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dimanche 9 juillet 2023

6. 18. Traict memorable de Chevalerie, courtoisie, & liberalité du Chevalier Bayard.

Traict memorable de Chevalerie, courtoisie, & liberalité du Chevalier Bayard.

CHAPITRE XVIII.

Apres avoir mis quelques discours des bonnes lettres sur le mestier, il ne sera hors de propos si pour contr'eschange, je donne icy lieu aux armes. J' ay au Chapitre precedent discouru sur la vie de Pierre Abelard, extraict d' une noble famille de Bretagne: Je vous representeray maintenant un Pierre de Bayard Gentil-homme du Dauphiné: Tous deux parangons, celuy-là aux bonnes lettres, cestuy-cy au faict des armes. Le premier sçavant & superlatif dessus les sçavans, d' un esprit bizarre, irrequiet, & presomptueux: Qui luy fit encourir plusieurs censures & reprimendes de ses superieurs. Le second vaillant dessus les vaillans, mais d' un esprit modeste, calme, & bien reiglé: Qui le feit aymer des grands, & honorer des petits: & par mesme moyen rapporter le tiltre de Bon Chevalier sans peur & sans reproche. Son trisayeul mourut aux pieds du Roy Jean à la journee de Poictiers, son bisayeul en celle d' Azincour sous Charles VI. son ayeul en la bataille de Mohtlehery, & son pere griefvement blessé en celle de Guinegaste. Belle production certes d' une Genealogie, pour rendre recommandable le Gentil-homme dont je parle, & neantmoins peu de chose, si la recommandation principale ne provenoit de son propre fonds. Toutes les loüanges que nous mandions de nos ancestres sont pauvres, quand nous manquons a nous mesmes. Jamais ne fut guerrier en son tout, accomply de tant de bonnes parties que luy. Les uns se trouvent accompagnez de proüesse, mais en eux quelques-fois defaut, ou le lignage, ou la prudence. Et ores que les deux s' y rencontrent, toutes-fois le mestier de la guerre engendre souvent le mespris de Dieu, & des hommes, en ceux qui pensent estre quelque outrepasse sur leurs compagnons. J' adjouste que pour se mettre plus aisément sur la monstre, ils logent avecques l' ambition d' honneur, souventes-fois l' avarice, aux despens du pauvre peuple, & tout d' une suitte, tantost la cruauté, tantost la paillardise selon les occasions. Tous vices esloignez de nostre bon Chevalier, qui n' avoit autre impression en son ame, premierement que l' honneur de Dieu, puis le service de son Roy, pour la deffence de sa Couronne. Liberal & courtois le possible, rendant aux Dames tel devoir que l' on peut desirer d' un preux Chevalier, & jeu sans vilenie. En toutes les escarmouches se trouvant tousjours à la pointe, pour faire teste à l' ennemy, & aux retraites le dernier, pour servir d' espaule aux siens: N' oubliant un seul point de bien obeïr à ceux qui avoient puissance de commandement sur luy, ny de bien commander, aux gendarmes qui estoient sous sa charge: Sage en ses advis aux deliberations de la guerre: Magnanime & prompt à la main aux executions: Magnanimité ordinairement suivie d' un heureux succez. Aimé non seulement des nostres, mais aussi de nos ennemis qui le redoutoient. Il poussa pied à pied sa fortune, premierement gendarme de la compagnie du Comte de Ligny, puis guidon, en apres chef d' une compagnie de gendarmes: & finalement Lieutenant de Roy. Servit trois Roys, Charles VIII. Louys XII. François I. Et singulierement ce dernier pour les paradoxes vertus qu' il recogneut en luy, le choisit pour recevoir l' Ordre de Chevalerie par ses mains. Plus belle closture ne pouvoit estre de son histoire que celle-là. Je n' ay pas icy entrepris de vous pourtraire tout au long sa vie, qui fut escrite d' une plume hardie en l' an 1527. par homme qui ne se voulut nommer, ains me contenteray de vous en refraischir par ce chapitre, la memoire, que je voy presque ensevelie par l' ingratitude des ans.

Pendant les guerres que nous eusmes sous le Roy Louys XII. en Italie contre les Venitiens, c' estoit un vray jeu de barres: tantost les villes prises par les uns, puis par les autres reprises. Entr'autres, la ville de Bresse estant retombée és mains des Venitiens, le Duc de Nemours Lieutenant general du Roy en la Lombardie, mit toute son entente à la remettre és mains de son Maistre, & y ayant mis le siege, comme il fallut aller à l' assaut, il avoit esté advisé par le conseil des Capitaines, que le Seigneur de Molart avecques ses gens de pied conduiroit la premiere pointe: Mais ayant chacun opiné, Bayard prit la parole, & dit au Duc de Nemours. Monseigneur sauf vostre reverence, & de tous Messeigneurs, il me semble qu' il faut faire une chose dont nous ne parlons. Interrogé par le Seigneur de Nemours que c' estoit. C' est, dit-il, que vous envoyez Monsieur de Molart faire la premiere pointe. De luy je suis asseuré qu' il ne rebouchera pas, ny beaucoup de gens de bien qu' il a avecques luy. Mais si les ennemis ont gens bien aguerris avecques eux, sçachez qu' ils les mettront à la pointe, & pareillement leurs harquebuziers: Or en telles affaires il ne faut jamais reculer: & si d' aventure ils repoussoient les nostres, & qu' ils ne fussent soustenus par la gendarmerie, il en pourroit sourdre un grand desordre. Parquoy je suis d' advis qu' avecques Monsieur de Molart on mette cent, ou cent cinquante hommes d' armes, lesquels seront pour beaucoup mieux soustenir le faix, que les gens de pied qui sont armez à la legere. Lors dit le Duc de Nemours. Vous dites vray, Monsieur de Bayard, mais qui est le Capitaine qui se voudra hazarder à la mercy de leurs haquebuttes? Ce sera moy s' il vous plaist (respondit Bayard) & croyez que la Compagnie dont j' ay la charge, sera aujourd'huy tel service au Roy & à vous, qu' aurez sujet & matiere de vous en contenter. Quand il eut ainsi parlé, tous les Capitaines se regarderent l' un l' autre grandement estonnez de cette offre si perilleuse. Toutes-fois ayant demandé la charge, elle luy demeura: Le Capitaine de Molart & ses gens vont à l' assaut, & sur les aisles estoit Bayard avecques les siens à pied tous gens de choix & eslite: car la plus part de ses gendarmes avoient esté, ou Capitaines en chef, ou des principaux membres des Compagnies: mais ils aimerent mieux apres, estre de sa compagnie que de commander, tant ils honoroient ses vertus. A bien assailly, bien deffendu: Et se jetta Bayard d' une telle furie, qu' il entra le premier, & passa le rampart, & apres luy plus de mille soldats. De sorte qu' ils gaignerent le premier fort. Mais cette hardiesse luy fut cher venduë. Car il receut un coup de picque dedans le haut de la cuisse, qui entra si avant que le bout rompit, & demeura le fer, & un bout du fust dedans. Bien pensoit-il estre blessé à mort: Au moyen dequoy il dit à Molart. Compagnon faites marcher vos gens, la ville est gaignee, de moy, je ne sçavrois tirer outre, car je suis mort. Le sang luy ruisseloit en grande abondance, lequel luy fut estanché par deux de ses archers, avecques leurs chemises qu' ils deschirerent, & en la premiere maison qu' ils trouverent desmonterent un huis, sur lequel ils le chargerent, & le plus doucement qu' ils peurent, avecques l' aide de quelques autres le porterent en une maison plus apparente qu' ils virent là à l' entour. C' estoit le logis d' un fort riche Gentil-homme, qui s' en estoit fuy en un Monastere: & sa femme estoit demeurée au logis, avecques deux belles filles qu' elle avoit, lesquelles s' estoient cachées en un grenier sous du foin. Quand on vint heurter à la porte, la Damoiselle resoluë d' attendre la misericorde de Dieu: voyant ce Chevalier que l' on portoit ainsi blecé luy ouvrit elle mesme la porte, laquelle il fit aussi tost refermer, & y mit les deux archers, leur disant: Gardez sur vostre vie, que personne n' entre ceans, si ce ne sont de mes gens. Je suis asseuré que quand on sçavra que c' est mon logis, nul ne s' efforcera d' y entrer. Et d' autant que pour me secourir, je suis cause que faillez à gaigner quelque chose, ne vous souciez, vous n' y perdrez rien, & je vous recompenseray d' ailleurs. Les Archers firent son commandement: Et il fut porté en une fort belle chambre où la Damoiselle le conduisit. Puis se jettant à genoux devant luy, parla en cette maniere, rapportant son langage au François. Noble Seigneur je vous presente cette maison, & tout ce qui est dedans: Car je sçay bien qu' elle est vostre, par le devoir de la guerre: mais je supplie tres-humblement vostre Seigneurie, qu' il vous plaise me sauver l' honneur & la vie, & de deux jeunes filles que mon mary & moy avons, qui sont prestes à marier. Bayard que je vous ay figuré pour miroüer de Chevalerie & d' honneur, luy respondit. Madamoiselle je ne sçay, si je pourray eschapper de ma playe. Mais tant que l' ame me battra au corps, à vous, ny à vos filles ne sera faict desplaisir, non plus qu' à moy: gardez les seulement en vos chambres, & donnez ordre qu' elles ne soient veuës: Il n' y a homme en ma maison qui s' ingere d' entrer en lieu, que ne vueillez, vous asseurant au demeurant qu' avez en moy un Gentil-homme qui non seulement ne vous pillera, mais vous fera toute la courtoisie qu' il pourra. Quand la bonne Damoiselle l' ouyt en cette façon parler, elle fut toute asseurée. Je vous laisse à part avecques quelle fureur fut prise la ville de Bresse, non seulement sous l' esperance du pillage, mais aussi pour le regret de la perte de nostre grand Achilles, chacun estimant que le bon Chevalier Bayard fust mort: Cela n' est point de mon suject. Je me contenteray de vous dire, que la Damoiselle fit venir un bon Chirurgien sien voisin qui visita la playe de Bayard grande & profonde, toutes-fois l' asseura qu' il estoit hors du danger de mort. Au second appareil le vint trouver le Chirurgien du Duc de Nemours qui le pensa, & en fit tres-bien son devoir: & quelques jours apres fit retourner en sa maison son hoste: Auquel il dit qu' il ne se donnast point de melancholie, n' ayant chez luy logé que de ses amis. Le Duc le venoit souvent visiter pour le consoler: & sur la rencontre de divers propos, luy raconta entr'autres choses, le desir que le Roy Louys douziesme son oncle avoit que pour l' asseurer du Milanois, on exterminast tout à fait l' Espagnol de la Lombardie. Et que la conclusion de ses lettres estoit d' une bataille: A laquelle le Duc s' estoit resolu par l' avis general de tous ses Capitaines, & souvent disoit à Bayard. Monsieur de Bayard mon amy, pensez de vous guerir: car je sçay bien qu' il faudra que donnions une bataille aux Espagnols entre cy & un mois, & si ainsi estoit, j' aymerois mieux avoir perdu tout mon bien que n' y fussiez, tant j' ay grande fiance en vous. Bayard respondit: Croyez Monseigneur que s' il est ainsi qu' il y ait bataille, tant pour le service du Roy mon Maistre, que pour l' amour de vous, & pour mon honneur qui va devant, je m' y ferois plustost porter en littiere que je n' y fusse. Le Duc luy fit plusieurs presens, selon sa puissance, & pour un jour luy envoya cinq cens escus, que Bayard donna aux deux Archers, qui estoient demeurez avecques luy quand il fut blecé, & apres avoir donné ordre aux affaires de la ville s' en partit en bonne deliberation d' accomplir le commandement du Roy qui luy estoit faict pour mettre fin à la guerre. Cette resolution fit une autre playe en l' esprit de Bayard, non moindre que celle du corps, craignant que pour l' incommodité de sa personne il ne peust estre de la partie. Luy venant chacun jour nouvelles du camp des François comment ils approchoient les Espagnols. Il avoit gardé cinq semaines le lit sans en partir: Mais sur ces nouvelles, il se fit lever pour sonder ses forces, & se promena quelque peu par la chambre. Et combien qu' il se trouvast foible, toutes-fois le grand cœur qu' il avoit ne luy donnoit le loisir d' y songer. Il envoya querir le Chirurgien qui le pensoit, & luy dit. Mon amy je vous prie me dire, s' il y a point de danger de me mettre en chemin, il me semble que je suis guery, ou peu s' en faut, & vous promets ma foy qu' à mon jugement, le demeurer d' oresnavant me pourra plus nuire qu' amander: Car je me fasche merveilleusement. Ses serviteurs avoient ja dict au Chirurgien le grand desir dont il brusloit d' estre à la bataille, & que tous les jours il ne regrettoit autre chose que de ne s' y trouver: Parquoy pour contenter aucunement son opinion, joinct l' estat de son mal, luy dit en son langage. Monsieur vostre playe n' est pas encores clause, toutes-fois par dedans elle est toute guerie. Vostre barbier vous verra habiller encore ceste fois, & mais que tous les jours au matin & au soir, il y mette une petite tente & une emplastre dont je luy bailleray l' oignement, il ne vous empirera point, & si n' y a nul danger: Car le grand mal de la playe est au dessus, & ne touchera à la selle de vostre cheval. Qui eust donné un Royaume à Bayard il n' eust pas esté plus content. Son Chirurgien fut plus que bien contenté, & se delibera de partir dans deux jours, commandant à ses gens que pendant ce temps ils meissent en ordre tout son cas.

La beauté de ce conte est, que son hostesse qui se tenoit tousjours sa prisonniere, comme aussi son mary & ses enfans, & que leurs biens meubles estoient siens (car ainsi en avoient faict les François aux autres maisons, comme elle sçavoit bien) eut plusieurs imaginations, estimant que si son hoste les vouloit traiter à la rigueur il tireroit d' eux à son partement plus de dix ou douze mille escus, eu esgard à la grandeur de leur bien & revenu, se delibera de luy faire quelque honneste present, se promettant, veu ses honnestes deportemens, & la gentillesse de son cœur, qu' il s' en contenteroit. Le matin dont le Chevalier devoit desloger l' apresdiner, la Damoiselle avecques un sien serviteur portant une petite boëtte d' acier, entra en sa chambre, où elle trouva qu' il se reposoit en une chaire, apres s' estre fort proumené, pour tousjours peu à peu essayer sa jambe, elle se jetta à deux genoux, mais incontinent il la releva, & ne voulut jamais souffrir qu' elle dit une parole, que premier ne fust assise aupres de luy, & puis commença son propos en cette maniere. Monseigneur, la grace que Dieu me fit à la prise de cette ville, de vous adresser en cette vostre maison, ne me fut pas moindre, que d' avoir sauvé la vie à mon mary, la mienne, & de mes deux filles, avecques ce qu' elles doivent avoir plus cher, qui est leur honneur. Davantage depuis qu' y arrivastes ne m' a esté fait, ny au moindre de mes gens une seule injure, mais toute courtoisie, & n' ont pris vos gens, des biens qu' ils y ont trouvez, la valeur d' un seul denier sans payer. Monseigneur, je suis assez advertie, que mon mary, moy, mes enfans, & tous ceux de la maison sommes vos prisonniers, pour en faire & disposer à vostre bon plaisir, ensemble des biens qui sont ceans. Mais cognoissant la noblesse de vostre cœur, à qui nul autre ne pourroit attaindre, suis venuë pour vous supplier tres-humblement qu' il vous plaise avoir pitié de nous, en eslargissant vostre accoustumee liberalité. Voicy un petit present que nous vous faisons: il vous plaira le prendre à gré. Alors prit la boëtte que ce serviteur portoit, & l' ouvrit devant le Chevalier qui la veit peline de beaux ducats. Mais luy qui d' un cœur genereux n' avoit jamais fait conte d' argent, se prit à rire, puis luy dit: Madamoiselle, combien y a-il de ducats en cette boëtte? La pauvre femme ayant peur qu' il fust courroucé d' en voir si peu, luy dit. Monseigneur, il n' y en a que deux mille cinq cens: mais si vous n' estes content, nous en trouverons plus largement. Alors il dit. Par ma foy, Madamoiselle, quand me donneriez cent mille escus, vous ne m' auriez pas tant faict de bien, que de la bonne chere que j' ay euë-ceans, & de la bonne visitation que m' avez faicte. Vous asseurant qu' en quelque lieu que je me trouve, aurez tant que Dieu me donnera vie, un Gentil-homme à vostre commandement. De vos ducats je n' en veux point, & vous remercie, reprenez-les. J' ay toute ma vie plus aimé les personnes que les escus, & ne pensez que je ne m' en aille aussi content de vous, que si cette ville estoit en vostre disposition, & me l' eussiez donnee. La bonne Damoiselle fut bien estonnee de se voir esconduite: Si se remit encores à genoux, mais gueres ne l' y laissa le bon Chevalier: & relevee qu' elle fut, luy dit. Monseigneur, je me sentirois à jamais la plus mal-heureuse femme du monde, si n' emportiez le peu de present que je vous fais, qui n' est rien au prix de la courtoisie que m' avez cy-devant faicte, & faictes encores de present par vostre grande bonté. Quand le Chevalier la vit ainsi ferme, & opiniastre en sa liberalité luy dit. Bien doncques Madamoiselle, je le prends pour l' amour de vous, mais allez moy querir vos deux filles: car je leur veux dire adieu. La pauvre femme qui cuidoit estre en Paradis de ce que son present avoit esté en fin accepté, alla querir ses filles, lesquelles estoient belles, bonnes, & bien enseignees, & avoient beaucoup donné de passe-temps au Chevalier durant sa maladie:

Parce qu' elles sçavoient fort bien chanter, joüer du lut, & de l' espinette. Si furent amenees devant luy, lequel pendant qu' elles s' accoustroient avoit faict mettre les ducats en trois parties, és deux, à chacune mil ducats, & à l' autre cinq cens. Elles arrivées se jettent à genoux, mais incontinent furent relevées: Puis la plus aisnée des deux commença de dire. Monseigneur, ces deux pauvres filles, ausquelles avez tant faict d' honneur que de les garder de toute injure, viennent prendre congé de vous, en remerciant tres-humblement vostre Seigneurie, de la grace qu' elles ont receuë, dont à jamais (pour n' avoir autre puissance) seront tenuës de prier Dieu pour vous. Le Chevalier quasi larmoyant, en voyant tant de douceur & d' humilité en ces deux belles filles, respondit: Mes Damoiselles vous faictes ce que je deurois faire, c' est de vous remercier de la bonne compagnie que m' avez faicte, dont je me sens fort vostre obligé. Vous sçavez que gens de guerre ne sont pas volontiers chargez de belles besongnes pour presenter aux Dames. De ma part il me desplaist grandement, que je n' en suis bien garny, pour vous en faire present. Madamoiselle vostre mere m' a donné deux mille cinq cens ducats, que voyez sur cette table. Je vous en donne à chacune mille pour ayder à vous marier: & pour ma recompense, vous prierez s' il vous piaist Dieu pour moy, autre chose je ne vous demande. Si leur meit les ducats en leurs tabliers voulussent ou non, puis s' addressa à la mere à laquelle il dict. Madamoiselle je prendray ces cinq cens ducats à mon profit, pour les departir aux pauvres Religions des Dames qui ont esté pillées, & vous en donne la charge: car mieux entendez où sera la necessité que toute autre, & sur cela je prends congé de vous, & leur toucha en la main à la mode d' Italie, lesquelles se meirent à genoux, plorans si tres-fort qu' il sembloit qu' on les voulust mener à la mort. Lors dit la mere, fleur de Chevalerie, à qui nul ne se doit comparer, le benoist Sauveur & Redempteur Jesus-Christ qui souffrit mort & passion pour tous les pecheurs, le vous vueille remunerer en ce monde, & en l' autre. Apres se retirerent en leurs chambres. Il fut temps de disner. Le Chevalier feit appeller son Maistre d' hostel, auquel il commanda que tout fust prest pour monter à cheval sur le midy. Le Gentil-homme du logis qui ja avoit entendu par sa femme la grande courtoisie de son hoste vint en sa chambre, & le genoüil en terre le remercia cent mille fois, en luy offrant sa personne & tous ses biens, desquels il pourroit disposer comme siens. Chose dont le Chevalier le remercia, & le feit disner avecques luy. Et apres ne demeura gueres qu' il ne demandast ses chevaux, tant luy tardoit qu' il n' estoit avecques sa compagnie par luy tant desiree, ayant belle peur que la bataille se donnast avant qu' il y fust. Ainsi qu' il sortoit de la chambre pour monter, les deux belles filles descendirent, & luy feirent chacune un present qu' elles avoient ouvré pendant sa maladie. L' un estoit de deux bracelets faicts de cheveux, d' or & d' argent tant proprement que merveilles: L' autre estoit une bourse sur satin cramoisy ouvrée subtilement. Grandement les remercia, & leur dit que les deux presens venoient de si bonnes mains, qu' il les estimoit hors de prix: & pour plus les honorer se feit mettre les bracelets aux bras, & meit la bourse en sa manche, avecques promesse que tant qu' ils dureroient il les porteroit pour l' amour d' elles. Sur ces paroles monta à cheval & vint trouver le Duc de Nemours qui l' attendoit avecques bonne devotion, & certes je ne pense point que l' on puisse representer Histoire diversifiée de tant de belles fleurs, comme cette-cy: & pour dire en un mot, de ce seul exemple vous pouvez recueillir quel fut le demeurant de sa vie.

dimanche 13 août 2023

9. 42. Fiertre de sainct Romain de Rouen & de son ancien Privilege. // Fin du Neufiesme Livre des Recherches.

Fiertre de sainct Romain de Rouen & de son ancien Privilege.

CHAPITRE XLII.

La rencontre qu' il y a entre la Religion & les lettres, ayans l' une & l' autre pour leurs instrumens, la langue, & la plume pour les enseigner, fait qu' apres avoir discouru sur le fait des Universitez par ce livre, je vueille maintenant voüer ce dernier Chapitre à la fiertre sainct Romain de Rouen, & à son Privilege. Histoire vrayement admirable & unique en son espece, & qui pour cette cause merite d' estre recognuë de tous, mesmement en cette France.

Mandez moy je vous prie (disois-je escrivant au sieur de Tibermeuil President au Parlement de Rouen) dont procede le Privilege de vostre fiertre sainct Romain: & quelle en a esté l' ancienneté & continuation, ne me pouvant bonnement resoudre comme il se peut faire qu' un si homme de bien que luy produise un effect contraire à sa saincteté, je veux dire que sa saincteté soit comme une franchise des meurtres les plus detestables. S' il vous plaist me mander comme cela est arrivé en vostre ville, & l' ordre que vous y tenez, j' en feray un embleme en quelque endroict de mes Recherches. Mon mal-heur voulut que ce mien amy prevenu de mort ne me fit response. Mais maintenant j' en suis esclaircy. Qui fait que je vous en veux faire part.

Pendant les troubles derniers nous eusmes le Seigneur de Hallot de la maison de Montmorency, brave Cavalier le possible, & singulierement du tout voué au service du Roy, qui conserva plusieurs villes de la Normandie soubs son obeïssance. Et pour cette cause obtint de luy la qualité de Lieutenant general en ce pays, non par forme de gratification & faveur, ains pour son merite. Nous eusmes aussi lors le seigneur d' Alegre extraict d' une tres-noble & ancienne famille, qui possedoit plusieurs grands biens & seigneuries en la Normandie, & ne s' estoit distrait de l' obeissance du Roy. La fortune de guerre voulut que Hallot ayant esté grandement blecé au siege de Rouen, se retire en la ville de Vernon pour y estre pensé de ses playes, en laquelle il commandoit. D' Alegre accompagné de treize chevaux entre en la ville, & le lendemain matin faisant contenance de le vouloir visiter demande s' il luy permettoit de monter à sa Chambre. Hallot tres-malaisé de sa personne, ne le veut permettre, ains soustenu de ses potences, avecques une courtoisie admirable, descend au moins mal qu' il peut de sa Chambre, & comme il le pensoit accueillir il est salüé par d' Alegre & les siens de plusieurs coups de poignards & d' espée, dont il rendit l' ame sur le champ à Dieu. De vous dire que ce coup fut fait pour inimitié particuliere qui estoit conceuë entre eux, si ainsi eust esté, Hallot sage seigneur & accort n' eust fait si bon marché de sa personne. D' estimer aussi que ce fut en intention de s' emparer de la place, l' evenement monstra le contraire. Ceux qui pensent mieux approfondir ce fait, disent que c' estoit une jalouzie que l' autre couvroit dedans sa poitrine. Et moy je l' impute au mal heur que l' un & l' autre ne pouvoient eviter; l' un par sa mort inopinee, l' autre par sa miserable ruine, dedans laquelle il a esté depuis plongé menant une vie beaucoup plus penible que dix mille morts. Dés l' instant mesme du meurtre, d' Alegre sort de la ville & se retire en l' une de ses maisons. Mais quelques jours apres voyant que ce ne luy estoit lieu d' asseurance, il se retire vers la Ligue, où il trouva quelque respit de sa peur. Toutesfois combatu d' un remords de sa conscience, qui jour & nuit luy faisoit son procez, il s' advise d' employer à son affaire le Privilege de la fiertre de sainct Romain, mais encores avecques un conseil plain de crainte. Car il se donna bien garde d' entrer en la prison, ains fit joüer ce rollet à un jeune Gentil-homme nommé Pehu seigneur de la Mote, qui luy avoit esté Page. Cettuy leve & porte la fiertre le jour de l' Ascension 1593 par le choix que le Chapitre fait de luy entre tous les prisonniers pour l' enormitié du delit. Et par mesme moyen luy d' Alegre, & tous les complices sont par Arrest du Parlement absous de cest execrable assassinat. Deslors la Dame de Hallot & sa fille ont recours au Roy, qui par Arrest donné en son Conseil declare l' assassinat commis en la personne du sieur de Hallot, estre crime de leze Majesté, & ne pouvoir estre compris sous le Privilege de la fiertre. Arrest suivy d' un autre rendu au Parlement de Rouen seant à Caen, portant pareille declaration le dixneufiesme Janvier 1594. & le sieur d' Alegre condamné en si grandes reparations, que tous ses biens n' estoient suffisans d' y fournir, si vous en croyez la commune renommée.

Nos troubles estans depuis rappaisez, advient que les deux Dames, mere & fille, ayans eu advis que Pehu estoit en la ville de Paris (ores qu' il se pensast targer de quelques grands seigneurs) donnent si bon ordre à leur fait qu' ils le firent coffrer és prisons du grand Chastelet. La cognoissance de leur different est renvoyée par le Roy à son grand Conseil. Adoncques Pehu obtient lettres d' abolition. Et combien que devant le Chapitre de Rouen, il se fust rendu infiniment coulpable, pour se rendre plus capable du Privilege de la fiertre, toutesfois par ses nouvelles lettres, il change de note, articule faits nouveaux, & couche de minima. Ces lettres par luy presentées au Conseil, pour n' obmettre rien en sa cause qui peust servir à la conservation de sa vie, les seigneurs qui luy servoient de parreins moyennerent, que Monsieur le Cardinal de Joyeuse Archevesque de Rouen, & les Doyen, Chanoines, & Chapitre presenterent leur Requeste, affin d' estre receus parties, pour la defense de leur Privilege. Grande cause certes, qui fut diversement bien soustenuë par quatre braves Advocats. Un Cerisay pour Pehu, Monstrueil pour le Chapitre, Boutillier pour les deux Dames, & Monsieur Foulé Advocat du Roy, pour Monsieur le Procureur general. Et Dieu sçait si ce fut à beau jeu, beau retour. Cerizay pallia son faict avec plusieurs belles dexteritez d' esprit & d' exemples. Monstrueil monstra que S. Romain Archevesque de Rouen sous le regne de Clotaire second; suivy d' un prisonnier condamné à mort, ayant avecques son estole dompté un Dragon, (qui depuis fut appellé Gargoüille) sainct Ouin son successeur en commemoration de ce grand ouvrage obtint du Roy Dagobert fils de Clotaire, que les Doyen, Chanoines, & Chapitre de l' Eglise de Rouen, pourroient tous les ans elargir des prisons de la ville le plus sceleré & meschant qu' il s' y trouveroit, & apres avoir discouru tout au long l' une & l' autre ancienneté, s' armant d' une grande hardiesse: Nostre Privilege (dit-il) a pour son fondement la saincteté, pour son establissement l' Antiquité, pour son entretenement la possession tesmoignée par les arrests du Parlement de Rouen, & outre ce n' est sans exemple & sans raison. Et en un autre endroit ensuivant parlant du fait dont il s' agissoit. Je demeure d' accord que c' est un meschant acte, un assassinat, un guet à pens qu' on ne sçavroit assez blasmer. Mais aussi nostre Privilege n' est pour les fautes legeres, pour les cas remissibles, pour les delits communs; c' est un remede extraordinaire, une grace du Ciel, dont la grandeur n' esclate, sinon par l' opposition de l' enormité des crimes qui sont esteints & abolis par icelle. En somme vous apprenez par son plaidoyé, que plus le delit est damnable & irremissible, plus il trouve de recommandation & merite dedans le Privilege. Apres Monstrueil parla, Boutillier pour les deux Dames, faisant paroistre qu' il n' estoit apprenty, ains grand Maistre en sa profession d' Advocat, & avec une singuliere doctrine s' estendit en discours, pour monstrer, non que le miracle du Dragon Gargoüille, attribué à sainct Romain, n' eust peu estre fait, ny le Privilege octroyé par le Roy Dagobert: mais bien que du tout ils n' avoient esté faits, ny octroyez. En fin Monsieur l' Advocat Foulé se joignant avec luy, il seroit impossible de dire, combien en peu de paroles il dit beaucoup de belles choses. Les Advocats s' estans tous acquitez des leurs devoirs, il fut dit par arrest du vingt-deuxiesme Decembre 1607. qu' avant que faire droict sur les Requestes presentées par Pehu, & par le Chapitre, les tesmoins ouys, & examinez à la Requeste des deux Dames, seroient recolez & confrontez à Pehu, & à elles permis d' en produire d' autres dedans certain temps prefix. Le procez ayant eu toutes ses façons, s' ensuit Arrest du 16. Mars 1608. par lequel le Conseil ayant aucunement esgard aux lettres d' abolition pour les cas resultans du procez, bannit Pehu de la suite de la Cour dix lieuës à la ronde, pays de Normandie & Picardie, pour le temps & espace de neuf ans, luy enjoint de garder son ban à peine de la vie, pendant lequel temps il serviroit le Roy à ses despens en tel lieu qu' il luy plairoit. Et en outre le condamne en quinze cens liures de reparation envers les deux Dames, & quinze cens envers les pauvres, & encores en pareille somme appliquable à la discretion du Conseil, & aux despens.

Cest arrest ainsi prononcé, comme s' il eust fait quelque breche au Privilege de la fiertre, on fait sous le nom du Chapitre un livre portant sur le frontispice: Defense du Privilege de la fiertre de sainct Romain dans lequel l' autheur sans nom ne pardonne en aucune façon à la reputation de Boutillier, lequel voyant que ce n' estoit plus la cause des Dames de Hallot & de la Veronne, ains la sienne propre, aiguise sa plume & son esprit, & fait une ample & docte response. A la suite de laquelle Rigaut Advocat au Parlement de Paris, grandement nourry en l' ancienneté, expose en lumiere la vie de sainct Romain, extraite d' un vieux manuscrit Latin trouvé en la Bretagne, pour monstrer que le pretendu miracle estoit faux & supposé. Contre ces assaux d' honneur le Chapitre ne demeure muet. Car le sieur Behot grand Archidiacre escrit en langage Latin une Apologie contre Rigaut. Et un autre fait un livre contre la response de Boutillier sous le titre de refutation. N' ayant chacun d' eux en leur endroit rien laissé de reserve dedans leurs estudes, pour faire paroistre de leurs suffisances. Grande pitié certes que du miracle fait contre la Gargoüille, soit issu une nouvelle gargoüille; je veux dire un fascheux different & mauvais mesnage entre ces personnages d' honneur. Car ainsi voy-je souvent estre mis en usage ce mot de gargoüille. Je me donneray bien garde de vouloir juger de leurs coups. Et vitula tu dignus, & hic. Bien vous diray-je que si le mot de miracle en Latin est dit pour une chose qui engendre en nos ames des merveilles extraordinaires; je ne puis certes ne m' esmerveiller dont vient que Messieurs du Chapitre pretendans estre fondez en plusieurs grandes marques, pour tesmoigner l' ancienneté, tant du miracle que de leur privilege; toutesfois que ny Greg. de Tours, ny Beda, ny Isuard, ny Aimoïn, ny Adon de Vienne, ny Sigebert, ny Vincent l' Historial, ny Mathieu d' Westmonstier, ny Molanus, ny Demochares, ny le grand Cardinal Baronius, bref nul des Autheurs tant anciens que modernes, n' en ayent parlé par leurs livres, ores que les aucuns ayent fait une digne commemoration de sainct Romain, & que nul d' eux en leur general, n' ait esté avaricieux au recit des miracles des Saincts.

J' adjousteray que les Rituels mesmes de l' Eglise de Rouen, ny leur Breviaire n' en font aucune mention, dedans lequel toutesfois est fait un sommaire denombrement des miracles de S. Romain, & singulierement d' un auquel avant que de le faire luy apparut un dragon: mais nulle mention du dragon Gargoüille. Chose qui a esté le motif du different de Gargoüille qui est entre ces beaux esprits. Auquel si j' en suis creu, je dirois volontiers qu' il y a double regard: l' un du miracle, l' autre du privilege. Miracle qui a esté fait par la grace expresse de Dieu, prieres & intercession de S. Romain: privilege par l' octroy d' un Prince, par entremise de S. Oüin. Entant que touche le miracle, je seray tousjours d' avis qu' on ne doit sourciller contre la venerable ancienneté. Nous sommes enseignez par plusieurs doctes personnages Catholiques, qu' il y a beaucoup de miracles faux & supposez, ausquels il ne faut adjouster foy (ja à Dieu ne plaise que j' estime cestuy estre tel) & neantmoins pour les croire on ne l' impute à impieté, mais pour excuser ceste faute provenant de la simplicité d' une ame timoree, nos sages Theologiens disent que sans s' en informer d' avantage, il les faut pie credere; & nous autres rendans cette sentence Latine en nostre vulgaire François, avons dit, non croire piement ou pieusement; ains croire piteusement, comme si en cette creance il y avoit plus de pitié que de pieté. Mais quant au privilege qu' on dit avoir esté octroyé par nostre Roy Dagobert de le croire ou mescroire, il n' y va rien de nos consciences; sinon de tant que ne le croyant, le Chapitre de Rouen estime luy estre fait grand tort, qui a basty plusieurs ceremonies dedans son Eglise pour authoriser la foy de cette pretenduë histoire.

Or comme je suis grandement desireux de me rendre capable des anciennetez de nostre France, & recognoistre dedans mes Recherches ceux dont je les tiens en foy & hommage; aussi vous puis-je dire que de toutes ces doctes plumes j' ay recueilly l' antiquité du privilege de la Fiertre S. Romain, dont je vous veux faire part, pour m' acquiter de la promesse que j' avois faite au Seigneur de Tibermeuil, laquelle vous trouverez au 8. livre de mes lettres.

Vous entendrez doncques s' il vous plaist que les Doyen, Chanoines & Chapitre de l' Eglise de Rouen tiennent pour histoire tres-veritable, qu' ils ont apprise de main en main, de tout temps immemorial, que sous le regne de Clotaire II. il y eut un Dragon du depuis appellé Gargoüille, qui faisoit une infinité de maux és environs de la ville, aux hommes, femmes, petits enfans, ne pardonnant pas mesmes aux vaisseaux & navires qui estoient sur la riviere de Seine, lesquels il bouleversoit: Que S. Romain lors Archevesque de Rouen meu d' une charité tres-ardente, se meit en prieres & oraisons, & armé d' un surplis & estole, mais beaucoup plus de la foy & asseurance qu' il avoit en Dieu, ne doubta de s' acheminer en la caverne où cette hideuse beste faisoit son repaire: Qu' en ce grand & mysterieux exploit, avant que partir, il se fit deliurer par la Justice, un prisonnier condamné à mort, comme il estoit sur le poinct d' estre envoyé au gibet: Que là il dompta cette beste indomtable, luy meit son estole au col, & la baille à mener au prisonnier. A quoy elle devenuë douce, comme un agneau, obeït, jusques à ce que menee en laisse dedans la ville, elle fut arse & bruslee devant tout le peuple. Victoire dont Sainct Romain ne voulut rapporter autre trophee, que la pleine deliurance du prisonnier qui estoit condamné à mort, qui luy fut liberalement accordee. Mais Sainct Oüin son successeur (les Nonnains l' appellent S. Oüan) le voulant r'envier sur luy, pour immortalizer ce miracle, obtint du Roy Dagobert fils de Clotaire second, que de là en avant les Doyen, Chanoines & Chapitre pourroient tous les ans, au jour & Feste de l' Ascension faire congedier des prisons, celuy qui se trouveroit avoir commis le plus execrable crime, à la charge de lever, & porter la Fiertre & Chasse sainct Romain, en une procession solemnelle qui se feroit tous les ans. Auquel cas il obtiendroit une abolition generale, tant pour luy, que pour tous ses complices (voire pour le plus sceleré de la troupe) ores qu' ils ne fussent entrez aux prisons. Que ce privilege avoit esté continué de temps en temps jusques au regne du Roy Philippes Auguste, lequel ayant reüny à sa Couronne toute la Normandie, dont auparavant l' Anglois joüissoit, pour l' esclaircir de tout ce que dessus, decerna sa commission à Robert Archevesque de Rouen, & Guillaume de la Chappelle, Chastelain de l' Arche (c' est ce que depuis nous avons nommé Pont de l' Arche) qui firent appeller devant eux, le jour & Feste sainct Pierre & sainct Paul, en l' Eglise de sainct Oüan trois Ecclesiastiques, Henry Chantre, Raoul Archidiacre, Guillaume de Castenoy Chanoine, trois Gentils-hommes, Jean des Prez, Luc son fils, Robert de Fleches: trois Citoyens de la ville de Rouen, Jean Froissart, Laurent Turrelieu, & Jean Luce: Tous lesquels apres serment par eux fait, declarerent sur l' obscurité qui lors se presentoit, que du temps de Henry & Richard Roys d' Angleterre, & Ducs de Normandie, ils n' avoient jamais veu ce privilege revoqué en doubte: mesme que pendant l' an de la prison de Richard en Allemagne, n' ayant esté aucun prisonnier deliuré, soudain apres qu' il eut mainlevee de sa personne, on en deliura deux au Chapitre pour suppleer le defaut de la precedante annee.

L' Autheur de la refutation cotte depuis ce temps là plusieurs actes qu' il dit estre aux Archifs du Chapitre, dont il a fait estat confusement, que je vous representeray selon l' ordre des ans: Et neantmoins je tiens de luy ce que je diray. Une Chartre de l' an 1214. portant que l' an 1210. un Richard Gendarme recogneut qu' estant prisonnier és prisons de Rouen, pour un meurtre par luy commis, il en avoit esté deschargé par le Chapitre, suivant le privilege à luy octroyé de tout temps & ancienneté. Qu' en l' an 1299. le Chapitre ayant fait deffence à Maistre Pierre Simel Baillif de Rouen, & Maistre Geoffroy Avice Vicomte, de n' enlever aucun des prisonniers des prisons, ny condamner à mort aucun, auparavant l' Ascension, suivant la coustume; ce nonobstant le Baillif ne laissa de condamner à mort un nommé Robert d' Auberbo Gendarme, ensemble d' estre trainé avant que de mourir à la queuë d' un cheval. Qui donna occasion au Chapitre de se plaindre à Messieurs de l' Eschiquier, de la contravention faite à leur privilege par le Baillif: Et pour cet effect deputerent Maistres Rigaud Doyen, Philippes de Flavacour Thresorier, & plusieurs autres Chanoines. Apres la remonstrance desquels fut ordonné que le criminel seroit ramené aux prisons, qui lors estoit ja proche du gibet. Que comme l' an 1302. le mesme Simel Baillif de Rouen eut enlevé des prisons un criminel nommé Nicolas le Tonnelier, detenu pour un meurtre par luy commis, nonobstant les remonstrances à luy faites, & l' eut fait transporter aux prisons du Pont de l' Arche, & quelques prieres qu' on luy eust faites, ne le voulut restablir aux prisons de Rouen. Nonobstant ce refus le Chapitre ne laissa d' aller en procession à la vieille Tour, avec resolution de la laisser, jusques à ce que le Baillif eust ramené le prisonnier à Rouen. Tellement que la Chasse demeura là jusques au Samedy ensuivant, auquel le prisonnier fut representé. Et fut esleu ce mesme jour un nommé Guillaume de Montguerra. Actes que j' ay voulu copier, comme tres signalez. Le I. ayant sorty son effect, le prisonnier estant au gibet sur le point d' estre exposé au supplice. Le 2. pour monstrer que dés ce temps-là, soudain apres la sommation faite par le Chapitre aux Juges, il leur fermoit les mains. Comme vous voyez que le Baillif de Rouen fut contraint de reintegrer en ses prisons Nicolas Tonnelier criminel, qui ne fut toutesfois depuis esleu pour estre deliuré, ains Montguerra. Et n' est pas moindre cestuy de l' an 1327. que un nommé Pierre Dantueil apres le retour de son bannissement, ayant fait un meurtre, pour lequel il fut emprisonné au chasteau de Rouen, supposant qu' il s' appelloit Guillaume de Valles, arriva qu' interrogé par les deputez du Chapitre, il se nomma selon son vray nom: Et comme apres son eslection, les Chappelains le voulussent enlever du chasteau selon la ceremonie du jour, on leur eust fait response, qu' il n' y avoit aucun prisonnier portant le nom de Piere Dantueil. Nonobstant ce refus les Doyen, Chanoines & Chapitre ne laisserent de marcher en Procession, soustenans qu' ils n' en demandoient autre que celuy qu' ils avoient esleu, lequel leur fut en fin deliuré; auquel y avoit trois qualitez de delits concurrantes ensemble, infraction de bannissement, meurtre, & falsification de son nom: mais sur tous autres actes est cestuy tres-remarquable, par lequel on presuppose que sur la requeste presentee par le Chapitre, au Roy Charles huictiesme seant en son Eschiquier de Rouen apres Pasques, sur la manutention & entretenement de ce privilege. Apres que son Procureur general eut esté oüy, & declaré qu' il n' entendoit l' empescher, fut dit par la Cour qu' elle n' entendoit aussi le contredire, & de ce leur fut donné acte le 27. Avril 1485. pour leur servir ce que de raison. A la suite de cela le Roy Louys XII. par ses lettres patentes du mois de Novemb. 1512. narration faite de l' acte du Roy Charles VIII. cy-dessus mentionnee (non toutesfois de celuy du regne de Philippes Auguste) confirme ce privilege en tout & par tout selon sa forme & teneur. Et depuis sur les obstacles qui leur estoient faits de fois à autres par le Parlement de Rouen, encore obtindrent-ils autres lettres de confirmation de Henry II. en l' an 1537. & de Charles IX. l' an 1561. Que si j' ay quelque sentiment en cette Histoire; mon avis est que tout ainsi qu' on attribuë l' origine de ce privilege à deux grands Archevesques de Rouen, S. Romain, & S. Oüen, aussi veux-je croire que deux autres grands Archevesques luy donnerent depuis la plus grande vogue: George Cardinal d' Amboise, qui gouvernoit paisiblement le cœur & oreille de Louys XII. son Maistre, & Charles Prince du Sang, Cardinal de Bourbon, qui pendant la minorité de Charles IX. & de Henry III. son successeur, fit depuis son propre faict de ce privilege envers & contre tous. Non toutesfois sans murmure: car le docte Bodin sur le commencement du 10. livre de sa Republique ne s' en peut taire. Ce n' est pas à nous de juger des coups. Je veux avec toute humilité croire le miracle pour tres-veritable; tout ainsi que le Clergé de Rouen. Mais estant tel; le miracle n' est pas moindre que nul des anciens Autheurs ou modernes n' en ait fait aucune mention, ores que quelques uns ayent avec tout honneur solemnizé la memoire de ce grand sainct. J' adjousteray que non seulement ces Autheurs, mais qui plus est leur Rituel, & leur Breviaire, bien qu' ils discourent plusieurs miracles de luy; toutesfois ne parlent aucunement de cestuy. Chose vrayement merveilleuse: mais encore plus miraculeuse que nul n' en ayant parlé ou escrit, ce neantmoins leurs nonchalances, negligences, inadvertances, bref l' ingratitude des ans n' ayent peu ensevelir la memoire, ny du miracle, ny du privilege par luy produit, exhorbitant neantmoins du sens commun de la Justice: Parce que je puis dire, & en petille qui voudra, qu' en toute l' ancienneté vous n' en trouverez un semblable. Dispute toutesfois qui est maintenant vaine & frustratoire: D' autant que deffunct nostre grand Roy Henry IV. l' outrepasse de ses devanciers, tant au fait de guerre que de la paix, y a mis fin par son Edit fait en l' assemblee des trois Estats de Normandie l' an 1607. confirma ce privilege pour avoir lieu à perpetuité, fors toutesfois és crimes de leze Majesté divine & humaine, assassinat & guet-apen, rapt & violement de filles. Adjoustant que nul n' en peust joüyr sinon qu' il se rendist prisonnier. Et vrayment plus belle closture ne pouvoit advenir à ce grand privilege que celle de ce grand Roy. Qui me fait dire que tous les discours qui ont esté depuis faits pour & contre, sont non seulement oiseux; ains noiseux. Jamais plus belle loy ne fut que celle de l' Empereur Constantin: Consuetudinis ususve longaevi non vilis est authoritas, verum non eo valitura momento, ut legem vincat, vel rationem.

A la suite de cet Edit a esté donné un Arrest au Conseil d' Estat en l' annee 1612. au rapport du Seigneur de Chanlay Feudriac, Conseiller & Maistre des Requestes ordinaire du Roy. Il estoit advenu que le Seigneur de l' Archie assisté de quelques siens parens & amis avoit de guet-apen assassiné Messire Jacques de Vandosmois Seigneur de Valleray. Du depuis Anne de Voye Seigneur de l' Espiciere, oncle de l' Archie entre aux prisons de Rouen, & se presente devant les deputez du Chapitre, confessant avoir esté de la partie lors que l' assassinat fut commis. 

Il est esleu par le Chapitre pour lever & porter la Fiertre, & par mesme moyen est donné Arrest le douziesme de May mil six cens unze, par le Parlement, vray qu' il portoit cette particularité, pour joüyr par luy seul du privilege. Les prisons luy estant ouvertes, & la ceremonie accomplie le jour & Feste de l' Ascension, Dame Marguerite de Marescot veufve du deffunt presente sa requeste au Roy en son Conseil d' Estat contre Voye; a fin de faire casser l' Arrest, comme donné contre, & au prejudice de l' Edit du Roy Henry le Grand. A mesme instant le Chapitre pareillement presente une autre requeste le premier jour du mois d' Aoust mil six cens unze contre la veufve, aux fins de la mesme cassation, en ce que par l' Arrest on n' y avoit compris tous les complices du delict, selon leur ancien privilege. Les parties ayans produit d' une part & d' autre; en fin par Arrest la requeste de la veufve fut entherinee, & en ce faisant l' Arrest cassé, & annullé; & pour le regard de la requeste des Doyen, Chanoines, & Chapitre de Rouen, les parties mises hors de Cour & de procez sans despens. Le premier chef de l' Arrest fondé sur ce que c' estoit un guet-apen, duquel consequemment ny le meurtrier, ny ceux qui l' avoient assisté ne pouvoient estre affranchis par le benefice de la Fiertre: Et le second d' autant que les complices n' en pouvoient estre absous, sinon se rendans prisonniers. Tres-belle execution & d' un fort bel edit, qui enseignera la leçon à tous les meurtriers, de ce qu' ils ont desormais à faire.

Voila ce que je pense appartenir à l' ancienneté du privilege de la Fiertre, jusques à huy; maintenant je vous veux discourir l' ordre que l' on y practique. Le treiziesme jour avant l' Ascension, quatre Chanoines suivis de quatre Chappelains, revestus de leurs surplis & aumusses, ayans le Bedeau de leur Chapitre devant eux, vont sommer les Officiers du Roy en la grand Chambre du Parlement, puis au Bailliage, & en la Cour des Aydes, de surseoir toutes procedures extraordinaires contre les criminels qui sont detenus en leurs prisons, jusques à ce que leur privilege ait sorty effect. Sommation qui produict la surseance par eux requise. Les Lundy, Mardy, & Mercredy des Rogations, l' Archevesque & les Chanoines ont accoustumé d' envoyer deux Chanoines, accompagnez de deux Chappelains, en l' habit de l' Eglise, avecques le Notaire & Tabellion du Chapitre, tous Prestres, en toutes les prisons de Rouen, où ils examinent les prisonniers, & redigent par escrit les confessions, qui doivent estre par eux tenuës secrettes, comme si elles estoient faites Sacramentellement (portent les lettres du Roy Louys XII.) Le jour de l' Ascension sur les sept heures du matin, tous les Chanoines Prestres capitulairement assemblez, invoquans la grace du S. Esprit, par l' Hymne de Veni Creator Spiritus, & autres suffrages de devotion, font serment sous le seel de Confession de ne reveler les depositions faites par les prisonniers. Oyent les deux de leurs confreres par eux commis, lisent leurs procez verbaux, puis le tout meurement calculé & consideré, ils choisissent celuy qu' ils trouvent chargé du crime le plus detestable, pour luy estre les prisons ouvertes. Ainsi estoient ils tenus de le faire auparavant l' Edit du Roy Henry le Grand, s' ils ne vouloient contrevenir à leur privilege; qui leur eust esté un grand forfait, voire une forme d' assassinat contre leur ancien institut. Cette eslection ainsi faite, le nom du prisonnier est escrit dedans un cartel bien cacheté du seel du Chapitre, & tout d' une main envoyé par un Prestre Chappelain avec son surplis & aumusse, à Messieurs du Parlement, qui l' attendent en la grand Chambre du Palais, revestus de leurs robbes d' escarlate. Le cartel par eux ouvert, adoncques sur la nomination qui a esté faite du prisonnier, ils ordonnent à l' instant, par leur Arrest, que les prisons luy seront ouvertes, & tous ses complices deschargez. Clause derniere ainsi apposee, auparavant le mesme Edit. Au retour du Chappelain, le Chapitre brusle sur l' Autel toutes les confessions des criminels, pour en ensevelir la memoire. Environ les deux ou trois heures apres midy, le prisonnier sort des prisons, passe par les ruës pleines de monde, la teste nuë, les fers aux pieds, jusques au mesme lieu où est la Chasse qu' il leve, apres avoir faict une confession auriculaire de ses fautes, & lors luy sont les fers ostez. Soudain apres la Procession commence à marcher, le prisonnier porte le bout da premier branquart de la Chasse, accompagné de sept autres, qui depuis les derniers sept ans ont joüy du mesme benefice, tenans tous en leurs mains des torches ardantes; & en cette procession la Gargoüille est levee au bout d' une perche sous les pieds de S. Romain, representation & image du grand miracle par luy fait contre le Dragon. La Procession arrivee en la grande Eglise, la Messe y est chantee, quelquesfois à cinq heures du soir. Pendant laquelle le prisonnier va à chacun des Chanoines demander pardon à genoux. Le service divin celebré, il est conduit en la maison du maistre de la Confrairie S. Romain, ou de quelque qualité & condition qu' il soit, voire tresbasse, il est treshonorablement traicté jusques au lendemain matin, qu' il se presente au Chapitre, où estant agenoüillé, l' un des Chanoines à ce delegué, luy fait une ample remonstrance sur la faute par luy commise, l' admonnestant d' amender sa vie, & de n' y recidiver plus. Entr'autres choses il jure pour conclusion qu' il ne sera jamais larron ny meurtrier.

En ce dernier acte gist la catastrophe & accomplissement de cette ceremonie: en laquelle (sans entrer au fonds de la conscience d' autruy) je ne voy rien que choses sainctes, & pleines de pieté, depuis le commencement jusques à la fin; non toutes-fois exemptes de calomnie. D' autant que les malignes langues & venimeuses, disent que cecy est un jeu couvert, revestu du masque de devotion, & que de tous ceux qui estoient annuellement esleus par le Chapitre, il n' y avoit celuy qui n' eust un Prince ou grand Seigneur pour parrein, & en ce deffaut qu' on mettoit de l' argent au jeu. Tellement que cette abolition s' octroyoit à l' enquant, au plus offrant & dernier encherisseur, & à peu dire, que c' estoit le S. Esprit qui operoit en cette ceremonie. Ce que les mesdisans veulent prouver par une demonstration qu' ils estiment infaillible: parce que nul n' entra jamais aux prisons pour cet effect, qu' il ne fust asseuré d' en sortir avant l' invocation du S. Esprit. Quant à moy je veux croire que cette mesdisance est une vraye imposture, & calomnie: mais parce que tout personnage d' honneur a non seulement interest d' estre franc & exempt de la coulpe, ains pareillement du soupçon, pour en estancher le venin, je souhaite en cette affaire deux choses. L' une, que ce privilege ne s' estende qu' en faveur des delits, qui de leur nature sont remissibles: L' autre, qu' il n' ait lieu que pour les crimes commis dedans la province de Normandie, & pour les prisonniers justiciables, soit en premiere ou seconde instance du Parlement de Rouen, qui se trouveront, ou casuellement, ou par dessein, és prisons de la ville de Rouen. J' estime qu' en ce faisant ce sera fermer la bouche à tous ceux qui en mesdisent, & par mesme moyen que Messieurs du Chapitre gens d' honneur, ne prendront de mauvaise part mon souhait.


Fin du Neufiesme Livre des Recherches.

mardi 23 mai 2023

2. 3. Du Parlement estably dans Paris, & des autres de ce Royaume.

Du Parlement estably dans Paris, & des autres de ce Royaume. 

CHAPITRE III. 

En ces premiers Parlements, dont j' ay discovru cydessus, se traictoient du commencement toutes matieres d' Estat, avecq' les differents de consequence: Les Baillis & Seneschaux vuidoient és Assises en dernier ressort, la plus grande partie des causes; Toutesfois pour les abuz qui s' y commettoient, les plaintes venans puis apres aux aureilles des Roys, on accueillit petit à petit tant de causes au Parlement, que pour bien dire, il devint un magazin de procés. Et de faict du mot Latin de Placita dont ils usoient pour Parlement, nous avons faict celuy de Plaids, & de cestuy, Exploicter & plaider. Je treuve un reglement faict l' an 1291. au Parlement de la Toussainct, par lequel il feut ordonné que les causes des Seneschaux de droict escrit, seroient expediees les jours de Vendredy, Samedy & Dimanche, & enjoinct aux Raporteurs des Enquestes de les voir diligemment en leurs maisons, & ne se trouver au Parlement s' ils n' y estoient mandez. C' estoit afin qu' ils eussent plus de loisir de vacquer à l' expedition des procés qui leurs estoient distribuez. Cela feut cause que le Roy Philippe le Bel, tant pour se descharger de l' importunité des poursuyvans, que son pauvre peuple de la depense, qu' il luy convenoit faire à sa suitte, declara en l' an 1302. que son intention estoit d' establir deux Parlements dans Paris, non pour les tenir sans discontinuation, ains seulement deux fois l' an, aux octaves de Pasques & de la Toussainct, à chaque seance deux mois: & quelque peu apres institua deux Chambres: celle du Parlement, que nous appellons la grand Chambre, l' autre des Enquestes, en laquelle il feit deux sortes de Conseillers, dont les uns feurent appellez Jugeurs, qui estoient seulement commis pour juger, & les autres Raporteurs, pour raporter les procés par escrit. De maniere que toutes les lettres de Chancellerie qui leurs estoient adressees, portoient: Aux gens tenans à present nostre Parlement, lors que le Parlement siegeoit, & si hors la seance, Aux gens qui tiendront nostre prochain Parlement. Et en fin par un formulaire commun pour n' y retourner à deux fois, Aux gens qui tiennent & tiendront nostre Parlement. Formulaire qui dura jusques bien avant dedans le regne de Charles sixiesme, soubz lequel le Parlement commença de se tenir sans aucune discontinuation. Ne nous restant aujourd'huy de ceste ancienneté que l' image: Parce qu' aux octaves de Pasques & de la Toussainct on fait des ceremonies, toutainsi que si c' estoient ouvertures de Parlemens qui eussent esté long temps intermis. Et à chaque ouverture, le Roy decernoit nouvelles lettres patentes en forme de commission avecq' une liste de ceux qu' il vouloit avoir seance: & n' estoit pas dit que celuy qui avoit esté appellé au precedent, y eust lieu au subsequent, sinon qu' il feust compris dans le roolle qu' on y envoyoit. Ny mesmes que tous les ans l' on tint les deux Parlements, parce que quelques fois on n' y tenoit qu' une seance, mesmes advenoit de fois à autres que l' on estoit un an entier sans le tenir. Or tout ainsi qu' au Parlement ambulatoire y avoit eu de tout temps six Pairs Ecclesiastiques & six Laiz, aussi feut ce Parlement resseant composé, part de gens Ecclesiastics qu' ils appellerent Clercs, part des Seigneurs qui faisoient profession des armes. Coustume qui estoit encores observee en l' an 1380. comme nous aprenons d' un Tombeau qui est dans l' Eglise sainct Estienne (Étienne) des Grecs en ceste ville de Paris, sur lequel est une statuë armee tout de son long, ayant à costé son espee, & autour cest Epitaphe: 

Cy gist noble homme Messire Pierre de la Neu-ville Chevalier Seigneur de Mourry, & jadis Conseiller du Roy nostre Sire en son Parlement, qui trepassa l' an de grace mil trois cens octante, le Lundy neusiesme jour d' Avril. 

Je vous ay dict que Philippes le Bel par son Edict de l' an 1302: promettoit d' establir deux Parlements dans Paris, & d' autant que l' Article contenoit encores d' autres promesses, je le vous veux representer mot pour mot, Præterea propter commodum subjectorum & expeditionem caussarum proponimus ordinare quod duos Parla*, & duo Scataria Rhotomagensia, & dies Trecenses bis tenebuntur in anno, quod Parlamentum apud Tholosam tenebitur, si gentes praedicta terra consentiant, quod non appelletur à præsidentibus in Parlamento. 

Qui est à dire, Item pour la commodité de noz subjects & expedition des causes, nous deliberons de faire tenir deux Parlemens dans Paris, deux Eschiquiers dans Rouen, & que les Grands jours de Troyes se tiendront aussi deux fois l' an, Et que l' on establira un Parlement à Tholoze, si les gens du pays consentent qu' il ne soit appellé de ceux qui y siegeront. Ces Eschiquiers à Rouen, & Grands jours de Troyes estoient Assises generales que l' on avoit autresfois tenuës soubz ces noms, en Normandie & Champaigne pendant que les Ducs de Normandie, & Comtes de Champaigne s' en estoient faict acroire. Ausquelles ils avoient leurs Pairs pour juger leurs causes, tout ainsi que nos Roys en leurs Parlements. 

Ce que Philippes le Bel promit lors, feut quelques annees apres mis à execution, comme l' on trouve dans un vieux Registre des Chartres du Roy. Et parce que je pense cestuy estre le premier, il me semble qu' il ne sera point hors de propos de le vous rapporter icy en son naturel, & tel que je l' ay trouvé.

C' est l' ordenance de Parlemement. Il y ara ij. Parlements, li uns desquiex commencera à l' octaves de Pasques, & li autres à l' octaves de la Toussainct, & ne durra chacun que deux mois.

Il y ara aux Parlements ij. Prelats. C' est à sçavoir, l' Archevesque de Narbonne, & l' Evesque de Rennes, & ij. Laiz: C' est à scavoir, le Comte de Dreux, & le Comte de Boulongne.

Il ara xiij. Clercs & xiij. Laiz sans eux, Et seront li xiij. Clers, Messire Guillaume de Naugaret qui porte le grand seel, le Doyen de Tours, &c. 

Li xiij. Laiz du Parlement seront li Connnestable, Messire Guillaume de Plaisance, &c. 

Aux Enquestes seront l' Evesque de Constance, l' Evesque de Soissons, le Chantre de Paris, & autres jusques à v. 

Il est à entendre qu' ils delivreront toutes les Enquestes qui ne toucheront l' honneur du corps, ou heritages. Mesmes prendront il bien leur Conseil & leur advis ensemble, mais ançois qu' il les delivrent, il en avront le conseil de ceux qui tenrront le Parlement.

Aux Enquestes de la langue doc seront le Prieur sainct Martin des champs & jusques à v.

Aux Enquestes de la langue Françoise seront Maistre Raoul de Meilleur, & jusques à v. 

Aux Eschiquiers iront l' Evesque de Narbonne, & jusques à x. entre lesquiex est le Comte de sainct Pol. 

Aux jours de Troyes qui seront à la quinzaine de la S. Jean, seront l' Evesque d' Orliens, l' Evesque de Soissons, le Chantre d' Orliens, & jusques à viij. 

Or est nostre entente que cil qui portera nostre grand seel ordene de bailler ou envoyer aux Enquestes de la langue doc & de la langue Françoise des Notaires tant com il verra que il sera à faire pour les besongnes depeschier. 

Tout cela est brusquement couché selon le langage du temps: mais parce que nous ignorons ce que chacun deust sçavoir, l' origine de ce Parlement, qui est la plus riche piece du Royaume, sous l' authorité de nos Rois, & qu' il s' est entre nous insinué une heresie d' en attribuer le premier plant au Roy Louys Hutin, j' ay voulu vous faire part de ce placart tout de son long: Car je ne fay point de doute que parlant de Messire Guillaume de Nogaret qui avoit la garde du Seel, ce Parlement n' ait esté ouvert sous Philippes le Bel. Nogaret est ce grand personnage, qui faisant un mesme attelier des armes & de la justice, prit le Pape Boniface huictiesme pour se venger de l' injure qu' il avoit faite au Roy son maistre. Joint que suivant ceste ordonnance je trouve un eschiquier tenu à Roüen en l' an 1306. où assisterent l' Evesque de Narbonne, le Comte de S. Pol, & Anguerrant de Marigny & autres Seigneurs, jusques au nombre de dix, suivant ce qui estoit porté par l' ordonnance de ce Parlement. Qui me fait penser qu' il fut tenu en l' an 1304. ou 1305. Mais tant y a que je ne fais point de doute que ce ne soit sous le regne de Philippes le Bel. 

Apres son decés, nous trouvons une ancienne escroüe faicte à S. Germain en Laye sous Louys Hutin, dans laquelle apres avoir inseré les noms, Premierement des Conseillers du conseil estroict, puis de tous les autres Seigneurs, officiers & domestiques du Roy, finalement arrivant sur le Parlement, il nomme pour President de la grand' Chambre le Chancelier, & au dessous de luy xij. Conseillers Clercs, & xviij. Laiz. 

Pour les Jugeurs des Enquestes, les Evesques de Mande & Soissons, Abbez de S. Germain des Prez, & de S. Denis, en outre sept autres Conseillers Clercs, puis six Laiz, & pour Rapporteurs neuf. 

Philippes le Long y apporta depuis des reglemens qui n' y avoient encores esté observez. Au Parlement de l' an 1319. voicy quelle estoit la teneur. Il est ordené par le Roy en son grand Conseil sus l' estat de son Parlement en la maniere qui s' ensuit.

Premierement, Il n' aura nuls Prelats deputez en Parlement: car le Roy fait conscience de eux empescher au gouvernement de leurs spiritualitez. Item en Parlement aura un Baron ou deux, & desia le Roy y met le Comte de Boulongne. Item outre le Chancelier & Abbé de S. Denis, y aura huict Clercs & douze Laiz.

Es Requestes aura quatre personnes. 

Item aux Enquestes aura deux chambres: C' est à sçavoir, Une pour delivrer toutes les Enquestes du temps passé jusques à aujourd'huy: Et l' autre pour delivrer celles qui aviendront du jourd'huy en avant. Et en celles deux Chambres aura huict Clercs, & huict Laiz Jugeurs, & xxiiij. Rapporteurs. 

Et là sont inserez tous les Conseillers par leurs noms & surnoms. Le Clerc sous la qualité de Maistre, & le Lay sous celle de Monsieur. Du premier article de ceste ordonnance est venu, que soudain qu' un President ou Conseiller est fait Archevesque ou Evesque, il faut qu' il desempare la place, & resigne son estat à un autre.

Au Parlement de l' an 1320. outre les vingt Conseillers de la grand' Chambre, on ordonne pour les Enquestes vingt Conseillers Clercs & trente Laiz, dont les seize seroient Jugeurs, & les autres Raporteurs. 

Et pour la chambre des Requestes, cinq, trois Clercs & deux Laiz, & dans les roolles sont tout ainsi qu' aux precedens, les Clercs qualifiez Maistres, & les Laiz Messires, parce que c' estoient gens suivans les armes, ny pour ceste qualité de Messire ou Monsieur, ceux-cy n' estoient plus authorisez que les Maistres, Parce que quand on parloit des seigneurs du Parlement en leur general, on les appelloit ordinairement Maistres du Parlement. En tous les autres Parlements je ne voy point leur être prescripte si ample police qu' en cestuy. Car il leur est à tous expressemment commandé d' entrer au matin à l' heure qu' on chante la premiere Messe en la Chapelle du Roy, & de n' en sortir qu' à midy. Que nul Maistre ne puisse sortir de la chambre sans le congé de son Souverain, c' est à dire de son President: ny desemparer le Parlement, sans la permission du Chancelier & du Souverain tout ensemble. Que les Baillifs, Seneschaux & Procureurs du Roy comparans, rendent raison de leurs charges pardevant deux Maistres du Parlement & un Maistre des Comptes, pour en faire leurs procés verbaux, & les raporter chacun endroit soy à leurs compagnies. Que leurs causes soient promptement expedices, afin de les renvoyer en leurs Provinces. Que les causes qui seront plaidees soient jugees le Jeudy, ou pour le plus tard les Vendredy & Samedy ensuivans, afin que l' on ne perde la memoire des plaidoyez. Que nul Maistre ne se charge de commission sinon celle qu' il pourra executer de la fin d' un Parlement au renouvellement de l' autre. Entant que touche les procés par escrit (qu' ils appelloient Enquestes) il est ordonné que huict jours avant que le Parlement commence, les Maistres du Parlement & des Enquestes s' assembleront, pour sçavoir des Raporteurs combien de procés restoient à juger, & dont peut provenir ce defaut. Que dés leur arrivee on face inventaire d' iceux, duquel on baillera copie à la chambre des Comptes: Que les anciennes Enquestes soient jugees devant que l' on entende à d' autres: Que l' on ne distribuë qu' une Enqueste à un Raporteur, & qu' il soit tenu d' en faire son raport avant que de quitter la ville de Paris: Que les gens des Enquestes soient tenus de venir toutes les apresdisnees depuis Pasques jusques à la S. Michel, & durera ceste chambre pour l' affluence des procés par tout l' an du Parlement & dehors: Et neantmoins le Parlement clos, pourront les Conseillers d' iceluy se trouver aux Enquestes, pour juger les procés avecq' les autres: Quoy faisans ils seront payez de leurs salaires & vacations extraordinaires.

Comme nous sommes en un Royaume auquel pour la facilité de nos Roys, les choses viennent fort aisemment à l' essor, aussi advint-il à la longue, qu' il n' y avoit si petit seigneur qui fut en credit, lequel ne voulut être immatriculé au nombre des Conseillers. Et peut être que la relasche & discontinuation de ceste charge, leur en donnoit plus grande envie. De là vint que se trouvant un nombre effrené de Maistres & Conseillers, le Roy Philippes de Vallois envoya lettres à la Chambre des Comptes de Paris le 10. Mars 1344 accompagnees de l' Ordonnance qu' il avoit faite par deliberation de son grand Conseil, sur l' estat des gens de ses Chambres de Parlement, Enquestes & Requestes, laquelle il vouloit être observee: Enjoint à ses gens des Comptes, de la signifier & en bailler copie à son Parlement. Et sur les serments que vous avez à nous (portent les lettres) pour quel conques impetrations & mandemens ne faites aucune chose contre la dite Ordonnance: Car nostre entente est de la garder sans rien faire au contraire, c' estoit à dire, qu' ils ne souffrissent aucun être payé des gages, fors ceux que portoit le roolle. 

Et là il ordonne qu' il n' y avroit de là en avant en son Parlement, prenans gages que quinze Clercs, & quinze Laiz, outre les trois Presidens qui avoient gages separez, Messire Simon de Bussy, Jacques de la Vache, & Pierre de Denneville. En la chambre des Enquestes, quarante, xxiiij. Clercs, & seize Laiz. Aux Requestes du Palais huit, cinq Clercs, & trois Laiz: Et d' autant qu' il y avoit eu grand nombre de personnes nommez en ces estats auparavant par son grand Conseil, leur accorde l' entree & seance sans gages. Vray qu' advenant la mort des autres, ils pourroient estre surrogez en leurs lieux, s' ils estoient certifiez capables par le Parlement. Ceste ordonnance fut presentee par Messieurs des Comptes le 15. du mesme mois de Mars avec les noms, & surnoms de tous les Maistres, & lors s' estoit esvanoüie la difference de Jugeurs & Raporteurs des Enquestes. Quelques uns se sont accroire que le Parlement fut deslors fait perpetuel & sans aucune discontinuation, parce qu' ils voyent ce roolle enregistré au registre des anciennes Ordonnances de la Cour, & que les autres precedans ne s' y trouvent; ains seulement en la chambre des Comptes, ou au tresor des Chartres. Qui n' est pas une opinion degarnie de quelque raison : ayant mesmement esgard que Messieurs des Comptes en furent porteurs: Chose qu' ils n' ont oublié dedans leurs Memoriaux: mais toutesfois opinion desdite par une demonstration oculaire: Car aux mesmes Memoriaux on trouve lettres du 12. Aoust 1347. adressees aux gens des Comptes, par lesquelles le Roy leur mande, que d' autant que le Parlement ne siegeoit lors, il avoit delegué quelques Conseillers & Maistres, pour faire le procés aux Lombards Usuriers, lesquels il vouloit être payez de leurs vacations & salaires tels qu' il avoit ordonnez par chacun jour. Par autres lettres du 28. Decembre 1352. le Roy Jean ordonne à maistre Jean Hauvere, maistre des Requestes de son hostel les gages de xxiiij. sols parisis par jour, tant qu' il seroit à sa suitte, & qu' aux autres mois ausquels il ne devoit toucher gages, toutesfois il les receust, Dum tamen eisdem diebus (dit le texte) nostro praesente Parlamento sedente sicut alij Consiliarij nostri dicti Parlamenti pro expeditione causarum eiusdem, insistat. Nostram tamen gratiam prædicto nostro praesente Parlamento finito, volumus non durare. Et qui est un argument indubitable, c' est que pendant la prison du Roy Jean, Charles V. son fils lors Regent, en plaine assemblee des Estats apres avoir apporté quelque reglement & police sur le fait du Parlement, par ses lettres du huitiesme Fevrier 1356. declare que son intention estoit de faire que les Chambres du Parlement, Enquestes & Requestes se tinssent à l' advenir sans aucune discontinuation. Ce fut un conseil par luy projecté, & deslors le Parlement se tint avec plus grande assiduité qu' auparavant: mais non avec suppression generale de l' ancienne observance. Mais apres qu' il fut decedé en l' an 1379. la minorité du Roy Charles sixiesme, la foiblesse de son cerveau, les partialitez des Princes furent tante, qu' ayans leurs esprits bandez ailleurs, on ne se *souvint plus d' envoyer nouveaux roolles de Conseillers, & par ce moyen le Parlement fut continué.

Et deslors furent mises sus les eslections de Presidens & Conseillers, tenans de là en avant leurs Estats à vie: & jusques alors vous ne voyez dedans les registres aucune mention des elections. Il n' est pas neantmoins qu' auparavant ceste nouvelle police encores il n' y eust quelque desordre au nombre des Conseillers ou Presidens: Car combien que Charles cinquiesme pendant sa Regence voulut reduire le Parlement au nombre prefix par Philippes de Valois, si est-il contrainct d' y laisser Dorgemont, quatriesme President supernumeraire avec Bussy, la Vache & Denne-ville, à la charge que vacation de l' un des Estats advenant par mort, cest Estat demoureroit suprimé. Ce mesme Dorgemont fut depuis fait Chancelier de France. En l' an 1406. Mauger fut fait cinquiesme President & depuis aussi Chancelier. Le penultiesme Fevrier 1465. sous le regne de Louys unziesme, Halé receu troisiesme Advocat du Roy: Et le sixiesme Avril 1491. fut tenu le Conseil du Roy en la chambre des Comptes, où estoit le Chancelier avec plusieurs autres Seigneurs, & entre autres Maistres Pierre Chouard, Jean L' huillier, Jean le Maistre Advocats du Roy en son Parlement, & Maistre Christofle de Carmonne son Procureur general. 

D' une chose me suis-je esbahy, qui merite de n' être teuë, car ailleurs n' ay je observé pareille histoire. Pendant la prison du Roy Jean, & Regence de Charles son fils, depuis cinquiesme Roy de ce nom, les trois Estats seditieusement assemblez dedans la ville de Paris, firent demettre de leurs charges plusieurs personnages, tant du Parlement, que chambre des Comptes & finances. Le tout par les factions du Roy de Navarre, qui en ceste eclypse, commandoit aux opinions de la populace. A quoy le Regent callant la voile à la tempeste, fut contraint d' acquiescer. Mais depuis les affaires de France reduites en leur calme, ils furent tous restablis en leurs dignitez, par lettres patentes du 28. de May, 1359. Et entre les autres y estoit Un Regnaut d' Acy Advocat general, & aussi * Monsieur (c' est à dire du Roy) & de nous en Parlement (c' est à dire du Regent) c' est le propre texte des lettres: comme si la qualité d' Advocat general au Parlement, eust esté distincte de celle d' Advocat du Roy, & du Regent.

Le Parlement ayant commencé d' être tenu sans discontinuation, & les Conseillers continuez en leurs charges, cela fut cause que les Seigneurs suivans les armes furent contraints de quitter la place, & la resigner aux gens de robbe longue. Chose qui introduisit au Parlement (comme j' ay dit presentement) les elections, lesquelles estoient confirmees par nos Roys. Et de ces deux nouvelles polices, sourdit aussi une nouvelle question entre-eux: Parce que le dixiesme de Decembre 1410. l' election & provision de quelques Presidens & Conseillers des Enquestes fut retardee, d' autant que les Nobles soustenoient qu' en concurrence de Nobles & Roturiers on devoit premier eslire les Nobles quand ils se trouvoient suffisans, les autres soustenans au contraire, que sans avoir esgard au lignage, il falloit jecter l' œil sur la capacité & vertu. Et se presentant depuis ceste question devant le Roy, en la balance de deux il jugea pour celuy qui estoit extraict de noble lignage.

D' un autre costé aussi n' estans plus les Conseillers distincts par l' exterieur des habits, & chacun estant revestu d' une longue robbe, nos Roys ayant osté les elections, s' en voulurent faire accroire selon les occasions, gratifians à gens Laiz & mariez, des Conseilleries affectees aux Ecclesiastiques, vray que les provisions estoient accompagnees de dispenses, que le Parlement estoit contrainct de passer: Non toutesfois sans contraste, parce que nous trouvons registre de la Cour du vingtdeuxiesme Avril 1486. par lequel il fut arresté que nul Lay ne seroit plus receu en l' office de Clerc. Et en l' an 1490. quatriesme de Mars, Turquan receu en l' office de Clerc à la charge de non soy marier, & s' il faisoit le contraire, consentoit d' être privé de son estat. Le seiziesme Avril 1518. que Crespin qui avoit l' office de Clerc seroit receu comme Lay: & a commandé le Roy Edict, pour n' en recevoir plus de ceste façon, porte le registre: Finalement apres la prise du Roy François premier, l' an 1523. aux instructions de la Cour envoyees à Madame la Regente sa mere, le dixiesme Avril sur la reformation de l' Estat, entre autres articles estoit cestuy-cy. Que l' on ne baillast plus les offices de Clercs à gens Laiz. Ce nonobstant la desbauche s' y estoit avec le temps de telle façon plantee, que c' estoit une vraye meslange des uns & des autres par les dispenses que l' on y avoit apportees du temps des Roys François premier, & Henry deuxiesme, jusqu' à ce que par l' introduction du Semestre en l' an 1553. estans les Juges redoublez, ce nouvel desordre & confusion reduisit les choses à leur ancien ordre. Parce que les Laiz qui auparavant avoient des offices de Clercs prindrent des offices de Laiz nouvellement creez, laissans les leurs aux gens d' Eglise, qui voudroient avoir entree en la Cour, & depuis la reünion des deux Semestres, les choses demourerent long temps en ce mesme estat.

Puis que je me suis estendu si avant en la distinction des Conseillers Clercs & Laiz, je ne veux obmettre de parler d' une troisiesme espece, je veux dire de ceux qui ont seance au Parlement, & non voix deliberative. Ce sont les Archevesques & Evesques: chose qui a pris diverses faces, selon la diversité du temps. Le Parlement Ambulatoire, comme j' ay dit, estoit composé au dessous des Pairs, de plusieurs Prelats, Ducs, Comtes, & Barons: Ny pour cela il ne faut pas estimer que sous la troisiesme lignee de nos Roys, la porte fust ouverte à tous Archevesques, Evesques & Abbez, ains à ceux qui estoient specialement reservez. Il se trouve un vieux registre de l' an 1289. par lequel il est deffendu à Philipot le Commun, & Jean Autre, portiers du Parlement, de ne laisser entrer nully des Prelats en la Chambre sans le commandement des Maistres. Et depuis par ordonnance de Philippe le Long, la porte leur fut tout à fait fermee, comme j' ay deduit cy dessus. Au reglement qui fut fait par Charles V. lors Regent en l' an 1359. apres avoir limité le nombre des Conseillers du Parlement à trente qui prendroient gages, ne voulant qu' il y en eust davantage, il excepte puis apres les Prelats, Princes & Barons, dont il y en avroit tant qu' il luy plairoit. D' autant qu' ils ne prenoient nuls gages, & ne chargeoient les finances du Roy. Reserve qui leur ouvrit puis apres le pas, de telle façon que les Abbez mesmes y eurent entree jusques en l' an 1401. que par arrest du 29. Avril il leur fut deffendu de seoir de là en avant avecques les Maistres. Et depuis l' Abbé de Clugny ayant presenté sa requeste pour y avoir seance, par arrest du penultiesme Janvier 1482. elle luy fut enterinee, pour ceste fois tant seulement en consideration du grand lieu dont il estoit extrait, joinct qu' il estoit chef d' Ordre. Et le mesme an fut par privilege special permis à l' Archevesque de Narbonne d' avoir voix deliberative. Ainsi que nous voyons aujourd'huy les choses être reglees, tous Archevesques & Evesques y ont seance, & non opinion, fors les six Pairs Ecclesiastics, l' Evesque de Paris, & Abbé de S. Denis. Privilege qui luy avoit esté aussi particulierement accordé par Philippe le Long, lors qu' il ferma la porte à tous autres Prelats. Cela sera par moy dit en passant, comme estant une piece que je ne pouvois oublier sans faire tort à ceste histoire.

Je vien maintenant à la Chambre des Requestes du Palais, à laquelle (apres avoir discovru tant de la Chambre du Parlement, que de celle des Enquestes) je veux donner plus de façon: d' autant qu' outre ceste-cy, il y a encore la Chambre des Requestes de l' Hostel du Roy. Le Sire de Joinville dit que S. Louys son maistre, avoit acoustumé de l' envoyer avecq' les sieurs de Nesle & de Soissons, aux plaicts de la porte, & s' il y avoit quelque chose qu' ils ne peussent bonnement vuider, ils luy en faisoient le rapport, & lors envoyoit querir les parties, & jugeoit leur cause. Auparavant que le Parlement fut fait sedentaire, je trouve un roolle des Officiers de la maison du Roy, au bout duquel sont ces mots. Monsieur Pierre de Sargiues ( : Sargives), Gilles de Compieigne, Jean Mailliere. Ces trois orront les plaicts de la porte, & aura Gilles de Compieigne autant que Monsieur Pierre de Sargives, & mangera avecques le Chambellan. De ma part je ne fais aucune doute, que ces Seigneurs estoient ceux que depuis nous avons appellez Maistres de Requestes: & les plaicts de la porte, les plainctes & requestes que l' on presentoit au Roy, dont la cognoissance leur estoit commise. Depuis que le Parlement fut fait resseant, il y en eut six, trois Clercs, & trois Laiz. 

La charge desquels estoit d' être ordinairement par quartier en Cour, & le demourant de l' annee au Parlement ou autres lieux, comme il leur plaisoit, & estoient de telle auctorité qu' à la suitte du Roy, ils secondoient le Chancelier, comme aussi au Parlement, ils presseoient tous les autres Conseillers au dessous des Presidens. En l' escrouë du Parlement tenu sous Louys Hutin, on insere premierement les Conseillers du Conseil estroict, & au dessous on baille son lieu particulier au Chancelier, & apres luy aux six maistres des Requestes, contenant l' intitulation de l' article ces mots: Clercs Suivants & Laiz, maistre Michel Mauconduit, maistre Pierre Bertrand, maistre Pierre de Chappes, messire Jean Darrablay, messire Ferry de Villepestre, messire Jean de Courtier, desquels y aura tousjours à Cour j. Clerc & j. Lay. Liquel prendront à Cour en la maniere accoustumee au temps du Roy le pere, & li autre se il vienne, ne prendront riens se il ne sont mandé. Lors que l' on vient au denombrement des Seigneurs du Parlement, apres avoir mis le Chancelier devant tous les Conseillers Clercs, comme chef, on met immediatement apres luy les trois Maistres des Requestes Clercs, cy dessus nommez, & les trois autres Maistres des Requestes Laiz dessus tous les Conseillers Laiz. Ces Seigneurs estoient quelquesfois appellez Suivants, mais d' ordinaire Poursuivants, non pour les villipender, ains par un tiltre special d' honneur. Parce que leurs charges entre toutes les autres estoient necessairement affectees à la suitte du Roy, pour recevoir les requestes qui luy estoient faites. Qui fut cause que depuis oubliant le premier tiltre, on les nomma Maistres des Requestes de l' Hostel du Roy. Et parce qu' en ce subjet ils se dispensoient quelquesfois trop legerement, jugeans fort souvent des Requestes au prejudice des parties, qui gisoient en plus grande cognoissance de cause, leur fut enjoinct que de toutes les requestes de Justice que l' on leur presenteroit ils seroient tenus de les renvoyer chacune en leur chacune: c' estoit de faire seeller lettres qui seroient adressees aux Juges ausquels devoit appartenir la cognoissance de telles matieres, & non de les decider. Or tout ainsi qu' en matiere de medailles les antiques sont de plus grande recommandation que les modernes, aussi vous veux-je icy representer l' ancienne ordonnance de Philippe le Long. Non vrayement au mesme langage qu' elle fut faite: car le malheur du temps a voulu, qu' en ceste-cy & plusieurs autres par moy alleguees on ait changé le langage, selon le temps qu' elles estoient copiees. Qui est cause que je suis contraint de les vous debiter telles que je les ay trouvees. 

Philippe par la grace de Dieu Roy de France & de Navarre, faisons sçavoir à tous, nous avoir fait extraire de nos Ordonnances faites par nostre grand Conseil, les articles cy apres escrits, lesquels nous voulons être tenus & gardez fermement sans corrompre par nos Poursuivants. 

Premierement avons ordené que deux de ceux des Requestes seront continuellement avec nous suivans la Cour, & non plus, j. Clerc, & j. Lay, lesquels seront tenus de seoir chacun jour à heures accoustumees en leur commun pour ouïr les requestes que faites leurs seront, & ne passeront ne soufferront passer aucunes lettres contraires à nos ordonnances. 

Les dits Poursuivants ne deliu * ne passeront nulles requestes qui touchent nostre Parlement, Chambre des Comptes, ou nostre Tresor, ainçois iceux requereurs renvoyeront aux lieux là où il appartiendra chacun endroit soy. 

Et pource que moult de requestes ont esté souvent faites à nos predecesseurs & à nous, qui passees ont esté frauduleusement sous umbre d' aucune couleur de raison, lesquelles se discutees eussent esté pardevant ceux qui sont instruits & ont cognoissance des besongnes, n' eussent pas esté passees: comme de moult de gens, qui requierent recompensation de services, restitution de dommages, graces de dire contre les arrests donnez en nostre Parlement, & plusieurs autres choses semblables, où moult de fraudes & deceptions ont esté faites au temps passé. De toutes icelles requestes nous doivent les Poursuivants qui avec nous seront, adviser, afin qu' elles ne passent & qu' elles soient envoyees aux lieux où il appartiendra. 

Nous avons ordené pour tousjours avoir plaine cognoissance des choses qui se feront pardevers nous, qu' un livre soit fait que l' on appellera Journal, auquel on escrira continuellement ce que fait aura esté en nostre Conseil estroit, dont memoire soit à faire. Et à celuy livre faire & garder nous avons ordené maistre Pierre Baux nostre Clerc: Auquel il sera dit & devisié par ceux qui seront presens de nostre estroit Conseil, ou par l' un des Poursuivants si appellé estoit, au cas que les autres fussent absents chacun jour, ce qui fait aura esté en nostre dit Conseil, dont mention soit faire. Et y seront mis expressemment les noms de ceux qui avront esté aux besongnes Conseillers. 

Et peu apres: C' est ce que les Notaires nous poursuivans doivent faire & garder sur les choses qui s' ensuivent.

Item que les dits Notaires ne porteront nulles lettres pour porter seeller, avant qu' elles ayent esté releuës à ceux qui les avront commandees, & ce mesmes doivent faire tous les autres Notaires, combien qu' ils ne poursuivent la Cour. Et toutes ces choses doit chacun des dits Poursuivants & Notaires tenir & garder fermement sans corrompre, & si aucun cas venoit qu' ils ne peussent esclaircir par les articles dessusdicts, voulons pour eux acertener sur ce, qu' ils ayent recours à nostre Chambre des Comptes, où nous avons fait registrer nosdites ordonances, & bailler en garde.

Ce mot de pour joinct avecq' une autre parole emporte quelque emphase grande, comme nous voyons en ces mots, pour-parler, pour-penser, pour-chasser.

Au demourant de ces deux pieces: je veux dire du denombrement de Louys Hutin, par moy n' agueres touché, & de la presente ordonnance, vous pouvez presque recueillir dont viennent leurs charges & fonctions. Car ces Seigneurs estans necessitez d' être à la suitte du Roy pres du Chancelier, ils furent faicts ses commensaux, voire que pension luy fut assignee pour les recevoir à sa table: aussi estoient-ils comme ses Lieutenans pour le seau: & de là est venu que les principales lettres Royaux doivent être signees en queuë par l' un d' eux. De là qu' ils president au petit seau estably pres des Parlements, comme representans la personne du Chancelier absent, & neantmoins leur presence & authorité n' y est pas requise pour faire que les lettres portent effect de sentence, mais pour ne permettre qu' elles soient seellees, si par le narré d' icelles on voit qu' elles contreviennent aux Ordonnances Royaux, & pour le surplus renvoyer l' adresse des lettres pour être jugees par les Juges selon l' exigence des cas. De là, que tout ainsi que dés le temps de Philippe le Long ils secondoient les Conseillers du grand Conseil qui estoit pres du Roy, comme vous voyez de ceste ordonnance: Aussi voyezvous qu' ils font le semblable au Conseil d' Estat qui est aujourd'huy pres du Roy. Et de cela mesmes advint que le grand Conseil ayant pris nouvelle forme, ils y tindrent les premiers lieux. Et pour achever par où je devois commencer de l' ordre qui fut tenu dés le temps mesmes de Louys Hutin vient qu' ils siegent au Parlement devant tous les autres Conseillers. Chose qui apporta autresfois une dispute qui est encores indecise. Car comme ainsi fut qu' à l' ouverture du Parlement de la S. Martin l' an 1407. ne se trouvast aucun President pour recevoir les serments des Advocats & Procureurs, qui apporta un merveilleux scandale à la compagnie, les Maistres des Requestes, & les Conseillers entrerent lors en contention à qui appartenoit ce premier lieu: ceux-là soustenans que tout ainsi qu' ils estoient les premiers en seance, aussi la presseance leur devoit appartenir. Et ceux-cy que residens perpetuellement au Parlement, le plus ancien de leur college devoit estre preferé aux autres. Surquoy chacun ne voulant rien rabattre de son opinion, on deputa quelques Seigneurs de la Cour pardevers le Roy & son Conseil, pour definir ce different. Toutesfois sans approfondir l' affaire, on trouva cest expedient, de decerner lettres par lesquelles du Drac President aux Requestes fut commis pour presider. Depuis en l' absence des Presidens & des Maistres des Requestes, j' ay veu sans controverse le plus ancien des Conseillers Laiz presider & prononcer les Arrests en l' Audience, sans que les Conseillers Clercs ayent revoqué ceste puissance en doute. Mais pour ne me detraquer de mon chemin, & n' oublier rien de ce qui concerne l' authorité des Maistres des Requestes, ils eurent cognoissance & jurisdiction contentieuse en deux poincts, l' un quand le tiltre d' un office Royal estoit contentieux entre deux parties, l' autre quand on poursuivoit en action pure personnelle un officier domestique du Roy qui estoit à la suitte de sa Cour. Nous apprenons cela d' une ordonnance de Philippe de Valois de l' an 1344. 

Et de ces deux est fort aisé d' en rendre raison: car pour le regard des offices il failloit necessairement que les parties eussent recours au Roy pour les en avoir pourveuz: Lequel s' en reposoit sur les Maistres des Requestes: comme aussi la faveur de ses domestiques meritoit bien qu' ils ne fussent distraicts pour causes legeres du service qu' ils devoient rendre à leur maistre: Partant fut la cognoissance de telles affaires commise pareillement aux Maistres des Requestes. Entre les ordonnances du Roy Jean est ceste-cy du 28. Decembre 1359. par laquelle il veut que toutes jurisdictions soient delaissees aux Juges ordinaires, sans que les subjects puissent être travaillez ailleurs, excepté seulement que les Maistres des Requestes de son Hostel avroient la cognoissance des offices, & aussi des Officiers de son Hostel en actions pures personnelles, en deffendant & non en demandant. Au demourant ils furent du commencement trois, puis six, & estans creuz en nombre plus grand, Philippe de Valois par son Edict du huictiesme Avril 1342. declara qu' il ne pourvoiroit plus à nul de ces offices qu' ils ne fussent reduicts au nombre ancien de six. Du temps de Charles VIII. ils estoient huict, quatre Clercs, & quatre Laiz. Nombre qui avoit esté continué jusques au Roy François I. sous lequel commença le desordre. Vray que de fois à autres on en creoit des extraordinaires: qui estoit cause que les autres s' intituloient Maistres ordinaires, pour ne laisser enjamber sur leur authorité ancienne. 

J' ay voulu de propos deliberé premierement discovrir des Maistres des Requestes de l' Hostel, parce que la Chambre des Requestes du Palais n' est qu' une image de ces premiers, & à vray dire a emprunté d' eux la jurisdiction qu' elle exerce pour le jourd'huy. Car quelle rencontre & communauté a l' exercice de leur jurisdiction avecques le mot de Requestes, qui est leur principale qualité? Or pour entendre cecy de fonds en comble, faut noter qu' aux Parlements qui furent tenus dans Paris sous Philippe le Bel, & Louis Hutin, je ne voy être faite aucune mention d' une Chambre des Requestes: car lors les requestes estoient responduës par les Conseillers du Parlement & des Enquestes. Et tout ainsi qu' à la suitte du Roy il y avoit les Maistres des Requestes de son Hostel, qui estoient destinez pour juger les Requestes qui luy estoient presentees, sinon les remettre à sa cognoissance si elles estoient de trop grand poids, aussi voulut-on introduire semblable ordre pour les Requestes qui seroient presentees au Parlement. C' est pourquoy sous le Roy Philippe le Long, outre les deux Chambres, du Parlement, & des Enquestes, on y en crea une troisiesme, qui fut celle des Requestes. Enquoy l' on suivit presque la mesme forme, que celle que l' on observoit pres du Roy: Parce que comme du commencement on appelloit telles Requestes les plaicts de la porte du Roy, aussi mit-on la Chambre des Requestes hors l' enclos des deux autres Chambres, comme celle qui estoit introduitte pour juger les plaicts de la porte du Parlement, qui estoient les requestes que l' on luy presentoit. Et où ils y trouveroient de l' obscurité ils devoient en communiquer aux Maistres du Parlement. Du commencement on y mit quatre Conseillers, deux Clercs & deux Laiz, en apres cinq, trois Clercs, & deux Laiz, & finalement huict, conformemment aux huict Maistres des Requestes de l' Hostel du Roy. La plus ancienne Ordonnance qui en parle est celle de Philippe le Long, de l' an 1320. par moy cy dessus touchee, dont je transcriray les articles. 

Avons ordené & ordenons sur l' Estat de nos Requestes en tel maniere: C' est à sçavoir qu' il y aura trois Clercs & deux Laiz: lesquels venrront le matin à l' heure que ceux du Parlement, & demourront jusques à midy, s' il en est mestier, & orront continuellement & par bonne deliberation lesdites (les dites) requestes. 

Si aucune requeste estoit baillee à ceux des Requestes, laquelle ils ne peussent pas bonnement depescher, ils en parleront aux gens de nostre Parlement quand midy sera sonné, & si la requeste estoit si pesante qu' il en convenist avoir greigneur deliberation, en parleront quand l' en sera aux Arrest (c' estoit les jours des Jeudy, ainsi qu' il a esté dit cy dessus) & le diront à celuy à qui ladite (la dite) requeste touchera, afin qu' il sçache qu' on ne le face pas attendre sans cause. 

Ceux des Requestes n' entreront en la Chambre du Parlement, fors pour les cas dessusdits, se ils n' y sont mandez, ou se ils n' y ont affaire pour leurs propres besongnes, ou pour leurs amis especiaux: & en ce cas si tost comme ils avront parlé, ils s' en istront, & iront faire leurs offices. 

Ceste Ordonnance nous enseigne que lors ces Messieurs representoient les Conseillers qui jugent aujourd'huy les instances à la barre. Les grands empeschemens des Maistres des Requestes de l' Hostel du Roy, qui estoient à la suitte du grand seau, furent cause qu' au long aller les causes des domestiques de la maison du Roy qui estoient pendantes devant eux, furent renvoyees aux gens tenans les Requestes du Palais. 

Il y avoit entre eux symbolization de noms, & de charges sous diverses rencontres. Ceux qui estoient pres du Roy estoient dicts Maistres des Requestes de l' Hostel du Roy. Les autres Maistres des Requestes du Palais. Ceux-là avoient cognoissance des requestes presentees au Roy. Ceux-cy de celles qui estoient presentees au Parlement. En ceste rencontre de noms & de functions, il fut aussi aisé de faire changer de main aux procedures que l' on faisoit de la suitte de la Cour du Roy. Les officiers domestiques du Roy pensans avoir plus prompte expedition aux Requestes du Palais, obtindrent commissions, pour intenter leurs causes personnelles, mais tant en demandant que deffendant, comme aussi d' y faire renvoyer celles qui estoient intentees pardevant les Maistres des Requestes de l' Hostel. Ces commissions furent dés leur primitive origine appellees Committimus. Des personnelles on creut avecques le temps le privilege, & l' estendit-on aux possessoires, & encores aux mixtes, c' est à dire à celles qui tiennent de la personalité & realité ensemble, comme sont les instances de partages, rescisions, retraicts lignagers, & feudaux. Voire voulut on que ces Seigneurs eussent cognoissance du merite du Committimus, privativement de tous autres Juges: Je veux dire que si une cause estoit renvoyee pardevant eux en vertu d' un Committimus, tout autre Juge eust soudain les mains liees, & leur renvoyast la cause, sauf à eux d' examiner si elles estoient de leur cognoissance. Chose que je voy avoir esté ainsi jugee par Arrest dés le 8. Juillet, 1367. Auquel temps les Committimus commençoient seulement de poindre. Cela se faisoit pour-autant que ces Comissaires à cause de leurs Conseilleries faisoient part & portion de la Cour. Et comme ainsi fust que les Maistres des Requestes de l' Hostel s' en voulussent faire croire au prejudice des autres, ne pouvans bonnement endurer que leur jurisdiction fut en ceste façon divisee, le Roy Charles VII. en l' an 1453. evoqua aux requestes du Palais toutes les causes de la nature que dessus, qui estoient pendantes & indecises devant les Maistres des Requestes de l' Hostel. Et le 5. Juillet en l' an 1452. avoit esté faite la publication de l' auditoire des Requestes du Palais par le President Thiboult, & l' Evesque de Paris.

Deslors on reprit la premiere & plus ancienne discipline du Parlement: parce que les Conseillers de la grand Chambre & des Enquestes commencerent de cognoistre des Requestes qui leurs estoient presentees: & à ceste fin avoient accoustumé de se presenter en la grand salle du Palais pres la porte de la grand Chambre, appuyez sur une grand barre que l' on voit encores à l' entrée à la muraille, & qui se peut oster quand on veut. Et combien que l' usage de ceste barre soit perdu, tant y a que de là vient que nous appellons toutes instances qui sont entees sur des Requestes, instances pendantes à la barre.

Cela soit par moy touché en passant, mais pour revenir à la Chambre des Requestes du Palais, n' y ayans du commencement que les Officiers de la maison du Roy qui peussent iouyr du Committimus, chacun vouloit emprunter ce tiltre sous faux gages. Qui fut cause que Charles VI. sous lequel les Committimus commencerent d' entrer en plus grand credit qu' auparavant, par son Ordonnance de l' an 1386. voulut que nul ne peut iouyr de ce benefice, s' il ne iouyssoit actuellement des gages. On passa puis apres plus outre parce que tous les Conseillers du Parlement & des Enquestes voulurent avoir ce privilege, ensemble les Greffiers, Notaires & Secretaires de la Cour, mesmes il fut dit par Arrest du 14. Decembre, 1408. que quatre Clercs du Greffe Civil, deux du Criminel, & un des presentations, avroient leurs causes commises aux Requestes du Palais. Les Advocats y voulurent aussi avoir part, & non sans cause: D' autant qu' en une ancienne Ordonnance inseree dans le vieux stile du Parlement, où il est parlé du serment qu' ils doivent faire à la Cour, ils sont appellez Advocats & Conseillers du Parlement : Aussi les Advocats, tant plaidants que consultants sont honorez du chaperon fourré, qui est la vraye remarque du Magistrat du Palais: Et encores on donne aux plus anciens seance sur les fleurs de Lys vis à vis des gens du Roy. Tout ainsi que les Advocats, aussi les Procureurs du Parlement se meirent de la partie. Tant de sortes de personnnes voulans avoir part à ce gasteau, cela fut cause que le Chancelier Brissonnet, sous le regne de Charles VIII. declara en plain Parlement, le 16. Fevrier 1497. qu' il ne delivreroit plus de Committimus qu' aux domestiques du Roy, & specialement qu' il n' en seelleroit plus pour les Advocats, il ne parle point des Procureurs. Qui me fait dire que lors ils ne iouissoient de ce privilege. Car il y avoit beaucoup plus de raison de le leur refuser, qu' aux Advocats. Ceste mesme querelle a depuis esté soustenuë, tant par le Chancelier Olivier, que de l' Hospital, mais ils ne l' ont peu gagner. Par l' Edict de Moulins de l' an 1566. est fait un article expres de ceux qui pouvoient iouyr du Committimus, où sont compris les principaux Officiers de la Couronne, les Conseillers du Conseil Privé, les Maistres des Requestes de l' Hostel, Notaires & Secretaires du Roy, les Officiers domestiques couchez en l' Estat du Roy, & de la Royne sa mere, ses freres, sœurs, oncles, tantes, enfans de France. Douze des plus anciens Advocats du Parlement, & autant des Procureurs. Les Chapitres & communautez des Eglises qui de ce avoient privilege pour les affaires de leurs Eglises. Il ne parle point des Conseillers du Parlement, & autres qui en dependent. Mais il n' estoit besoin de les y comprendre, comme chose assez entenduë, puis que quelques Advocats & Procureurs y estoient compris, & neantmoins encores n' a cest article sorty son effect, parce que sans acception de personnes quiconque est Advocat ou Procureur au Parlement, il iouit de ce benefice, je dirois volontiers malefice, pour être une grande pitié de distraire un pauvre homme de sa jurisdiction ordinaire, quelquesfois de cent & de six vingt lieuës. Nos ancestres aux causes legeres, comme simples personnelles, mesmes en deffendant seulement, voulurent que les domestiques du Roy, procedassent devant les Maistres des Requestes de l' Hostel, à la suitte de la Cour, pour n' être destournez du service qu' ils devoient au Roy. D' avoir depuis sur ces personnelles enté les actions possessoires & mixtes, tant en demandant que deffendant, & sur ce pied permettre à un officier domestique de quitter sa jurisdiction ordinaire, & choisir celle des Requestes du Palais, afin d' affliger sa partie adverse, paravanture est-ce une chose qui meriteroit reformation, si nostre France en estoit capable : Cela aucunement recogneu, par l' Edict du mois de Janvier 1560. sur la doleance des Estats tenus à Orleans, furent tous sieges des Requestes supprimez, establis és autres Parlements, fors celuy du Parlement de Paris. Ordonnance qui ne sortit jamais effect, au contraire on les a depuis augmentez, ainsi que les occasions s' y sont presentees, mesmes en l' an 1580. Henry III. fit une seconde chambre des Requestes au Parlement de Paris.

Or au paravant que le Parlement fut continuel, il ne faut point faire de doute que Messieurs des Enquestes & Requestes ne tenoient tel rang que Messieurs de la grand Chambre. Les adresses des lettres se faisoient aux gens qui tiennent ou tiendront nostre Parlement, Enquestes & Requestes, coome si ces derniers fussent separez du Parlement. Il n' est pas que l' on ne trouve plusieurs lettres, esquelles apres les gens du Parlement on met immediatement les gens tenans les Comptes, puis les Enquestes & Requestes. Et combien que le Parlement fait continuel, ait osté ceste difference, & que sous le nom de la Cour de Parlement, on compreigne la grand Chambre, avecq' les Chambres des Enquestes & Requestes: si est-ce que la grand Chambre a tousjours eu de grandes prerogatives sur les autres. Un procés ayant esté conclud & arresté en l' une des Chambres des Enquestes, entre le Mareschal de Rieux, & les marchands frequentans la riviere de Loire, les Presidents y trouvans quelque chose à redire, ils en firent plainte à la grand Chambre, laquelle par son Arrest du 7. Janvier 1409. ordonna que le procés seroit reveu avecq' les Conseillers qui l' avoient jugé: & depuis par autre Arrest du 4. Decembre, 1411. fut trouvé que les Enquestes avoient bien jugé. Ils ne pouvoient mettre les appellations au neant, qui est une moyenne voye entre le bien & mal jugé. Cela leur fut permis le 8. Janvier 1422. Et par Arrest du 5. Janvier 1505. il fut ordonné que quand les Presidents de l' une des Chambres des Enquestes seroit absent, il ne seroit permis aux autres d' y presider, ains appartenoit à la grand Chambre d' y commettre celuy qu' elle voudroit. L' authorité de ceste grand Chambre est telle qu' il n' y a celuy des Enquestes qui avecques le temps n' espere & ne desire y avoir seance, comme derniere ressource de ses pensemens. Et y a une histoire fort notable d' un different qui se presenta le 29. May 1422. entre Maistre Jacques Brulard, President aux Enquestes, & maistre Guillaume Guy Conseiller, à qui avroit le devant de l' autre pour cest effect, Guy combattant l' autre de l' ancienneté de sa reception, qui estoit de dix ans entiers, & Brulard de sa qualité de President. Surquoy les Chambres assemblees fut dit & ordonné que Brulard seroit preferé à l' autre : Je dy nommément les Chambres assemblees: parce qu' auparavant que le Parlement fust fait continuel, on ne sçavoit que c' estoit d' assembler les Chambres.