Affichage des articles triés par date pour la requête monsieur. Trier par pertinence Afficher tous les articles
Affichage des articles triés par date pour la requête monsieur. Trier par pertinence Afficher tous les articles

dimanche 13 août 2023

9. 42. Fiertre de sainct Romain de Rouen & de son ancien Privilege. // Fin du Neufiesme Livre des Recherches.

Fiertre de sainct Romain de Rouen & de son ancien Privilege.

CHAPITRE XLII.

La rencontre qu' il y a entre la Religion & les lettres, ayans l' une & l' autre pour leurs instrumens, la langue, & la plume pour les enseigner, fait qu' apres avoir discouru sur le fait des Universitez par ce livre, je vueille maintenant voüer ce dernier Chapitre à la fiertre sainct Romain de Rouen, & à son Privilege. Histoire vrayement admirable & unique en son espece, & qui pour cette cause merite d' estre recognuë de tous, mesmement en cette France.

Mandez moy je vous prie (disois-je escrivant au sieur de Tibermeuil President au Parlement de Rouen) dont procede le Privilege de vostre fiertre sainct Romain: & quelle en a esté l' ancienneté & continuation, ne me pouvant bonnement resoudre comme il se peut faire qu' un si homme de bien que luy produise un effect contraire à sa saincteté, je veux dire que sa saincteté soit comme une franchise des meurtres les plus detestables. S' il vous plaist me mander comme cela est arrivé en vostre ville, & l' ordre que vous y tenez, j' en feray un embleme en quelque endroict de mes Recherches. Mon mal-heur voulut que ce mien amy prevenu de mort ne me fit response. Mais maintenant j' en suis esclaircy. Qui fait que je vous en veux faire part.

Pendant les troubles derniers nous eusmes le Seigneur de Hallot de la maison de Montmorency, brave Cavalier le possible, & singulierement du tout voué au service du Roy, qui conserva plusieurs villes de la Normandie soubs son obeïssance. Et pour cette cause obtint de luy la qualité de Lieutenant general en ce pays, non par forme de gratification & faveur, ains pour son merite. Nous eusmes aussi lors le seigneur d' Alegre extraict d' une tres-noble & ancienne famille, qui possedoit plusieurs grands biens & seigneuries en la Normandie, & ne s' estoit distrait de l' obeissance du Roy. La fortune de guerre voulut que Hallot ayant esté grandement blecé au siege de Rouen, se retire en la ville de Vernon pour y estre pensé de ses playes, en laquelle il commandoit. D' Alegre accompagné de treize chevaux entre en la ville, & le lendemain matin faisant contenance de le vouloir visiter demande s' il luy permettoit de monter à sa Chambre. Hallot tres-malaisé de sa personne, ne le veut permettre, ains soustenu de ses potences, avecques une courtoisie admirable, descend au moins mal qu' il peut de sa Chambre, & comme il le pensoit accueillir il est salüé par d' Alegre & les siens de plusieurs coups de poignards & d' espée, dont il rendit l' ame sur le champ à Dieu. De vous dire que ce coup fut fait pour inimitié particuliere qui estoit conceuë entre eux, si ainsi eust esté, Hallot sage seigneur & accort n' eust fait si bon marché de sa personne. D' estimer aussi que ce fut en intention de s' emparer de la place, l' evenement monstra le contraire. Ceux qui pensent mieux approfondir ce fait, disent que c' estoit une jalouzie que l' autre couvroit dedans sa poitrine. Et moy je l' impute au mal heur que l' un & l' autre ne pouvoient eviter; l' un par sa mort inopinee, l' autre par sa miserable ruine, dedans laquelle il a esté depuis plongé menant une vie beaucoup plus penible que dix mille morts. Dés l' instant mesme du meurtre, d' Alegre sort de la ville & se retire en l' une de ses maisons. Mais quelques jours apres voyant que ce ne luy estoit lieu d' asseurance, il se retire vers la Ligue, où il trouva quelque respit de sa peur. Toutesfois combatu d' un remords de sa conscience, qui jour & nuit luy faisoit son procez, il s' advise d' employer à son affaire le Privilege de la fiertre de sainct Romain, mais encores avecques un conseil plain de crainte. Car il se donna bien garde d' entrer en la prison, ains fit joüer ce rollet à un jeune Gentil-homme nommé Pehu seigneur de la Mote, qui luy avoit esté Page. Cettuy leve & porte la fiertre le jour de l' Ascension 1593 par le choix que le Chapitre fait de luy entre tous les prisonniers pour l' enormitié du delit. Et par mesme moyen luy d' Alegre, & tous les complices sont par Arrest du Parlement absous de cest execrable assassinat. Deslors la Dame de Hallot & sa fille ont recours au Roy, qui par Arrest donné en son Conseil declare l' assassinat commis en la personne du sieur de Hallot, estre crime de leze Majesté, & ne pouvoir estre compris sous le Privilege de la fiertre. Arrest suivy d' un autre rendu au Parlement de Rouen seant à Caen, portant pareille declaration le dixneufiesme Janvier 1594. & le sieur d' Alegre condamné en si grandes reparations, que tous ses biens n' estoient suffisans d' y fournir, si vous en croyez la commune renommée.

Nos troubles estans depuis rappaisez, advient que les deux Dames, mere & fille, ayans eu advis que Pehu estoit en la ville de Paris (ores qu' il se pensast targer de quelques grands seigneurs) donnent si bon ordre à leur fait qu' ils le firent coffrer és prisons du grand Chastelet. La cognoissance de leur different est renvoyée par le Roy à son grand Conseil. Adoncques Pehu obtient lettres d' abolition. Et combien que devant le Chapitre de Rouen, il se fust rendu infiniment coulpable, pour se rendre plus capable du Privilege de la fiertre, toutesfois par ses nouvelles lettres, il change de note, articule faits nouveaux, & couche de minima. Ces lettres par luy presentées au Conseil, pour n' obmettre rien en sa cause qui peust servir à la conservation de sa vie, les seigneurs qui luy servoient de parreins moyennerent, que Monsieur le Cardinal de Joyeuse Archevesque de Rouen, & les Doyen, Chanoines, & Chapitre presenterent leur Requeste, affin d' estre receus parties, pour la defense de leur Privilege. Grande cause certes, qui fut diversement bien soustenuë par quatre braves Advocats. Un Cerisay pour Pehu, Monstrueil pour le Chapitre, Boutillier pour les deux Dames, & Monsieur Foulé Advocat du Roy, pour Monsieur le Procureur general. Et Dieu sçait si ce fut à beau jeu, beau retour. Cerizay pallia son faict avec plusieurs belles dexteritez d' esprit & d' exemples. Monstrueil monstra que S. Romain Archevesque de Rouen sous le regne de Clotaire second; suivy d' un prisonnier condamné à mort, ayant avecques son estole dompté un Dragon, (qui depuis fut appellé Gargoüille) sainct Ouin son successeur en commemoration de ce grand ouvrage obtint du Roy Dagobert fils de Clotaire, que les Doyen, Chanoines, & Chapitre de l' Eglise de Rouen, pourroient tous les ans elargir des prisons de la ville le plus sceleré & meschant qu' il s' y trouveroit, & apres avoir discouru tout au long l' une & l' autre ancienneté, s' armant d' une grande hardiesse: Nostre Privilege (dit-il) a pour son fondement la saincteté, pour son establissement l' Antiquité, pour son entretenement la possession tesmoignée par les arrests du Parlement de Rouen, & outre ce n' est sans exemple & sans raison. Et en un autre endroit ensuivant parlant du fait dont il s' agissoit. Je demeure d' accord que c' est un meschant acte, un assassinat, un guet à pens qu' on ne sçavroit assez blasmer. Mais aussi nostre Privilege n' est pour les fautes legeres, pour les cas remissibles, pour les delits communs; c' est un remede extraordinaire, une grace du Ciel, dont la grandeur n' esclate, sinon par l' opposition de l' enormité des crimes qui sont esteints & abolis par icelle. En somme vous apprenez par son plaidoyé, que plus le delit est damnable & irremissible, plus il trouve de recommandation & merite dedans le Privilege. Apres Monstrueil parla, Boutillier pour les deux Dames, faisant paroistre qu' il n' estoit apprenty, ains grand Maistre en sa profession d' Advocat, & avec une singuliere doctrine s' estendit en discours, pour monstrer, non que le miracle du Dragon Gargoüille, attribué à sainct Romain, n' eust peu estre fait, ny le Privilege octroyé par le Roy Dagobert: mais bien que du tout ils n' avoient esté faits, ny octroyez. En fin Monsieur l' Advocat Foulé se joignant avec luy, il seroit impossible de dire, combien en peu de paroles il dit beaucoup de belles choses. Les Advocats s' estans tous acquitez des leurs devoirs, il fut dit par arrest du vingt-deuxiesme Decembre 1607. qu' avant que faire droict sur les Requestes presentées par Pehu, & par le Chapitre, les tesmoins ouys, & examinez à la Requeste des deux Dames, seroient recolez & confrontez à Pehu, & à elles permis d' en produire d' autres dedans certain temps prefix. Le procez ayant eu toutes ses façons, s' ensuit Arrest du 16. Mars 1608. par lequel le Conseil ayant aucunement esgard aux lettres d' abolition pour les cas resultans du procez, bannit Pehu de la suite de la Cour dix lieuës à la ronde, pays de Normandie & Picardie, pour le temps & espace de neuf ans, luy enjoint de garder son ban à peine de la vie, pendant lequel temps il serviroit le Roy à ses despens en tel lieu qu' il luy plairoit. Et en outre le condamne en quinze cens liures de reparation envers les deux Dames, & quinze cens envers les pauvres, & encores en pareille somme appliquable à la discretion du Conseil, & aux despens.

Cest arrest ainsi prononcé, comme s' il eust fait quelque breche au Privilege de la fiertre, on fait sous le nom du Chapitre un livre portant sur le frontispice: Defense du Privilege de la fiertre de sainct Romain dans lequel l' autheur sans nom ne pardonne en aucune façon à la reputation de Boutillier, lequel voyant que ce n' estoit plus la cause des Dames de Hallot & de la Veronne, ains la sienne propre, aiguise sa plume & son esprit, & fait une ample & docte response. A la suite de laquelle Rigaut Advocat au Parlement de Paris, grandement nourry en l' ancienneté, expose en lumiere la vie de sainct Romain, extraite d' un vieux manuscrit Latin trouvé en la Bretagne, pour monstrer que le pretendu miracle estoit faux & supposé. Contre ces assaux d' honneur le Chapitre ne demeure muet. Car le sieur Behot grand Archidiacre escrit en langage Latin une Apologie contre Rigaut. Et un autre fait un livre contre la response de Boutillier sous le titre de refutation. N' ayant chacun d' eux en leur endroit rien laissé de reserve dedans leurs estudes, pour faire paroistre de leurs suffisances. Grande pitié certes que du miracle fait contre la Gargoüille, soit issu une nouvelle gargoüille; je veux dire un fascheux different & mauvais mesnage entre ces personnages d' honneur. Car ainsi voy-je souvent estre mis en usage ce mot de gargoüille. Je me donneray bien garde de vouloir juger de leurs coups. Et vitula tu dignus, & hic. Bien vous diray-je que si le mot de miracle en Latin est dit pour une chose qui engendre en nos ames des merveilles extraordinaires; je ne puis certes ne m' esmerveiller dont vient que Messieurs du Chapitre pretendans estre fondez en plusieurs grandes marques, pour tesmoigner l' ancienneté, tant du miracle que de leur privilege; toutesfois que ny Greg. de Tours, ny Beda, ny Isuard, ny Aimoïn, ny Adon de Vienne, ny Sigebert, ny Vincent l' Historial, ny Mathieu d' Westmonstier, ny Molanus, ny Demochares, ny le grand Cardinal Baronius, bref nul des Autheurs tant anciens que modernes, n' en ayent parlé par leurs livres, ores que les aucuns ayent fait une digne commemoration de sainct Romain, & que nul d' eux en leur general, n' ait esté avaricieux au recit des miracles des Saincts.

J' adjousteray que les Rituels mesmes de l' Eglise de Rouen, ny leur Breviaire n' en font aucune mention, dedans lequel toutesfois est fait un sommaire denombrement des miracles de S. Romain, & singulierement d' un auquel avant que de le faire luy apparut un dragon: mais nulle mention du dragon Gargoüille. Chose qui a esté le motif du different de Gargoüille qui est entre ces beaux esprits. Auquel si j' en suis creu, je dirois volontiers qu' il y a double regard: l' un du miracle, l' autre du privilege. Miracle qui a esté fait par la grace expresse de Dieu, prieres & intercession de S. Romain: privilege par l' octroy d' un Prince, par entremise de S. Oüin. Entant que touche le miracle, je seray tousjours d' avis qu' on ne doit sourciller contre la venerable ancienneté. Nous sommes enseignez par plusieurs doctes personnages Catholiques, qu' il y a beaucoup de miracles faux & supposez, ausquels il ne faut adjouster foy (ja à Dieu ne plaise que j' estime cestuy estre tel) & neantmoins pour les croire on ne l' impute à impieté, mais pour excuser ceste faute provenant de la simplicité d' une ame timoree, nos sages Theologiens disent que sans s' en informer d' avantage, il les faut pie credere; & nous autres rendans cette sentence Latine en nostre vulgaire François, avons dit, non croire piement ou pieusement; ains croire piteusement, comme si en cette creance il y avoit plus de pitié que de pieté. Mais quant au privilege qu' on dit avoir esté octroyé par nostre Roy Dagobert de le croire ou mescroire, il n' y va rien de nos consciences; sinon de tant que ne le croyant, le Chapitre de Rouen estime luy estre fait grand tort, qui a basty plusieurs ceremonies dedans son Eglise pour authoriser la foy de cette pretenduë histoire.

Or comme je suis grandement desireux de me rendre capable des anciennetez de nostre France, & recognoistre dedans mes Recherches ceux dont je les tiens en foy & hommage; aussi vous puis-je dire que de toutes ces doctes plumes j' ay recueilly l' antiquité du privilege de la Fiertre S. Romain, dont je vous veux faire part, pour m' acquiter de la promesse que j' avois faite au Seigneur de Tibermeuil, laquelle vous trouverez au 8. livre de mes lettres.

Vous entendrez doncques s' il vous plaist que les Doyen, Chanoines & Chapitre de l' Eglise de Rouen tiennent pour histoire tres-veritable, qu' ils ont apprise de main en main, de tout temps immemorial, que sous le regne de Clotaire II. il y eut un Dragon du depuis appellé Gargoüille, qui faisoit une infinité de maux és environs de la ville, aux hommes, femmes, petits enfans, ne pardonnant pas mesmes aux vaisseaux & navires qui estoient sur la riviere de Seine, lesquels il bouleversoit: Que S. Romain lors Archevesque de Rouen meu d' une charité tres-ardente, se meit en prieres & oraisons, & armé d' un surplis & estole, mais beaucoup plus de la foy & asseurance qu' il avoit en Dieu, ne doubta de s' acheminer en la caverne où cette hideuse beste faisoit son repaire: Qu' en ce grand & mysterieux exploit, avant que partir, il se fit deliurer par la Justice, un prisonnier condamné à mort, comme il estoit sur le poinct d' estre envoyé au gibet: Que là il dompta cette beste indomtable, luy meit son estole au col, & la baille à mener au prisonnier. A quoy elle devenuë douce, comme un agneau, obeït, jusques à ce que menee en laisse dedans la ville, elle fut arse & bruslee devant tout le peuple. Victoire dont Sainct Romain ne voulut rapporter autre trophee, que la pleine deliurance du prisonnier qui estoit condamné à mort, qui luy fut liberalement accordee. Mais Sainct Oüin son successeur (les Nonnains l' appellent S. Oüan) le voulant r'envier sur luy, pour immortalizer ce miracle, obtint du Roy Dagobert fils de Clotaire second, que de là en avant les Doyen, Chanoines & Chapitre pourroient tous les ans, au jour & Feste de l' Ascension faire congedier des prisons, celuy qui se trouveroit avoir commis le plus execrable crime, à la charge de lever, & porter la Fiertre & Chasse sainct Romain, en une procession solemnelle qui se feroit tous les ans. Auquel cas il obtiendroit une abolition generale, tant pour luy, que pour tous ses complices (voire pour le plus sceleré de la troupe) ores qu' ils ne fussent entrez aux prisons. Que ce privilege avoit esté continué de temps en temps jusques au regne du Roy Philippes Auguste, lequel ayant reüny à sa Couronne toute la Normandie, dont auparavant l' Anglois joüissoit, pour l' esclaircir de tout ce que dessus, decerna sa commission à Robert Archevesque de Rouen, & Guillaume de la Chappelle, Chastelain de l' Arche (c' est ce que depuis nous avons nommé Pont de l' Arche) qui firent appeller devant eux, le jour & Feste sainct Pierre & sainct Paul, en l' Eglise de sainct Oüan trois Ecclesiastiques, Henry Chantre, Raoul Archidiacre, Guillaume de Castenoy Chanoine, trois Gentils-hommes, Jean des Prez, Luc son fils, Robert de Fleches: trois Citoyens de la ville de Rouen, Jean Froissart, Laurent Turrelieu, & Jean Luce: Tous lesquels apres serment par eux fait, declarerent sur l' obscurité qui lors se presentoit, que du temps de Henry & Richard Roys d' Angleterre, & Ducs de Normandie, ils n' avoient jamais veu ce privilege revoqué en doubte: mesme que pendant l' an de la prison de Richard en Allemagne, n' ayant esté aucun prisonnier deliuré, soudain apres qu' il eut mainlevee de sa personne, on en deliura deux au Chapitre pour suppleer le defaut de la precedante annee.

L' Autheur de la refutation cotte depuis ce temps là plusieurs actes qu' il dit estre aux Archifs du Chapitre, dont il a fait estat confusement, que je vous representeray selon l' ordre des ans: Et neantmoins je tiens de luy ce que je diray. Une Chartre de l' an 1214. portant que l' an 1210. un Richard Gendarme recogneut qu' estant prisonnier és prisons de Rouen, pour un meurtre par luy commis, il en avoit esté deschargé par le Chapitre, suivant le privilege à luy octroyé de tout temps & ancienneté. Qu' en l' an 1299. le Chapitre ayant fait deffence à Maistre Pierre Simel Baillif de Rouen, & Maistre Geoffroy Avice Vicomte, de n' enlever aucun des prisonniers des prisons, ny condamner à mort aucun, auparavant l' Ascension, suivant la coustume; ce nonobstant le Baillif ne laissa de condamner à mort un nommé Robert d' Auberbo Gendarme, ensemble d' estre trainé avant que de mourir à la queuë d' un cheval. Qui donna occasion au Chapitre de se plaindre à Messieurs de l' Eschiquier, de la contravention faite à leur privilege par le Baillif: Et pour cet effect deputerent Maistres Rigaud Doyen, Philippes de Flavacour Thresorier, & plusieurs autres Chanoines. Apres la remonstrance desquels fut ordonné que le criminel seroit ramené aux prisons, qui lors estoit ja proche du gibet. Que comme l' an 1302. le mesme Simel Baillif de Rouen eut enlevé des prisons un criminel nommé Nicolas le Tonnelier, detenu pour un meurtre par luy commis, nonobstant les remonstrances à luy faites, & l' eut fait transporter aux prisons du Pont de l' Arche, & quelques prieres qu' on luy eust faites, ne le voulut restablir aux prisons de Rouen. Nonobstant ce refus le Chapitre ne laissa d' aller en procession à la vieille Tour, avec resolution de la laisser, jusques à ce que le Baillif eust ramené le prisonnier à Rouen. Tellement que la Chasse demeura là jusques au Samedy ensuivant, auquel le prisonnier fut representé. Et fut esleu ce mesme jour un nommé Guillaume de Montguerra. Actes que j' ay voulu copier, comme tres signalez. Le I. ayant sorty son effect, le prisonnier estant au gibet sur le point d' estre exposé au supplice. Le 2. pour monstrer que dés ce temps-là, soudain apres la sommation faite par le Chapitre aux Juges, il leur fermoit les mains. Comme vous voyez que le Baillif de Rouen fut contraint de reintegrer en ses prisons Nicolas Tonnelier criminel, qui ne fut toutesfois depuis esleu pour estre deliuré, ains Montguerra. Et n' est pas moindre cestuy de l' an 1327. que un nommé Pierre Dantueil apres le retour de son bannissement, ayant fait un meurtre, pour lequel il fut emprisonné au chasteau de Rouen, supposant qu' il s' appelloit Guillaume de Valles, arriva qu' interrogé par les deputez du Chapitre, il se nomma selon son vray nom: Et comme apres son eslection, les Chappelains le voulussent enlever du chasteau selon la ceremonie du jour, on leur eust fait response, qu' il n' y avoit aucun prisonnier portant le nom de Piere Dantueil. Nonobstant ce refus les Doyen, Chanoines & Chapitre ne laisserent de marcher en Procession, soustenans qu' ils n' en demandoient autre que celuy qu' ils avoient esleu, lequel leur fut en fin deliuré; auquel y avoit trois qualitez de delits concurrantes ensemble, infraction de bannissement, meurtre, & falsification de son nom: mais sur tous autres actes est cestuy tres-remarquable, par lequel on presuppose que sur la requeste presentee par le Chapitre, au Roy Charles huictiesme seant en son Eschiquier de Rouen apres Pasques, sur la manutention & entretenement de ce privilege. Apres que son Procureur general eut esté oüy, & declaré qu' il n' entendoit l' empescher, fut dit par la Cour qu' elle n' entendoit aussi le contredire, & de ce leur fut donné acte le 27. Avril 1485. pour leur servir ce que de raison. A la suite de cela le Roy Louys XII. par ses lettres patentes du mois de Novemb. 1512. narration faite de l' acte du Roy Charles VIII. cy-dessus mentionnee (non toutesfois de celuy du regne de Philippes Auguste) confirme ce privilege en tout & par tout selon sa forme & teneur. Et depuis sur les obstacles qui leur estoient faits de fois à autres par le Parlement de Rouen, encore obtindrent-ils autres lettres de confirmation de Henry II. en l' an 1537. & de Charles IX. l' an 1561. Que si j' ay quelque sentiment en cette Histoire; mon avis est que tout ainsi qu' on attribuë l' origine de ce privilege à deux grands Archevesques de Rouen, S. Romain, & S. Oüen, aussi veux-je croire que deux autres grands Archevesques luy donnerent depuis la plus grande vogue: George Cardinal d' Amboise, qui gouvernoit paisiblement le cœur & oreille de Louys XII. son Maistre, & Charles Prince du Sang, Cardinal de Bourbon, qui pendant la minorité de Charles IX. & de Henry III. son successeur, fit depuis son propre faict de ce privilege envers & contre tous. Non toutesfois sans murmure: car le docte Bodin sur le commencement du 10. livre de sa Republique ne s' en peut taire. Ce n' est pas à nous de juger des coups. Je veux avec toute humilité croire le miracle pour tres-veritable; tout ainsi que le Clergé de Rouen. Mais estant tel; le miracle n' est pas moindre que nul des anciens Autheurs ou modernes n' en ait fait aucune mention, ores que quelques uns ayent avec tout honneur solemnizé la memoire de ce grand sainct. J' adjousteray que non seulement ces Autheurs, mais qui plus est leur Rituel, & leur Breviaire, bien qu' ils discourent plusieurs miracles de luy; toutesfois ne parlent aucunement de cestuy. Chose vrayement merveilleuse: mais encore plus miraculeuse que nul n' en ayant parlé ou escrit, ce neantmoins leurs nonchalances, negligences, inadvertances, bref l' ingratitude des ans n' ayent peu ensevelir la memoire, ny du miracle, ny du privilege par luy produit, exhorbitant neantmoins du sens commun de la Justice: Parce que je puis dire, & en petille qui voudra, qu' en toute l' ancienneté vous n' en trouverez un semblable. Dispute toutesfois qui est maintenant vaine & frustratoire: D' autant que deffunct nostre grand Roy Henry IV. l' outrepasse de ses devanciers, tant au fait de guerre que de la paix, y a mis fin par son Edit fait en l' assemblee des trois Estats de Normandie l' an 1607. confirma ce privilege pour avoir lieu à perpetuité, fors toutesfois és crimes de leze Majesté divine & humaine, assassinat & guet-apen, rapt & violement de filles. Adjoustant que nul n' en peust joüyr sinon qu' il se rendist prisonnier. Et vrayment plus belle closture ne pouvoit advenir à ce grand privilege que celle de ce grand Roy. Qui me fait dire que tous les discours qui ont esté depuis faits pour & contre, sont non seulement oiseux; ains noiseux. Jamais plus belle loy ne fut que celle de l' Empereur Constantin: Consuetudinis ususve longaevi non vilis est authoritas, verum non eo valitura momento, ut legem vincat, vel rationem.

A la suite de cet Edit a esté donné un Arrest au Conseil d' Estat en l' annee 1612. au rapport du Seigneur de Chanlay Feudriac, Conseiller & Maistre des Requestes ordinaire du Roy. Il estoit advenu que le Seigneur de l' Archie assisté de quelques siens parens & amis avoit de guet-apen assassiné Messire Jacques de Vandosmois Seigneur de Valleray. Du depuis Anne de Voye Seigneur de l' Espiciere, oncle de l' Archie entre aux prisons de Rouen, & se presente devant les deputez du Chapitre, confessant avoir esté de la partie lors que l' assassinat fut commis. 

Il est esleu par le Chapitre pour lever & porter la Fiertre, & par mesme moyen est donné Arrest le douziesme de May mil six cens unze, par le Parlement, vray qu' il portoit cette particularité, pour joüyr par luy seul du privilege. Les prisons luy estant ouvertes, & la ceremonie accomplie le jour & Feste de l' Ascension, Dame Marguerite de Marescot veufve du deffunt presente sa requeste au Roy en son Conseil d' Estat contre Voye; a fin de faire casser l' Arrest, comme donné contre, & au prejudice de l' Edit du Roy Henry le Grand. A mesme instant le Chapitre pareillement presente une autre requeste le premier jour du mois d' Aoust mil six cens unze contre la veufve, aux fins de la mesme cassation, en ce que par l' Arrest on n' y avoit compris tous les complices du delict, selon leur ancien privilege. Les parties ayans produit d' une part & d' autre; en fin par Arrest la requeste de la veufve fut entherinee, & en ce faisant l' Arrest cassé, & annullé; & pour le regard de la requeste des Doyen, Chanoines, & Chapitre de Rouen, les parties mises hors de Cour & de procez sans despens. Le premier chef de l' Arrest fondé sur ce que c' estoit un guet-apen, duquel consequemment ny le meurtrier, ny ceux qui l' avoient assisté ne pouvoient estre affranchis par le benefice de la Fiertre: Et le second d' autant que les complices n' en pouvoient estre absous, sinon se rendans prisonniers. Tres-belle execution & d' un fort bel edit, qui enseignera la leçon à tous les meurtriers, de ce qu' ils ont desormais à faire.

Voila ce que je pense appartenir à l' ancienneté du privilege de la Fiertre, jusques à huy; maintenant je vous veux discourir l' ordre que l' on y practique. Le treiziesme jour avant l' Ascension, quatre Chanoines suivis de quatre Chappelains, revestus de leurs surplis & aumusses, ayans le Bedeau de leur Chapitre devant eux, vont sommer les Officiers du Roy en la grand Chambre du Parlement, puis au Bailliage, & en la Cour des Aydes, de surseoir toutes procedures extraordinaires contre les criminels qui sont detenus en leurs prisons, jusques à ce que leur privilege ait sorty effect. Sommation qui produict la surseance par eux requise. Les Lundy, Mardy, & Mercredy des Rogations, l' Archevesque & les Chanoines ont accoustumé d' envoyer deux Chanoines, accompagnez de deux Chappelains, en l' habit de l' Eglise, avecques le Notaire & Tabellion du Chapitre, tous Prestres, en toutes les prisons de Rouen, où ils examinent les prisonniers, & redigent par escrit les confessions, qui doivent estre par eux tenuës secrettes, comme si elles estoient faites Sacramentellement (portent les lettres du Roy Louys XII.) Le jour de l' Ascension sur les sept heures du matin, tous les Chanoines Prestres capitulairement assemblez, invoquans la grace du S. Esprit, par l' Hymne de Veni Creator Spiritus, & autres suffrages de devotion, font serment sous le seel de Confession de ne reveler les depositions faites par les prisonniers. Oyent les deux de leurs confreres par eux commis, lisent leurs procez verbaux, puis le tout meurement calculé & consideré, ils choisissent celuy qu' ils trouvent chargé du crime le plus detestable, pour luy estre les prisons ouvertes. Ainsi estoient ils tenus de le faire auparavant l' Edit du Roy Henry le Grand, s' ils ne vouloient contrevenir à leur privilege; qui leur eust esté un grand forfait, voire une forme d' assassinat contre leur ancien institut. Cette eslection ainsi faite, le nom du prisonnier est escrit dedans un cartel bien cacheté du seel du Chapitre, & tout d' une main envoyé par un Prestre Chappelain avec son surplis & aumusse, à Messieurs du Parlement, qui l' attendent en la grand Chambre du Palais, revestus de leurs robbes d' escarlate. Le cartel par eux ouvert, adoncques sur la nomination qui a esté faite du prisonnier, ils ordonnent à l' instant, par leur Arrest, que les prisons luy seront ouvertes, & tous ses complices deschargez. Clause derniere ainsi apposee, auparavant le mesme Edit. Au retour du Chappelain, le Chapitre brusle sur l' Autel toutes les confessions des criminels, pour en ensevelir la memoire. Environ les deux ou trois heures apres midy, le prisonnier sort des prisons, passe par les ruës pleines de monde, la teste nuë, les fers aux pieds, jusques au mesme lieu où est la Chasse qu' il leve, apres avoir faict une confession auriculaire de ses fautes, & lors luy sont les fers ostez. Soudain apres la Procession commence à marcher, le prisonnier porte le bout da premier branquart de la Chasse, accompagné de sept autres, qui depuis les derniers sept ans ont joüy du mesme benefice, tenans tous en leurs mains des torches ardantes; & en cette procession la Gargoüille est levee au bout d' une perche sous les pieds de S. Romain, representation & image du grand miracle par luy fait contre le Dragon. La Procession arrivee en la grande Eglise, la Messe y est chantee, quelquesfois à cinq heures du soir. Pendant laquelle le prisonnier va à chacun des Chanoines demander pardon à genoux. Le service divin celebré, il est conduit en la maison du maistre de la Confrairie S. Romain, ou de quelque qualité & condition qu' il soit, voire tresbasse, il est treshonorablement traicté jusques au lendemain matin, qu' il se presente au Chapitre, où estant agenoüillé, l' un des Chanoines à ce delegué, luy fait une ample remonstrance sur la faute par luy commise, l' admonnestant d' amender sa vie, & de n' y recidiver plus. Entr'autres choses il jure pour conclusion qu' il ne sera jamais larron ny meurtrier.

En ce dernier acte gist la catastrophe & accomplissement de cette ceremonie: en laquelle (sans entrer au fonds de la conscience d' autruy) je ne voy rien que choses sainctes, & pleines de pieté, depuis le commencement jusques à la fin; non toutes-fois exemptes de calomnie. D' autant que les malignes langues & venimeuses, disent que cecy est un jeu couvert, revestu du masque de devotion, & que de tous ceux qui estoient annuellement esleus par le Chapitre, il n' y avoit celuy qui n' eust un Prince ou grand Seigneur pour parrein, & en ce deffaut qu' on mettoit de l' argent au jeu. Tellement que cette abolition s' octroyoit à l' enquant, au plus offrant & dernier encherisseur, & à peu dire, que c' estoit le S. Esprit qui operoit en cette ceremonie. Ce que les mesdisans veulent prouver par une demonstration qu' ils estiment infaillible: parce que nul n' entra jamais aux prisons pour cet effect, qu' il ne fust asseuré d' en sortir avant l' invocation du S. Esprit. Quant à moy je veux croire que cette mesdisance est une vraye imposture, & calomnie: mais parce que tout personnage d' honneur a non seulement interest d' estre franc & exempt de la coulpe, ains pareillement du soupçon, pour en estancher le venin, je souhaite en cette affaire deux choses. L' une, que ce privilege ne s' estende qu' en faveur des delits, qui de leur nature sont remissibles: L' autre, qu' il n' ait lieu que pour les crimes commis dedans la province de Normandie, & pour les prisonniers justiciables, soit en premiere ou seconde instance du Parlement de Rouen, qui se trouveront, ou casuellement, ou par dessein, és prisons de la ville de Rouen. J' estime qu' en ce faisant ce sera fermer la bouche à tous ceux qui en mesdisent, & par mesme moyen que Messieurs du Chapitre gens d' honneur, ne prendront de mauvaise part mon souhait.


Fin du Neufiesme Livre des Recherches.

samedi 12 août 2023

9. 31. Du different ancien, qui a esté & est entre la Faculté de Medecine de Paris, & le College des Chirurgiens.

Du different ancien, qui a esté & est entre la Faculté de Medecine de Paris, & le College des Chirurgiens.

CHAPITRE XXXI.

Anciennement la profession du Medecin gisoit en l' exercice de trois points. Au Conseil selon les preceptes de l' Art pour les maladies interieures du corps humain; au razoüer & oignemens pour les exterieures: & finalement, en la confection des potions & medicamens.

Je veux dire qu' il estoit Medecin, Chirurgien, & Apoticaire tout ensemble: Ainsi en usa le grand Hippocrat, & long entreject de temps apres, Galien. Chose dont encores nous pouvons trouver des remarques tres-asseurées. Car Ulpian le Jurisconsulte disoit. Proculus ait,  si medicus servum imperite secuerit, vel ex locato, vet ex lege Aquilia competere actionem. Idem iuris est si medicamentis perperam factis usus fuerit. Sed & qui bene secuerit, & dereliquit curaturum securus non erit, sed culpae reus intelligetur. Passages par lesquels on voit que le Medecin exerçoit l' Art de Chirurgie, & encores faisoit les potions qui estoient par luy ordonnées. Or qu' il fust Apoticaire nous l' apprenons encores de deux passages d' Apuleie au dixiesme livre de son Asne d' Or. Par l' un desquels vous voyez un valet s' adresser au Medecin, affin qu' il eust à luy vendre de la poison, pour faire mourir promptement un homme, lequel pour le tromper luy debita un brevuage dormitif. Venenum soporiferum. Et en l' autre, une meschante femme, voulant haster les jours de son mary malade, Medicum convenit quemdam notae perfidiae, qui tam multarum palmarum spectatus praemijs, magna doctrinae suae trophaea numerabat, ut illi venderet momentaneum venenum, illa autem emeret mariti sui mortem, iamque aegroto marito, medicus poculum probe temperatum manu sua porrigebat. Je vous laisse le demeurant, me contentant que vous voyez par ces deux passages que le Medecin avecques sa profession exerçoit ce qui appartenoit à l' Estat d' Apoticaire. Et de cette ancienneté encores en avons nous je ne sçay quelle remarque par le cent vingt & cinquiesme Article de nostre coustume de Paris, qui fait marcher d' un mesme pas les Medecins, Chirurgiens, & Apoticaires au fait des prescriptions: & neantmoins par ce qu' en cest exercice il y avoit je ne scay quoy de vieil, cela fut cause que l' usage de la Medecine Gregeoise estant arrivé dedans Rome, les Gentils-hommes Romains faisoient apprendre cest Art à leurs valets & esclaves, affin d' estre par eux secourus avenant qu' ils fussent malades. Cela fut pareillement cause, qu' en ce nouveau mesnage d' Université, les Medecins pour la necessité de leur charge, ayans trouvé une place entre les quatre Facultez, on estima qu' il la falloit recognoistre en sa pure naïfveté, & luy oster la manufacture du razoüer, pilon & mortier

Et deslors furent formez trois estats distinct du Medecin, Chirurgien, & Apoticaire. Ancienneté doctement remarquée par nostre Fernel sur le commencement du septiesme livre de sa Medecine universelle. Chirurgia (dit il) primum medicinae pars est habita, & ambae eisdem sunt natae authoribus. Nec Chirurgiae alia, quam Medicinae principia, nec aliae demonstrandi sunt leges: postea vero ut unius Medicinae dignitas splendidior praestabiliorque foret, rationis, consilijque facultatem, ut pote liberalem assumentes Medici, ac suo quodammodo iure sibi vendicantes, quicquid manuum opera geri solet, id omne ad Chirurgos, & Pharmacopolas transtulerit. Distinction de Medecin, & Chirurgien, qui estoit des le temps mesme du Roy Philippes Auguste en cette France, ainsi que nous apprenons du cinquiesme livre de la Philippide de Guillaume le Breton, parlant comme Richard Roy d' Angleterre au siege du Chasteau en Limosin, ayant esté feru dedans les espaules d' une fleche, le Roy fut porté en sa maison.

Interea (dit le Poëte) Regem circunstant undique mixtim, 

Apponunt Medici fomenta; secantque Chirurgi

Vulnus, ut inde trahant ferrum leviore periclo. 

Guillaume le Breton estoit du temps de Philippes Auguste, dont il escrivit la vie, duquelle Roy Richard estoit contemporain. Or par ces trois vers vous voyez les fonctions du Medecin, & Chirurgien, distinctes; mais de telle façon que le Medecin ordonnoit les fomentations pour guerir la playe, & le Chirurgien le ministere de ses mains pour tirer la fleche du corps. Car ainsi n' estoit lors le College des Chirurgiens ouvert, comme j' ay plus amplement monstré par le precedant Chapitre. Mais depuis qu' il fut ouvert, ils voulurent en leur Art, aucunement contrecarer la Faculté de Medecine, soustenans que leur charge gisoit non seulement en ce qui estoit de leurs mains, mais aussi de l' Art, ne pouvant l' un subsister sans l' autre. Et tout d' une suite que leur profession estoit plus certaine que celle des Medecins. Comme ainsi fut que leur vacation consistoit en la cure exterieure des maladies du corps, que l' on cognoissoit au doigt & à l' œil, & celle du Medecin aux interieures, auxquelles le plus du temps il y procede plus à taton, & par jugement imaginaire tiré d' un poux inegal, de la veine, inspection des urines, & matieres fecales, jugeant bien souvent d' un, ores que ce soit un autre mal, comme on descouvre en apres par l' ouverture du corps mort. Ce qui a esté depuis representé en peu de vers par le Palingene en son Zodiaque sous le signe du Lyon.

Consule item si opus est Medicum, vel Clynicus ille,

Vel sit Chirurgus, Chirurgi certior est Ars. 

Nam quid agat certum est, & aperta luce videtur, 

Clynicus ipse autem qui nunc Physicus quoque fertur, 

Dum lotium infelix spectans, inde omnia captat, 

Dum tentat pulsum venae, dum stercora versat, 

Fallitur, & fallit.

Adjoustoient les Chirurgiens qu' ores que par un long progres & succession de temps le Medecin exerçast tant en la Grece que Rome, les trois charges de Medecin, Chirurgien & Apothicaire, toutesfois que la Chirurgie avoit esté du commencement plus en credit. Qu'  ainsi apprenions nous de Pline, qu' Esculape, qui depuis fut canonizé par les Payens entre leurs Dieux imaginaires, se rendit au siege de Troye plus recommandable par la guerison des playes, que des autres maladies

Et que dedans la ville de Rome, comme nous enseigne le mesme Pline, le premier Medecin qui y arriva nommé Archagathus, fut appellé Vulnerarius, comme celuy qui guerissoit seulement les playes. Tellement que sur ces persuasions ils introduisirent entr'eux un College, tel que je vous ay discouru par le precedant Chapitre, à l' instar presque de celuy des Medecins. Et estimerent qu' à eux seuls en consequence de leur razouër appartenoit l' anatomie, & dissection des corps, & le pensement des playes: & qu' en ce pensement ils pouvoient avecques leurs oignemens, selon que la necessité l' exigeoit, ordonner à leurs patiens, aposumes clysteres, potions, saignées, comme remedes annexez à leur profession. Menage que les Medecins ne peurent jamais approuvez (approuver), disans qu' encores que le mot Grec de Chirurgien portast quant & soy quelque prerogative chez nous: toutesfois rendu François, il ne signifioit que Manoeuvre. Parole que nous employons à toutes personnes de basse condition qui vivent au jour la journée: & au surplus, soit que nous considerions le mot Grec ou François en sa naïfve signification, il ne vise qu' à l' ouvrage de la main, & non plus.

Et à peu dire les Medecins pensent que le Chirurgien ne peut rien operer sans leur ordonnance. Au contraire le Chirurgien estime que les Medecins ne luy peuvent rien commander sur le fait qui despend de la Chirurgie; si ce n' est qu' il y ait danger de la vie en un malade: auquel cas il estimoit que pour obvier à tout blasme il n' estoit mat seant aux Medecin & Chirurgien, de concurrer ensemblement. A quoy j' adjousteray par forme de commentaire, que plus facilement deux hommes peuvent porter un corps mort en terre, qu' un seul.

Quelque different qu' il y eust entr'eux, le Medecin estant tousjours le superieur du Chirurgien, voicy un nouvel ingredient qu' il meit en œuvre contre cette maladie. Nous avons eu de tout temps les Barbiers, gens destinez par leur mestier pour accommoder les barbes, & cheveux. Et par ce que nos ancestres se faisoient ordinairement, non tondre, ains raire leurs barbes, comme pareillement de fois à autres leurs cheveux, en quoy le razoüer estoit necessaire aux Barbiers, aussi commencerent ils de s' aprivoiser du Medecin par les saignées qu' il ordonnoit, & en apres d' enjamber petit à petit sur l' Estat du Chirurgien, comme je verifieray en son lieu. Et neantmoins sans aller maintenant foüiller plus avant dedans une longue ancienneté precedante, vous entendrez, que les Medecins ont accoustumé d' eslire de deux en deux ans, un Doyen qui manie tout leur mesnage, & est tenu leur en rendre compte, sa charge finie. Je trouve sous le Doyenné de Maistre Michel de Colonia, que le 19. de Novembre 1491. la Faculté de Medecine fut assemblée en l' Eglise S. Yves, qui lors estoit son rendez-vous ordinaire en telles affaires, pour ouïr la plainte qui leur estoit faite par Messieurs les Chirurgiens, ainsi que porte le Registre. Ad audiendam querimoniam Dominorum Chirurgicorum, ut ipsa dignaretur eis praestare favorem in suis Privilegijs, & signanter contra Barbitonsores, sicuti proviserat eis. Et quod graviter ferebant, quod aliqui Magistri eiusdem Facultatis exposuerant & declaraverant dictis Barbitonsoribus: anatomiam quamdam legebant etiam dicti Magistri, Barbitonsoribus lingua vernacula super quibus deliberatum, & conclusum extitit, quod praefatae anatomiae factae sunt praeter mentem, & ordinationem eiusdem Facultatis, veruntamen credebant quod dicti Magistri sic fecerant ad evitandum maius malum, scilicet ne aliquis extraneus facisset: & addidit etiam ipsa Facultas, & praecepit ne supra dicti Magistri amplius dictis Barbitonsoribus legerent, quousque aliàs providisset.

Voila la premiere escarmouche, & depuis ils s' attaquerent diversemenz, les Medecins se donnans tousjours quelque advantage sur les Chirurgiens. L' unziesme Janvier mil quatre cens nonante trois sous le Doyenné de Maistre Jean Lucas: Placuit Facultati (porte le Registre) quod Barbitonsores haberent unum de Magistris Facultatis qui leget eis Guidonem, & alios authores verbis Latinis, eis exponendo aliquando verbis familiaribus & Gallicis secundum suam voluntatem. Et permet aux Barbiers d' acheter un corps exposé au gibet pour l' anatomiser, moyennant que l' anatomie fust faite par l' un des Docteurs en Medecine. Vous voyez comme pied à pied les Medecins prenoient terre sur les marches des Chirurgiens. Au moyen de quoy sous le Doyenné de Maistre Thierry le Cirier le dixhuictiesme de Novembre mil cinq cens nonante quatre. Supplicavit Magister Philippus Roger Chirurgicus, ut Magistri Facultatis de caetero non legerent Bartitonsoribus in lingua materna

Cui respondit Facultas, quod placebat sibi suspendere pro nunc illas lectiones, non tamen volebat absolute acquiescere petitioni illi, nisi etiam Domini Chirurgici desisterent ab ordinationibus receptarum ad Magistros Facultatis, & non ipsos Chirurgicos spectantibus. C' estoit (comme j' ay touché cy dessus) que les Medecins pretendoient que d' ordonner quelque Medecine à celuy qui estoit nauré, cela devoit sortir de leur boutique, & non de celle des Chirurgiens. Cette querelle depuis fut diversement promenée. Parce que sous le Doyenné de Maistre Bernard de la Vaugiere 1498. les compagnons Barbiers presenterent leur Requeste, à ce qu' il pleust à la Faculté commettre quelque Docteur, pour leur enseigner l' anatomie d' un corps qui leur avoit esté promis par le Lieutenant Criminel. A quoy s' opposerent les Chirurgiens, soustenans que cela estoit de leur gibier, & estoient pres d' y vacquer. Sur cette opposition fut ordonné le 13. Decembre, que l' anatomie seroit faite par un Docteur Medecin, qui l' expliqueroit, tant en Latin que François. Qui estoit tousjours autant esbrecher l' authorité des Chirurgiens.

Le dixhuictiesme Octobre mil quatre cens nonante neuf sur autre Requeste presentée par les Barbiers, il est permis de leur lire tous les livres de Chirurgie, Dummodo id fieret sermone Latino, & non alàs. Cum Magistri non soleant aliter libros suos legere. Une chose sans plus me desplaist, que l' avarice se vint loger au milieu de ces contrastes & altercations. Parce que sous le premier Doyenné de Maistre Richard Gassian mil cinq cens deux fut arresté: Quod Domini Chirurgici facerent anatomias, si vellent obedire Facultati, solvendo tertiam partem, & ut praeferrentur Tonsoribus, aliàs Facultas privat eos. La premiere recepte qui est faicte en consequence de cette ordonnance, est au compte de Gassian portant ces mots. Alia recepta pro anatomia à studentibus Chirurgicis Tonsoribus, & his qui voluerint interesse. A communitate Chirurgicorum qui solverunt tertiam partem expensa-sarum (expensarum) quadraginta duos solidos Parisienses. Sous le deuxiesme Doyenné de Maistre Jean Avis, la Faculté estant assemblée en l' Eglise sainct Yves, le troisiesme Janvier mil cinq cens cinq, se presenterent tous les Chirurgiens de Paris ayans tous le bonnet aux poings (ainsi que porte le Registre) & declarerent par l' organe de Maistre Philippes Roger, qu' ils estoient Escoliers de la Faculté: dont elle demanda acte à deux Notaires de la conservation en Cour d' Eglise, Maistre Martin Menart, & Jean Maioris. Ce fait Roger remonstra que les Maistres Chirurgiens estoient fondez en plusieurs Privileges Royaux, au prejudice desquels la Faculté avoit besongné, en donnant permission à un François Bourlon d' exercer la Chirurgie, la suppliant que de là en avant on n' entreprist plus sur leurs anciennes prerogatives. A quoy Helin, comme le plus ancien des Medecins, respondit que ces pretendus privileges avoient esté obtenus par subreption, & sous le faux donner à entendre des Chirurgiens, les Medecins non ouis ny defendus. Et neantmoins fut advisé qu' on en delibereroit plus amplement, mesme sur la requeste presentée par les Barbiers. Et quelque peu apres fut passé un contract le troisiesme Janvier mil cinq cens cinq pardevant Calais & Coste, Notaires au Chastelet de Paris, entre Giraut Tougaut Maistre Barbier à Paris, & garde des Chartres du mestier de Barbier, Pierre Cerisay, Jean Courroye, Guillaume Alain, Jean le Fort jurez, tant en leurs noms, que comme stipulans pour les autres Maistres Barbiers de cette ville de Paris d' une part, & Maistre Jean Avis natif de la ville de Beauvois, Docteur Regent en la Faculté de Medecine, Doyen d' icelle, tant en son nom, que comme stipulant pour la dite Faculté. Par lequel contract est narré que depuis quelque temps en là quelques Docteurs de leur Faculté avoient esté commis, pour declarer & exposer la science de la Chirurgie aux supplians. Pour ces causes estoit entr'eux passé ce contract portant les articles qui s' ensuivent. C' est à sçavoir que ces lectures se continuëroient, quoy faisant, les Barbiers jureroient estre vrais Escoliers de la Faculté, se feroient par chacun an inscrire au papier du Decanat, & pour leur inscription seroient tenus de payer deux sous parisis; jureroient de non administrer Medecine laxative, ains seulement ordonneroient ce qui appartiendroit à l' execution de la Chirurgie manuelle: Mais quand il seroit question de Medecine, ils avroient recours à l' un des Maistres de la Faculté. Que pour recevoir un Barbier à la Maistrise, on y appelleroit deux Docteurs de la Faculté, lesquels apres la deliberation des Maistres Barbiers, concluroient sur la suffisance, ou insuffisance de l' examiné, & pour leur assistance, avroient chacun deux escus sol pour leur salaire; qu' ils n' exerceroient l' art de Chirurgie avecques autre Medecin, qui ne seroit de leur Faculté; qu' apres que l' examiné avroit esté trouvé suffisant, il seroit tenu de jurer, & faire le serment de ce que dessus, en la main de l' un des Maistres Docteurs Commissaires. Moyennant cela la Faculté promettoit leur faire leçon en Chirurgie, & de leur communiquer, & faire exposer les anatomies, en payant par eux les droits specifiez: & où quelques uns les voudroient troubler en l' exercice de la Chirurgie, en ce cas la Faculté seroit tenuë  de prendre le fait & cause pour eux, & les garentir, à la charge que les Barbiers seroient tenus de faire les fraiz. 

Par le moyen de ce contract les Medecins passerent le Rubicon, & voulurent introduire un nouvel ordre de Chirurgie au prejudice de l' ancien. Et de fait ores qu' auparavant dedans leurs memoriaux, parlans des Barbiers ils les appelassent simplement, tantost Barbitonsores, tantost Barbirasores, ils commencerent de les honorer de ce titre, Tonsores Chirurgici, pour ne desmentir leur contract: & ceux qui pensoient plus elegamment parler, Chirurgi à tonstrina. Et non contens de cela par une assemblée du septiesme Juillet mil cinq cens six, la Faculté arresta, Quod nullus Magistrorum compareret in artibus Chirurgicorum, sub poena privationis. Qui estoit faire une profession expresse d' inimitié encontre le College ancien des Chirurgiens. Je me donneray bien garde de controller ce contract, & d' examiner si les Medecins pouvoient introduire une loy nouvelle, au prejudice des anciens statuts de l' Université de Paris, qui veut que les Arts s' enseignent par les siens en langue Latine, ne s' ils pouvoient attenter chose aucune au desavantage de la compagnie des Chirurgiens, ny de se faire juges & parties en leur cause.

Je laisse cette tasche à ceux qui voudront faire les Critiques, me contentant, comme simple Historiographe, de vous avoir representé comme le fait s' estoit passé. Bien vous diray-je qu' en cette nouvelle entreprise je trouve je ne sçay quoy de sage-mondain aux Medecins, quand par la closture du contract ils promettent prendre la cause des Barbiers contre les Chirurgiens, mais à leurs despens, perils, & fortunes. Qui estoit se mettre à l' abry des coups.

La connivence que les Chirurgiens apporterent à ce contract, rendit les Medecins de là en avant plus hardis, qu' ils n' avoient esté par le passé. Car le 3. de May mil cinq cens sept les Chirurgiens furent citez pardevant la Faculté de Medecine à certain jour, sur ce qu' ils ordonnoient des clysteres, aposumes & medecines, tout ainsi que les Medecins. Le premier de Juin ils comparent, & sur les remonstrances à eux faictes, promirent par serment fait sur les sainctes Evangiles (ainsi le portent les memoriaux de la Faculté de Medecine) qu' à l' avenir ils ne tomberoient plus en cet accessoire. Ainsi trouvé-je que sous le Doyenné de Maistre Jean Bertoul le 18. Decembre 1507. Eadem Facultas per iuramentum convocata dedit concorditer adiunctionem iuratis tonsoribus, studentibus in Chirurgia, sub doctoribus dictae Facultatis in certo processu, contra eos intentato, per Iuratos Chirurgicos, expensis videlicet ipsorum tonsorum: Aux anciens Registres on les appelloit Dominos Chirurgicos,  comme mesnagers, & ministres d' une partie de la Medecine: Icy on les nomme seulement jurez à l' instar des mestiers mecaniques. Ce procez prit quelque traict, mais je ne voy point quelle en fut l' issuë. Quoy que soit sous le premier Doyenné de Maistre Jean Ruelle l' an 1508. le Doyen en pleine assemblee remonstra, Quod Chirurgici, iampridem inchoatum processum continuare contendebant, dederantque suas posseßiones & saisinas, quae lectae fuerunt. Quibus auditis dedit Facultas deputatos, quorum consilio, necnon consiliarorum, in hoc processu ageretur. Deputati autem fuerunt Magistri, Richardus Helin, Michaël de Colonia, Theodoricus Sirier, Ioannes Bertoul, & Ioannes Avis: Au second Doyenné de Ruelle le 12. Novembre en une congregation de l' Université: Petita est per Decanum adiunctio Universitatis in processu quem facultas habebat, eo quod Chirurgici actus Baccalaureorum, in gravißimum Universitatis detrimentum faciebant. Cui porrectae supplicationi se adiunxit Universitas. Et le 9. jour de Mars ensuivant fut advisé par la Faculté, qu' on chercheroit toutes les pieces & Arrests, qui pouvoient estre contre les Chirurgiens: & prendre Advocat, Procureur, & soliciteur. Le 28. de Decembre 1510. sous le Doyenné de Maistre Jean Guischard, fut la Faculté assemblee à S. Yves, pour le procez des Chirurgiens: & conclud que la Faculté soustiendroit fortement le procez: Et sustineret praefatum Clodoaldum, & communitatem tonsorum, adversus Chirurgos. Et tout d' une suite fut arresté que Requeste seroit presentee à la Cour, pour contraindre les Chirurgiens de frequenter les leçons ordinaires des Docteurs en medecine, & de se soubsigner tous les ans au livre du Doyen, a fin qu' on fust suffisamment informé du temps de leurs Estudes, lors qu' ils se voudroient passer Maistres en leur Art. Au demeurant que les Barbiers seroient adjournez, sur les malversations qu' on pretendoit avoir esté par eux commises au desadvantage de la Faculté. Conclusion capitulaire, qui n' estoit ce me semble hors de propos. Or comme ce procez se poursuivoit chaudement, le dernier jour de Janvier comparuerunt in Burello Facultatis sponte sua Domini Chirurgi (en cet acte de Pacification le mot de Domini eschappe) quaerentes pacem cum Facultate, ut aiebant, & finem processus contra eos, similiter inter eos & tonsores. Quibus Facultas bene convocata congratulata est, & cum gaudio benigne suscepit: Et leur declara (porte le passage) qu' ils estoient les mieux que bien venus, moyennant qu' ils la voulussent recognoistre comme leur mere en cet Art; & pour trouver moyen de concorde entr'eux, elle deputa Helin, le Cirier, de Colonia, Bertoul, & Rozee: qui s' assemblerent plusieurs fois avec les Chirurgiens: mais je ne voy quelle fin eut leur procez. Que si je ne m' abuse ce fut une surseance d' armes, dont les Chirurgiens sceurent fort bien faire leur profit: car ayans fait cette declaration eh Janvier 1510. en plein bureau de vouloir nourrir paix & amitié avec la Faculté de Medecine, & ayans esté par elle embrassez: Aussi trouvez vous que le 5. Avril 1515. le Recteur & Université de Paris, en une congregation generale declara que les Chirurgiens devoient estre estimez Escoliers de l' Université. Et par acte emané de la Faculté de Medecine du 17. Novembre au mesme an, ils furent aussi declarez Escoliers de la Faculté de Medecine, & que comme tels ils devoient estre declarez francs & exempts de tous imposts & aydes: le tout comme vous avez peu plus amplement entendre par le precedent Chapitre. Depuis ce temps je ne voy nulle guerre ouverte entre le Medecin & le Chirurgien, ny pareillement entre le Chirurgien & le Barbier, ains une longue trefve dura jusques en l' an 1582. qui estoit temps suffisant pour leur faire mettre en oubly leurs anciens maltalens. Toutesfois voicy comme la memoire s' en renouvela. Les Chirurgiens d' un costé n' avoient autre plus grande ambition en leurs ames, que d' estre estimez enfans de l' Université de Paris: & les Barbiers d' un autre que d' estre incorporez au College des Chirurgiens. 

Pour le regard du premier point, je vous ay cy-dessus discouru en combien de manieres ils y voulurent donner quelque atteinte. En fin se voyans assistez de deux declarations par moy presentement touchees, & d' unes longues trefves qu' ils estimoient equipoller à une ferme paix, ils obtindrent unes lettres patentes du Roy François I. de ce nom en Janvier 1544. par lesquelles il vouloit qu' ils joüissent de mesmes Privileges, franchises, & immunitez que l' Université de Paris. A la charge que ceux qui voudroient estre Bacheliers, puis Licenciez en Chirurgie, seroient tenus de respondre en Latin pardevant les Examinateurs, qui seroient commis pour s' informer de leurs suffissances: Et au surplus qu' ils se trouveroient en l' Eglise S. Cosme, & S. Damien tous les premiers Lundis de chaque mois, & en ce lieu seroient tenus de visiter & penser, depuis dix heures du matin jusques à douze, tous les pauvres malades affligez en leurs membres qui se presenteroient à eux. Ces lettres adressees à la Cour de Parlement, Chambre des Comptes; Generaux des Aydes pour y estre verifiees; toutesfois je ne voy point qu' elles y eussent passé. Bien voy-je que la derniere clause d' icelles, concernant les malades, a esté pour eux, & est encores plainement executee: Et neantmoins je ne sçay si auparavant ces patentes cette charge estoit annexee à leur fonction: car je n' en ay rien veu ny appris par les tiltres qui sont passez par mes mains. Plusieurs annees s' escoulerent du depuis, pendant lesquelles les Chirurgiens se tindrent clos & couverts, sans remuer aucun nouveau mesnage jusques au 1. de Janvier 1579. qu' ils obtindrent un Indult du Pape Gregoire XIII. par lequel en entherinant leur requeste il voulut conformément aux termes portez par icelle: Ut omnes & singuli Chirurgi, tam coniugati, quam non coniugati, qui prius Grammatici, & postea in eadem Universitate Magistri artium recepti, ac ut moris est, eorumdem Chirurgorum examinati & approbati fuerint, ut à pro tempore existente dictae Universitatis Cancellario, postquam profeßionem fidei iuxta formam descriptam in eius manibus emiserint, benedictionem Apostolicam, quemadmodum caeteri Magistri, & Licentiati eiusdem Universitatis consueverunt cum debitis reverentia & humilitate recipiant.

Ce sont les propres mots de l' Indult, lequel mit aucunement en cervelle les Medecins, qui implorerent l' aide du Recteur & supposts de l' Université: & eux tous se joignans ensemble, appellerent comme d' abus de la fulmination de ces bulles. Cause qui fut plaidee au Parlement par Maistre Jacques Chouard pour l' Université, par Maistre René Chopin pour la Faculté de Medecine, par Maistre Barnabé Vest pour celle des Chirurgiens: trois Advocats de marque, & de nom: & par Messire Augustin de Thou pour Monsieur le Procureur general: qui n' oublia rien de ce qu' il pensoit faire à l' avantage des Chirurgiens: comme j' ay apris par son plaidoyé qui est tout au long inseré par l' arrest que l' on a levé: car quant aux plaidoyez des 3. autres, ils y sont couchez en blanc. Et neantmoins nonobstant les conclusions par luy prises, la cause fut appointee au Conseil par Arrest du Mardy 21. Mars 1582. Appointement qui dormit plusieurs annees: toutesfois en fin resveillé de cette façon. Maistres Jean Philippes, Guillaume Poulet, & Estienne Bizeret ayans suby l' examen à ce accoustumé par les Maistres Chirurgiens, & esté Licenciez en Chirurgie, s' estans presentez au Chancelier de l' Université, apres avoir fait la profession de foy prescrite, & receu de la benediction portee par les Bulles, l' Université de Paris, & la Faculté de Medecine en appellerent comme d' abus, pretendans que c' estoit un attentat expres commis au prejudice de l' appointé au Conseil de l' an 1582. Cause qui fut pareillement appointee au Conseil, & jointe avec la premiere, par Arrest du 24. Mars 1609. Esquelles deux causes les parties ont respectivement escrit & produit. Et adhuc sub iudice lis est.

Je ne veux par ce mien Chapitre estre un composeur d' Almanachs, & prognostiquer quel je pense devoir estre le succés de toute cette poursuite. Toutesfois si les souhaits ont lieu (comme il est mal-aisé de commander à nos premiers mouvemens) je vous diray franchement que je souhaite les Chirurgiens obtenir gain de leur cause; mais sous les conditions que je vous diray cy-apres, & non autrement. Que si desirez sçavoir qui fait naistre en moy ce souhait, je le vous diray franchement. Il est certain & sans doute que la Chirurgie fait part & portion de la Medecine. Partant semble y avoir grande raison d' aggreger au corps de l' Université le Chirurgien, tout ainsi que le Medecin. N' y ayant rien qui l' en ait cy-devant forclos, que la cruauté que l' on estime se trouver en l' exercice de son estat. Et comme l' Eglise n' abhorre rien tant que le sang; aussi ne faict l' Université sa fille par son premier institut: qui est la cause pour laquelle le Medecin mesme ordonnant une saignee à son patient, se donne bien garde d' y employer sa main; ains celle du Barbier: chose qui devoit appartenir au Chirurgien. Tout de ce mesme fonds l' Université de son originaire & premiere institution, ne permettoit qu' aucun de ses ministres fust marié, & pour cette cause, ny celuy qui vouloit passer Maistre és Arts, ny le Docteur en Medecine, ny le Docteur Regent en Decret, ne pouvoient estre mariez (car pour le regard du Docteur en Theologie, le celibat est une charge fonciere, annexee à sa profession sans exception & reserve,) & combien que le mariage fust prohibé & deffendu aux enfans de l' Université, toutesfois le Cardinal d' Estouteville Legat en France, ne douta de passer dessus ces deffenses, & de permettre aux Docteurs en Medecine d' estre mariez. Ce qui ne fut jamais trouvé de mauvaise digestion par nos ancestres: voire en plus forts termes les Docteurs en Decret s' en sont dispensez de nostre temps, sans qu' on leur ait imputé à faute, ny qu' on leur ait fait perdre leurs chaires, ores que contre leur ancienne institution ils fussent mariez. Que si un simple Cardinal Legat en France peut favoriser la famille des Medecins, & leur permettre d' estre mariez au prejudice des anciens statuts de l' Université, sans que l' on ait revoqué son Decret en aucun scandale, bien que ce fust un grand coup d' Estat, serions nous si osez de revoquer la puissance du S. Pere en doute, & de vouloir soustenir qu' il ne puisse authoriser le serment du nouveau Chirurgien, qui sera fait és mains du Chancelier de l' Université? Singulierement eu esgard que la Faculté de Chirurgie fut declaree faire partie de l' Université par deux congregations du Recteur, faictes aux Mathurins en l' an 1436. & l' an 1515. & encore par une autre des Medecins du mesme an. Je l' appelle Faculté, de mesme façon que celle de la Medecine, car ainsi la voy-je estre qualifiee par l' arrest de 1351. donné sous le regne du Roy Jean: par un autre sous le regne de Henry II. donné entre Maistre Charles Estienne Docteur en Medecine, & Maistre Estienne de la Riviere Chirurgien en l' an 1541. & finalement par l' arrest du 26. Juillet 1603. dont sera parlé cy-apres, donné entré les Chirurgiens, Barbiers, & Medecins intervenans. Voila le premier souhait que je fais en faveur des Chirurgiens: mais pour le rendre de toutes façons accomply, & que l' on sçache qu' il ne m' entre en l' ame sous faux gages, je desire que celuy qui veut prendre les degrez de la Chirurgie soit Chirurgien, non à petit semblant, ains à bon escient. Premierement qu' il soit bien & deüement instruit en la langue Latine, comme veulent les anciens Statuts de leur ordre: que comme les Medecins; aussi ceux-cy soient passez Maistres és Arts, avant que d' entrer au corps de la Chirurgie, le tout ainsi qu' il est porté par les Bulles du Pape Gregoire, & aussi est-ce la verité qu' aux deux actes qui se passerent entr'eux & l' Université l' an 1436. & 1515. & le 3. au mesme an, avec la Faculté de Medecine: ceux qui porterent les paroles pour la Faculté de Chirurgie nommez, Jean de Soulfour, Claude Vanif, Estienne Barat, prindrent qualité de Maistres és Arts & en Chirurgie. Je desire qu' ils facent leurs premieres estudes de Chirurgie en l' escole de Medecine: ainsi qu' il leur est enjoint par l' acte de l' an 1436. par lequel ils sont advoüez enfans de l' Université: Proviso tamen (dict le texte) quod ipsi lectiones Magistrorum actu Parisius in Facultate Medicinae Regentium, ut moris est, frequentent. Et apres qu' ils avront passé par tous ces alambics, qu' il leur soit permis d' entrer au cours de deux ans de la Chirurgie (rapportans bonnes & seures testimoniales de tout ce que dessus) & de se choisir tel Maistre qu' il leur plaira des Docteurs en la Chirurgie, pour se rendre plus capables de cet art, & subir les examens à ce requis & accoustumez, pour le degré premierement de Bachelerie, puis de Licence: car autrement quelques rolles qu' ils vueillent joüer sous ces dignitez Scholastiques, je ne les estime faire vrais actes de Chirurgie, ains de cingerie, moulez sur ce qu' ils voyent estre praticqué doctement aux Escoles de Medecine, par les Medecins.

jeudi 10 août 2023

9. 26. Roys, Université de Paris, leur fille.

Que nos Roys ont eu sur tous autres, bonne part en la creation & direction des Universitez de France, & que de toute ancienneté ils ont qualifié l' Université de Paris, leur fille.

CHAPITRE XXVI.

Ne pensez pas je vous supplie, que par le precedant chapitre, je vous aye deduit que nos Roys s' estoient attribuez cognoissance sur la reformation de nos Universitez: car ostee la ville de Paris, dont nous ne voyons point de titre expres de son origine, toutes les autres doivent leurs creations & fondations à nos Roys, ainsi que je vous verifieray cy apres, par le discours de ce mien Livre: Et pour demeurer aux termes de l' Université de Paris, qui est mon present sujet, le plus ancien passage auquel je trouve estre faite mention d' icelle est du Pape Celestin III. au chap. Quod Clerici. De foro compet. Ext. Nous ne voyons point la date de cette Constitution Decretale. Mais il mourut l' an 1192. doncques nostre Université estoit auparavant ce temps, & de nom, & d' effect en essence. Nous eusmes une Ordonnance faite l' an 1200. par nostre Philippes Auguste, concernant le reiglement de cette Université, qui est la plus ancienne de toutes celles que j' ay veuës. Entre le temps de la Decretale, & de ceste Ordonnance il n' y a pas grand entrejet. Davantage tout ainsi qu' en cette Université il y a un conservateur Apostolic; aussi y en a-il un Royal, pour cognoistre des differens des supposts de l' Université. Vray qu' en l' Apostolic, encore y a-il une restriction, que le suppost ne peut faire citer sa partie adverse, resseant outre les quatre diettes de la jurisdiction de l' Apostolique: mais en vertu d' une commission du Conservateur Royal, il peut appeller de toutes parts, quand c' est en & au dedans du Parlement de Paris. Belles certes, & nobles jalousies entre deux grandes dignitez, que l' Eglise pretendant estre la mere, nos Roys pretendent estre les peres: non qu' elle ait pris sa naissance de l' Empereur Charlemagne, comme j' ay dit ailleurs, ains d' autant que l' Eglise luy donnoit son estre, & la Majesté de nos Roys son bien estre. Chose que ne trouverez estrange, quand vous considererez que dés & depuis le regne de Clovis, premier Roy Chrestien des nostres, nos Roys estimerent leur Couronne avoir telle part aux affaires de l' Eglise, que c' estoient choses inseparables. Ainsi sous cette premiere famille, avant que les Maires du Palais se fussent sous le masque de leur dignité, impatronisez de l' Estat, les Concils tenus par la France estoient la plus part du temps ouverts par le commandement de nos Roys, lesquels de fois à autres y assistoient. Et combien que sous la seconde lignee, Pepin eust esté proclamé Roy de France, par l' advis du Pape Zacharie; toutesfois avec tout l' honneur & soubmission, que luy & ses successeurs porterent au S. Siege, ils ne deschevrent de l' ancien privilege de leurs devanciers, tant que la puissance Royale fut vrayement par eux exercee. Et qui fait grandement à noter, c' est que nous avons un Canon d' un Concil Nationnal tenu en ce temps là dedans Paris, rapporté par Gratian dedans son Decret sous ces mots, Principes saeculi, par lequel il fut conclud que les Roys & Princes seculiers devoient & pouvoient avoir l' œil  sur la discipline Ecclesiastique. Constitution Canonique non faite à autre fin qu' en l' honneur de celuy qui commandoit souverainement en ce Royaume: auquel nous voyons mesmement soubs la troisiesme lignee, nos Roys avoir eu tellement leurs cœurs à l' Eglise, qu' en plusieurs Eglises Cathedrales & Collegiales il y a une prebende inseparablement affectee à leur Couronne: Et non seulement leurs Cours de Parlement souveraines estre my-parties de Conseillers, Clercs, & seculiers: mais en outre les premieres & plus grandes dignitez de France, comme furent les Magistratures de nos Pairs, qui estoient de six Pairs Clercs, les uns Archevesques, autres Evesques, & les six autres Laiz, trois Ducs & trois Comtes. Tout de cette mesme façon veux-je dire l' Université de Paris estre un corps mixte, grandement redeuable à l' Eglise, mais non moins à nos Roys qui en ont esté non seulement tuteurs, fauteurs, & protecteurs, mais aussi l' ont intitulée de ce mot de fille, comme ayant esté par eux creée.

Maistre Jean Gerson preschant en l' an 1415. la veille de Pasques fleuries devant les Prelats qui estoient au Concil de Constance, parlant de l' Université de Paris; Celeberrima Parisiensis Universitas (dit-il) cultrix, & amatrix eorum omnium, quae Christianae Religionis pietatem, quae sanam doctrinam respiciunt, ipsa ad exemplar Christianissimi Francorum Regis Patris sui dignißimi, &c. Tout de ceste mesme façon trouve l' on dedans ses œuvres une Epistre adressee au Roy Charles VI. sous le nom de l' Université de Paris, par laquelle elle le supplie treshumblement comme sa fille, vouloir exaucer ses defenses, contre les fausses imputations de l' Université de Tholose. Si cette qualité ne luy eust esté d' une longue main acquise, ce grand personnage eust esté merveilleusement impudent de la luy bailler: comme aussi ne la faut-il revoquer en doute; Par l' Ordonnance du Roy Charles V. du 18. May 1366. Quamvis de iure nostro Regio, pedagiorum, & immunitatum ad nos, & forum nostrum spectet, & spectare dignoscatur, tamen filiae nostrae Universitati Parisiensi, concedimus quod Conservator privilegiorum de praemissis cognoscat, &c. 

Gerson vivoit sous le regne de Charles VI. duquel nous voyons deux lettres patentes, l' une de l' an 1383. sur la conservation des privileges de l' Université: Si donnons en mandement (portent elles) à nos feaux Conseillers sur le fait des Aydes ordonnez pour la guerre, que nostre tres-chere & tres-amee fille l' Université de Paris, les Recteurs, Maistres, Bacheliers, Escoliers, Lisans & Estudians, & c. L' autre de l' an 1391. aux gens tenans l' Eschiquier de Rouen, dont les mots sont tels. Nostre amee fille l' Université de Paris, & c. Deffences aux Officiers de Normandie de cognoistre des causes des Escoliers & supposts de la dite Université, ny les troubler en leurs privileges. Charles VIII. par autres lettres de l' an 1488. portans mesme confirmation l' appelle pareillement sa tres-chere & tres-amee fille: Le semblable fait le Roy Louys XII. par son Edit donné à Blois le 9. Avril 1513. Et le Roy François I. de ce nom par son Edit du mois d' Avril 1515. l' appelle non seulement sa tres-chere, & tres-amee: mais aussi sa fille premiere aisnee: Et fait encore le semblable par autre Edit du 5. Juin 1543. Et son fils Henry II. du nom suit ses mesmes traces par son Edit fait à Fontainebleau au mois de Septembre 1547. Et par autre du mois de Mars 1554. Henry, & c. Combien que les Maistres Principaux des Colleges, nos Lecteurs ordinaires & Precepteurs de nostre tres-chere & tres-amee fille aisnee l' Université de Paris: & a fin que je ne m' esloigne de ce qui s' est passé par mes mains quand en l' an 1564. je plaiday la cause de l' Université de Paris contre les Jesuistes (depuis appellez Jesuites) M. Pierre Versoris leur Advocat ayant ou par mesgarde, ou peut estre par artifice occupé le barreau des Pairs, (qui est du costé des Conseillers Laiz) pour y faire sa proposition & demande, pour faire incorporer ses parties au corps de l' Université de Paris, je m' arrestay de propos deliberé contre luy, & soustins que c' estoit la place de l' Université de Paris, fille aisnee du Roy. Et comme il eut fait quelque instance au contraire, & soustenu qu' il pouvoit plaider en ce mesme lieu. Monsieur de Thou premier President, apres nous avoir oüis d' une part & d' autre, en communiqua à tous Messieurs les Conseillers au Conseil, & par Arrest donné par jugement contredit, il fut ordonné que Versoris desempareroit ce barreau, & le lairroit à l' Université tout ainsi comme és causes des Pairs. Ce fut nostre premiere demarche; & ne me repentiray jamais de croire, que les premieres estudes en sont deuës à l' Eglise, mais la creation d' Université à nos Roys, puis qu' ils s' en disent les peres, & l' appellent pour leur fille aisnee; Aussi est-ce la verité, que c' est la premiere & plus ancienne de toutes les Universitez de la France.

mercredi 9 août 2023

9. 22. Du Recteur de l' université & de sa suite.

Du Recteur de l' université & de sa suite.

CHAPITRE XXII.

Quand pour l' affluence des Escoliers on fut contraint d' une Escole en faire deux, dont celle de Theologie demeureroit en la maison Episcopale, suivant son ancien sejour, l' autre pour les Arts, & la Philosophie en celle de sainct Julian: aussi fit on tout d' une main deux Magistrats, dont à l' un demeura le nom de Chancelier, lequel comme Chanoine hebergeroit à nostre Dame, & y a bien grande apparence que c' estoit celuy qui d' ancienneté portoit le nom de Theologal: à l' autre fut donné le nom de Recteur, auquel fut attribuée cette charge, soudain que la Faculté des Arts eut quitté les Escoles de la grande Eglise, pour s' habituer en celle de sainct Julian. Et deslors jusques à huy n' y eut que les Maistres és Arts, qui puissent joüir de cette dignité, les Theologiens, par ce qu' ils avoient leurs Escoles separées, & les Facultez de Decret, & de Medecine, dautant qu' elles n' estoient encores establies, & n' y avoit que les deux dont je vous ay cy dessus parlé. Et lors l' election du Recteur se faisoit, ores de mois en mois, ores de six en six sepmaines. Police que Simon Cardinal de saincte Cecile, Legat en France, reforma comme abusive,  & acheminement de desbauches, & reduisit de trois en trois mois par ses Bulles, dont la teneur estoit telle.

Simon miseratione divina Cardinalis titulo sanctae Ceciliae presbyter Apostolicae sedis Legatus, universis praesentes litteras inspecturis, salutem. Nos diligentius attendentes, quod usus ille, quinimo abusus reprobatus & damnosus, & longis retro temporibus introductus, videlicet quod Rector Universitatis Parisiensis, singulis mensibus, vel sex eligatur hebdomadis, turbationem studij & incentivum invidiae ministrabat, illum duximus abolendum: Statuentes, & ordinantes quod Rector huiusmodi, quater in anno, videlicet prima die legibili post festum beati Dionysij, ultima die legibili ante Nativitatem Domini, ultima die legibili ante Annunciationem Beatae Mariae Virgnis, & ultima die legibili ante festum Ioannis Baptistae, & non plures eligeretur. Qui Rectorum officium libere exerceret, valeret per tempus suo regimine deputatum, & caetera. Datum apud Nogentium super Sequanam, Calend. Octobris pontificatus Domini Nicolai Papae tertij, secundo. Ce Pape avoit esté esleu l' an mil deux cens septante sept. Ce fut doncques l' an mil deux cens septante huict que cette reformation fut faite, laquelle depuis a esté religieusement observée.

La difference qu' il y a entre ces deux dignitez est, que le Chancelier jouït sa vie durant de sa charge (jouït de sa charge durant de sa vie), & le Recteur seulement trois mois. Briefveté de temps ainsi par nos Ancestres, à luy selon mon jugement octroyée, par ce qu' ils estimoient son authorité plus grande, tout ainsi que du Dictateur Semestre de Rome. Aussi en cette petite republique luy donnerent ils plusieurs remarques de grandeur pendant l' exercice de sa charge. Il fait son entrée, & issuë par deux processions solemnelles; celle là pour prier Dieu qu' il luy plaise conduire son Rectoriat à bonne fin, cette cy, pour le remercier de l' avoir conduite: en l' une & l' autre, assisté des quatre Procureurs des nations ses suffragans, & des quatre Facultez, de Theologie, Decret, Medecine, & des Arts; eux tous revestus de leurs Chappes, & habillemens de parade, & avecques cette compagnie, les ordres de Religion, qui sont de son vasselage. Pour recognoistre sa demeure aux Colleges, on peint aux parois des mains qui avec le doigt la monstrent. Particularité par moy peut estre curieusement remarquée, mais curiosité plus grande à nos predecesseurs de l' avoir ainsi pratiqué. Marche par la ville en public revestu de sa Chappe d' Escarlate & a devant luy ses Bedeaux portans leurs Masses d' argent, & derriere suivy de plusieurs Maistres és Arts qui vont par ordre deux à deux, pour l' honorer, & estre par luy honorez.

Quand je vous dy Bedeaux, cela s' entendoit anciennement Sergens. Ballivi (portoit l' ordonnance de sainct Louys) caveant sibi à multitudine bidellorum. Et les Masses leur estoient baillees tant pour la conservation du Recteur, que remarque de sa grandeur. Quand le Roy sainct Louys estant au Levant eut advis que le Viceroy de la montagne avoit despesché quelques siens subjects, du nom d' assassins, pour le tuer de guet à pens. Adoncques (portent nos grandes, & anciennes Annales) il se doubta forment (: fortement), & prit Conseil de soy garder. Il esleut Sergens à Masses garnis & bien armez qui nuit & jour estoient autour de luy pour son corps garder. Sergens & Bedeaux estoient mesme chose, comme je recueille de la mesme ordonnance de sainct Louys de l' an 1256. Et voulons que li Bedel, & Sergien soient nommez en plaine assise: autrement ne seront ils pas nommez pour Bedel ne pour Sergien. Vous pouvez recueillir par cela en quelle opinion de grandeur fut de toute ancienneté le Recteur, auquel on commit gardes pres de luy, portans non seulement Masses, ains Masses d' argent, affin de faire paroistre à tous quelle estoit son authorité. Et combien que par le long laps de temps nous ayons mis aucunement en oubly le respect que l' on portoit à cette venerable ancienneté, si est-ce que quand il est question de faire remonstrances au Roy, ou à la Cour de Parlement pour l' Université, le Recteur va tousjours en cette posture. Se trouve si bon luy semble en tous les actes publics des quatre Facultez, & s' y trouvant a le dessus de tous les Prelats qui s' y rencontrent. S' il entre en un College en cette façon, Dieu sçait de quelle allegresse il est bien venu par tout le menu peuple des Escoliers, & avecques quelles acclamations on l' accueille d' un Vivat, tesmoignage de l' honneur, & respect qu' ils luy portent combat ainsi qu' un vaillant Hercule, les monstres qui se veulent heurter contre l' Université. Comme aussi doibt il avoir l' œil perpetuellement, Ne quid Respublica litteraria detrimenti accipiat. Et en cette consideration l' article septante de la reformation faicte par monsieur le President de Thou porte ces mots. Rector Universitatis primo mense sui Magistratus, cum quatuor censoribus, omnia Collegia semel saltem adeat, & diligenter lustret Praeceptorum, Magistrorum, Paedagogorum, et Scholasticorum querelas, si quae sint: audiat illos omneis, in officio contineat, illorum dissidia componat, et singulorum Collegiorum statuta, & haec ipsa decreta diligenter iubeat observare. Discipline qui procede d' une bien longue ancienneté. Car en telles affaires, & autres differens qui peuvent sourdre entre les suppos de l' Université pour leurs reglemens il a jurisdiction contentieuse sur eux, dont les sentences sortent leur plein & entier effect, sinon que celuy qui pense estre interessé en appelle, & releve son appel en la Cour de Parlement, & que par son arrest la sentence soit renversée. Et qui est le comble de sa grandeur, c' est que le Lendy tenu en la ville de sainct Denys, composé d' une infinité de marchands forains, ne s' ouvre qu' il n' ait esté beny par le Recteur le lendemain du jour & Feste de sainct Barnabé. Ouvrage vrayement d' un Evesque, auquel lieu il s' achemine en parade suivy des quatre Procureurs, & d' une infinité de Maistres és Arts, tous de cheval. Et apres avoir fourny à son devoir, il est gratifié par les Marchands d' un honoraire de cent escus, & comme l' ancienneté luy decerna tous ces honneurs, aussi luy bailla elle plusieurs grandes prerogatives en l' oeconomie, & menage de l' Université. C' est luy qui ouvre la porte à tous ceux qui veulent jouïr des Privileges d' Escoliers, par les lettres de Scholarité qu' il leur baille; luy qui fait les Scribes, Libraires, Parcheminiers, & Messagers du corps de l' Université, quand l' un d' eux est allé de vie à trespas; luy qui confere les benefices vacquans par mort qui sont affectez à la mesme Université, & a certains droits sur le parchemin apporté dedans Paris. Conclusion; l' Université recognoist en luy, non un Roy pour regner dessus ses subjects, ains un Recteur pour regner & gouverner ses suppos. Et entre le regner & regir il n' y a pas grande difference quand on s' acquite de son devoir. Car quant au Chancelier de l' Université il pare seulement de ce coup contre toutes ces grandeurs. Que le Recteur fait des Escoliers pour estudier (tout ainsi que le Capitaine des soldats, quand il les enrolle pour combatre) mais le Chancelier fait des Capitaines quand il baille le bonnet de Theologie, Decret, Medecine, & Arts, pour enseigner, & monter en chaire. Et à vray dire, il est ainsi appellé, par ce que comme nul ne peut exercer un estat Royal qu' il ne soit passé par les mains du grand Chancelier de France, & n' ait lettres de Chancellerie: pour cest effect aussi nul ne peut en l' Université monter és chaires pour lire & enseigner ce qui est de sa profession, s' il n' a premierement lettres seellées du Chancelier de l' Université, portans declaration de leurs Maistrises, licences & doctorande; & veux croire que c' a esté la cause pour laquelle il obtint anciennement le nom & titre de Chancelier, comme y ayant en sa charge une image du grand.

Encores adjousteray-je ce mot (qui ne sera comme je croy hors propos) qu' en toutes les commissions de Cour de Rome, pour le fait de l' Université, je voy l' adresse estre faite au Chancelier pour les mettre en execution, nulle au Recteur. Mais pour contr'eschange, aux affaires concernans l' Estat pendant les afflictions qui nous furent procurées en France, par les factions des Bourguignons & Orleannois, le Recteur y est employé en plusieurs lettres patentes, & outre plus fait part des Conseillers, és consultations publiques, comme un outil necessaire de la guerre, & de la paix, selon que l' opinion des Princes qui approchoient le Roy Charles VI. y estoient disposée.

Quant au surplus, je voy l' ordre de l' Université avoir esté entretenu par une proportion Arithmetique de quatre nations; de France, Normandie, Picardie, & Anglesche, quatre Procureurs de ces nations pour estre assesseurs du Recteur; quatre examinateurs choisis tant par le Chancelier de Paris, que de saincte Geneviefve, pour recognoistre la capacité de ceux qui se presentent à eux lors qu' ils veulent passer Maistres és Arts; quatre intrans; pour l' eslection du Recteur; quatre Facultez, de Theologie, Decret, Medecine, & Arts; quatre maisons publiques anciennement pour cest effect, l' Episcopale, les Escoles de Decret, & de Medecine, & pour les Arts, les Escoles de la ruë au fouërre, qui sont quatre en nombre, que je fais passer pour une, parce que sur elles les autres Facultez sont entées, mais tant y a qu' encores se rencontre en cette particularité le nombre de quatre.

9. 17. Autre plant des Escoles de l' Université de Paris.

Autre plant des Escoles de l' Université de Paris.

CHAPITRE XVII.

La discipline qui s' observa en ses pauvres Escoliers Boursiers qui estoient reclus, fut trouvee si bonne, que la plus part des peres & meres, envoyans leurs enfans à Paris pour estudier; les voulurent aussi loger dedans les Colleges pour eviter la desbauche: & cestuy est le septiesme mesnage de nostre Université. De là vint que les Colleges s' enflans d' Escoliers, on fut contraint d' y faire des Classes (mot dont Quintilian usa au premier Livre de ses Institutions Oratoires, au faict des jeunes Escoliers) & y avoir divers Precepteurs pour enseigner les enfans selon le plus ou le moins de leurs capacitez: Ceux-cy furent appellez Regens d' un mot emprunté du Concil general tenu dedans Rome en l' Eglise de sainct Jean de Latran sous le Pape Alexandre troisiesme. Où au Chapitre dix-huictiesme exhortant les Archevesques, & Evesques de nostre Eglise Gallicane (ainsi le trouverez vous en propres termes) on y adjouste. 

Ut quicunque viri litterati voluerint regere studia litterarum, & caetera. 

C' est à dire que les hommes doctes qui se voudroient regir & enseigner les bonnes lettres. De là nous avons non seulement appellez Regens ceux qui enseignoient la jeunesse en Humanité, & aux Arts: Mais aussi Docteurs Regens, en Decret, en Medecine, & aux Loix. Depuis cet ordre ainsi estably, parce que les Regens devoient estre passez Maistres és Arts, celuy auquel le fondateur du College avoit donné le nom de Maistre, pour avoir l' œil dessus tous ses Escoliers Boursiers, fut ores appellé Magister Paedagogus ores Principalis Paedagogus. Antiquité que vous recueillerez toute entiere d' un Article de la Reformation de Monsieur le Cardinal d' Estouteville sous le tiltre de Artistis. Item, Mandamus & praecipimus, ut quilibet Magister Paedagogus assumat sibi Regentes, & quoslibet submonitores, viros bonos, graves, & doctos, qui sint discipulis ad exemplum, & qui tales sint, ut pro merito suarum virtutum, & scientiae, revereantur à Scholaribus. Est enim metus, & reverentia nervus scholasticae disciplinae. Et ut tales apud se habeant, volumus eisdem Regentibus & submonitoribus, per Principales Paedagogos, de competenti salario, cum victu, provideri: Nec liceat quoquo modo Principali Paedagogo, aliquem in submonitorem accipere, à quo pensionem, vel quantamcumque summam pecuniae pro suo victu, cum labore docendi exigat, aut recipiat. Nec enim facilè est putandus idoneus, qui non suae industriae mercedem expetit, sed ipse sui laboris solvit usuram. Quod si quis reperiatur qui pro docendo, vel regendo quicquam dederit, à Regentia, & omni honore facultatis arceatur. 

Je vous ay voulu representer le passage, non seulement en consideration des mots dont je parle: Mais beaucoup plus pour la prudence qui se trouve en cet article, & en quelque autre ensuivant: Item circa praedictos Paedagogos, & domorum Principales Ministros &c. 

& tout d' une suite, Quia ex bonorum virorum relatione comperimus, nonnullos Magistros Regentes in Artium Facultate, ab antiquo more legendi, & regendi, &c. De tous lesquels passages vous apprenez que les Souverains des Colleges estoient appellez Magistri Paedagogi, aut Principales Paedagogi, & ceux qui sous eux enseignoient les enfans aux Classes, tantost Regentes, tantost Submonitores. Et comme le temps seul donne la vogue aux paroles, aussi est seulement demeuré le mot de Regent, & au principal gouverneur celuy de Principal seulement. Et ainsi que les affaires des Colleges vont, il y a trois sortes de Maistres: Le 

superintendant de tous les autres que nous appellons Principal, les Regens qui enseignent aux Classes, & les autres qui sans faire lectures publiques tiennent chambres à loüage du Principal, que l' on nomme Pedagogues, parce qu' ils ont la charge & gouvernement sur quelques enfans de Maison. De ces Escoliers nous appellons pensionnaires ceux qui sont à la pension du Principal, & Cameristes les autres qui sont nourris par leurs Pedagogues. Outre ceux-là il y a encore des Escoliers qui demeurent en ville hors les Colleges, qui vont ouïr les leçons d' uns & autres Regens selon que l' opinion leur en prend, ou aux Maistres qui les gouvernent. Les jeunes appellez Martinets, par nous, & les autres du nom de Galoches. Recherche vrayement plus curieuse qu' utile; non toutesfois à negliger quand vous entendrez que cette police ne fut pas jettee en moule, ny tout d' un coup par l' Université, ains petit à petit jusques à nous. Bien vous diray-je qu' elle estoit en usage dés le temps du Roy Charles V. comme nous apprenons par les Statuts du College des Dormans fondé par son Chancelier, dont l' un des articles estoit tel. Que tous Escoliers forains pourront aller estudier en ce College, à la charge que chacun d' eux payera par chacun an la somme de 4. sols Parisis pour le profit & entretenement du College. Ny pour cela n' estoient lors, ny assez long temps apres discontinuees les leçons que l' on faisoit aux grandes Escoles de la ruë au Fouërre, singulierement en la Philosophie, pour y passer les Maistres és Arts. Mais comme les leçons en Humanité se fussent peu à peu plantees dedans les Colleges, aussi firent le semblable celles de la Philosophie. Chose dont le Cardinal d' Estouteville en la reformation de nostre Université se plaignoit comme je vous ay cy-dessus monstré: ne nous estant rien resté de cette longue ancienneté, sinon que l' on y donne encore le bonnet de Maistrise aux Arts. Qui estoit la closture ancienne de la Philosophie en laquelle on y avoit estudié.

Et est advenu en l' oeconomie de ces Colleges ce qui advient ordinairement aux Blancques, esquelles les Benefices ne tombent souvent aux gens de merite. Ainsi veirent nos predecesseurs des Colleges s' estre advantagez avec le temps en reputation, ores que leurs Statuts originaires fussent foibles, & les autres estre demeurez en friche, bien qu' ils fussent fondez en plusieurs beaux & notables Statuts. De quelle marque sont les Colleges de Laon, Maistre Gervais, S. Michel, Boissy, & entre ces quatre celuy de Maistre Gervais. Je vous ay dit que le College de Sorbonne, est le premier & plus ancien de tous, lequel commença d' ouvrir sa porte dés l' an 1253. & le dernier est celuy des Grassins fondé l' an 1569. par Maistre Pierre Grassin Conseiller au Parlement de Paris. Cela s' appelle trois cens seize ans de l' un à l' autre.