mercredi 28 juin 2023

4. 22. Sommaire deduction de nombres François,

Sommaire deduction de nombres François. Et pourquoy par V. nous signifions cinq, & par X. dix, par L. cinquante & par D. cinq cens.

CHAPITRE XXII.

Geofroy Thory, homme qui en son Livre du Champ Fleury, discourant sur les lettres Antiques ou Attiques, s' est par mesme moyen estudié de nous enseigner quelques choses appartenantes à l' embellissement de nostre France, entre autres poincts, où il discourt dont procede qu' en nostre Arithmetique Françoise nous facions valoir la lettre de V. pour cinq, & celle de X. pour dix, D. pour cinq cens, & L. pour cinquante, qui semblent n' avoir aucun rapport aux nombres, pour lesquels elles sont employees, estime que le V. fut employé pour cinq, parce que c' estoit la cinquiesme voyelle, & de là passe en plusieurs divinations fantasques (fantastiques), ausquelles je renvoye le Lecteur s' il se veut donner le loisir de les lire. Je ne m' amuseray pas grandement à le contredire, ains diray seulement que si sa conjecture avoit lieu, je demanderois volontiers dont vient que nous ne mettons les autres quatre voyelles A. E. I. & O. pour designer selon l' ordre Abecedaire, les premier, deux, trois, & quatriesme nombres, tout ainsi que nous employons V. pour le cinquiesme. Pourquoy encores signifions nous le nombre premier par I. qui est la troisiesme voyelle. Je veux doncques dire (& le disant je ne seray desadvoüé) que le discours de nostre Arithmetique a pris son origine de la mesme Nature, laquelle nous apprit premierement de conter par nos doigts, un, deux, trois, & quatre: chacun desquels represente la figure d' un I. & si vous venez du doigt que l' on appelle Indice à celuy du Poulce, vous y voyez la figure & remembrance d' un V. antique, en esplanissant vostre main. De là à mon jugement est venu que quand nos anciens, voire les Romains conterent, ils employerent I. pour les quatre premiers nombres. Par exemple I. II. III. IIII. pour signifier un, deux, trois, & quatre, & userent puis apres de l' V. pour le cinquiesme nombre, representé entre le Poulce, & le doigt qui luy est le plus proche. Or que par I. on representast mesmes aux Romains tantost un, tantost deux, trois, & quatre nombres, nous l' apprenons de ce vers de Martial au second livre de ses Epigrammes où il dit, Que si quelqu'un trouve son premier & second livre trop briefs, il le peut garentir de cette faute, ostant un I. du second livre.

Unum de titulo tollere Iota potes.

C' est à dire, au lieu de ces deux I. qui signifioient deux, que l' on y en mit un seulement. Cette demonstration oculaire me faict tomber à la divination de mon V. pour cinq. Si bonne ou mauvaise, je m' en rapporte au jugement du Lecteur. Bien vous diray-je que puis que par une leçon de nature nous avons pris nos quatre I. de nos quatre doigts, comme estant le premier ject & calcul qui despend de nous, j' ayme mieux l' emprunter de là, que de V. pour cinquiesme voyelle. Cette maxime presupposee, comme premier fondement de nos nombres, il est aisé de juger pourquoy la lettre de X. fut employee pour le nombre de dix. Parce qu' en sa figure elle represente haut & bas deux V. Tout de cette mesme raison la lettre C. estant mise pour signifier le nombre de cent l' on fit valoir L. pour cinquante, faisant la moitié d' un C. representé en quelques vieux characteres sous cette figure L. Et ainsi l' ay-je autresfois veu, moy estant Escolier à Tholoze en quelques vieux Epitaphes, & se peut encores voir dedans Paris, au Monastere S. Germain des Prez, au soubassement de l' Autel de la Chapelle de S. Germain, en certaines anciennes lettres gravees en pierre de taille, autour d' une Croix qui y est, ausquelles on pourra avoir recours. Sur ce mesme modele faut dire que M. representant la premiere lettre de Mille, fut employee pour figurer ce nombre: & D. pour cinq cens, comme faisant la moitié de la lettre (* omega) ainsi figuree en nos vieux moules François. Tellement que mettans toutes ces lettres ensemble, M.DC.LXVIII. nous pourrons dire qu' elles signifient Mil six cens soixante & huict: vray que nos anciens arrivans sur le nombre de neuf mettoient un I. devant X. voulans nous donner à entendre que tout ainsi que I. mis au dessous de X. signifioit unze, aussi mis au dessus de la mesme lettre, il ne signifioit que neuf, par la substraction qui estoit faite d' un I. & apres le dix reprenoient les quatre unitez: & pour signifier unze, douze, treize, quatorze mettoient XI. XII. XIII. XIIII (XIV). jusques au nombre de quinze, qu' ils figuroient en cette façon XV. & ainsi de tous les autres nombres: nous signifions vingt, par deux XX. trente par trois XXX. & puis cinquante par une L. & quant à quarante par XL. & nonante XC. le tout pour la mesme raison que le IX. dont j' ay cy-dessus discouru. Monstrant que chacun des deux nombres est moindre de dix que le cinquante & centiesme. Et n' est pas chose qu' il faille icy oublier, ores que de petite consequence, que quand nos ancestres escrivant ce mot un, ils y adjousterent un g. derriere en cette façon ung, qui n' a nulle correspondance à ce mot qui vient du Latin, ny au son des oreilles: mais cette maniere d' escrire fut introduite pour oster l' equivoque qui pouvoit sourdre entre ce mot, & le nombre de sept. Car lisez tous les Livres anciens François manuscrits, c' estoit une coustume familiere aux Copistes de mettre les nombres par abbregement: & s' il estoit question d' escrire un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huict, neuf & dix, on y mettoit I. II. III. IIII. V. VI. VII. VIII. IX. & X. & ainsi de tous les autres: Et depuis l' invention de l' impression nous les couchasmes tous de leur long. De façon que ceux qui premierement au lieu de mettre la figure de I. voulurent pour signifier l' unité escrire le mot d' un, ils y adjousterent, (comme il est vray-semblable) le g, pour oster l' ambiguité qui se fust peu rencontrer avec le nombre de sept, escrit en lettre commune avecques un V (U), & une n, qui represente deux I (VII: Vn, Un).

4. 21. De la communauté des biens meubles, & conquests immeubles

De la communauté des biens meubles, & conquests immeubles qui est en nostre France entre le mary & la femme.

CHAPITRE XXI.

Si vous parlez aux Romains, encores qu' ils declarassent le mariage estre une societé individuë d' entre le mary & la femme, toutes fois ils avoient separation de biens, & n' alloit cette individuité qu' aux corps. Si aux François, combien que le mary & la femme soyent separez des biens paternels, maternels, & collateraux qui leur sont escheuz, & qui leurs escheent pendant leur mariage, ils sont neantmoins communs en tous meubles, & encores aux conquests immeubles par eux faits ensemblement. Si vous me demandez quelle des deux on doive estimer la plus juste loy: je vous renvoyeray a cette belle dispute qui fut traictee entre les Grecs & Indois Calatiens devant Darius Roy de Perse. Car comme ainsi fust que les Calatiens pensassent grandement honorer la memoire de leurs peres & meres, apres leurs deceds de manger leurs corps, n' estimans qu' ils peussent recevoir plus digne & honorable sepulture que dedans les enfans, les faisans, si ainsi le faut dire, reviure par eux mesmes. Et les Grecs feissent brusler leurs corps, pour puis loger leurs cendres dedans un cercueil: Quoy faisans ils pensoient les garantir à jamais de la pourriture. Darius demandant aux Grecs ce qui leur sembloit de la sepulture des Calatiens, luy respondirent qu' elle estoit pleine d' impieté: & au contraire les Calatiens, que celle des Grecs estoit bastie sur une cruauté barbaresque. Interrogez ceux qui sont nourris au pays du droict escrit, ils vous diront que la separation de biens est sans comparaison meilleure que la communauté, & ceux du pays coustumier donneront leur arrest en faveur de la communauté de biens: Tant a de tyrannie sur nous un long & ancien usage. Mais en cette diversité de mœurs & d' humeurs, me plaist grandement l' opinion du grand Aristote au troisiesme de ses Politiques, lequel nous enseignant quelles doivent estre les fonctions du mary & de la femme pour l' entretenement & manumention (manutention) de leurs familles, dit que le propre du mary est d' acquerir, & de la femme de conserver. Puis doncques qu' en ce mesnage commun chacun y contribuë du sien, il semble merveilleusement raisonnable que celle qui a part au labeur, participe aussi au profit. Et à tant que nos anciens n' introduisirent pas sans grande raison cette communauté de biens entre les gens mariez.

Ceux qui pensent foüiller bien avant dedans l' ancienneté, la vont rechercher dedans les Gaules, esquelles lors qu' on se marioit, chacun apportoit du bien de son costé, auquel succedoit celuy qui estoit survivant des deux. Qui n' est pas representer la communauté dont nous parlons. Aimoïn le Moine au quatriesme Livre de son Histoire, dit que Pepin Maire du Palais du Roy Sigisbert, fut delegué vers le Roy Clovis son frere, pour partager les thresors du Roy Dagobert leur pere, & que dedans la ville de Compieigne les partages en furent faits par esgales portions, Tertia parte tamen ex omnibus, quae Dagobertus acquisierat, postquam Nautildem sibi sociaverat, ipsi Reginae servata. Qui monstre que deslors par commun usage la communauté alloit pour le tiers aux femmes. Ce que le Roy Louys le Debonnaire voulut faire passer par loy, au quatriesme livre de ses Loix, & du Roy Lothaire son fils article 9. Volumus (dit le texte) ut uxores defunctorum post obitum maritorum tertiam partem collaborationis, quam simul in beneficio collaboraverunt, accipiant, Loy du depuis encores observee en la femme des Roys subsequens: ainsi l' apprenons nous de Flodoard, la part où parlant de Raoul Roy de France: Rodulphus (dit-il) Rex Franciae Placitum tenuit ad Attiniacum; Tunc inde profectionem parans in regnum Lotharij, gravissimo languore corripitur, cuius vi recidiva penè desperatus à pluribus, Rhemis ad sanctum Remigium se deferri petiit, ubi nonnulla dona largitus est. Caeterum praeter uxoris partem, quicquid sibi thesaurorum supererat, per Monasteria Franciae, Burgundiaeque direxit. Il ne cotte pas quelle part, & portion devoit appartenir à la Royne. Mais de ce passage je recueille qu' il n' estoit pas en la puissance du mary, de disposer à son plaisir de tous les biens de la communauté au prejudice de sa femme: Puisqu' un Roy de France y apporta tant de respect qu' aumosnant diversement à unes & autres Eglises pour le recouvrement de sa santé, il ne voulut, ou n' osa toucher à la portion congruë de la Royne sa femme. Comme les choses se sont du depuis passees, je ne voy point qu' il y ait eu communauté entre nos Roys & nos Roynes, ils acquierent diversement sous leurs noms, & n' y a rien de commun entr'eux pour cet esgard, ny aux acquests, ny aux meubles. D' un autre costé ce qui alloit anciennement au tiers pour la femme, par succession de temps est allé à la moitié parmy le peuple, & Provinces ausquelles la communauté a lieu, & au surplus le mary peut ordonner de tous les meubles, & conquests au profit de qui que soit, moyennant que ce ne soit une personne qui luy attouche de proximité de lignage, & par contract entre vifs: Car quant aux dispositions prenans traict à mort, il ne luy est loisible d' outrepasser sa moitié à qui que soit.