samedi 8 juillet 2023

6. 14. Deux exemples memorables de clemence, Roy François premier, Roy Henry quatriesme

Deux exemples memorables de clemence, l' un du Roy François premier, en la punition du fait du Connestable de Bourbon, l' autre de nostre grand Roy Henry quatriesme en celle du Mareschal de Biron.

CHAPITRE XIV.

Je serois un grand lourdaut, de vouloir faire entrer en comparaison la qualité d' un Mareschal de France, avecques celle du Connestable, & plus encores si je mettois en contrecarre un simple Gentil-homme ou Seigneur avecques un Prince du Sang. Et neantmoins à la suitte du Chapitre precedent, je puis dire comme chose tres vraye, que le Connestable de Bourbon, & le Mareschal de Biron, tous deux grands Capitaines, & guerriers, furent amorcez aux entreprises qu' ils brasserent, celuy-là, par les appas du mariage de la sœur d' un Empereur, & cestuy-cy sous l' esperance d' espouser la fille du Duc de Savoye à present vivant. Vray qu' en cette communauté de rencontres, ils eurent cela de disconuenable, que je premier avoit eu auparavant quelque sujet de mescontentement, & l' autre non, ayant tousjours esté embrassé par le Roy son Maistre d' une singuliere affection & faveur. Tous deux furent chastiez, l' un en son absence par defaux, & contumaces, l' autre en personne. Les deux Roys y apporterent chacun en son endroict un formulaire de clemence, mais l' un de l' autre divers. Histoire qu' il ne sera hors propos de vous representer à la suitte du precedent Chapitre. Je remets à vos arbitrages de juger lequel des deux feit acte le plus signalé en ce sujet.

Je commenceray par le Roy François, & vous diray que combien que le fait du Connestable, pour le grand rang qu' il tenoit, tant de son ancien estoc, que par le grade qu' il portoit, tint toute la France en une extreme crainte, toutes-fois jamais l' opinion du Roy François ne fut d' en rendre la punition sanglante, ains de chastier par prisons & crainte de morts, ceux qui estoient soupçonnez d' avoir adheré à cette conspiration. Qu' ainsi ne soit, non seulement on se saisit de tous ses principaux domestiques, mais aussi des Seigneurs, qui luy estoient plus favoris, d' uns Seigneurs de la Vaulguion, & de Prié, tous deux Capitaines de cinquante lances: & sur tous de Messire Jean de Poitiers, Seigneur de Sainct Vallier, Chevalier de l' Ordre du Roy, Capitaine de cent Gentils-hommes de sa Maison: Auquel le procez extraordinaire fut fait & parfait, tout ainsi que au Connestable: En fin par Arrest du seiziesme Janvier mil cinq cens vingt & trois, le Connestable fut degradé de tous ses honneurs, & ses biens acquis à la Couronne, le Roy seant en son lict de Justice. Et par autre Arrest Sainct Vallier condamné à mort, toutes-fois lors que l' on voulut proceder à l' execution, le Roy par ses Patentes luy convertit la peine de mort en une perpetuelle prison: Et depuis furent les prisons à pur & à plein ouvertes à tous les autres prisonniers.

Quelqu' un me pourra dire en passant, que pour le regard du Connestable, il ne faut attribuer à clemence, s' il ne fut condamné à mort, ains à la qualité de Prince du Sang qu' il portoit. Toutes-fois cette reigle n' est point observee quand un Prince du Sang se trouve avoir voulu attenter contre le Roy & son Estat. Ainsi que nous trouvons avoir esté autres-fois pratiqué sous le regne du Roy Charles VII. contre Jean de Valois Prince du Sang, Duc d' Alençon, lequel par Arrest du dixiesme Octobre mil quatre cens cinquante huict, donné par le Parlement, & Pairs de France à Vendosme, ayant esté declaré crimineux de leze Majesté, pour avoir voulu introduire en France, l' Anglois, fut condamné à estre decapité, & tous ses biens confisquez. Vray que le Roy Charles changea cette mort en une prison perpetuelle, & donna à la veufve, & aux enfans du condamné tous, & chacuns les biens à luy adjugez. Tellement que je veux croire que le Roy François seant en son lict de Justice au Parlement de Paris, à la conclusion de l' Arrest, ne voulut par la debonnaireté, qu' on touchast au sang de celuy, qui meritoit de perdre la vie. Or quant à sainct Vallier, combien que l' arrest contre luy baillé frapast à sa mort, toutesfois je m' asseure que sur le champ mesme les juges eurent advis du Roy, de la clemence qu' il vouloit exercer en luy. Et de cela j' en ay un argument qui me semble indubitable. Car combien qu' à la suite de l' arrest, y eust dedans le registre un retentum de la Cour, portant qu' il seroit appliqué à la question, avant que d' estre exposé au dernier supplice, a fin d' indiquer les autres complices, toutesfois jamais cette question ne luy fut presentee. Ce que la Cour n' eust obmis de faire, si elle n' eust eu sous main le mot du Prince, qui arrestoit leur arrest.

Le recit de l' histoire du Connestable de Bourbon, m' a remis en memoire les procedures qui furent depuis quelques annees en ça, pratiquees par nostre feu grand Roy Henry quatriesme, au faict du Mareschal de Biron. Je vous ay dit que la premiere desconvenuë en la tragedie de Bourbon, provint pour avoir mal à propos meslé la pratique du Palais avecques les affaires d' Estat, par une avarice mal reiglee d' une grande Dame, & d' un Bonnet quarré. Je vous diray maintenant que nostre Roy Henry, Prince pratic aux affaires d' Estat, & non du Palais , apres l' execution de l' arrest donné contre le Mareschal de Biron, fit don au frere de luy de tous, & chacuns ses biens confisquez. Duquel don le donataire demandant la verification à la Chambre des Comtes de Paris, comme est la commune usance en telles matieres, Monsieur Nicolaï premier president, avecques quelques maistres des Comptes, & les gens du Roy, commis pour faire remonstrances à sa Majesté, luy remonstra que ce don estoit contre les anciennes reigles de la chambre, laquelle n' avoit jamais appris de verifier telles manieres de dons faits aux heritiers de ceux qui avoient esté condamnez à mort, pour crime de leze Majesté au premier chef. A quoy faire nos ancestres avoient esté sagement induits, pour destourner tous les sujects de tels execrables attentats, a fin que leurs proches parens habiles à leur succeder, n' esperassent trouver ressource en la liberté de nos Roys, sur les biens qui avoient esté confisquez. Remonstrances certes belles, & dignes d' une grande compagnie, toutesfois le Roy apres nous avoir ouys: Je trouve (dit-il) vostre reigle pleine de zele, & discretion, mais quant à moy je veux qu' on sçache, que ce n' a esté, ny l' or ny l' argent, ny les biens qui m' ont semonds à la mort du defunct, ains la vengeance publique en celuy qui avoit conspiré contre le repos general de moy, & de mon Royaume. Et pour cette cause ay-je voulu que son procez luy fust fait, & parfait, a fin de servir d' exemple à chacun: Maintenant il me plaist de gratifier son frere du bien à moy adjugé, pour l' exciter à bien faire, tout ainsi que par la mort du defunct il doit estre destourné du mal. Apopthegme digne d' un grand Roy, qui eust fermé la bouche à celuy, qui donna les memoires à Madame la Regente, pour terrasser mal à propos le Prince, qui auparavant avoit tousjours bien merité du public. Car quant au reste des procedures, qui est le principal sujet du present chapitre, à la verité le Roy François par sa clemence obligea grandement tous ceux de la conjuration de Bourbon, lors que sans effusion de sang il leur fit ouvrir les prisons. Vous jugerez de quelle recommandation & merite fut celle de nostre feu Roy Henry. Parce qu' il ne voulut qu' on emprisonnast aucun que l' on soupçonnoit avoir esté de la partie, fors un secretaire du sieur de Biron. Et de cette histoire je m' en croy: D' autant que lors que luy feismes les remonstrances de la part de la Chambre sur le don cy dessus mentionné, apres nous avoir payé d' une monnoye Royale telle que dessus, il adjousta ces mots particulierement à deux de la compagnie dont j' estois l' un: On me disoit que si je permettois qu' il fust executé à mort (parlant du Mareschal de Biron) ma cour demeureroit deserte, pour la creance qu' il avoit à la Noblesse & la Noblesse en luy, & jamais je ne la veis si pleine qu' elle est, chacun se presentant devant moy pour dire qu' il n' avoit jamais esté de la conjuration, chose que je suis tres-content de croire, encores que je sçache le contraire. Trait admirable de clemence & sagesse tout ensemble. En celuy du Roy François exerçant sa debonnaireté, il offensa aucunement ceux qui avoient esté prisonniers, si toutesfois ce mot d' offenser peut, & doit tomber en ce grand suject dans ma plume. En celuy de nostre Roy Henry, leur pardonnant sans mot dire, il ne les voulut offencer, pour se les rendre plus obligez. Et par ce moyen assopit, & tranquilita toutes choses à petit bruict.

vendredi 7 juillet 2023

6. 13. Procedures tenuës en la foy & hommage, que feit Philippes Archiduc d' Austriche, à nostre Roy Louys douziesme.

Procedures tenuës en la foy & hommage, que feit Philippes Archiduc d' Austriche, à nostre Roy Louys douziesme.

CHAPITRE XIII.

Le mal-heur qui nous advint en la journee de Pavie, & le traicté qui fut fait à sa suitte, veulent que je vous represente en ce lieu la derniere foy & hommage, qui nous fut faite par Philippe Archiduc d' Austriche. Paravanture que quelques-fois la fortune joüant autrement son rolle, ce Chapitre pourra enseigner à la posterité, de quelle façon elle se deura comporter. Et vrayement je me trans-formerois volontiers tout à fait, en celuy dont j' ay emprunté cette Histoire: Laquelle representee au jour & naïf de son ancienneté, peut estre y aura-il moins de grace au langage: mais aussi plus de foy & creance. L' Autheur de ce mien discours fut un Maistre Jean Auis (: Avis), Notaire & Secretaire du Roy, qui non seulement fut de la partie, ains eut commandement exprez, comme il nous tesmoigne, de Monsieur de Rochefort, Chancelier de France, de rediger par escrit la presente Histoire, dont je coppieray mot pour mot les principaux articles, a fin que le Lecteur se puisse informer de quelques anciennetez que nous n' observons aujourd'huy.

Messire Guy de Rochefort Chancelier sous le regne de nostre bon Roy Louys XII. partit de la ville de Dourlens pays de Picardie, pour aller en celle d' Arras, où il arriva le I. jour de Juillet 1499. accompagné des Seigneurs de Ravastain, & de la Grutture, de deux Maistres des Requestes du Roy, sept Conseillers du grand Conseil, deux Procureurs generaux du Parlement, & grand Conseil, du grand Rapporteur de la Chancelerie, du Baillif d' Amiens, & de cinq Notaires & Secretaires du Roy: Je vous les specifie ainsi que je le trouve par le memoire, & vous laisse à part leurs noms & surnoms: D' autant que ce ne seroit ce me semble, que remplissage de papier.

Et ainsi que mon dit sieur le Chancelier (dit Avis) fut à tout sa dite compagnie, comme à lieuë & demie de la Cité d' Arras, chevauchant en bon ordre, ayant au devant de luy, l' Huissier du grand Conseil, portant sa masse descouverte, armoyée des armes du Roy, & apres luy le Chauffecire qui portoit le seel, ainsi qu' il est accoustumé quand mon dit sieur le Chancelier va par champs: Et lequel Chauffecire estoit costoyé de deux Roys d' armes: c' est à sçavoir Mont-joye premier Roy d' armes, & Normandie. 

Je vous ay rapporté cette clause tout de son long, a fin que cognoissiez en passant quel ordre tenoient anciennement les Chanceliers allans par pays és actes de ceremonie, ayans pour suitte ordinaire l' un des Chauffecire: Car ce qu' il en dit icy, il le repete cy-apres, en un autre endroit. Or estant le Chancelier à une lieuë pres de la ville, Messire Thomas de Pleurre Evesque de Cambray, Chancelier de l' Archiduc, accompagné du Comte de Nassau, & plusieurs autres Seigneurs de Marque, le vindrent saluër de la part de leur Maistre. En cette premiere entreveuë, mille curialitez: & arrivez aux faux-bourgs d' Arras, l' Archiduc suivy de plusieurs Chevaliers de son Ordre, & Seigneurs de son Conseil, vint accueillir le Chancelier qu' il embrassa, ayant tousjours le bonnet au poing, & luy dit qu' il estoit le bien venu, luy demandant en cette maniere, Comment se porte Monsieur le Roy? A quoy mon dit sieur le Chancelier respondit, Que tres-bien graces à Dieu, comme il avoit intention de plus amplement luy dire. De là plusieurs grandes caresses de la part de l' Archiduc, aux Seigneurs de Ravastain & la Grutture, & Messieurs des Requestes, & du grand Conseil, & jamais il ne se voulut couvrir, sinon que le Chancelier fust le premier couvert, puis l' Autheur poursuivant sa route. Monsieur le Chancelier (dit-il) & l' Archiduc se meirent eux deux ensemble, pour entrer en la ville, le Chancelier tousjours à dextre, & chevauchant au devant de luy l' Huissier du grand Conseil, sa masse haute & descouverte, & le Chauffecire ayant le seel du Roy sur son dos, comme il est de coustume, quand mon dit sieur le Chancelier chevauche par le Royaume, & deux Rois d' armes en leur ordre: sans qu' entre mes dits sieurs le Chancelier & Archiduc y eust autre. Quelle chose estoit, & fut bien regardee, tant par les gens & Officiers de l' Archiduc, que par le peuple, dont il y avoit grand nombre, tant dehors la cité, que dedans, illec venus pour voir l' entree. Et mena & conduit mon dit sieur l' Archiduc, mon dit sieur le Chancelier, tousjours parlant à luy, en soy souvent descouvrant, sans ce qu' il se couvrist, que mon dit sieur le Chancelier ne fust aussi tost couvert, jusques à l' entrée du cloistre de la grande Eglise. Voulant mon dit seigneur l' Archiduc à toute force le mener jusques à la maison Episcopale, en laquelle mon dit seigneur a tousjours esté logé. Nonobstant les requestes & prieres que mon dit seigneur le Chancelier luy feist de soy conteur de l' honneur qu' il luy avoit fait en faveur du Roy. Et sur ces paroles se departit mon dit sieur l' Archiduc, & s' en alla en la ville d' Arras en son logis de S. Vast, & mon dit seigneur le Chancelier en la dite maison Episcopale, accompagné du sieur Comte de Nassau, & autres grands personnages de la maison de mon dit sieur l' Archiduc, & apres chacun de la compagnie, & bande de mon dit sieur le Chancelier, s' en alla au logis qui luy estoit ordonné. Vous pouvez voir par cela avec quel respect le Chancelier fut accueilly par l' Archiduc. Trois jours se passent, pendant lesquels l' Archiduc, & le Comte de Nassau le vindrent visiter, pour concerter ensemblement sur quelques obscuritez que M. Jean Burdelot Procureur general au Parlement, avoit proposees. Desquelles s' estans esclaircis, le Jeudy 4. Juillet le Chancelier leur declara qu' il desiroit que le lendemain se presentast pour faire la foy & hommage qu' il estoit tenu de porter, pour raison de la Pairrie & Comté de Flandres, & semblablement des Comtez d' Artois, & de Charroulois, & autres terres & Seigneuries tenuës & mouvantes de la Couronne de France. Ce qui fut par l' Archiduc trouvé bon. Le jour, lieu, & heure arrestez, le Chancelier ordonna pour le lieu & place la seconde salle de son logis, qu' il fit revestir d' une riche tapisserie, & rehausser le lieu où l' hommage seroit fait de deux marches, où fut mise une chaire de veloux semé de fleurs de Lys, en laquelle il seroit assis devant la reception, & les paroles qui seroient proferees par l' Archiduc. Le lendemain sur les 10. heures, estant en chambre environné de Messieurs des Requestes de l' Hostel, gens du grand Conseil, Baillif d' Amiens, & autres cy-dessus nommez, il fut adverty par l' Evesque, que l' Archiduc estoit party de son Hostel, pour venir faire l' hommage, & par deux autres fois il receut pareil advis par quelques autres Officiers de l' Archiduc, qui luy dirent que leur Maistre estoit en chemin pour cet effect. En fin adverty par les sieurs de la Grutture, Flammezelles Chambellan du Roy, & Ravastan, qui l' avoient accompagné depuis son logis jusques en ce lieu, qu' il estoit entré jusques à la premiere salle. Adoncques le Chancelier vestu d' une robbe de veloux cramoisy, son chapeau en teste se partit de sa chambre, en la maniere qui s' ensuit. Et ainsi l' ay-je coppié mot pour mot de l' Autheur, dont j' ay recueilly l' Histoire. 

Ayant au devant de luy le dit Huissier du grand Conseil, portant sa masse descouverte, & haut criant au peuple qui là estoit assemblé en grand nombre. Devant, devant, faites place. Et apres luy alloient les deux Rois d' armes du Roy nostre dit seigneur, vestus des cottes d' armes du dit sieur. Puis marchoit mon dit sieur le Chancelier, & apres Messieurs des Requestes, les Conseillers du grand Conseil, Notaires & Secretaires du Roy, avec lesquels j' estois (poursuit l' Autheur) & parce  que mon dit sieur le Chancelier m' avoit ordonné auparavant son partement la dite Chambre, me mettre en lieu & place, pour estre present à la reception du dit hommage, pour ouyr les paroles, tant de luy, que de mon dit sieur l' Archiduc, qui y seroient dites & proferees par eux deux, prendre le commencement des lettres à ce necessaires, je m' auancay pour ce faire. Et est à sçavoir qu' ainsi que mon dit sieur le Chancelier approcha de la chaire où il devoit seoir, mon dit sieur l' Archiduc qui aupres d' icelle estoit, attendant mon dit sieur le Chancelier, osta incontinent le bonnet de sa teste: Disant à mon dit sieur le Chancelier ces mots: Monsieur, Dieu vous doint bon jour; & en ce disant baissa fort la teste: Et mon dit sieur le Chancelier sans rien proferer, ou dire mot, meit seulement la main à son chapeau, qu' il avoit en la teste: Et incontinent l' un des dits Rois d' armes, ainsi qu' ordonné luy avoit esté par mon dit sieur le Chancelier, cria à haute voix par trois fois: Faites paix. Ce fait mon dit sieur l' Archiduc se presenta à mon dit sieur le Chancelier pour faire le dit hommage, disant: Monsieur le Chancelier, je suis icy venu devers vous pour faire l' hommage, que tenu suis faire à Monsieur le Roy, touchant mes Pairries & Comtez de Flandre, d' Artois, & Charroulois, lesquels je tiens de Monsieur le Roy, à cause de sa Couronne. Et lors mon dit sieur le Chancelier, ainsi assis qu' il estoit en sa dite chaire, tout couvert de bonnet & chapeau, luy demanda, s' il avoit ceinture, dague, ou autre baston. Lequel mon dit sieur l' Archiduc en levant sa robbe qui estoit sans ceinture, dit que non. Ce dit mon dit sieur le Chancelier luy meit les deux mains entre les siennes, & icelles  ainsi tenans & jointes, mon dit sieur l' Archiduc se veut encliner, monstrant apparence de se vouloir mettre à genoux. Ce que mon dit sieur le Chancelier ne voulut souffrir, ains en le soustenant par ses dites mains, qu' il tenoit comme dit est, luy dit ces mots. Il suffit de vostre bon vouloir. Puis mon dit sieur le Chancelier luy dit en cette maniere, luy tenant tousjours les deux mains jointes, & ayant mon dit sieur l' Archiduc la teste nuë, & encores s' efforçant tousjours de se mettre à genoux. Vous devenez homme du Roy, vostre souverain Seigneur, & luy faites  foy & hommage lige, pour raison des Pairries & Comtez de Flandre, & aussi des Comtez d' Artois & de Charroulois, & de toutes terres que tenez, & qui sont mouvantes, & tenuës du Roy à cause de sa Couronne: Luy promettez le servir jusques à la mort, inclusivement envers & contre tous ceux qui peuvent viure & mourir sans nul reserver, de procurer son bien & eviter son dommage, & vous induire & acquiter envers luy, comme envers vostre souverain Seigneur. A quoy fut par mon dit sieur l' Archiduc respondu: Par ma foy ainsi le promets-je, & ainsi le feray. Et ce dit mon dit sieur le Chancelier luy dit ces mots, Et je vous y reçoy, sauf le droit du Roy en autre chose, & l' autruy en toutes. Puis tendit la joüe, en laquelle mon dit sieur l' Archiduc le baisa: Puis mon dit sieur l' Archiduc requit & demanda lettres à mon dit sieur le Chancelier, lesquelles il me commanda de luy faire, & icelles luy depescher. Lors mon dit sieur le Chancelier se leva de sa dicte chaire, & se descouvrit du chapeau & bonnet, & feit reverence à mon dit sieur l' Archiduc, luy disant ces mots: Monsieur je faisois n' agueres office de Roy, representant sa personne, & de present je suis Guy de Rochefort, vostre tres humble serviteur, tousjours prest de vous servir envers le Roy, mon souverain Seigneur & Maistre, en tout ce qu' il vous plaira me commander. Dont mon dit sieur l' Archiduc le *remercia, luy disant: Je vous mercie Monsieur le Chancelier, & vous prie qu' en toutes mes affaires envers mon dit sieur le Roy, vous me vouliez tousjours avoir pour recommandé. Tesmoin mon seing manuel cy mis le I. jour d' Aoust l' an 1489. Sic signatum Auis (Avis). L' ordre qui fut lors tenu m' a semblé digne d' estre icy enchassé. Les grands Seigneurs joüent leurs rolles ainsi qu' ils veulent, par cet Univers, & les petits qui sont spectateurs de leurs jeux, se donnent quelques-fois la loy de juger des coups. Monsieur le Chancelier de Rochefort estoit un grand personnage, non sujet à faute en ce qui luy estoit enjoint & commandé par son Maistre, toutes-fois la question n' est pas petite de sçavoir, si luy representant lors la personne du Roy son Seigneur (comme luy mesme fut d' accord par ses derniers propos) fit acte digne de soy, ou pour mieux dire de Roy, quand il ne voulut permettre, que l' Archiduc le conduisist jusques à la maison Episcopale pour s' heberger: & que faisant la foy & hommage, il ne voulut permettre qu' il s' agenoüillast, comme il vouloit faire, & estoit le deu de son vasselage: Parce que si ces deux poincts n' estoient en cet acte, la closture d' iceluy eust esté bien plus magnifique, quad (quand) il dit qu' auparavant il faisoit office de Roy, & depuis il estoit un simple Guy de Rochefort, &c. Et toutes-fois je veux croire que tout ce que fit ce grand Chancelier, ce fut par un jeu mesuré qui luy avoit esté prescrit avant son partement par le Roy en son Conseil. Autrement sa faute eust esté tres-grande, & inexcusable.


Philippes Archiduc d' Austriche
Roy Louys douziesme