jeudi 3 août 2023

8. 7. Sales à faire Festes, dances, banquets, festins, festoyer.

De ce que nous appellons Sales à faire Festes, les Sales ordonnees pour faire dances, & banquets, & de ces mots, festins & festoyer.

CHAPITRE VII.

Les mots, aussi bien que les Republiques, ont leurs histoires à part, je veux dire leurs origines, progrés & changemens, selon la diversité des temps, & faisons: Bien est vray que nous couvrons les histoires qui leur sont deuës sous le nom de Grammaire. De ma part je suis d' opinion que la congruité, ou incongruité des paroles se doit emprunter de cet art: Mais de sçavoir comme par traicte de temps, l' usage des paroles s' est changé, comme elles ont pris divers plis, encores que le subject ne se trouve peut estre de grand merite, si est-ce histoire apportant aussi bien plaisir au lecteur, comme quand on luy devise de l' ancienneté d' une Republique, voire que les proverbes, ou paroles, ont quelquesfois ce privilege, de recevoir non seulement changement, comme toutes autres choses: Mais qui plus est ce changement nous donne le plus du temps un taisible advertissement des affaires, qui se sont passees entre nos predecesseurs. Je le vous representeray par exemple. Quand en nostre jeunesse nous usions du mot de tondre pour peine, disans que voulions estre tonduz, si ce que nous disions n' estoit vray, cela ne nous enseignoit il pas qu' anciennement le tondre tournoit entre les nostres à des-honneur? Ce que toutesfois aujourd'huy chacun de nous tourne à honneur, ainsi que je deduiray en son lieu. D' ailleurs quand aussi en nostre jeunesse nous appellions tous ennemis communs de France, Bourguignons, de quelque nation qu' ils fussent: Qui est celuy tant soit peu nourry en nostre histoire, qui ne juge que cela estoit provenu des longues guerres, que les Ducs de Bourgogne avoient diversement entretenues contre nous, sous les regnes de Charles sixiesme, septiesme, & Louys unziesme? En cas semblable quand le peuple pour un creancier appelle un homme Anglois, qui est celuy auquel il ne tombe soudain en l' entendement, que l' Anglois pretendoit avoir faict plusieurs convenances d' argent avec nous, qui ne luy avoient esté acquitees? Paradvanture adviendra-il qu' à nos survivans ce terme ne sera plus en usage: mais tant y a qu' il a esté de nostre temps, & devant.

Je puis doncques dire à bonnes enseignes, que la cognoissance tant des mots que des proverbes, nous apporte le plus du temps certaine cognoissance del' histoire, comme aussi la cognoissance de l' histoire nous apporte certaine information des mots: chose qui se verifiera amplement en ces mots de festes, festins, festoyer, que nous avons par long usage de temps appropriez à jeux, & banquets, combien que le mot de feste en sa vraye & naïfve signification doive estre pris pour un jour dedié par exprés au service divin: Corruption qui s' est insinuee entre nous par un ancien paganisme, dont je vous diray la cause. Encores que nos premiers peres Chrestiens eussent banny de nostre Eglise toutes les superstitions des Ethniques, toutesfois comme ainsi soit que tout peuple de quelque religion qu' il soit, est tousjours peuple qui se delecte plus du contentement exterieur des sens, que de l' interieur; aussi ne s' estans tout d' un coup espanduës les semences de la doctrine de Jesus-Christ par tout l' Univers, ains ayans pris petit à petit leurs racines, nous empruntasmes plusieurs choses des payens par une mutuelle conversation, les unes par la prudence de nos bons vieux peres pour les allecher à se rendre nostres, les autres par une dispence particuliere du peuple: Comme de faict nous voyons qu' au lieu des anciennes Bacchanales, nous avons introduit un Carnaval plein d' insolence, & mauvais exemple: & au lieu des Saturnales, les desbauches que nous faisons à la feste des Roys. Or estoit ce une coustume generale, & infailliblement observée par les Romains en toutes leurs festes de marque, de faire jeux, dances, & theatres publicques pour le contentement du peuple: Ainsi lisons nous que la Venerie estoit dediée à Saturne, les jeux Sceniques au Dieu Liber, les Circenses à Consus Dieu du Conseil. Et y avoit mesmes un ancien Decret du Senat de Rome, qui vouloit que les jeux publiques fussent non seulement honorez de la musique, & hautbois, mais aussi qu' ils fussent consacrez & unis avec le service divin. C' est pourquoy Seneque en son traicté de la Tranquillité de nostre vie, disoit, Legum conditores festos instituerunt dies, ut ad hilaritatem homines publicè cogerentur, tanquam necessarium laboribus imponeretur temperamentum. A ce propos disoit Labeon le Jurisconsulte, ainsi que nous apprenons de S. Augustin en son I. livre de la Cité de Dieu, chap. 12. que les fascheux Dieux s' appaisoient par sacrifices, & morts, & les bons par danses, banquets, & jeux. A cette occasion lisons nous, que pour appaiser l' ire du temps, sur les premiers jours du mois de May, ils avoient accoustumé de celebrer la feste de Flora Deesse des fruits, en laquelle ils se debordoient infiniment: Car d' un costé la jeunesse alloit au bois, & rapportoit une infinité de rameaux dans la ville, dont elle reparoit les maisons: d' un autre costé les filles de joye couroient nuës au milieu des ruës, ayans seulement les parties honteuses couvertes: Et lors se donnoient puissance de brocarder impunément tous ceux qui se rencontroient devant elles. Il ne faut point faire de doute qu' en telles joyes publicques l' on ne fist plusieurs grands banquets, mesmes avoient lors de coustume de s' entreenvoyer des tartres, & gasteaux, comme nous apprenons du Poëte Ovide dans ses Fastes. Ce que j' ay veu aussi avoir esté autresfois pratiqué dans Paris au jour de la feste d' une paroisse. Les Chrestiens qui vivoient au milieu des payens ne se pouvoient bonnement garder de se trouver en tels jeux publics, bien que ce ne fust par devotion, ains seulement pour se recreer. Qui appresta suject aux anciens Censeurs de nostre Eglise, comme à uns Tertullian, S. Cyprian, & S. Augustin, de crier aigrement encontre eux, comme tombans par ce moyen en une vraye idolatrie. Ceux cy se deffendoient au contraire de quelques passages de la saincte Escriture, qu' ils tiroient mal à propos à leur advantage, pour monstrer que ce n' estoit point chose repugnante à la Religion Chrestienne, que les jours de festes fussent solemnisez par dances, & joyeusetez, contre lesquels S. Cyprian fit la cent troisiesme Epistre qu' il escrit aux fideles Chrestiens: Eo usque (dit-il) enervatus est Ecclesiasticae disciplinae vigor, & ita omni langòre vitiorum paecipitatur in peius, ut iam non vitius excusatio, sed authoritas detur. Et peu apres, Non pudet, non pudet (inquam) fideles homines, & Christiani nominis authoritatem sibi vendicantes, superstitiones vanas gentilium, cum spectaculis mixtas, de scripturis coelestibus vendiadre, & authoritatem idololatriae conferre. Nam quando id quod in honore alicuius idoli ab Ethnicis agitur, à fidelibus Christianis spectaculo frequentatur, & idololatria gentilis asseritur, & in contumeliam Dei, vera & divina religio calcatur, pudor me tenet, praescriptiones eorum in hac caussa, nec patrocinia referre. Ubi (inquiunt) scripta sunt ista? ubi prohibita? alioqui & auriga est Israël, Helias, & ante arcam David ipse salutavit. Nalba, aera, tympana, tibias, citharas, & choros legimus. Cur ergo homini Christiano non liceat spectare quod licuit divinis scribere? Hoc loco dixerim longè melius fuisse istis nullas litteras nosse, quam sic litteras legere. Verba enim, & exempla, quae ad exhortationem Evangelicae virtutis posita sunt, ad vitiorum patrocinia transferuntur. 

Là il dit que ce que David faisoit, estoit en l' honneur de Dieu, & non des idoles, & à peu dire, il ne se scandalize point des spectacles sinon de tant qu' ils estoient faicts en faveur des idoles: Cela fut cause, si je ne m' abuse, que pour contenir aucunement le peuple, qui estoit fort en bride, & a fin de l' empescher de se trouver en la solennité des festes payennes, on tolera en nostre Religion les danses, banquets, & allegresses, souffrant aucunement un mal, pour empescher un pire: Et de là, si y prenez garde, il n' y a feste de village, je veux dire où l' on celebre la feste du sainct Parrochial, que par mesme moyen on ne l' accompagne de danses, & banquets: Et dans les villes mesmes en temps de pleine paix j' y ay veu autresfois pratiquer le semblable, au moins en celle de Paris. Il n' est pas qu' en quelques villes, & nommément en celle de Lagny, on n' ait voulut representer les jeux Floraux le jour de la Pentecoste: Car lors dés le matin le commun peuple au lieu d' aller à l' Eglise, va au bois cueillir des rameaux, & l' appresdinee (apresdinee) fait une infinité d' exercices de corps plaisans, voire y a certains paysans en chemise qui courent un jeu de prix. Coustume qui fut deffenduë par Arrest de la Cour de Parlement de Paris, moy playdant pour les Religieux, Abbé, & Convent de Lagny: Arrest toutesfois que je pense n' avoir sorty effect pour les Troubles depuis survenus en cette France. Et a fin que l' on ne pense que cecy vienne d' une coustume moderne seulement, les anciens Concils ne se plaignent d' autre chose que de telles folastries. Au quatriesme Concil de Cartage celuy est excommunié, qui au lieu d' assister à l' Eglise va aux jours de Festes, aux spectacles & farces publiques. Et au 4. Concil de Tolede il est porté en tels termes. Que c' est une coustume abusive usurpee par la populace, aux jours & festes des Saincts, de s' amuser aux dances vilaines, au lieu de vacquer au service divin. De là à mon advis est venu que nous usons indifferemment du mot de Feste, tantost pour signifier un jour dedié à la commemoration d' un Sainct, tantost pour un lieu destiné à faire dances, comme nous voyons que l' on appelle une Sale à faire Festes, en laquelle on reçoit les personnes pour rire, sauter, & dancer aux nopces des nouveaux mariez. De là quand nous oyons par la ruë quelque Instrument de Musique, nous disons à nos petits enfans que c' est la feste. De là, que nous ne mettons aucune difference entre Festins, & Banquets, Festoyer & Banqueter: voire qu' avec terme plus propre nous ne pouvons nommer celuy qui faict le Banquet, que Festivant. Toutes choses vrayement qui sont ainsi dites par abus, mais abus qui ne se cognoistroit sans la cognoissance de l' ancienneté & l' Histoire.