lundi 14 août 2023

10. 16. Que du precedant chapitre on peut recueillir qu' on attribuë faussement plusieurs cruautez à Brunehaud, & autres male-façons de sa vie.

Que du precedant chapitre on peut recueillir qu' on attribuë faussement plusieurs cruautez à Brunehaud, & autres male-façons de sa vie.

CHAPITRE XVI.

Ne pensez pas je vous prie que pour une sotte curiosité j' aye rendu ce chapitre François, & le vous aye icy representé tout de son long: car il n' y a piece qui face tant pour la justification de Brunehaud contre les crimes de cruauté que l' on impute, que cette cy, de quelque façon que je vueille tourner ma plume. Je commenceray par Brunehaud, & finiray par le S. homme Colombain. Si cette Princesse faisoit si bon marché de la vie des hommes signalez, si la cruauté luy estoit autant familiere comme on dit; se peut il faire qu' elle eust apporté tant de façons pour faire non mourir; ains bannir celuy qui selon le monde l' avoit estrangement bravee? Un simple homme qui 2. & 3. fois avoit repris les fautes de l' ayeule & du petit fils, avecques paroles d' aigreur: qui sur ce pied avoit refusé de bailler sa benediction aux enfans de Theodoric à luy presentez pour cet effect par leur bisayeule, qui d' une bravade avoit fait littiere des viandes & vins à luy envoyez par le Roy, mesme avecques paroles de refus offensives: Et vrayement il ne faut point faire de doute que Brunehaud en fut infiniment ulceree en son ame. Aussi fut-ce la cause pour laquelle elle employa tous les nerfs de son esprit, pour induire le Roy à ce que il en eust la vengeance. Car outre ce que comme son ayeule elle pouvoit beaucoup d' elle mesme envers luy, elle y employa d' abondant, & la Noblesse, & les Prelats de la Bourgongne. Et neantmoins toute cette vangeance pourpensee par cette grande meurtriere, n' aboutissant à une mort; ains seulement à un bannissement qui luy fut accordé par le Roy Theodoric son petit fils. 

Peut estre, me direz vous (car je ne veux icy sous mauvais gages flater mon opinion) que cette Dame voyant son fils avoir du commencement grandement respecté ce sainct homme, pensa estre plus expediant de temporiser à ses cruautez ordinaires: je le veux. Mais en ce que je diray maintenant, il n' y a aucune responce.

Le sainct homme avoit esté banny par la bouche mesme du Roy: bannissement executé; toutesfois sans aucun r'appel il estoit licentieusement retourné de son authorité privee en son Monastere, vilipendant par ce moyen l' authorité de son Roy. Estoit-ce pas un moyen suffisant de mort? Je ne diray point à l' endroit d' une Princesse, laquelle faisoit profession expresse de cruauté; ains à toutes personnes, selon les reigles ordinaires de droict & de judicature. Toutes-fois cette grande meurtriere ne pourchassa point la mort du sainct homme, ains seulement que les portes luy fussent ouvertes, pour s' en retourner au pays dont il estoit premierement sorty. Hé! vrayment toutes ces considerations me font croire que c' est une charité que l' on luy preste, quand on l' accuse de cruauté. Mais encore suis-je bien plus confirmé en cette creance, quand je voy ce grand sainct homme Colombain, le principal observateur & reformateur des mœurs de cette Princesse, n' avoir rien trouvé en elle digne de reformation remarquable, que la connivence qu' elle apportoit aux paillardises du Roy Theodoric son petit fils. L' annee six cens quatorze fut par luy opiniastrement employee en ces sainctes exhortations, avec paroles d' aigreur; nonobstant tous les mescontentemens du Roy, & de son ayeule, dont il se voyoit menacé. En celle d' apres il quitta la Bourgongne, sans esperance de retour, suivant le commandement à luy faict. En toutes ces remonstrances nulle mention des cruautez: Auparavant l' annee six cens quatorze il n' y avoit que deux ans passez, selon le tesmoignage de Fredegaire chap. vingtquatre, que Didier Evesque de Vienne avoit esté lapidé par le

commandement expres de Brunehaud. Certainement si cette execrable inhumanité commise à la veuë de toute la France estoit vraye, ce preudhomme eust esté grand mocqueur s' il n' en eust baillé quelque atache à cette Princesse. Voyons donc quelles fautes elle peut commettre en ce sujet depuis que ce preudhomme fut expatrié jusques en l' an 618. qui fut la fin & dernier periode de la vie de Brunehaud.