mardi 15 août 2023

10. 17. Que sans calomnie on ne peut remarquer en Brunehaud qu' elle fut cause de la ruine des Roys Theodebert & Theodoric

Que sans calomnie on ne peut remarquer en Brunehaud qu' elle fut cause de la ruine des Roys Theodebert & Theodoric ses petits enfans: ainsi que la commune de nos Historiographes soustient.

CHAPITRE XVII.

Ceux qui de guet à pens ont voüé leurs plumes pour assassiner la reputation de Brunehaud, sur le fait des assassinats, luy imputent entr' autres choses, voire peut estre principalement, qu' elle fit entendre à Theodoric, que Theodebert n' estoit son frere; ains fils d' un simple jardinier, dont sourdirent les divisions qui furent entre les deux freres, & d' elles la ruine totale de leur famille. On dict que celuy qui fait profession de mentir doit estre accompagné de memoire, a fin qu' il ne se trouve disconvenable en ses propos. Je veux assassiner ces menteurs par leurs propos mesmes. Repassez sur Fredegaire & Aimoïn, vous trouverez que depuis la mort du Roy Childebert pere, qui fut l' an six cens, Theodebert & Theodoric ses enfans vesquirent en perpetuelle paix jusques en l' an six cens dix, que Theodoric leva les armes contre Theodebert, sur le faux donner à entendre de Brunehaud, qu' il estoit fils d' un jardinier: car ainsi l' apprens-je d' Aimoïn. De la levee d' armes je la croy, mais que ce fust sur ce sujet je le nie, par les raisons par moy cy dessus deduites, & pour l' evenement que je vous representeray maintenant. Tant y a que cette levee d' armes fut un feu de paille, aussi tost esteint, qu' allumé. Car par la mort de Protade Maire de son Palais, l' armee fut aussi tost licenciee, & ne trouverez que depuis Theodoric se soit souvenu de la mettre aux champs sous le pretexte de cette fausse imputation. Au contraire Theodebert fut le premier promoteur de leurs partialitez en l' an six cens quinze, dont depuis il paya le premier la folle enchere: Et de ce je ne veux plus asseuré tesmoin qu' Aimoïn. Voyons donc ce que nous apprenons, & ce qu' il en avoit apris de Fredegaire: car, l' un & l' autre symbolizent en cette particularité.

Anno decimo quinto regni sui (dit le Moine chapitre nonante cinq, livre troisiesme) Theodebertus aliqua sibi de fratris Theodorici posseßionibus adiungere parans, eum in se excitanvit. Veruntamen provido prudentium consilio virorum, electus est locus, cui Saloyssa cognomen, ut fratres ad destinatum locum cum paucis, sed Franciae primoribus, convenientes, quae pacis essent eligerent. Ibi Theodoricus cum decem millibus virorum solum; Theodebertus vero cum magna Austrasiorum affuit manu: bello etiam si frater petitis annueret, turbare pacem volens. Theodoricus tantae multitudinis contemplatione perturbatus, quae ille cupiebat conceßit. Conventus Fratrum huiusmodi fuit, ut Alesatio, & Sugitensi, Turonensi quoque, ac Campanensi cederet Comitatu Theodoricus, & ad Theodebertum ius omnium horum transiret. Inde cum gratia, sed simulata, discessum est, ac se invicem salutantes, uterque ad sua regna sunt regreßi.

Passage que je rendray François au moins mal qu' il me sera possible, a fin que chacun y ait part.

Theodebert le 15. an de son regne se voulant accommoder de quelques terres de Theodoric son frere, le reveilla contre soy; toutesfois par l' advis de quelques preudhommes, fut choisi un certain lieu appellé Saloïsse, ou les deux freres se trouveroient avec peu de suite (& singulierement qu' il y eust des François) où les 2. freres s' aboucheroient ensemblément pour vuider leurs differens à l' amiable. 

Là se trouva Theodoric suivy de dix mil hommes seulement: Mais Theodebert d' une forte & puissante armee, en bonne deliberation de troubler la paix, quand bien son frere luy passeroit condamnation de toutes ses demandes. Chose dont Theodoric estonné fut contrainct de caller la voile, & d' acquiescer à toutes les pretensions de Theodebert, quoy faisant luy furent adjugez les Comtez d' Azas, Sagitense, Touraine & Champagne, & par ce moyen se partirent contens l' un de l' autre: mais d' un contentement simulé.

Quels estoient ces Comtez là, & en quoy ils gisoient, j' en laisse la decision à quelques plus curieux que moy. Suffise vous qu' on voit par cela que Theodoric ne fut le premier demandeur ou complaignant en cette querelle, ains Theodebert. Et à tant que c' est une vraye ignorance, ou imposture de l' improperer à Brunehaud. Mais considerons quel progres elle eut, & en quoy nous pouvons nous aheurter contre cette Princesse. Le mesme Aimoïn recite tout au long comme les choses depuis se passerent entre les deux freres au chap. suivant qui est le 96. & parce qu' il est trop long je penserois icy abuser de vostre loisir, & du mien de le vous copier comme l' autre; ains me contenteray de vous dire que j' apprens de cet Autheur, que peu apres Theodebert fit mourir sans aucune cause Brunechilde sa femme, pour espouser Thendephilde. Et que Theodoric se voulant ressentir de l' affront & supercherie qui luy avoient esté faits, s' arma à bon escient contre luy. Cruelle bataille entr'eux pres la ville de Thou, par laquelle Theodebert fut mis à vauderoute. Quelque temps apres autre plus cruelle pres de Tolbiac, où Theodebert fut tout à fait vaincu sans esperance de ressource. En toutes lesquelles procedures je ne voy rien engagé de la reputation de Brunehaud. Mais voicy maintenant le grand coup auquel je demeure moy mesme engagé: Quelle fut la mort de Theodebert, quelle celle de son fils, ou de ses enfans. Si vous en parlez à Fredegaire il le fait prisonnier de Bertaire Chambellan du Roy Theodoric qui en fit present à son Maistre, lequel l' envoya aussi tost lié & garotté à Chaalons sur Saone; & pour tous enfans ne luy en donne qu' un bien petit, auquel il fit escraser la teste en la ville de Mets: & là se ferme cet Autheur en cet endroit. Mais Aimoïn fait tué traistreusement Theodebert dedans la ville de Colongne, par l' un de ses sujets qui fit present de sa teste à Theodoric, & luy donne plusieurs enfans masles, dont le plus petit enfançon fut meurtry par sa bisayeule, la teste contre une muraille, une fille belle en perfection conservee: des autres enfans masles, il n' est plus faite memoire: Qui monstre que c' est un coup de plume traversier d' un Moine. Mais en bonne foy, auquel des deux adjousterons nous plus de creance, ou a Fredegaire qui atoucha de plus pres le temps dont il parloit, ou à Aimoïn qui en fut beaucoup plus esloigné, que vous voyez estre contrepointez l' un à l' autre? Ainsi perit la famille de Theodebert, & ainsi s' impatroniza Theodoric de son Estat d' Austrasie.

Voyons maintenant quel jugement nous ferons de sa fin. Fredegaire le fait mourir d' une caquesangue. Aimoïn le fait mourir par le poison qu' industrieusement luy brassa son ayeule. De moy je ne demanderay jamais pardon, si j' adjouste plus de foy à l' ancien Autheur qu' au moderne. Singulierement eu esgard que je voy Aimoïn par les deux chapitres de luy que j' ay cy-dessus alleguez, n' avoir ignoré les deux opinions de Fredegaire, dont il fait mention sans le nommer. Toutesfois pour ne forligner de sa bonne coustume, il choisit les deux pires au prejudice de cette Princesse. Et neantmoins puis qu' il avoit à desdire celuy duquel il emprunte en cet endroict la plus part de ses mesdisances, il me semble qu' il devoit cotter quelque Autheur de marque, sur lequel il asseurast son desmentir, sans le vouloir authoriser de soy mesme, puis qu' il contrevenoit par sa confession mesme à l' ancienneté.