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dimanche 6 août 2023

8. 39. Fievre de Sainct Valier, & deux autres exemples de mesme subject.

Fievre de Sainct Valier, & deux autres exemples de mesme subject.

CHAPITRE XXXIX.

Le proverbe de la Fievre de Sainct Valier ne nous est que trop familier, mais non l' Histoire qui fut à la longue, cause de ce proverbe, & d' une infinité de malheurs dont la France a esté affligee: Au quatorziesme chapitre du cinquiesme Livre de mes Recherches, je vous ay dict les bonnes mœurs, les grands biens & honneurs, dont Charles premier Prince de la Maison de Bourbon, fut sur son advenement revestu, & comme Susanne sa femme estant decedee, Loüise de Savoye, mere du Roy François premier eut envie de l' espouser, & les moyens qu' elle practiqua pour s' en revanger, par les advis du Chancelier du Prat, creature de la Maison de Valois. Chose qui cousta depuis la ruine de la France, par les evenemens divers qui s' en ensuivirent: Et comme l' Empereur Charles cinquiesme sçeut fort bien faire son profit de cette premiere malencontre. Et par le quinziesme chapitre suivant, je vous ay dict que le Seigneur de Bourbon voyant sa deliberation descouverte, se logea tout aussi tost dedans Chantelle, place forte qui luy appartenoit, envoya tout aussi tost d' une suitte Huraut Evesque d' Autun, auquel il avoit grande fiance, avecques lettres, portans quelle estoit sa resolution: Mais le Roy impatiant de tous ses deportements, fit saisir au corps l' Evesque avant son arrivee, & tout d' une main investir le Chasteau de Chantelle: & de quelle façon il sortit de la France. Or comme cela se manioit de cette façon, nouvelles vindrent à Madame la Regente, de la part de Messire Louys de Brezé grand Seneschal de Normandie, qui y commandoit, & escrivit lettres au Roy, estimant qu' il sejournast encores à Blois: par lesquelles il mandoit le nouveau mesnage que brassoit le Connestable, & comme de ce il en avoit eu advis par un homme d' Eglise, & luy par la confession de deux Gentils-hommes: Lettres que la Regente receut pour l' absence du Roy son fils: Mais par autres luy escrivit qu' il s' asseurast qui ils estoient, & les luy envoyast sur sa parole, comme ceux qui ne recevroient aucun mal. Ce qu' il feit, & là vindrent les deux Gentils-hommes le trouver en la ville de Blois, où ils furent interrogez par le Chancelier du Prat, & leurs depositions receuës par Estienne Robertet Secretaire des Finances. Le premier nommé Jacques d' Argonges, aagé de quarante huict ans, & le second Jacques de Matignon, de quarante six ans. Et par leurs interrogatoires descouvrirent une infinité de choses qu' ils avoient aprises de Leursy Secretaire du Connestable dedans la ville de Vandosme: Et d' autant qu' auparavant que s' ouvrir, Leursy les avoit adjurez sur les Sainctes Evangiles, de ne reveler ce qu' il leur diroit, soudain apres qu' il fut party ces deux Gentils-hommes qui pensoient estre arrivez pour accompagner le Connestable, au voyage qu' ils pensoient devoir estre faict en Italie à la suitte du Roy, rebrousserent chemin en leurs maisons, ne voulans participer à telles detestables trahisons, mais ayans faict serment solemnel de ne reveler rien de tout cela, s' en seroient confessez à un homme d' Eglise, qui en avoit donné advis au Seigneur de Brezé, & luy à Madame la Regente. Laquelle ayant entendu cette malheureuse negotiation, envoya aussi tost le tout au Roy François son fils. Et comme il en eut advis, & de la fuitte du Connestable, apres s' estre saisi de l' Evesque d' Autun, il fit prendre au corps les Sieurs de Prié, d' Ecars, de la Vauguion (ces deux derniers Capitaines de 50. lances) & plusieurs autres Seigneurs: Mais sur tous Messire Jean de Poitiers, Seigneur de Sainct Valier Chevalier de son Ordre, Capitaine des cent Gentils- hommes de sa Maison: qu' il fit conduire au donjon de Loches, par le Seigneur d' Aubigny Capitaine de ses gardes Escossoises. Et pour luy faire son procés luy bailla pour Commissaires, Messire Jean de Selve Chevalier, premier President au Parlement de Paris, Maistre François de Loüines, President des Enquestes, & Maistre Jean Papillon Conseiller. Lesquels s' estans transportez à Loches, apres l' avoir plusieurs fois interrogé, sans tirer de luy aucune confession, en fin tombé malade, tous ces Seigneurs estans en sa chambre, avecques leur Greffier, il les pria de se retirer, desirant gouverner à part Monsieur le premier President. Ce qu' ils feirent. Et lors mettant la main sur ses Heures ouvertes, il jura sur la damnation de son ame, qu' il luy diroit la pure & franche verité de cette histoire, & que hardiment l' on pouvoit jetter tous les autres papiers dans le feu. Je le feray icy parler tout de la mesme façon que je j' ay recueilly de son interrogatoire.

Monsieur (dict-il, au premier President de Selve) la verité est telle, que cet Esté dernier, au temps que Monsieur le Connestable alloit à Montbrison, je l' allay trouver au lieu de Briction, où je disnay avecques luy, & luy parlay du Mariage de mon fils, avecques la fille de Nicolaus, niepce de l' Evesque du Puis, le priant de vouloir moyenner ce Mariage avecques luy: Ce qu' il me promist, & estoit la cause pour laquelle je le visitois. Le jour mesme nous allasmes coucher à Montbrison: & le lendemain apres disner, Monsieur le Connestable qui m' avoit tousjours monstré un grand signe d' amitié, me retira dans un sien Cabinet; faisant fermer l' huys, ne demeurans que nous deux seuls, & lors me feit present de quelques bagues, & apres (me dict-il) qu' il m' aimoit, & se fioit du tout en moy plus qu' en homme du monde, il me vouloit dire quelque chose, mais desiroit auparavant que je jurasse. Comme de faict, il me feit jurer sur une Croix, & Reliquaire, où il y avoit du bois de la vraye Croix, qu' il portoit à son col. Et lors commença de se plaindre fort du Roy, de ce qu' il ne le laissoit joüir de ses droicts, & preeminences qu' il luy avoit promises, quand il vint à estre Roy. Et encore plus, se pleignoit de Madame sa mere, qui avoit esté nourrie en la Maison de Bourbon. A quoy je luy respondis: Monsieur, si le Roy & Madame vous traictent mal, vous en estes cause. Car quand vous estes avec luy, vous ne luy donnez pas à entendre vostre affaire. Et lors le Connestable me dist. Cousin, vous estes aussi mal traicté que moy. A quoy je luy repliquay: Passez ce compte à part. Et lors le Connestable adjousta: Cousin, veux tu de rechef jurer sur ce bois de la vraye Croix, que je porte à mon col, de ne dire jamais rien de ce que je te diray? Et je luy dis: Ouy Monsieur, & mis la main sur la vraye Croix. Et lors il me dist que l' Empereur luy avoit promis un ample party: C' est à sçavoir, de luy donner en Mariage Madame Leonor sa sœur, veufve du Roy de Portugal, avecques deux cens mil escus de dot, laquelle Dame avoit doüaire de vingt mille escus tous les ans, & pour cinq ou six cens mille escus de bagues & joyaux. Et au cas que l' Empereur & l' Archeduc mourussent sans hoirs, il la faisoit heritiere de tous ses Royaumes & Seigneuries. Lors je luy dis: Monsieur, estes vous bien asseuré de toutes ces promesses? A quoy me fut par luy respondu. Tu verras le Seigneur de Beaurain, qui viendra ce soir devers moy: Je t' envoyeray querir quand il sera venu, & tu entendras ce qu' il me dira. Et apres soupper, je dis bon soir à Monsieur le Connestable, & m' en allay en mon logis. Et le propre jour mesme qui estoit un Vendredy ou Samedy, car on ne mangeoit point de chair, environ les unze heures de nuict il m' envoya querir en mon logis, & y allay: Et quand je fuz dedans sa chambre, il me mena en une autre chambre, en laquelle je veis le Seigneur de Beaurain, tout seul, lequel salüa Monsieur le Connestable, qui luy feit fort bon recueil, & luy dist. Monsieur de Beaurain, voicy mon cousin Monsieur de Sainct Valier, qui est l' un des principaux amis que j' aye. Sur laquelle parole Beaurain me salüa, & apres quelques devis luy presenta les lettres qu' il avoit de l' Empereur, luy disant. Monsieur, l' Empereur se recommande bien à vous. Lesquelles lettres j' ay depuis veuës és mains du Connestable, & estoient escrites de la main de l' Empereur de telle substance. Mon Cousin, je vous envoye le Seigneur de Beaurain mon Chambellan, lequel vous dira aucunes paroles de par nous. Je vous prie le vouloir croire comme moy-mesme. En ce faisant me trouverez vostre Cousin & bon amy Charles. Et Beaurain apres quelques paroles d' amitié, qu' il sçeut bien dire, car il est beau parleur, dist en effect & substance à Monsieur le Connestable, que l' Empereur avoit esté adverty que le Roy le traictoit mal, & n' avoit tenu aucunes promesses à l' Empereur, combien que de ce il eust tousjours tenu promesse au Roy: & qu' il vouloit estre amy du Connestable, envers & contre tous sans nul excepter, & qu' il ne tiendroit qu' au Connestable qu' il ne le fist l' un des plus grands hommes de la Chrestienté. Et qu' alors le Connestable remercia l' Empereur, & dist qu' il vouloit bien avoir cette fiance en luy. Et demanda à Beaurain de voir ses instructions & puissances. Lequel luy dist, qu' encore qu' il ne fust tenu de ce faire, si estoit-il content de les luy monstrer: & luy monstra la puissance qui luy estoit donnee par l' Empereur, pour traicter le mariage avec iceluy Connestable, & Madame Leonor sa sœur, ou en deffaut d' elle avec Madame Marguerite son autre sœur. Et furent lors les articles escrits, par le Secretaire du sieur de Beaurain, dont la substance estoit, Que l' Empereur donnoit au Connestable Madame Leonor sa sœur pour femme, laquelle le Connestable acceptoit. Et au cas qu' elle ne le voulust, luy donnoit Madame Marguerite son autre sœur, & promettoit le Connestable en doüaire vingt mil escus de revenu sur le pays de Beaujoulois. Et en outre promettoit Beaurain au nom que dessus, Que son Maistre feroit ratifier le mariage à l' Archeduc, & qu' il ne prendroit party, ny alliance avec Prince quel qu' il fust, sans avoir son consentement, & que il aideroit, & porteroit le Connestable, envers & contre tous, sans nul excepter, & le feroit entrer au Traicté, d' entre luy, & le Roy d' Angleterre. Et cogneut lors à oüir parler Beaurain, que le Roy d' Angleterre ne se pouvoit bien asseurer de Monsieur le Connestable, mais qu' ayant esté en Angleterre, il l' en avoit asseuré de la part de l' Empereur. Et contenoient les Articles de ces deux Princes, Que l' Empereur devoit venir en France par le quartier de Narbonne, & peut avoir deux mois qu' il devoit estre venu, comme il me semble, & ce avecques dix & huict mille hommes de pied, dix mille Lansquenets, & dix mille hommes d' armes, & quatre mille geneteres, avecques grosse bande d' artillerie. Et le Roy d' Angleterre devoit descendre en France, tout en un mesme jour, avecques quinze mille Anglois, & cinq cens chevaux, & grosse bande d' artillerie. L' Empereur luy devoit envoyer trois mille Lansquenets, & trois mille chevaux, pour commencer la guerre sur la Frontiere du pays de Picardie. Et devoyent executer toutes ces entreprises & descentes, quand le Roy seroit party: Et quant à Monsieur le Connestable, il ne seroit tenu se declarer, ny mettre aux champs, jusques à ce que l' Empereur, & le Roy d' Angleterre eussent esté dix jours devant une ville de France: Et devoit l' Empereur bailler cent mille escus au Connestable, & le Roy d' Angleterre pareille somme pour leurs gens: Lequel argent le Connestable ne voulut prendre en sa possession, ains le laissa entre les mains des gens de l' Empereur, & croy qu' il a esté employé à lever le nombre des Lansquenets, qui dernierement ont esté mis sus. Ainsi que le Roy a peu estre adverty, & devoient estre amenez par le Comte de Felix. Et ne fit le Connestable pour cette heure là, aucun serment de tout le contenu aux Articles, ny ne les signa. Et que Beaurain luy ayant dict: Monsieur, il faut que vous juriez de tenir les presens Articles, le Connestable luy dist, j' en parleray avecques vous, & bailla puis apres lettres addressees à l' Empereur de la substance qui s' ensuit. Monsieur j' ay veu ce que vous m' avez escript par le Seigneur de Beaurain, & vous remercie tres-humblement du bon vouloir qu' avez envers moy, & je vous promets que je ne l' ay moindre envers vous, comme il vous dira. Et envoya querir Saintbonnet pour accompagner Beaurain. Et fut toute cette depesche faicte en un soir en ma presence. Et croy qu' il n' y eut autre chose. Mesme le Connestable me dist le soir mesme. Je ne bailleray aucun seellé, ny ne feray aucun serment en cette affaire: Il en viendra comme il pourra, mais j' auray deux cordes en mon arc. Et ne seroit raison que je mescontentasse l' Empereur. Dés l' heure Beaurain depescha Lolimgbeau, & le Secretaire, l' un pour aller vers le Roy d' Angleterre, l' autre pour aller vers l' Archeduc frere de l' Empereur.

Voila quelle fut la premiere deposition du Seigneur de S. Valier, à la suite de laquelle le Seigneur de Selva luy fit plusieurs interrogatoires particuliers: & entre autres choses, si par le traicté aucuns ne devoient pas avoir le Royaume de France, ou le gouvernement d' iceluy. A quoy il respondit que non. Bien estoit vray que l' Empereur promettoit faire le Connestable le plus grand homme de la Chrestienté. Et adjousta que l' Empereur devoit amener avec luy Madame Leonor sa sœur jusques en la ville de Perpignan, & là se devoient faire les nopces, entre le Connestable, & elle. Je vous laisse plusieurs autres particularitez, sur lesquelles il fut interrogé. Seulement vous diray-je, qu' apres avoir deschargé l' Evesque d' Autun, les sieurs de la Vaulguion, & de Prié, & autres, il continua en fin de cette façon sa parole. 

Apres le partement (poursuivit-il) de Beaurain, & Saintbonnet, je fus tout ce jour là à Montbrison, avec Monsieur le Connestable, & me souvient que apres disner nous entrasmes seuls en son cabinet, & lors je luy dis: Monsieur, ne vous fiez vous pas bien en moy? Ne me tenez vous pas pour vostre tres-humble serviteur? Surquoy il me respondit: Cousin je te promets que je me fie tant à toy, & t' aime, que si mon frere estoit en vie, je ne le sçavrois plus aimer que je t' aime. Ce dont je le remerciay, en luy disant: Monsieur vous me distes hier beaucoup de choses, esquelles j' ay pensé toute cette nuit, tellement que je n' ay sçeu dormir: & voudrois que Dieu m' eust fait la grace de vous sçavoir bien dire ce que je vous veux dire selon Dieu, raison, & ma conscience. Vous me distes hier que par ceste alliance qu' on vous presente, vous devez estre cause que l' Empereur, le Roy d' Anglet. Allemans, & Espagnols entreront en France. Pensez & considerez le grand mal & inconvenient qui en adviendra: effusion de sang, & destruction de villes, bonnes maisons, Eglises, forcement de femmes, & autres maux qui viennent de la guerre. Considerez que vous estes sorty de la Maison de France, & l' un des principaux Princes du sang, tant aimé & estimé de tout le peuple, que chacun se resjoüit de vous voir. Et s' il advenoit que fussiez la ruine & perdition de ce Royaume, vous seriez la plus maudite personne, que jamais homme veit. Car les maledictions qu' on vous donnera dureront mil ans apres vostre mort. Davantage ne considerez vous point la grande trahison que faites, de vouloir tourner le dos au Roy, apres qu' il sera party de son Royaume, pour aller en Italie, & vous aura laissé la France, se confiant de vous? Je vous prie considerer tout cecy, & si n' avez esgard au Roy, & à Madame sa mere, qui vous tiennent tort, comme dites, au moins ayez esgard à la ruine de Messieurs leurs enfans. Et croyez que quand aures introduict les ennemis dedans le Royaume, ils vous en chasseront vous mesmes. Et lors le Connestable me dist. Cousin, que veux-tu que je face? le Roy, & Madame me tiennent tout le tort, & ne veulent que me destruire. Ils ont pris la plus grande partie de ce que j' ay, & me veulent faire mourir. A quoy je luy dis: Monsieur, je vous prie de vouloir laisser toutes ces meschantes entreprises, & vous recommandiez à Dieu, & faites tant que parliez au Roy franchement, & vous verrez ce qu' il vous dira: Et lors se meit le Connestable à plorer, & me fit aussi plorer, me disant: Cousin, je te promets ma foy, que je ne le feray point, & te croiray, & te prie que selon le serment que tu m' as faict, de tenir tout secret, tu le faces, & qu' il n' en soit jamais nouvelles. Ce que je luy promeis derechef, & pensois l' avoir du tout destourné de son entreprise, comme estimé-je que lors il n' avoit plus autre vouloir, que de demeurer en la bonne grace du Roy, & de devenir bon François. Et je luy dis: Monsieur, ne parlons plus de cela, allons joüer, & allasmes joüer aux Flux, le Connestable, l' Evesque d' Autun, & le Seigneur de Sainct Chaumont. Et y eut plusieurs autres paroles entre luy & moy: mais tout vient à la substance de tout ce que dict est. Le lendemain nous allasmes disner à Coursun, & de là à la Bastie, où feismes collation: & moy estant sur un bon Courtaut, dis au Connestable, qui estoit sur une Mule. Monsieur, vous me tiendrez ce que m' avez promis, & vous en souviendra: Et je vous promets ma foy, que je vous tiendray ce que je vous ay promis. Et le Connestable me regardant me dist. Mon Cousin je te promets ma foy que je te tiendray: & aussi tu me tiendras ce que tu m' as promis: & à l' heure il me dist, à Dieu puis que tu t' en vas. Et environ un mois ou cinq sepmaines aprés le depart du Connestable de Montbrison, estant à Moulins il envoya devers moy Peloux le jeune, qui arriva à Lion sans me donner aucunes lettres du Connestable, me disant qu' il estoit si malade, qu' il ne m' avoit peu escrire, mais qu' il attendoit le Roy de pied coy à Moulins, lequel y devoit arriver bien tost, & qu' il me prioit de luy tenir promesse. Adoncques je feis response à Peloux: Recommandez moy tres-humblement à la bonne grace de Monsieur le Connestable, & luy dites que je me souviens bien de ce que je luy ay promis: & que je le suplie aussi de son costé, qu' il se souvienne de faire ce qu' il m' a promis. Et apres que le Roy fut arrivé à Lyon, je ne luy voulu dire le traicté de mariage du Connestable, estimant qu' il n' en estoit de besoing, attendu le serment qu' il m' avoit fait de ne l' accomplir, mais bien desiroy-je luy dire par quelque bon moyen, qu' il le devoit mener quant & soy, toutesfois je ne trouvay opportunité de ce faire: joint que je ne le voulois mettre en soupçon, & que depuis que je feuz fait prisonnier, il me semble qu' on m' avoit fait tort de me prendre en cette sorte & encores plus de ne permettre que je parlasse au Roy, 

auquel je souhaitois de declarer tout ce que dessus. Et en me menant prisonnier par deça, je dy au Seigneur d' Aubigny, que si le Roy vouloit avoir cette fiance en moy, je promettois d' aller requerir le Connestable, la part où il seroit, & le ramener, toutesfois on n' en avoit tenu aucun compte: non plus qu' à Madame sa mere: & à cet effect avois escrit un memoire de ma main, portant tout au long ces discours, lequel j' ay depuis rompu de despit, & mis au feu, voyant qu' il n' y avoit plus de remede. Et depuis me confiant tout en vous (dit-il, continuant sa parole) je vous escrivy que je deposerois en vos mains, ce qui estoit de ma conscience, & me mandaste par celuy mesme, qui vous avoit porté cette parole, que cette affaire estoit de telle importance, que ne vouliez parler à moy sans compagnie. Mais que si je voulois bailler mon dire par escrit, vous l' envoyerez seellé au Roy, & à Madame, que nul ne verroit qu' eux: ou bien si j' aimois mieux que vous, & l' un de messieurs vos compagnons en fussiez les porteurs. Et lors je vous manday par le mesme personnage qui estoit mon confesseur, que j' avois toute fiance en vous & en luy, & que j' estois contant de parler a vous deux ensemble, vous supliant ne monstrer cette confession, qu' au Roy & à Madame, laquelle je supplie tres-humblement estre moyen & intercession envers le Roy, de considerer la cause qui m' a meu de ne luy reveler si tost que j' eusse deu, ou peu faire, le traicté, & intelligence du Connestable, lequel je pensois avoir destourné de sa mauvaise intention; & en ce supplie tres affectueusement le Roy, de me faire grace & misericorde, si en rien j' ay failly. Ainsi signé de Poitiers le vingt- sixiesme d' Octobre 1523.

Le mesme jour les Seigneurs de Selva, & de Louïnes le voulurent voir desirant sçavoir de luy, s' il sçavoit point les Seigneurs, & Gentils-hommes qui estoient voüez à l' entreprise du Connestable. A quoy il respondit que la premiere fois, qu' il avoit parlé de ce fait, dans son cabinet, le Connestable ne luy avoit parlé que de cinq, ou six de ses gens-d'armes sans les nommer, & comme on le voulut davantage presser sur cest article, il leur respondit en peu de paroles. Je croy fermement qu' il n' avoit le serment d' homme de France: car il n' y a que trois ou quatre Seigneurs qui l' ayent suivy. On le chevala sur autres articles, qu' il me semble n' estre besoin de reciter.

Le procés amplement instruit, S. Valier fut amené à la Conciergerie du Palais de Paris, & logé en la tour quarree: & l' un & l' autre procés ayans pris leur trait, le Roy seant en son lit de Justice assisté de ses Princes, & des Pairs, fut le 16. Janvier 1523. prononcé l' arrest contre le Duc de Bourbon, par le Chancelier du Prat, & quelques jours apres celuy de S. Valier, portant condemnation de mort, au dessous duquel estoit un retenton, qu' avant que de l' exposer au dernier supplice, il seroit appliqué à la question ordinaire & extraordinaire, pour indiquer ses autres complices. Arrest non toutesfois executé pour ce regard: qui me fait croire que deslors le Roy avoit declaré sous main à la Cour quelle estoit sa volonté sur ce sujet. Ce mesme jour (ores que l' arrest ne luy eust esté signifié,) Messire Charles de Luxembourg Comte de Ligny, Chevalier de l' Ordre, se transporta en la Cour, disant avoir charge expresse du Roy (dont il fit apparoir) d' oster l' Ordre à S. Valier. Au moyen dequoy par l' ordonnance d' icelle, il se transporta en la tour quarree, & avec luy le President le Viste, & les sieurs Papillon, Clutin, Berruyer & Aimeret Conseillers de la grand Chambre. Sainct Valier fit plusieurs refus, & protestations contraires, toutesfois en fin vaincu par les remonstrances du President, il y obeït, & d' autant qu' il n' avoit son Ordre pardevers luy, le Comte pour fournir à la ceremonie, luy en mit un au col, & dés l' instant mesme le luy osta. Qui fut une premiere fievre laquelle entra lors en l' ame de ce miserable Seigneur.

Le lendemain Maistre Nicolas Malon Greffier Criminel accompagné de Maistre Jean de Vignoles l' un des quatre notaires, & secretaires de la Cour, & de plusieurs huissiers, se transporta à une heure de relevée en la seconde chambre de la Tour quarree, où il luy prononça son arrest. Je vous laisse toutes les particularitez, qui se passerent entr'eux. Tant y a qu' une heure apres ou environ de relevée, il est mené sur le perron des grands degrez du Palais, où apres son cry fait monté sur une mule, & derriere luy un huissier en crouppe, feut conduit par les huissiers de la Cour, Sergens à verge, Archers, Arbalestiers, & gens du guet de la ville, jusques en la place de greve, où il monta sur l' escharfaut, & apres s' estre reconcilié à Dieu entre les mains de son confesseur, comme il estoit sur le point de s' agenoüiller pour recevoir le coup de sa mort par l' executeur de la haute justice, voicy arriver un Archer des gardes du Roy, nommé François Bobbé, qui presenta à Malon deux lettres, l' une missive, & l' autre patente portans commutation de la mort à une prison perpetuelle. A cette nouvelle, Malon laisse le prisonnier, deffendant au bourreau de passer outre; Et de ce pas se transporte avec Vignoles & Bobbé, & quelques huissiers en la maison du seigneur de Selve, lequel ayant leu les lettres, commenda d' en faire lecture devant tout le peuple, & de ramener S. Valier en la prison, pour en estre ordonné par la Cour ce qu' elle verroit de raison. Ce commandement est executé. Toutesfois l' aprehension que ce pauvre seigneur avoit euë de sa mort, le reduisit en telle fievre, que peu de jours apres il mourut, & de là est venuë la fievre de S. Valier tant solemnizée par nos communs propos.

En cette funeste tragedie, qui fust jouée sur le Theatre de la France, je voy quatre sortes de personnages, un Connestable grand Prince, un sainct Valier, un Parlement de Paris, & un Roy chacun desquels joüa diversement son rollet. Car pour le regard du Connestable, il estoit merveilleusement chargé par les interrogatoires faits à sainct Valier, depositions de Darronge, & de Matignon, de la façon qu' ils y procederent, retraité inopinée qu' il feit à Chantelle, missives par luy envoyées au Roy, dont l' Evesque d' Autun l' un de ses principaux Ministres fut le porteur. Sage evasion qu' il feit de Contelle, pour se garentir par la fuite, du danger qu' il voyoit pancher sur sa teste: & finalement plus grand tesmoignage ne falloit il contre luy, que notoirement il s' estoit rendu vers l' Empereur, & qu' à face ouverte il luy feit depuis service dedans la Lombardie, en tout ce qui se presentoit contre nous. Quand au Seigneur de S. Valier, proche parent, intime serviteur, & amy du Connestable, S. Valier, dy-je, qui par ses responses, se faisoit sa condemnation à soy mesme, & par defaux & contumaces au Seigneur qu' il aimoit le mieux. Car pour le regard du Parlement, il y avoit assez de preuve pour le degrader d' honneurs & de biens, luy sauver toutesfois la vie, d' autant qu' il estoit Prince du sang, & au Seigneur de S. Valier par sa mesme confession par luy signée, il avoit sçeu tous les mal-heureux deportements du Connestable, sans les reveler auparavant l' execution, se fiant plus en une vaine promesse qui ne luy fut pas tenuë, qu' à la commodité generale du Roy, & du repos public, & qu' en telles affaires le scilence de celuy qui le sçait est reputé crime de leze Majesté, qui est sans excuse. Et pour cette cause feurent donnez les deux Arrests. Car quant au Roy il considera S. Valier luy avoir tousjours esté fidelle serviteur & subject, l' amitié qu' il portoit à l' autre, proximité de lignage, sages raisons, pour lesquelles il pensoit avoir destourné le Connestable, promesses jurées, reiterées, & non accomplies, & en fin une confession volontaire par luy faicte devant le I. president de Selve, de tout ce qui s' estoit passé. De maniere que faisant un pesle mesle de tout cela en sa pensée, ne voulant empescher que les Juges par leur Arrest feissent ce qui estoit de leur devoir, il voulut en apres par un Jugement Royal tourner la mort en une prison perpetuelle, & m' asseure veu la clemence qui faisoit perpetuel sejour en luy, que si S. Valier n' eust esté prevenu de mort, il eust à la longue esté restably en tous ses honneurs en effect. Voila comme les choses allerent lors. Et s' il vous plaist qu' en ma petitesse je face part, & portion de ce grand party, je veux qu' on sçache que par les XIV. & XV. Chapitre du cinquiesme de mes Recherches, & par le present Chapitre vous avez entendu comme toutes les procedures se passerent en toute cette negotiation, lesquelles meritent bien mieux d' estre cognuës, que la fievre de S. Valier, tant celebrée par nos bouches quand les occasions se presentent.

Permettez moy, je vous prie, de saulter du coq à l' asne, & d' atacher à la suite de l' histoire d' un seigneur de marque, celle d' un bouffon; dont la fin ne feut bouffonnesque. Nicolas d' Est Marquis de Ferrare avoit un plaisant nommé Gonnelle, lequel voyant son maistre tormenté d' une fievre quarte, qui se tiroit à longueur, ayant apris d' un medecin, qu' il n' y avoit plus prompt moyen de le garentir que d' une spavente, & estonnement: Ce bouffon se promenant le long du Pau pres de son maistre, qu' il entretenoit de bayes, trouvant celuy sembloit, son à point, le poussa de telle façon, qu' il tomba dedans la riviere en un gay, où il n' y alloit du peril de sa vie. S' il fut guery, ou non de sa fievre quarte par ce beau remede, je ne le sçay: Bien sçay-je qu' en la frayeur de ce saut inopiné, il y avoit assez dequoy pour le faire entrer en celle de sainct Valier. Or entendez de quelle monnoye ce nouveau medecin fut payé. Le Marquis ordonne que son procez luy fust fait, & parfait par son Podestat, lequel ne tournant à jeu cette bouffonnerie, le condamna d' avoir la teste tranchee: Chose dont le Prince ayant eu advis, comme celuy qui ne prenoit à desplaisir tous les deportemens de son Gonnelle, commanda qu' il fust decapité d' un seau d' eau, estimant tourner cette condemnation en rizée: Ce pauvre homme mené au lieu du supplice, confessé, agenoüillé, yeux bandez, comme si ce fust à bon esciant, toutesfois au lieu de l' espee, il est par le bourreau salüé d' un seau d' eauë, & dés l' instant mesme il rendit l' ame sur la place. Execution qui fut faite à petit semblant, mais il n' y eut en cecy rien pour rire.

En ces discours de la mort il semble que je me sois mocqué de ma plume, faisant tomber la fievre d' un S. Valier grand seigneur, en celle du Gonnelle bouffon. Mais puisque je me suis baillé cette liberté, encores ne m' estancheray-je, & vous reciteray une histoire avenuë de nostre temps toute contraire aux deux autres. L' un des plus memorables sieges qui soit advenu de memoire d' homme, est celuy de la ville de Sienne, qui fut entrepris par l' Empereur Charles cinquiesme sous la conduite du Marquis de Marignan, contre nostre Henry II. qui en avoit pris la protection, laquelle il commeist à Messire Biaise de Montluc grand Capitaine, & depuis Mareschal de France. C' estoient deux grands guerriers voüez d' une mesme balance & devotion, aux commandemens de leurs maistres. Le Marquis estoit infiniment affligé des gouttes. Et neantmoins ne laissoit de rendre tous les bons devoirs à sa charge, que l' on pouvoit de luy desirer. Ayant par divers moyens sondé de prendre la ville, qu' il tenoit grandement à l' estroit de viures, dont ceux de dedans se defendoient avec une patience incroyable, finalement se delibera de bailler un assaut general, & comme il ne peut aller, ny de pied, ny de cheval pour les importunitez de ses gouttes, il se logea dans sa littiere à l' abry d' une cassine, envoyant ce pendant ses Capitaines çà & là, pour supleer le defaut de son impuissance. Advient que cette cassine est à coup perdu bouleversée d' un canon, dont la ruine s' esboula sur la littiere du Marquis, qui demeura quelque temps comme ensevely dedans icelle. Malheur assez suffisant pour le faire entrer, non en une crainte, ains asseurance de mort, s' il n' eust esté promptement secouru par les siens. Ny pour cela toutesfois la fievre de S. Valier ne se logea dans son cœur, mais au contraire la peur dont il fut surpris, le guerit tout à fait de ses gouttes, par un secret paradoxe de nature. Ce grand assaut ne reüssit pas au Marquis comme il avoit souhaité, mais ayant ruiné par une longue famine la ville, elle luy fut en fin renduë par compositio. Et y estant entré, apres que ces deux braves Capitaines se feurent accueillis, au sortir de la ville le Marquis voulut faire compagnie au sieur de Montluc l' espace de deux mille: Et comme la guerre n' est qu' un jeu aux grands Capitaines & guerriers, & qu' à l' issuë, le souvenir de leurs maux passez leur soit une grande consolation, aussi chacun d' eux diversement discourant les traverses par eux souffertes, l' un en assaillant, & l' autre en defendant, le Marquis pour conclusion dist qu' il avoit une tres grande obligation au seigneur de Montluc: Parce qu' il l' avoit guery de ses gouttes, luy recitant comme cela estoit avenu. Et ainsi prindrent congé l' un de l' autre. Je vous prie de considerer quel jugement nous pouvons faire de la nature, qui sur un mesme accessoire produisit deux effects si contraires aux sieurs de S. Valier, & Marquis de Marignan. Des histoires par moy cy dessus touchées, l' une est toute Françoise, l' autre Italienne, & la derniere my-partie du François, & de l' Italien. 

mardi 25 juillet 2023

6. 47. De deux accidens casuellement advenus au Parlement de Paris, portans presages des mal-heurs qui depuis advindrent en la France.

De deux accidens casuellement advenus au Parlement de Paris, portans presages des mal-heurs qui depuis advindrent en la France.

CHAPITRE XLVII.

De l' un je vous en compteray par livre, de l' autre pour l' avoir veu. Vous sçavez les grands troubles qui commencerent en cette France entre la Maison d' Orleans & de Bourgongne en l' an 1407. pour le mal-heureux assassinat qui fut fait de Louys Duc d' Orleans frere du Roy Charles VI. par le commandement exprez de Jean Duc de Bourgongne. Or je vous prie remarquer un cas qui advint au mesme an à l' ouverture du Parlement le lendemain S. Martin 12. de Novembre. Il y avoit lors cinq Presidens, dont Mauger faisoit le cinquiesme & extraordinaire: C' estoit nombre trop plus que suffisant, pour faire que l' un d' eux se trouvast à cette ceremonie: Toutes-fois lors qu' il convint recevoir le serment des Advocats & Procureurs, en la maniere accoustumee, la fortune voulut que nul de ces cinq ne s' y trouvast. Tellement que le Parlement se trouvant sans chefs, l' on fut contraint d' avoir recours au Roy, qui sur le champ depescha ses lettres, par lesquelles il commit du Drac President aux Requestes, pour presider en la grand Chambre, & recevoir les sermens d' eux tous. Cela estoit un tres-sinistre presage qui ne s' estoit jamais veu: Aussi commencerent en ce mesme an les divisions de ces deux maisons qui ruinerent de fonds en comble nostre France, & peu s' en fallut que la Couronne ne fust transportee en une main estrangere. Tant y a que par calamitez enchainees de l' une à l' autre, les guerres durerent prés de 50. ou 60. ans au milieu de nous, tantost par les divisions intestines des deux Maisons, tantost par l' introduction de l' Anglois contre le François, tantost par l' extermination du vray fils & legitime heritier de la Couronne, à l' exaltation de nostre ancien ennemy, & finalement par autres guerres renouvellees avecques la Maison de Bourgongne.

Histoire dont devez estre plus particulierement & asseurément informez, car il me semble qu' elle le merite. La verité est qu' il n' y avoit auparavant au Parlement de Paris que quatre Presidens du Mortier, & de la grand Chambre, toutes-fois le Roy Charles VI. y en adjousta un cinquiesme, nommé Mauger, contre le gré des anciens. En ce mesme an Messire Henry de Merle premier President fut envoyé à l' Eschiquier de Rouen pour y presider, & restoient les trois autres qui ne se voulurent trouver à la reception des sermens, en haine du cinquiesme, lequel aussi ne s' y oza presenter pour estre nouvellement receu contre la volonté de la compagnie, le Registre de la Cour porte ces mots, dont j' ay fait cet extrait. Le 12. Novembre 1407. ne se trouverent aucuns Presidens de la Cour, combien qu' ils fussent 5. Parce qu' il y en avoit un extraordinaire, & n' y en avoit aucun d' eux empesché fors le premier President, dont le Roy & sa Cour furent mal contens. Le dit jour, du Drac President des Requestes eut commission du Roy d' aller presider en la grand Chambre en l' absence des autres. Et y est la commission inseree. Ce Registre ne fait aucune mention de l' Eschiquier de Rouen: mais en voicy le supplément. Maistre Nicole de Baye, personnage de merite & d' honneur, qui faisoit un memorial par années, non seulement de ce qui se faisoit au Parlement, ains des choses les plus signalees du Royaume, lequel j' ay eu longuement en ma possession, & fait copier avant que le rendre: Cestuy (dis-je) remarquant ce qui advint ce 12. jour de Novembre dit ainsi. Duodecima Novemb. 1407. nullus fuit Praesidens in curia Parlamenti, primo Praesidente occupato in Scatario, alijs in commissionem exeuntibus, unde scandalizata fuit Curia, & ordinatum quod Praesidens Requestarum praesideret, eorum absentia durante, per Cancellarium. Unde nonnulli de Parlamento indignati, quod de antiquioribus laicis aliqui non praesidebant, murmurantibus non nullis Magistris Requestarum, qui dicebant ex officio suo debere praesidere. Passage qui peut servir de commentaire à ce qui est du Registre. Comme aussi furent l' un & l' autre passage, faits de la main d' un mesme ouvrier, qui fut le Baye lors Greffier: Et voyez que l' empeschement du premier de la Cour, provenoit de l' Eschiquier, & que les trois autres pretexterent leurs absences de commissions supposees, pour ne desplaire en tout & par tout au Roy. Le Registre porte que le 14. de Novembre les Maistres d' une part, & les Conseillers d' une autre firent leurs remonstrances au Conseil du Roy, chacun d' eux soustenant son party, mais ne fut faite aucune resolution en faveur des uns ou des autres. Car ce mesme different advint en l' an 1589. dont je puis parler, non seulement pour en avoir esté spectateur, ains pour y avoir eu bonne part. Je vous diray doncques qu' en l' an 1587. le 12. de Novembre, je veux dire à l' ouverture du Parlement de la S. Martin, tous Messieurs les Presidens & Conseillers oyans la Messe, avec leurs robes d' escarlate, & chaperons fourrez, combien qu' apres l' elevation du Corpus Domini, on ait de tout temps & ancienneté accoustumé de leur apporter la platine (que nous appellons ordinairement la Paix) pour la baiser, Dieu permit que ce jour là, par inadvertance, elle ne fut presentee à aucun d' eux. Je fus spectateur de cet acte. Et soudain que la Messe fut parachevee, je dis à quelques miens amis. Avez vous pris garde que la Paix n' a point esté presentee à Messieurs? Je meure si cela ne nous promet je ne sçay quoy de malheureux par la France. Ainsi le dis-je, & ainsi advint-il le mesme an & depuis: Car nous eusmes au mois de May ensuivant l' arrivee du sieur de Guise en cette ville de Paris, puis la journee des Barricades, la retraite fascheuse du Roy Henry III. du nom, les morts des deux Princes Lorrains en Decembre, bref la revolte generale de la plus grande partie des villes, ou pour mieux dire, un chaos & peslemesle de toutes affaires. Au moyen dequoy nous fusmes contraints de diviser les compagnies en deux, dont l' une soustint la cause du Roy, & l' autre celle des Seigneurs contraires. Nous establismes dedans la ville de Tours une Cour de Parlement, & une Chambre des Comptes des Seigneurs de ces deux ordres qui s' estoient diversement voüez à la suite du Roy leur Prince, & des pays qui estoient diversement demeurez sous son obeïssance: Et la ville de Paris avec quelques autres Provinces, avec ses compagnies voulut soustenir un party contraire. Dispute qui a grandement cousté à la France l' espace de 5. ans & plus. De moy voyant cette extraordinaire desbauche pretextee d' une paix, non paix, generale parmy la France, & d' une assemblee d' Estats dedans la ville de Blois, je quittay le 12. d' Octobre 1588. Paris lieu de mon ordinaire residence, pour suivre de là en avant la fortune de mon Roy, que je trouvay toute desarroyee, nonobstant quelque contenance, & faux pretexte de restablissement du Royaume, que l' on meit en avant sous le masque des 3. Estats. Advient à Blois la fin des Estats par la closture de l' Assemblee le 15. de Janvier 1589. & dans Paris le mesme jour la fin de l' Estat, par l' emprisonnement du Parlement fait en corps dedans la Bastille par un Bussy le Clerc, & ses consorts, si Dieu par sa saincte grace n' y eust avec le temps remedié. Cependant les deputez ausquels tous nos deportemens ne plaisoient, prennent langues les uns avec les autres, 4. font entr'eux un je ne sçay quel party à la ruine de l' Estat. Quelque peu apres les 2. freres sont tuez, feu allumé, & guerre sonnee de toutes parts dedans cette France, & division des compagnies souveraines, comme je vous ay touché cy-dessus, les unes dedans Tours, les autres dedans Paris; Qui est pour vous parler du 2. poinct, pour lequel j' ay entrepris les discours de ce mien Chapitre.

La seance du Parlement est establie fort à propos en l' Abbaïe de S. Julian: Celle des Comptes en la Thresorerie de S. Martin, & à l' ouverture du Parlement le Roy Henry III. s' y trouva en son lict de Justice, suivy des Princes qui estoient pres de luy, & de Monsieur de Montelon garde des Seaux, où Monsieur d' Espesse Advocat du Roy fit sa harangue; personnage auquel; par un bon naturel qui l' accompagna dés le temps de sa naissance, favorisé d' un acquis, il n' advint jamais de mal faire en toutes ses actions. Le lendemain Monsieur le Cardinal de Vandosme, depuis appellé Cardinal de Bourbon, accompagné de Monsieur le garde des Seaux, vint faire l' ouverture de nostre Chambre des Comptes, en laquelle je portay aussi la premiere parole, comme Advocat du Roy, apres que les lettres patentes furent publiees, pour en requerir l' enterinement & verification. Nostre Chambre des Comptes estoit lors beaucoup mieux fournie que le Parlement: D' autant qu' il y avoit deux Presidens, Messieurs Tambonneau, & Guiot, sept Maistres des Comptes, trois Auditeurs, & moy qui sous ma qualité representois le Procureur general du Roy, lors absent. Cette mesme police ne se trouva pas au Parlement de nouveau transporté, & estably en la ville de Tours. Car de malheur il n' y avoit aucuns Presidens de la grand Chambre, ains seulement quelques Maistres des Requestes, & Conseillers, les uns Ecclesiastics, les autres Laiz, & Monsieur l' Advocat d' Espesse, qui representoit ses deux autres compagnons. Tellement que la mesme dispute se presenta lors entre les mesmes Maistres des Requestes de l' Hostel du Roy, & Conseillers Laiz, comme elle avoit fait en l' an 1407. & toutes-fois n' y avoit moyen de la vuider, & ne fut l' Audience tenuë par faute de Presidens, lequel eust recueilly les voix des Conseillers assistans, & prononcé les Arrests: En quoy gist l' une des principales dignitez de la grand Chambre. Ne voulant le Roy offenser les uns & les autres, en la disette des Juges qui estoient pres de luy, ordonna un sequestre en tier-pied, comme on avoit fait sous le regne de Charles VI. Et demeurerent quelque temps les affaires du Palais ainsi en suspens, jusques à ce que pour bannir cette jalousie, il fut trouvé bon que Monsieur d' Espesse se fit pourvoir par le Roy d' un nouvel Estat de President, & qu' il trouvast homme capable, sur lequel il se demettroit de celuy d' Advocat du Roy. En cette resolution la Cour de Parlement me fit cet honneur de me semondre de le prendre. Et à cet effect Monsieur de Merles Maistre des Requestes, aujourd'huy Conseiller d' Estat, & feu Monsieur Loppin Conseiller d' Eglise aagé lors de 77. ans, me vindrent voir de sa part, a fin que j' acceptasse l' Estat, ayant moyen de le recompenser par la vente du mien, avec quelque moderee finance dont il faudroit secourir, tant le Roy, que le resignant. A quoy je leur fis response (je le diray par occasion, non par vanterie) que je remerciois la Cour, qui m' avoit faict tant d' honneur de jetter les yeux sur moy, mais que je la suppliois humblement ne trouver mauvais, si je desirois demeurer dedans le calme de ma fortune, n' ayant autre ambition en moy que d' estre ce ce que j' estois: Quelques jours apres Monsieur d' Espesse fut faict President, & Monsieur Servin Advocat du Roy, personnage digne non seulement de cet Estat, ains d' un plus grand, comme un autre Demon de ce temps. Et adoncques on commença de plaider à huis ouvert. Particularitez que je ne pouvois passer sous silence, au sujet du present Chapitre.

Fin du sixiesme Livre des Recherches.

vendredi 7 juillet 2023

6. 13. Procedures tenuës en la foy & hommage, que feit Philippes Archiduc d' Austriche, à nostre Roy Louys douziesme.

Procedures tenuës en la foy & hommage, que feit Philippes Archiduc d' Austriche, à nostre Roy Louys douziesme.

CHAPITRE XIII.

Le mal-heur qui nous advint en la journee de Pavie, & le traicté qui fut fait à sa suitte, veulent que je vous represente en ce lieu la derniere foy & hommage, qui nous fut faite par Philippe Archiduc d' Austriche. Paravanture que quelques-fois la fortune joüant autrement son rolle, ce Chapitre pourra enseigner à la posterité, de quelle façon elle se deura comporter. Et vrayement je me trans-formerois volontiers tout à fait, en celuy dont j' ay emprunté cette Histoire: Laquelle representee au jour & naïf de son ancienneté, peut estre y aura-il moins de grace au langage: mais aussi plus de foy & creance. L' Autheur de ce mien discours fut un Maistre Jean Auis (: Avis), Notaire & Secretaire du Roy, qui non seulement fut de la partie, ains eut commandement exprez, comme il nous tesmoigne, de Monsieur de Rochefort, Chancelier de France, de rediger par escrit la presente Histoire, dont je coppieray mot pour mot les principaux articles, a fin que le Lecteur se puisse informer de quelques anciennetez que nous n' observons aujourd'huy.

Messire Guy de Rochefort Chancelier sous le regne de nostre bon Roy Louys XII. partit de la ville de Dourlens pays de Picardie, pour aller en celle d' Arras, où il arriva le I. jour de Juillet 1499. accompagné des Seigneurs de Ravastain, & de la Grutture, de deux Maistres des Requestes du Roy, sept Conseillers du grand Conseil, deux Procureurs generaux du Parlement, & grand Conseil, du grand Rapporteur de la Chancelerie, du Baillif d' Amiens, & de cinq Notaires & Secretaires du Roy: Je vous les specifie ainsi que je le trouve par le memoire, & vous laisse à part leurs noms & surnoms: D' autant que ce ne seroit ce me semble, que remplissage de papier.

Et ainsi que mon dit sieur le Chancelier (dit Avis) fut à tout sa dite compagnie, comme à lieuë & demie de la Cité d' Arras, chevauchant en bon ordre, ayant au devant de luy, l' Huissier du grand Conseil, portant sa masse descouverte, armoyée des armes du Roy, & apres luy le Chauffecire qui portoit le seel, ainsi qu' il est accoustumé quand mon dit sieur le Chancelier va par champs: Et lequel Chauffecire estoit costoyé de deux Roys d' armes: c' est à sçavoir Mont-joye premier Roy d' armes, & Normandie. 

Je vous ay rapporté cette clause tout de son long, a fin que cognoissiez en passant quel ordre tenoient anciennement les Chanceliers allans par pays és actes de ceremonie, ayans pour suitte ordinaire l' un des Chauffecire: Car ce qu' il en dit icy, il le repete cy-apres, en un autre endroit. Or estant le Chancelier à une lieuë pres de la ville, Messire Thomas de Pleurre Evesque de Cambray, Chancelier de l' Archiduc, accompagné du Comte de Nassau, & plusieurs autres Seigneurs de Marque, le vindrent saluër de la part de leur Maistre. En cette premiere entreveuë, mille curialitez: & arrivez aux faux-bourgs d' Arras, l' Archiduc suivy de plusieurs Chevaliers de son Ordre, & Seigneurs de son Conseil, vint accueillir le Chancelier qu' il embrassa, ayant tousjours le bonnet au poing, & luy dit qu' il estoit le bien venu, luy demandant en cette maniere, Comment se porte Monsieur le Roy? A quoy mon dit sieur le Chancelier respondit, Que tres-bien graces à Dieu, comme il avoit intention de plus amplement luy dire. De là plusieurs grandes caresses de la part de l' Archiduc, aux Seigneurs de Ravastain & la Grutture, & Messieurs des Requestes, & du grand Conseil, & jamais il ne se voulut couvrir, sinon que le Chancelier fust le premier couvert, puis l' Autheur poursuivant sa route. Monsieur le Chancelier (dit-il) & l' Archiduc se meirent eux deux ensemble, pour entrer en la ville, le Chancelier tousjours à dextre, & chevauchant au devant de luy l' Huissier du grand Conseil, sa masse haute & descouverte, & le Chauffecire ayant le seel du Roy sur son dos, comme il est de coustume, quand mon dit sieur le Chancelier chevauche par le Royaume, & deux Rois d' armes en leur ordre: sans qu' entre mes dits sieurs le Chancelier & Archiduc y eust autre. Quelle chose estoit, & fut bien regardee, tant par les gens & Officiers de l' Archiduc, que par le peuple, dont il y avoit grand nombre, tant dehors la cité, que dedans, illec venus pour voir l' entree. Et mena & conduit mon dit sieur l' Archiduc, mon dit sieur le Chancelier, tousjours parlant à luy, en soy souvent descouvrant, sans ce qu' il se couvrist, que mon dit sieur le Chancelier ne fust aussi tost couvert, jusques à l' entrée du cloistre de la grande Eglise. Voulant mon dit seigneur l' Archiduc à toute force le mener jusques à la maison Episcopale, en laquelle mon dit seigneur a tousjours esté logé. Nonobstant les requestes & prieres que mon dit seigneur le Chancelier luy feist de soy conteur de l' honneur qu' il luy avoit fait en faveur du Roy. Et sur ces paroles se departit mon dit sieur l' Archiduc, & s' en alla en la ville d' Arras en son logis de S. Vast, & mon dit seigneur le Chancelier en la dite maison Episcopale, accompagné du sieur Comte de Nassau, & autres grands personnages de la maison de mon dit sieur l' Archiduc, & apres chacun de la compagnie, & bande de mon dit sieur le Chancelier, s' en alla au logis qui luy estoit ordonné. Vous pouvez voir par cela avec quel respect le Chancelier fut accueilly par l' Archiduc. Trois jours se passent, pendant lesquels l' Archiduc, & le Comte de Nassau le vindrent visiter, pour concerter ensemblement sur quelques obscuritez que M. Jean Burdelot Procureur general au Parlement, avoit proposees. Desquelles s' estans esclaircis, le Jeudy 4. Juillet le Chancelier leur declara qu' il desiroit que le lendemain se presentast pour faire la foy & hommage qu' il estoit tenu de porter, pour raison de la Pairrie & Comté de Flandres, & semblablement des Comtez d' Artois, & de Charroulois, & autres terres & Seigneuries tenuës & mouvantes de la Couronne de France. Ce qui fut par l' Archiduc trouvé bon. Le jour, lieu, & heure arrestez, le Chancelier ordonna pour le lieu & place la seconde salle de son logis, qu' il fit revestir d' une riche tapisserie, & rehausser le lieu où l' hommage seroit fait de deux marches, où fut mise une chaire de veloux semé de fleurs de Lys, en laquelle il seroit assis devant la reception, & les paroles qui seroient proferees par l' Archiduc. Le lendemain sur les 10. heures, estant en chambre environné de Messieurs des Requestes de l' Hostel, gens du grand Conseil, Baillif d' Amiens, & autres cy-dessus nommez, il fut adverty par l' Evesque, que l' Archiduc estoit party de son Hostel, pour venir faire l' hommage, & par deux autres fois il receut pareil advis par quelques autres Officiers de l' Archiduc, qui luy dirent que leur Maistre estoit en chemin pour cet effect. En fin adverty par les sieurs de la Grutture, Flammezelles Chambellan du Roy, & Ravastan, qui l' avoient accompagné depuis son logis jusques en ce lieu, qu' il estoit entré jusques à la premiere salle. Adoncques le Chancelier vestu d' une robbe de veloux cramoisy, son chapeau en teste se partit de sa chambre, en la maniere qui s' ensuit. Et ainsi l' ay-je coppié mot pour mot de l' Autheur, dont j' ay recueilly l' Histoire. 

Ayant au devant de luy le dit Huissier du grand Conseil, portant sa masse descouverte, & haut criant au peuple qui là estoit assemblé en grand nombre. Devant, devant, faites place. Et apres luy alloient les deux Rois d' armes du Roy nostre dit seigneur, vestus des cottes d' armes du dit sieur. Puis marchoit mon dit sieur le Chancelier, & apres Messieurs des Requestes, les Conseillers du grand Conseil, Notaires & Secretaires du Roy, avec lesquels j' estois (poursuit l' Autheur) & parce  que mon dit sieur le Chancelier m' avoit ordonné auparavant son partement la dite Chambre, me mettre en lieu & place, pour estre present à la reception du dit hommage, pour ouyr les paroles, tant de luy, que de mon dit sieur l' Archiduc, qui y seroient dites & proferees par eux deux, prendre le commencement des lettres à ce necessaires, je m' auancay pour ce faire. Et est à sçavoir qu' ainsi que mon dit sieur le Chancelier approcha de la chaire où il devoit seoir, mon dit sieur l' Archiduc qui aupres d' icelle estoit, attendant mon dit sieur le Chancelier, osta incontinent le bonnet de sa teste: Disant à mon dit sieur le Chancelier ces mots: Monsieur, Dieu vous doint bon jour; & en ce disant baissa fort la teste: Et mon dit sieur le Chancelier sans rien proferer, ou dire mot, meit seulement la main à son chapeau, qu' il avoit en la teste: Et incontinent l' un des dits Rois d' armes, ainsi qu' ordonné luy avoit esté par mon dit sieur le Chancelier, cria à haute voix par trois fois: Faites paix. Ce fait mon dit sieur l' Archiduc se presenta à mon dit sieur le Chancelier pour faire le dit hommage, disant: Monsieur le Chancelier, je suis icy venu devers vous pour faire l' hommage, que tenu suis faire à Monsieur le Roy, touchant mes Pairries & Comtez de Flandre, d' Artois, & Charroulois, lesquels je tiens de Monsieur le Roy, à cause de sa Couronne. Et lors mon dit sieur le Chancelier, ainsi assis qu' il estoit en sa dite chaire, tout couvert de bonnet & chapeau, luy demanda, s' il avoit ceinture, dague, ou autre baston. Lequel mon dit sieur l' Archiduc en levant sa robbe qui estoit sans ceinture, dit que non. Ce dit mon dit sieur le Chancelier luy meit les deux mains entre les siennes, & icelles  ainsi tenans & jointes, mon dit sieur l' Archiduc se veut encliner, monstrant apparence de se vouloir mettre à genoux. Ce que mon dit sieur le Chancelier ne voulut souffrir, ains en le soustenant par ses dites mains, qu' il tenoit comme dit est, luy dit ces mots. Il suffit de vostre bon vouloir. Puis mon dit sieur le Chancelier luy dit en cette maniere, luy tenant tousjours les deux mains jointes, & ayant mon dit sieur l' Archiduc la teste nuë, & encores s' efforçant tousjours de se mettre à genoux. Vous devenez homme du Roy, vostre souverain Seigneur, & luy faites  foy & hommage lige, pour raison des Pairries & Comtez de Flandre, & aussi des Comtez d' Artois & de Charroulois, & de toutes terres que tenez, & qui sont mouvantes, & tenuës du Roy à cause de sa Couronne: Luy promettez le servir jusques à la mort, inclusivement envers & contre tous ceux qui peuvent viure & mourir sans nul reserver, de procurer son bien & eviter son dommage, & vous induire & acquiter envers luy, comme envers vostre souverain Seigneur. A quoy fut par mon dit sieur l' Archiduc respondu: Par ma foy ainsi le promets-je, & ainsi le feray. Et ce dit mon dit sieur le Chancelier luy dit ces mots, Et je vous y reçoy, sauf le droit du Roy en autre chose, & l' autruy en toutes. Puis tendit la joüe, en laquelle mon dit sieur l' Archiduc le baisa: Puis mon dit sieur l' Archiduc requit & demanda lettres à mon dit sieur le Chancelier, lesquelles il me commanda de luy faire, & icelles luy depescher. Lors mon dit sieur le Chancelier se leva de sa dicte chaire, & se descouvrit du chapeau & bonnet, & feit reverence à mon dit sieur l' Archiduc, luy disant ces mots: Monsieur je faisois n' agueres office de Roy, representant sa personne, & de present je suis Guy de Rochefort, vostre tres humble serviteur, tousjours prest de vous servir envers le Roy, mon souverain Seigneur & Maistre, en tout ce qu' il vous plaira me commander. Dont mon dit sieur l' Archiduc le *remercia, luy disant: Je vous mercie Monsieur le Chancelier, & vous prie qu' en toutes mes affaires envers mon dit sieur le Roy, vous me vouliez tousjours avoir pour recommandé. Tesmoin mon seing manuel cy mis le I. jour d' Aoust l' an 1489. Sic signatum Auis (Avis). L' ordre qui fut lors tenu m' a semblé digne d' estre icy enchassé. Les grands Seigneurs joüent leurs rolles ainsi qu' ils veulent, par cet Univers, & les petits qui sont spectateurs de leurs jeux, se donnent quelques-fois la loy de juger des coups. Monsieur le Chancelier de Rochefort estoit un grand personnage, non sujet à faute en ce qui luy estoit enjoint & commandé par son Maistre, toutes-fois la question n' est pas petite de sçavoir, si luy representant lors la personne du Roy son Seigneur (comme luy mesme fut d' accord par ses derniers propos) fit acte digne de soy, ou pour mieux dire de Roy, quand il ne voulut permettre, que l' Archiduc le conduisist jusques à la maison Episcopale pour s' heberger: & que faisant la foy & hommage, il ne voulut permettre qu' il s' agenoüillast, comme il vouloit faire, & estoit le deu de son vasselage: Parce que si ces deux poincts n' estoient en cet acte, la closture d' iceluy eust esté bien plus magnifique, quad (quand) il dit qu' auparavant il faisoit office de Roy, & depuis il estoit un simple Guy de Rochefort, &c. Et toutes-fois je veux croire que tout ce que fit ce grand Chancelier, ce fut par un jeu mesuré qui luy avoit esté prescrit avant son partement par le Roy en son Conseil. Autrement sa faute eust esté tres-grande, & inexcusable.


Philippes Archiduc d' Austriche
Roy Louys douziesme

mardi 1 août 2023

8. 5. De ces mots de Dom, Dam, Vidame, Dame, Damoiselle, Damoiseau, Sire, Seigneur, Sieur.

De ces mots de Dom, Dam, Vidame, Dame, Damoiselle, Damoiseau, Sire, Seigneur, Sieur.

CHAPITRE V.

Puis que nostre langue est bastie sur les ruines de la Latine, je ne puis en discourant l' ancienneté d' icelle, que je ne Latinise aussi. Les anciens Romains du temps de leur liberté ne recognoissoient ce tiltre de parade, & flatterie qu' ils observerent depuis sous ce mot de Dominus, qui estce que nous appellons Sire, ou Seigneur: Mais parlans ou escrivans les uns aux autres, se salüoient & gouvernoient sous leurs propres noms. Ce qui estoit encore en essence apres que Jules Cesar eut reduit sous son authorité toute la grandeur de la Republique, ainsi que l' on peut recueillir des plaidoyez, que Ciceron fit devant luy, tant pour Marcellus, que pour Ligarius. La tyrannie s' estant depuis sa mort asseuree à meilleures enseignes dedans Rome, la flaterie des inferieurs qui vouloient s' accroistre par les bien-faits des Empereurs, s' y vint pareillement loger. De là est qu' un Comedien en plein Theatre appella Auguste son Seigneur, (cela se dit en Latin Dominus) & les spectateurs ayans jetté l' œil sur luy, le lendemain, par Edit il prohiba que l' on n' eust à le reblandir sous ce tiltre. Et Tibere son successeur se courrouça fort aigrement contre un homme qui l' avoit ainsi appellé, disant que ce luy estoit faire injure. Le premier Empereur des Romains, qui commanda par expres que l' on l' appellast Dominus, fut Calligula, si nous croyons à Sextus Aurelius Victor, ou bien Domitian, selon le rapport de Suetone, auquel à mon jugement il faut plus adjouster de foy qu' à l' autre. Le Poëte Martial du tout voüé à flatter la tyrannie, parlant de cet Empereur, l' appella Dominum, Deumque nostrum: Et se tourna cela depuis tellement en usage, que Pline second l' un des premiers Senateurs & Orateurs de son temps, escrivant à l' Empereur Trajan, qui fut surnommé le Bon, ne parle jamais à luy en tout le dixiesme de ses Epistres, que sous ce titre de Domine. Lampride celebre l' Empereur Alexandre Severe, de ce qu' il ne voulut estre qualifié de ce tiltre superbe. Or comme des grands on vient aux moyens, puis aux petits, cela mesme se pratiqua non seulement envers les Empereurs, mais aussi envers les Princes & Gentils-hommes, & à peu dire, à l' endroit du commun peuple, selon que les occasions se presentoient: Parce que quand Auguste defendit au peuple de ne le qualifier de ce glorieux nom de Dominus, il fit la mesme deffense à ses enfans, & encore ne voulut que parlans les uns aux autres ils n' en usassent: comme nous apprenons de Suetone: Et Seneque au I. livre de ses Epistres, en la 3. dit que de son temps quand on salüoit un homme, duquel on ne sçavoit le nom, on l' appelloit ordinairement Monsieur: Quomodo (dit-il) obvios si nomen non succurrit, dominos salutamus. Martial se joüant sur cette mesme rencontre, en un distique, se mocque de Cinna:

Quum voco te Dominum, volo tibi Cinna placere: 

Saepe etiam servum sic resaluto meum. 

Et en un autre endroit se mocquant des enfans, qui appelloient leurs peres Dominos:

Tum servum scis te genitum, blandéque fateris,

Quum dicis Dominum Sosibiane patrem.

Paulin escrivant à Ausone:

An tibi me Domine illustris si scribere sit mens.

Toutes façons de faire qui ont esté depuis transplantees chez nous sous les mots de Sire, & Seigneur, & Sieur, & encores avecques le progrez du temps sur cette maniere de parler qui fut tiree du mot de Dominus, on y en enta une autre, qui fut de ne parler aux Princes, ou grands Seigneurs par ces dictions de Tu, ou Vos, mais on y adjoustoit je ne sçay quelles qualitez puisees du vray fonds de la flaterie. Ainsi le trouverez vous és Epistres de Symmaque, esquelles escrivant à l' Empereur Theodose, ou Valentinian, il dit, Vestra aeternitas, vestrum numen, vestra perennitas, vestra clementia, vestrum aeternitatis numen. Qui est une forme d' idolatrie. Il n' est pas que les grands personnages n' en ayent aucunement usé. Ainsi le trouverez vous dans S. Gregoire, lequel escrivant à un Patriarche ou Archevesque dit, Vestra sanctitas, Vestra beatitudo, aux autres Evesques communément, Vestra fraternitas, aux Patrices de Gaule ou Italie, Vestra excellentia, Qualité dont on use encore envers les Ducs non souverains, tout ainsi que du mot d' Altesse emprunté de l' Espagnol envers les Ducs souverains.

Voila ce qui appartient à l' ancienneté de Rome, mais pour revenir à nostre Dominus, lors que la Barbarie commença de se loger dedans la langue Latine, nous fismes d' un Dominus, un Domnus: & en l' usage de ces deux mots, au regard de Dominus, ce fut une reigle generale entre les Chrestiens de l' approprier à nostre Seigneur en toutes les prieres & oraisons que nous faisions en l' Eglise: mais quant aux Seigneurs temporels, voire spirituels, nous les appellions ordinairement Domini, & quelques-fois Domni. Ainsi le voyez vous dedans nos Litanies. Ut Domnum Apostolicum & omnes Ecclesiasticos ordines in sancta religione conservare digneris. Qui est à dire, qu' il plaise à Dieu conserver en sa saincte Religion nostre S. Pere le Pape, & tous les autres Ordres Ecclesiastics. Ce Domnus masculin ne fut point enté en son entier sur les vulgaires, mais bien en fut fait un feminin, Donna, familier aux Italiens, Provençaux, Tholosans, Gascons, & nous en nostre langue Françoise fismes un mot de Dame. Car il est certain que le mot de Donna vient de Domina. Et au lieu de faire de Domnus un mot entier, nous le divisasmes en deux, & en fismes un Dom. De là vint qu' en nos anciens Romans, nous appellasmes Dom Chevalier, ce que nous dirions aujourd'huy, Sire Chevalier, ou Seigneur, & qu' en certains Monasteres (comme aux Chartreux) nous appellons Dams les Religieux qui sont constituez en dignitez par dessus les autres, mot qui symbolise avec celuy de Dom: car l' un & l' autre viennent du mot Domini. Chose en quoy toutes-fois semble y avoir plus d' obscurité pour le mot de Dam ou de Dame, ce neantmoins il n' en faut faire aucune doute. J' ay autres-fois trouvé en la Librairie du grand Roy François, qui estoit à Fontainebleau, une vieille traduction de la Bible, & nouveau Testament, où le Translateur parlant à Dieu, l' appelloit Dame-Diex, tout ainsi que l' Italien Domine Dio: Cela se peut encore mieux averer en ce mot de Vidame, qui de sa premiere institution estoit le Juge temporel des Eveschez & Colleges Ecclesiastics, que nos ancestres appellerent en Latin, Vicedominus. Sainct Gregoire en la 66. Epistre du neufiesme de ses Epistres se plaignant de Paschase Evesque, de ce qu' il n' avoit point de soin de faire rendre la justice à ses sujets, Volumus (dit-il) ut memoratus frater noster Paschasius, & Vicedominum sibi ordinet, & Maiorem domus, quatenus poßit vel hospitibus venientibus, vel caußis quae eveniunt, idoneus & paratus existere. C' estoit avoir un Vidame pour juger les causes, & un Maistre de l' Hostel Dieu pour recevoir les Pellerins. Du Vidame en cette signification vous trouverez estre faite mention expresse au 2. livre des loix de Louys le Debonnaire chapitre 28. & au Concil tenu à Maience en l' an 813. article 50. Omnibus Episcopis, Abbatibus, cunctoque Clero, omnino praecipimus, Vicedominos, Praepositos, Advocatos sive defensores bonos habere. Et Flodoart au 2. livre de son Histoire dit que Charlemagne delegua Walfarius Archevesque de Reims par toute la France, pour s' informer du devoir que les Evesques, Abbez & Abbesses rendoient à leurs charges, & qualem concordiam & amicitiam adinvicem agerent, & ut bonos & idoneos Vicedominos & Advocatos haberent, & undecumque fuisset, iustitias perficerent. Depuis tout ainsi que nos Rois firent de leurs Comtes Juges, des Vassaux, aussi firent le semblable, les Ecclesiastics de leurs Vidames: & de là est que nous voyons les Vidames de Chartres, d' Amiens, & Reims estre tres-riches & amples Seigneuries, que l' on releve des Evesques. Par ainsi il ne faut point douter que le mot de Dame anciennement en France estoit comme le Dominus Latin approprié aux hommes: Vray que le temps a voulu qu' il soit en fin abouty aux femmes seulement, tout ainsi que celuy de Donna aux Italiens. Et n' en sçavrois rendre autre raison, sinon que les femmes commandent naturellement aux hommes, nonobstant quelque superiorité que par nos loix nous nous soyons donnez sur elles.

Tout ainsi que de Dominus & Domina, on fit un Domnus & Domna, aussi fit on de ces deux-cy deux diminutifs Domnulus & Domnula. Salvian en une Epistre qu' il escrit sous le nom de Palladia à Hipatius & Quieta ses pere & mere. Aduoluor vestris (ô parentes charissimi) pedibus, illa ego vestra Palladia, vestra Gracula, vestra Domnula, cum qua his tot vocabulis quondam, indulgentißima pietate lusistis. Tout de cette mesme façon fismes nous en France, du mot de Dame deux diminutifs, l' un de Damoisel pour les hommes, & Damoiselle pour les femmes. Quant au Damoisel masculin, nous en usasmes quelques-fois pour Seigneur. Ainsi j' ay-je trouvé passant par Eclimont en la Bibliotheque de Messire Philippes Huraut Comte de Cheverny, & Chancelier de France, dans les Croniques de France de Philippes Mosque vieux Poëte François, où il dit que S. Louys estoit Damoisel de Flandres, voulant dire qu' il en estoit Seigneur souverain. Parole qui est encore en usage pour Messieurs de la Rochepot, que l' on appelle Damoiseaux de Commercy. Bien sçay-je que l' on en use encore d' un autre sens pour ceux qui sçavent courtiser de bonne grace les Dames, ou leur complaire. Ainsi fut appellé Amadis de Gaule en sa jeunesse, Damoisel de la mer, parce qu' ayant esté recous au berceau de la fureur de la mer, depuis croissant en aage, beauté & valeur, il estoit grandement agreable aux Dames. 

J' ay voulu toucher l' origine du mot de Dame, & de ce qui en depend, devant celuy de Sire, pour autant que mon opinion est que Dame vient de Dominus, sur lequel j' ay employé tout le commencement de ce chapitre. Car quant au mot de Sire que nos ancestres rapporterent aux Roys, quelques uns estiment qu' il prend sa source du Grec, & les autres de Herus Latin qui signifie Maistre. De cette opinion semble avoir esté Guillaume Budé, quand s' introduissant parler avec le grand Roy François sur le fait de la chasse, en sa Philologie, il l' appelle tousjours Here, comme s' il l' eust voulu appeller Sire en nostre langue. De ma part je ne fais aucune doute que nous ne l' ayons emprunté du Grec, non pas de la poussiere des escoles Gregeoises, ains des ceremonies de nostre Eglise, & voicy comment. Encores qu' és Pseaumes de David, S. Hierosme eust traduit ce S. mot de Jehova sous celuy de Dominus, qui n' estoit pas de petite estoffe aux Romains, comme j' ay deduit cy-dessus, si est-ce qu' és plus solemnelles prieres de nostre Eglise, mesmes au sacrifice de la Messe, nous loüons Dieu sous cette grande parole de Kyrie, qui signifie en Grec un Seigneur, mais Seigneur plein de certitude & justice: & c' est pourquoy par une noble Metaphore, on appelle en Grec les principes & propositions belles & indubitables *grec, ce que l' on dit autrement en Latin, Certas & receptas sententias: Et de fait nos anciens François parlans de Dieu, usoient ordinairement de ce mot de Sire, comme vous verrez au commencement de l' histoire de Villardoüin, où parlant des miracles que Dieu exerçoit par Foulques Curé de Nuilly sur Marne, dit ainsi, Nostre Sire fit mains miracles par luy, & Hugue de Bercy en sa Bible Guyot:

A hy beau Sire Diex comment

Seme preud'hom mauvaise graine.

Et dans le Roman de la Roze, Nature discourant avec Genius Archi-prestre de la puissance que Dieu luy avoit donnee.

Cestuy grand Sire tant me prise, 

Qu' il m' a pour sa Chambriere prise.

Marot dans sa traduction des 50. Pseaumes use tantost du mot de Sire, tantost de Seigneur; comme aussi faisons nous en nos oraisons.

Quant à moy je veux croire que le peuple estimant qu' un Roy estoit entre les hommes la plus expresse image de Dieu, & s' il faut qu' ainsi je le dise, un second Dieu en terre qui devoit estre, & pere, & Seigneur de ses sujets tout ensemble, le voulut aussi appeller Sire, & depuis comme les choses tombent en abus, les Princes, grands Seigneurs, & Chevaliers, qui approchoient de plus pres de ce grand Soleil, se firent aussi appeller Sires. Es Amours du Comte Thibaut de Champagne, du temps de S. Louys, il y a une chanson, où il introduit un Comte Philippes, qui luy fait plusieurs demandes:

Bons Rois Thiebaut Sire conseillez moy:

En ce vers il l' appelle Sire comme estant Roy de Navarre, & en deux couplets precedens il luy baille ce mesme tiltre comme simple Comte de Champagne, & de Brie.

Par Diex Sire de Champagne, & de Brie,

Je me suis moult d' un rien esmerveillé.

La forme que nous observons en cecy soit en parlant, soit en escrivant au Roy, est de mettre seulement le mot de Sire. Nos ancestres n' en userent pas tousjours ainsi par une reigle stable & infaillible. Le Roy Philippes de Valois ayant par lettres de Cachet commandé à Messieurs des Comptes de rechercher tous les dons qui avoient esté faicts à Louys Seigneur de Bourbon, ils luy rescrivirent par leurs premieres lettres en cette façon, Tres-cher, & tres-redouté Seigneur, vous nous avez mandé, &c. Et depuis ayans faict la recherche de ce que le Roy vouloit, ils firent une autre recharge de telle teneur. Tres-puissant, & redouté Seigneur, comme vous ayez mandé à nous les gens de vos Comptes. Qui monstre que parlans au Roy ils l' appelloyent tantost Sire, tantost Seigneur, je voy quelques anciennes familles en France, qui affecterent que le mot de Sire, tombast particulierement sur elles, comme le Sire de Pont, & le Sire de Montmorency, & specialement le Seigneur de Coussi, quand il estoit en essence: car il portoit en sa devise:

Je ne suis Roy, ny Prince aussi, 

Je suis le Sire de Coussy.

Mais voyez comme Dieu se moque de nos grandeurs: Ce Roy qui pour son excellence, & prerogative de dignité est par ses sujets appellé Sire, n' a peu empescher que ce mesme tiltre n' ait esté baillé aux simples marchands. Et de là est venu ce gaillard Epigramme de Clement Marot, où il appelle deux Marchands ses creanciers, Sire Michel, Sire Bonaventure.

Or tout ainsi que le mot de Sire approprié à Dieu par nos ancestres a esté communiqué à nos Rois, aussi avons nous employé en leur faveur le mot de Majesté, qui appartient proprement à nostre Dieu, & neantmoins il ne fut jamais que l' on ne parlast de la Majesté d' un Roy en un Royaume, tout ainsi que de celle d' un peuple en un Estat populaire. Verité est que nos peres en usoient avec une plus grande sobrieté que nous. Lisez les huict premiers livres d' Amadis de Gaule, où le Seigneur des Essars voulut representer sous un Perion de Gaule, & sa posterité, ce qui estoit de la vraye courtizanie, lisez le Palmerin d' Olive, vous ne trouverez point que ceux qui gouvernent les Rois usent de cette façon de parler, Vostre Majesté, &c. façon de parler toutesfois qui s' est tournee en tel usage au milieu de nos Courtisans, que non seulement parlans au Roy, mais aussi parlans de luy, ils ne couchent que de cette maniere de dire, Sa Majesté, a fait cecy, Sa Majesté a fait cela, ayans quitté le masculin. Usage qui commença de prendre son cours entre nous sous le regne de Henry second, au retour du traité de Paix que nous fismes avec l' Espagnol en l' an 1559. en l' Abbaye d' Orcan.

Un jour le feu sieur de Pibrac & moy tombans sur ce propos, & trouvans

cette nouvelle forme de parler, faire tort à nostre ancien usage, je luy envoyai ce sonnet.

Ne t' estonne Pibrac, si maintenant tu vois

Nostre France qui fut autresfois couronnée

De mille verds Lauriers, ores abandonnée

Ne servir que de fable aux peuples & aux Roys.

Le malheur de ce siecle a eschangé nos lois:

Cette masle vertu, qui jadis estoit née

Dés le bers avec nous, s' est toute effeminée,

Ne nous restant pour tout que le nom du François.

Nos peres honoroient le nom du Roy sur tous,

Ce grand nom, mais depuis la sottie de nous,

Ainçois du Courtisan l' a fait tourner en roüille, 

On ne parle en la Cour que de sa Majesté,

Elle va, elle vient, elle est, ell' a esté,

N' est-ce faire tomber la Couronne en quenoüille?

Belle chose & bien-seante à un subject parlant à son Roy de l' honorer de ce Sainct nom de Majesté, mais en son absence de rapporter toutes ses actions à ce mot, & tourner le masculin en un feminin, nos ancestres n' en userent de cette façon, & m' asseure qu' ils ne respectoient avec moindre devotion, leus Roys, que nous. Et neantmoins je vous diray cecy en passant, car ailleurs ne trouveray-je lieu plus à propos pour le dire. Dedans le registre des lettres de Sainct Gregoire j' en trouve neuf diversement par luy envoyees ores à la Royne Brunehault, ores à Childeric son fils, Roy d' Austrasie, & de Bourgongne, ores aux Roys Theodebert, & Theodoric enfans de luy, par toutes lesquelles il ne parle à eux que soubs ce mot d' Excellence: vostre excellence a fait ouyr, fera cela. Or voyez comme les choses se sont changees avec le temps: car cette parole s' employe par quelques uns en faveur des Ducs qui ne sont Souverains, Altesse pour les Ducs souverains & finalement la Majesté pour les Rois. Reste maintenant à parler du mot de Seigneur: car quant à celuy de Sieur il est abregé de l' autre. Jamais ne fut qu' en une Republique bien ordonnee, on n' ait appellé les personnes anciennes aux premieres dignitez de la Republique. De cela il y a tant d' exemples, que ce ne seroit que remplissage de papier de les reciter. Il est certain que le mot de Seigneur vient de Senior, qu' on appella en nostre vieux François Seignor, & depuis Seigneur. En toute l' histoire de Gregoire de Tours vous verrez estre faite mention de ces Seigneurs, qu' il appelle tantost Seniores, tantost Maiores natu. Chose qui se voit nommément au 7. livre, chap. 32. & dans Aimoin, livre 4. chap. 28. & 32. en l' un desquels ceux qu' il nomme Primores Vasconiae, il les appelle en l' autre Seniores. Or sous cette premiere lignee de nos Roys, il ne faut point faire de doute, que le mot de Seigneur ne signifioit celuy qui estoit maistre ou proprietaire d' un lieu, ains seulement celuy qui estoit appellé aux premiers degrez & dignitez du Royaume: mais sous la seconde nous l' estendismes aux proprietaires de terres & maisons, & commença l' on aussi dés lors à l' employer en matiere des Nobles, comme quand nous disons un Seigneur qui a soubs soy quelques vassaux ou subjects. Au 3. livre des Loix de Charlemagne & Louys le Debonnaire art. 24. Ut nullus comparet Caballum, bovem & iumenta, vel alia, nisi illum hominem cognoscat, qui eum vendit, aut de quo pago est, aut ubi manet, aut qui ei est Senior: C' est a dire celuy qui estoit son Seigneur. Et au 4. livre art. 24. Quicumque liber homo inventus fuerit anno praesente, cum Seniore suo in hoste non fuisse, plenum Heribannum persolvere cogatur, & si Senior, aut Comes eum domi dimiserit, ipse pro eo eundem Heribannum persolvat, & Heribanni ab eo tot petantur, quot homines dimisit. De là est venu que l' on adapte specialement le mot de Seigneur aux terres nobles, que nous appellons feodales & seigneuriales, encores que je sçache bien que nous en usons pour les autres heritages de quelque qualité qu' ils soient, quand ils nous appartiennent en proprieté. Tellement que le mot de Seigneur va tantost à l' honneur, tantost au profit. Au demeurant, la difference dont nous usons entre Monseigneur, & Monsieur, nous employons le premier à personnages qui tiennent grand rang, & auctorité dessus nous, & le second, à gens d' honneste qualité, mais que nous ne pensons point tenir plus de rang que nous. Ce qui ne fut pas observé tousjours par nos anciens. Car dedans les Memoriaux de la Chambre des Comptes de Paris, je trouve une lettre du vingtseptiesme Novembre 1339. de Jean de sainct Just Maistre des Comptes, qu' il escrivoit au Chancelier sur quelque obscurité qui concernoit la dignité de la Chambre, dont le commencement est tel: Monsieur le Chancelier, comme vous ayez commandé à moy Jean de sainct Just. Et en une des lettres de la chambre du Roy Philippes de Valois parlant du Roy decedé, on l' appelle Monsieur le Roy. Si nous avions maintenant à parler en trosiesme personne des Princes, nous nous donnerions bien garde d' user de ce mot de Monsieur, & encores moins, parlans du Roy, lequel n' est jamais appellé Monsieur, que par ses freres & sœurs, ou en ligne collaterale par celuy qui est le plus proche de la Couronne au dessous de luy. Encores mettons nous en usage ce mot de Monsieur pour les Princes d' une façon particuliere. Car jamais nous n' appellons un Prince Monsieur, cela est pour le commun des gens de marque: Mais si nous les appellons par leurs propres noms, nous en usons en cette façon, François Monsieur Duc d' Alençon, Henry Monsieur, Prince de Condé. De dire dont cela a pris sa source, un autre que moy le trouvera. Cela n' estoit pas en usage sous le regne de Philippes de Valois: Parce qu' en la seconde lettre que la Chambre luy escrivit, dont j' ay cy dessus fait mention, parlant du Duc de Bourbon, Messieurs des Comptes l' appellent Monsieur Louys de Bourbon. Les Italiens font beaucoup meilleur marché que nous de ce mot de Seigneurie: Car tout ainsi que l' Espagnol met en usage vostre Merce presque en toute occurrence de propos, aussi faict le semblable l' Italien le mot de vostre Seigneurie. Arioste en une sienne Satyre attribue cela aux Espagnols, depuis qu' ils s' estoient habituez en Italie:

Dapoi che l' adulatione Spagnuola,

A posto la Seignoria in burdello.

Bien vous puis-je dire qu' en tout le Decameron de Boccace, où l' on recueille les vrayes fleurs de la Langue Italienne, vous n' y trouverez que deux fois cette façon de parler, dont ils sont aujourd'huy si prodigues. D' une chose me puis-je plaindre, aussi bien que Martial faisoit à Sosibian, qu' il n' y a presque Gentilhomme de la France, qui ne pensast avoir faict tort à sa noblesse, s' il n' estoit appellé par ses enfans, Monsieur, au lieu de ce doux nom de Pere.

dimanche 9 juillet 2023

6. 19. De l' honneste amour du Capitaine Bayard envers une Dame, de la sage retraicte de luy en l' execution d' un amour vitieux.

De l' honneste amour du Capitaine Bayard envers une Dame, de la sage retraicte de luy en l' execution d' un amour vitieux.

CHAPITRE XIX.

Bayard aagé de treize ans avoit esté presenté par l' Evesque de Grenoble son oncle au Duc Charles de Savoye, lequel six mois apres en fit present au Roy Charles huictiesme, pour la singuliere proüesse de Chevalerie qu' il voyoit poindre en ce jeune Gentil-homme: En quoy il ne le trompa nullement, croissant aux yeux de tous sa vertu avecques son aage, comme je vous pourrois discourir plus particulierement. Mais mon opinion n' est pas de vous bastir icy un Histoire entiere de sa vie, ains de vous en remarquer quelques signalez placards. C' est pourquoy je me contenteray de vous dire, que le Roy Charles huictiesme estant decedé, Louys douziesme son successeur s' achemina deux ans apres en Italie pour le recouvrement du Duché de Milan, qui luy appartenoit du chef, & estoc de la Duchesse Valentine son ayeule. Voyage qui luy succeda si heureusement, que en peu de temps il se feit Seigneur de l' Estat, & tout d' une main contraignit Ludovic Sforce qui en joüissoit, de se blotir dedans l' Allemagne. Enflé de cette grande victoire, il retourne en France, laissant en la Lombardie plusieurs garnisons de François, entre lesquelles estoit la compagnie de gens d' armes du Comte de Ligny, dont Bayard portoit le guidon. Or luy prit-il envie de aller saluër la veufve de son premier Maistre, nommée Blanche, qui lors tenoit escole d' honnesteté dedans Carignan, ville de Piedmont, sur laquelle luy estoit assignee une partie de son doüaire. Comme l' amour & les armes sympathisent ensemblément, aussi Bayard jeune page en la Cour du Duc s' estoit enamouré d' une Damoiselle de mesme aage, qui luy rendoit une affection reciproque. Cette-cy apres son partement fut mariée avecques le Seigneur de Fluxas. Et lors qu' il arriva à Carignan, il trouva le mary & la femme avoir merveilleusement bonne part à l' oreille de la Duchesse, laquelle le receut tres-favorablement: Et apres qu' il luy eut rendu le devoir avecques tout honneur & humilité, il le voulut aussi rendre à la Dame de Fluxas; & adoncques l' amour honneste qu' ils s' estoient portez en leurs bas aages, commença par leurs devis de se ramentevoir dedans leurs ames. Cette gente Dame accomplie en beauté, & doüée d' un tres-bel esprit, luy ramentevoit les exploicts d' armes, pour lesquels il s' estoit acquis une renommee infinie, tant par la France que l' Italie: Et un jour entr'autres continuant ce propos, luy dit. Monsieur de Bayard mon amy, voicy la maison où avez pris vostre nourriture; Ce vous seroit une grande honte, si ne vous y faisiez cognoistre, aussi bien qu' avez faict ailleurs. Bayard la prie de luy dire ce qu' elle desiroit de luy. Il me semble (dit-elle) que devez faire un Tournoy en cette ville, pour l' honneur de Madame, qui vous en sçavra tres-bon gré. Vrayement (repliqua-il) puis que le voulez, il sera faict. Vous estes la Dame en ce monde qui a premier conquis mon cœur à son service, par le moyen de vos bonnes graces. Je suis tout asseuré de n' en avoir jamais que la bouche & les mains: car de vous requerir d' autre chose, je perdrois ma peine. Aussi, sur mon ame aimerois-je mieux mourir que de vous solliciter de vostre des-honneur. Bien vous prie-je me donner l' un de vos manchons pour gage de nostre amitié. La Dame qui ne sçavoit ce qu' il en vouloit faire le luy bailla franchement. La plus grande partie de la nuict se passa en danses, & la Princesse devisa longuement avecques sa nourriture: & s' estant le Chevalier retiré en sa chambre, passa le demeurant de la nuict pour sçavoir comment il contenteroit sa Maistresse. Parquoy il depescha le lendemain un Trompette à toutes les villes des environs où il y avoit garnison, pour signifier aux Gentils-hommes, que s' ils se vouloient trouver quatre jours apres, qui estoit un Dimanche, à Carignan, en habillemens d' hommes d' armes, il donnoit un prix, qui estoit le manchon de sa Dame, où pendoit un rubis de la valeur de cent ducats, à celuy qui seroit trouvé le mieux faire à trois courses de lance sans lice, & douze coups d' espee. Le Trompette s' acquita de sa charge, & rapporta les noms de quinze Gentils-hommes, qui avoient promis & signé de s' y trouver. Cela venu à la cognoissance de la Princesse, elle fut tres-contente, & fit dresser un escharfaut sur la place où se devoient faire les joustes, & le combat. Au jour assigné se trouva Bayard armé de toutes pieces, & trois ou quatre de ses compagnons, comme aussi plusieurs Gentils-hommes, & se passa l' apresdinee en ce noble deduit. Commandant la Princesse au Seigneur de Fluxas de prier à souper chez elle tous ces vaillans combattans; L' apres-souper avant que commencer le bal, convint de donner le prix à celuy qui l' avoit gaigné: Le Seigneur de Fluxas & Grammont qui en estoient juges, par l' ordonnance de la Princesse, recueillirent les voix, tant des Gentil-hommes & Dames, que mesmes des combattans: Qui furent tous d' opinion de l' adjuger à Bayard. Parquoy les deux juges le luy vindrent presenter: Mais luy d' une honte asseuree le refusa, disant qu' à tort & sans cause luy estoit attribué cet honneur. Mais que s' il avoit aucune chose bien faite, cela estoit deu à la Dame de Fluxas, qui luy avoit presté son manchon, & qu' à elle, entant qu' à luy estoit, il remettoit de donner le prix où bon luy sembleroit. Le Chevalier qui n' aimoit cette Dame que par honneur, ne douta de faire cette declaration à son mary, lequel asseuré de son honnesteté, & de la sagesse de sa femme, n' en eut aucun mal en sa teste: Mais suivant l' Arrest prononcé par le Chevalier, le Seigneur de Grammont en presence du mary, dit à la Dame. Monsieur de Bayard, auquel on a adjugé le prix du Tournoy, a dit que c' estoit vous qui l' aviez gaigné, par le moyen du manchon que luy baillastes. Partant il le vous renvoye pour en faire ce qu' il vous plaira. Elle qui en cecy sentoit sa conscience nette, ne s' en estonna aucunement, ains le remercia humblement de l' honneur qu' il luy faisoit. Et puis qu' ainsi est (dit-elle) que Monsieur de Bayard me faict cet honneur de croire que mon manchon luy a faict gaigner le prix, je le garderay pour l' amour de luy: Mais du rubis, puisque pour le mieux faisant il ne le veut accepter, je suis d' advis qu' il soit donné à Monsieur de Mondragon: parce qu' on tient que c' est luy qui a mieux fait apres luy. Ainsi qu' elle ordonna fut accomply, sans qu' on oüit aucun murmurer. Si fut la Princesse fort joyeuse d' avoir fait si bonne nourriture. Les Gentils-hommes François demeurerent encores cinq ou six jours à Carignan, faisans bonne chere. En fin le Chevalier prit congé d' elle, luy jurant qu' il n' y avoit Prince, ny Princesse en ce monde, apres son souverain Seigneur, qui eust plus de commandement sur luy qu' elle y en avoit, dont il fut grandement remercié. Ce faict convint aussi prendre congé de ses premieres amours, qui ne fut sans larmoyer d' une part & d' autre: Et depuis dura cette honneste amitié jusques à la mort, ne se passant annee qu' ils ne s' entre-veissent par lettres, & presens.

En tout le discours que je vous ay faict cy-dessus, vous n' y voyez que de l' honneur, en celuy que je vous deduiray presentement, il y a quelque peu de honte, mais reparee sur le champ avec une telle sagesse, que je dirois volontiers qu' elle fit honte à l' honneur. Nostre bon Chevalier apres une longue suitte de guerres, ausquelles il avoit eu bonne part, retournant d' Italie en France, vint visiter l' Evesque de Grenoble son oncle, où ayant fait quelque sejour, il luy prit envie de se donner au cœur joye: & commanda à un sien valet de chambre de luy trouver quelque belle fille pour passer une nuict avecques elle. Suivant ce commandement le valet s' addresse à une pauvre gentil-femme, qui avoit une belle fille, de l' aage de dix & sept ans. La mere pour la pauvreté en laquelle elle estoit reduicte, consent la liuraison de sa fille, qui n' y vouloit du commencement entendre, toutes-fois en fin vaincuë  par les remonstrances violentes de sa mere, elle passa par sa volonté, & de ce pas conduite par le valet, & mise en une garderobbe. Le temps venu de se retirer, le Chevalier qui avoit soupé en un banquet, retourné en son logis, son homme luy dit qu' il avoit trouvé l' une des plus belles filles de la ville, mesme qui estoit gentil-femme. Il entre dedans la garderobbe, où il la trouve infiniment belle, mais aussi infiniment esploree. Comment m' amie (luy dit-il) ne sçavez vous pas bien pourquoy vous estes icy venuë? La pauvre Damoiselle se meit à genoux, & luy respondit. Helas ouy Monseigneur, ma mere m' a dit que je fisse tout ce que voudriez, toutes-fois je suis vierge, & ne fis jamais mal de mon corps, & n' avois volonté d' en faire si je n' y fusse contrainte. Mais nous sommes si pauvres ma mere & moy, que mourons de faim. Pleust ores à Dieu que je fusse morte: Au moins ne serois-je au nombre des mal-heureuses filles, & en deshonneur toute ma vie. Disant ces paroles, elle fondoit en larmes de telle sorte qu' on ne la pouvoit estancher. Ny la nuit, ny l' occasion & commodité, ny la beauté de la Damoiselle, ny le desir extraordinaire dont il estoit possedé, ne firent outrepasser au Chevalier les barrieres de l' honnesteté, mais à demy larmoyant luy dit. Hé vrayement m' amie je ne seray si meschant, que je vous oste ce bon & saint vouloir. Et changeant le vice en vertu, la prist par la main, & luy fit affubler un manteau, & au varlet (valet) prendre une torche, & la mena luy mesme coucher chez une Damoiselle sienne parente, voisine de son logis: & le lendemain au point du jour envoya querir la mere, à laquelle il dit: Venez çà m' amie, ne me mentez point, vostre fille est elle pucelle? Qui respondit. Sur ma foy Monseigneur quand vostre homme de chambre la vint hier querir, jamais n' avoit eu cognoissance d' homme. Et n' estes vous pas doncques bien mal-heureuse (repartit le Chevalier) de la vouloir faire meschante? La pauvre Damoiselle eut honte & peur, & ne sçachant que respondre, sinon de s' excuser sur sa pauvreté. Or dit le Chevalier, ne faictes jamais si lasche tour de vendre vostre fille, vous qui estes Damoiselle deuriez estre plus griefvement chastiee qu' une autre. Venez ça, avez vous personne qui la vous ait jamais demandee en mariage? Ouy bien (dit elle) un mien voisin honneste homme, mais il demande six cens florins, & je n' en ay pas vaillant la moitié. Et s' il avoit cela, l' espouseroit-il? (dit le Chevalier.) Ouy seurement (respondit-elle.) Adoncques il tira d' une bourse trois cens escus, disant: Tenez m' amie, voila deux cens escus, qui valent six cens florins, & cent escus pour l' habiller. Et en apres feit encores compter cent autres escus, qu' il donna à la mere. Et commanda à son homme de ne les perdre de veuë, jusques à ce qu' il eust veu la fille espousee. Ce qu' elle feit trois jours apres, & feit depuis un tres-honorable mesnage, retirant avec elle sa mere en sa maison. Repassez sur toute l' ancienneté, peut estre ne trouverez vous une histoire plus memorable que cette-cy sur ce sujet.