meritent d' être gravez dedans la posterité. Philippe de Valois s' acheminant au voyage de Flandres, par ses lettres patentes du neufiesme Mars, mil trois cens trente neuf, voulut que sans avoir recours au grand seau, la Chambre peut jusques au jour de la Toussainct ensuivant de sa planiere puissance, octroyer plusieurs graces qui despendoient nüement de l' auctorité Royale. La teneur des lettres estoit telle.

Philippe par la grace de Dieu Roy de France, à noz amez & feaux les gens de noz Comptes à Paris, Salut & dilection. Nous sommes au temps present moult occupez pour entendre au fait de noz guerres, & à la defense de nostre peuple. Et pource ne pouvons nous pas bonnement entendre aux requestes, deliurer tant de graces, que de Justice, que plusieurs gens tant d' Eglise, de religion, que autres noz subjects nous ont souvent à requerre. Pour quoy nous qui avons grande & planiere confiance de voz loyautez, vous commettons par ces presentes lettres, planier pouvoir jusques à la feste de la Toussaint prochaine à venir, d' octroyer de par nous à toutes gens, tant d' Eglise, de Religion, comme seculiers, graces sur acquests, tant faicts, que à faire à perpetuité, de octroyer privileges & graces perpetuels, & à temps, à personnes seculieres, Eglises, Communes, & habitans des villes, & impositions & maletoltes pour le profit commun des lieux. De faire graces de r' appel à bannir de nostre Royaume, de recevoir à traicté & à composition quelques personnes & communautez que ce soient, sur causes tant civiles que criminelles, qui encores n' auront esté jugees, & sur quelcomques autres choses que vous verrez que seront à octroyer, de nobiliter bourgeois, & quelques autres personnes non nobles, de legitimer personnes nees hors mariage, quant au temporel, & d' avoir successions du pere & mere, de confermer & renouveller privileges, & donner noz lettres en cire verte sur toutes choses devant dites, & chaque d' icelles à valoir perpetuellement & fermement, sans revocation & sans empeschement. Et avrons ferme & stable tout ce que vous aurez faict és choses dessusdictes, & chacune d' icelles. En tesmoin de laquelle chose nous avons faict mettre nostre seel à ces presentes. Donné au bois de Vincenne, de treiziesme de Mars, mil trois cens trente neuf. 

Auparavant la puissance de la Chambre estoit, comme encores est, de verifier telles graces emanees du Roy, en l' entregect du temps porté par ces letres: c' estoit de les decerner, tout ainsi que le Roy mesmes. Chose non jamais accordee à autre compaignie souveraine. Encores trouvé-je unes autres patentes du mesme Roy, par lesquelles il attribuë à la Chambre des Comptes une authorité toute Royale au faict des Monnoyes.

Philippe par la grace de Dieu Roy de France, à noz amez & feaux les gens de noz Comptes, Salut & dilection. Nous voulons & vous mandons que toutesfois & quantes que vous verrez que bon & profitable sera de croistre le prix en or & en argent, & affoiblir le prix des monnoyes d' or, blanches, & noires, que nous avions n' agueres ordenees à faire en nostre Royaume, vous le faciez faire: toutesfois sans muer ne changer l' aloy, ne le poids d' icelle. 

Escrit à sainct Germain en Laye, le dernier jour de Janvier 1340. Souz nostre seel secret, en l' absence du grand.

Lettres qui furent executees par la Chambre souz diverses commissions decernees aux Maistres des Monnoyes, au mois de Fevrier ensuivant. Et pour venir au dernier passage que je trouve fort singulier, anciennement les Gentils-hommes, Baillis, & Seneschaux, administroient la Justice sans Lieutenans de robbe longue. Advint qu' un messire Godemar de Fay, de Chaulmont & Vitry, se trouvant n' être capable pour exercer ceste charge, il fut ordonné par la Chambre qu' il s' en demettroit, dont les termes se trouvent tels. 

Car comment qu' il soit bon homme d' armes, il n' a pas accoustumé à tenir plaicts ne assise, & que l' en y pourvoye d' aucune bonne personne qui soit Chevalier, & fut dit lors qu' il seroit bon qu' il y eust deux Baillis, comme il souloit. Et porte le Memorial peu apres ces mots. Le trentiesme d' Aoust, mil trois cens trente cinq, Godemar de Fay, Bailly des Baillies de Vitry & Chaulmont, rendit les seaux desdictes baillies, en la Chambre des Comptes, presens Monsieur Hugues de Crusy, Monsieur Guy Cheurier, Jean Billonar, Jean Just, Mille de Figuicour, Monsieur Clarin, Maistres. Lesquels seaux furent baillez ce mesme jour à Jannot Carré, Escuyer de Monsieur Pierre de Terrelier: Lequel Monsieur Pierre est estably de par le Roy Gouverneur desdictes Baillies. 

Toutes lesquelles particularitez ne sont pas petites, pour monstrer de quelle grandeur estoit lors ceste Chambre: aussi est-ce la verité que le plus du temps quand il se presentoit quelque grande affaire qui regardoit le general de la France, le Chancelier avec plusieurs Seigneurs du Conseil d' Estat, (que l' on appelloit Grand Conseil) s' y transportoit pour les decider avecq' les Maistres, & de fois à autres on y appelloit quelques Presidens & Conseillers du Parlement: mais tant y a que la Chambre des Comptes estoit expressemment choisie pour cest effect.

Ceste compagnie est composee de diverses sortes d' Officiers, de Presidents, Maistres, Correcteurs, Auditeurs, Advocat & Procureur generaux, deux Greffiers, Huissiers, gardes des livres: de tous lesquels je parleray selon leur ordre: En tant que touche les Presidents ce fut une regle generale, dez l' institution de la Chambre, qu' il y en avoit deux. Le premier Archevesque ou Evesque, & quelque Seigneur & Chevalier de marque qui le secondoit. Quelquefois y trouvé-je deux Prelats, quelquesfois trois, avec un Seigneur Lay: mais sur tout l' Estat de premier President estoit affecté à la Prelature. 

Car pour le regard du second, encores que par les vieux Registres de la Chambre il fust destiné ordinairement pour les Seigneurs Chevaliers, si est-ce qu' avecques le temps il se forma une opinion de l' affecter au grand Bouteiller de France. Les premieres dignitez de la Couronne, comme je discourray en son lieu, estoient celles du Chancellier, Connestable, grand Maistre, Bouteiller, & grand Chambellan. Je trouve que le vingt septiesme Juillet 1397 Messire Jacques de Bourbon, cousin du Roy Charles VI. estant pourveu de l' estat de grand Bouteiller, vint faire le serment à la Chambre. Et decima sexta die Augusti (porte le Memorial) praestitit in camera computorum Parisiensi solitum iuramentum primi præsidentis Laici in camera praedicta. Quod officium spectare dicebatur magno Buticulario Franciae quicumque sit, licet in litteris Regis praedictis de hoc nulla fiat mentio. Je rendray ce passage Latin en François, afin que ceste ancienneté soit entenduë de tous. 

Et le 16. jour d' Aoust ensuyvant, il fit le serment accoustumé en la Chambre des Comptes de Paris, pour l' Estat de premier President, Lay en icelle. Estat que l' on disoit être affecté au grand Bouteiller de France quel qu' il feust, ores que ses lettres de provision n' en fissent aucune mention. Je vous puis asseurer comme de chose tres-vraye, que de tous les Presidens Laiz auparavant luy, je n' en trouve un tout seul qualifié grand Bouteiller. Le premier des Seigneurs Laiz que je voy avoir tenu lieu de President en la Chambre soubs un Prelat, fut le Sire de Sully l' an 1316. & le sire de Coussi 1344. Un Pastourel, un Messire Oudart de Colombs. Ce neantmoins les affaires de la France estans infiniment broüillees soubs le regne de Charles VI. la Chambre voulut gratifier un Prince du sang de cest Estat de President, encores qu' il ne fut fondé en tiltre ny en possession, par ce que lors de sa reception on n' en parloit qu' à perte de veuë, comme l' on peut recueillir de la lecture du passage. Et s' il y eut quelque subject de besongner de ceste façon, c' est qu' en un vieux boucquin de la Chambre intitulé Pater, en recitant divers droicts qui appartenoient au grand Bouteiller on adjouste qu' il estoit Souverain des Comptes. Tant y a que vous pouvez recueillir quelle estoit la grandeur de la Chambre, puis qu' un Prince du sang grand Bouteiller, s' estimoit être honoré de porter tiltre & qualité de President de céte compagnie. Or depuis que le pas fut ouvert en la maniere que dessus, ceste opinion ne tomba pas puis apres aisément en terre: Car comme toutes choses nouvelles plaisent, aussi fut depuis cela authorisé par deux Edicts, dont le premier qui fut publié le 29. Octobre 1408. portoit cest article. Item que le nombre ancien de noz Officiers de la Chambre des Comptes y demeure aux gages accoustumez. C' est à sçavoir le president prelat, & le grand Bouteiller de France, qui ordonné y a esté & y doit être. Et par le second 21. Juillet 1410. on passe plus outre: d' autant que le prelat est mis hors du compte, & est ordonné qu' il n' y avroit plus que deux Presidens, dont le grand Bouteiller seroit l' un, ainsi que du temps passé avoit accoustumé, & l' autre maistre Eustace de Laistre. Lors estoit grand Bouteiller messire Guillaume de Melun Comte de Tancarville, successeur immediat du Seigneur de Bourbon, lequel assez souvent vint tenir son siege en la Chambre. Et apres luy successivement, messire Pierre des Essars, Jean de Crouy, Charles d' Albert, Valeran de Luxembourg, Robert de Bar, tous grands Bouteillers de France, firent le serment de president: vray qu' ils en iouyssoient plus par honneur que d' effect. Et le dernier auquel je trouve le pas avoir esté clos, est messire Robert de Bar, vers l' an 1417. auquel tout ainsi que le nom, la dignité de grand Bouteiller commença de s' afoiblir, aussi ne voy-je plus qu' il soit parlé que tel Estat fust affecté au president Lay. Quoy que soit le XV. de Novembre 1424. Un Jean de Neuf-chastel, Seigneur de Montiguy neufiesme en son Estat de grand Bouteiller de France fit le serment en la Chambre, mais nulle mention de l' Estat de president. 

La venuë des Anglois dans Paris apporta nouvelle face d' affaires par la France, par ce que Charles Dauphin ayant esté contraint desemparer la ville, erigea une Chambre des Comptes dans Bourges, en laquelle y eut deux Presidens, l' un Prelat, l' autre Lay. Et d' autant que la meslange des affaires avoit aussi apporté un desordre en ces Estats, quelque temps apres qu' il fut restably dans Paris, par son ordonnance du dixhuictiesme Mars, 1437. il remeit l' ancienne coustume de Presidens, Prelat & Lay. Laquelle fut inviolablement observee jusques soubs Louys XI. qui non seulement pourveur de l' Estat de premier president, Messire Bertrand de Beauvau sieur de Precigny son grand Chambellan, mais pareillement du second. Et non content de ce y adjousta un supernumeraire soubs le nom de Vipresident qui iouïsfoit de mesmes droicts & prerogatives que les presidents. Depuis le regne de Louys XI. je ne voy que dispenses contre l' ancienne police, par ce que tout ainsi que ce Roy confera à Beauvau l' Estat de president Clerc, aussi Charles VIII. son fils par une contraire dispence donna l' Estat de president Lay à l' Evesque de Laudeve. Et à peu dire, l' on voit plus de premiers presidents mariez, que d' autres: Mesmes soubs Louys XII. Messire Jean Nicolaï, maistre des Requestes de son hostel, fut pourveu de cest office en l' an 1506. personnage qui avoit esté employé par le Roy Charles VIII. en plusieurs grandes charges de là les monts, & nommément en celle de Chancellier au Royaume de Naples. Et est chose grandement memorable que cét Estat de premier president ait esté transmis & continué en quatre successivres generations de bisayeul, ayeul, pere, & fils, Messires Jean Aimard, Antoine & Jean Nicolaï. Ce qui n' advint jamais à autre famille de la France.

Icy je me fermeray, pour le fait des presidents de la Chambre, à la charge d' en dire encores paradventure cy apres quelquemot, selon que l' occasion se presentera. Maintenant je viendray aux Maistres des Comptes, lesquels lors de leur premier establissement estoient comme le parlement my-partis de Clercs & de Laiz. Distinction religieusement observee par une longue suitte d' annees, n' estant permis au maistre Clerc de se marier: Et le premier qui faulsa ceste loy fut maistre Antoine le Gresle en la Chambre de Bourges, par lettres de Charles VII. du. 22. Juillet 1430. La police estoit telle, qu' en l' absence des Presidens, le Doyen des maistres Clercs presidoit, & en l' absence de luy le Doyen des Laiz: Ainsi fut ordonné par Charles VII. en l' an 1436. Les Clercs avoient leur seance du costé droict plus proche du premier president. Nous trouvons que Messire Jean d' Orgemont, fils du Chancellier, & Conseiller au grand Conseil (c' est à dire au Conseil d' Estat) & Maistre des Requestes, ayant obtenu lettres de provision de Conseiller, & maistres de Comptes avecques dispence de preceder tous les autres Maistres, pour le grand rang qu' il tenoit, ceste affaire longuement mise en deliberation, tout ce qu' il peut en fin obtenir, fut qu' il siegeroit comme premier au dessus des Maistres Laiz, & non Clercs.

Le nombre des Maistres de leur premiere institution fut de cinq, trois Clercs & deux Laiz. Philippes le Long y adjousta un quatriesme Clerc, qui fut Maistre Jean Mignon, fondateur du College qui porte son surnom en l' Université de Paris. Quelque temps apres on y adjousta deux autres Laiz, estans par ce moyen huict Maistres d' ordinaire: Vray que les favoris de noz Roys desirans ambitieusement être de ceste compagnie, on y adjoustoit plusieurs extraordinaires. Qui fut cause qu' avec le temps ceux qui stoient pourveus des vrays & anciens offices s' appellerent Conseillers & Maistres ordinaires de la Chambre des Comptes, à la difference des extraordinaires: Mot que l' on ne peut encores pour le present oublier, combien que ce soit sans propos, car il n' y a plus de Maistres extraordinaires.

Pour oster ces confusions le Roy Louys XII. par son Edict donné à Blois en l' an 1511. voulut que les deux Presidens, & dix Maistres des Comptes, qui lors estoient (dont les deux extraordinaires seroient à l' advenir censez & reputez ordinaires) demoureroient, & deux Correcteurs, seize Clercs & Auditeurs, son Advocat & son Procureur, deux Greffiers, le Receveur, & l' Huissier. Cest Edict sembloit avoir fermé le pas au desordre: car mesmes il avoit suprimé l' Estat de Vipresident: toutesfois soudain que le Roy François premier de ce nom, fut arrivé à la Couronne il s' en fit croire, par ce que bon gré mal gré il enfraignit ceste regle: Car il fit un Harlin Maistre, & un Refuge Correcteur: l' un & l' autre extraordinaires, & fit reviure l' Estat de Vipresident en la personne de maistre Helie du Tillet. En l' an 1520. outre tous ceux-là, il crea de nouveau un tiers President, un Maistre Clerc & Conseiller, un Correcteur, & quatre Clercs & Auditeurs: Et pour donner quelque fueille à ceste nouvelle augmentation, il voulut que l' on tint deux Bureaux, le Grand & le Petit. Sur le reply des lettres il fut mis qu' elles estoient verifiees: De expressis mandatis dicti Domini nostri Regis, tam verbo quam scripto, saepius iteratis, usque ad eius beneplacitum, laquelle verification fut depuis reformee par autre commandement tres-expres du Roy en la presence de Messire René, Bastard de Savoye & grand Maistre de France, & furent ces mots rayez usque ad eius beneplacitum. Cela vous fait paroistre avecques quel creue-cœur cest Edict fut verifié. Depuis que ce Roy eut franchy le pas, non seulement en rendant les Officiers de la Chambre extraordinaires ordinaires, mais aussi en creant d' autres nouveaux, il ne fut plus question de ceste distinction ancienne, qui causoit une combust ou intestine. Un traict de plume assopit tous ces differens, mais en les supprimant, il introduisit un plus grand Chaos que celuy qui estoit auparavant: Car en l' an mil cinq cents quarate quatre, il transforma l' estat de Vipresident en celuy de quart President: Et le Roy Henry second son fils en l' an mil cinq cens cinquante un, multiplia les Estats au double par l' introduction du Semestre. La posterité jugera si en cela, & tout ce qui depuis a esté faict, n' y a point eu beaucoup plus d' extraordinaire, que lors que ce mot estoit en essence soubs les autres Roys qui furent devant le regne de Louys XII. Il me suffit de toucher ceste occasion en passant, pour le peu de plaisir que je prens en la deduction d' icelle.

Apres avoir parlé des Maistres, il sembleroit que je deusse maintenant

parler des Correcteurs qui les secondent en dignité, toutesfois par ce que cet Estat ne fut formé que sur le moyen aage de la Chambre, je parleray des Auditeurs qui dés le premier establissement eftoient avecques les Maistres. En quoy si j' ay quelque sentiment en ceste ancienneté, mon opinion est que les maistres Clercs estans à la suitte de noz Roys, estoient du commencement & Rapporteurs & Juges des Comptes tout ensemble. Je dy maistres Clercs par expres, comme ceux ausquels on avoit plus de creance pour leurs suffisances & capacitez. C' est pourquoy Philippes le Bel par son Ordonnance de l' an mil trois cens trois, voulut que nul compte ne fut examiné que les trois maistres Clercs n' y assistassent. Or comme ainsi fut que ceste charge de r' apporter leur fut onereuse ils s' en deschargerent sur leurs Secretaires que l' on appelloit anciennement Clercs: Car le mot de Clerc à noz anciens signifioit tantost l' Ecclesiastic, tantost se donnoit à celuy que l' on estimoit sçavant, tantost à celuy que nous appellons aujourd'huy Secretaire. Cela fut cause, si je ne m' abuse, que les Auditeurs furent du commencement appellez, petits Clers, à la difference des maistres Clercs & Ecclesiastiques: Et fort souvent Clercs d' embas ou d' aval: Par ce que les Maistres faisoient leur seance au Bureau d' enhaut, & les autres en ceux d' embas. Or de mon opinion j' ay quelques conjectures qui ne sont point hors de propos: car combien que sur l' advenement de la Chambre il y eust cinq Maistres, trois Clercs & deux Laiz, si n' avoit-il que trois petits Clercs: Qui estoit pour revenir au nombre ancien des maistres Clercs qui les commirent premierement. A ce propos je trouve que maistre Robert de Loriz Secretaire du grand Conseil, ayant esté pourveu par le Roy Philippes de Valois d' un Estat de maistre Clerc, il voulut ramener ceste ancienneté en usage. Car par ses lettres de provision il estoit mandé aux gens des Comptes qu' apres avoir pris le serment de luy à ce requis & accoustumé, ils le laissassent instituer & mettre soubs luy un Clerc en icelle Chambre. Si comme (porte le texte) les maistres Clercs de nostredite Chambre les y mettent. Par l' ordonnance de Philppes le Long, il fut defendu aux Maistres de tenir aucun petit Clerc avecq' soy. Et par un reglement de l' an 1378. il est porté, que s' il y avoit aucun Clerc d' aval qui eust esté faict par l' un des Maistres, que les Comptes qui seroient rapportez par luy, ne seroient visitez ny cloz par le Maistre, si les autres n' y estoient presens. Il n' est pas que par certaine Ordonnance du Roy Jean, de l' an mil trois cens cinquante cinq, ils ne soient appellez Clercs & Compagnons d' aval. Que les Compagnons & Clercs d' aval ne soient chargez d' autre chose que de leur ordinaire avant disner, & besongnent jusques à' midy. Toutes lesquelles particularitez me font croire, ou que tous les Maistres ensemble, ou pour le moins les Ecclesiastics se deschargerent du raport des comptes sur leurs Clers. Tellement qu' à la longue la nomination venant d' eux, ceux-cy recevrent confirmation du Roy: Et en fin furent erigez en tiltres d' offices formez ainsi que les autres, sans avoir plus recours aux Maistres. Or comme peu à peu on appellast puis apres les Maistres simplement, sans suitte de ce mot de Clerc: Aussi appella-l'on ceux de ce second ordre Clercs seulement, & sans adjection d' autre parole, & depuis nommez Auditeurs. Mot que je treuve avoir esté pour la premiere fois en usage par l' ordonnance de l' an 1454. Dans laquelle combien qu' il soit faite frequente mention de Clercs, si est-ce qu' au dixneufiesme article, vous y trouverez par exprez le mot d' Auditeur. Desorte que petit à petit on commença de les appeller Clercs & Auditeurs. Ce que je voy avoir esté fort frequent sous les regnes de Louys XII. & François premier, jusques à ce que la Chambre ayant esté soubs Henry II. faicte Semestre en l' an mil cinq cens cinquante & un il fut ordonné qu' au lieu de Clerc, on les appelleroit Conseillers du Roy & Auditeurs: Et en l' an ensuyvant leur fut permis d' opiner sur les difficultez qu' ils trouvoient aux comptes dont ils estoient Raporteurs: Ce qui ne leur estoit auparavant permis. Je ne veux pas oublier qu' à l' advenement de la Chambre dans Paris, ils estoient seulement trois en nombre, & quelque temps apres, Philippes le Long y en adjousta huict, & depuis y en eut douze ordinaires & six Chambres en bas où ils besongnoient. Vray que l' on y en introduisoit d' extraordinaires tout ainsi que les Maistres, jusques à ce que Louys XII. suprimant le mot d' extraordinaire en l' an mil cinq cens unze, voulut qu' il y en eust seize, & depuis son regne les choses sont arrivees en telle confusion qu' il y en a aujourd'huy soixante.

L' ordre de la dignité (comme j' ay dict) vouloit que je parlasse des Correcteurs, premier que des Auditeurs, mais j' ay suivy celuy des ans, pour avoir esté l' estat d' Auditeur en essence, long temps auparavant celuy de Correcteur: Office toutesfois lequel bien mis en œuvre est le vray nerf par lequel les comptables sont plus retenus en leur devoir. Et encores qu' il ne fut du commencement erigé en titre, si est-ce qu' il s' exerçoit par commission non d' ordinaire, ains comme la necessité le requeroit, tantost par les maistres, tantost par les Auditeurs. Par l' Ordonnance de Philippes le Long de l' an 1319. y avoit un article expres, portant que pour la multitude des comptes qu' il y avoit à corriger, ce que l' on ne pouvoit faire sans plus grand nombre de Maistres Clercs, outre les trois anciens, il en creoit un nouveau, dont il pourveut Maistre Jean le Mignon: & ordonne que des quatre, les deux seroient continuellement en la Chambre, pour ouir les comptes, & les autres en bas pour les corriger. Ordonnant que tous les Samedis, ils vinsent rendre raison de leur correction en plain Bureau. Depuis on y employa quelques-uns des Clercs d' embas: Et à ce propos le Roy Jean par une lettre de provision du dix-huictiesme Novembre mil trois cens trente deux, declare que pour advancer la correction des Estats de la Chambre des Comptes, il avoit pourveu Maistre Jean de Ver de l' office de petit Clerc, & veut que l' on preigne de luy le serment. Auquel lieu je fais aucunement doute, sçauoir si ce mot de Correction se rapportoit à ce que nous disons aujourd'huy, corriger les comptes, ou bien s' il entendoit que ce fust pour les voir & examiner: Et ainsi le voy-je usurpé en plusieurs autres endroicts: Mais ce que je reciteray presentement, vous le trouverez en sa propre signification: D' autant que l' unziesme Janvier 1395. par reglement de la Chambre, il fut ordonné que Maistres Jean Moulnier, & Jacques de Bussy Clercs, vacqueroient par quelques jours à faire les corrections: Et au surplus, pour la multitude des comptes qui estoient à rendre, afin de soulager les dix autres Clers, elle commit Maistres Nicolas du Pré, & Jean Boüillon. En fin par Edict du quatorziesme Juillet 1410. on en feit un Estat formé. Et par ce qu' il est de necessité (porte le texte) pourvoir au fait des corrections des comptes, qui de long temps sont demourees à faire, pour la multitude des besongnes, Avons ordonné & ordonnons par ces presentes, qu' en nostre Chambre aura d' oresnavant deux notables personnes, expers & bien cognoissans au fait de nosdits comptes, qui continuellement entendront au faict de nosdites corrections: Et pour icelles corrections faire, nous avons commis & commettons nos amez, feaux Maistres Estienne le Bray & Nicolas des prez. Il avoit seulement usé du mot de commis. Qui apportoit quelque obscurité en leurs provisions. Au moyen dequoy, par autres lettres du vingtdeuxiesme Aoust ensuyvant, le Roy Charles VI. declara qu' il avoit tiré ces deux-cy du corps des Clercs d' embas, les ayans faicts Correcteurs pour la necessité des comptes, & surrogé en leur lieu Maistres Antoine Gresle, & Jean Bussy sans gages, lesquels il faict dés lors Clercs en chef. Et par ce que de Bray & des Prez craignoient que leurs corrections estans faites & finies, ils demourassent du tout sans Estats, ne leurs ayans esté reservez certains droicts qui appartiennentaux Maistres, ny le nom de Conseiller, le Roy pour ces causes voulut qu' ils iouyssent de ces droits & prerogatives, ensemble du nom de Conseiller: Et au surplus qu' advenant suppression de ce nouvel Estat de Correcteur, il leur fust loisible de retourner en leurs anciennes charges de Clercs, souz condition que s' ils vacquoient puis apres quelques places de Clercs par mort, Bussy & le Gresle en seroient remplis. Je ne voy point que depuis cest Estat ait esté suprimé: Et n' estoit leur dignité petite, par ce qu' ils avoient continuelle seance au grand Bureau avecques les Maistres: Et qui est un poinct digne d' être remarqué, ils seoient au dessus des Thresoriers de France, comme vous trouverez en certain registre du douziesme Janvier mil quatre cens douze. Et aussi devant les Generaux des Finances & de la Justice, quand selon les occasions ils venoient à la Chambre. Le Vendredy vingtiesme Avril mil quatre cens quatorze, apres Pasques presents au Burel, dont les noms s' ensuyvent, trois Maistres des Comptes clercs, quatre maistres Laiz, (& y sont les noms apposez) Maistres Estienne de Bray, & Nicolas des Prez Correcteurs, G. Toreau & G. du Menil Generaux des Finances, H. de Savoysy & F. Brumel Generaux de la Justice, sur un apoinctement touchant la ville de Paris, pour le tiers des aydes de la dite ville, à eux octroyé par le Roy, il fut dit que tant qu' ils en iouyroient, les Prevost des  Marchans & Eschevins payeroient la somme de quinze cens liures: Et en une autre seance solemnelle au mesme an le vingt quatriesme Janvier où presidoit le Chancellier, ces deux Correcteurs sont mis devant G. de Morroy, J. de la Cloche, & A. Giffart Thresoriers de France. La coustume des Greffiers estoit lors d' inserer l' un apres l' autre les noms de ceux qui se trouvoient au Bureau selon leurs rangs & dignitez. Ainsi continuerent les Correcteurs leur seance, au dessous des Maistres jusques en l' an 1447. que par Edict du 2. Juin, Charles VII. voyant que pendant qu' ils affectionnoient de seoir journellement au grand Bureau, ils oublioient ce qui estoit de leur charge, leur en ferma la porte, & voulut qu' ils vacquassent sans discontinuation au faict de leurs corrections. A la charge toutesfois, que venans faire leurs raports en la grand Chambre, ils y avroient seulement seance, ce qui s' est continué jusques à huy. Ils ne furent du commencement que deux. La Chambre qui fut transferee à Bourges soubs Charles VII. fut longuement sans en avoir. Toutesfois en fin & en l' an mil quatre cens trente deux, Maistre André le Roy y fut fait Correcteur: Et depuis les choses establies dans Paris, encores n' y en eut-il qu' un jusques en l' an mil quatre cens cinquante quatre, que l' on y en adjousta un deuxiesme suyvant la premiere institution. Maintenant les affaires sont arrivees en tel desordre qu' il n' y en a que trop.

Quant à l' Advocat & Procureur Generaux, il n' y en avoit point du commencement qui fussent particulierement pourveus pour le service de la Chambre. Bien trouvé-je que quelques uns voulurent de fois à autres crocheter telles charges. On lit qu' un Maistre Robert Carlier en l' an mil trois cens nonante trois, s' intituloit Procureur du Roy en ses Chambres des Comptes, Thresor & Monnoyes, au lieu d' un Maistre Pierre du Bourget. Et en l' an 1413. il est faict mention d' un Maistre Jean de Bailly Advocat du Roy en la Chambre: mais ce feurent oyseaux passagers qui dans leurs tombeaux enseuelirent aussi leurs tiltres. La verité est, que le Procureur General de la Cour de Parlement l' estoit aussi de la Chambre des Comptes, en laquelle il se trouvoit souvent avec ses compaignons pour y prendre les conclusions, és causes qui le requeroient. Et tout ainsi comme il a des substituts au Parlement pour le foulager, aussi trouvé-je que l' an mil quatre cens dixhuict, Maistre Jean Aigueuin Procureur general substitua pour luy en la Chambre Maistre Estienne de Nouian, lequel y fut receu le quinziesme Septembre. En fin par Edict du vingt troisiesme Decembre mil quatre cens cinquante quatre, portant un reglement general des affaires de la Chambre, fut creé un Procureur du Roy en icelle, & le premier qui porta ce tiltre fut Nouian duquel j' ay parlé presentement: Et apres luy Maistre Jean Aigret Secretaire du Roy en l' an mil quatre cens cinquante neuf, auquel succeda Maistre Guillaume du Moulinet son gendre. A luy Maistre Gervais, & finalement мaistre Gervais second, se trouvans trois de la famille des Moulinets avoir exercé ceste charge de pere en fils & petit fils: Et par la mort du dernier en fut pourveu Maistre Jacques Mangot, pour lors Maistre des Requestes du Roy, & apres luy Maistre Jean Dreux auparavant Conseiller de la Cour des Generaux des Aydes, qui exerce aujourd'huy l' Estat. Quant à l' Advocat, il n' eust lieu en la Chambre que vingt ans apres ou environ, soubs le regne de Louys unziesme. Le premier fut Maistre Pierre Frelet, & apres luy par une longue succession de l' un à l' autre, Maistres Jean Bauliard, Louys Seguier, Jean Berzeau, Jean de Harlin, François le Feure, Antoine Minart, Estienne Bouchard, Guy d' Ausseurre, Jean Prevost, Jean Bertrand, & Estienne Pasquier Autheur des presentes Recherches, qui depuis a mis cest Estat és mains de Maistre Theodore Pasquier son fils aisné.

Car quant est des Greffiers il y en a eu tousjours deux dés le premier establissement. Sous Charles V. en l' an 1368. nous y en trouvons un troisiesme, maistre Jean de Mouton, mais depuis son decés la regle des deux n' a point failly jusques à huy. Entre autres est celebré maistre Jean le Begue qui exercea ceste charge dignement l' espace de 50. ans: Et pour la longue ancienneté obtint lettres de Charles VIII. en l' an 1454. portans permission à maistre Jean Aigret Secretaire du Roy d' exercer au lieu de luy son Estat, lesquelles furent enterinees, à la charge que le Begue mort, il ne prejudicieroit aux deux Greffiers. Toutesfois estant decedé aagé de 89. ans, Aigret fut continué en cette comission par la Chambre, jusques à ce qu' autrement en eust esté ordoné. C' est luy qui quelque temps apres fut pourveu de l' Estat de Procureur general en la Chambre. Nul ne pouvoit être Greffier qu' il ne fust par mesme moyen Notaire & Secretaire du Roy: Le premier qui enfraignit cette regle fut Maistre Louys le Blanc, lequel par lettres de Louys XII. du 16. Avril 1499. obtint permission de se defaire de son Estat de Secretaire avec dispense de pouvoir exercer celuy de Greffier: & ce en consideration des longs services qu' il avoit faits à la Chambre, en laquelle il avoit exercé le Greffe l' espace de 32. ans. Le College des Secretaires s' y opposa: disant les Greffes des Cours souveraines ne pouvoir être exercez que par ceux qui estoient de leurs corps: En fin les Secretaires s' estans par importunitez & prieres departy de leur opposition, la Chambre enterina à iceluy le Blanc ses lettres, ne cognoissant pas que cette verification se faisoit plus de prejudice pour sa dignité, que non pas aux Secretaires. Et comme apres une premiere ouverture on franchit de là en avant aisément le sault: aussi cettuy mourant resigna son Estat à мaistre Estienne le Blanc son fils qui fut receu en l' an 1508. sans être qualifié Secretaire. Chose dont' quelques autres se sont aussi avec le temps dispensez, non sans notable interest de la Chambre: car comme ainsi soit que les arrests des Cours souveraines ne soient jamais seellez au seau qu' ils ne soient signez d' un Greffier Secretaire du Roy, cela a esté cause qu' avecq' le temps on deliura les Arrests sous la simple qualité des Maistres des Comptes, contre l' ancienne coustume, qui estoit de deliurer les Arrests de marque sous le nom & authorité de nos Roys, & les communs sous le nom des Maistres. Chose dont je rafrachy la memoire à Messieurs de la Chambre 1589. le premier an de ma reception, estimant que cela importoit à leur dignité.

Tout ce que j' ay deduit jusques icy est pour les grands Estats de la Chambre, ce que je deduiray cy apres ne sera pas de telle estofe. Je viens maintenant aux Huissiers qui executent les arrests & commissions de la Cambre. La derivaison du mot d' Huissier nous enseigne que ce n' estoit autre chose qu' un portier. Aussi quand aux anciens registres il est parlé de l' Huissier, on entend parler de celuy auquel estoit baillé la garde de la porte de la chambre. On annexa avecq' le temps à cest Estat par forme de commission la charge de payer Messieurs de leurs gages, & le premier qui en ceste charge eut quelque nom, ce fut Nicolas Malingre par lettres de Charles septiesme, du dernier Janvier 1446. lequel depuis, 8. ans apres & en l' an 1454. 10. Decembre par composition faite avecq' Messieurs, se chargea de faire venir les assignations de leurs gages, moyennant la somme de 300. liures par chacun an, & depuis par longue succession de temps on l' appelloit l' Huyssier & Receveur de la Chambre. Voire qu' en l' an mil cinq cens sept, Pierre Daniel fut receu en l' office d' Huyssier & Receveur du payement des gages des Officiers de la Chambre & menuës necessitez: Et par ce que cest Huissier estoit vrayement concierge de la Chambre, on luy assigna une maison pour demeure: Et ainsi le remarquons nous dés l' an 1468. que Simon Malingre estant pourveu de cest Estat par la resignation de Nicolas Malingre son pere, on adjouste nommément à sa reception sa maison & demeure avecques l' Estat.

Or estoit-il anciennement appellé seulement Huissier, non premier, comme nous faisons maintenant, parce qu' il estoit lors seul, ayant la garde de la porte. Homme toutesfois qui non seulement n' avoit permission d' exploicter, mais qui plus estoit on n' y en admettoit aucun qui sceut lire & escrire. Les Memoriaux de la Chambre portent: Que Colinet Malingre Huissier de La Chambre, obtint dispense en l' an 1435. par laquelle il luy fut permis exercer comme devant son estat, parce qu' il estoit Clerc, & que quelques uns disoient que selon la coustume & ordonnance ancienne de la Chambre, l' Huissier ne devoit être Clerc, & se doutoit que pource qu' il estoit assez cognoissant en l' escriture, aucun luy voulsit mettre empeschement en son dit office pour le temps advenir. Il n' y avoit aussi lors Huissier ou Sergent en la Chambre pour executer ses contraintes & mandemens, ains estoient pris des Jurisdictions ordinaires, ausquels elle faisoit taxes. Le 8. jour d' Aoust 1344. il fut ordonné par le Bureau que les Sergens ou autres qui de là en avant exploicteroient en vertu des ordonnances des sieurs des Comptes ou tresoriers, avroient chacun huit sols Parisis par jour, pour la despense d' eux & de leurs chevaux, jusques à ce que les viures fussent amendez, & que s' ils faisoient quelque mise necessaire, elle leur seroit allouee avecq' icelle despense, & que tels despens leur passeroient par le compte de la messagerie au Thresor. Ce Registre porte en termes exprés compte de la Messagerie, d' autant que si la Chambre ne commettoit les Sergens, il y avoit des hommes que l' on envoyoit diversement par les Provinces porter les commissions, pour les faire executer sur les lieux par les Sergens des Bailliages & Seneschaussees. Ceux-cy estoient appellez Messagers à pied: Et dés l' an 1455. il y en avoit dixhuict qui se donnoient comme offices & prestoient le serment à la Chambre. Louys XII. par ses lettres du vingt-deuxiesme Janvier 1511. confirmant leur charges, ordonna que tous les Roolles, Mandemens, & Commissions emanez de la Chambre des Comptes, pour adjourner & faire tous exploicts contre les officiers comptables, seroient portez par ces dixhuict Messagers és lieux des charges & Receptes desdits comptables, ou de leurs domiciles, & illeq' seroient faire les adjournemens, ou autres exploicts à l' encontre desdits comptables par les Huissiers & Sergens ordinaires, lesquels seroient payez par lesdits Messagers de leurs salaires & vacations, és mains desquels ils seroient tenus rendre les exploicts, & taxe pour chacun exploit un sol, qui seroient rendus ausdits Messagers, qu' à faute d' Huissiers ou Sergent ces Messagers pourroient exploicter en presence de deux tesmoins: Et ce seulement és adjournemens simples, & non pour les executions.

Par un autre Edict du 12. de Mars 1514. leur pouvoir est augmenté, leur estant permis de faire tous exploicts en vertu des Roolles & Mandemens de la Chambre, à l' encontre des comptables, mesmes au pays de Normandie, & de pouvoir faire des executions & autres exploicts necessaires, soit pour le Domaine, Regale ou autrement. Voulant le Roy qu' ils fussent de tel effect comme les Huissiers de Parlement: Et neantmoins par cest Edict, le mot de Messager ne leur tomba, car jusques en l' an 1514, faisant le serment à la Chambre on les appelloit seulement Messagers: Et vers l' an 1526. Huissers & Messagers de la Chambre, & furent ainsi qualifiez jusques en l' an 1540. que l' on commença de les appeller seulement Huissiers, qui fut cause que l' Huissier ancien de la Chambre, fut de là en avant appellé premier Huissier, à la difference des autres. Je ne veux pas oublier une chose qui m' estoit tombee de la plume par mesgarde, que ces xviij. Messagers, auparavant qu' ils peussent faire aucuns exploicts, obtindrent lettres en Avril 1508. par lesquelles ils furent declarez francs, & exempts de tous subsides & imposts mis & à mettre, tout ainsi que les autres officiers de la Chambre. Aujourd'huy le nombre de ces Huissiers se trouve creu de la moitié.

Encores ne veux-je oublier les autres petits Estats: Par l' ancienne police il y a tousjours eu en la Chambre un relieur des livres & comptes. Le 14. Septembre 1425. Guillaume d' Ingouville, est receu par la Chambre, porte le registre, en l' estat de relieur des livres & comptes, & qu' il n' y seroit rien de mal, ny ne permettroit être fait. En l' an 1492. on y apporta une particularité plus precise: Parce qu' en la reception de Guillaume Oger en cest Estat, on le fit jurer qu' il ne sçavoit escrire ny lire, afin qu' il ne descouvrit les secrets des comptes. Qui estoit la mesme consideration pour laquelle on avoit desiré le semblable à l' Huissier. Chose que je vous voux representer, afin que l' on sçache quelle estoit anciennement la discipline de ceste compaignie. Il restoit d' avoir quelque homme, à la fidelité duquel on commit la garde des livres. Le Roy François premier y donna ordre, & en erigea un nouveau en l' an 1520. Le premier qui eut ceste charge, fut Jean le Comte, auparavant Messager de la Chambre, lequel depuis avec le temps nous veismes tenir grand lieu en la Cour du Roy, & avoir porté tiltre d' Intendant de ses finances. Au regard des Estats de Procureurs, ce sont charges esquelles il n' est requis d' employer l' auhorité du Roy, pour leur promotion, ains celle de la Chambre seulement. Par une ordonnance du Roy Jean il estoit deffendu aux Clercs des Clercs d' embas de dresser les comptes des comptables. Il y eut depuis gens à ce par expres destinez: Ce furent les Procureurs dont je voy être faite mention, par l' ordonnance de l' an 1454. comme de gens qui faisoient bonne part & portion de la Chambre. 

A tant je pense avoir amplement discouru, & paravanture plus que ne *porze la patience du François, ce qui regarde ceste Chambre, ne vous faisant nul recit de la police qui y a esté diversement observee selon la diversité des temps, remettant cela paravanture à un autre mien plus grand loisir. Une chose vous puis-je dire (& c' est sur quoy je veux clorre ce chapitre) que lisant leurs anciens Registres & Memoriaux, esquels on trouve une infinité d' affaires d' Estat, il faut que les Seigneurs des Comptes ayent eu des premieres dignitez de la France, ou bien qu' ils ayent eu sur tous les autres Officiers du Roy ua soin particulier de rediger soigneusement par escrit dans leurs archifs tous les negoces de poids qui se passoient par la France.