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dimanche 13 août 2023

9. 39. Troisiesme aage de ceux qui ont mis leurs plumes sur l' explication du Droict Romain.

Troisiesme aage de ceux qui ont mis leurs plumes sur l' explication du Droict Romain.

CHAPITRE XXXIX.

Ce Chapitre est dedié au troisiesme aage du restablissement du Droict de Rome, mais premier que d' y entrer, je feray une briefve reveuë de quelques anciens Docteurs de nostre France, qui selon la vieille guise & liuree des Italiens, se meirent comme eux sur les rangs. Car combien que Guillaume Durant Provençal eust esté le premier qui se fust, contre les deffenses de Justinian, lasché toute bride dans son Speculum, si ne fut-il de telle façon suivy par les nostres, comme par les Italiens qui le renvierent sur luy. Nostre Concil Nationnal de Tours nous en avoit fermé la porte. Et neantmoins quelques esprits curieux s' en dispenserent à la longue. Uns Petrus à Bella Pertica, & Ioannes de Blavasco Bourguignons, Iacobus de Ravano Lorrain, Petrus Iacobi de Montpellier, & Gulielmus de Cuneo, voulurent estre de la partie, entre lesquels je voy ce dernier avoir esté grandement honoré de la brigade Italienne. Et eurent ceux-cy pour corrivaux dedans nostre France plusieurs doctes hommes en ce sujet, tant és Cours souveraines, que subalternes, uns Jean Fabri Seneschal de la Roche-foucaut en Angoulmois, Stephanus Aufrerij President au Parlement de Tholose, Jean Gallus Advocat du Roy au Parlement de Paris, Guido Papae Conseiller en celuy de Dauphiné, Masuerius Advocat en la Seneschaussee de Bourbonnois, que j' appellerois volontiers nostre Masurius Sabinus. Avecques lesquels j' adjousteray le docte Gulielmus Benedicti, Conseiller au Parlement de Tholose sous le Roy Louys douziesme: mais comme une plume metive. Car combien qu' il ait enrichy ses œuvres de plusieurs belles anciennetez, si est-ce que son malheur voulut que ce fut d' un stile mousse & grossier; & le semblable vous diray-je d' uns Boërius President au Parlement de Bourdeaux, de Chassannee President en celuy de Digeon, & de nostre Rebuffy, personnages de grande & singuliere doctrine au fait du Droict, comme tesmoignent leurs œuvres, mais qui ne se peurent bonnement garentir de la barbarie ancienne, encores qu' ils fussent du temps du Roy François I. mesme que l' un d' eux ait veu le regne de François II.

Le siecle de l' an mil cinq cens (dedans lequel toutesfois vesquirent Felin, Jason, Dece, Socin le jeune, Italiens, tous tachez & infectez de cette ancienne lourdise) nous apporta une nouvelle estude de Loix, qui fut de faire un mariage de l' Estude du Droict avecques les lettres Humaines, par un langage Latin net & poly, & trouve trois premiers entrepreneurs de ce nouveau mesnage, Guillaume Budé François enfant de Paris, André Alciat Italien Milannois, Uldaric Zaze Alleman né en la ville de Constance.

De ces trois le premier qui ouvrit le pas fut Budé (lors Secretaire du Roy, & depuis Conseiller & Maistre des Requestes ordinaire de son Hostel) en ses Annotations sur les Pandectes qu' il dedia en l' annee mil cinq cens huict, soubs le regne du Roy Louys douziesme du nom, à Messire Jean de Gannay Chancelier de France. Et non seulement ouvrit le pas au beau Latin parsemé de belles fleurs d' histoires & sentences; mais aussi sur le commencement de son œuvre se desborda en invectives contre la barbarie des anciens Docteurs de Droict. Cestuy fut non long temps apres suivy par Alciat. Je dis nommément suivy; car la premiere dedicace de ses œuvres est des trois derniers livres du Code, qui fut par luy faite, est de l' annee mil cinq cens treize, & celle des autres sont toutes des annees subsequentes. Et neantmoins les choses ne luy succederent pas grandement à propos entre les siens: car je ne voy point que les Italiens qui le survesquirent, ayent esté grandement soucieux de se rendre, comme luy, Humanistes. Il me souvient que m' estant acheminé de la ville de Tholose au pays d' Italie, pour y parachever mes Estudes de Droict, j' oüys trois ou quatre de ses leçons dedans la ville de Pavie. De là m' estant transporté en la ville de Boulongne, où lisoit Marianus Socinus, nepueu de Bartholomaeus, tous les Escoliers Italiens faisoient beaucoup plus de compte de cestuy que de l' autre. Voire que ceux qui plaidoient, pour s' asseurer de leurs causes, recherchoient plus le Socin. Pour cette seule consideration (disoient ils) que jamais il n' avoit perdu le temps en l' estude des lettres Humaines, comme Alciat. Il n' en prit pas ainsi à nostre Budé dedans nostre France: d' autant qu' une infinité de bons esprits se meirent sous son regiment, tant en nos Universitez de Droict, que és Cours souveraines, & autres Cours inferieures. Dedans la ville de Tholose uns Corras & du Ferrier, Forcatel, qui de son nom François fit un Forcatulus Latin, dedans Valence un Aemilius *Ferretus, dedans Cahors un Govean, lequel, ores que non François, si est-ce qu' il y commença ses Estudes, & acheva: dedans Grenoble, & dedans Orleans uns Jean Robert, & Guillaume Fournier, dedans Bourges, Baron, Duaren, & autres que je particularizeray cy-apres, & specialement le grand Cujas. Uns Gregoire Tholosan au Pontamousson, & Godefroy Parisien en la ville de Heidelbert. Je vous mets ces deux-cy sur les derniers rangs, non que je les estime moindres, mais parce qu' en leurs escrits semble estre la closture de cette nouvelle Jurisprudence. En Gregoire par son Syntagma Iuris, auquel il a si bien lié le Droict avecques l' Humanité, qu' il est mal-aisé d' y rien adjouster ou diminuer: Et quant à nostre Godefroy, il a cueilly des jardins de tous nos nouveaux Docteurs Humanistes, les plus belles fleurs dont il fait une maniere de Glosses sur tout le Droict, tout ainsi qu' avoit faict Accurse des anciens Glossateurs. Et tel Advocat plaidant au barreau contrefaict par fois le sçavant, qui ne reluit que de la plume de Godefroy sans le nommer: Mais premier que de me fermer en ce discours des Docteurs Regens de Droict, je vous veux faire part d' une chose que j' ay observee. La premiere & plus ancienne Université de Loix sous le pays coustumier est celle d' Orleans, & la derniere est celle de Bourges. Et l' une & l' autre se sont diversement renduës fort admirables en leurs professeurs de Droict. La ville d' Orleans a eu dedans nostre siecle neuf Docteurs Regens, qui de leurs Escoles furent appellez aux Cours souveraines; Minut & Truchon: celuy-là premier President au Parlement de Tholose, cestuy-cy au Parlement de Grenoble. Feu (qui dedans ses œuvres s' appelle Ignaeus) mourut second President au Parlement de Rouen. Pyrrhus Anglebermaeus Senateur de Milan, Ruzé l' Estoille, Saulsier, du Bourg, Conseillers au Parlement de Paris, Mainier en celuy de Bruxelles soubs l' Empereur Charles V. Tous ces grands personnages quitterent à l' Université d' Orleans la Theorique de Droict, pour s' attacher à la pratique és Cours souveraines: qui ne luy fut pas un petit honneur. Mais pour cela Bourges ne luy ceda en rien, car elle eut du temps de nos bisayeux un Probus qui escrivit sur la Regale, & dans nostre siecle sept grands personnages qui ont fait reluire la lecture du Droict Civil chez elle, Alciat, Baron, Duaren, Balduin, Hotoman, le Comte, & entr'eux tous le grand Cujas.

Quelques uns y adjoustent Donneau & Ragueau; mais non de telle estoffe que les autres. Tous lesquels suivirent avec grand honneur la piste de nostre Budé. Que s' il vous plaist repasser sur les Cours souveraines, & autres Jurisdictions de la France, je vous en feray un sommaire recueil, non de tous; ains de ceux qui se sont representez en ma memoire, & encores les vous estaleray-je, non selon la grandeur de leurs dignitez; ains de l' ancienneté de leurs escrits, Guillaume Budé Maistre des Requestes ordinaire du Roy, Aimarius Rivalius, Conseiller au Parlement de Grenoble, François Conan pareillement Maistre des Requestes, André Tiraqueau Conseiller, Charles de Moulin Advocat, Gille le Maistre premier President, Nicolas du Val (qui se dit en Latin Valla) Barnabé Brisson President, René Chopin, Pierre Pithou. Ces six derniers resseans au Parlement de Paris, Corras Conseiller au Parlement de Tholose, auparavant Docteur Regent, Messire Pierre du Faur (dit Petrus Faber) premier President; Ferronius Conseiller au Parlement de Bourdeaux, l' Anglaeus en celuy de Bretagne. Tous lesquels se voüerent à l' illustration du Droict Civil, en voulant illustrer le nostre: Et combien que je ne trouve en quelques uns telle polisseure de langage, que paravanture on pourroit desirer; toutesfois ils se voulurent tous seurer de la barbarie de nos vieux Docteurs. Et à peu dire le vray sejour de cette nouvelle Jurisprudence est la France: car je ne voy point qu' és autres nations ils l' honorent de la façon que faisons. Qui me fait encore adjouster à ce que dessus, ceux qui aux Cours subalternes ont fait monstre de leurs esprits en ce sujet, Louys le Charond, dit Carondas, Lieutenant de la ville de Clairmont en Beauvoisis, Argentré Lieutenant general au Siege Presidial de Rennes, Airaut Lieutenant criminel en celuy d' Angers, Coquille Advocat au Siege Presidial de S. Pierre le Moustier: Car encores que le premier ait fait preuve de ses Estudes de Droict, tant en Latin que François, & les trois autres tant seulement en François, si se sont-ils rendus admirables par leurs escrits.

Conclusion, repassant sur les trois chambrées de ceux qui ont escrit sur le Droict; En la premiere je fais grand estat d' Accurse entre les Glossateurs, en la seconde de Bartole Italien, & entre les nostres de Jean Fabre, auquel je baille pour compagnon Charles du Moulin: & nommément Estienne Fabre & du Moulin les vrais Jurisconsultes de nostre France: Et entre ceux de la troisiesme, qu' il me plaist de nommer Humanistes, je donne le premier lieu à nostre Cujas, qui n' eut selon mon jugement, n' a, & n' aura paravanture jamais son pareil. Et au milieu de ces derniers, je n' en voy aucuns qui ayent escrit en langage plus elegant que Govean, & Duaren, au peu que l' un & l' autre nous ont laissé de leurs ouvrages, & de ces deux je donne le premier lieu à Govean.

9. 37. Universitez de Loix, & quand, & comment le droict Civil des Romains se vint loger en nostre France.

Universitez de Loix, & quand, & comment le droict Civil des Romains se vint loger en nostre France.

CHAPITRE XXXVII.

Sur l' avenement de tous ces grands Docteurs d' Italie, dont j' ay parlé, qui fut vers l' an 1300. la France fut du tout disposée à nouveautez sous nostre Roy Philippes le Bel. Un Pape Clement cinquiesme du nom, pour luy complaire s' habitua avecques toute sa Cour en la ville d' Avignon

La premiere Assemblée des trois Estats, pour secourir d' argent son Prince, sans murmure & mescontentement de ses subjects. Invention d' Enguerrand de Marigny. L' usage des Colleges tels qu' on a veus & voyons encores aujourd'huy dedans Paris. Car auparavant il n' y avoit que celuy de Sorbonne, & un ou deux autres pour le plus. Mais depuis que la Royne Jeanne femme du Bel eut en l' an 1304. fondé celuy de Navarre, les autres furent depuis instituez (si ainsi voulez que je le die) en flote. Le Parlement, & la Chambre des Comptes, qui auparavant estoient à la suite de nos Roys, furent faits resseans dedans Paris: nouveau Parlement creé dans Toulouse. Et sous ce mesme regne furent aussi introduites les Universitez de loix.

En la deduction desquelles je suis d' avis de reprendre de fonds en comble l' ancienneté de toutes nos Universitez, qu' il ne faut estimer avoir esté tout d' un coup moulées sur leurs commencemens, ains prindrent d' elles mesmes leurs naissances par leurs estudes continuelles, & les estudes dedans les Eglises Cathedrales, à ce faire semonces par les frequentes exhortations des Concils tant generaux, que nationnaux. A la verité toutes devoient contribuer d' une mesme devotion à ce noble exercice: toutesfois les aucunes se trouvans plus froides, celles qui furent plus chaudes, continuans leur ancienne route, obtindrent à la longue le nom d' Universitez du Magistrat souverain, avecques certains Privileges portez par leurs titres. Qu' ainsi ne soit, repassez par toutes les Universitez de la France, qui sont quatorze en nombre, elles sont toutes basties és Eglises Cathedrales, hormis celle de Caen, qui fut un ouvrage des Anglois. Le tout comme vous entendrez par le denombrement que je vous enfileray cy apres selon l' ordre & progrez des ans de leurs creations.

La premiere de toutes fut l' Université de Paris, laquelle un bien long temps merita, non le nom de premiere, ains d' unique: parce que jusques au pontificat de Gregoire IX. successeur immediat d' Honoré III. elle fut seule & generale Université de toute la France.

La seconde est celle de Thoulouse, qui fut pour telle authorizée par le mesme Gregoire l' an 1233. c' est à dire au mesme an qu' il fit publier les cinq livres de ses Decretales. Le sieur Cadan, mien amy Docteur regent en cette Université, personnage d' une singuliere erudition, m' a du consentement de Messieurs ses Confreres aidé de la Bulle, tirée des archifs bien & deuëment collationnée à son Original, dont je vous veux faire present. Car on ne sçavroit assez honorer telles anciennetez.

Gregorius Episcopus, servus servorum Dei, dilectis filijs Universitatis, Magistrorum & scholarium Tolosanorum Salutem, & Apostolicam benedictionem. Olim operante illo qui vult omnes homines salvos fieri, & neminem vult perire. Per ministerium dilecti filij nostri. Portuensis electi, tunc in illis partibus Apostolicae sedis legati, inter Ecclesiam, & nobilem virum Comitem Tolosanum, pace praeeunte divina gratia reformata, idem legatus, tam provide, quam prudenter, attendens quod fides Catholica, quae paene penitus videbabatur (videba-batur: videbatur) de illis partibus profligata, inibi reflorere valeret, si illic litterarum studium crearetur, duxit proinde statuendum, ut in Tolosana civitate, cuiuslibet licitae Facultatis studia plantarentur, quorum Magistris, ut liberius possent vocare studijs, & Doctrinis, à iamdicto Comite fuit promissum certum salarium. Nos igitur quod super praemißis factum est, gratum & ratum habentes, ut eadem libertate qua gaudent Parisienses Scolares, vos omnes, & qui vobis successerint in hac parte, perpetuo gaudeatis, devotioni vestrae perpetuo duximus concedendum. Nihilominus ut cives Tolosani, domos vacantes ad habitandum, scholaribus locare sub competenti precio, taxando à duobus Clericis, & totidem laicis viris discretis, Catholicis & iuratis, communiter electis, à vobis locare cogantur. Et ut scholares Theologiae studijs insistentes, ac universi Magistri, in civitate commorantes praefati, Beneficiorum, & praebendarum suarum proventus, ac si in civitatibus quibus eadem obtinent, residerent (Quotidianis distributionibus quae illis qui divinis intersunt officijs aßignantur, duntaxat exceptis) concedantur. Integre statuentes sancimus praeterea, quod nulli Magistri, Scholares, vel Clerici, ac servientes eorum (quod absit) si contingeret eos in quocumque maleficio deprehendi, ab aliquo laico iudicentur, vel etiam puniantur, nisi forsitan iudicio Ecclesiae condemnati, seculari curiae relinquantur. Et ut laici teneantur studentibus in caussa qualibet coram Ecclesiastico iudice respondere, secundum consuetudinem Ecclesiae Gallicanae. Necnon & ut Comes iamdictus, cives Tolosani, Baillivi eiusdem Comitis & Barones terrae, personis & rebus Scholarium securitatem & immunitatem promittere compellantur, & à suis subditis faciant illud idem. Et si quid eos, vel eorum nuncios, in bonis ipsorum, pecunia, vel rebus alijs spoliaverint, ipsi vel emendare faciant vel emendent, & ut quicumque Magister ibi examinatus, & approbatus fuerit in qualibet Facultate, ubique sine alia examinatione, regendi liberam habeat potestatem. Et haec cum saepe praefatus Comes in reformatione pacis se obligaverit, praestito iuramento, ut certum salarium, usque ad certum tempus, certo numero Magistrorum exolvat, statuimus, & illud sine diminutione qualibet, persolvat. Nulli ergo hominum liceat hanc paginam nostrae tonceßionis & constitutionis infringere, vel ei ausu temerario contrario. Si quis autem hoc attentare praesumpserit, indignationem omnipotentis Dei, & beatorum Petri, & Pauli Apostolorum eius se noverit incursurum. Datum Lateran. tertio Kalendas Maij, Pontificatus nostri anno septimo.

Et au dessous de cette copie escrite en parchemin sont ces mots, Extraict tiré à son Original, dedans les archifs de l' Université de Toulouse, cotte B. dedans un sac inventorié un par moy Bedeau, & Secretaire de l' Université de Toulouse, y ayant un seau de plomb, Gregorius PP. VIII. & par moy remis dedans les dits archifs.

Beau titre certes & tres-authentique pour monstrer que l' opinion du Pape Gregoire estoit non de fonder une Université de Loix, ains de Theologie principalement. Le tout en la mesme maniere qu' en celle de Paris. Chose qu' il est aisé de recueillir si vous examinez ce titre en son tout. Car premierement la plus grande partie du Languedoc avoit esté infectée de l' heresie Albigeoise, tout ainsi comme le Comte de Toulouse son seigneur, qui estoit rentré en grace moyennant son abjuration, & articles portez par le traicté: mesme à la charge de payer l' espace de dix ans certaine redevance à ceux qui enseignoient la Theologie, le Decret, la Medecine, Philosophie, & la Grammaire dedans Thoulouse, ainsi que je vous ay touché par le precedant Chapitre. Qui occasionna l' esleu de Portueuse Legat en France, pour extirper tout à fait cette heresie d' y creer une Université. Ce qui fut confirmé par le Pape Gregoire. Je ne dy rien que ne trouviez porté par sa Bulle. Dautant que sur le commencement il discourt comme en faisant la paix avec le Comte de Thoulouse, & pour le salut de son ame, l' esleu Evesque de Portueuse son Legat avoit de luy stipulé, qu' il seroit tenu de payer certains deniers à ceux qui lisoient dedans Thoulouse, en consequence dequoy il y avoit estably une Université. Et sur la fin reprenant ses premiers arremens, il veut & ordonne que le Comte continuë les payemens jusques à la fin du temps prefix par la capitulation. Et sous cette condition veut que cette Université jouïsse des mesmes franchises & libertez que celle de Paris.

Lisez doncques le commencement, le milieu & la fin. Cette Bulle ne s' estendoit nullement à la lecture du Droict Romain, ayant esté cette Université seulement bastie à l' instar de celle de Paris. Et de là est venu, qu' uns Balde, Panorme, & Jason, exercerent leurs plumes sur cette question, sçavoir si l' Université de Paris estoit accruë de Privileges par nouveaux octrois, celle de Toulouse y devoit avoir quelque part. Et à vray dire ce ne luy est pas un petit honneur, qu' apres la grande ville de Paris elle soit la premiere de la France, en laquelle on ait assis Parlement & Université.

Or ne se tint elle pas longuement dedans les bornes de son institution. Et voicy comment. Le premier des Docteurs Italiens qui vint enseigner le Droict en la France fut Placentin, en la ville de Montpellier, qu' il trouva à sa bienseance, pour estre plus proche de son pays & y mourut l' an 1192. ainsi qu' apprenons de son tombeau, qui est en l' Eglise sainct Barthelemy joignant la ville de Montpellier, où ces quatre vers sont empraints.

Petra Placentini corpus tenet hic tumulatum, 

Sed petra quae Christu' est animum tenet in paradiso. 

In festo Eulaliae vir nobis tollitur iste, 

Anno milleno ducenteno minus octo.

Apres luy Azon mal mené des siens y vint lire, mais il fut depuis par eux r'appellé. Tellement qu' en ces quartiers là le droict commença de s' aprivoiser, comme aussi y eut il depuis Guillaume Autheur du Speculum iuris, duquel je vous ay cy dessus parlé. Cela fut cause que l' Université de Thoulouse estant establie, la Faculté de Loix s' y logea fort facilement. Et de fait je trouve dedans Bartole que François Accurse fils du Glossateur s' y estant par occasion transporté y leut la Loy unique De sent. quae pro eo quod inter. prof. Et que lors Iacobus de Ravenna, qui erat ibi magnus Doctor (ce sont les paroles de Bartole) in forma discipuli surrexit contra eum, & apposuit sic: Istud dictum glossae videtur contra textum huius legis. Nam textus & c. Quand je vous parle de Ravenna Lorrain de nation, c' estoit celuy duquel Cynus disoit, Quod ea quae à maioribus perspicuè & simpliciter erant tradita, ad Dialecticam arguendi, disputandique modum deduxerat. Par cela vous voyez que la porte estoit lors ouverte dans l' Université de Thoulouse aux lectures publiques de droict. Car Accurse estant decedé l' an 1229. & l' Université dressée l' an mil deux cens trente trois ce concert fut fait quelque temps apres. La Bulle de Gregoire portant que cette Université estoit instituee pour y lire, in quacunque Facultate legitima. Clause generale que les Thoulousains sceurent fort bien mesnager. Car ils comprindrent sous elle la Faculté de Droict avecques les autres, & ainsi l' ont tousjours pratiqué avecques honneur. Les Jurisconsultes disoient que sur les obscuritez qui se trouvoient en l' explication d' une Loy. Consuetudinem optimam legis esse interpretem. En cas semblable on peut dire, n' y avoir commentaire ny truchement plus fidelle d' un vieux titre que l' usage. C' est pourquoy elle se pretend la seconde Université de la France apres Paris, mais la premiere de toutes les autres, au fait de la Loy.

Et toutesfois la premiere qui obtint le nom & qualité de Loix par son titre originaire est celle d' Orleans. Mais avant que de vous en parler je vous diray ces deux mots, combien que du commencement par une maxime, le magistrat ne se peust aisement induire à l' ouverture de ce nouveau droict, toutesfois il vint peu à peu en grand credit. Rigord dit que quand il fut question de sçavoir si le mariage du Roy Philippes Auguste, & de la Royne Ingeburge devoit estre confirmé ou declaré nul, le Pape ayant envoyé deux Cardinaux ses Legats, qui s' assemblerent avecques nos Prelats en la ville de Soissons. Post varias (dit-il) & multas Iurisperitorum disputationes. Le Roy emmena quant & soy sa femme sans leur en demander congé. Et en un autre endroit Innocent III. ayant en l' an 1207. envoyé en France le Cardinal de saincte Marie. In porticu Iurisconsultum, & bonis moribus ornatum, omnium Ecclesiarum visitatorem. Le premier traict de loüange qu' il donne à ce Legat est de la Jurisprudence. Et à peu dire le mesme Rigord parlant en quel estat estoit l' Université de Paris de son temps. Cum igitur in eadem nobilißima civitate (dit-il) non modo de trimo & quadrimo, verum & de quaestionibus Iuris canonici & civilis, & de ea facultate, quae de sanandis corporibus & sanitatibus conservandis scripta, plena & perfecta inveniretur doctrina ferventiori tamen desiderio sacram paginam & quaestiones Theologicas docebant. Par ce passage vous voyez que Rigord Medecin de Philippes Auguste, qui fit l' histoire de luy apres sa mort, nous enseigne par ce passage, que de son temps on enseignoit le Droict Civil dans Paris aussi bien que le Droict Canon, nonobstant les prohibitions precedantes faites par le Pape Honoré III. Et quand je voy cest Epitaphe qui est au Chapitre de nos Augustins joignant le Cloistre.

Hic iacet nobilis vir D. Philippus de Volognano, legum professore, qui obijt anno Domini 1317. die Dominica post Assumptionem Beatae Mariae Virginis, cuius anima requiescat in pace. Amen.

Quand je voy (dy-je) cest Epitaphe, je suis bien empesché de juger si ce defunt avoit esté professeur des Loix dedans Paris ou ailleurs. Car lors il n' y avoit que la ville d' Orleans qui portast le titre l' (d') Université de Loix, & me semble que s' il y eust leu, on l' eust particulierement declaré avoir esté professeur de Loix en icelle ville. Tout cela me fait dire que la promotion du Droict des Romains en France doit beaucoup à l' opiniastreté du peuple, encores que par traicte de temps il se soit rangé dans Paris aux defenses du Pape Honoré.

Opiniastreté que vous recognoistrez encores davantage en la ville d' Orleans. Cette ville estoit l' une des quatre villes, dont en la premiere lignée de nos Roys le Royaume par deux fois partagé, l' un des Roys portoit le titre de Roy d' Orleans. Et deslors cette ville sembloit faire profession des bonnes lettres. Gregoire de Tours au premier Chapitre de son huictiesme livre nous dit, que le Roy Gontran fils de Clotaire premier, retournant de quelque long voyage en sa ville, Proceßit ei obviam immensa turba cum signis atque vexillis canentes laudes, & hinc lingua Syriaca, hinc Latinorum, hinc etiam ipsorum Iudaeorum, in diversis laudibus varie increpabat. Qui monstre que deslors les langues y estoient diversement pratiquées. Et ne faut doubter que cette mesme devotion s' y continua. Et de fait Glaber Rodulphus au livre troisiesme de son histoire, dit que sous le regne du Roy Robert, un Heribert homme d' Eglise Sancti Petri Ecclesiae cognomento puellaris, capitale scholae tenebat dominium.

Or dedans cette ville l' opiniastreté principalement se logea pour enseigner le droict Romain, par dessus toutes les villes de nostre pays coustumier. Je voy un Yve Breton, que depuis nous avons appris pour sa saincte vie, avoir esté mis au Catalogue de nos saincts, apres avoir fait ses premieres estudes en la ville de Paris, s' estre transporté à Orleans poury faire ses secondes estudes en droict. Cela s' appelle vers l' an 1385. Je voy un Pape Clement V. recognoistre avoir emprunté sa grandeur des estudes de loix qu' il avoit faites en cette ville auparavant qu' elle fust recognuë pour Université de loix. Brief deux grands Jurisconsultes François y avoir enseigné le droict Romain publiquement. Gulielmus de Cuneo, & Petrus à Bella Pertica, avec un grand applaudissement pendant leurs vies, & apres leurs decez par les Docteurs en droit qui les survesquirent, comme on recueille de leurs escrits. Qui fut le premier des deux, ny pour le temps, ny pour la doctrine, je ne le puis bonnement juger. Bien vous diray-je que Petrus à Bella Pertica acquit un grand bruit. Car non content d' avoir longuement enseigné le droict dedans Orleans, il voulut passer les monts, & dedans la ville de Boulongne il le voulut renvier sur François Accurse. Car tout ainsi que passant par Toulouse cettuy-cy avoit leu avec grand honneur la Loy unique du Code. De sent. quae pro eo quod interest. Aussi fit le semblable le nostre, avec une singuliere admiration de tous. Ainsi l' appren-je de Bartole en la mesme Loy. Et depuis ayant fait surseance de ce mestier fut honoré de plusieurs belles dignitez en l' Eglise, comme nous tesmoigne son Epitaphe gravé sur une tombe de cuivre dedans le cœur de l' Eglise de Paris.

Hac iacet in cella Petrus cognomine Bella

Pertica, perplacidus verbis, factis quoque fidus, 

Mitis, veridicus, prudens, humilisque, pudicus, 

Legalis, planus, velut alter Iustinianus, 

Summus Doctorum, certissima regula morum, 

Parisianorumque decanus Canonicorum, 

Altisiodorica digne sumpta sibi sede, 

Tempora post modica, carnis secessit ab aede,

Anno sub mille ter & centum simul, ille

Sulpitij festo migravit ab orbe molesto

Det sibi solam Spiritus Almus, Amen.

Vers lourds, grossiers, & de mauvaise grace, mais par lesquels nous apprenons quel fut le cours de sa vie & mort. Premierement grand Docteur au fait des loix, puis Doyen en l' Eglise de Paris, en apres Evesque d' Auxerre qui mourut l' an 1300.

Advint en l' an 1303. que le Parlement qui estoit à la suite de nos Roys fut fait sedentaire à Paris, & au mesme an le Parlement de Toulouse creé. Le tout pour faciliter le cours de la justice aux pauvres parties à moindres frais. Et combien que les juges feussent composez part de gens d' espee, part de robbe longue, toutesfois la longue robbe se trouvant avoir plus d' avantage sur la partie, que l' espée, aussi commença l' on d' embrasser le droict des Romains à face ouverte.

Et ores qu' en la ville de Toulouse sejour ordinaire du Parlement fust l' Université de loix approuvée: toutesfois on ne fit pas le semblable en celle de Paris. Obstans les defenses à elle faites par Honoré III. mais en ce defaut fut choisie la ville d' honneur, la plus proche, qui estoit Orleans, pour y estre les loix Romaines enseignées.

Tellement que s' il vous plaist entendre de moy ce que je pense avoir introduit les Universitez de loix de nostre pays Coustumier, je vous diray qu' encores que du commencement l' estude du droict des Romains nous fust suspecte, craignans que par son moyen on assujectist le François sous une domination estrangere, toutesfois la longue opiniastreté des gens doctes, qui de leur propre mouvement l' enseignoient dedans Orleans, la fit passer en tolerance (comme il advient souvent és affaires d' Estat, pour esquiver plus grand mal) & de tolerance en necessité. Non vrayement pour tenir lieu de Loy en la France, telle que nos Ordonnances Royaux ou coustumes provinciales, ains pour puiser d' elles une infinité de beaux advis qui pouvoient en sens commun servir de guides aux juges tant à l' instruction que decision des causes qui se presentent devant eux, comme vous pourrez cognoistre par les patentes du Roy Philippes le Bel, que je vous representeray cy apres.

Cette ville est la premiere de toutes les autres qui sont au pays Coustumier, voire de toute la France, qui porta le nom d' Université de loix, & eut pour parreins le Pape Clement V. & nostre Roy Philippes le Bel IV. du nom. L' opinion commune est que ce fut en l' an 1303. Qui est un erreur. Car Clement ne fut fait Pape qu' en l' an 1305. (ainsi l' appren-je de Platine & Onufre) & neantmoins il ne faut faire aucune doubte qu' il en fut le premier Autheur: la teneur de ses Bulles estoit telle.

Clemens Episcopus, servus servorum Dei, ad perpetuam rei memoriam & c. Je vous laisse tout le preambule, pour vous representer tout au long le dispositif. Cum igitur in Aurelianensi civitate litterarum studium in utroque iure, ac praesertim in iure Civili laudabiliter viguerit ab antiquo, & ad presens Deo favente refloreat, nos ipsum Aurelianense studium, quod nos olim essentiam minoris status habentes, legendi, & docendi in legibus, scientia decoravit: ad quod ex his & alijs condignis considerationibus, praerogativa quadam, intuitu nostrae affectionis adducitur, volentes opportunis confouere favoribus, & praesidijs communire, ut quanto utilioribus fuerit erectionibus stabilitum, tanto commodius, laudabilius, & uberius docentes & studentes ibidem aedificare valeant ad profectum, authoritate Apostolica statuimus ut scholasticus quilibet Aurelianensis, coram Episcopo Aurelianensi, vel de ipsius mandato, in capitulo Aurelianensi, vocatis ad hoc & praesentibus pro Universitate Scholarium duobus solis Doctoribus, in sua teneantur institutione iurare, quod ad regimen Decretorum, & legum, bona fide, loco, & tempore, secundum statum praefatae Civitatis, & honorem, & honestatem, & Facultatem ipsorum, non nisi dignis licentiam largientur, nec admittent indignos, personarum & nationum acceptatione substracta. Ante vero quam quemquam licentient, tam ab omnibus Doctoribus utriusque iuris, in civitate praesentibus quam alijs honestis viris & litteratis, per quos veritas sciri poßit, de vita, scientia, necnon proposito & spe proficiendi, & alijs quae in talibus sunt requirenda, diligenter inquirant, & inquisitione sic facta, quid deceat, quid expediat, dent vel negent bona fide, petenti licentiam postulatam. Doctores autem Decretorum ac legum quando incipient legere, praestabunt publice iuramentum, quod super praemißis fideliter testimonium perhibebunt: Scholasticus etiam iurabit, quod consilia Doctorum seu dispositiones eorumdem in malum ipsorum nullatenus revelabit. Neque pro licentiandis Baccalaurijs, iuramentum, vel obedientiam, seu aliquam exiget cautionem, neque aliquod emolumentum, seu promißionem recipiat pro licentia concedenda, iuramento superius nominato contentus. Caeterum illi qui in civitate praefata examinati & approbati fuerint, ac docendi licentiam obtinuerint, ut est de nunc, ex tunc absque examinatione, vel approbatione alia, legendi & docendi ubique in Facultate illa in qua fuerint approbati, plenam & liberam habeant facultatem, nec à quoquam valeant prohiberi. Nulli ergo omnino hominum liceat hanc paginam nostri statuti infringere, vel ei ausu temerario contraire. Si quis autem hoc attentare praesumpserit, indignationem omnipotentis Dei, & beatorum Petri & Pauli Apostolorum eius se noverit incursurum. Datum Lugduni VI. Kal. Febr. Pontificatus nostri anno primo.

Ce fut l' an mil trois cens cinq en la ville de Lyon, où Clement fit une grande & magnifique, mais tres-malheureuse entrée. Cettuy est le premier crayon de cette Université, qui receut depuis sa perfection par Philippes le Bel, sept ans apres. Et voicy comment l' Université croissant de jour à autre d' Escoliers, n' estant toutesfois en tout & par tout bien policée, survint une grande sedition qui la cuida mettre en desarroy, & fut cela cause que le Roy y voulut mettre la main à bonnes enseignes, mais avecques une protestation qu' il n' entendoit assujectir les siens au droict de Rome par cette ouverture.

Non putet igitur (portent ses lettres patentes) aliquis, nos recipere, vel progenitores nostros recepisse consuetudines quaslibet sive leges, ex eo quod eas in diversis locis, & studijs Regni nostri per scolasticos legi sinatur: multa namque eruditioni & doctrinae proficiunt, licet recepta non fuerint. C' est ce que je vous ay dit cy dessus que ce droict se lisoit en unes & autres villes par souffrance. Et neantmoins que le Roy en admettoit la lecture, comme celles desquelles on pouvoit puiser plusieurs belles raisons pour la decision du proces. Et quelques lignes apres. 

Sane cum inter cives Aurelianensis civitatis, in qua propter opportunitatem, fertilitatem, & amoenitatem loci sub alis progenitorum nostrorum, & nostris, liberalium artium, praecipue iuris canonici studium, & civilis noscitur floruisse, & eminentes personae temporibus retro actis, qui virtutum & scientiae fulgore splendentes, fructum multiplicem Deo gratum, & hominibus salubrem, per munti diversa climata reddiderunt, ac inter Doctores, Magistros & Scholares iuris canonici, & civilis ibi studentes, cernimus grave nuper scandalum fuisse suscitatum Universitatis, praetextu Doctorum ipsorum, & Magistrorum, Scholarium noviter institutae, videlicet ex eo studium illud nedum turbatum & impeditum enormiter, nisi celeriter occurreretur, prorsus posse (quod absit) in futurum sine reparatione destitui Universitatem huiusmodi quae caussam huic scandalo praestabat, nec fuerit authoritate nostra subnixa, tolli decrevimus. Quod enim in hoc favore studij fuerat dispositum, manifeste tendebat ad noxam. Caeterum ut Doctores, Magistri, & Scholares libentius ad studium ipsum declinent, & ferventius ibidem studentes proficiant quanto plus honorari se sentient, illud privilegijs, beneficijs, & libertatibus munientes, studium generale praesertim iuris canonici, & civilis, favente Deo, perpetuum ibidem esse volumus, & Regia authoritate firmamus. Hoc salvo quod Theologiae Magistri nullatenus creentur ibidem, ne detrahatur priviliegijs Romanae sedis studio Parisiensi conceßis.

A la suite dequoy sont les Privileges dont le Roy veut, & entend honorer cette Université, qui ne sont petits. Mais sur tout me plaist une clause pleine de curialité, par laquelle le Roy d' une debonnaireté admirable tasche de faire trouver bon aux autres bourgeois de la ville, si peut estre à leur desavantage, il advantage les Escoliers. Et si quod privilegium forsan à nobis vel nostris progenitoribus sit praedictis civibus concessum, quod huic adversetur, id propter favorem studij utilitatemque publicam ceßare volumus in hac parte. Nec cives eos pigeat. Ipsa namque civitas ex studio decoratur, ac ideo propter incrementum honoris, & utilitatis civitatis eiusdem, quod ipsi cives ex studio, si benemeritis oculos aperiant, sentire noscuntur, patienter ferre debeant, si forsan videatur eis paulisper ex talibus se gravari.

Qui me semble une belle leçon faite à tous les manans & habitans des villes, esquelles y a Universitez pour compatir avec ses Maistres & Escoliers. Je vous laisse toutes les autres particularitez des lettres patentes du Roy Philippes, lesquelles sur la fin portent ce date. Actum apud Abbatiam Regalem Beatae Mariae prope Pontiseram. Anno Domini millesimo trecentesimo duodecimo mense Iulij. C' est que ces lettres furent expediées en l' Abbaye de Maubuisson pres de Pontoise l' an 1312.

Il n' estoit rien impossible, ny au Roy Philippes le Bel apres qu' il se feut bravement aheurté aux bravades du Pape Boniface VIII. ny depuis à Clement V. ayant quitté la grande ville de Rome (premier & ancien sejour de la Papauté) pour se venir habituer avecques son Consistoire, en Avignon, pour lors ville d' emprunt.

C' est pourquoy ils ne doubterent chacun en leur endroict de nommer la ville d' Orleans Université de loix, & neantmoins encores voy-je que les deux villes qui depuis voulurent estre de la partie, qui furent Angers, & Poitiers, n' ozerent par leurs Requestes coucher du mot d' Universitez de loix, ains celle d' Angers, qu' il luy fust permis jouïr des Privileges de l' Université d' Orleans, celle de Poitiers, des Privileges de l' Université de Toulouse.

Encores que l' intention de ceux qui negocioyent pour l' une & l' autre ville, visast principalement à la lecture des loix, le Roy Charles V. ayant par ses lettres narré la Requeste qui luy avoit esté faite par Louys Duc d' Anjou son frere, affin que sa ville d' Angers joüist de mesme Privileges qu' Orleans, ordonne par ses lettres patentes du mois de Juillet mil trois cens soixante quatre ainsi que s' ensuit.

Notum facimus nos omnia & singula privilegia, seu eis consimilia, libertates, franchisias immunitates, gratias, ac etiam omnes alias quascumque libertates, privilegia, & franchisias concessas ac donatas studio Aurelianensi praedicto, ac studentibus in eodem retro actis temporibus, à praedecessoribus nostris Francorum regibus, de gratia speciali, certa scientia & plenitudine, potestate Regia commisisse, & donasse perpetuis temporibus studio Andegavensi, Doctoribus, Licentiatis, Baccalaureis, & studentibus in eodem. Mandamus Seneschallo, vel Praeposito Andegavensi & c. Datum Parisius anno Domini millesimo trecentesimo sexagesimo quarto, mense Iulij, per Regem in Requestis suis, vobis Dominis Episcopis Mannetensi, & Meldensi, necnon Magistris P. de Rouy, Ioanne Divitis, Decano Novionensi, Al. Caprarij, Aimaro de Magnaco, Philippo de tribus montibus Requestarum hospitij Magistris praesentibus. Signatum H. de Hac.

On apporta plus de façon en l' erection de l' Université de Poitiers. D' autant qu' une bonne partie de la France estant occupée par les Anglois, le Roy Charles septiesme eut recours au Pape Eugene quatriesme, lequel narration faite de la semonce qui luy avoit esté faite par le Roy, & humble supplication des manans & habitans de la ville, poursuit en cette façon.

Ad Dei laudem & gloriam, Rei quoque publicae foelix incrementum in eadem civitate Pictaviensi studium generale authoritate Apostolica tenore praesentium erigimus, statuimus, ac etiam ordinamus ad instar ipsius studij Tolosatis, in perpetua Facultate licita, quod perpetuis futuris temporibus vigeat & praeservetur ibidem. Quodque omnes & singuli Doctores, & Magistri legentes & audientes, libertatibus, immunitatibus, privilegijs & indulgentijs, quibusvis Doctoribus & Magistris regentibus, & Scholaribus dictae Universitatis studij Tolosani existentibus, per sedem Apostolicam, & aliàs qualitercumque conceßis gaudeant in omnibus & singulis. Je vous laisse le demeurant par lequel il veut & ordonne que le Thresorier de l' Eglise sainct Hilaire en soit Chancelier, & au bout. Datum Romae apud sanctum Petrum, anno incarnationis dominicae milles. quadringentesimo primo Cal Iunij. Pontificatus nostri anno primo. M. de Bossis, sub plumbo, cum filo crocei & rubei coloris.

Sur ces Bulles de cette façon expediees en Cour de Rome, le Roy Charles VII. decerna ses patentes le 16. Mars 1431. verifiees au Parlement de lors seant à Poictiers, le 8. Avril au mesme an devant Pasques, par lesquelles il confirme en tout & par tout l' erection de l' Université de Poictiers, faicte sur le pied de celle de Toulouse par le Pape Eugene le quart, & passant outre veut qu' elle joüisse de mesmes privileges, que celles de Paris, Toulouse, Orleans, Angers, & Montpellier. Il me semble qu' il ne sera hors propos d' inserer icy le dispositif de ses lettres.

Nos igitur dictam ipsius sanctissimi patris dispositionem, voluntatem & ordinationem, huic nostro proposito, nostroque desiderio conformem, ad Dei & Ecclesiae laudem & gloriam, fidei & doctrinae exaltationem, totiusque huius nostri regni decus & honorem, clare redundare recognoscentes, ipsam grato animo excepimus & acceptavimus, & eam in quantum melius voluimus volumusque, & possumus de nostra certa scientia, plenariaque potestate, & authoritate Regia, iuxta plenarium ipsius sanctissimi patris nostri litterarum effectum, laudavimus, ratificavimus, & approbavimus; laudamus, ratificamus, & approbamus per praesentes ipsum studium generale sic in dicta nostra civitate Pictaviensi, authoritate Apostolica erectum, institutum, & ordinatum, nostra etiam ex parte nostraque authoritate in quantum in nobis est, servando, instituendo, & ordinando. Quod ut uberius succrescere solidiusque subniti, subsistere & perdurare valeat, cunctique ibi ad haurienda scientiae & doctrinae fluenta eo libentius conveniant, quo se maioribus favoribus, potioribusque gratijs senserint prosequutos, ipsum studium Pictaviense, & universos, & singulos Doctores, Magistros, suppositaque membra eiusdem sub nostro nomine, nostraque speciali protectione, gardia, & salvagardia, per has easdem praesentes recipimus & ponimus, ac ipsis eorumque singulis omnia & singula privilegia, praerogativas, exemptiones, immunitates, ac iura per nos, & praedecessores nostros Franciae Reges, ac Principes quoscumque Parisiensi praefato, Tolosano, nec non Aurelianensi, Andegavensi, Montispessulani studijs & universitatibus, hactenus quomodolibet data, indulta, concessa, & confirmata damus, concedimus, & indulgemus perpetuo duratura. Je vous obmets le demeurant par lequel il luy donne pour conservateur de ses Privileges le Lieutenant general du Seneschal de Poitou, & au bout. Datum Cainonae die decima sexta mensis Martij, Anno Domini 1431. & regni nostri decimo, & seellé en cire verte du grand seel en lac de soye, & sur le reply est escrit. Per regem Domino de la Trimoüille, Christophoro de Harcour, Ludovico d' Escars, & alijs praesentibus, Signé Gibier, & apres est le mot Visa: Et au dos est escrit Lecta & publicata Pictaviae, in Parlamento Regio, & ibidem registrata octavo die Aprilis, anno Domini 1431. ante Pascha, Signé Blois.

Je vous ay icy representé une bonne partie des lettres de Charles septiesme en forme de Chartres, pour vous monstrer non seulement quand l' Université de Poictiers fut bastie, quel respect les entrepreneurs portoient à la venerable ancienneté du Droict de la France, n' estant ce mot d' Université de Loix sorty de leurs plumes à face ouverte; mais aussi en ce que le Roy passant outre, veut que l' Université de Poitiers joüisse de mesmes Privileges que celles de Paris, Toulouze, Orleans, Angers, & Montpellier.

Ordre par lequel il sembleroit que l' Université de Montpellier fust posterieure à celle d' Angers, & neantmoins la verité est qu' elle la precede de temps: Parce que ceux qui y sont habituez & nourris, attribuent la premiere institution de cette Université au Pape Nicolas troisiesme l' an mil deux cens octante quatre, sur le moule de celle de Paris, & que depuis elle obtint ampliation en la Faculté de Loix sous Charles quatriesme l' an mil trois cens vingt-six. Le tout bien & deuëment confirmé par le Roy Jean l' an mil trois cens cinquante, & depuis par Charles septiesme l' an mil quatre cens trente sept, & finalement par François premier l' an mil cinq cens trente sept. C' est tout ce que j' ay peu apprendre d' eux, par l' entremise de quelques miens amis: car quant aux titres & enseignemens je n' en ay communication, comme de ceux des autres Universitez, mais j' en ay un tres-antique & authentique, pour monstrer qu' auparavant l' an mil trois cens vingt-six la Faculté de Loix y estoit exercee d' ordinaire. J' apprens cela de Petrarque en l' Epistre liminaire de ses œuvres qu' il dedie à la posterité; en laquelle apres avoir fait recit qu' il estoit né en l' an mil trois cens quatre, & que sur le neufiesme an de son aage, ses pere & mere s' estoient venus habituer est Avignon, où la Cour de Rome se tenoit, il estudia quatre ans entiers, tant en cette ville, qu' en celle de Carpentras, en la Grammaire, Rhetorique, & Dialectique, & de là il fut estudier en Droict à Montpellier l' espace d' autre quatre ans. Inde (dit-il) ad Montem Pessulanum legum ad studium profectus, quadriennium ibi alterum, inde Bononiam, & ibi triennium expendi, & totum iuris civilis corpus audivi. Par la supputation & calcul qu' il fait de son aage, il alla estudier en Droict à Montpellier l' an mil trois cens dix-huit. Il est doncques vray de dire que lors l' exercice des Loix Romaines y estoit d' ordinaire, & ne le faut trouver estrange: d' autant que Placentin & Azon y en avoient tracé les premiers chemins. Bien peut du depuis ceste ville avoir obtenu quelque confirmation de ceste Faculté par Charles IV. en l' an 1326.

Car quant à l' Université de Caen en Normandie, ce fut un ouvrage du Roy Henry sixiesme soy disant Roy de France & d' Angleterre, lequel estant en la ville de Rouen expedia ses patentes en langue Latine en l' an mil quatre cens un, portant l' erection nouvelle de cette Université en Droict Canon & Civil. Qui furent depuis presentees au Parlement de Paris pour estre verifiees, à quoy l' Université s' opposa par la bouche du Recteur en pleine Audience, offrant d' enseigner le Droict Civil dans Paris. Et par Arrest du douziesme Novembre 1433. il fut dit qu' elle bailleroit ses causes d' opposition par escrit, & que cependant sans prejudice d' icelles, les lettres seroient verifiees. Depuis c' a esté chasse morte: car non seulement il n' en fut plus parlé; mais au contraire par autres patentes du mesme Roy du quinziesme Fevrier mil quatre cens trente six, furent adjoustees les Facultez de Theologie, Medecine, & des Arts: & le Baillif de Caen deputé conservateur des Privileges Royaux. Privileges amplement declarez par autres siennes lettres donnees à Raneton pres Londres le dixiesme de Mars mil quatre cens trente sept. Et depuis à la supplication des trois Estats de Normandie, le Pape Eugene quatriesme en la ville de Boulongne decerna ses Bulles: 3. Kal. Iunij 1437. Et crea, & erigea entant que besoin estoit cette Université, avec les cinq Facultez cy-dessus mentionnees, ordonnant que l' Evesque de Bayeux en fust Chancelier; comme aussi la dota de tous Privileges en la mesme forme que les autres Universitez. Et par autres siennes Bulles les Evesques de Lizieux & Coustances pour conservateurs Ecclesiastiques & Apostoliques. En commemoration dequoy fut faite procession solemnelle, & chanté un Te Deum laudamus, en l' Eglise sainct Pierre de Caen le vingtiesme Octobre mil quatre cens trente neuf. Et comme ainsi fust que le pays de Normandie eust esté tout à fait reduit sous l' obeïssance du Roy Charles septiesme en l' an mil quatre cens cinquante, lors qu' il fit son entree à Caen, sur la Requeste que luy firent les manans & habitans, qu' il luy pleust confirmer les Privileges de leur Université par eux obtenus. Le Roy par meure deliberation de Conseil, ne voulant approuver ce qui avoit esté fait par l' Anglois, ayant esgard aux Bulles du Pape Eugene crea de nouveau cette Université de Caen, par ses patentes du penultiesme de Juillet 1450. lesquelles il amplifia par autre du quatorziesme May 1452. Et depuis fut donné un Arrest par le grand Conseil au profit de cette Université, pour la manutention de ses nominations qui merite d' estre icy inseré.

Extraict des Registres du grand Conseil du Roy.

Entre le Sindic des Recteur, Docteurs, Escoliers & supposts de l' Université de Caen demandeurs d' une part, & le Sindic des Prelats de Normandie deffendeurs d' autre: Veu par le Conseil les plaidoyez des dites parties, l' erection, fondation, & dotation de la dite Université de Caen, faites par les predecesseurs Rois, à la supplication des trois Estats du Duché de Normandie, avecques semblables prerogatives, & privileges que les autres Universitez de ce Royaume; Confirmations & Approbations des dites erections, franchises, & libertez du Pape Eugene quart, Calixte tiers, & Nicolas quint. Autre confirmation du Roy, lettres patentes du dit Seigneur du vingtiesme jour de May l' an mil cinq cens vingt & neuf, par lesquelles la cognoissance de la matiere est attribuee au dit Conseil. Arrest d' iceluy par lequel la dite matiere y a esté retenuë pour y estre jugee, decidee, & determinee. Arrests & jugemens donnez, tant en la Cour de Parlement de Rouen, Conseil d' Alençon, que pardevant le Baillif de Rouen, ou ses Lieutenans. Conclusions du Procureur general du Roy, & tout ce que par le dit demandeur a esté mis & produit pardevers le dit Conseil; & que de la part du dict deffendeur n' a esté aucune chose produit & en a esté forclos, & tout consideré. Dit a esté que les dits Recteur, Docteurs, Maistres, Escoliers, & supposts de la dite Université de Caen joüiront de l' effect des nominations, & autres privileges & libertez octroyez par les saincts Decrets & Concordats, comme compris en iceux aux Graduez, & deuëment qualifiez, tout ainsi & par la mesme forme & maniere qu' en joüyssent & usent les supposts des Universitez de Paris & Angers, & autres Universitez du Royaume. Et fait inhibitions & deffences ausdits Prelats de non les troubler, ny empescher: & les condamne aux despens envers les dits demandeurs, la taxation au dit Conseil reservee. Prononcé au dit Conseil à Paris le 26. jour de Mars mil cinq cens trente trois, & au dessous Riviere, & à quartier collation est faite.

Je donneray maintenant à la ville de Bourdeaux son lieu, selon l' ordre des creations, laquelle se peut glorifier d' avoir esté mere de ce docte Poëte Ausone, Precepteur de l' Empereur Theodose; ainsi qu' il nous tesmoigne en la description de sa ville.

– Nec enim mihi Barbara Reni

Ora, nec Arctoo domus est glacialis in Hemo,

Burdigala est natale solum.

Et sur la fin de cet Eloge.

Diligo Burdigalam, Romam colo, civis in illa, 

Consul in ambabus, cunae hic, ibi sella curvulis.

Theocrenus Precepteur de Messieurs les enfans du Roy François premier, extollant la ville de Bourdeaux de l' honneur que luy apportoit le nom & renom de ce grand Poëte, commence une Elegie par ces quatre beaux vers.

O salve Ausonij mater Graijque Poëtae,

Mirum, cum nec sis Graia, nec Ausonia,

Te tamen Ausonijs, & Graijs urbibus aequat

Filius, eloquio tantus utroque tuus: 

Et comme cette ville fut honoree de la naissance de luy; aussi eut elle plusieurs autres personnes de choix qui y firent Escoles publiques en Grammaire, & Oratoire, & autres nobles professions, tant en Grec que Latin, comme vous pouvez recognoistre par le livre du mesme Ausone par luy intitulé Burdigalenses Professores, auquel il honore diversement uns & autres qui y avoient enseigné la jeunesse, & conclud par cet Epigramme.

Valete manes inclytorum Rhetorum,

Valete Doctores probi,

Historia si quos, vel Poëticus stilus,

Forumque fecit nobiles,

Medicae vel artis dogma; vel Platonicum

Dedit perenni gloriae. 

Qui nous tesmoigne qu' on y enseignoit la Grammaire, l' Oratoire, l' Histoire, la Poësie, la Medecine, & la Philosophie. Estudes qui furent depuis continuees en la mesme ville, ainsi qu' il fut representé au Pape Eugene quatriesme, par la requeste des manans & habitans.

Quod potißime (porte la Bulle) in praedicta civitate, quae inter alias illarum partium civitates habetur & reputatur insignior, plerique litterarum studiis, & diversarum Facultatum scientiis semper diligenter incumbere, & in eis plurimum proficere consueverint: Ex quo Doctißimorum virorum copia semper efflorint, & insigniter pullulavit. 

Je vous laisse plusieurs autres clauses pour vous dire, que le Pape en enterinant leur Requeste, establit en la ville de Bourdeaux une Université à l' instar de celle de Tholoze, & institua pour Chancelier Pierre Archevesque tant qu' il vivroit, & apres son decez: Archidiaconum maiorem Ecclesiae Burdigalensis, Meldunensis vulgariter nuncupatum, &c. Datum Florentiae anno Incarnationis Dominicae 1441. 7. idus Iunij, Pontificatus vero nostro anno 11. à double queuë, cum sigillo plumbeo, in parte una cuius scriptum est Eugenius PP. IIII. & in altera parte duae facies super quibus scriptum est, S. Pa. S. Pe. pendens una cum cordula serica partim rubra, partim flava. Sic signatum, &c.

Et depuis le Roy Louys unziesme estant à Bourdeaux, approuva & alloüa l' erection de cette Université, la meit sous sa protection & sauve-garde, luy baillant pour conservateur le Seneschal de Guyenne, ou son Lieutenant à Bourdeaux, portant entre plusieurs clauses ceste-cy. Volumus, statuimus, & ordinamus ipsos Cancellarium, Rectorem, Doctores, Magistros, Licentiatos, Bacalarios, Scholares, Bedellos, Scindicos, Notarios, Stotiannarios, sive Librarios, Pergaminarios, Thezaurarium, & quaecunque supposita dictae Universitatis, eiusdem privilegiis, immunitatibus, iuribus, praerogativis, & libertatibus, deinceps perpetuis temporibus gaudere, & uti, quibus gaudent Cancellarius, Rector, Doctores, Magistri, Licentiati, Baccalarij studentes, caeteraque supposita dictae Universitatis Tolozanae, &c. Datum Burdigalae in mense Martij, anno Domini 1472, & regni nostri duodecimo, icellees à double queuë de cire verte, & au dessous du reply, & sur le haut bout d' iceluy ces mots sont escrits. Per Regem, de Beavieu, Gubernatore Aquitaniae, & pluribus aliis praesentibus. Ainsi signé de Sacierges, & sur l' autre bout y a Leuës & publiees en la Cour de la Seneschaussee de Guyenne, tenuë  au Chasteau Royal de Lombriere, par Maistre Martial Peinet Docteur és Droicts, Lieutenant en icelle, és presences de Maistre Guionot de la Brosse, Procureur du Roy en la dicte Seneschaussee, & de Maistre Pierre Palu, Substitut du Procureur de la ville de Bourdeaux l' an mil quatre cens soixante treize. Ainsi signé, Naudin Greffier.

Auparavant cette confirmation le mesme Roy Louys XI. crea l' Université de Bourges à l' instance, priere, & poursuite de Charles Duc de Berry son frere, comme il est porté par ses patentes, par lesquelles il dit ainsi. 

Ad laudem divini nominis, & fidei sacrae dilatationem, ipsiusque civitatis, & totius Ducatus Bituricensis utilitatem, gloriam, & honorem, ex matura & accurata magni nostri Consilii deliberatione, concedimus & ordinamus, ut de caetero in civitate Bituricensi praelibata: generale studium, quod ad instar aliorum generalium regni nostri studiorum, per praesentes, quantum nostrae convenit Regiae authoritati, instituimus & erigimus, tam in Theologia, & iure Canonico, & Civili, quam in Medicina & Artibus, & alia qualibet licita & approbata Facultate: Utque Rector, Doctores, & Magistri, Regentes, Baccalaurei, & alii studentes ibidem, & eorum officiarii & servitores, omnibus privilegiis, libertatibus, immunitatibus, tam Magistris in Theologia, & Doctoribus, & Magstris aliarum Facultatum, ac etiam studentibus in Parisiensi, Aurelianensi, Tolosanensi, & Pictaviensi, aliisque Regni nostri Universitatum geralibus studiis, conceßis, & concedendis utantur & gaudeant, Bailliuum nostrum seu Seneschallum Bituricensis Ducatus praesentem, & futurum conservatorem dictorum privilegiorum Regiorum, etiam per tenorem praesentium constituimus, & ordinamus, ut praefati Rector, Doctores, &c. Je vous laisse le demeurant qui ne va qu' au Formulaire de l' execution du commandement du Roy. Datum in oppido de Marueil, prope Abbativillam mense Decembri, anno Dom. millesimo quadringentesimo sexagesimo tertio, & regni nostri tertio. Subscriptum in margine. Per Regem in suo Consilio, sic signatum Roland, & in buto dictae marginis scriptum est. Visa Contentor, & signé du Ban, & in dorso dictarum litterarum inscriptum: Registrata, & in repleto scriptum: Lecta, publicata, & registrata de mandato Regis, iteratis viribus facto, & sine praeiudicio oppositionum in hac parte factarum: Praesente Procuratore Regis, & non contradicente. Actum Parisiis in Parlamento penultimo die Martis, anno Domini 1469. ante Pascha. Signé Bouvat.

En ce que dessus vous voyez par la date des lettres de l' an mil quatre cens soixante trois, & verification faite au Parlement en soixante neuf, qu' il y eut oppositions formees, & croy que ce fut par les autres universitez: D' autant que la nouvelle erection de cette-cy diminuoit autant de leurs emolumens ordinaires, & que pour y mettre fin le Roy Louys unziesme s' en fit croire par jussions reïterees, lesquelles ne se tournerent au dommage; ains au grand profit du public. Et à la mienne volonté qu' en tous ses commandemens absolus, les affaires de France luy eussent succedé de mesme façon comme elles furent en la creation de cette Université.

Entant que touche celle de Cahors le docte Benedicti Conseiller au Parlement de Tholose, en fait le Pape Jean vingt-deuxiesme, né du pays de Quersi, fondateur. Argentré au douziesme livre de son histoire de Bretagne, dit que le Pape Pie second fonda celle de Mante (Nantes) à la supplication de François second dernier Duc. Au regard de Grenoble & Valence, je ne vous en puis rien dire, pour n' en avoir eu à mon grand regret aucuns memoires & institutions. Bien diray-je que Valence se peut vanter d' avoir eu en divers temps, trois braves Docteurs Regens, Philippus Decius, Aemilius Ferretus, Iacobus Cujatius, personnages tres-signalez en la doctrine des Loix, & Grenoble un Antonius Goveanus, qui y mourut.

La derniere est l' Université de Reims instituee par les Bulles du Pape Paul troisiesme octavo idus Ianuarii 1547. en toutes les Facultez par la permission du Roy Henry second du nom, & supplication de Charles Cardinal de Lorraine, Archevesque de Reims, qui la dota de plusieurs grands biens. Les lettres patentes du Roy, pour proceder à la verification de ceste nouvelle erection sont du mois de Mars mil cinq cens quarante sept. Verifiees au grand Conseil le vingt-sixiesme jour de Septembre mil cinq cens quarante-huit. Au Parlement le penultiesme de Janvier mil cinq cens quarante neuf, en la Chambre des Comptes le dernier de Fevrier ensuivant. Voila en somme quelles sont les Universitez de la France, Paris, Tholose, Orleans, Montpellier, Angers, Poitiers, Caen, Bourdeaux, Bourges, Cahors, Nantes, Reims, Grenoble, Valence. Toutes lesquelles, horsmis Paris, & deux autres pour le plus, ont pris le tiltre d' Universitez de Loix. Parce que cette Faculté produit sur les quatre autres, honneur & gain ensemblément, peres nourrissiers des Arts. Voila comme petit à petit se planta le Droict Civil des Romains en France, & y apporta nouveau visage d' affaires, dont je discourray au prochain Chapitre.

lundi 7 août 2023

8. 52. De ce mot Tintamarre.

De ce mot Tintamarre.

CHAPITRE LII.

Nous usons de cette diction Tintamarre, pour signifier un grand bruit & rumeur, & sembleroit de prime face qu' elle eust esté inventee à plaisir, & non pour autre raison que pour contenter le son de l' aureille: & par ce que cette parole en soy represente je ne sçay quoy de grand bruit, de mesme façon comme nous appellons le jeu de tablier Tric trac, pour autant que ce mot semble aucunement se raporter au son des dez: Toutesfois la derivaison en cest autre est digne d' estre remarquee en ce lieu. L' on trouve és vieilles Chartres de Berry en la sainte Chappelle de Bourges que Jean Duc fondateur d' icelle allant un jour à la Chasse, trouva grande quantité de vignerons qui estoient en un grand vignoble non esloigné de la ville de Bourges, lequel voyant ce pauvre peuple gaigner sa vie à tres-grand sueur de son corps, il se voulut informer de l' un d' eux ce qu' ils pouvoient gaigner par jour, & combien d' heures ils travailloient, & plusieurs autres particularitez, esquelles il prenoit plaisir à les escouter: A quoy luy fut entre autres choses respondu que quand c' estoit és grands jours d' Esté ils estoient tenus de prester pied à boule à leur besongne depuis les quatre heures du matin, jusques à huict & neuf heures du soir, c' est à sçavoir tant que le Ciel les favorisoit de clarté, & és plus courts jours de l' Hyver, depuis six heures du matin, jusques à sept ou huict heures du soir: estans mesmes contraints pour cest effect porter chandelles & lanternes quant & eux pour les esclairer. Le Duc prenant ce peuple à compassion, & estimant que la rigueur des maistres estoit en cela trop tyrannique en voulut effacer la coustume, & pour cette cause ordonna que de là en avant le Vigneron ne seroit tenu de s' acheminer à sa besongne devant six heures en quelque temps que ce fust, & qu' en Esté toute besongne cesseroit à six heures du soir, & en Hyver à cinq: Et pour ne rendre cette ordonnance illusoire, il commanda que ceux qui estoient plus proches de la ville, & consequemment devoient entendre plus à leur aise le son de la cloche, en donnassent advertissement en criant aux autres qui estoient plus prochains, lesquels seroient tenus de rendre le semblable aux autres & ainsi de main en main. Cecy depuis fut tres-estroittement observé en tout le pays de Berry, auquel le premier vigneron ayant sur les cinq ou six heures du soir faict la premiere clameur, il excitoit son voysin a en faire autant, & luy pareillement aux autres: Tellement qu' en toute la contree s' entendoit une grande huee, & clameur, par laquelle chacun estoit finalement adverty qu' il falloit faire retraite en sa maison: & cette mesme coustume s' observa autresfois, ainsi que j' ay ouy dire és environs de la ville de Blois en un grand cousteau de vignobles qui en est prés, où les plus proches vignerons de la ville ayans ouy l' orloge avoient accoustumé pour signal de retraitte de crier à haute voix, Dieu pardoint au Comte Thibault, s' estant le peuple fait accroire par un long succés de temps que ce fut un Comte Thibaut de Blois qui en introduisit entre eux la premiere loy & coustume. Or disent les bonnes gens du pays qu' ils avoient ouy qu' autresfois le premier qui donnoit advertissement aux autres avoit accoustumé de tinter dessus ses marres avec une pierre, & tout d' une suite commençoit à huer apres ses autres compagnons: Car Marre, comme vous sçavez, est un instrument de labour emprunté mesmement du Latin. Ainsi que nous pouvons recueillir de deux passages, du 10. de Columelle en sa maison rustique, dont est venu que presque en la plus part de cette France nous appellons marrer les vignes, ce qu' és autres endroits Labourer. Parquoy ce ne sera point à mon jugement mal deviner d' estimer que d' autant que au son du tint qui se faisoit sur la Marre, s' excitoit une grande huee entre vignerons, quelques uns du peuple François advertis de cette façon ayent appellé Tintamarre à la similitude de cecy, tout grand bruit & clameur qui se faisoit.

jeudi 20 juillet 2023

6. 34. De l' honneste & vertueuse liberté dont usa quelques-fois,

De l' honneste & vertueuse liberté dont usa quelques-fois, tant la Cour de Parlement de Paris, que Chambre des Comtes, pour la conservation de la Justice.

CHAPITRE XXXIV.

Combien que le Duc de Lorraine soit Prince souverain dedans son païs, si est-ce que nos Rois ont de toute ancienneté pretendu qu' une partie du Barrois relevoit de la Couronne de France: & nommément nous soustenions anciennement que la ville de Neuf-Chastel en Lorraine recognoissoit le Roy pour son souverain: il seroit mal-aisé de dire combien de disputes en sourdirent au Parlement. La cause y fut autres-fois traictee, & par Arrest du 9. Aoust 1389. entre le Procureur general du Roy, & le Duc de Lorraine, les parties furent appointees en contrarieté de faits, & cependant par maniere de provision ordonné que la ville seroit regie sous la souveraineté du Roy, & le Duc condamné de bailler son adveu, & denombrement dedans certain temps. Cela produisit plusieurs differens entr'eux dont les Registres de la Cour sont pleins. Toutes-fois cette querelle fut assopie par la relasche que le Roy Louys XI. luy fit en l' an 1465. par lettres qui furent verifiees au Parlement. Cela soit par moy dit en passant. Or advint sous le regne de Charles VI. quelque peu apres l' Arrest par moy cy-dessus mentionné, qu' un Sergent ayant fait un exploit dans cette ville de Neuf-Chastel sous le nom du Roy, & apposé ses penonceaux, le Duc de Lorraine les fit lacerer, & mettre en prison ce Sergent. Au moyen dequoy la Cour de Parlement luy fit son procez, & par defaux & contumaces le declara avoir commis crime de felonnie, le bannit à perpetuité du Royaume, & confisqua Neuf-Chastel au Roy. L' imbecilité de sens qui lors estoit en nostre Roy, faisoit que les pechez criminels estoient reputez veniels, mesmes par ceux qui estoient en la bonne grace du Duc de Bourgongne, du nombre desquels estoit le Duc de Lorraine, auquel le Bourguignon ayant promis de faire passer le tout par oubliance, le Duc de Lorraine vint à Paris pour faire la reverence au Roy, mais le Parlement de ce adverty delegua Maistre Jean Juvenal des Ursins Advocat du Roy pour le supplier de ne faire playe à l' Arrest: que le tort dont estoit question avoit esté fait à sa Majesté, & que de passer cela par connivence, au prejudice de l' Arrest, ce seroit redoubler la malfaçon de la faute. Combien que les affaires de la France fussent lors fort embroüillees, & dependissent de la volonté d' un seul Duc, si n' avoit-il des mouchars, & espieurs de nouvelles au Parlement, pour luy rapporter ce que l' on y avoit passé. Qui fut cause que cette resolution conduite avec un doux silence, le Duc de Bourgongne n' en ayant eu aucun advis, le Seigneur des Ursins arriva, suivy de ses deux compagnons, au mesme poinct que le Duc de Lorraine se presentoit pour faire la reverence au Roy. Quand le Chancelier les appercevant, leur demanda qui les amenoit en ce lieu, surquoy le Seigneur des Ursins, sans autrement marchander & luy respondre, se jette de genoux aux pieds du Roy, luy faict un long recit de l' affaire, le supplie tres-humblement de ne vouloir faire bresche ny à sa Majesté, ny à l' authorité de son Parlement. Le Duc de Bourgongne, auquel rien n' estoit difficile pres du Roy, commence de se courroucer, disant avec paroles d' aigreur, que ce n' estoit la voye que l' on y devoit observer: Auquel le Seigneur des Ursins respondit doucement, qu' il estoit tenu d' obeir à l' Ordonnance de la Cour, en chose mesmement, où il alloit du service exprez du Roy. Et à l' instant mesme haussant sa parole requit que tous bons & loyaux serviteurs du Roy vinssent se joindre de son costé, & que ceux qui estoient contraires au bien & repos du Royaume, se tirassent du costé du Duc de Lorraine. Cette parole prononcee d' une grande hardiesse, estonna de telle façon le Duc de Bourgongne, que soudain il quitta sa prise (car il tenoit le Duc de Lorraine par la manche pour le presenter au Roy) & se retira du costé des Ursins avec tous les autres Princes & Seigneurs, se trouvant le Duc de Lorraine seul & abandonné de tous. Ce fut doncques lors à luy de joüer son personnage, non à petit semblant, ains à bon escient. Il s' agenoüille devant le Roy, & la larme à l' œil le supplie humblement de luy vouloir pardonner, que de sa part il n' avoit jamais consenty à tout ce qui s' estoit passé dans la ville de Neuf-Chastel, qu' il promettoit d' en faire une punition convenable. Pour le faire court, apres plusieurs soubmissions & protestations, il obtint du Roy ce qu' il demandoit, avecques le consentement du Parlement, sçachant que les choses s' estoient passees devant le Roy, sans dissimulation & hypocrisie.

La plus grande partie de ceste vertu est deuë à un Advocat du Roy, qui sceut dextrement joüer son rolle: monstrant combien grand est l' effort de la Justice, quand il tombe en un brave sujet. Ce que je diray maintenant va à tout le corps du Parlement. Les nouveaux Edits de tout temps & ancienneté ne prennent vogue parmy le peuple, qu' ils n' ayent esté premierement verifiez, tantost au Parlement, tantost en une Chambre des Comptes, selon que les affaires le desirent. On recite que Louys XI. Prince qui s' attachoit opiniastrement à ses premieres volontez, ayant un jour entrepris de faire emologuer certaine Ordonnance au Parlement, qui n' estoit point de Justice, apres plusieurs refus, indigné, il luy advint de jurer à la chaude-cole son grand Pasque-Dieu, & dire que s' ils n' obeïssoient à son vouloir, il les feroit tous mourir. Cette parole venuë à la cognoissance du Parlement, il fut arresté qu' on se presenteroit au Roy avec une resolution tres-expresse de mourir plustost que de verifier cet Edit. Luy doncques estant au Louvre, tout le Parlement s' achemine en robbes rouges par devers luy, lequel infiniment esbahy de ce nouveau spectacle, en temps & lieu indeu, s' informe d' eux de ce qu' ils luy vouloient demander. La mort, Sire (respondit le Seigneur de la Vacquerie, premier President, portant la parole pour toute la compagnie) qu' il vous a pleu nous ordonner, comme celle que nous sommes resolus de choisir, plustost que de passer vostre Edit contre nos consciences. Cette parole rendit le Roy fort souple, ores qu' en toutes choses il s' en voulut faire croire absolument, & leur commanda de s' en retourner, avec promesse qu' il ne les importuneroit plus sur ce fait, ny de faire de là en avant presenter lettres, qui ne fussent de commandement Royal, je veux dire de Justice.

Je croy que cette histoire est tres-vraye, parce que je la souhaite telle, & à la mienne volonté qu' elle soit emprainte au cœur de toute Cour souveraine. Bien vous en representeray-je une autre de nostre Chambre des Comptes, dont je suis tesmoin oculaire, & peut-estre en ay-je fait la plus grande part & portion. Comme sous le feu Roy Henry troisiesme (que Dieu absolve) nostre France fut malheureusement peuplee d' une je ne sçay quelle vermine de gens, que nous appellions Partisans, ingenieux à la ruine de l' Estat, lesquels trouvoient à regrater sur toutes choses, par Edits & inventions extraordinaires, pour s' enrichir en leur particulier de la despoüille du pauvre peuple, aussi en fin ces sangsuës conseillerent au Roy de pousser, si ainsi faut que je le die, de sa reste, & vouloir rendre hereditaires tous les offices qui n' estoient de judicature, en payant finance. Quoy faisant, c' estoit accueillir la haine publique contre leur Maistre en temps indeu, & tout d' une suite faucher l' herbe sous les pieds à ses successeurs. Il envoye à cet effect en la Cour de Parlement un Edit accompagné de plusieurs autres qui estoient donnez à ses favoris Courtisans. Cela se faisoit en l' an 1586. depuis les Troubles encommencez sous le nom de la saincte Ligue. Estans ces Edicts presentez au Parlement, ils sont plusieurs fois refusez: finalement le Roy se transporte au Palais avecques quelques Princes du Sang, où en sa presence, le tout est emologué. Il restoit de le passer en la Chambre des Comptes: Car pour bien dire, c' estoit le grand coup que l' on y pouvoit frapper, d' autant que les Estats des Comptables valent deux ou trois fois plus que toute la menuë denrée des autres. Nous sommes advertis que le Roy y devoit envoyer quelques Seigneurs de son Conseil. Et nommément Monsieur le Comte de Soissons, Prince du Sang eut cette charge, où estoient l' Archevesque de Bourges, les Seigneurs de Villequier, Gouverneur de Paris, & Isle de France, les sieurs de la Vauguion & de Lansac, qui firent leur proposition telle qu' ils voulurent par la bouche de l' Archevesque. Je m' estois, comme Advocat du Roy, preparé de la cause contre la verification de l' Edit qui me sembloit tendre à la desolation de l' Estat: & desployay le peu qui estoit en moy, ainsi qu' une juste douleur m' en administroit les memoires. Ce qui contenta la compagnie, & de fait toutes choses furent suspenduës jusques au lendemain, pendant lequel temps ces Seigneurs promirent de faire rapport au Roy des difficultez que j' avois proposees: nonobstant cela, le lendemain ils retournent, & declarent que le Roy s' estoit fermé en son premier propos de l' emologation de tous ces Edicts. Quelques-uns des Presidens demanderent à Monsieur le Comte de Soissons, s' il n' entendoit pas que chacun opinast tout ainsi qu' en toutes autres affaires. A quoy ce jeune Prince respondit qu' il n' en avoit nulle charge, ains seulement de faire verifier les Edicts. Alors Monsieur Dolu, l' un des Presidens repliqua, que puis qu' on ne vouloit prendre leurs opinions, il n' estoit aussi besoin de leurs presences. Et à ce mot, sans autrement marchander, toute la compagnie se leve & retire au second Bureau, en bonne deliberation de ne consentir, ny de parole, ny de presence à cette publication. Les Seigneurs du Conseil se voyans demeurez seuls, avec Monsieur le premier President Nicolaï, qui ne desempara sa place, se trouverent grandement estonnez. En fin s' estans levez de leurs chaires, la compagnie se presenta à eux, les priant de ne prendre de mauvaise part ce qu' ils en avoient fait: parce que c' estoit pour la conservation de l' Estat, à quoy ils estoient obligez. Ainsi se partirent ces Seigneurs tout ainsi qu' ils estoient venus. Dieu sçait quel contentement eut le Roy en son ame. Dés l' instant mesme quelques uns du Conseil d' Estat estoient d' advis qu' il nous falloit tous declarer crimineux de leze Majesté: Cet advis ne fut suivy: mais au lieu de ce, on depesche du jour au lendemain lettres patentes du Roy, par lesquelles nous sommes tous interdits, & deffences à nous d' entrer en la Chambre. Le refus que nous feismes à ces Seigneurs fut le vingt-deuxiesme de Juin 1586. & le lendemain les lettres d' Interdiction nous furent signifiees par le sieur de Bussy Guibert, l' un des Greffiers du Conseil d' Estat. Tout de la mesme façon que nous avions desemparé le Grand Bureau le jour precedent, aussi sortismes nous de la Chambre, estimans que c' estoit chose qui se tournoit grandement à nostre honneur d' estre chastiez pour un acte si genereux. L' opinion de Messieurs du Conseil estoit, que ce chastiment n' apporteroit autre prejudice qu' à nous: parce que dés le premier jour du mois de Juillet ensuivant devoit commencer l' autre Semestre, auquel se pourroient trouver plusieurs Maistres, qui n' avoient esté de nostre partie: consequemment non interdicts. Nostre refus est publié, & haut loüé par toute la ville de Paris. Les nouvelles en viennent au Roy qui sejournoit lors à sainct Maur. Sa colere commence de se refroidir, & trouve par mesme moyen que ce que nous avions faict n' estoit esloigné de son service. La conclusion & catastrophe de ce jeu fut apres quelques ceremonies de restablissement (lesquelles l' on ne doit aisément denier à un Roy) que quelques jours ensuivans l' Interdiction fut levee, & chacun de nous restably en l' exercice de sa charge. Le fruict que nous rapportasmes de cette vertueuse liberté fut la suppression de ce mal-heureux Edict des Estats hereditaires, au lieu duquel, comme le Roy ne pouvoit estre vaincu en ses volontez, il introduisit une image d' iceluy, qui fut l' Edict des Survivances, à la charge qu' il n' avroit lieu qu' à l' endroict des volontaires: En l' autre, bon gré mal gré, il falloit rachepter son Estat, ou s' en demettre sur celuy qui nous remboursoit de l' argent par nous desboursé, qui estoit entré aux coffres du Roy. Il me souvient qu' une grande Princesse de France, que je vey quelque temps apres, me dist qu' elle estoit tres-marrie du mescontentement que le Roy avoit de moy, d' autant qu' auparavant j' avois part en sa bonne grace autant qu' homme de mon bonnet: Ce fut le mot dont elle usa. A quoy je luy respondis que l' issuë de cecy seroit telle que d' un amoureux, lequel ayant esté esconduit par sa Dame, du poinct que passionnément il pourchasse, s' en va infiniment mal content, mais revenant puis apres à soy, l' aime, respecte, & honore d' avantage. Qu' ainsi m' en adviendroit, & que quand nostre Roy seroit revenu à son second & meilleur penser, il m' en regarderoit de meilleur œil: chose en quoy je ne fus trompé. Cela soit dit de moy en passant, non par vanterie, ains occasion, a fin d' exciter ceux qui nous survivront de bien dignement exercer leurs charges.

mercredi 5 juillet 2023

6. 5. Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.

CHAPITRE V.

Grande pitié, jamais personne ne secourut la France si à propos, & plus heureusement que cette Pucelle, & jamais memoire de femme ne fut plus deschiree que la sienne. Les Anglois l' estimerent, & sorciere & heretique, & sous cette proposition la firent brusler. Quelques uns des nostres se firent accroire que ce fut une feintise telle, que de Numa Pompilius dans Rome, quand il se vantoit communiquer en secret avecques Egerie la Nymphe, pour s' acquerir plus de creance envers le peuple, & telle est l' opinion du Seigneur de Langey au troisiesme livre de la discipline militaire chapitre 3. A quoy les autres adjoustent & disent que les Seigneurs de la France supposerent cette jeune garce, feignans qu' elle estoit envoyee de Dieu pour secourir le Royaume, mesme quand elle remarqua le Roy Charles à Chinon entre tous les autres, on luy avoit donné un certain signal pour le recognoistre. J' en ay veu de si impudens & eshontez, qui disoient que Baudricour Capitaine de Vaucouleur en avoit abusé, & que l' ayant trouvee d' entendement capable, il luy avoit fait joüer cette fourbe: Quant aux premiers je les excuse, ils avoient esté malmenez par elle, & nul ne sçait combien douce est la vengeance que celuy qui a receu l' injure. Quant aux seconds, bien qu' ils meritent quelque reprimande, si est-ce que je leur pardonne aucunement, parce que le malheur de nostre siecle aujourd'huy est tel, que pour acquerir reputation d' habille homme, il faut Machiavelizer. Mais par le regard des troisiesmes, non seulement, je ne leur pardonne, mais au contraire ils me semblent estre dignes d' une punition exemplaire, pour estre pires que l' Anglois, & faire le procés extraordinaire à la renommee de celle à qui toute la France a tant d' obligation. Ceux là luy osterent la vie, ceux-cy l' honneur, & l' ostent par un mesme moyen à la France, quand nous appuyons le restablissement de nostre Estat sur une fille deshonoree. 

De ma part je repute son histoire un vray miracle de Dieu. La pudicité que je voy l' avoir accompagnee jusques à sa mort, mesme au milieu des troupes, la juste querelle qu' elle prit, la proüesse qu' elle y apporta, les heureux succés de ses affaires, la sage simplicité que je recueille de ses responses aux interrogatoires qui luy furent faits par des juges du tout voüez à sa ruine, ses predictions qui depuis sortirent effect, la mort cruelle qu' elle choisit, dont elle se pouvoit garentir, s' il y eust eu de la feintise en son fait: Tout cela, dis-je me fait croire (joinct les voix du ciel qu' elle oyoit) que toute sa vie & histoire fut un vray mystere de Dieu: Aussi est ce la verité que son pere avoit songé que cette fille deuroit quelquesfois viure au milieu des soldats, comme je remarqueray en son lieu. J' ay veu autresfois la copie de son procez en la Librairie de sainct Victor, puis en celle du grand Roy François à Fontainebleau, & depuis ay eu en ma possession l' espace de quatre ans entiers le procés originaire, auquel tous les actes, lettres patentes du Roy Henry, advis de l' Université de Paris, interrogatoires faits à la Pucelle estoient tout au long copiez, & au bout de chaque fueillet y avoit escrit, Affirmo, ut supra, Bosquille, c' estoit le Greffier, & à la fin du registre estoient les seings, & seaux de l' Evesque de Beauvais, & de l' Inquisiteur de la Foy, ensemble celuy du Greffier. Qui fait que j' en puis parler plus hardiment. Je veux doncques icy raconter comme les choses se passerent, & vous discourant les principaux poincts de son procés, vous pourrez aussi recueillir par ses responses tout ce qui fut de sa maison & de son histoire particuliere.

Apres que le Duc de Bourgongne eut esté creé Lieutenant general de Paris, il mit le siege devant Compieigne, où il trouva à qui parler, car en fin il fut contraint de le lever, vray qu' en une sortie que firent le Capitaine Poton, & la Pucelle, le malheur voulut que l' un & l' autre y furent pris. Quant à Poton il courut la commune fortune des autres gens de guerre, d' en estre quitte pour sa rançon, où d' estre changé pour un autre, mais non cette pauvre Pucelle, la prise de laquelle fut si agreable aux Anglois, qu' ils en firent chanter un Te Deum dans l' Eglise nostre Dame de Paris, & quittans la forme ordinaire que l' on observe aux prisonniers de bonne guerre, luy voulurent faire son procés. Le bastard de Vendosme l' avoit prise, qui la monstra au Duc de Bourgogne lequel la bailla en garde à messire Jean de Luxembourg, auquel il avoit plus de fiance. Deslors elle commença d' avoir deux maistres. Les Anglois desiroient de l' avoir, a fin de la sacrifier au feu. Le Duc n' y donnoit pas grand obstacle, mais bien Luxembourg & le bastard, ne voulans estre defraudez de la rançon, les uns combattans pour la vie, les autres pour la bourse. Messire Pierre Cauchon Evesque de Beauvais, qui lors estoit en grand credit pres des Anglois, faisoit toute instance à ce qu' elle luy fust deliuree, comme heretique, qui avoit esté prise dans son Diocese. Le jeune Roy se met de la partie, pour le moins ceux de son conseil: En fin elle est mise en ses mains, moyennant cinq mille liures, qui furent baillees à Messire Jean de Luxembourg, & trois cens liures de rente au bastard de Vendosme. L' Université de Paris desiroit que cette cause fust renvoyee à Paris: Toutesfois le Roy par ses lettres patentes du 30. Janvier 1430, donne toute charge à l' Evesque de Beauvais, c' estoit celuy qui peu auparavant avoit esté envoyé expres en Angleterre pour l' amener en France. Le 9. ensuivant l' Evesque demande aux Doyen, Chanoines, & Chapitre de Roüen, territoire pour rendre la cause plus exemplaire, le siege Archiepiscopal estant lors vacquant. Ce qui luy fut tres-volontiers accordé. En cecy il est assisté de frere Jean Magistri, de l' Ordre des freres Prescheurs, Vicegerant de frere Jean Graverant Inquisiteur general de la foy: Messire Jean Estinet Evesque de Bayeux est faict Promoteur en cette cause. Or pour garder l' ordre judiciaire, la Pucelle est citee devant l' Evesque au 21. Fevrier, a fin de venir respondre aux faits proposez encontre elle par le Promoteur. Cette pauvre fille avoit tant de crainte de Dieu en son ame, qu' avant que de subir interrogatoire, elle demanda d' ouyr la Messe. Ce qui luy fut refusé, de tant qu' elle portoit l' habit d' homme, qu' elle ne vouloit delaisser. Je reciteray les principaux articles, sur lesquels elle fut interrogee, à la charge que s' il n' y a tant de grace, il y aura paraventure plus de creance pour ceux qui liront ce Chapitre. Les faits du Promoteur furent couchez en Latin, comme est l' ordinaire en Cour d' Eglise, & fut son interrogatoire fait à diverses journees, selon les instructions & memoires, qu' en donnoit le Promoteur, & à dire le vray, jamais une personne accusee ne fut tant chevalee par un juge pour estre surprise, & toutes-fois jamais personne ne respondit plus à propos que cette cy: Monstrant assez par cela qu' elle estoit assistee de Dieu, & de la verité, au milieu de ses ennemis. En la plus part des demandes qu' on luy faisoit s' il y avoit de l' obscurité, elle demandoit jour d' advis pour communiquer aux sainctes, avecques lesquelles elle parloit, comme en cas semblable, si les juges se trouvoient empeschez sur ses responses, ils en escrivoient à l' Université de Paris, a fin d' en avoir son opinion, laquelle s' assembloit tantost aux Bernardins, tantost aux Mathurins, & pour cette cause le procez est plain d' une infinité de ses advis, qu' il n' est besoin d' inserer icy. Je me contenteray seulement de vous representer l' ame de ce procez, au moins mal qu' il me sera possible.

Interrogee sur le premier article de dire verité, respondit que ses pere, & mere elle les diroit, mais des revelations, que non, & qu' elle les avoit dictes à son Roy Charles, & que dans huictaine elle sçavroit bien si elle les deuroit reveler. Interrogee de son nom, elle dist qu' en son pays on l' appelloit Jannette, & depuis qu' elle vint en France fut appellee Jeanne Darc, du village de Dompré: Que son pere s' appelloit Jacques Darc, & sa mere Isabelle: Que l' un de ses parrains estoit appellé Jean Lingue, l' autre Jean Berrey. De ses marraines, l' une Jeanne, l' autre Agnes, l' autre Sibille, & qu' elle en avoit eu encores quelques autres, comme elle avoit ouy dire à sa mere: Qu' elle estoit lors de l' aage de vingt & neuf ans ou environ, Lingere & Fillandiere de son mestier, & non bergere, alloit tous les ans à confesse, oyoit souvent une voix du Ciel, & que la part où elle l' oyoit y avoit une grande clarté, & estimoit que ce fust la voix d' un Ange. Que cette voix l' admonestoit maintesfois d' aller en France, & qu' elle feroit lever le siege d' Orleans, luy dist qu' elle allast à Robert de Baudricourt, Capitaine de Vaucouleur, lequel luy donneroit escorte pour la mener, ce qu' elle fit, & le cogneut par cette voix. Item dixit quod bene scit quòd Deus diligit ducem Aurelianensem, ac etiam quòd plures revelationes de ipso habuerat, quàm de alio homine vivente, excepto illo, quem dicit Regem suum. Qui est à dire, item elle dit qu' elle sçavoit bien que Dieu aimoit le Duc d' Orleans, & qu' elle avoit eu plus de revelations de luy, que de nul autre vivant, fors & excepté de celuy qu' elle appelle son Roy. Recognoist avoir fait donner une escarmouche à jour de feste devant Paris: Interrogee si c' estoit bien fait, elle dist, passez outre: Interrogee quand elle avoit ouy la voix, elle respond, hier trois fois, la premiere au matin, la seconde sur le vespre, & la troisiesme, quum pulsaretur pro Ave Maria de sero. On l' interroge si elle a veu des Fees, dit que non, qu' elle sçache: mais bien qu' une sienne marraine femme du Maire d' Aulbery se vantoit les avoir quelquesfois veuës vers l' arbre des Fees, joignant leur village de Dompré. Qui estoient ceux ou celles qui parloient à elle, dit que c' estoit saincte Catherine, & saincte Marguerite, lesquelles elle avoit veuës souvent, & touchees depuis qu' elle estoit en prison, & baisé la terre par où elles estoient passees, & que de toutes ses responses elle prenoit conseil d' elles: Qu' elle avoit pris la robbe d' homme par expres commandement de Dieu: Qu' elle fut blecee au col devant la ville d' Orleans: Item dicit quòd antequam sint septem anni, Anglici, dimittent maius vadium quàm fecerunt coram Aurelianis, & quòd totum perdent in Francia: Dicit etiam quòd praefati Anglici habebunt maiorem perditionem, quàm unquam habuerunt in Francia, & hoc erit per magnam victoriam, quam Deus mittet Gallis. Qui est à dire, Item elle dit que devant qu' il soit sept ans, les Anglois delairront un plus grand gage que celuy qu' ils firent devant Orleans, & qu' ils perdront tout ce qu' ils ont dans la France. Dit en outre qu' ils feront une perte plus grande en France qu' ils n' avoient fait auparavant: & que cela adviendra par une grande victoire que les François avront sur eux. Interrogee si elle portoit quelques armoiries, dist que non, ains seulement son estendart. Mais que le Roy en avoit donné à ses freres c' est à sçavoir un escu en champ d' azur, auquel il y avoit deux fleurs de Lys d' or, au milieu une couronne. Je diray cecy en passant, que le Roy d' Angleterre escrivant une lettre aux Prelats, concernant la presomption de cette Pucelle. Elle avoit esté (dit-il) si audacieuse de charger les fleurs de Lys en ses armes, qui est un escu à champ d' azur, avec des fleurs de Lys d' or, & une espee la pointe en haut feruë en une couronne. Au demeurant elle dit à l' Evesque que son pere un jour entre les autres songea qu' elle iroit avec des gensdarmes: Ce que craignant il la tenoit ordinairement de court, & disoit souvent à ses fils que s' il pensoit que cela deust avenir, il avroit beaucoup plus cher qu' on la noyast. On luy impute qu' estant prisonniere à Beaurevoir, elle avoit sauté du haut en bas de la tour pour se tuer, elle confesse le fait, mais que c' estoit en esperance de se sauver: Elle demande d' oüir la Messe, & puis de recevoir Dieu à la feste de Pasques, ce qu' on luy accorde, en reprenant l' habit de femme, mais elle n' y veut entendre. Sur le fait de l' adoration, dit que si quelques uns avoient baisé ses mains, ou sa robbe, ce n' avoit point esté de son consentement. Dit qu' à l' arbre des Fees, & à la fontaine pres de Dompré elle parla à sainctes Catherine, & Marguerite, mais non aux Fees: Et y commença de parler dés l' aage de treize ans. Que quelquesfois on luy avoit bien imputé d' avoir parlé aux Fees, mais qu' il n' en estoit rien, & ainsi l' avoit dit à un de ses freres. Qu' au 20. an de son âge elle alla à Neuf-chastel en Lorraine, où elle demeura chez une hostesse nommee la Rousse, & là menoit les bestes aux champs, mesmes les chevaux paistre, & abreuver: Et ainsi apprit de se tenir à cheval: Que pendant qu' elle estoit à Neuf-chastel, elle fut citee pardevant l' Official de Toul pour un mariage, mais qu' elle gaigna sa cause. Qu' apres y avoir servy cinq ans, elle retourna chez son pere, puis malgré luy s' en alla à Vaucouleur, où Robert de Baudricourt ne tint compte d' elle pour la premiere, ny seconde fois, mais à la troisiesme, il la receut & l' habilla en homme, puis luy bailla vingt Chevaliers, un Escuyer, & quatre varlets qui la menerent au Roy estant à Chinon. Sollicitee par ses Juges de reprendre l' habit de femme, elle respond qu' elle ne requeroit d' avoir de cet habit qu' une chemise apres sa mort. De rechef solicitee de laisser l' habit d' homme, & qu' en ce faisant on la recevroit au S. Sacrement de Communion. Noluit huic praecepto obsequi, in quo apparet peruicacia eius, & obduratio ad malum, & contemptus Sacramentorum. A la fin elle accorde de reprendre une robbe de femme pour ouyr la Messe, mais à la charge que l' ayant ouye elle reprendroit celle d' homme. Ad hoc fuit et dictum quod ipsa caperet habitum muliebrem simpliciter, & absolutè. Ad quod ipsa respondit, Tradatis mihi habitum ad modum unius filiae Burgensis, scilicet unam Houpelandam longam, & similiter Capitium muliebre, & ipsa accipiam pro audiendo missam. Dicebat se malle mori, quàm revocare id quod Dominus fecit sibi fieri, hoc est ut ferret habitum virilem. Dit qu' elle avoit promis au Roy lors qu' elle le salüa la premiere fois de faire lever le siege d' Orleans, de le faire sacrer Roy, & qu' elle le vengeroit de ses ennemis. Luy fut improperé que tousjours elle avoit empesché la paix avec l' Anglois. Ce qu' elle accorda, disant que la paix ne se pouvoit faire qu' ils ne vuidassent du tout de la France. Le Promoteur luy reproche qu' elle avoit faict cacher derriere l' Autel de saincte Catherine de Fierbois une espee qu' elle envoya querir depuis qu' elle eut parlé au Roy pour le tromper: Quod ipsa negat, scilicet se fecisse hoc dolosè: Bien confesse-elle qu' avant qu' aller à Chinon, elle avoit ouy trois Messes en ce lieu de saincte Catherine: Luy reproche d' avantage qu' elle se disoit avoir esté envoyee de Dieu pour faire la guerre. Chose du tout contrevenante à sa volonté pour n' avoir rien tant en horreur, que l' effusion de sang. Respond que par les lettres qu' elle avoit escrites au Roy d' Angleterre, & Princes de son sang, elle avoit premierement demandé la paix, & depuis faict la guerre. La teneur de la lettre est transcrite au procez: Qu' elle avoit faict mourir un Franquet, dict que c' estoit un volleur: que pour tel recogneu, il fut defaict par sentence du Bailly de Senlis: Qu' elle avoit plusieurs fois receu le Corpus Domini en habit d' homme, & aussi qu' elle avoit flechy le genoüil devant les dictes voix, ce qu' elle recogneut, & confessa. Le Promoteur. Item quod ipsa Ioanna in tantum suis adinventionibus Catholicos seduxit, quod multi in praesentia eius eam adoraverunt ut sanctam, & adhuc adorant in absentia, ordinando in reverentiam eius Missas & Collectas in Ecclesiis: imò dicunt eam maiorem esse omnibus sanctis Dei post beatam Virginem, elevant imagines, & repraesentationis eius in basilicis sanctorum, ac etiam in  plumbo, & alio metallo repraesentationes eius super se ferunt. A quoy elle respondit qu' elle s' en rapportoit à Dieu. Contra praceptum Dei  assumpsit dominationem supra viros, constituendo se caput exercitus. Elle dit que si elle avoit esté chef de guerre, c' avoit esté pour battre les Anglois: Dict en outre que son estendart estoit de toille, ou boucassin bordé de veloux, avecques un champ semé de fleurs de Lys, au milieu d' iceluy y avoit un Dieu figuré, tenant un monde costoyé de deux Anges revestus de blanc, & au dessous estoit escrit; Iesus Maria. Il n' y avoit en cette responce aucun mal, toutesfois les Juges tournans tout ce qui avoit esté par elle fait ou dit en venin, luy remonstrerent que Voluerat attribuere tales vanitates Deo, & Angelis, quod est contra reverentiam Dei & Sanctorum: Et si sa fiance estoit en son estendart: A quoy elle respondit sagement, que toute sa fiance estoit en celuy dont elle portoit l' image. Pourquoy elle tint seule cet estendart sur l' Autel, quand le Roy fut couronné, Illud fuerat (dit-elle) in poena, & ideo rationabile erat quod esset in honore. Qu' ayant esté blecee devant Paris, elle offrit depuis, & fit appendre dans l' Eglise sainct Denis son harnois par gloire, dit que par devotion elle l' offrit à S. Denis, comme font tous ceux qui sont blecez en guerre, aussi que S. Denis est le commun cry de la France, S. Denis Mont-joye. On luy demande si elle se vouloit rapporter au jugement de l' Eglise militante: Elle dit que ouy, pourveu qu' elle ne luy commandast rien impossible, Scilicet declarata per eam de visionibus, & revelationibus, quas dixit se fecisse ex parte Dei, quas nollet revocare pro quocunque, & si Ecclesia diceret istas visiones esse illusiones, nollet tunc se referre ad hominem, sed ad Deum.

Les articles tirez des confessions de la Pucelle estoient, qu' elle aagee de treize ans, disoit avoir veu sainct Michel, saincte Catherine, & saincte Marguerite, mesme une grande troupe d' Anges. Que ces sainctes luy conseillerent depuis d' aller trouver Charles VII. pour le secourir, & de changer l' habit d' homme, lequel elle avoit mieux aimé porter que d' oüyr la Messe, ou recevoir le precieux Corps de nostre Seigneur, & avoit refusé en cela de se soubmettre au jugement de l' Eglise militante, ains s' en estoit rapportee au seul Dieu. Item quod dicit quod ipsa est certa de quibusdam mere contingentibus, & occultis, & quod cognovit per voces, quas nunquam ante viderat. Ulterius dicit quod ex quo habeat de mandato Dei deferre habitum viri, oportebat eam accipere tunicam brevem, Caputium, Gipponem, brachas, & caligas cum aiguilletis, capillis suis super aurium summitates scißis in rotundum. D' avantage qu' elle s' estoit precipitee du haut en bas de certaine tour, aymant mieux mourir que de tomber és mains des ennemis: Et quod non tantum audivit, & vidit, sed etiam tetigit corporaliter & sensibiliter Catharinam, & Margaretam, & osculata erat terram, super quam gradiebantur.

En fin apres que le Promoteur eut pris telles conclusions qu' il luy pleut par sentence de l' Evesque, & du Vicegerent de l' Inquisiteur, il est dit que tout ce qui avoit esté fait par la Pucelle, n' estoit que factions, & tromperie, pour seduire le pauvre peuple, ou bien invention du Diable, & qu' en tout cecy elle avoit commis blaspheme contre l' honneur de Dieu, impieté contre ses pere, & mere, idolatrie contre l' honneur de nostre mere saincte Eglise. Autre blaspheme d' avoir mieux aimé ne recevoir le Corps de Dieu, & communier au S. Sacrement de l' Autel, que de quitter l' habillement d' homme. A ce jugement opinerent les Evesques de Constance, & Lizieux, le Chapitre de l' Eglise Cathedrale de Roüen, seize Docteurs, & six tant Licentiez, que Bacheliers en Theologie, & unze Advocats de Roüen. Cette sentence envoyee à l' Université de Paris, pour donner advis sur icelle, elle s' assembla au College de sainct Bernard, sous l' authorité de Maistre Pierre de Gonda Recteur, & apres avoir le tout veu, la Faculté de Theologie fut d' advis par l' organe de Maistre Jean de Troyes, celle de Decret par celuy de Maistre Guerraut Boissel leurs Doyens, que la Pucelle estoit vrayement heretique & schismatique, & sur cette resolution l' Université depescha deux lettres du quatorziesme jour de May, mil quatre cens trente & un. L' une au Roy Henry, l' autre à l' Evesque de Beauvais, a fin de la faire mourir: Toutes-fois cet advis ne fut suivy pour ce coup, mais ayant esté la Pucelle admonestee de se soubmettre au jugement de l' Eglise, elle fait responce qu' elle entendoit se soubmettre à toute raison, ainsi qu' elle avoit tousjours protesté par son procez: On l' exposa sur un escharfaut public, où apres avoir esté preschee, elle dit lors qu' elle se soubmettoit au jugement de Dieu, & de nostre sainct Pere le Pape. Puis voyant que l' on vouloit passer outre, elle protesta de tenir tout ce que l' Eglise ordonneroit, disant plusieurs fois que puis que tant de gens sages soustenoient que les apparitions n' estoient de Dieu, elle le vouloit aussi croire, & fit une abjuration publique inseree tout au long au procez. Sur quoy intervint autre sentence, par laquelle elle est absoulte du lien d' excommunication, & condamnee à perpetuelle prison, Ut cum pane doloris ibi commissa defleret. Et deslors elle reprit l' habit de femme, & l' envoya-l'on en une prison les fers aux pieds: Ce neantmoins furent mis ses habillemens d' homme pres d' elle, pour voir quels seroient ses deportemens. Elle ne fut pas si tost seule, & revenuë à son second penser, qu' elle fit penitence de son abjuration, & reprit ses premiers habits d' homme. Le lendemain au matin visitee, estant trouvee en son ancien appareil, & interrogee sur ce changement, elle respond l' avoir faict par le commandement expres des sainctes, & qu' elle aimoit mieux obeïr aux commandemens de Dieu, que des hommes. A ce mot on la declare heretique relapse, & tout d' une suitte elle est renvoyee au bras seculier, où elle fut condamnee d' estre bruslee toute vifve par sentence du trentiesme May 1431. depuis envoyee au Parlement de Paris, pour y estre enregistree. Les Normans non contens de l' avoir condamnee à mort, la voulurent mitrer lors qu' ils l' envoyerent au gibet, & estoient ces mots escrits sur la mitre, Heretique, Relapse, Apostate, Idolatre, & au devant d' elle un Tableau plain d' injures & contumelies, ne se pouvans assouvir de sa seule mort, ores qu' elle fust tres-cruelle.

L' Université de Paris voulant aussi joüer son rolle, fit une procession generale le jour de sainct Martin d' Esté à sainct Martin des Champs, où un frere Dominicain fit une declamation encontre cette pauvre fille, pour monstrer que tout ce qu' elle avoit faict c' estoient œuvres du Diable, non de Dieu.

Au milieu de tous ces fleaux toutes-fois, pendant qu' on luy faisoit son procez, vint à Paris une femme nommee Peronne, qui estoit du pays de Bretagne, laquelle soustint publiquement que la Pucelle avoit esté envoyee de Dieu, & que de ce elle avoit plusieurs revelations par l' Ange, qu' elle voyoit souvent habillé de robbe blanche: Et parce qu' elle ne voulut jamais desmordre cette creance, elle fut escharfaudee, & preschee le troisiesme de Septembre, mil quatre cens trente, & le jour mesme bruslee. C' estoit six ou sept mois auparavant la condamnation de la Pucelle. Depuis les affaires de la France estans devenuës plus calmes par l' extermination des Anglois, Maistre Robert Cibole Docteur en Theologie, Chancelier de l' Université, par Livre exprez escrivit en l' an mil quatre cens cinquante six, contre tous ceux qui l' avoient declaree heretique, j' en ay veu autres fois le Livre és mains du Feron, ce grand rechercheur d' armoiries.

Mais puis qu' un Theologien, & Chancelier de l' Université n' a douté d' accuser tous ces Messieurs là d' impieté, pourquoy ne suivray-je ses traces? S' il vous plaist recueillir ce que j' ay discouru cy-dessus, tout le motif de sa condamnation fut pour deux causes: L' une pour s' estre contre les commandemens de S. Paul habillee en homme, l' autre pour avoir adjousté foy aux voix, qui se presentoient à elle de nuict. Or pour le regard de ces voix, on ne peut dire que ce fust artifice, cela pouvoit estre dit, quand elle se presenta au Roy, a fin d' exciter les Capitaines, & soldats, à se plonger de meilleur cœur dans la querelle de leur Prince: Mais estant és mains de la Justice, se pouvant garantir de la mort, comme elle avoit fait en quittant les habillemens d' homme, & neantmoins le lendemain les ayant repris, qui luy estoit une asseurance de mort tres-cruelle, il ne faut point faire de doute, qu' elle r'entra sur ses alteres par l' advis qu' elle en eut la nuict, comme elle confessa à ses Juges. Quel jugement doncques pouvons nous en cecy faire d' elle, je dy pour en parler sans passion? Non autre certes, sinon qu' elle estimoit que toutes ces voix venoient de Dieu, qui luy avoit du commencement commandé de prendre l' habit d' homme pour sauver le Roy, & puis ne le laisser quelque crainte de mort que l' on luy mist devant les yeux: Et c' est pourquoy elle dist tant de fois, que combien qu' elle se soubmist au jugement de l' Eglise militante, toutes-fois elle vouloit embrasser premierement celuy de Dieu. Mais cette voix estoit-elle de Dieu, ou du Diable? Je sçay bien que le Diable se transforme assez souvent en l' Ange de Dieu pour nous piper. C' est ce que l' Evangile nous enseigne: puis qu' il joüe de fois à autre ce personnage, il faut doncques croire que Dieu envoye aussi quand il veut ses bons Anges sous telles images qu' il luy plaist, pour nous induire à bonnes choses. La Bible est toute pleine de tels exemples. Le mesme Dieu qui estoit lors, est celuy qui gouverne cet Univers, pourquoy douterons nous que sa puissance ne soit telle, & par consequent ses effects? En tout ce procez par moy discouru, vous ne remarquez autre chose qu' une ame toute Catholique, qui ne demande que confession, oüir la Messe, recevoir Dieu, moyennant que ce soit en l' habit qui luy est commandé par les voix: Parce qu' elle estime que ce soit un commandement expres, & particulier de Dieu qui luy est fait. Mais pourquoy prit-elle l' habit d' homme? Estoit-ce pour un meschant œuvre? Pour porter confort & aide à son Roy, contre l' indeuë usurpation des Anglois. Davantage voyez comme illuminee des rayons du sainct Esprit par ces voix, elle predit des choses qui advindrent: Car je vous laisse à part, qu' elle recogneut premierement Baudricourt, puis le Roy, que elle n' avoit jamais veu, cela pouvoit estre sujet à caution, & pourra quelque sage-mondain dire que c' estoit une partie joüee par l' entremise de quelques uns, qui luy avoient servy sous main de protecoles: Quant à moy, je veux croire que ce fut par inspiration de Dieu, puis qu' en tout ce que je diray cy-apres, je n' y voy nulle hypocrisie. Elle dit au Roy qu' elle estoit envoyee de Dieu pour degager Orleans du siege, puis pour faire Sacrer, & Couronner le Roy à Rheims, ne le fit-elle? Par les lettres que sur son advenement elle escrivit au Roy d' Angleterre, elle luy manda que s' il n' entendoit à la paix, il verroit le Roy Charles entrer en tout honneur dans Paris, & qu' ainsi luy avoit esté revelé, cela n' advint-il puis apres? Par une de ses responces elle dit à ses Juges que le Duc d' Orleans estoit bien aimé de Dieu, comment pouvoit-elle juger cela que par l' inspiration divine? Elle dit encores à ses Juges qu' avant le terme de sept ans, l' Anglois seroit exterminé de la France. S' il ne le fut de la France, ne le fut-il de Paris en l' an mil quatre cens trente six ville capitale de la France, par le moyen dequoy le Roy Charles gaigna quarante cinq dessus la partie? Mais sur tout me plaist quand cette guerriere pour braver ses Juges par une belle saillie, leur dit que le Duc d' Orleans qui estoit leur prisonnier il y avoit quinze ans passez, estoit le bien aymé de Dieu. Voyons si cette parolle fut menteuse. Il sortit de prison l' an mil quatre cens quarante, & à son retour espousa en la ville de sainct Aumer, Catherine de Cleues, niepce de Philippes Duc de Bourgongne, dont il eut un seul fils du nom de Louys. Auparavant sa prison il avoit eu un enfant naturel Jean Comte de Dunois, appellé communément par nos Historiographes, le Bastard d' Orleans, qui depuis és annees mil quatre cens cinquante & deux, reduisit sous la puissance du Roy Charles les pays de Normandie & Guyenne. Et quant au legitime ce fut nostre bon Roy Louys douziesme de ce nom, qui pour ses bons & doux deportemens fut apres son decez honoré du bel Eloge de Pere du Peuple, qu' un Claude de Seissel Evesque de Marseille ne douta par livre exprez de parangonner à tous les autres Roys de France. Un Prince pouvoit-il estre mieux aimé de Dieu, que de luy envoyer deux enfans, ausquels nostre France fut depuis tant redeuable? Et puis au bout de cela apres tant de bons actes, apres tant de predictions veritables, en une querelle si juste, apres tant d' heureux succez, nous dirons que c' estoient illusions du Diable? Certes il ne faut point avoir de pieté en la teste qui le soustiendra. Adjoustez, & cestuy est un traict d' Histoire fort memorable: si les anciennes Histoires sont vrayes on trouve unes Semiramis & Jeanne, qui sous habillemens d' hommes exercerent, celle là une Royauté, cette-cy la Papauté: Toutesfois avant que la partie fust parachevee, elles nous servirent d' un plat de leur mestier: Parce que chacune fit un enfant, chose qui leva leur masque. Mais nostre Jeanne, encores que l' Anglois recherchast tous moyens de la calomnier, si ne luy impropera-il impudicité par tout le discours de son procez, jaçoit qu' elle eust vescu au milieu de plusieurs grandes armees, où telle desbauche est plus que souvent en usage. Et c' est pourquoy la posterité non sans grande raison luy donna le tiltre de Pucelle, qui luy est demeuré jusques à huy. Ce neantmoins il y a aujourd'huy quelques plumes si eshontees qui ne doutent de la pleuvir pour garce de Baudricourt. Au demeurant je ne veux oublier que sa memoire fut de si grande recommandation entre nous apres sa mort, qu' en l' an 1440. le commun peuple se fit accroire que la Pucelle vivoit encores, & qu' elle estoit eschappee des mains des Anglois, qui en avoient fait brusler une autre en son lieu: Et pource qu' il en fut trouvee une en la gendarmerie en habillement desguisé, le Parlement fut contraint la faire venir, la representer sur la pierre de Marbre du Palais, au peuple, pour monstrer que c' estoit une imposture.

Je serois ingrat envers la memoire du Roy Charles premierement, puis de cette miraculeuse guerriere, si pour closture de ce Chapitre, je n' y enchassois cet Eloge, qui me semble d' une singuliere recommandation. Elle avoit trois freres, Jaquemin, Jean, & Pierre dit Pierrelot, dont les deux derniers s' embarquerent à pareille fortune que leur sœur, faisans profession des armes. Le Roy en consideration des grands & signalez services qu' il avoit receuz de la Pucelle, tant à la levee du siege d' Orleans, que son Sacre, dont elle avoit esté la principale porte-banniere, l' annoblit, ensemble ses pere, mere, freres, & leur posterité, tant masculine que feminine, par ses Patentes en forme de Chartre, donnees à Mehun sur Yeure, au mois de Decembre mil quatre cens vingt-neuf, verifiees le seiziesme de Janvier ensuivant, en la Chambre des Comptes de Paris, lors transferee à Bourges. La teneur des lettres est telle. Considerantes laudabilia grataque servitia nobis ac regno nostro iam per dictam Ioannam puellam multimode impensa, & quae in futurum impendi speramus, certisque alijs causis ad hoc animum nostrum inducentibus, praefatam puellam, Iacobum Darc patrem, lsabellam eius uxorem, matrem, Iacqueminum, Ioannem & Petrum Perrelo, fratres ipsius puellae, & totam suam parentelam, & lignagium, & ion favorem & pro contemplatione eiusdem & eorum, posteritatem masculinam, & foemineam in legitimo matrimonio natam & nascituram nobilitavimus, & peu apres. Concedentes eisdem & eorum posteritati, tam masculinae, quam femineae, in legitimo matrimonio procreatae, & procreandae, ut ipsi feoda & retrofeoda, & res nobiles à nobilibus, & alijs quibuscumque personis acquirere, & tam acquisitas, quàm acquirendas retinere ac possidere perpetuo valeant. Privilege admirable, & non jamais octroyé à autre famille. Bien trouvons nous un Eude le Maire natif du village de Challo sainct Mas pres d' Estampes, & ses successeurs tant en ligne feminine que masculine avoir esté dispensez de toutes daces: mais non pour cela reputez Nobles, ny joüy du Privilege de Noblesse. 

Jamais service fait à la France ne vint au parangon de celuy de la Pucelle. Aussi jamais lettres d' annoblissement ne furent de tel poids & mesure que celles-cy. Annoblissement tellement embrassé, que comme ainsi soit qu' en la Normandie, il y ait quelques hommes issus des filles de cette lignee, ils joüissent de ce privilege. Et ainsi voy-je, uns Robert Fournier, Lucas de Chemin, oncle & nepueu, apres ample cognoissance de cause, & examen de leur genealogie, avoir fait enregistrer ces lettres d' annoblissement pour eux & les leur en la Cour des Aydes de Normandie, le 13. Decembre 1608. depuis que le Privilege d' Eude le Maire a esté supprimé.

Or pour plus signalee remarque de cette gratification, le Roy Charles voulut que les freres de la Pucelle portassent en leurs armoiries un escu en champ d' azur, auquel y avroit deux fleurs de Lys d' or, & au milieu une Couronne: & en outre, qu' au lieu du surnom Darc qu' ils avoient apporté du ventre de leur mere, ils fussent de là en avant surnommez du Lys. Comme si la Couronne de France, & le Lys eussent par les paradoxes exploicts & chef d' œuvres de la Pucelle repris leur ancienne force, dignité & vertu. Chose que je descouvre par un extraict tres-notable dont je vous veux faire part. Dés l' an mil quatre cens vingt cinq, on avoit baillé à six liures de rente fonciere par chacun an, le marc d' argent revenant à sept liures, une Isle assise sur la riviere de Loire, contenant deux cens arpens, vulgairement appellee l' Isle aux Boeufs, dont les Receveurs du Domaine d' Orleans, faisoient estat par leurs comptes: Advient que les detempteurs s' en departent le vingt & sixiesme Juillet, mil quatre cens quarante trois, & la remettent és mains de Charles Duc d' Orleans pere de Louys, qui fut depuis Roy de France douziesme du nom, lequel deux jours apres en fit don à Pierre frere de la Pucelle, verifié le vingtneufiesme par Maistre Jean le Fuzelier General de ses finances, pour en joüïr par luy & Jean son fils leurs vies durant, en consideration dequoy cette partie depuis mise en recepte fut couchee à neant, tant & si longuement qu' ils vesquirent. Comme de faict vous trouvez tout cela amplement narré par le compte de l' an mil quatre cens quarante quatre, rendu en la Chambre des Comptes, par Maistre Robin Gaffard, portant entr'autres choses l' article de recepte ces mots qui servent à mon intention. Laquelle Isle mon dict Seigneur le Duc a donné à Messire Pierre du Lys Chevalier; Oüye la supplication du dit Messire Pierre, contenant que pour acquiter la loyauté envers le Roy nostre dit Seigneur, & Monsieur le Duc d' Orleans, il se partit de son pays pour  venir au service du Roy nostre dit Seigneur, & de Monsieur le Duc en la compagnie de Jeanne la Pucelle sa sœur, avec laquelle jusques à son absentement, & depuis jusques à present il a exposé son corps & ses biens ou dit service, & au fait des guerres du Roy, tant à la resistance des anciens ennemis du Royaume, qui tindrent le siege devant la ville d' Orleans, comme à plusieurs voyages faicts & entrepris par le Roy nostre dit Seigneur, & ses chefs de guerre, & autrement en plusieurs & divers lieux. Je vous laisse le demeurant de l' article, auquel est pareillement fait mention de Jean du Lys fils de Pierre: Me contentant qu' on voye que ce Pierre surnommé du Lys estoit frere de la Pucelle. Surnom que je voy luy avoir esté baillé, & à son fils en tous les comptes subsequens faisans mention d' eux.

Je ne me puis faire accroire que cestuy ayant affaire à un grand Prince du Sang eust osé changer son surnom Darc en celuy du Lys: sans que luy & ses freres eussent permission expresse de ce faire, par le benefice du Roy. Mais sortout me plaist qu' on trouve par quelques anciens tiltres que plusieurs des leur qui les survesquirent, apres avoir mis le surnom du Lys, adjoustoient tout suivamment ces mots Dits la Pucelle, pour monstrer qu' ils estoient de sa lignee. Au demeurant comme par succession de temps cette famille fut casuellement espanduë en diverses branches par la France, tant en lignee masculine que feminine: Aussi Maistre Charles du Lys, Conseiller du Roy, & son Advocat general en la Cour des Aydes de Paris, a pardevers soy plusieurs enseignemens, par lesquels il se treuve & preuve en estre un des rejettons.

6. 5. Sommaire du procés de Jeanne la Pucelle.