dimanche 25 juin 2023

4. 2. De l' attouchement du fer chaud,

De l' attouchement du fer chaud, autre maniere de preuve que l' on observoit quelquesfois és causes Criminelles.

CHAPITRE II.

Nous eusmes trois sortes de preuves pour la verification des crimes, l'  une qui estoit en tout & par tout guerriere, dont j' ay cy-dessus parlé. L' autre pleine de damnable superstition, dont je parleray maintenant, & la troisiesme pleine de Religion, que je reserve au Chapitre suivant. Celle dont j' entends traicter en ce lieu estoit d' averer le crime par l' attouchement du fer chaud. Car si l' accusé le supportoit patiemment sans se brusler, il estoit en voye d' absolution, autrement il perdoit sa cause. Et de là paravanture est venu ce commun proverbe entre nous, quand voulans asseurer une chose pour tres-veritable, nous disons, que nous en mettrons bien nostre doigt au feu. Or estoit cette loy tres-ancienne, parce que l' un des articles de la Loy Salique redigee par Ansechise Evesque, portoit: De manu ab aeneo redimenda: Quelques uns lisent, ignio, d' un mot barbare. Soit l' un ou l' autre, c' estoit que l' on racheptoit quelques-fois en Justice, la rigueur du fer ou airain chaud, moyennant certaine somme de deniers, Le Moine Gratian au C. Memnam, dit que S. Gregoire escrivant à la Roine Brunehaut, du procez que l' on vouloit faire à Memna Evesque de Tholoze, detestoit cette procedure: Vulgarem demque (porte le Canon) & nulla canonica sanctione fulcitam legem, ferventis scilicet aquae, sive frigidae, ignitique ferri contactum, aut cuiuslibet popularis inventionis, exhibere te nolumus. Je trouve ce mensonge loüable, ayans tous interests d' estimer que ce grand sainct Pape condamna cette superstition. Toutesfois l' Epistre huictiesme de l' unziesme livre de S. Gregoire dont l' on pretend avoir esté extrait ce Canon, n' en fait nulle mention. Gratian le doit à Yves Evesque de Chartres en sa 91. Epistre, lequel l' attribuë au Pape Alexandre troisiesme, qui fut long temps apres S. Gregoire. Le passage plus notable que j' ay remarqué pour ce suject du Supplément d' Aimoïn, où parlant de l' ambition extraordinaire de Charles le Chauve, qui non content d' avoir, contre tout ordre de Droict spolié ses nepueux de l' Empire d' Italie, les vouloit encores frustrer du Royaume de la Germanie, estant delà le Rhim (Rhin) à grand ost, envoya à Charles son oncle des Ambassades, pour le semondre d' une paix, dont estant refusé, luy & tous les siens se meirent en jeusnes & oraisons, & par mesme moyen, decem homines cum aqua calida, & decem cum ferro calido, & decem cum aqua frigida, ad iudicium misit, petentibus omnibus ut Deus in illo iudicio declararet, si per ius & aequum, ille deberet habere portionem de regno, quam pater suus illi dimisit ex ea parte quam cum fratre suo Carolo, per consensionem illius, per sacramentum accepit. Qui omneis illae si reperti sunt: Et à tant trouva Louys que la justice estoit par devers luy, & le tort par devers son oncle. Depuis, je trouve que cette superstition fut grandement & longuement en usage sous la troisiesme lignee de nos Roys. Gilbert qui estoit du temps de Philippes I. en son Histoire de la guerre saincte dict, qu' un Moine qui avoit jetté le froc aux horties, surpris avecques une fille de joye, & convaincu par l' examen du fer chaud, fut condamné par jugement de l' Evesque du Puys, & des seigneurs qui l' assistoient, d' avoir le foüet avecques la garce par tous les carrefours du Camp. Les Epistres d' Yye de Chartres qui vivoit sous ce mesme regne en sont pleines. En l' une escrivant à Heribert Evesque du Mans soupçonné d' avoir voulu trahir sa ville, & le Roy d' Angleterre, desirant qu' il s' en purgeast par l' atouchement du fer chaud, Yve l' admonneste qu' il se donnast bien garde de le faire, comme n' y ayant Loy ou Coustume qui voulust que l' homme d' Eglise passast par cet examen. En la deux cens trente-quatriesme Epistre il parle d' un homme auquel apres avoir espousé une femme, on imputa d' avoir auparavant cogneu charnellement la mere d' elle. Puis adjouste: Audivimus quod vir ille de obiecto crimine, examinatione igniti ferri se purgaverit, & à laesione ignis illaesus repertus fuerit: Quod si ita est, & in sacramento purgationis suae posuit quod numquam cum matre uxoris suae una raro fuerit contra divinum testimonium, nullum ulterius investigandi intelligo esse iudicium. Là il requiert deux choses pour n' estre plus recherché, prestation de serment, & atouchement du fer chaud. Mais entre toutes je trouve fort belle pour ce propos la 254. à Raoul Archevesque de Rheims, où il luy discourt d' un mary qui sur un soupçon d' adultere vouloit divertir de sa femme. Ce que le pere ayant entendu voulut purger sa fille par le serment, que le mary ne voulut accepter. Au moyen dequoy à la chaudecolle il offrit que sa fille s' en purgeroit par l' examen du fer chaud: Cette cause depuis agitee en Cour d' Eglise: Sçavoir si la femme estoit obligee de passer par cet examen. Les aucuns estoient d' advis que non, quod in huiusmodi causa, non esset admittenda talis examinatio, in qua nulla, iudiciario ordine, facta praecessisset accusatio. Les autres de contraire opinion, soustenans que puis que volontairement la femme s' y estoit offerte, elle n' avoit sujet de s' en plaindre. En fin Yve y interposant son jugement conclud en cette façon. Non negamus quin ad divina aliquando recurrendum sit testimonia, quando precedente ordinaria accusatione, omnino desunt humana testimonia: Non quod lex hoc instituerit divina, sed quod exigat incredulitas humana. Et en la septante quatriesme lettre, parlant de mesme matiere. Cum talis examinatio sit in Deum tentatio, est mirum si divino auxilio deseritur, cum incautè & sine iudiciali sententia suscipitur. Bref encores que ce grand personnage allegue est divers lieux les authoritez d' Estienne, Sylvestre second, & Alexandre troisiesme Papes, qui condamnoient cette superstition comme introduite pour tenter Dieu, si est-ce que sa resolution generale estoit, qu' elle pouvoit estre permise, quand defaillant preuve entiere, le juge vouloit plus amplement informer sa conscience par l' atouchement du fer chaud, eau chaude ou froide. En fin fut cette coustume totalement supprimee par le Concil de Latran tenu sous Innocent troisiesme quelque peu auparavant le regne de Sainct Louys, portant le dixhuictiesme article ces mots: Nec quisquam purgationi aquae ferventis vel frigidae, seu ferri candentis, ritum cuiuslibet benedictionis impendat. C' estoit que l' on y apportoit quelques prieres de l' Eglise avant que d' entrer en ce jeu. Telles sont les impostures du diable de les pretexter tousjours de quelques ceremonies de l' Eglise. Depuis ce temps je ne voy point que l' on ait mis en œuvre cette damnable coustume en laquelle je me trouve aussi estonné comme il estoit possible qu' une personne touchast un fer chaud ou eau chaude sans sentir mal: comme au contraire exposant sa main dedans de l' eau froide, il pouvoit estre blessé: L' un estant aussi mal aisé que l' autre. Bien vous diray-je que ce n' est pas le seul endroict où la superstition trouva lieu. Car Solin raconte qu' au pays de Sardaigne y avoit une fontaine, par laquelle on descouvroit celuy qui avoit commis un larcin. Et au livre des Nombres dans la Bible, vous voyez que le mary accusant sa femme d' adultere s' il se trouvoit court de preuve, comparoissant par devant le Prestre de la Loy, la preuve du crime se faisoit par eau, avecques je ne sçay quels exorcismes, laquelle le Prestre faisoit boire à la femme, & si elle estoit innocente, elle s' en retournoit saine & sauve: Si au contraire coulpable, elle tomboit promptement en une hydropisie & enflure qui luy apportoit la mort.