samedi 1 juillet 2023

5. 2. Que la mort de Bernard Roy d' Italie petit fils de l' Empereur Charlemagne fut une mort d' Estat,

Que la mort de Bernard Roy d' Italie petit fils de l' Empereur Charlemagne fut une mort d' Estat, contre l' opinion commune de nos Historiographes.

CHAPITRE II.

Charlemagne auparavant que de mourir avoit faict Pepin son fils aisné, Roy d' Italie, & Louys son puisné Roy d' Aquitaine. Ce fut une Loy depuis observee en cette famille, qu' à l' aisné qui devoit succeder à l' Empire estoit donné le Royaume d' Italie, voire dés le vivant du pere mesme. Ainsi fut-il baillé par l' Empereur Louys le Debonnaire, à Lothaire son fils aisné, ainsi par le mesme Lothaire à Louys aussi son aisné. Le tout de la mesme façon que nous appellons aujourd'huy Roy des Romains, celuy est destiné à l' Empire apres la mort de l' Empereur: Tiltre qui a esté emprunté de cette longue ancienneté. Car entre le Roy d' Italie & des Romains, il n' y avroit pas grande difference qui accompagneroit le Roy des Romains de l' effect. Advint que le Roy Pepin meurt du vivant de Charlemagne son pere, & par sa mort transmit le Royaume d' Italie à Bernard son fils: Auquel consequemment si le droict de representation eust lors eu lieu, la Couronne Imperiale estoit deuë. Nos Historiographes nous enseignent que Louys dés le vivant de son pere avoit esté par luy associé, & faict compagnon de son Empire. De moy, je le veux croire avec eux, encores que le Prince Nitard petit fils de Charlemagne par sa fille Berthe, n' en face aucune mention en sa vie, Regnavit (dit-il parlant de Charlemagne) per annos duos & triginta, Imperijque gubernacula cum omni foelicitate per annos quatuordecim poßedit. Haeres autem tantae sublimitatis Ludovicus filiorum eius ex iusto matrimonio susceptorum novissimus, caeteris decedentibus succeßit. Qui ut pro certo patrem deceßisse comperit, Aquas ab Aquitania protinus venit, quo undique ad se venientem populum suae ditionis addixit. S' il eust esté fait Empereur dés le vivant du pere, ce placard meritoit bien d' estre icy enchassé. Et à vray dire, qui prendroit ce passage par la simple lettre, sans y apporter quelque commentaire, il sembleroit que Louys demeurant dedans l' enceinte de France, ayant eu les premieres nouvelles de la mort de son pere, eust gaigné le devant de Bernard son nepueu qui residoit en Italie, & l' eust supplanté de la benediction de son ayeul.

Or combien que je ne vueille pas aisément desdire en cet endroit l' opinion commune de cette association d' Empire, toutesfois je soustiendray librement, que jamais il n' y eut chose qui affligea tant l' Empereur Louys en son ame, que Bernard, lequel il fit quelque temps apres mourir, feignant qu' il s' estoit voulu rebeller contre luy. Qui estoit une accusation supposee pour apporter quelque excuse à cette mort. Je sçay bien qu' à cette parole j' arresteray tout court le Lecteur, pour estre le premier de ce nom qui mette cette opinion en avant. Je ne me veux point icy chatoüiller: mais voyez si mes conjectures sont bonnes, que j' emprunte de ceux mesmes qui accusent Bernard de rebellion.

Premierement la question n' est pas petite de sçavoir si ce crime de rebellion pouvoit tomber en celuy, qui se pouvoit pretendre estre fondé en juste tiltre par le moyen du droict d' ainesse qu' il pensoit estre fondu en luy par la representation du Roy Pepin son pere, fils aisné de Charlemagne. Mais laissant cette particularité en arriere, qui estoit toutesfois le motif de la crainte du Debonnaire, ceux qui nous ont redigé sa vie par escrit, disent que ce Bernard reduit aux termes de desespoir, voyant son oncle s' armer contre luy, le vint trouver en cette France, & se prosternant à ses pieds, le supplia tres-humblement de luy vouloir pardonner sa faute: comme feirent semblablement tous ses complices, & entre autres un Reginard son Connestable: Toutesfois qu' ils ne le peurent de luy obtenir, ains furent mis entre les mains de la justice, qui condamna entre les autres, Bernard à mort, & que l' oncle meu de pitié, voulut qu' il eust seulement les yeux creuez, dont ce jeune Prince indigné, mourut trois jours apres de regret. Voila le courant de cette histoire. Par tout le discours de la vie de Louys le Debonnaire, on le represente un Prince calme le possible, lent & tardif à se courroucer, prompt à se reconcilier, enclin à la misericorde, qui ne refusa jamais pardon à celuy qui luy demandoit, quelque conjuration qu' il eust auparavant brassee. Ainsi en usa-il envers Guinemark qui avoit fait revolter la Bretaigne contre luy: Ainsi à l' endroict de Berca Comte de Barcelone convaincu de crime de leze Majesté: ainsi à ceux qui avoient suivy le party de Lothaire son fils, commuant la condamnation de leurs morts en bannissemens, & ainsi à une infinité d' autres Seigneurs factionnaires. Bernard seul se trouva ne pouvoir joüir de cette clemence, lequel se tenant clos & couvert dedans son Royaume d' Italie, pouvoit longuement amuser les forces de l' Empereur, qui mieux aimoit le repos d' une Chambre, que la poussiere des champs, toutesfois comme asseuré de sa conscience, il se vint jetter entres ses bras: dont vient que l' oncle fut chiche de sa misericorde envers son nepueu, luy dis-je, qui en estoit prodigue envers ceux qu ne luy attouchoient de proximité de lignage. Je n' en rendray point la raison, ains le lairray juger par celuy, qui non preocupé d' opinion, se donnera le loysir de me lire. On me dira que pour me flater j' adjouste icy à la lettre, & que Bernard ne se presenta à l' Empereur, que lors qu' il ne sçavoit plus de quel bois faire fleches. Belle objection vrayement, qui la pourroit lier avecques ce qui s' estoit passé. Car quand Bernard vint en France, il n' avoit encores senty aucuns efforts de la guerre, ains seulement sur un bruit que son oncle s' armoit souz un faux donner à entendre que Bernard s' estoit remué contre luy. Tout cela, ce sont paroles (me dira quelque autre) bonnes à estre contestees en un barreau par des Advocats qui combatent pour la vraysemblance, & non pour la verité. Or entendez je vous prie ce que j' ay maintenant à vous dire. Charlemagne, outre Pepin & Louys ses deux enfans legitimes, avoit trois bastards, Dreux, Hugues, & Thierry. Voyez ce qu' en recite Nytard duquel je fais tres-grand fonds en cette histoire: lequel apres avoir touché, & la venuë de Louys en la ville d' Aix, & la reception qui luy fut faite par ses sujets, comme je l' ay icy dessus representé, dit ainsi: Fratres quoque adhuc tenera aetate Draconem, Hugonem, & Theodoricum participes mensae esse, quos & in Palatio una secum nutriri praecepit, & Bernardo nepoti suo Pepini Regnum Italiae conceßit. Qui quoniam paulò pòst, ab eo defecit, capitur, & à Bertmondo Lugdunensis provinciae praefecto luminibus pariter & vita privatur. Hinc autem metuens ne post dicti fratres, populo solicitato eadem facerent, ad conventum publicum eos venire praecepit, totondit, ac sub libera custodia commendavit. Pour le regard des bastards, on voit à l' œil une moinerie, ou pour mieux dire mommerie d' Estat, pardevant un Parlement & assemblee generale des Princes & grands Seigneurs: Et quant à la mort de Bernard, il y apporte quelque excuse en cette parole Defecit, comme aussi escrivant l' Histoire de son temps, & de son oncle, il luy eust esté aucunement mal seant de ne donner quelque lustre à cette mort. Mais le subsequent des bastards me fait juger de l' antecedant pour Bernard, & qui me fortifie plus en mon opinion, c' est que l' autheur qui donna entre les anciens plus de façon à cette histoire de rebellion, nous enseigne que le Debonnaire quelque temps apres espoint d' un bon instinct de sa conscience, en un solemnel Parlement qu' il tint en son Palais d' Attigny, fit confession & penitence publique de ces deux fautes par luy commises. Anno subsequenti (dit cet Autheur) domnus Imperator conventum generalem coire iußit in loco cuius vocabulum est Attiniacus: In quo, convocatis ad concilium Episcopis, Abbatibus, spiritualibusque viris, necnon Regni sui proceribus, primo quidem fratribus reconciliari studuit, quos inuitos attonderi fecerat. Post haec autem palam se erraße confessus, & imitatus Imperatoris Theodosij exemplum, poenitentiam spontaneam suscepit, tam de his, quam quae in Bernardum proprium nepotem gesserat: S' il y avoit eu de la rebellion au nepueu, il ne falloit point de penitence à l' oncle. La juste condamnation de l' un estoit la justification de l' autre. Et à peu dire entre les chefs, pour lesquels il fut depuis degradé de sa dignité Imperiale par le Clergé dedans la ville de Soissons, à l' instigation de Lothaire son fils aisné, cestuy concernant ses freres & son (neueu) nepueu estoit le premier. Eo quod fratribus & propinquis (portoit le narré de l' arrest) violentiam intulerit, & nepotem suum, quem ipse liberare poterat, interficere permiserit. Passage qui ne porte pas que l' Empereur eust fait mourir le Roy son (neueu) nepueu, ains que le pouvant empescher il ne l' avroit fait. Qui monstre qu' en cette mort il y avoit plus du fait des hommes, que de Dieu, ou de la Justice. Aussi estoit-ce l' un des points que Thegan coadjuteur de l' Evesque de Triers, reprenoit en luy particulierement, que pendant que comme devot il s' amusoit trop à Psalmodier, & comme adonné aux bonnes lettres, il consommoit la meilleure partie du temps à la lecture des livres, ses conseillers & favoris luy faisoient acroire tout ce qu' ils vouloient. Omnia cautè & prudenter agens (dit cet Autheur parlant de luy) nihil indiscretè faciebat, praeterquam quod consiliarijs suis magis credidit quàm opus esset. Quod ei fecit Psalmodiae occupatio, & lectionum aßiduitas.

Bernard ayant esté occis, son corps fut porté en la ville de Milan, où il repose. Et combien que toute l' Italie fust de là en avant du tout exposee sous la puissance du Debonnaire, & que la mort du jeune Prince fust excusee par les courtizans, sous le pretexte de rebellion, toutesfois au veu & sceu de l' Empereur on l' honora de cet Epitaphe dans la principale Eglise: Bernardus civilitate mirabilis, caeterisque pijs virtutibus inclytus Rex, hic quiescit. Regnavit an. 4. Mens 5. Obiit 15. Cal. Maij indict. II. filius piae memoriae Pepini. Epitaphe, si je ne m' abuse, qui faisoit le procez au procez qu' on luy avoit fait. Et qui me fortifie de plus en plus à mon opinion, c' est qu' Adon Evesque de Vienne qui florit vers le temps de Charles le Chauve, & s' estoit du tout voüé à la celebration de cet Empereur, se donna bien garde en sa Chronique de parler, ny de la mort de Bernard, ny de la degradation des trois freres bastards, comme estans pieces qu' il ne pouvoit debiter sans obscurcir cette histoire. Ce Roy Bernard laissa un fils unique, nommé Pepin, qui eut trois enfans, Bernard, Pepin, & Heribert Comte de Vermandois (que le commun de nos Annales appelle par abreviation Hebert). Cestuy entres autres siens enfans eut un Aldebert fils puisné. D' un autre costé Louys le Debonnaire fut pere de Charles le Chauve, duquel nasquit Louys le Begue, & de luy Charles le simple. Admirable justice de Dieu qui se trouve entre ces deux familles. Car soit, ou que pour asseurer son Estat souz le masque de rebellion, ou non, Louys le Debonnaire eust consenty à la mort du Roy Bernard son nepueu, tant y a que ceste playe saigna longuement.

Parce que Dieu voulut en ramantevoir la vangeance en la troisiesme generation de l' une & de l' autre famille, je veux dire jusques à Charles le Simple, que Heribert fit mourir dedans les prisons de Peronne: Et pour accomplissement de vangeance (chose pleine de honte & pudeur) Ogine veufve de Charles, convoia en secondes nopces avec Aldebert fils d' Heribert. Qui estoit assassiner tout à fait la memoire de son mary. En effet voila quel jugement je fais de cette Histoire, que je supplie tout favorable Lecteur vouloir prendre de bonne part.

5. 1. Des admirables exploits de guerre du grand Roy Clovis,

LIVRE CINQUIESME.

Des admirables exploits de guerre du grand Roy Clovis, forlignement de sa posterité, & comment la Couronne de France fut transportee de sa famille, en celle de Charles Martel.

CHAPITRE I.

Clodion deuxiesme Roy des François mourant, laissa trois petits Princes ses enfans, Ranchaire, Renaut, & Aulbert, sous la conduite de la Royne leur mere, & cognoissant la foiblesse du sexe de la mere, & du bas aage de ses enfans, il leur ordonna pour Gouverneur Meroüee sien parent, grand Capitaine. Lequel prenant cette occasion à son advantage, se feit proclamer Roy des François. De maniere que la pauvre Princesse fut contrainte de se blotir avecques ses enfans dedans quelques villes du pays bas, conquises par le feu Roy son mary, où ils prindrent le nom & tiltre de Roys de Cambresy, Tournay, & Colongne: mais au petit pied. Tiltre qui ne leur fut envié par Meroüee, comme celuy qui pour avoir les forces en main, aspiroit à plus hauts desseins, se promettant de s' habituer avec les siens à bonnes enseignes dedans le pays de la Gaule, comme il feit. Ce Prince se trouva si brave guerrier, que de luy la premiere famille de nos Roys fut appellee Meroüingienne, & eut pour son successeur Childeric son fils, pere de nostre grand Roy Clovis, qui arriva à la Couronne aagé soulement de quinze ans. Et deslors par un fort instinct de nature qui le poussoit au fait des armes, il commença de nourrir de grandes ambitions & esperances en son ame. En quoy il ne fut aucunement deceu de son opinion. Les Romains avoient souvent harcelé par guerres les Germains, depuis appellez Allemans, toutes-fois n' y avoient jamais sceu bailler attainte apoint, quelques hypocrisies, dont les Empereurs voulussent revestir de fois à autres leurs grandeurs, se surnommans tantost Germaniques, tantost Allemaniques, comme s' ils se fussent rendus Maistres & Seigneurs de leurs pays, dont toutes-fois vous n' en trouverez aucune remarque precise dedans l' ancienneté. Au contraire jamais Auguste premier Empereur ne receut telle escorne, & affliction en son esprit, que quand Varenus son Lieutenant general en la Gaule perdit trois legions Romaines contre le Germain. A quel propos tout cecy? Pour vous dire que ce grand trophee estoit par les Cieux reservé à nostre Clovis; lequel en la journee de Tolbiac obtint une si sanglante victoire contre eux, que depuis il leur fut presque impossible de se relever & furent contraincts d' avoir recours à Theodoric Roy des Ostrogots dedans l' Italie, qui se rendit intercesseur pour eux par les œuvres de Cassiodore, & obtint pour eux une partie de ce qu' il desiroit. S' estimant cette Province tres-heureuse d' estre tributaire de ce grand Roy Clovis. Au regard de la Gaule, elle estoit sur l' advenement de ce Prince commandee par quatre diverses nations. L' Aquitaine par le Visigot, le Lyonnois qui n' estoit de petite estenduë par le Bourguignon, la ville de Soissons avecques ses despendances & appartenances par le Romain: Et le demeurant par les François partializez en deux ligues: 
L' une des Meroüingiens qui avoient la plus grande part au gasteau: 
L' autre des Clodionistes qui avoient la moindre. Et tous les peuples y habitans estoient gouvernez par trois diverses Religions (permettez moy pour m' expliquer d' user de ce mot, encores que des trois il n' y en eust qu' une qui meritast d' estre nommee Religion) la Catholique, l' Arrienne, & la Payenne. La Catholique estoit d' une longue main & ancienneté, exercee par l' ordinaire des Prelats, & du commun peuple de la Gaule, l' Arrienne par les Princes Visigots & Bourguignons, qui diversement affligeoient leurs sujets sur ce sujet, estans par ce moyen plus craints qu' aymez: La Payenne par les François, tant de l' un que de l' autre party.

Il falloit que nostre Clovis, auquel les mains demangeoient, eust des pretextes coulourez pour attaquer les Princes de ces nations. Ces pretextes ne luy manquoient, horsmis contre ceux qui estoient les moindres en puissance, je veux dire les Princes issus de Clodion. Nos anciens Evesques, Abbez, & Religieux qui prindrent la charge de nostre Histoire, nous representent Clovis pour un Prince accomply de toutes les pieces qu' on pouvoit desirer en un grand guerrier: Chose tres-vraye. Ils y adjoustent une grande devotion, dont je douterois, n' estoit que je ferois conscience de desmentir la venerable ancienneté. Bien diray-je (& je supplie le Lecteur de le prendre de bonne part) que dedans sa Religion il y avoit beaucoup du sage-mondain, & de l' homme d' Estat, comme ses effects nous en porterent tesmoignage.

Estant nourry en l' Idolatrie Payenne, il fut souvent prié, sommé, & sollicité par la Royne Clotilde sa femme, de vouloir pour le salut de son ame espouser la Religion Chrestienne, mais quelle des deux, de la Catholique ou Arrienne, c' est en quoy je suis empesché. Car je ne trouve point estre expressément specifié par nos Historiographes, laquelle des deux estoit par elle embrassee, & ce qui m' appreste encores plus à penser, est; que je la voy dés sa naissance & enfance, nourrie par le Roy Chilperic son pere & la Royne sa mere, & apres leurs decez par le Roy Gondebaut son oncle, Princes & Princesses Bourguignons infectez de l' heresie Arrienne. Je ne veux pas vous debiter cette opinion pour veritable; ja à Dieu ne plaise que je croye la Royne Clotilde avoir esté autre que Catholique, ains me suffit de vous dire que Clovis se trouvant pressé par son ennemy Alleman en la bataille de Tolbiac, ayant fait vœu, en cas qu' il obtint la victoire, de se reduire au sein de nostre Eglise, il se choisit pour parrein & instructeur de sa conscience S. Remy Archevesque de Rheims (Prelat tres-Catholique entre tous les Prelats de la Gaule) soit qu' il fust à ce poussé par la volonté expresse de Dieu, comme il nous est plus seant d' ainsi le croire, ou par un trait de prudence humaine, n' estant pas un petit secret aux Princes nouveaux conquereurs, ou qui projettent de conquerir de symbolizer en religion avec leurs sujets. Tant y a que sur ce pied de la Religion Catholique, il seroit malaisé de dire combien il se donna d' avantages. Car premierement, ce luy fut beau pretexte de guerroyer le Bourguignon, puis le Visigot pour extirper l' Arrianisme de la Gaule: & en apres un merveilleux advancement contr'eux, qui possedoient les biens, terres, & domaines de leurs Royaumes, mais non le cœur de leurs subjets. Et Clovis tout au rebours auparavant ses victoires estoit entré en pleine possession, & joüissance des cœurs, tant des Ecclesiastiques, que du demeurant du peuple Gaulois.

Ayant premierement exterminé le Romain, contre lequel la haine commune des nations estranges combattoit, puis le Visigot, rendu le Bourguignon tributaire. Bref, reduit sous son obeissance toute la Gaule, depuis appellee la France, fors & exceptez quelques petits eschantillons, qui estoient sous la domination des successeurs de Clodion, Clovis n' avoit aucun sujet de les envahir, tant pour le peu de pays par eux possedé, que pour n' avoir jamais receu d' eux aucune injure. Au contraire avoit esté secouru par Ragnacaire en la bataille, contre Siaisre Romain, & par Sigebert en celle de Tolbiac, où il avoit esté fait bourgeois, tous deux petits fils de Clodion.

Toutesfois prevoyant que par traite de temps, la memoire du tort qui leur avoit esté fait par Meroüee son ayeul, se pourroit ramantevoir contre sa posterité, il se voulut lascher toute bride, & sans marchander donna ordre de faire assassiner Ragnacaire, Cacaric, & Sigebert ses parens, Roys issus de l' estoc & ligne de Clodion. Voire ne doubta de mettre en œuvre la main du fils contre le pere. Car il est certain que par son Conseil Sigebert Roy de Colongne chassant, fut assassiné par l' entremise de son fils unique, à l' instigation de Clovis, & le fils tost apres par gens attitrez par Clovis. Je ne vous dy rien en tout ce narré que je ne le tienne en foy & hommage de nostre Gregoire Evesque de Tours, au deuxiesme Livre de nostre Histoire, Chapitres quarante, quarante & un, & quarante & deuxiesme. Cruautez certes barbaresques, & indignes d' un Chrestien, par le moyen desquelles il s' impatroniza du peu de pays que ces pauvres Roys possedoient. Chose qui me feit presque croire, que quand recevant le S. Sacrement de Baptesme, il se feit Catholique & non Arrien, il y avoit en luy plus de la sagesse mondaine, que de la devotion, pour la raison par moy cy-dessus touchee.

En ces grands coups d' Estat, tels que ce dernier de Clovis, il faut tout ou rien, & non y besongner par moitié: comme ce grand Roy avoit fort bien recogneu. Car ayant nettoyé le pays de ces trois Princes, qui auparavant leurs meurtres estoient autant d' espines à son opinion, il commença en communs propos de condamner ses soudainetez, comme s' il en fust venu au repentir. Disant que par ses conseils precipitez, il s' estoit forclos de tout confort & ayde, qu' auparavant il pouvoit tirer de ses propres parens en cas de malheureux succez contre ses ennemis. Protestation par luy faite, non à autre intention (dit Gregoire) que pour attraper ceux qui par une sotte creance eussent voulu sous cet appas estre enregistrez dedans ce Calandrier.

Plus grand & sage conseil ne pouvoit estre par luy pris selon le monde, pour la conservation de son Estat, que cestuy, si vous en parlez à Machiavel, & ses escoliers. Or voyez je vous prie comme la sagesse du monde est une vraye follie envers Dieu. La posterité de Clovis venant par succession de temps à forligner, les uns par la foiblesse de leurs sens, les autres par la foiblesse de leurs ans, les Maires du Palais ayans peu à peu empieté l' authorité Royale, pendant que nos Roys par leur fetardise se blotissoient en leurs serrails, pour donner lieu à leurs voluptez, Dieu voulut que la Mairrie apres avoir changé de diverses mains aux despens du sang d' uns & autres., aboutit finalement en Pepin, rejetton de la famille de Clodion: Et voicy comment. Le troisiesme des enfans de Clodion nommé Aubert eut un fils du nom Waspert, duquel nasquit Ausebert, seigneur en partie de la Mosellane, lequel voyant de quelle façon ses cousins estoient mal menez par Clovis, pour eschever ce coup s' enfuit à Rome, où estant recogneu pour Prince du sang des François, fut par le Roy Theodoric fait Senateur de Rome. La fureur des meurtres esteinte par la mort de Clovis, ce pauvre Prince fugitif trouva moyen d' estre reintegré en ses biens: Et lors quittant la qualité de Roy, cause de la ruine des siens, se contenta de celle de Senateur Romain, qu' il continua jusques au dernier souspir de sa vie. Cestuy fut pere d' Arnoul grand personnage au pays d' Austrasie, tant en bonnes mœurs que doctrine, Precepteur du Roy Dagobert pendant son bas aage, & depuis Maire de son Palais, & sa femme estant decedee fut pour sa preud' homie & saincteté fait Evesque de Mets. C' est celuy dont la posterité a canonizé la memoire, & en l' honneur duquel fut fondee l' Abbaye de sainct Arnoul, dedans la ville de Mets. De son mariage nasquit Ansegise qui espousa Becca fille unique de Pepin le Vieux, grand Seigneur dedans le pays d' Austrasie. Tous ces Seigneurs selon les occasions & rencontres, furent ores Maires du Palais d' Austrasie, où ils avoient pris leur naissance, ores de la Westrie, que nous appellons la France: Ores de l' un & l' autre Royaume. D' Ansegise & Becca nasquit Pepin le Gros, Prince sage & de valeur, qui apres avoir couru diverses fortunes, fut en fin Maire des deux Royaumes, au gré & contentement de tous les peuples. Cestuy ayant par son testament ordonné que Dreux son fils legitime, engendré de Plectrude son espouse, fust Maire du Palais de nostre France, & Charles Martel son fils naturel fust Maire du Palais d' Austrasie. Dreux estant allé de vie à trespas delaisse Theodoric son fils jeune Prince, Plectrude son ayeule donna ordre de faire mettre en prison Charles Martel dedans la ville de Coulongne, comme n' estant raisonnable qu' un bastard succedast à si grande charge. Et adoncques elle tint seule quelque temps le gouvernail de toutes les affaires des deux Frances. Histoire vrayement piteuse, & lamentable, qui nous monstre au doigt & à l' œil, de quel poids estoit lors la Majesté de nos Roys, puisque une Dame, veufve d' un Maire du Palais, non mere de Roy, prit la hardiesse sous le pretexte d' un enfant son petit fils, de vouloir commander à la France.

C' est pourquoy premier que de passer outre, je vous prieray me permettre de faire icy cette entreligne, pour puis reprendre à mon point le fil de cette genealogie, & y mettre fin. Les affaires de nostre Couronne estoient lors arrivees en tel desarroy, que les Maires du Palais n' ayans corrivaux, laissoient leurs Mairries à leurs enfans, comme Seigneuries hereditaires, ou bien en disposoient par leurs testamens comme il leur plaisoit, sans attendre le gré de leur Roy: Et leur suffisoit qu' ils eussent un Roy à leur poste, qui leur servist de pretexte à l' exercice de leurs Mairries, c' est à dire de leurs volontez. Apres le decez de Clovis, & Clotaire premier, vous voyez par deux diverses successions nostre Royaume avoir esté partagé en quatre lots: Paris, Orleans, Soissons, & Mets. Et lors la proximité du sang n' empeschoit qu' il n' y eust guerres civiles, entre les freres, oncles, & nepueux, par une convoitise detestable d' enjamber les uns sur les autres: Mais depuis que la faineantise commença de se loger en leurs ames, point, ou peu de guerres entr'eux dedans nos anciennes Histoires: Mais prou entre les Maires du Palais pour leur dignité. La plus part des Princes du sang estoient nourris à petit bruit, prés des Roys, ou és Moineries, pour en estre tirez comme d' un reservoir, par les Maires du Palais, lors que leur garand leur failloit par mort, & qu' il estoit besoin d' asseurer leur grandeur par un nouveau masque. Voire supposoient quelquesfois un faux Roy, sous l' authorité duquel ils exerçoient leurs tyrannies.

Il falloit que je donnasse air à ma juste douleur par ce discours. Or pour reprendre la suite de mes premiers arrhemens, la regence de Plectrude ne dura pas longuement. Car Charles Martel ayant trouvé les moyens de sortir de prison, luy qui fut un autre Clovis en proüesse dedans sa famille, sceut si bien mesnager sa fortune, tant contre cette Princesse & son fils, que par deux fois contre les Sarrazins, & en apres contre Eude Duc d' Aquitaine, puis contre les Seues (Sueves) & Saxons, que non seulement la qualité de Maire du Palais luy fut accordee, sans controlle d' aucun Seigneur, mais qui plus est en plein Parlement, & assemblee des premiers Seigneurs, fut declaré Prince de toute la France. Et de faict, luy estant decedé, ores que non Roy, fut enterré en l' Eglise S. Denys, tombeau venerable & magnifique de nos Roys, & son effigie honoree d' une Couronne, tout ainsi que s' il eust esté Roy.

Il mourut ayant deux enfans grands guerriers, Carloman, & Pepin, delaissant par son ordonnance & derniere volonté à l' aisné la Mairrie de l' Austrasie, & au puisné celle de France. Freres qui par un vœu commun, & devotion pour le soustenement de l' Estat feirent plusieurs beaux exploits d' armes. Vray que quelques anees apres Carloman se fit Chevalier de Dieu, & se rendit Moine de l' Ordre de sainct Benoist en Italie, au Mont Cassin: Demeurant par ce moyen tout le maniement des affaires, tant de la France, que de l' Austrasie, pardevers Pepin son frere, qui leva à la fin tout à fait le masque, & sceut si bien joüer son rolle, ayant pour protecolle le Pape Zacharie, qu' il confina le Roy Childeric son Seigneur (dernier de la lignee de Clovis) en une vie monastique, & tout d' une suite fit tomber la Couronne de France entre ses mains. Or en luy prit commencement la Royauté de la seconde famille de nos Roys, depuis appellé Carlienne, en commemoration de Charles Martel, premier fondement de ceste grandeur, tout ainsi que la premiere avoit esté nommee Meroüingienne du Roy Meroüee. Je vous ay estalé en petit volume cette grande & longue histoire, ainçois tragedie d' octante huit ans, pour vous monstrer combien estoit de grand sens nostre Roy Clovis, quand il preveut que la lignee de Clodion pourroit à la longue supplanter la sienne, & pour y obvier fit assassiner trois Roitelets de cette famille, par moy cy-dessus touchez. Toutesfois il n' y peut si bien pourvoir que sa prevoyance ne fust renduë illusoire par un juste jugement de Dieu. Ce qui fut par luy executé contre les Princes Clodionistes, fut un grand coup d' Estat, & ce qui advint à Pepin un grand coup du Ciel. Belle leçon certes à tous Princes, pour leur enseigner de ne separer les affaires d' Estat, d' avec celles de Dieu, & tous les miracles dont nos Moines ont gratifié la memoire de nostre Clovis, particulierement cestuy. Non toutesfois qu' il faille rejetter ce qui en est escrit: Car Dieu souvent exerce ses miracles, non en consideration des Roys, ains du Royaume qu' il favorise. Ainsi veit-on un Saül fils de Cis meneur d' asnes, prophetiser entre les Prophetes, quand Dieu l' eut destiné à regner sur le peuple d' Israël. Ainsi Vespasian fit des miracles en la Palestine, apres qu' il eut esté nommé Empereur par le Senat, ores qu' il ne sceust cette qualité luy avoir esté baillee. Et n' est pas hors de propos de croire que Dieu fit le semblable en celle dont nous avons cy-dessus parlé, Dieu voulant par son caractere de Baptesme exalter les Roys de France en grandeur.