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samedi 12 août 2023

9. 31. Du different ancien, qui a esté & est entre la Faculté de Medecine de Paris, & le College des Chirurgiens.

Du different ancien, qui a esté & est entre la Faculté de Medecine de Paris, & le College des Chirurgiens.

CHAPITRE XXXI.

Anciennement la profession du Medecin gisoit en l' exercice de trois points. Au Conseil selon les preceptes de l' Art pour les maladies interieures du corps humain; au razoüer & oignemens pour les exterieures: & finalement, en la confection des potions & medicamens.

Je veux dire qu' il estoit Medecin, Chirurgien, & Apoticaire tout ensemble: Ainsi en usa le grand Hippocrat, & long entreject de temps apres, Galien. Chose dont encores nous pouvons trouver des remarques tres-asseurées. Car Ulpian le Jurisconsulte disoit. Proculus ait,  si medicus servum imperite secuerit, vel ex locato, vet ex lege Aquilia competere actionem. Idem iuris est si medicamentis perperam factis usus fuerit. Sed & qui bene secuerit, & dereliquit curaturum securus non erit, sed culpae reus intelligetur. Passages par lesquels on voit que le Medecin exerçoit l' Art de Chirurgie, & encores faisoit les potions qui estoient par luy ordonnées. Or qu' il fust Apoticaire nous l' apprenons encores de deux passages d' Apuleie au dixiesme livre de son Asne d' Or. Par l' un desquels vous voyez un valet s' adresser au Medecin, affin qu' il eust à luy vendre de la poison, pour faire mourir promptement un homme, lequel pour le tromper luy debita un brevuage dormitif. Venenum soporiferum. Et en l' autre, une meschante femme, voulant haster les jours de son mary malade, Medicum convenit quemdam notae perfidiae, qui tam multarum palmarum spectatus praemijs, magna doctrinae suae trophaea numerabat, ut illi venderet momentaneum venenum, illa autem emeret mariti sui mortem, iamque aegroto marito, medicus poculum probe temperatum manu sua porrigebat. Je vous laisse le demeurant, me contentant que vous voyez par ces deux passages que le Medecin avecques sa profession exerçoit ce qui appartenoit à l' Estat d' Apoticaire. Et de cette ancienneté encores en avons nous je ne sçay quelle remarque par le cent vingt & cinquiesme Article de nostre coustume de Paris, qui fait marcher d' un mesme pas les Medecins, Chirurgiens, & Apoticaires au fait des prescriptions: & neantmoins par ce qu' en cest exercice il y avoit je ne scay quoy de vieil, cela fut cause que l' usage de la Medecine Gregeoise estant arrivé dedans Rome, les Gentils-hommes Romains faisoient apprendre cest Art à leurs valets & esclaves, affin d' estre par eux secourus avenant qu' ils fussent malades. Cela fut pareillement cause, qu' en ce nouveau mesnage d' Université, les Medecins pour la necessité de leur charge, ayans trouvé une place entre les quatre Facultez, on estima qu' il la falloit recognoistre en sa pure naïfveté, & luy oster la manufacture du razoüer, pilon & mortier

Et deslors furent formez trois estats distinct du Medecin, Chirurgien, & Apoticaire. Ancienneté doctement remarquée par nostre Fernel sur le commencement du septiesme livre de sa Medecine universelle. Chirurgia (dit il) primum medicinae pars est habita, & ambae eisdem sunt natae authoribus. Nec Chirurgiae alia, quam Medicinae principia, nec aliae demonstrandi sunt leges: postea vero ut unius Medicinae dignitas splendidior praestabiliorque foret, rationis, consilijque facultatem, ut pote liberalem assumentes Medici, ac suo quodammodo iure sibi vendicantes, quicquid manuum opera geri solet, id omne ad Chirurgos, & Pharmacopolas transtulerit. Distinction de Medecin, & Chirurgien, qui estoit des le temps mesme du Roy Philippes Auguste en cette France, ainsi que nous apprenons du cinquiesme livre de la Philippide de Guillaume le Breton, parlant comme Richard Roy d' Angleterre au siege du Chasteau en Limosin, ayant esté feru dedans les espaules d' une fleche, le Roy fut porté en sa maison.

Interea (dit le Poëte) Regem circunstant undique mixtim, 

Apponunt Medici fomenta; secantque Chirurgi

Vulnus, ut inde trahant ferrum leviore periclo. 

Guillaume le Breton estoit du temps de Philippes Auguste, dont il escrivit la vie, duquelle Roy Richard estoit contemporain. Or par ces trois vers vous voyez les fonctions du Medecin, & Chirurgien, distinctes; mais de telle façon que le Medecin ordonnoit les fomentations pour guerir la playe, & le Chirurgien le ministere de ses mains pour tirer la fleche du corps. Car ainsi n' estoit lors le College des Chirurgiens ouvert, comme j' ay plus amplement monstré par le precedant Chapitre. Mais depuis qu' il fut ouvert, ils voulurent en leur Art, aucunement contrecarer la Faculté de Medecine, soustenans que leur charge gisoit non seulement en ce qui estoit de leurs mains, mais aussi de l' Art, ne pouvant l' un subsister sans l' autre. Et tout d' une suite que leur profession estoit plus certaine que celle des Medecins. Comme ainsi fut que leur vacation consistoit en la cure exterieure des maladies du corps, que l' on cognoissoit au doigt & à l' œil, & celle du Medecin aux interieures, auxquelles le plus du temps il y procede plus à taton, & par jugement imaginaire tiré d' un poux inegal, de la veine, inspection des urines, & matieres fecales, jugeant bien souvent d' un, ores que ce soit un autre mal, comme on descouvre en apres par l' ouverture du corps mort. Ce qui a esté depuis representé en peu de vers par le Palingene en son Zodiaque sous le signe du Lyon.

Consule item si opus est Medicum, vel Clynicus ille,

Vel sit Chirurgus, Chirurgi certior est Ars. 

Nam quid agat certum est, & aperta luce videtur, 

Clynicus ipse autem qui nunc Physicus quoque fertur, 

Dum lotium infelix spectans, inde omnia captat, 

Dum tentat pulsum venae, dum stercora versat, 

Fallitur, & fallit.

Adjoustoient les Chirurgiens qu' ores que par un long progres & succession de temps le Medecin exerçast tant en la Grece que Rome, les trois charges de Medecin, Chirurgien & Apothicaire, toutesfois que la Chirurgie avoit esté du commencement plus en credit. Qu'  ainsi apprenions nous de Pline, qu' Esculape, qui depuis fut canonizé par les Payens entre leurs Dieux imaginaires, se rendit au siege de Troye plus recommandable par la guerison des playes, que des autres maladies

Et que dedans la ville de Rome, comme nous enseigne le mesme Pline, le premier Medecin qui y arriva nommé Archagathus, fut appellé Vulnerarius, comme celuy qui guerissoit seulement les playes. Tellement que sur ces persuasions ils introduisirent entr'eux un College, tel que je vous ay discouru par le precedant Chapitre, à l' instar presque de celuy des Medecins. Et estimerent qu' à eux seuls en consequence de leur razouër appartenoit l' anatomie, & dissection des corps, & le pensement des playes: & qu' en ce pensement ils pouvoient avecques leurs oignemens, selon que la necessité l' exigeoit, ordonner à leurs patiens, aposumes clysteres, potions, saignées, comme remedes annexez à leur profession. Menage que les Medecins ne peurent jamais approuvez (approuver), disans qu' encores que le mot Grec de Chirurgien portast quant & soy quelque prerogative chez nous: toutesfois rendu François, il ne signifioit que Manoeuvre. Parole que nous employons à toutes personnes de basse condition qui vivent au jour la journée: & au surplus, soit que nous considerions le mot Grec ou François en sa naïfve signification, il ne vise qu' à l' ouvrage de la main, & non plus.

Et à peu dire les Medecins pensent que le Chirurgien ne peut rien operer sans leur ordonnance. Au contraire le Chirurgien estime que les Medecins ne luy peuvent rien commander sur le fait qui despend de la Chirurgie; si ce n' est qu' il y ait danger de la vie en un malade: auquel cas il estimoit que pour obvier à tout blasme il n' estoit mat seant aux Medecin & Chirurgien, de concurrer ensemblement. A quoy j' adjousteray par forme de commentaire, que plus facilement deux hommes peuvent porter un corps mort en terre, qu' un seul.

Quelque different qu' il y eust entr'eux, le Medecin estant tousjours le superieur du Chirurgien, voicy un nouvel ingredient qu' il meit en œuvre contre cette maladie. Nous avons eu de tout temps les Barbiers, gens destinez par leur mestier pour accommoder les barbes, & cheveux. Et par ce que nos ancestres se faisoient ordinairement, non tondre, ains raire leurs barbes, comme pareillement de fois à autres leurs cheveux, en quoy le razoüer estoit necessaire aux Barbiers, aussi commencerent ils de s' aprivoiser du Medecin par les saignées qu' il ordonnoit, & en apres d' enjamber petit à petit sur l' Estat du Chirurgien, comme je verifieray en son lieu. Et neantmoins sans aller maintenant foüiller plus avant dedans une longue ancienneté precedante, vous entendrez, que les Medecins ont accoustumé d' eslire de deux en deux ans, un Doyen qui manie tout leur mesnage, & est tenu leur en rendre compte, sa charge finie. Je trouve sous le Doyenné de Maistre Michel de Colonia, que le 19. de Novembre 1491. la Faculté de Medecine fut assemblée en l' Eglise S. Yves, qui lors estoit son rendez-vous ordinaire en telles affaires, pour ouïr la plainte qui leur estoit faite par Messieurs les Chirurgiens, ainsi que porte le Registre. Ad audiendam querimoniam Dominorum Chirurgicorum, ut ipsa dignaretur eis praestare favorem in suis Privilegijs, & signanter contra Barbitonsores, sicuti proviserat eis. Et quod graviter ferebant, quod aliqui Magistri eiusdem Facultatis exposuerant & declaraverant dictis Barbitonsoribus: anatomiam quamdam legebant etiam dicti Magistri, Barbitonsoribus lingua vernacula super quibus deliberatum, & conclusum extitit, quod praefatae anatomiae factae sunt praeter mentem, & ordinationem eiusdem Facultatis, veruntamen credebant quod dicti Magistri sic fecerant ad evitandum maius malum, scilicet ne aliquis extraneus facisset: & addidit etiam ipsa Facultas, & praecepit ne supra dicti Magistri amplius dictis Barbitonsoribus legerent, quousque aliàs providisset.

Voila la premiere escarmouche, & depuis ils s' attaquerent diversemenz, les Medecins se donnans tousjours quelque advantage sur les Chirurgiens. L' unziesme Janvier mil quatre cens nonante trois sous le Doyenné de Maistre Jean Lucas: Placuit Facultati (porte le Registre) quod Barbitonsores haberent unum de Magistris Facultatis qui leget eis Guidonem, & alios authores verbis Latinis, eis exponendo aliquando verbis familiaribus & Gallicis secundum suam voluntatem. Et permet aux Barbiers d' acheter un corps exposé au gibet pour l' anatomiser, moyennant que l' anatomie fust faite par l' un des Docteurs en Medecine. Vous voyez comme pied à pied les Medecins prenoient terre sur les marches des Chirurgiens. Au moyen de quoy sous le Doyenné de Maistre Thierry le Cirier le dixhuictiesme de Novembre mil cinq cens nonante quatre. Supplicavit Magister Philippus Roger Chirurgicus, ut Magistri Facultatis de caetero non legerent Bartitonsoribus in lingua materna

Cui respondit Facultas, quod placebat sibi suspendere pro nunc illas lectiones, non tamen volebat absolute acquiescere petitioni illi, nisi etiam Domini Chirurgici desisterent ab ordinationibus receptarum ad Magistros Facultatis, & non ipsos Chirurgicos spectantibus. C' estoit (comme j' ay touché cy dessus) que les Medecins pretendoient que d' ordonner quelque Medecine à celuy qui estoit nauré, cela devoit sortir de leur boutique, & non de celle des Chirurgiens. Cette querelle depuis fut diversement promenée. Parce que sous le Doyenné de Maistre Bernard de la Vaugiere 1498. les compagnons Barbiers presenterent leur Requeste, à ce qu' il pleust à la Faculté commettre quelque Docteur, pour leur enseigner l' anatomie d' un corps qui leur avoit esté promis par le Lieutenant Criminel. A quoy s' opposerent les Chirurgiens, soustenans que cela estoit de leur gibier, & estoient pres d' y vacquer. Sur cette opposition fut ordonné le 13. Decembre, que l' anatomie seroit faite par un Docteur Medecin, qui l' expliqueroit, tant en Latin que François. Qui estoit tousjours autant esbrecher l' authorité des Chirurgiens.

Le dixhuictiesme Octobre mil quatre cens nonante neuf sur autre Requeste presentée par les Barbiers, il est permis de leur lire tous les livres de Chirurgie, Dummodo id fieret sermone Latino, & non alàs. Cum Magistri non soleant aliter libros suos legere. Une chose sans plus me desplaist, que l' avarice se vint loger au milieu de ces contrastes & altercations. Parce que sous le premier Doyenné de Maistre Richard Gassian mil cinq cens deux fut arresté: Quod Domini Chirurgici facerent anatomias, si vellent obedire Facultati, solvendo tertiam partem, & ut praeferrentur Tonsoribus, aliàs Facultas privat eos. La premiere recepte qui est faicte en consequence de cette ordonnance, est au compte de Gassian portant ces mots. Alia recepta pro anatomia à studentibus Chirurgicis Tonsoribus, & his qui voluerint interesse. A communitate Chirurgicorum qui solverunt tertiam partem expensa-sarum (expensarum) quadraginta duos solidos Parisienses. Sous le deuxiesme Doyenné de Maistre Jean Avis, la Faculté estant assemblée en l' Eglise sainct Yves, le troisiesme Janvier mil cinq cens cinq, se presenterent tous les Chirurgiens de Paris ayans tous le bonnet aux poings (ainsi que porte le Registre) & declarerent par l' organe de Maistre Philippes Roger, qu' ils estoient Escoliers de la Faculté: dont elle demanda acte à deux Notaires de la conservation en Cour d' Eglise, Maistre Martin Menart, & Jean Maioris. Ce fait Roger remonstra que les Maistres Chirurgiens estoient fondez en plusieurs Privileges Royaux, au prejudice desquels la Faculté avoit besongné, en donnant permission à un François Bourlon d' exercer la Chirurgie, la suppliant que de là en avant on n' entreprist plus sur leurs anciennes prerogatives. A quoy Helin, comme le plus ancien des Medecins, respondit que ces pretendus privileges avoient esté obtenus par subreption, & sous le faux donner à entendre des Chirurgiens, les Medecins non ouis ny defendus. Et neantmoins fut advisé qu' on en delibereroit plus amplement, mesme sur la requeste presentée par les Barbiers. Et quelque peu apres fut passé un contract le troisiesme Janvier mil cinq cens cinq pardevant Calais & Coste, Notaires au Chastelet de Paris, entre Giraut Tougaut Maistre Barbier à Paris, & garde des Chartres du mestier de Barbier, Pierre Cerisay, Jean Courroye, Guillaume Alain, Jean le Fort jurez, tant en leurs noms, que comme stipulans pour les autres Maistres Barbiers de cette ville de Paris d' une part, & Maistre Jean Avis natif de la ville de Beauvois, Docteur Regent en la Faculté de Medecine, Doyen d' icelle, tant en son nom, que comme stipulant pour la dite Faculté. Par lequel contract est narré que depuis quelque temps en là quelques Docteurs de leur Faculté avoient esté commis, pour declarer & exposer la science de la Chirurgie aux supplians. Pour ces causes estoit entr'eux passé ce contract portant les articles qui s' ensuivent. C' est à sçavoir que ces lectures se continuëroient, quoy faisant, les Barbiers jureroient estre vrais Escoliers de la Faculté, se feroient par chacun an inscrire au papier du Decanat, & pour leur inscription seroient tenus de payer deux sous parisis; jureroient de non administrer Medecine laxative, ains seulement ordonneroient ce qui appartiendroit à l' execution de la Chirurgie manuelle: Mais quand il seroit question de Medecine, ils avroient recours à l' un des Maistres de la Faculté. Que pour recevoir un Barbier à la Maistrise, on y appelleroit deux Docteurs de la Faculté, lesquels apres la deliberation des Maistres Barbiers, concluroient sur la suffisance, ou insuffisance de l' examiné, & pour leur assistance, avroient chacun deux escus sol pour leur salaire; qu' ils n' exerceroient l' art de Chirurgie avecques autre Medecin, qui ne seroit de leur Faculté; qu' apres que l' examiné avroit esté trouvé suffisant, il seroit tenu de jurer, & faire le serment de ce que dessus, en la main de l' un des Maistres Docteurs Commissaires. Moyennant cela la Faculté promettoit leur faire leçon en Chirurgie, & de leur communiquer, & faire exposer les anatomies, en payant par eux les droits specifiez: & où quelques uns les voudroient troubler en l' exercice de la Chirurgie, en ce cas la Faculté seroit tenuë  de prendre le fait & cause pour eux, & les garentir, à la charge que les Barbiers seroient tenus de faire les fraiz. 

Par le moyen de ce contract les Medecins passerent le Rubicon, & voulurent introduire un nouvel ordre de Chirurgie au prejudice de l' ancien. Et de fait ores qu' auparavant dedans leurs memoriaux, parlans des Barbiers ils les appelassent simplement, tantost Barbitonsores, tantost Barbirasores, ils commencerent de les honorer de ce titre, Tonsores Chirurgici, pour ne desmentir leur contract: & ceux qui pensoient plus elegamment parler, Chirurgi à tonstrina. Et non contens de cela par une assemblée du septiesme Juillet mil cinq cens six, la Faculté arresta, Quod nullus Magistrorum compareret in artibus Chirurgicorum, sub poena privationis. Qui estoit faire une profession expresse d' inimitié encontre le College ancien des Chirurgiens. Je me donneray bien garde de controller ce contract, & d' examiner si les Medecins pouvoient introduire une loy nouvelle, au prejudice des anciens statuts de l' Université de Paris, qui veut que les Arts s' enseignent par les siens en langue Latine, ne s' ils pouvoient attenter chose aucune au desavantage de la compagnie des Chirurgiens, ny de se faire juges & parties en leur cause.

Je laisse cette tasche à ceux qui voudront faire les Critiques, me contentant, comme simple Historiographe, de vous avoir representé comme le fait s' estoit passé. Bien vous diray-je qu' en cette nouvelle entreprise je trouve je ne sçay quoy de sage-mondain aux Medecins, quand par la closture du contract ils promettent prendre la cause des Barbiers contre les Chirurgiens, mais à leurs despens, perils, & fortunes. Qui estoit se mettre à l' abry des coups.

La connivence que les Chirurgiens apporterent à ce contract, rendit les Medecins de là en avant plus hardis, qu' ils n' avoient esté par le passé. Car le 3. de May mil cinq cens sept les Chirurgiens furent citez pardevant la Faculté de Medecine à certain jour, sur ce qu' ils ordonnoient des clysteres, aposumes & medecines, tout ainsi que les Medecins. Le premier de Juin ils comparent, & sur les remonstrances à eux faictes, promirent par serment fait sur les sainctes Evangiles (ainsi le portent les memoriaux de la Faculté de Medecine) qu' à l' avenir ils ne tomberoient plus en cet accessoire. Ainsi trouvé-je que sous le Doyenné de Maistre Jean Bertoul le 18. Decembre 1507. Eadem Facultas per iuramentum convocata dedit concorditer adiunctionem iuratis tonsoribus, studentibus in Chirurgia, sub doctoribus dictae Facultatis in certo processu, contra eos intentato, per Iuratos Chirurgicos, expensis videlicet ipsorum tonsorum: Aux anciens Registres on les appelloit Dominos Chirurgicos,  comme mesnagers, & ministres d' une partie de la Medecine: Icy on les nomme seulement jurez à l' instar des mestiers mecaniques. Ce procez prit quelque traict, mais je ne voy point quelle en fut l' issuë. Quoy que soit sous le premier Doyenné de Maistre Jean Ruelle l' an 1508. le Doyen en pleine assemblee remonstra, Quod Chirurgici, iampridem inchoatum processum continuare contendebant, dederantque suas posseßiones & saisinas, quae lectae fuerunt. Quibus auditis dedit Facultas deputatos, quorum consilio, necnon consiliarorum, in hoc processu ageretur. Deputati autem fuerunt Magistri, Richardus Helin, Michaël de Colonia, Theodoricus Sirier, Ioannes Bertoul, & Ioannes Avis: Au second Doyenné de Ruelle le 12. Novembre en une congregation de l' Université: Petita est per Decanum adiunctio Universitatis in processu quem facultas habebat, eo quod Chirurgici actus Baccalaureorum, in gravißimum Universitatis detrimentum faciebant. Cui porrectae supplicationi se adiunxit Universitas. Et le 9. jour de Mars ensuivant fut advisé par la Faculté, qu' on chercheroit toutes les pieces & Arrests, qui pouvoient estre contre les Chirurgiens: & prendre Advocat, Procureur, & soliciteur. Le 28. de Decembre 1510. sous le Doyenné de Maistre Jean Guischard, fut la Faculté assemblee à S. Yves, pour le procez des Chirurgiens: & conclud que la Faculté soustiendroit fortement le procez: Et sustineret praefatum Clodoaldum, & communitatem tonsorum, adversus Chirurgos. Et tout d' une suite fut arresté que Requeste seroit presentee à la Cour, pour contraindre les Chirurgiens de frequenter les leçons ordinaires des Docteurs en medecine, & de se soubsigner tous les ans au livre du Doyen, a fin qu' on fust suffisamment informé du temps de leurs Estudes, lors qu' ils se voudroient passer Maistres en leur Art. Au demeurant que les Barbiers seroient adjournez, sur les malversations qu' on pretendoit avoir esté par eux commises au desadvantage de la Faculté. Conclusion capitulaire, qui n' estoit ce me semble hors de propos. Or comme ce procez se poursuivoit chaudement, le dernier jour de Janvier comparuerunt in Burello Facultatis sponte sua Domini Chirurgi (en cet acte de Pacification le mot de Domini eschappe) quaerentes pacem cum Facultate, ut aiebant, & finem processus contra eos, similiter inter eos & tonsores. Quibus Facultas bene convocata congratulata est, & cum gaudio benigne suscepit: Et leur declara (porte le passage) qu' ils estoient les mieux que bien venus, moyennant qu' ils la voulussent recognoistre comme leur mere en cet Art; & pour trouver moyen de concorde entr'eux, elle deputa Helin, le Cirier, de Colonia, Bertoul, & Rozee: qui s' assemblerent plusieurs fois avec les Chirurgiens: mais je ne voy quelle fin eut leur procez. Que si je ne m' abuse ce fut une surseance d' armes, dont les Chirurgiens sceurent fort bien faire leur profit: car ayans fait cette declaration eh Janvier 1510. en plein bureau de vouloir nourrir paix & amitié avec la Faculté de Medecine, & ayans esté par elle embrassez: Aussi trouvez vous que le 5. Avril 1515. le Recteur & Université de Paris, en une congregation generale declara que les Chirurgiens devoient estre estimez Escoliers de l' Université. Et par acte emané de la Faculté de Medecine du 17. Novembre au mesme an, ils furent aussi declarez Escoliers de la Faculté de Medecine, & que comme tels ils devoient estre declarez francs & exempts de tous imposts & aydes: le tout comme vous avez peu plus amplement entendre par le precedent Chapitre. Depuis ce temps je ne voy nulle guerre ouverte entre le Medecin & le Chirurgien, ny pareillement entre le Chirurgien & le Barbier, ains une longue trefve dura jusques en l' an 1582. qui estoit temps suffisant pour leur faire mettre en oubly leurs anciens maltalens. Toutesfois voicy comme la memoire s' en renouvela. Les Chirurgiens d' un costé n' avoient autre plus grande ambition en leurs ames, que d' estre estimez enfans de l' Université de Paris: & les Barbiers d' un autre que d' estre incorporez au College des Chirurgiens. 

Pour le regard du premier point, je vous ay cy-dessus discouru en combien de manieres ils y voulurent donner quelque atteinte. En fin se voyans assistez de deux declarations par moy presentement touchees, & d' unes longues trefves qu' ils estimoient equipoller à une ferme paix, ils obtindrent unes lettres patentes du Roy François I. de ce nom en Janvier 1544. par lesquelles il vouloit qu' ils joüissent de mesmes Privileges, franchises, & immunitez que l' Université de Paris. A la charge que ceux qui voudroient estre Bacheliers, puis Licenciez en Chirurgie, seroient tenus de respondre en Latin pardevant les Examinateurs, qui seroient commis pour s' informer de leurs suffissances: Et au surplus qu' ils se trouveroient en l' Eglise S. Cosme, & S. Damien tous les premiers Lundis de chaque mois, & en ce lieu seroient tenus de visiter & penser, depuis dix heures du matin jusques à douze, tous les pauvres malades affligez en leurs membres qui se presenteroient à eux. Ces lettres adressees à la Cour de Parlement, Chambre des Comptes; Generaux des Aydes pour y estre verifiees; toutesfois je ne voy point qu' elles y eussent passé. Bien voy-je que la derniere clause d' icelles, concernant les malades, a esté pour eux, & est encores plainement executee: Et neantmoins je ne sçay si auparavant ces patentes cette charge estoit annexee à leur fonction: car je n' en ay rien veu ny appris par les tiltres qui sont passez par mes mains. Plusieurs annees s' escoulerent du depuis, pendant lesquelles les Chirurgiens se tindrent clos & couverts, sans remuer aucun nouveau mesnage jusques au 1. de Janvier 1579. qu' ils obtindrent un Indult du Pape Gregoire XIII. par lequel en entherinant leur requeste il voulut conformément aux termes portez par icelle: Ut omnes & singuli Chirurgi, tam coniugati, quam non coniugati, qui prius Grammatici, & postea in eadem Universitate Magistri artium recepti, ac ut moris est, eorumdem Chirurgorum examinati & approbati fuerint, ut à pro tempore existente dictae Universitatis Cancellario, postquam profeßionem fidei iuxta formam descriptam in eius manibus emiserint, benedictionem Apostolicam, quemadmodum caeteri Magistri, & Licentiati eiusdem Universitatis consueverunt cum debitis reverentia & humilitate recipiant.

Ce sont les propres mots de l' Indult, lequel mit aucunement en cervelle les Medecins, qui implorerent l' aide du Recteur & supposts de l' Université: & eux tous se joignans ensemble, appellerent comme d' abus de la fulmination de ces bulles. Cause qui fut plaidee au Parlement par Maistre Jacques Chouard pour l' Université, par Maistre René Chopin pour la Faculté de Medecine, par Maistre Barnabé Vest pour celle des Chirurgiens: trois Advocats de marque, & de nom: & par Messire Augustin de Thou pour Monsieur le Procureur general: qui n' oublia rien de ce qu' il pensoit faire à l' avantage des Chirurgiens: comme j' ay apris par son plaidoyé qui est tout au long inseré par l' arrest que l' on a levé: car quant aux plaidoyez des 3. autres, ils y sont couchez en blanc. Et neantmoins nonobstant les conclusions par luy prises, la cause fut appointee au Conseil par Arrest du Mardy 21. Mars 1582. Appointement qui dormit plusieurs annees: toutesfois en fin resveillé de cette façon. Maistres Jean Philippes, Guillaume Poulet, & Estienne Bizeret ayans suby l' examen à ce accoustumé par les Maistres Chirurgiens, & esté Licenciez en Chirurgie, s' estans presentez au Chancelier de l' Université, apres avoir fait la profession de foy prescrite, & receu de la benediction portee par les Bulles, l' Université de Paris, & la Faculté de Medecine en appellerent comme d' abus, pretendans que c' estoit un attentat expres commis au prejudice de l' appointé au Conseil de l' an 1582. Cause qui fut pareillement appointee au Conseil, & jointe avec la premiere, par Arrest du 24. Mars 1609. Esquelles deux causes les parties ont respectivement escrit & produit. Et adhuc sub iudice lis est.

Je ne veux par ce mien Chapitre estre un composeur d' Almanachs, & prognostiquer quel je pense devoir estre le succés de toute cette poursuite. Toutesfois si les souhaits ont lieu (comme il est mal-aisé de commander à nos premiers mouvemens) je vous diray franchement que je souhaite les Chirurgiens obtenir gain de leur cause; mais sous les conditions que je vous diray cy-apres, & non autrement. Que si desirez sçavoir qui fait naistre en moy ce souhait, je le vous diray franchement. Il est certain & sans doute que la Chirurgie fait part & portion de la Medecine. Partant semble y avoir grande raison d' aggreger au corps de l' Université le Chirurgien, tout ainsi que le Medecin. N' y ayant rien qui l' en ait cy-devant forclos, que la cruauté que l' on estime se trouver en l' exercice de son estat. Et comme l' Eglise n' abhorre rien tant que le sang; aussi ne faict l' Université sa fille par son premier institut: qui est la cause pour laquelle le Medecin mesme ordonnant une saignee à son patient, se donne bien garde d' y employer sa main; ains celle du Barbier: chose qui devoit appartenir au Chirurgien. Tout de ce mesme fonds l' Université de son originaire & premiere institution, ne permettoit qu' aucun de ses ministres fust marié, & pour cette cause, ny celuy qui vouloit passer Maistre és Arts, ny le Docteur en Medecine, ny le Docteur Regent en Decret, ne pouvoient estre mariez (car pour le regard du Docteur en Theologie, le celibat est une charge fonciere, annexee à sa profession sans exception & reserve,) & combien que le mariage fust prohibé & deffendu aux enfans de l' Université, toutesfois le Cardinal d' Estouteville Legat en France, ne douta de passer dessus ces deffenses, & de permettre aux Docteurs en Medecine d' estre mariez. Ce qui ne fut jamais trouvé de mauvaise digestion par nos ancestres: voire en plus forts termes les Docteurs en Decret s' en sont dispensez de nostre temps, sans qu' on leur ait imputé à faute, ny qu' on leur ait fait perdre leurs chaires, ores que contre leur ancienne institution ils fussent mariez. Que si un simple Cardinal Legat en France peut favoriser la famille des Medecins, & leur permettre d' estre mariez au prejudice des anciens statuts de l' Université, sans que l' on ait revoqué son Decret en aucun scandale, bien que ce fust un grand coup d' Estat, serions nous si osez de revoquer la puissance du S. Pere en doute, & de vouloir soustenir qu' il ne puisse authoriser le serment du nouveau Chirurgien, qui sera fait és mains du Chancelier de l' Université? Singulierement eu esgard que la Faculté de Chirurgie fut declaree faire partie de l' Université par deux congregations du Recteur, faictes aux Mathurins en l' an 1436. & l' an 1515. & encore par une autre des Medecins du mesme an. Je l' appelle Faculté, de mesme façon que celle de la Medecine, car ainsi la voy-je estre qualifiee par l' arrest de 1351. donné sous le regne du Roy Jean: par un autre sous le regne de Henry II. donné entre Maistre Charles Estienne Docteur en Medecine, & Maistre Estienne de la Riviere Chirurgien en l' an 1541. & finalement par l' arrest du 26. Juillet 1603. dont sera parlé cy-apres, donné entré les Chirurgiens, Barbiers, & Medecins intervenans. Voila le premier souhait que je fais en faveur des Chirurgiens: mais pour le rendre de toutes façons accomply, & que l' on sçache qu' il ne m' entre en l' ame sous faux gages, je desire que celuy qui veut prendre les degrez de la Chirurgie soit Chirurgien, non à petit semblant, ains à bon escient. Premierement qu' il soit bien & deüement instruit en la langue Latine, comme veulent les anciens Statuts de leur ordre: que comme les Medecins; aussi ceux-cy soient passez Maistres és Arts, avant que d' entrer au corps de la Chirurgie, le tout ainsi qu' il est porté par les Bulles du Pape Gregoire, & aussi est-ce la verité qu' aux deux actes qui se passerent entr'eux & l' Université l' an 1436. & 1515. & le 3. au mesme an, avec la Faculté de Medecine: ceux qui porterent les paroles pour la Faculté de Chirurgie nommez, Jean de Soulfour, Claude Vanif, Estienne Barat, prindrent qualité de Maistres és Arts & en Chirurgie. Je desire qu' ils facent leurs premieres estudes de Chirurgie en l' escole de Medecine: ainsi qu' il leur est enjoint par l' acte de l' an 1436. par lequel ils sont advoüez enfans de l' Université: Proviso tamen (dict le texte) quod ipsi lectiones Magistrorum actu Parisius in Facultate Medicinae Regentium, ut moris est, frequentent. Et apres qu' ils avront passé par tous ces alambics, qu' il leur soit permis d' entrer au cours de deux ans de la Chirurgie (rapportans bonnes & seures testimoniales de tout ce que dessus) & de se choisir tel Maistre qu' il leur plaira des Docteurs en la Chirurgie, pour se rendre plus capables de cet art, & subir les examens à ce requis & accoustumez, pour le degré premierement de Bachelerie, puis de Licence: car autrement quelques rolles qu' ils vueillent joüer sous ces dignitez Scholastiques, je ne les estime faire vrais actes de Chirurgie, ains de cingerie, moulez sur ce qu' ils voyent estre praticqué doctement aux Escoles de Medecine, par les Medecins.

mardi 8 août 2023

9. 12. Faculté de Medecine.

Faculté de Medecine.

CHAPITRE XII.

Combien que la Faculté de Medecine soit l' une des plus anciennes professions qui se trouvent entre toutes les autres. Car elle prit son origine avecques l' homme & la femme, lesquels estans exposez aux maladies selon la diversité des occurrences, aussi fallut il y trouver des remedes, que nous appellons Medecines. D' ailleurs il faut particulierement porter reverence au Medecin (selon l' opinion du sage) pour la necessité qui reside en l' exercice de son estat. Considerations qui de premier œil nous pourroient aisément induire à croire, que par honneur elle fut anciennement defalquée des autres Arts & sciences, pour luy donner une place d' honneur à part avec les trois autres Facultez de l' Université de Paris. Toutesfois c' est un abus de le croire. Chaque nation a son air particulier qui luy cause la diversité de mœurs & humeurs, & consequemment des maladies, ce neantmoins nous allons mandier nos remedes au Levant, comme si nature eust esté en chaque pays si ingrate qu' elle n' y eust aussi produit les remedes.

Cette pratique ne fut introduite dedans Rome que six cens ans apres sa fondation, & en cette France nous ne commençasmes d' en recognoistre l' usage que bien avant sous la troisiesme famille de nos Roys. Pour le moins ny nos histoires anciennes, ny nos Romans faicts à plaisir; images de ce qui s' estoit passé par la France, ne nous en donnent aucuns enseignemens. Si un Chevalier est blecé, une Dame, ou Damoiselle a ses onguens pour guerir sa playe. Et dedans l' Arioste, un Medor couché à l' issuë d' une bataille entre les soldats morts en plaine campagne, est guery par la belle Angelique, dedans la maisonnette d' un Pastre. Ny pour cela ou ne laissoit de trouver sa guerison dedans Rome, ny dedans la France, tout ainsi comme depuis. Il n' est pas qu' encores aujourd'huy il n' y ait quelque reste de cette ancienneté chez nous au plat pays, ou la plus part des gens de village se guerissent de leurs fievres, non par les ingrediens (leçon ordinaire des Medecins qui demeurent és villes) ains par certaines herbes pilées, qu' ils appliquent seur leurs poignets, & avecques une longue patience rapportent, ce que l' on tasche de gagner par une precipitation dans les villes. Chaque nation a ses simples, non seulement tirez de la terre, ains de toutes sortes de subjects, voire quelquesfois bien vils & abjects, dont nous rapportons des operations merveilleuses pour nostre santé: & en cecy le principal defaut que j' y trouve vient de la fetardise, paresse, & nonchaillance de nos Ancestres. Car si aux hospitaux dediez à la guerison des pauvres malades, on eust fait registres des receptes, par le moyen desquelles on avoit diversement guery d' unes & autres maladies, tout ainsi qu' on avoit fait au temple d' Esculape, dont Hipocrat sceut fort bien faire son profit, nous n' avrions que faire d' autre aide que de nous mesmes.

Or combien que la maxime que je vous ay presentement proposée soit non seulement particuliere pour nostre France, ains generale & commune à toutes les nations, toutesfois elle s' est par succession de temps trouvée changée en toute l' Europe d' une bien longue ancienneté jusques à nous. La Grece produisit plusieurs beaux & rares esprits, desquels comme d' un Ocean sourdirent deux grandes fontaines, la Philosophie, & la Medecine. Quand je dy la Philosophie, j' enten les sages discours qui naissent naturellement parmy tous les peuples, pour l' entretenement & conduite de leurs mœurs, & vies bien reglées. Toutesfois en ce pays là se trouverent personnages de nom qui en donnerent divers preceptes, de quelle marque furent les Academiciens, Peripateticiens, Stoïques, Epicuriens, & plusieurs autres de telle marque, qui espandirent diversement leurs doctrines par l' univers, au desir, & contentement d' unes & autres personnes.

Le semblable leur advint il au fait de la Medecine, en laquelle le premier dans leurs histoires qui en enseigna la leçon à ses successeurs, fut Esculape, en l' ost Gregeois, au siege de Troye, où pour avoir fait des cures miraculeuses, il fut apres son decez deifié par Decret general des hommes, & à luy consacré un Temple en l' Isle de Lago, lieu de sa naissance, où par une devotion solemnelle, & hereditaire de pere à fils, on appendoit, & les regles qu' ils trouvoient servir à l' entretenement de la santé, & les bonnes receptes par le moyen desquelles les malades avoient trouvé guerison: dont quelques centaines d' ans apres le grand Hipocrat sceut fort bien accommoder ses livres (ainsi que j' ay dit cy dessus) qui sont, & ont esté tant honorez, & estimez par sa posterité, non toutesfois sans le controlle des siens. Dautant qu' apres son decez il fut d' un gnet (guet) à pens contredit en tout, & par tout par Chrisippe, & luy par Erasistrat, prenans plaisir à se dementir l' un l' autre, tout ainsi que les Philosophes en leurs sectes. Tellement qu' il n' y avoit rien plus certain en l' exercice de cest Art, que l' incertain. Et neantmoins ne laissoit un chacun d' eux de faire de grands gains, & de grandes Cures dedans cette incertitude. Cela fut cause que les esprits les plus retenus & solides de Rome ne pouvoient bonnement gouster qu' on donnast seur accez en leur ville à ces Medecins de la Grece. Ainsi trouvons nous que Caton le Censeur, voyant que de son temps on commençoit de forligner en cecy, escrivoit à son fils, que cette nouvelle introduction seroit une nouvelle ruine des hommes, dont avecques le temps on verroit ses effects plus amples.

Ce que je vous dy icy, n' est pas pour vilipender cette Faculté (ja à Dieu ne plaise que cette opinion m' entre en la teste) ains pour vous reciter ce qui est de la verité historiale sur ce subject, & comme toutes choses s' y sont passées. Tout de cette mesme façon en France, des & depuis le regne de Pharamond, qui commença de regner en l' année quatre cens vingt, jusques au Roy Louys septiesme, qui commença de regner en l' année mil cent trois, & mourut en l' année mil cent octante, nous ne sçavions en cette France que c' estoit de la Medecine des Grecs. Mais comme sous le regne de Louys, plusieurs belles ames s' addonnerent, qui à la nouvelle Theologie de Pierre Lombard, qui aux Decrets de Gratian, aussi firent elles le semblable en la doctrine du grand Hipocrat, & de Galien son commenteur (ainsi le veux-je appeller, ores qu' il y ait apporté plusieurs belles choses du sien) Car il y avoit assez de subject en eux pour allecher & contenter les esprits deliez & curieux, lesquels ne feirent estat de la Medecine que l' on exerçoit d' ancienneté par la France, comme d' une Medecine rurale dont on ne pouvoit rendre raison, & en laquelle y avoit beaucoup plus de hazard que d' art: au moyen dequoy ils prindrent le nom de Physiciens du mot Grec, c' est à dire de gens qui sçavoient & enseignoient, tant les mouvemens de nostre nature, que de nos maladies. Science qu' ils avoient apprise des Grecs. Toutes nouveautez plaisent, sinon aux plus sages, pour le moins au commun peuple, qui a le dessus des sages par la pluralité du nombre. C' est pourquoy ces nouveaux Docteurs commencerent d' estre en credit, lors que vers le regne de Louys septiesme l' Université commençoit de naistre, & en fit on une Faculté particuliere avecques les trois autres de Theologie, Decret, & des Arts. Et par ce que chacun desireux de nouveauté y accouroit, il fut par un Concil general tenu en l' année mil cent soixante trois sous le regne de Louys VII. en la ville de Tours, où le Pape Alexandre troisiesme presida. Defendu à tous Religieux profez de sortir de leurs Cloistres, pour aller ouyr les leçons, tant de ces nouveaux Physiciens que legistes. Nous en avons les prohibitions & defenses expresses d' Alexandre en ces mots. Statuimus ut nulli omnino post votum Religionis, & post factam in aliquo loco profeßionem ad Physicam, legesve mundanas legendas permittatut exire. Si vero exierint, & ad claustrum suum, intra duorum mensium spatium non redierint, sicut excommunicati ab omnibus evitentur. Defenses qui estoient provenuës du Concil tenu à Tours, comme nous apprenons du Pape Honore troisiesme. Contra Religiosas personas de claustris exeuntes ad audiendum leges, vel Physicam, Alexander praedecessor noster olim statuit in concilio Turonensi, ut nisi infra duorum mensium spatium ad claustrum redierint, sicut excommunicati ab omnibus evitentur. Qui nous enseigne que lors la Medecine des Grecs, qu' ils appelloient Physique, estoit autant nouvelle en la France, que les loix Romaines. Laquelle depuis s' est esparse non seulement dedans la ville de Paris, ains par tout le Royaume. Qui nous doit faire croire par les evenemens, que l' usage de cette Medecine Gregeoise y estoit necessaire.

Ne pensez pas je vous prie que je vous aye voulu en vain entretenir des discours du present Chapitre. Je vous ay cy dessus discouru que vers le commencement les Medecins prenans pied dans l' Université s' estoient accommodez de leur College pres les quatre grandes Escoles des Arts, toutesfois je sçay bien que quelques uns maintiennent, que l' Escole de Medecine au lieu auquel elle est maintenant assise, fut par les Medecins achetée l' an mil quatre cens septante & un, & l' année d' apres rebastie, toutesfois nous repaissans de cette opinion, ils recognoissent n' en avoir jamais veu les enseignemens, ains en parler par un ouyr dire.

Chose dont me voulant plus amplement informer, j' en ay parlé à quelques anciens Docteurs, miens amis, qui gouvernoient ordinairement le menage de cette Faculté, quand les occasions se presentoient, lesquels m' ont dit n' en avoir jamais veu dedans leurs archifs aucun titre. Au moyen dequoy je croy que c' est un Vaudeville. Bien peuvent elles avoir esté rebasties de nouveau, mais non acquises. Et ne me peut entrer en teste, soit ou que les Medecins pour la necessité de leurs fonctions, ou bien pour la nouveauté qu' ils introduisirent en la France, voulussent avoir cet honneur de faire une des Facultez de l' Université de Paris, & eussent esté si fetards qu' au milieu des trois autres, chacune desquelles avoit le siege de ses Estudes, ils eussent seuls fluctué sans avoir retraite, pour vacquer à leurs leçons, lectures, & actes publiques, qu' il leur convenoit faire, pour parvenir à leurs licences, & doctorandes. Singulierement en esgard que cest Art Gregeois ne pouvoit estre du commencement trouvé bon par les personnes signalées. Et au surplus grandement me plaist la decision ancienne des Jurisconsultes, qui estiment en matiere de terres n' y avoir titres & enseignemens plus certains, que les anciennes bornes. Aussi voyant ce College de Medecine estre situé au lieu où estoit nostre premiere Université je croy que des ce mesme temps la Faculté de Medecine y fut establie, sauf à changer de jugement lors qu' on me fera apparoir de pieces contraires.

jeudi 27 juillet 2023

7. 10. Que nostre langue Françoise n' est moins capable que la Latine de beaux traits Poëtiques.

Que nostre langue Françoise n' est moins capable que la Latine de beaux traits Poëtiques.

CHAPITRE X.

J' ay longuement marchandé avecques moy avant que passer le Rubicon, maintenant le veux-je franchir, & sans m' aheurter au vulgaire Italien, soustenir en plus forts termes, que nostre langue n' est moins capable que la latine des traits Poëtiques hardis. Car quant à moy je ne voy rien en quoy le Romain nous face passer la paille devant les yeux. Nous celebrons avec admiration un Virgile, quand il a representé une gresle qui bond à bond sur les maisons craquette. 

Tam multa in terris crepitans salit horrida grando. 

Et les vents qui tout à coup, en flotte vont sortans.

Qua data porta ruunt. 

Ce brave Poëte fait joüer tel personnage qu' il veut à Aeole Roy des vents, en faveur de la grande Junon, & en apres nous sert de ces trois vers, que j' ay voulu, non representer, ains imiter en nostre vulgaire, au moins mal qu' il m' a esté possible.

Haec ubi dicta: cavum conversa cuspide montem 

Impulit in latus, ac venti velut agmine facto, 

Qua data porta ruunt, & terras turbine perstant.

Ce dit: d' un fer les flancs du mont creux il transperce, 

Et en piroüettant, le monde il bouleverse, 

Les vents horriblement dans l' air mutin bruyants, 

Tout à coup vont la terre à l' envy baloyants.

Ou bien qu' il introduit un Sinon Gregeois, lequel amené devant les Troyens, pour leur rendre raison de sa venuë dedans Troye, se donne un certain temps (avant que de parler) pour recognoistre l' assistance, en ces deux mots.

Agmina circumspexit.

Et ailleurs un Procumbit humi bos, pour nous faire voir à l' œil dans ce demy vers la pesanteur d' un Boeuf qui tombe mort sur la place. Et en un autre endroit un cheval gaillard qui gratte de son pied la terre.

Quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campum.

Repassons sur nostre langue, & voyons un Coursier aller le pas, puis se donner carriere. Clement Marot en l' Epitaphe du Cheval qu' il appelle Edart, où par une licence Poëtique il le fait parler.

J' allay curieux 

Aux chocs furieux,

Sans craindre astrapade:

Mal rabotez, lieux, 

Passay à clos yeux 

Sans faire chopade. 

La vite virade, 

Pompante pennade, 

Le saut soulevant, 

La roide ruade, 

Prompte petarrade,

J' ay mis en avant.

Escumeur bavant,

Au manger sçavant, 

Au penser tres-doux, 

Relevé devant,

Jusqu' au bout servant

J' ay esté sur tous.

Je laisse tous les autres couplets de cet Epitaphe plein d' artifice, par lequel vous voyez un cheval bondir sur du papier, & estre mené à courbette, tantost au galop, tantost au trot, tout ainsi que s' il estoit en plein manegge, picqué par un Escuyer: Jacques Pelletier par divers Chapitres a depeint les quatre saisons de l' annee, & en celuy de l' Hyver figuré quatre batteurs dedans une grange.

Consequemment vont le bled battre

Avecques mesure & compas, 

Coup apres coup, & quatre à quatre,

Sans se devancer d' un seul pas. 

Sçavriez vous mieux voir des pitaux de village battans le bled dans une grange, que vous les voyez par ces vers? Et en la description du Printemps sur le chant de l' Alloüette, sans innover aucun mot fantasque, comme fit depuis du Bartas, sur pareil sujet. 

Elle guindee du Zephire,

Sublime en l' air vire & revire,

Et y declique un joly cry,

Qui rit, guerit, & tire l' ire

Des esprits, mieux que je n' escry.

Moy mesme me suis voulu quelques-fois joüer sur le chant du Rossignol, en faveur d' une Damoiselle qui portoit le surnom de du Bois. 

Dessus un tapis de fleurs, 

Mon cœur arrousé de pleurs, 

Se blotissoit à l' umbrage, 

Quand j' entens dedans ce bois 

D' un petit oiseau la voix, 

Qui desgoisoit son ramage.

Il me caresse tantost 

D' un Tu tu, puis außi tost 

Un Tot tot, il me besgaye:

Ainsi d' amour mal mené

Le Rossignol obstiné

Dedans son torment s' esgaye. 

Ha! dis-je lors à part moy,

Voila vrayement l' emoy

De l' amour qui me domine, 

Parquoy je veux comme luy

Gringuenoter mon ennuy,

Pour consoler ma ruine.

Je te requiers un seul don,

Tu' tu' tu' moy Cupidon,

Tost, tost, tost, que je m' en aille,

Il vaut mieux viste mourir, 

Que dans un bois me nourrir

Qui jour & nuict me travaille. 

Voulez vous voir la posture d' un Archer lors que de toute sa force il veut brandir un dard? Voulez vous encore voir l' eslancement d' une fuzee de la foudre? vous trouverez l' un & l' autre admirablement representé en la divine Ode de Ronsard, à Messire Michel de l' Hospital, où il descrit la guerre des Geans contre les Dieux.

Adonc le Pere puissant

Qui d' os & de nerfs s' efforce, 

Ne meit en oubly la force

De son foudre punissant:

Micourbant son sein en bas,

Et dressant bien haut le bras,

Contr'eux guigna la tempeste,

Laquelle en les foudroyant,

Siffloit aigu tournoyant

Comme un fuzeau sur leur teste.

Je ne veux pas coucher du pair avecques luy, car le faisant je serois un autre Geant qui me voudrois attaquer aux Cieux, mais comme je nourry dedans ma plume une liberté honneste, aussi me suis-je essayé sur le mesme sujet de vouloir representer l' esclat du tonnerre par ces quatre vers. 

Jupin pour parer à l' outrage,

Et à la detestable rage

De ces furieux lougaroux,

S' esclattant d' un cry craqua tous. 

Je vous touche par exprés toutes ces particularitez, pour vous monstrer que nostre Poësie Françoise n' est moins accomplie de gentillesses que la Latine.

mardi 25 juillet 2023

7. 3. De l' ancienneté, & progrez de nostre Poësie Françoise.

De l' ancienneté, & progrez de nostre Poësie Françoise.

CHAPITRE III.

L' usage de la Poësie rimee est d' une treslongue ancienneté entre nous. Je vous ay dit au premier livre que nos vieux François habitoient originairement la Germanie, dont quelques braves guerriers premierement se desbanderent avecques suite de soldats pour servir uns & autres Empereurs, & depuis avecques le temps se dispenserent de leurs services, les guerroyans par diverses courses, jusques à ce qu' en fin ils se firent maistres & Seigneurs des Gaules: & non contens de cela advint qu' en une grande bataille que l' on appella la journee de Tolbiac, nostre grand Clovis obtint une generalle victoire, contre les Germains: De maniere qu' il reduisit toute la Germanie souz sa domination: A quoy jamais les Romains n' avoient peu attaindre: Ce fut lors qu' il promit à Dieu de se faire Chrestien, en cas qu' il vint à chef de ses ennemis. Promesse qu' il executa & depuis ayant esté baptizé, il est grandement vraysemblable, qu' il voulut reduire au mesme point sinon toutes, pour le moins quelques nations par luy subjugées, & entre autres celle dont ses ancestres estoient extraits: Je ne vous fais ces discours sans propos. Parce que Beatus Rhenanus, en son traicté Rerum Gemanicarum, Livre second, voulant monstrer que la vieille langue des François symbolizoit avecques celle des Germains, dit ainsi. Germanica Francos usos fuisse lingua cum innumera alia argumenta probant, tum verò manifestè convincit Liber ille insignis Evangeliorum Francicè, hoc est Germanicè versus, quem nos nuper dum comitia Romani imperij Carolus Caesar celebraret apud Augustam Rhetiae superioris, Fruxini in Vindelicis, quam hodie Frinsingam appellant, in bibliotheca Divi Corbiniani obiter reperimus. Nam Livianarum Decadum gratia fueramus illic profecti. Eius codicis hic est titulus. Liber Evangeliorum in Theodiscam linguam versus. Constat autem ex rithmis totus. Atque ut antiquitatem eius tralationis non ignores, deprehendi librum exscriptum ab hinc annos fere sexcentos, ut tum compositum credam cum Christo primum Franci nomen dedere. In fine enim ascriptum erat: (Vvaldo) Waldo (: Uvaldo) me fieri iussit: Sigefridus presbyter scripsi. Numeratur autem inter Frisingenses Episcopos Waldo, ni fallor, decimus. Habet *ipsum opus elegantißimam praefationem cuius hoc initium est, nulla littera mutata. 

Nvvvilich scriban vnser heil 

Euangeliono deil 

So vuit nu hiar bigunnon 

In Frenkisga zungun

Qui Germanicè callet satis intelligit ista verba, nisi quod hodie aliter scribimus & B proferimus, non addentes alicubi tot vocales, alicubi plures adiicientes. Item paulo post.

Hiar hores io zi guate 

Vvas got imo gebiete 

Tas vvir imo hiar sungun

In Ferenkisga zungun. 

Nu fruves si hes alle 

So Vverso Vvola Vvole. 

Ioth Vver si hold in muate

Francono thute. 

Item paulò post comparantur Franci Romanis animositate, nunquam hoc negaturis Graecis.

Sie sint so fama kuani 

Selpso thio Romani. 

Nu darfmun thaz ouch redinon 

Tas Kriachi nith es Vvidaron, 

Item alio loco praedicantur ad arma prompti, & viri fortes omnes. Nam hoc significat Thegan Francis. Unde Deganberti sive Dagoberti nomen & Degenhardi. 

Zi vvafane snelle

So sint hic thegan alle. 

Nec libet plura addere. Nam ista satis evincunt quod fortaßis apud nonullos controversum esse poterat. Hoc omittere nequeo volumen istud egregium esse antiquitatis thesaurum.


Vers dont le sens est tel mot pour mot.


Ores veux-je escrire nostre salut

De l' Evangile partie

Que nous icy commençons 

En Françoise langue.

Icy escoutez en bonne part, 

Ce que Dieu vous commande,

Qu' icy nous vous chantons

En Françoise langue. 

Or se resjouïsse tout homme 

Qui au vers bien voudra, 

Et qui le retient en un courage franc.

Ils sont aussi preuz ou braves

Comme les mesmes Romains: 

On oze bien aussi en dire cela

Que les Grecs ne contrediront.

Aux armes prompts, & habiles:

Ainsi sont ils vaillans tous.

Beatus Rhenanus tira tous ces vers de la preface, que le traducteur avoit faicte sur les Evangiles par luy traduites en rime Françoise, toute telle que cette preface, pour monstrer que la langue des François, lors de cette traduction, n' estoit autre que celle des Germains que nous appellons Allemans: & quant à moy, je recueille d' eux que deslors les vers rimez estoient en usage. Rime qui s' est continuee de main en main jusques à nous en nostre vulgaire François, qui fut composé de trois langues, Walonne, Latine, & Françoise. Yve Evesque de Chartres, qui vivoit sous le regne du Roy Philippe premier, escrivant au Pape Urbain en sa soixante & huictiesme lettre, & parlant d un jeune gars malgisant, dit que l' on avoit faict des Vaudevilles de luy qui se chantoient par tous les carrefours. Quidam enum appellantes eum Floram, multas Rithmicas cantilenas cantilenas de eo composuerunt, quae à foedis adolescentibus, per urbes Franciae in plateis & compitis cantitantur.

Encores que la rime fust lors en usage, comme vous voyez par ce passage, toutesfois je ne trouve point Poëtes de nom en ce temps là, ny assez long temps apres. Les arts & sciences ont leurs revolutions & entresuites ainsi comme toutes autres choses, & voyagent de pays à autres. L' ignorance avoit croupy longuement chez nous, quand sous Louys septiesme du nom, & sous Phiippe Auguste son fils, les bonnes lettres commencerent de se resveiller, & signamment en la Poësie Latine nous eusmes, un Leoninus, comme aussi un Galterus qui fit l' Alexandreide Latine: & tout ainsi qu' en Latin, aussi commença grandement de poindre la Poësie Françoise. Il n' est pas que ce grand Pierre Abelard, auquel j' ay au livre precedant donné son chapitre, ne voulust estre de la partie. Il se joüoit de son esprit comme il vouloit, & pour attremper ses plus serieuses estudes faisoit des vers d' amour en rime Françoise, que l' on mettoit en musique, & se chantoient par uns & autres. C' est ce que j' aprens de Heloïse, laquelle s' excusant d' avoir abandonné ses volontez à celles d' Abelard, apres avoir fait un long recit des perfections d' esprit qui estoient en luy, par lesquelles il pouvoit attirer à soy les plus grandes Dames & princesses, en fin elle adjouste ces mots. Duo autem fateor specialiter tibi inerant, quibus foeminarum quarumlibet animos statim allicere poteras: dictandi videlicet & cantandi gratia, quam caeteros Philosophos minime assequutos novimus. Quibus quidem quasi ludo quodam laborem recreans exercitij Philosophici, pleraque amatoria metro & rithmo composita reliquisti carmina, quae prae nimia suavitate tam dictaminis, quàm cantus saepe frequentata, tuum in ore omnium nomen incessanter tenebant, ut illiteratos etiam melodiae tuae dulcedo tui non sineret immemores esse. Atque hinc maxime in amorem tuum foeminae suspirabant, & cum horum pars maxima nostros decantaret amores, mulcis me regionibus brevi tempore nunciavit, & multarum in me foeminarum accendit invidiam. 

C' estoient les Amours de luy & d' Heloïse qu' il avoit composees en rimes Françoises mises en musique, qui estoient chantees & passoient par les mains tant des doctes, que du commun peuple, & des femmes mesmes.

Sous Philippe Auguste nous eusmes Helinan natif de Beauvoisin Religieux de l' Abbaïe de Fremont, ordre de Citeaux (Cisteaux): duquel Vincent de Beauvois fait ce tesmoignage en son Mirouër historial, parlant de l' an 1209. qui est sous le regne de nostre Philippe Auguste. His temporibus in territorio Belvacensi fuit Helinandus Monachus Frigidi montis, vir religiosus & facundia disertus, qui & illos versus de Morte, in vulgari nostro (qui publicè leguntur) tam eleganter & utiliter, ut luce clarius pater, composuit. Vous voyez le beau jugement qu' il en faict. Le malheur avoit voulu que son Poëme de la mort fust mort par la negligence, ou longueur des ans, toutesfois Maistre Anthoine Loisel, grand Advocat au Parlement de Paris, l' un de mes plus singuliers amis, luy a redonné la vie, par une diligence qui luy est propre & peculiere en matiere d' anciennetez. Ayant faict imprimer ce livre au mesme langage ancien qu' il avoit esté composé: Dans lequel vous verrez une infinité de beaux traicts, non toutesfois agreables à tous pour n' estre habillez à la moderne Françoise. Qui fait que je souhaitterois qu' on les mist d' un costé en leur jour naturel, & d' un autre vis à vis on les fit parler comme nous parlons maintenant, en la mesme maniere que voyons avoir esté practiqué par Blaise Viginel quand il voulut ressusciter l' ancienne histoire du Mareschal Villardouïn. Or ce qu' Helinan tint un grand lieu entre les Poëtes François nous le pouvons recueillir de ces vers tirez d' un vieux Roman. Chose fort bien remarquée par Loisel. 

Quant li Roy ot mangié, s' appella Helinand

Pour ly esbanoyer commanda que il chant,

Cil commence à noter ainsi com ly iayant

Monter voldrent au Ciel, comme gent mescreant.

Entre les Diex y ot une bataille grand,

Si ne fust Jupiter à sa foudre bruyant

Qui tous les desrocha, ia ne eussent garent.

Je vous cotte ces sept vers pour deux causes. L' une a fin que l' on sçache en quelle recommandation estoit Helinan, veu qu' entre tous les Poëtes François on le nomme particulierement pour chanter quelque belle chanson devant le Roy. Lautre pour nous monstrer quelle estoit la texture de vers aux œuvres de l' histoire des Grands que vous voyez estre faits d' une longue suite de mesmes rimes. Comme aussi l' ay-je trouvé ainsi dans les Romans d' Oger le Danois, Datis, & Profelias, & par especial en celuy de Pepin & Berte, où j' en ay cotté cinquante trois finissans en hier, & soixante un en ée, qui seroit chose ennuyeuse de vous transcrire en ce lieu: Toutesfois par ce qu' il n' est pas malseant de representer l' ancienneté en sa naïfve simplicité, je me contenteray de vous en bailler seulement un chapitre, où l' autheur de ce Roman s' estudia de pourtraire au naïf les affections brusques d' un paisant. Car comme ainsi fust qu' avant le mariage de Pepin & Berte, il face que cette pauvre Princesse venant de Hongrie en France, se rende fuitive pour se garentir des aguets de sa Gouvernante, laquelle puis apres fit marier sa fille au Roy Pepin, au lieu de la vraye Berte, cette Royne supposee commença de tyrannizer le peuple, & advenant que quelque temps apres, Blanchefleur mere de Berte vint en France pour visiter sa fille, elle receut plusieurs plaintes des pauvres subjects: estimans que celle qui les molestoit fust sa propre fille: Au moyen dequoy l' autheur suit sa route de cette façon.

Or s' en va Blancheflor qui ot le cuer certain,

Mult forment luy ennuye de sa fille Bertain,

Dequoy la gent se plaint de toutes parts à plain.

Emmy la voye encontre un paisaut vilain,

Ou qu' il voit Blancheflor, si la prend par le frain: 

Dame mercy per Diex, de vo fille me plain,

N' avoye qu' un cheval dont gaignoye mon pain,

Dont ie me nourrissoye & ma femme Margain,

Et mes petits enfans qui or' mourront de faim,

A Paris apportoye chaulme, buche & estrain,

Sessante sous cousta un an a per certain,

Or' me la faict tollir, Diex luy doint mal demain,

A meschef l' ay nourry cest hyver de mon grain:

Mais par cest Sainct Seignor qui d' Adam fit Evain, 

Ie la maudiray tant & au soir & au main (Matin), 

Que vengeance en aray du Seignor Souverain. 

Pitié en ot la Dame, & de duelle cuer vain,

Cent soz ly fait donner tous errans en sa main,

Cil en baise de ioyé l' estrier & le lorain:

Dame Diex vos benie, qu' or ay cuer lie & sain, 

Mais ne maudiray Berte par le corps Sainct Germain.

Je vous baille cest exemple pour tous, auquel vous voyez vingt & un vers d' une tire, tombans sous une mesme rime. Et faut noter que cela s' observoit principalement aux vers de douze à treize syllables, que nous appellons Alexandrins, lesquels ne se mettoient lors gueres en usage d' autre façon, encores que par succession de temps nous ne nous y astraignons maintenant. Le chemin de ces longues rimes telles que dessus leur avoit esté enseigné par le Poëte Leonin en ses vers Latins dediez au Pape Alexandre le tiers.

Au demeurant nos anciens eurent encores une autre maniere de faire, qui merite de n' estre teuë: Car si quelqu'un avoit encommencé un œuvre de merite, & qu' il fust prevenu de mort avant que de le parachever, il se trouvoit quelque bel esprit qui y mettoit la main, pour ne laisser l' ouvrage imparfaict. En cette façon se trouva la vie d' Alexandre translatee de Latin en François premierement par Lambert Licors, & parachevee par Alexandre de Paris: & ses faits & gestes composez par Pierre de S. Cloct & Jean li Nevelois: comme aussi le Roman de la Roze encommencé par Guillaume de Lorry, parachevé 40. ans apres par Jean Clopinet de Mehun.

Dés & depuis le regne de Philippe Auguste jusques à celuy de Philippe le Bel, nous eusmes une infinité de Poëtes, entre lesquels je trouve que Pierre de S. Cloct & Jean li Nevelois eurent grande reputation sur les autres. Je n' ay pas eu cest heur de les lire, mais voicy le jugement qu' en fait Geoffroy Tory, en son livre du Champ flori qui fut imprimé en l' an 1526. livre plein d' erudition & doctrine au suject qui y est traicté. Ces deux autheurs (dit-il) ont en leur style une grande majesté de langage ancien, & croy que s' ils eussent eu le temps en fleur de bonnes lettres, comme il est aujourd'huy, qu' ils eussent excedé tous autheurs Grecs & Latins. Ils ont, dy-je, en leurs compositions don accomply de toute grace en fleurs de Rhetorique & Poësie ancienne. Jaçoit que Jean le Maire ne face aucune mention d' iceux, toutesfois si a-il pris & emprunté d' eux la plus grande part de son bon langage: comme on pourroit bien voir en la lecture qu' on feroit attentivement és œuvres des uns & des autres. Jugement qui n' est pas petit. Parce qu' en Jean le Maire, nous trouvons une infinité de beaux traits dont il a illustré nostre langue dedans ses Illustrations de la Gaule. Que s' il les emprunta des deux autres, comme Tory recueilloit par leurs correspondances, croyez qu' ils n' estoient par petits maistres & ouvriers en l' art de bien dire. Et qui me faict luy adjouster plus de creance, c' est que leur Poësie fut trouvée si agreable, qu' ayant esté inventeurs des vers de douze syllables par lesquels ils avoient escrit la vie d' Alexandre, la posterité les nomma vers Alexandrins, mot qui est demeuré jusques à huy en usage.

Dedans l' entrejet de ces regnes des deux Philippes, nous eusmes un Hugues de Bercy Religieux de Clugny qui fit la Bible Guiot, Satyre d' une longue haleine, dedans laquelle il descrit d' une plume merveilleusement hardie les vices qui regnoient de son temps en tous les estats, comme vous le pourrez recognoistre par la premiere demarche qu' il fait sur le commencement de son livre.

Dou siecle puant & horrible

M' estuet commencer une Bible,

Per poindre & per aiguillonner, 

Et per bons exemples donner:

Ce n' ert pas Bible losengere,

Mais fine, & voire, & droituriere:

Mirouer ert à toutes gens.


Et apres avoir fait le procez à tous, il se le fait sur la fin du livre à soy mesmes, par une gentillesse d' esprit.

Hugues de Bercy qui tant a 

Cherché le secle çà & là,

Qu' il a veu que tout ne vaut rien,

Presche ore de faire bien:

Et si sçay bien que li plusour 

Tenront mes sermons à folour: 

Car il ont veu que je amoye 

Plus que nuz biau soulas & joye, 

Et que j' ay aussi grand mestier 

Comme 9. nuz de moy preschier.


En ces mots gaillards il finit son livre: & du commencement & de cette

conclusion vous pouvez juger quel fut le milieu de l' ouvrage. Ce livre s' appelle la Bible Guiot, par erreur des premiers copistes au lieu de Bible Huguiot. Il eut pour son contemporain Huion de Mery, Religieux de S. Germain des prez de Paris, qui en son Tournoyement de l' Antechrist fit combatre les vertus souz l' enseigne de Jesus Christ, contre les vices sous celle de l' Antechrist, & en fin les vertus en raporterent la victoire. De ce mesme temps (je veux dire souz le regne de S. Louys) nous eusmes Guillaume de Lorry, & sous Philippe le Bel Jean de Mehun, lesquels quelques uns des nostres ont voulu comparer à Dante Poëte Italien: Et moy je les opposerois volontiers à tous les Poëtes d' Italie, soit que nous considerions, ou leurs mouëlleuses sentences, ou leurs belles loquutions, encores que l' oeconomie generale ne se rapporte à ce que nous pratiquons aujourd'huy: Recherchez vous la philosophie Naturelle ou Morale? elle ne leur defaut au besoin: Voulez vous quelques sages traits, les voulez vous de follie? vous y en trouverez à suffisance, traits de follie toutesfois dont pourrez vous faire sages. Il n' est pas que quand il faut repasser sur la Theologie, ils se monstrent n' y estre aprentis. Et tel depuis eux a esté en grande vogue, lequel s' est enrichy de leurs plumes, sans en faire semblant. Aussi ont ils conservé, & leur œuvre, & leur memoire jusques à huy, au milieu d' une infinité d' autres, qui ont esté ensevelis avec les ans dedans le cercueil des tenebres. Clement Marot les voulut faire parler le langage de nostre temps, affin d' inviter les esprits flouëts à la lecture de ce Roman. Qui n' est autre chose qu' un songe dont le principal subject est l' Amour: En quoy on ne sçavroit assez loüer cette invention. Car pour bien dire les effects de l' amour ne sont entre nous que vrais songes. C' est pourquoy Guillaume de Lorry, presuppose que ce fut en la primevere, saison expressement dediée à cest exercice. Cestuy n' eut le loisir d' advancer grandement son livre: mais en ce peu qu' il nous a baillez, il est, si ainsi je l' ose dire, inimitable en descriptions. Lisez celle du Printemps, puis du Temps, je deffie tous les anciens, & ceux qui viendront apres nous d' en faire plus à propos. Jean de Mehun est plus sçavant que Lorry, aussi eut il plus de loisir & de subject que son devancier. Mais parce que ce chapitre n' est pas voüé seulement à la commemoration de ces deux Poëtes, je vous diray que nostre Poësie Françoise ne se logea pas seulement aux esprits du commun peuple, ains en ceux mesmes des Princes & grands Seigneurs de nostre France. Parce qu' un Thibaut Comte de Champagne, Raoul Comte de Soissons, Pierre Mauclerc Comte de Bretagne, voulurent estre de cette brigade: quelques uns y adjoustent Charles Comte d' Anjou, frere de S. Louys. Et sur tous, nous devons faire grand estat du Comte de Champagne. Lequel s' estant donné pour Maistresse la Roine Blanche mere de sainct Louys, fit une infinité de chansons amoureuses en faveur d' elle, dont les aucunes furent transcrites en la grande Sale du Palais de Provins, comme nous apprenons des grandes Croniques de France dediées au Roy Charles huictiesme. Et qui est une chose grandement remarquable, c' est qu' au commencement du premier couplet de plusieurs Chansons, il y a les notes de Musique telles que portoit ce temps là pour les chanter.

Et ores que je m' asseure qu' en cest amour, il n' y eust qu' honneur entre eux (car cette grande Princesse estoit tres-sage) si est ce que pour ne rendre sa plume oiseuse, il en fait fort le passionné. Sa premiere chanson est telle.

Au rinouviau de la doulsour d' esté

Que reclarcit li doiz à la fontaine, 

Et que sont vert bois & verger & pré 

Et li Roziers en May florit & graine, 

Lors chanteray que trop m' ara greué 

Ire & esmay qui m' est au cuer prochaine, 

Et fins amis à tort atoisonnez 

Et mult souvent de leger effreez.

C' estoit que ses fideles amis le conseilloient de ne mettre son cœur en une si grande Dame, pour les inconveniens qui en pouvoient survenir. 

Le second couplet. 

Doulce Dame, car m' octroyez pour Dé 

Un doux regard de vous en la semaine, 

Lors attendray en bonne seureté

Ioye d' amours, car bons eurs me y maine;

Membrer vous doit 9 laide cruauté 

Fait, qui occit son lige homme demaine.

Douce Dame d' Orgueil vous defendez, 

Ne trahissez vos biens ne vos beautez. 

Ainsi va le demeurant de la chanson que je vous ay voulu icy remarquer. Parce que Arioste, & le Tasso par les huictains de leurs Poësies ont representé la mesme suite, & ordonnance de rimes de nostre Comte de Champagne. Encores vous reciteray-je ce premier couplet de sa seconde chanson. 

Cil qui d' amour me conseille 

Que de luy doye partir 

Ne sçait pas qui me resveille 

Ne quel sont mi grief souspir, 

Petit à sens & voidie

Cil qui me voult chastier

N' oncques n' ama en sa vie, 

Si fait trop nice follie 

Qui s' entremet du mestier 

Dont il ne se sçait aidier.

Dedans le premier livre de mes lettres il y en a une que j' escris au seigneur de Ronsard, par laquelle j' ay amplement discouru quelle estoit l' oeconomie du livre, mesmes les questions & responses que Thibault & Raoul Comte de Soissons se faisoient en vers: & y ay transcrit des chansons de luy toutes entieres, & encores un amas de belles paroles d' amour que j' avois, comme des fleurs, recueillies de son beau jardin, lesquelles je ne douteray point de transplanter icy, parce que tel lira mes Recherches qui paraventure n' aura communication de mes lettres. Comme quand il appelle en son vieux langage, sa Dame sa douce amie ennemie, qu' il dit qu' Amour l' a toullu à soy mesme, & neantmoins ne fait compte de le retenir en son service, ains que la beauté de sa Dame pour exalter sa loy, veut retenir ses amis sans en avoir mercy, laquelle mercy toutesfois il penseroit trouver en elle, s' il y en avoit aucune en ce monde: que Dieu mist si grande plante de graces en elle, qu' il luy convint oublier les autres: qu' il a les beautez d' elle escrites en son cœur, que de mil souspirs qu' il luy doit de rente, elle ne luy en veut remettre & quitter un tout seul: que sa beauté le rend si confuz & esbahi, que lors qu' il pense venir le mieux apris devant elle, pour luy descouvrir son torment, toutesfois il ne luy peut tenir aucun langage: que du premier jour qu' il la vit, il luy laissa son cœur en ostage: que les faveurs ou defaveurs d' elle luy apprennent à chanter: qu' il veut eslire dans Amour le meilleur cœur qu' il ait, pour loyaument servir sa Dame:

Et une infinité d' autres gentillesses d' Amour dont son livre est plein. Qui monstre que les belles fleurs ne se cueillent point seulement des livres, mais que d' elles mesmes elles naissent dans les beaux esprits. Ce que je vous ay icy discouru monstre que ce grand Seigneur n' estoit pas un petit Poete. Je trouve que cest entre temps produisit aussi un grand homme en ce subject. Celuy dont je parle fut Chrestien de Troye, tel tesmoigné par Huon de Mery sur le commencement de son Tournoyement de l' Antechrist.

Car tel matiere ay apensée

Qu' oncques mais n' ot en la pensée

Ne Sarrazins, ne Chrestiens.

Parce que mort ert Chrestiens

De Troye qui tant ost de pris. 

En un autre endroit.

Lesdits Raoul & Chrestiens

Qu' oncques bouche de Chrestiens 

Ne dit si bien comme ils faisoient,

Car quand ils dirent, ils prenoient

Li bon François trestout à plain

Si com il leur venoit en main, 

Si qu' ils n' ont rien de bien guerpy.

Si j' ay trouvé aucun espy

Apres la main aux Hennuyers

Je l' ay glané mult volentiers.

Ce Raoult n' est pas le Comte Raoul de Soissons dont j' ay icy dessus parlé, ains un autre qu' on appelloit Raoul de Houdan qui fit le Roman des Esles: Et Chrestien, le Chevalier à l' espee & le Roman de Parceval, qu' il dedia au Comte Philippe de Flandres ainsi que j' apprend de Geoffroy de Tore, car je n' ay jamais veu ces deux livres. Plusieurs autres en eusmes nous dont Maistre Claude Fauchet premier President aux monnoyes, par un livre particulier fit un recueil, auquel le calcul se monte à cent vingt & sept, vray qu' il mist plusieurs au rang des Poetes, qui ne firent jamais plus de vingt ou trente lignes. Et estoient ordinairement appellez Joingleurs, specialement ceux qui frequentoient la cour des Comtes de Flandre. Ainsi le trouve-je au Roman d' Oger le Danois, parlant combien les Poetes de ce temps là estoient redeuables à Guy Comte de Flandre.

Li Iongleour de veront bien plorer 

Quand il mourra: car mult pourront aller

Ains que tel pere puissent mais recouvrer.

Et neantmoins deslors ils commençoient de perdre leur credit, comme je ly dedans le mesme Roman.

Cil Iongleour qui ne sorent rimer, 

L' istoire firent en plusiour lieux changer.

Et en celuy d' Atis & Profelias, l' Autheur se vantant qu' il mettoit en avant une histoire qui avoit esté traitée par autres Poetes, mais mal à propos. 

Cil Iongleour vous en ont dit partie,

Mais ils n' en sçavent valissant une allie.

Mot qui depuis arriva en tel mespris, qu' il fut seulement approprié aux basteleurs. Cette grande troupe d' escrivains qui indifferemment mettoient la main à la plume fut cause, que petit à petit nostre Poesie perdit son credit, & fut negligée assez long temps par la France. 

lundi 26 juin 2023

4. 7. Des droits de Juree, & Bourgeoise du Roy.

Des droits de Juree, & Bourgeoisie du Roy.

CHAPITRE VII.

Par toutes les coustumes de Champagne, je dy de Troyes, Meaux, Chaumont en Bassigny, & par celles de Sens, & Auxerre, il n' y a rien si frequent que quand elles nous enseignent y avoir deux sortes de gens, les uns Nobles, les autres non Nobles, & des non Nobles les aucuns estre de franche, les autres de serve condition: & au surplus que ceux qui sont francs se peuvent advoüer pour Bourgeois du Roy. Et à cet adveu, il y a quelques unes de ces coustumes qui s' y donnent plus ample carriere que les autres. Et parce qu' en la Coustume du Bailliage de Troye, il me semble y avoir plus d' obscurité, voire estre celle qui par dessus toutes les autres s' en est plus voulu faire accroire au prejudice des Seigneurs hauts Justiciers, je la toucheray particulierement. Les aucuns sont Nobles, & les autres non Nobles (portent le premier & second articles d' icelle) les non Nobles sont en deux manieres: Car les uns sont franches personnes, & les autres de serve condition: Lesquelles franches personnes, tant comme elles demeureront sous le Roy, ou és ressorts du Bailliage de la Prevosté de Troyes, sous aucun haut Justicier, non ayant en sa terre les droicts Royaux, sont appellez Bourgeois du Roy, & sont ses Justiciables ordinairement en tous cas personnels, Criminels & Civils, & redeuables de Juree, s' ils ne sont Clercs, ou autrement privilegiez. Et par les neufiesme & dixiesme articles subsequens. Les Bourgeois du Roy se peuvent tels advoüer par simple adveu, sans monstrer par escrit leur Bourgeoisie, excepté au Comté de Joigny, où celuy qui se veut advoüer pour tel, doit avoir lettres de Bourgeoisie du Baillif de Troyes, ou son Lieutenant. Cette Coustume fut redigee par escrit en pleine assemblee des trois Estats du Bailliage de Troyes par Maistre Thibaut Baillet  President, & Maistre Roger de Barme, Advocat du Roy au Parlement de Paris, & lors de la redaction Milon Advocat, tant du Clergé, que de la Noblesse s' y opposa, disant que si ces articles passoient ce seroit annichiler, & reduire à neant toutes les Jurisdictions hautes & moyennes des Seigneurs. D' autant qu' en leurs Justices y avoit sujets de quatre qualitez diverses, c' est à sçavoir les Nobles, les Clercs, les Roturiers, & les Serfs, qui estoient gens de morte-main: Qu' il estoit notoire que sur les Nobles ils n' exerçoient Jurisdiction, sur les Clercs encores moins, parce qu' ils estoient exempts de la Jurisdictions temporelle: Sur les Roturiers, par cette Coustume il leur estoit prohibé: Car les Roturiers, s' ils n' estoient Clercs, ou de morte-main, estoient faits Bourgeois du Roy: Parquoy si cet article demeuroit pour Coustume, ils n' avroient Jurisdiction que sur les serfs, hommes & femmes de corps. Et aussi que par les Ordonnances du Roy sur le faict des Bourgeoisies, les Bourgeois du Roy estoient sujects à plusieurs choses que l' on n' observoit point lors: Au moyen dequoy requeroit cet article estre corrigé. Les Commissaires sondans des praticiens quelle estoit la commune observance, ils rapporterent unanimement qu' elle estoit telle que l' article portoit. Ils n' avoient garde de dire le contraire. Car cet article sortant effect enfloit grandement leurs practiques, & par consequent leurs gibbecieres. Milon en peu de paroles avoit beaucoup dit, & moy en moins de paroles je diray que je n' entendy jamais les deux premiers articles, & estime que si ceux qui les dresserent, revenoient en vie, ils seroient grandement empeschez de les nous deschifrer. Pareille obscurité, mais non si perplexe, se trouva en l' an mil cinq cens cinquante & cinq, lors de la reformation de la Coustume de Sens. Mais n' ayant entrepris de demesler ce fuseau, je me contenteray de toucher ce qui est de l' ancienneté. Toutes les Coustumes par moy cy-dessus touchees, parlent des Bourgeoisies du Roy: celle de Troyes particulierement du droict de Juree. Recognoissons doncques s' il nous est possible comment furent introduits ces droicts, & en quoy ils consistoient. Je vous ay par le Chapitre precedant discouru comme sur le declin de l' Empire, fut par les Empereurs introduite une maniere de servitude tres-fonciere; sur les pays par eux de nouveau conquis, le François entrant dans les Gaules, rendit au Romain ce qu' il avoit presté aux autres.

C' est pourquoy furent faits trois sortes d' hommes en la Champagne, & quelques autres contrees des Gaules: Les vaincus qui furent faicts serfs, ausquels on laissa leurs terres, mais avec tant de charges pesantes, qu' ils sembloient estre plus à leurs Seigneurs qu' à eux mesmes, & pour cette cause furent appellez tantost gens de main-morte condition, tantost hommes & femmes de corps: & les Capitaines & plus grands Seigneurs qui avoient contribué de leur vaillance à la conqueste avecques nos Roys, eurent pour leurs departemens les Fiefs, desquels despendoient ces serfs: & la troisiesme espece fut des soldats François, qui pour ne tenir tel rang que les Capitaines, n' eurent pas les places Nobles, mais aussi ne furent-ils de si basse condition comme les Gaulois, & serfs, ains conserverent la liberté en laquelle ils estoient nez, leur demeurant leur nom originaire de francs, comme si on eust voulu dire que tous Francs ou François estoient naturellement de condition libre. Mot qui depuis s' est perpetué de main en main jusques à nous, voire avec un tel privilege, que nous opposons la franche condition à la servile, comme choses directement contraires. Et de là vint encores une autre distinction pour les terres: car comme ainsi soit que le mot de Leud entre les François signifiast subject, & que des terres les unes fussent Seigneuriales, & Feodales, les autres Allodiales, qui vouloit dire Censuelles, on en fit une troisiesme espece, de celles qui estoient tenuës en Franc-alleud, c' est à dire des terres, qui estoient tenuës par les Francs, non veritablement Nobles, comme les Fiefs, mais aussi non serviles comme les autres: de tant que l' on n' en payoit aucuns droicts, & devoirs censuels. Et de cette espece est aussi faite fort frequente mention dans la plus part des Coustumes par moy cy-dessus alleguees. Par ainsi en ce pays là il y avoit trois especes de personnes, Nobles, Francs, & Serfs, & autant d' especes de terres, Nobles, Censuelles, & en Franc-alleud. Et quant aux Serfs, ayans esté manumis, ils se disoient Bourgeois du Roy, comme je diray cy-apres.

Or comme les Royaumes se changent en diverses faces par longue succession de temps, aussi fit le nostre sous la troisiesme lignee de nos Roys, sous laquelle une infinité de grands seigneurs voulurent avoir part au gasteau, tout ainsi que Hugues Capet: mesmes petit à petit se fit un Comté de Champagne façonné de plusieurs pieces, lesquelles remises en une, les Comtes de ce pays-là tindrent un grand rang par la France, s' approprians plusieurs droicts de Souveraineté, avecques la reserve du baise-main, & vasselage envers nos Roys. Toutesfois pendant leur domination, on ne peut dire que le Baillif de Troyes, ny tous les autres de la Champagne pretendissent avoir en leurs Bailliages des Bourgeois du Roy, qui deussent subir leur Jurisdiction. Car ils n' estoient lors Juges Royaux, & ne l' ont esté que depuis que le Comté de Champagne a esté reincorporé à nostre Couronne.

Parquoy au lieu de cette Bourgeoisie du Roy (dont nous parlerons en son lieu) ils introduisirent un droict de Juree, qui estoit une prestation annuelle qui se faisoit aux coffres du Compte par ceux qui se rendoyent ses justiciables. Tout ainsi que le Serf foncier ne pouvoit changer de demeure au prejudice de son Seigneur, duquel il estoit homme de corps, & de suite: Aussi au contraire, soudain qu' il estoit affranchy, il avoit les portes ouvertes, & luy estoit permis de choisir tel domicile qu' il luy plaisoit, & en ce faisant subir nouvelle jurisdiction. Chose que je recueille d' un vieux tiltre d' un Thibaut Comte de Champagne, dont la teneur s' ensuit.

Nos Theobaldus Dei gratia Rex Navarrae, Campaniae, & Briae, Comes Palatinus, notum facimus universis praesentes litteras inspecturis. Quod cum Gillo Draperius filius defuncti Andreae de Champagne, & Alix uxor eius, de Meriaco essent homines de corpore dilecti, & fidelis nostri Simonis de Meriaco, ipsi se, & haeredes suos, tam procreatos, quàm procreandos, de corporibus eorum redemissent à dicto Simone, uxore eius, & haeredibus eorundem, & possent facere sibi dominum quemcunque voluissent, nos ad instantiam, & petitionem ipsorum, detinemus ipsos sub nobis pro decem solidis, quos dicti Gillo, Alix uxor eius, & haeredes eorum nobis & haeredibus nostris reddent annuatim, in festo S. Remigij, & pro dictis decem solidis ipsos quittavimus & quittamus ab omni tallia, tolta, demanda, custodia, villae, turris, & gabiolae ab exercitu, & chevaucheia, & ab omni alia exactione, facimus rei testimonium litteris annotatum, sigilli nostri munimine fecimus roborari. Actum anno Domini 1239. mense Maio.

Ce n' estoit doncques point, qu' estant affranchy il fust soudain Bourgeois du Comte, mais il estoit en son choix & option, ou de se faire Bourgeois de luy, ou bien d' un autre Seigneur: vray que voulant estre justiciable immediat du Comte, il estoit requis outre le domicile, qu' il luy payast certaine redevance par chacun an, qui estoit appellé Droict de Juree, pour l' honneur qu' il recevoit sortant fraischement d' une servitude, d' estre mis au rang de ceux qui estoient anciens Bourgeois. Tellement que pour jouyr de ceste qualité il estoit requis deux choses, l' une que laissant son premier, & ancien domicile, il s' habituast en une ville du Comte, de laquelle il seroit de là en avant justiciable en toutes demandes personnelles & criminelles, qu' on voudroit intenter contre luy: Duquel privilege il ioüyroit tant & si longuement qu' il y seroit demeurant: Qui estoit reduire les choses au droict commun de la Justice: l' autre qu' il payast par chacun an le droict de Juree, s' il n' estoit Clerc ou Noble, ou autrement bien & deuëment privilegié. Parce que si le manumis estoit puis apres annobly, ou tonsuré, il estoit aussi affranchy de cette protestation de Juree. De maniere que l' article de la vraye &  originaire Coustume de Champagne estoit, que tant & si longuement que telles sortes d' affranchis, demeuroient sous le Comte en la Prevosté de Troyes, ou d' une autre ville Comtale, ils estoient Bourgeois du Comte, & ses justiciables en tous cas personnels & criminels, & par mesme moyen redeuables de Juree, s' ils n' estoient Clercs, ou autrement privilegiez. Je dy en tous cas personnels. Parce que s' il estoit question d' un Petitoire il falloit renvoyer par devant le Juge des lieux, où les heritages estoient assis. Ceux qui reformerent cette Coustume en l' an 1509. suivirent aucunement ces traces, changeans fort à propos le nom du Comte en celuy du Roy, pour estre reüny à la Couronne, mais toutesfois avec un tel entrelas, & embarassement de paroles que l' on voit au doigt & à l' œil, que feignans de faire la mesnagerie du Roy, ils ne firent autre chose qu' une mangerie pour eux au prejudice des Seigneurs, & de leurs sujets. Les choses estans reduites à tel poinct, que soudain qu' un fuyard a sondé le gay de sa cause pardevant son Juge ordinaire, s' il la pense perdre, il s' auoüe Bourgeois du Roy, & par ce moyen la fait renvoyer pardevant le Baillif de Troyes, qui n' est pas une petite affliction pour le commun peuple.

Or estoit ce droict de Juree de six deniers pour liure des meubles, & deux deniers tournois des immeubles, sinon que l' on se fust dés le commencement aborné à certaine somme avec le Comte. Ainsi l' ay-je appris d' une sentence donnee en l' an 1420. par le Baillif de Troyes, sur un different qui se presenta entre le Procureur du Roy demandeur en execution, contre Jean Margoulet boulanger, Jean Cailler Orfevre, & Jean Houry tisserant deffendeurs: Par laquelle apres que les parties eurent escrit d' une part & d' autre, & les deffendeurs verifié leur abornement contre la pretention des six, & deux deniers par an, alleguee par le Procureur du Roy, les deffendeurs gagnerent leur cause, & furent condamnez pour une fois payer les dix sols, à quoy leurs predecesseurs avoient esté abornez. Et en ce procez fut produite la Charte du Comte Thibaut par moy cy-dessus rapportee. Au demeurant ce droict de Juree fut ainsi nommé, parce qu' il est vray-semblable que ceux qui se rendoient justiciables du Comte, faisoient un nouveau serment pardevant le Juge des lieux, ou bien que ceux qui estoient tous les ans esleuz pour faire le departement sur ceux qui estoient contribuables à cette redevance, faisoient le serment d' y proceder sans faveur, comme nous apprenons de ce que j' ay presentement recité. Et combien que l'  Ordonnance fust de payer six deniers pour chaque liure des meubles, & deux pour les immeubles: Toutesfois il y avoit une maxime generale, que nul ne payoit plus de vingt liures par an, à quelque valeur que se montassent les meubles & immeubles. Il pouvoit bien payer au dessous, mais non au dessus: & est une chose qu' il ne faut passer sous silence, que jaçoit que par la reünion du Comté de Champagne à la Couronne, le Baillif de Troyes eust esté faict Juge Royal, si est-ce que long temps apres le Baillif de Sens pretendoit que s' il y avoit quelques-uns au Bailliage de Troyes sujets des Ecclesiastics, qui se pretendissent Bourgeois du Roy, ils devoient payer le droit de Bourgeoisie en la recepte ordinaire de Sens, & non en celle de Troyes.

Ce qui apporta une belle dispute & plaidoirie en la Chambre des Comptes le dixneufiesme de May 1462. entre le Procureur du Roy de Sens d' une part, & le Procureur du Roy de Troyes d' autre. Sur ce que le Procureur du Roy de Sens disoit que le Roy, à cause de sa Couronne avoit la garde & protection des Eglises de son Royaume, & la cognoissance de leurs questions & differents, en ressort pardevant ses Baillifs Royaux, mesmes que quand on avoit fait quelques Appannages on avoit tousjours reservé par expres les gardes, patronages, souveraineté, & ressort des Eglises de fondation Royale, & de leurs terres: & nommément au traicté faict à Arras entre le Roy Charles VII. & le Duc de Bourgongne. Disoit outre que les temporalitez de l' Evesque & Chapitre de Troyes, & d' autres Eglises estans au Comté de Champagne estoient sujettes au Roy, & sans moyen à cause de sa Couronne & du Bailliage, ressort & Prevosté de Sens, en tous lesquels lieux le Roy, à cause de sa Couronne, avoit ses Bourgeois, qui devoient chacun an à sa recepte de Sens douze deniers Parisis de Bourgeoisie, & qui appelloit des Juges de leurs terres, les appellations se relevoient directement par devant le Baillif de Sens, & entr'autres villes. Qu' à l' Evesque de Troyes appartenoit les Seigneuries de Valants, & Villiers, & au Chapitre celles de sainct Cyre, & la Chapelle sainct Pere, esquels lieux le Roy avoit ses Bourgeois, qui payoient chacun an les dicts douze deniers Parisis à Sens: que nonobstant cela le Procureur du Roy de Troyes avoit obtenu lettres au mois de Decembre, lors dernier passé, a fin de faire payer les droits de Juree en la recepte de Troyes sur les dictes terres: chose dont iceluy Procureur du Roy de Sens s' estoit plaint aux Advocats, & Procureur generaux du Parlement, aux presentations des jours de Sens, & de Champagne, & depuis par leur advis s' estoit retiré en la Chambre. Partant concluoit à ce qu' inhibitions & deffences luy fussent faites, d' entreprendre sur ces droicts de Bourgeoisie, sous pretexte du pretendu droit de Juree. Contre lesquelles conclusions, le Procureur du Roy de Troyes, comme Comte de Champagne, disoit que le Comte de Champagne, à cause de son Comté, avoit droit de prendre Jurees par chacun an dans les limites de son Comté, sur tous les manans & habitans d' iceluy, s' ils n' estoient Clercs ou Nobles, ou autrement privilegiez: c' est à sçavoir six deniers pour liure de meuble, & deux deniers pour liure d' immeuble: toutesfois le plus puissant pouvoit estre quitte pour vingt liures par an, & de ce il avoit ioüy de tout temps: Que le Comte avoit droict de lever les Jurees sur les habitans de Valants, Villiers, sainct Cyre, & les Chapelles sainct Pere, estans de la Prevosté de Troyes, & que de ce il avoit ioüy jusques à quelque peu de temps auparavant, que le Procureur du Roy de Sens avoit appellé au Parlement de l' assiette d' icelles Jurees: Que de son dire il apparoissoit par les papiers & livres de Jurees, & Comptes ordinaires de Troyes, tant vieux que nouveaux, estans en icelle Chambre des Comptes, mesmes de l' an mil trois cens soixante deux, mil trois cens soixante trois, mil quatre cens neuf, & mil quatre cens dix. Davantage disoit que la Juree estoit de plus grand profit que les Bourgeoisies: Que le Roy pouvoit beaucoup gagner par l' un, & perdre par l' autre. Concluant par ces moyens & autres, a fin d' absolution. Le Procureur du Roy de Sens par ses repliques denioit la ioüyssance alleguee par sa partie adverse: & quant au profit, disoit que la Bourgeoisie croissoit & descroissoit selon le nombre de ceux qui payoient Bourgeoisie, ce qui n' estoit en ceux qui payoient la Juree. Et finalement que la Bourgeoisie estoit droict Royal inseparable de la Couronne, & la Juree droict du Comté de Champagne, qui se pouvoit separer par Apannage, ou autrement, & qu' il valloit mieux un denier non muable, que deux deniers muables, & que les Clercs payoient les droicts de Bourgeoisie, & non de Juree.

Cette cause plaidee au grand Bureau de la Chambre, presens les Advocats, & Procureur du Roy du Parlement, apres avoir veu toutes les pieces, il fut dit, & ordonné, que de là en avant le Receveur ordinaire de Sens recevroit comme par main tierce, & souveraine és lieux de Valans, Villiers, S. Cyre, & la Chapelle S. Pere, icelles Bourgeoisies, & en feroit recepte en ses Comptes, sans prejudice de droicts des parties, & des appellations interjettees au Parlement, le tout par maniere de provision.

Voila ce que je pense appartenir au faict de la Juree de Champagne, reste maintenant de parler des Bourgeoisies du Roy, esquelles on vouloit practiquer en Champagne l' Ordonnance de Justinian. Car tout ainsi que cet Empereur ostant toutes les obscuritez qui se trouvoient en la difference des libertez, voulut que tout homme qui estoit affranchy dans la ville de Rome, fust estimé Citoyen Romain, & ioüist de mesmes franchises que son Maistre. Qui n' estoit pas un petit privilege à l' effect mesmement des Jurisdictions. Car vous sçavez que lors que sainct Paul s' advoüa Citoyen de Rome, il ferma la bouche au Proconsul de la Palestine, qui renvoya la cognoissance de son faict à l' Empereur, quelque distance de lieuës qu' il y eust de la ville de Hierusalem à Rome. Le semblable advint-il en France, parce que les Serfs ayans esté manumis par leurs Maistres, se maintindrent à la longue, Bourgeois du Roy, & par ce moyen ne pouvoient estre ailleurs poursuivis que pardevant les Juges Royaux souverains, que nous appellons maintenant, Suzerains. Ainsi voyons nous estre porté par le cent trente-cinquiesme article de la Coustume de Sens, qu' une franche personne se peut advoüer & faire Bourgeois de la Bourgeoisie de Sens, si elle est de la Prevosté ou du ressort du dit Sens, en faisant les devoirs de Bourgeoisie, & des solemnitez en tels cas requises: Et le semblable au trente & cinquiesme article de la Coustume d' Auxerre. Quelles devoient estre ces submissions, nous le recueillons de l' Ordonnance de Philippes le Bel de l' an mil trois cens deux. Par laquelle il estoit permis à tout homme de s' advoüer Bourgeois du Roy, en faisant les submissions à ce requises, qui estoient de se venir presenter pardevant le Juge Royal de la ville, dont il desiroit estre dict Bourgeois, & que là en presence de deux ou trois notables Bourgeois, il promit d' achepter une maison en la ville dedans l' an & jour: chose dont il bailleroit caution, & de ce seroit faict acte que l' on mettroit és mains d' un Sergent qui le signifieroit au Seigneur de la Jurisdiction duquel ce nouveau Bourgeois entendoit estre exempt, & luy en bailleroit coppie, a fin qu' il n' en pretendist cause d' ignorance, & jusques à ce qu' il eust satisfaict à ce que dessus, il ne pouvoit ioüyr du droict de Bourgeoisie. Et neantmoins passant plus outre, il estoit encores porté, que de là en avant luy & sa femme devoient prester residence actuelle au lieu de la Bourgeoisie, pour le moins depuis le jour & feste de la Toussaincts jusques à la sainct Jean Baptiste, sinon qu' ils en fussent empeschez par maladie, pelerinage, ou autre legitime empeschement, lequel cessant, ils seroient tenus de retourner trois ou quatre jours apres pour le plus tard en leur maison: & leur estoit permis de s' absenter de la sainct Jean Baptiste jusques à la Toussaincts, pour faire leurs foings, moissons, & vendanges, & que s' il estoit possible ils se trouvassent en leurs Bourgeoisies aux Festes solemnelles de l' annee, & aussi apres avoir esté receuz Bourgeois, si aucun s' en vouloit soubstraire, il seroit tenu de payer les charges ordinaires, tant au lieu de son premier domicile, que celuy de sa Bourgeoisie. Au demeurant cette nouvelle Bourgeoisie ne l' exemptoit de la Jurisdiction de son Seigneur, pour la poursuite des droits, & devoirs Seigneuriaux, ny en action petitoire pour les heritages qui estoient assis en son ancien domicile, ny pour les excez par luy commis trois mois auparavant que d' estre faict Bourgeois. Ordonnance depuis en tout & par tout confirmee par le Roy Jean en l' annee mil trois cens cinquante & un. Chose certes tres-juridique, & par laquelle en conservant ce qui estoit de la dignité Royale, n' estoit faict aucun tort aux Jurisdictions des Seigneurs hauts Justiciers, ny aux sujets que l' on veut aujourd'huy distraire de leurs Jurisdictions ordinaires, sous umbre d' un simple adveu de Bourgeoisie, sans plus ample information. La plus belle coustume pour cest effect, & plus approchante de cette Ordonnance est celle d' Auxerre, à laquelle le Lecteur pourra avoir recours, depuis le trentecinquiesme article jusques au 41. inclus. Le commencement de l' Ordonnance de Philippes le Bel estoit tel. Haec ordinatio facta est per nos, & consilium nostrum de mandato nostro super modo tenendi, & faciendi Burgesias regni nostri ad removendam, ac tollendam fraudem, quae olim fuerat occasione, seu causa dictarum Burgesiarum, ratione quarum aliquando subiecti nostri graviter opprimebantur, ad nos suas querimonias deferentes. Et en la fin, Actum Parisiis die Lunae post mediam quadragesimam. Anno Domini 1302.