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lundi 26 juin 2023

4. 7. Des droits de Juree, & Bourgeoise du Roy.

Des droits de Juree, & Bourgeoisie du Roy.

CHAPITRE VII.

Par toutes les coustumes de Champagne, je dy de Troyes, Meaux, Chaumont en Bassigny, & par celles de Sens, & Auxerre, il n' y a rien si frequent que quand elles nous enseignent y avoir deux sortes de gens, les uns Nobles, les autres non Nobles, & des non Nobles les aucuns estre de franche, les autres de serve condition: & au surplus que ceux qui sont francs se peuvent advoüer pour Bourgeois du Roy. Et à cet adveu, il y a quelques unes de ces coustumes qui s' y donnent plus ample carriere que les autres. Et parce qu' en la Coustume du Bailliage de Troye, il me semble y avoir plus d' obscurité, voire estre celle qui par dessus toutes les autres s' en est plus voulu faire accroire au prejudice des Seigneurs hauts Justiciers, je la toucheray particulierement. Les aucuns sont Nobles, & les autres non Nobles (portent le premier & second articles d' icelle) les non Nobles sont en deux manieres: Car les uns sont franches personnes, & les autres de serve condition: Lesquelles franches personnes, tant comme elles demeureront sous le Roy, ou és ressorts du Bailliage de la Prevosté de Troyes, sous aucun haut Justicier, non ayant en sa terre les droicts Royaux, sont appellez Bourgeois du Roy, & sont ses Justiciables ordinairement en tous cas personnels, Criminels & Civils, & redeuables de Juree, s' ils ne sont Clercs, ou autrement privilegiez. Et par les neufiesme & dixiesme articles subsequens. Les Bourgeois du Roy se peuvent tels advoüer par simple adveu, sans monstrer par escrit leur Bourgeoisie, excepté au Comté de Joigny, où celuy qui se veut advoüer pour tel, doit avoir lettres de Bourgeoisie du Baillif de Troyes, ou son Lieutenant. Cette Coustume fut redigee par escrit en pleine assemblee des trois Estats du Bailliage de Troyes par Maistre Thibaut Baillet  President, & Maistre Roger de Barme, Advocat du Roy au Parlement de Paris, & lors de la redaction Milon Advocat, tant du Clergé, que de la Noblesse s' y opposa, disant que si ces articles passoient ce seroit annichiler, & reduire à neant toutes les Jurisdictions hautes & moyennes des Seigneurs. D' autant qu' en leurs Justices y avoit sujets de quatre qualitez diverses, c' est à sçavoir les Nobles, les Clercs, les Roturiers, & les Serfs, qui estoient gens de morte-main: Qu' il estoit notoire que sur les Nobles ils n' exerçoient Jurisdiction, sur les Clercs encores moins, parce qu' ils estoient exempts de la Jurisdictions temporelle: Sur les Roturiers, par cette Coustume il leur estoit prohibé: Car les Roturiers, s' ils n' estoient Clercs, ou de morte-main, estoient faits Bourgeois du Roy: Parquoy si cet article demeuroit pour Coustume, ils n' avroient Jurisdiction que sur les serfs, hommes & femmes de corps. Et aussi que par les Ordonnances du Roy sur le faict des Bourgeoisies, les Bourgeois du Roy estoient sujects à plusieurs choses que l' on n' observoit point lors: Au moyen dequoy requeroit cet article estre corrigé. Les Commissaires sondans des praticiens quelle estoit la commune observance, ils rapporterent unanimement qu' elle estoit telle que l' article portoit. Ils n' avoient garde de dire le contraire. Car cet article sortant effect enfloit grandement leurs practiques, & par consequent leurs gibbecieres. Milon en peu de paroles avoit beaucoup dit, & moy en moins de paroles je diray que je n' entendy jamais les deux premiers articles, & estime que si ceux qui les dresserent, revenoient en vie, ils seroient grandement empeschez de les nous deschifrer. Pareille obscurité, mais non si perplexe, se trouva en l' an mil cinq cens cinquante & cinq, lors de la reformation de la Coustume de Sens. Mais n' ayant entrepris de demesler ce fuseau, je me contenteray de toucher ce qui est de l' ancienneté. Toutes les Coustumes par moy cy-dessus touchees, parlent des Bourgeoisies du Roy: celle de Troyes particulierement du droict de Juree. Recognoissons doncques s' il nous est possible comment furent introduits ces droicts, & en quoy ils consistoient. Je vous ay par le Chapitre precedant discouru comme sur le declin de l' Empire, fut par les Empereurs introduite une maniere de servitude tres-fonciere; sur les pays par eux de nouveau conquis, le François entrant dans les Gaules, rendit au Romain ce qu' il avoit presté aux autres.

C' est pourquoy furent faits trois sortes d' hommes en la Champagne, & quelques autres contrees des Gaules: Les vaincus qui furent faicts serfs, ausquels on laissa leurs terres, mais avec tant de charges pesantes, qu' ils sembloient estre plus à leurs Seigneurs qu' à eux mesmes, & pour cette cause furent appellez tantost gens de main-morte condition, tantost hommes & femmes de corps: & les Capitaines & plus grands Seigneurs qui avoient contribué de leur vaillance à la conqueste avecques nos Roys, eurent pour leurs departemens les Fiefs, desquels despendoient ces serfs: & la troisiesme espece fut des soldats François, qui pour ne tenir tel rang que les Capitaines, n' eurent pas les places Nobles, mais aussi ne furent-ils de si basse condition comme les Gaulois, & serfs, ains conserverent la liberté en laquelle ils estoient nez, leur demeurant leur nom originaire de francs, comme si on eust voulu dire que tous Francs ou François estoient naturellement de condition libre. Mot qui depuis s' est perpetué de main en main jusques à nous, voire avec un tel privilege, que nous opposons la franche condition à la servile, comme choses directement contraires. Et de là vint encores une autre distinction pour les terres: car comme ainsi soit que le mot de Leud entre les François signifiast subject, & que des terres les unes fussent Seigneuriales, & Feodales, les autres Allodiales, qui vouloit dire Censuelles, on en fit une troisiesme espece, de celles qui estoient tenuës en Franc-alleud, c' est à dire des terres, qui estoient tenuës par les Francs, non veritablement Nobles, comme les Fiefs, mais aussi non serviles comme les autres: de tant que l' on n' en payoit aucuns droicts, & devoirs censuels. Et de cette espece est aussi faite fort frequente mention dans la plus part des Coustumes par moy cy-dessus alleguees. Par ainsi en ce pays là il y avoit trois especes de personnes, Nobles, Francs, & Serfs, & autant d' especes de terres, Nobles, Censuelles, & en Franc-alleud. Et quant aux Serfs, ayans esté manumis, ils se disoient Bourgeois du Roy, comme je diray cy-apres.

Or comme les Royaumes se changent en diverses faces par longue succession de temps, aussi fit le nostre sous la troisiesme lignee de nos Roys, sous laquelle une infinité de grands seigneurs voulurent avoir part au gasteau, tout ainsi que Hugues Capet: mesmes petit à petit se fit un Comté de Champagne façonné de plusieurs pieces, lesquelles remises en une, les Comtes de ce pays-là tindrent un grand rang par la France, s' approprians plusieurs droicts de Souveraineté, avecques la reserve du baise-main, & vasselage envers nos Roys. Toutesfois pendant leur domination, on ne peut dire que le Baillif de Troyes, ny tous les autres de la Champagne pretendissent avoir en leurs Bailliages des Bourgeois du Roy, qui deussent subir leur Jurisdiction. Car ils n' estoient lors Juges Royaux, & ne l' ont esté que depuis que le Comté de Champagne a esté reincorporé à nostre Couronne.

Parquoy au lieu de cette Bourgeoisie du Roy (dont nous parlerons en son lieu) ils introduisirent un droict de Juree, qui estoit une prestation annuelle qui se faisoit aux coffres du Compte par ceux qui se rendoyent ses justiciables. Tout ainsi que le Serf foncier ne pouvoit changer de demeure au prejudice de son Seigneur, duquel il estoit homme de corps, & de suite: Aussi au contraire, soudain qu' il estoit affranchy, il avoit les portes ouvertes, & luy estoit permis de choisir tel domicile qu' il luy plaisoit, & en ce faisant subir nouvelle jurisdiction. Chose que je recueille d' un vieux tiltre d' un Thibaut Comte de Champagne, dont la teneur s' ensuit.

Nos Theobaldus Dei gratia Rex Navarrae, Campaniae, & Briae, Comes Palatinus, notum facimus universis praesentes litteras inspecturis. Quod cum Gillo Draperius filius defuncti Andreae de Champagne, & Alix uxor eius, de Meriaco essent homines de corpore dilecti, & fidelis nostri Simonis de Meriaco, ipsi se, & haeredes suos, tam procreatos, quàm procreandos, de corporibus eorum redemissent à dicto Simone, uxore eius, & haeredibus eorundem, & possent facere sibi dominum quemcunque voluissent, nos ad instantiam, & petitionem ipsorum, detinemus ipsos sub nobis pro decem solidis, quos dicti Gillo, Alix uxor eius, & haeredes eorum nobis & haeredibus nostris reddent annuatim, in festo S. Remigij, & pro dictis decem solidis ipsos quittavimus & quittamus ab omni tallia, tolta, demanda, custodia, villae, turris, & gabiolae ab exercitu, & chevaucheia, & ab omni alia exactione, facimus rei testimonium litteris annotatum, sigilli nostri munimine fecimus roborari. Actum anno Domini 1239. mense Maio.

Ce n' estoit doncques point, qu' estant affranchy il fust soudain Bourgeois du Comte, mais il estoit en son choix & option, ou de se faire Bourgeois de luy, ou bien d' un autre Seigneur: vray que voulant estre justiciable immediat du Comte, il estoit requis outre le domicile, qu' il luy payast certaine redevance par chacun an, qui estoit appellé Droict de Juree, pour l' honneur qu' il recevoit sortant fraischement d' une servitude, d' estre mis au rang de ceux qui estoient anciens Bourgeois. Tellement que pour jouyr de ceste qualité il estoit requis deux choses, l' une que laissant son premier, & ancien domicile, il s' habituast en une ville du Comte, de laquelle il seroit de là en avant justiciable en toutes demandes personnelles & criminelles, qu' on voudroit intenter contre luy: Duquel privilege il ioüyroit tant & si longuement qu' il y seroit demeurant: Qui estoit reduire les choses au droict commun de la Justice: l' autre qu' il payast par chacun an le droict de Juree, s' il n' estoit Clerc ou Noble, ou autrement bien & deuëment privilegié. Parce que si le manumis estoit puis apres annobly, ou tonsuré, il estoit aussi affranchy de cette protestation de Juree. De maniere que l' article de la vraye &  originaire Coustume de Champagne estoit, que tant & si longuement que telles sortes d' affranchis, demeuroient sous le Comte en la Prevosté de Troyes, ou d' une autre ville Comtale, ils estoient Bourgeois du Comte, & ses justiciables en tous cas personnels & criminels, & par mesme moyen redeuables de Juree, s' ils n' estoient Clercs, ou autrement privilegiez. Je dy en tous cas personnels. Parce que s' il estoit question d' un Petitoire il falloit renvoyer par devant le Juge des lieux, où les heritages estoient assis. Ceux qui reformerent cette Coustume en l' an 1509. suivirent aucunement ces traces, changeans fort à propos le nom du Comte en celuy du Roy, pour estre reüny à la Couronne, mais toutesfois avec un tel entrelas, & embarassement de paroles que l' on voit au doigt & à l' œil, que feignans de faire la mesnagerie du Roy, ils ne firent autre chose qu' une mangerie pour eux au prejudice des Seigneurs, & de leurs sujets. Les choses estans reduites à tel poinct, que soudain qu' un fuyard a sondé le gay de sa cause pardevant son Juge ordinaire, s' il la pense perdre, il s' auoüe Bourgeois du Roy, & par ce moyen la fait renvoyer pardevant le Baillif de Troyes, qui n' est pas une petite affliction pour le commun peuple.

Or estoit ce droict de Juree de six deniers pour liure des meubles, & deux deniers tournois des immeubles, sinon que l' on se fust dés le commencement aborné à certaine somme avec le Comte. Ainsi l' ay-je appris d' une sentence donnee en l' an 1420. par le Baillif de Troyes, sur un different qui se presenta entre le Procureur du Roy demandeur en execution, contre Jean Margoulet boulanger, Jean Cailler Orfevre, & Jean Houry tisserant deffendeurs: Par laquelle apres que les parties eurent escrit d' une part & d' autre, & les deffendeurs verifié leur abornement contre la pretention des six, & deux deniers par an, alleguee par le Procureur du Roy, les deffendeurs gagnerent leur cause, & furent condamnez pour une fois payer les dix sols, à quoy leurs predecesseurs avoient esté abornez. Et en ce procez fut produite la Charte du Comte Thibaut par moy cy-dessus rapportee. Au demeurant ce droict de Juree fut ainsi nommé, parce qu' il est vray-semblable que ceux qui se rendoient justiciables du Comte, faisoient un nouveau serment pardevant le Juge des lieux, ou bien que ceux qui estoient tous les ans esleuz pour faire le departement sur ceux qui estoient contribuables à cette redevance, faisoient le serment d' y proceder sans faveur, comme nous apprenons de ce que j' ay presentement recité. Et combien que l'  Ordonnance fust de payer six deniers pour chaque liure des meubles, & deux pour les immeubles: Toutesfois il y avoit une maxime generale, que nul ne payoit plus de vingt liures par an, à quelque valeur que se montassent les meubles & immeubles. Il pouvoit bien payer au dessous, mais non au dessus: & est une chose qu' il ne faut passer sous silence, que jaçoit que par la reünion du Comté de Champagne à la Couronne, le Baillif de Troyes eust esté faict Juge Royal, si est-ce que long temps apres le Baillif de Sens pretendoit que s' il y avoit quelques-uns au Bailliage de Troyes sujets des Ecclesiastics, qui se pretendissent Bourgeois du Roy, ils devoient payer le droit de Bourgeoisie en la recepte ordinaire de Sens, & non en celle de Troyes.

Ce qui apporta une belle dispute & plaidoirie en la Chambre des Comptes le dixneufiesme de May 1462. entre le Procureur du Roy de Sens d' une part, & le Procureur du Roy de Troyes d' autre. Sur ce que le Procureur du Roy de Sens disoit que le Roy, à cause de sa Couronne avoit la garde & protection des Eglises de son Royaume, & la cognoissance de leurs questions & differents, en ressort pardevant ses Baillifs Royaux, mesmes que quand on avoit fait quelques Appannages on avoit tousjours reservé par expres les gardes, patronages, souveraineté, & ressort des Eglises de fondation Royale, & de leurs terres: & nommément au traicté faict à Arras entre le Roy Charles VII. & le Duc de Bourgongne. Disoit outre que les temporalitez de l' Evesque & Chapitre de Troyes, & d' autres Eglises estans au Comté de Champagne estoient sujettes au Roy, & sans moyen à cause de sa Couronne & du Bailliage, ressort & Prevosté de Sens, en tous lesquels lieux le Roy, à cause de sa Couronne, avoit ses Bourgeois, qui devoient chacun an à sa recepte de Sens douze deniers Parisis de Bourgeoisie, & qui appelloit des Juges de leurs terres, les appellations se relevoient directement par devant le Baillif de Sens, & entr'autres villes. Qu' à l' Evesque de Troyes appartenoit les Seigneuries de Valants, & Villiers, & au Chapitre celles de sainct Cyre, & la Chapelle sainct Pere, esquels lieux le Roy avoit ses Bourgeois, qui payoient chacun an les dicts douze deniers Parisis à Sens: que nonobstant cela le Procureur du Roy de Troyes avoit obtenu lettres au mois de Decembre, lors dernier passé, a fin de faire payer les droits de Juree en la recepte de Troyes sur les dictes terres: chose dont iceluy Procureur du Roy de Sens s' estoit plaint aux Advocats, & Procureur generaux du Parlement, aux presentations des jours de Sens, & de Champagne, & depuis par leur advis s' estoit retiré en la Chambre. Partant concluoit à ce qu' inhibitions & deffences luy fussent faites, d' entreprendre sur ces droicts de Bourgeoisie, sous pretexte du pretendu droit de Juree. Contre lesquelles conclusions, le Procureur du Roy de Troyes, comme Comte de Champagne, disoit que le Comte de Champagne, à cause de son Comté, avoit droit de prendre Jurees par chacun an dans les limites de son Comté, sur tous les manans & habitans d' iceluy, s' ils n' estoient Clercs ou Nobles, ou autrement privilegiez: c' est à sçavoir six deniers pour liure de meuble, & deux deniers pour liure d' immeuble: toutesfois le plus puissant pouvoit estre quitte pour vingt liures par an, & de ce il avoit ioüy de tout temps: Que le Comte avoit droict de lever les Jurees sur les habitans de Valants, Villiers, sainct Cyre, & les Chapelles sainct Pere, estans de la Prevosté de Troyes, & que de ce il avoit ioüy jusques à quelque peu de temps auparavant, que le Procureur du Roy de Sens avoit appellé au Parlement de l' assiette d' icelles Jurees: Que de son dire il apparoissoit par les papiers & livres de Jurees, & Comptes ordinaires de Troyes, tant vieux que nouveaux, estans en icelle Chambre des Comptes, mesmes de l' an mil trois cens soixante deux, mil trois cens soixante trois, mil quatre cens neuf, & mil quatre cens dix. Davantage disoit que la Juree estoit de plus grand profit que les Bourgeoisies: Que le Roy pouvoit beaucoup gagner par l' un, & perdre par l' autre. Concluant par ces moyens & autres, a fin d' absolution. Le Procureur du Roy de Sens par ses repliques denioit la ioüyssance alleguee par sa partie adverse: & quant au profit, disoit que la Bourgeoisie croissoit & descroissoit selon le nombre de ceux qui payoient Bourgeoisie, ce qui n' estoit en ceux qui payoient la Juree. Et finalement que la Bourgeoisie estoit droict Royal inseparable de la Couronne, & la Juree droict du Comté de Champagne, qui se pouvoit separer par Apannage, ou autrement, & qu' il valloit mieux un denier non muable, que deux deniers muables, & que les Clercs payoient les droicts de Bourgeoisie, & non de Juree.

Cette cause plaidee au grand Bureau de la Chambre, presens les Advocats, & Procureur du Roy du Parlement, apres avoir veu toutes les pieces, il fut dit, & ordonné, que de là en avant le Receveur ordinaire de Sens recevroit comme par main tierce, & souveraine és lieux de Valans, Villiers, S. Cyre, & la Chapelle S. Pere, icelles Bourgeoisies, & en feroit recepte en ses Comptes, sans prejudice de droicts des parties, & des appellations interjettees au Parlement, le tout par maniere de provision.

Voila ce que je pense appartenir au faict de la Juree de Champagne, reste maintenant de parler des Bourgeoisies du Roy, esquelles on vouloit practiquer en Champagne l' Ordonnance de Justinian. Car tout ainsi que cet Empereur ostant toutes les obscuritez qui se trouvoient en la difference des libertez, voulut que tout homme qui estoit affranchy dans la ville de Rome, fust estimé Citoyen Romain, & ioüist de mesmes franchises que son Maistre. Qui n' estoit pas un petit privilege à l' effect mesmement des Jurisdictions. Car vous sçavez que lors que sainct Paul s' advoüa Citoyen de Rome, il ferma la bouche au Proconsul de la Palestine, qui renvoya la cognoissance de son faict à l' Empereur, quelque distance de lieuës qu' il y eust de la ville de Hierusalem à Rome. Le semblable advint-il en France, parce que les Serfs ayans esté manumis par leurs Maistres, se maintindrent à la longue, Bourgeois du Roy, & par ce moyen ne pouvoient estre ailleurs poursuivis que pardevant les Juges Royaux souverains, que nous appellons maintenant, Suzerains. Ainsi voyons nous estre porté par le cent trente-cinquiesme article de la Coustume de Sens, qu' une franche personne se peut advoüer & faire Bourgeois de la Bourgeoisie de Sens, si elle est de la Prevosté ou du ressort du dit Sens, en faisant les devoirs de Bourgeoisie, & des solemnitez en tels cas requises: Et le semblable au trente & cinquiesme article de la Coustume d' Auxerre. Quelles devoient estre ces submissions, nous le recueillons de l' Ordonnance de Philippes le Bel de l' an mil trois cens deux. Par laquelle il estoit permis à tout homme de s' advoüer Bourgeois du Roy, en faisant les submissions à ce requises, qui estoient de se venir presenter pardevant le Juge Royal de la ville, dont il desiroit estre dict Bourgeois, & que là en presence de deux ou trois notables Bourgeois, il promit d' achepter une maison en la ville dedans l' an & jour: chose dont il bailleroit caution, & de ce seroit faict acte que l' on mettroit és mains d' un Sergent qui le signifieroit au Seigneur de la Jurisdiction duquel ce nouveau Bourgeois entendoit estre exempt, & luy en bailleroit coppie, a fin qu' il n' en pretendist cause d' ignorance, & jusques à ce qu' il eust satisfaict à ce que dessus, il ne pouvoit ioüyr du droict de Bourgeoisie. Et neantmoins passant plus outre, il estoit encores porté, que de là en avant luy & sa femme devoient prester residence actuelle au lieu de la Bourgeoisie, pour le moins depuis le jour & feste de la Toussaincts jusques à la sainct Jean Baptiste, sinon qu' ils en fussent empeschez par maladie, pelerinage, ou autre legitime empeschement, lequel cessant, ils seroient tenus de retourner trois ou quatre jours apres pour le plus tard en leur maison: & leur estoit permis de s' absenter de la sainct Jean Baptiste jusques à la Toussaincts, pour faire leurs foings, moissons, & vendanges, & que s' il estoit possible ils se trouvassent en leurs Bourgeoisies aux Festes solemnelles de l' annee, & aussi apres avoir esté receuz Bourgeois, si aucun s' en vouloit soubstraire, il seroit tenu de payer les charges ordinaires, tant au lieu de son premier domicile, que celuy de sa Bourgeoisie. Au demeurant cette nouvelle Bourgeoisie ne l' exemptoit de la Jurisdiction de son Seigneur, pour la poursuite des droits, & devoirs Seigneuriaux, ny en action petitoire pour les heritages qui estoient assis en son ancien domicile, ny pour les excez par luy commis trois mois auparavant que d' estre faict Bourgeois. Ordonnance depuis en tout & par tout confirmee par le Roy Jean en l' annee mil trois cens cinquante & un. Chose certes tres-juridique, & par laquelle en conservant ce qui estoit de la dignité Royale, n' estoit faict aucun tort aux Jurisdictions des Seigneurs hauts Justiciers, ny aux sujets que l' on veut aujourd'huy distraire de leurs Jurisdictions ordinaires, sous umbre d' un simple adveu de Bourgeoisie, sans plus ample information. La plus belle coustume pour cest effect, & plus approchante de cette Ordonnance est celle d' Auxerre, à laquelle le Lecteur pourra avoir recours, depuis le trentecinquiesme article jusques au 41. inclus. Le commencement de l' Ordonnance de Philippes le Bel estoit tel. Haec ordinatio facta est per nos, & consilium nostrum de mandato nostro super modo tenendi, & faciendi Burgesias regni nostri ad removendam, ac tollendam fraudem, quae olim fuerat occasione, seu causa dictarum Burgesiarum, ratione quarum aliquando subiecti nostri graviter opprimebantur, ad nos suas querimonias deferentes. Et en la fin, Actum Parisiis die Lunae post mediam quadragesimam. Anno Domini 1302.

lundi 29 mai 2023

2. 10. Comment, & vers quel temps l' ordre des douze Pairs de France fut institué,

Comment, & vers quel temps l' ordre des douze Pairs de France fut institué, pour lesquels on appelle le Parlement, Cour des Pairs, dont vient qu' on requiert leur presence aux sacres, couronnemens de nos Roys.

CHAPITRE X. 

Si la vray-semblance doit quelque fois tenir lieu de verité, és anciennetez où les livres nous defaillent, il y a grande apparence d' estimer, que sous le Roy Hugues Capet, ceste police des douze Pairs eust pris son commencement, lors que tous les Ducs & Comtes avoient commué en fiefs perpetuels, les dignitez qu' ils tenoient auparavant sous le bon plaisir de nos Roys. Toutesfois en ceste opinion je me sens infiniement combatu d' une objection à laquelle il semble de prime-face n' y avoir aucune responce: Parce qu' entre les Pairs Laiz, nous y mettons pour sixiesme, le Comte de Champagne: Et neantmoins c' est une chose tres-certaine, que ny sous Hugues Capet, ny sous le Roy Robert son fils, ny bien avant sous le regne de Henry I. nous ne recognoissions ces Comtes de Champagne, tels que les ans porterent depuis, pour faire part de ce grand College. Thibault le vieil auquel commence le tige de ceste race, gendre de Heribert Comte de Vermandois, estoit seulement Comte de Blois, Tours, & Chartres: Ny luy, ny Eude premier son fils ne dilaterent ailleurs leurs limites. Vray que Eude second, se fit nommer Comte de Meaux & de Troyes, sous le regne du Roy Robert par la mort d' Estienne fils de Heribert qui tenoit le dessus de Germain sur luy, & est luy qui commença de prendre pied en Brye & Champagne, & pour ceste cause est appellé par Sigebert le Croniqueur, Odo Campaniensis.

Cestui eut pour fils Thibault deuxiesme, lequel pour les inimitiez qu' il exerçoit encontre le Roy Henry premier, se mit sous la protection d' un autre Henry Empereur d' Alemagne, qui l' honora du tiltre de Palatin de l' Empire. (Ainsi appelloient les Empereurs ceux qui estoient leurs Conseillers ordinaires.) Qualité qui ne tomba depuis de la famille des Comtes de Champagne, en tous leurs tiltres & enseignemens: laquelle toutesfois repugnoit à celle des Pairs de France, qui sont les premiers Conseillers de nostre Couronne: Voire qu' entre le Roy Louys le Gros, & le mesme Thibault, vous trouverez une guerre continuelle, & encores y en eut plusieurs autres apres leur decés, tellement que vous ne pouvez presque cotter temps auquel les Comtes de Champagne peussent être mis en ce rang de Pairs. Tant s' en faut que nous les y puissions agreger sous le temps de Hugues Capet. Et neantmoins nous tenons tous de main en main par une ancienne caballe qu' il y a eu de tout temps & ancienneté en ceste France douze Pairs, six Ecclesiastics & six Laiz. Tradition non seulement authentique, ains sacrosaincte, contre laquelle de vouloir faire le sçavant, c' est une vraye ignorance. J' adjousteray, que si ceste police est veritable, je vous supplie dites moy d' où vient qu' entre tant de grands Seigneurs qui lors estoient, l' on en tria quatre aux pays de deça, les Ducs de Bourgongne & de Normandie, les Comtes de Flandres & Champagne, & que de là, faisant un grand sault jusques aux extremitez du Royaume, on y adjousta le Duc d' Aquitaine, & le Comte de Thoulouse, laissant en arriere plusieurs Comtes qui estoient entre-deux, non moins grands terriens que les autres: Dont vient encores qu' entre tant de Prelats de France, qui portent tiltres d' Archevesques, & les aucuns de Primats, on en ait seulement choisi six, dont il n' y en ait qu' un Archevesque: mesmes qu' on les ait seulement pris des Provinces de Picardie, Bourgongne & Champagne? Car si tous les Archevesques & Evesques avant que d' entrer en leurs charges doivent la foy & homage à nos Roys à cause de leur Couronne, pourquoy n' en a l' on apparié quelques-uns à ces six autres, ou pourquoy avons nous borné ce grand & souverain fief de France, seulement de trois Provinces de la part des Ecclesiastics? Je le vous diray au moins mal qu' il me sera possible, & peut-être que ces deux dernieres objections, non seulement ne destruiront l' opinion que j' apporte de Hugues Capet, mais au contraire en tout & par tout la confirmeront, non pas pour vous dire que cest ordre des douze Pairs eust esté par luy jecté en moule, mais à mon jugement c' est luy qui fit les premiers fondements de ceste grande architecture. Chose que je ne vous puis descouvrir sans vous representer comme sur un petit tableau, les troubles, partialitez, & divisions qui advindrent en ceste France depuis la mort de Louys le Begue, qui fut en l' an 878. jusques au couronnement de Hugues Capet.

Louys le Begue mourant, delaissa sa femme enceinte d' un posthume qui fut appellé Charles le Simple, auquel par son testament il ordonna pour tuteur Eude fils de Robert Comte d' Angers. Les Normands affligeoient lors par diverses courses nostre France, dont ils s' estoient trop long temps apprivoisez à nos despens. Il falloit un Roy guerrier pour leur faire teste. Une Royne-Mere, Princesse estrangere n' estoit suffisante pour ce faire. 

Veu que noz plus grands Capitaines ne s' y trouvoient que trop empeschez. C' estoit un pretexte fort beau, pour supplanter un petit Prince de ses droicts. Louys & Carloman ses freres bastards se trouvent propres à cét effect, & se font couronner Roys de France. Mourans ils laissent un autre Louys fils de Carloman pour leur successeur, qui mourut quelque temps apres sans hoirs procedez de son corps. Tout cest entreregne (ainsi le veux-je appeller) dura sept ou huict ans pour le plus. Grande pitié, & digne d' être icy ramentue. Ceste grande famille de Charlemaigne, qui avoit faict trembler l' Europe, estoit lors aboutie en deux Charles, l' un surnommé le Gras, l' autre le Simple. Dieu veut que Charles le Gras deuiéne (devienne) mal ordonné de son cerveau. De façon qu' en un mesme temps ces deux Princes eurent deux curateurs: l' un pour la foiblesse de son sens, Arnoul Bastard son nepueu, l' autre pour la foiblesse de ses ans, Eude. Voire qu' en cestuy-cy noz ancestres remarquerent encores une imbecillité de sens, estant faict majeur, par le surnom qu' ils luy baillerent du Simple. Or ces deux curateurs, violans le droict de leurs charges se feirent proclamer Roys, celuy là de la Germanie, & cestuy de nostre France, vray que pour y apporter quelque masque, ce fut par l' election tant de leur Clergé que Noblesse. Je laisse ce qui est de l' Histoire de la Germanie, pour m' arrester à celle de France. 

Charles le Simple cependant arrivé au douziesme an de son aage, Herué (Hervé) Archevesque de Rheims qui ne couvoit pas moins d' ambition dedans sa poictrine, que Eude, sacre & couronne ce jeune Prince, & tout d' une main se faict confanonnier de ses armes. Vous pouvez juger quelles guerres civiles apporta lors ce contraste de deux Roys en un mesme Royaume. Eude va de vie à trespas, & avant que de mourir il adjure son frere Robert Comte & Gouverneur de Paris, & tous les autres grands Seigneurs de la France, de recognoistre Charles le Simple pour leur Roy: Aquoy ils acquiescerent, & sembloit que par ce moyen la France fut reduitte en son ancien repos. Le malheur du temps ne le voulut permettre. Le Roy avoit peu voir en son bas aage quatre Roys esbransler sa Couronne, d' avantage il se voyoit depourveu de tout Prince de son sang qui le secondast, au contraire il estoit assiegé de plusieurs Seigneurs accoustumez pendant le regne d' Eude de ne le recognoistre. Tout cela mis en consideration luy devoit servir de bride, pour se contenir dans les bornes de son devoir, mais son aage de dixhuict à dix neuf ans y resistoit: Joinct le peu de conseil dont il accompaigna toutes les actions. Flodoart qui vivoit de ce temps là, duquel l' use en tout ce discours, comme d' un fanal pour me servir de conduitte dans les obscuritez de ceste Histoire, nous raconte, que soudain que ce jeune Prince pensa être au dessus du vent, il embrassa esperduement l' amitié d' un jeune Gentil-homme nommé Aganon, vilipendant tous les grands Seigneurs, chose qui les indigna de telle façon qu' ils se banderent encontre luy dans Soissons, le reduisant en tel desespoir, qu' il fut contrainct avecques son favory de se re retirer chez l' Archevesque de Rheims aux despens duquel il vesquit l' espace de sept mois entiers. Comme la Majesté d' un Roy ne se peut oublier tout à coup, ains apres un premier choc de fortune, ne laisse de se ramentevoir à ses subjects, aussi advint-il le semblable à Charles. Mais luy opiniastre en son malheur continua ceste mal fondee bien-vueillance, mesmes fut si mal advisé de s' aheurter à la famille de Robert, ostant une Abbaye à Rotilde belle mere de Hugues le Grand pour en gratifier Aganon: Hugues fils de Robert se transporte expressement dans Laon par devers le Roy, pour en tirer quelque raison: mais voyant qu' il luy prestoit sourde aureille, il delibera d' obtenir par la voye des armes, ce qu' il n' avoit peu par justice. Maladie qui prit son cours dans la France l' espace de soixante dix ans, je veux dire depuis l' an 919. jusques en l' an 987. que Hugues Capet fut couronné Roy.

Charles le Simple estoit assisté de la Justice de sa cause (par ce que le subject qui prend les armes contre son Prince n' est jamais excusé envers Dieu) mais il estoit sans experience, sans conseil, sans aucun Prince de son sang. Le plus grand support qu' il avoit, estoit de l' Archevesque de Rheims. La partie est aussi mal faicte, quand un Prestre endosse le harnois, pour combattre un Capitaine, comme si un capitaine se revestoit d' une chasuble pour contrefaire le Prestre. Au contraire la faction de Robert estoit tres-forte & tres-puissante: car elle n' estoit point fondee sur une volonté esvolee du commun peuple, lequel on peut dire être un monstre, qui pour avoir trop de testes, est sans teste. Moins encores faisoit-elle estat d' un secours estranger qu' il faut fuyr comme un escueil, lors d' une guerre civile: par ce que ce Prince estranger faisant semblant de favoriser le party pour lequel il vient, n' a autre but que de demourer maistre du tapis par la ruyne des deux. Robert avoit esté faict Comte & Lieutenant general de Paris par le Roy Eude son frere, il estoit pere de Hugues que depuis la posterité surnomma le Grand, beaupere de Raoul Duc de Bourgongne, & de Heribert qui iouïssoit des villes de S. Quentin, Peronne, & autres forteresses des environs, & en outre de Meaux & Troyes. D' avantage ils attirerent à leur cordelle Thibault le Vieil Comte de Chartres, & de Blois, brave guerrier, dont j' ay parlé cy dessus, qui se fist gendre de Heribert. Il leur falloit encores un Roy au moyen dequoy Robert en prent le tiltre comme par un droict successif d' Eude son frere. Vray que pour y apporter plus de fueille, on y proceda par election: & apres son decez fut aussi éleu Roy de France Raoul de Bourgongne son gendre. Coustume qui s' insinua, non seulement pour ses Roys extraordinaires, mais qui plus est pour ceux qui estoient les vrays & legitimes, pour Louys d' Outremer, Lothaire son arrierefils. Qui a causé une heresie à quelques uns de penser que tous noz Roys fussent anciennement electifs. Je ne me suis icy proposé de vous estaler par le menu tous les accidents qui advindrent lors. Je vous diray seulement que depuis ce temps là vous ne voyez qu' un chaos, meslange & confusion de toutes affaires dans la France, tantost tous ces Princes uniz ensemble, tantost divisez selon les mescontentemens qu' ils avoient les uns des autres.

Et neantmoins, ainsi que je recueille de Flodoart, dont je faits grand fonds, l' air general de tous ces troubles fut tel. Hugues, depuis surnommé le Grand, devint chef de part, faiseur & defaiseur des Roys selon les occasions: (tout ainsi qu' autres fois Charles Martel) entre ses partizans. Heribert & Thibault beaupere & gendre à face ouverte donnerent les coups orbes: celuy là ayant fait deux fois Charles le Simple son prisonnier, lequel en fin il fit mourir en prison: Et cestuy, Louys d' Outremer son fils, qu' il eut en sa garde un an entier dedans Laon, vray que c' estoit par les menees de Hugues le Grand. Les Duc de Normandie & Comte de Flandres estoient arbitres de la querelle, tantost d' un party, tantost d' autre, selon que la commodité de leurs affaires les y convioit. Quant au Duc d' Aquitaine & Comte de Languedoc, (depuis appellé Comte de Thoulouze) ils servoient de fois à autres de retraicte à nos Roys, en cas de malheureux succez: le theatre où se joüiot la tragedie, c' estoit la Picardie, Bourgongne, Champaigne. La demeure de Hugues, dans Paris, dont il estoit Comte, celle des Roys dans Laon, Rheims, & Compieigne: mais sur tout, les chefs tant d' un que d' autre party affectionnoient la ville de Laon, comme un fort boulevert pour se maintenir contre toutes les advenuës. Au regard des Duchez & Comtez, encores que les Roys pretendissent en pouvoir dispofer, vacquation d' iceux advenant par mort, si est-ce qu' on ne les croyoit, sinon de tant qu' ils estoient assistez de la force: ils eurent en fin un Hugues lequel, ayant perdu tous ses corrivaux (hormis Thibault qui le seconda en toutes ses entreprises) s' estoit fait Controleur general de leurs actions: Heribert estant decedé, ses enfans occirent un Raoul que Louys d' Outremer avoit envoyé exprez pour remettre entre ses mains les villes & terres dont leur pere estoit mort vestu: Le mesme Roy voulant r'entrer dans la Normandie par la mort de Guillaume Duc qui n' avoit laissé qu' un bastard, en fut empesché par Hugues, qui eut un trop puissant adversaire pres de soy, si ceste reünion eust sorty effect. Et neantmoins il se fit donner puis apres le Duché de Bourgongne par le Roy, & sous ce tiltre, luy & ses enfans en jouyrent. Le pretexte estoit par devers nos Roys, la force par devers luy: & à peu dire ils avoient le nom & tiltre de Roys sans effect, cestuy l' effect sans le nom: toutesfois il fit en fin la foy & hommage au Roy Lothaire du Duché general de la France, & apres luy Hugues Capet son fils à Louys dernier Roy de la race de Martels, estans au lieu de Comtes de Paris, appellez Ducs de la France, qui n' estoit pas une qualité grandement eslongnee de celle de Roy: jusques à ce qu' en fin apres plusieurs & diverses disputes, Lothaire regnant, Charles son frere par une ambiton sotte & precipitee se fit vassal de l' Empereur Othon second, qui erigea en Duché, la Lorraine, & l' en investit, luy faisant don d' un pays qu' il ne pouvoit bonnement garder. Ce qui aliena tant Charles, du cœur des François, qu' apres la mort de Louys son nepueu, il fut aisé à Hugues Capet de se faire couronner Roy par le commun vœu & suffrage des Prelats & Seigneurs de la France: Car mesmes Charles froid & lent luy donna le loisir de reprendre haleine quatre ans entiers, apres qu' il fut monté à ce haut degré. Et toutesfois Charles s' estant depuis mis en armes eut deux heureux succez contre luy : car il le vainquir premierement en bataille rangee, & en apres le chassa de la ville de Laon, en laquelle il deliberoit d' establir sa demeure, tout ainsi que ses devanciers: mais par les menees de Hugues Capet, il fut trahy par l' Evesque, lequel le meit avecq' sa femme entre les mains de son ennemy. Qui fut l' accomplissement de son malheur: d' autant que deslors il fut envoyé prisonnier en la ville d' Orleans, où luy & sa femme paracheverent leurs jours.

Par ce dernier chef d' œuvre, vous pouvez recognoistre qu' il y eut moins de vaillance & plus de prudence en Hugues, pour laquelle aussi il emporta à mon jugement le surnom de Capet. Mon opinion doncques est, que luy se voulant rendre paisible de l' Estat, suivit toutes les mesmes traces qui luy avoient esté enseignees par son pere: Aussi que quand il y eust voulu proceder autrement, la Noblesse ne l' eust permis: Et comme ainsi fust que Eude, Robert, & Raoul, Roys adoptez & non naturels, fussent venus à la Couronne par election, voire que ceste mesme procedure eust esté tenuë en Louys d' Outremer, Lothaire, & l' autre Louys, aussi luy convint-il faire le semblable, & par une grande sagesse qui luy faisoit perpetuelle compagnie, il choisit, & les Prelats & les Princes qui avoient eu la meilleure part en la querelle, c' est à sçavoir entre tous les Prelats de la France, six qui estoient des Provinces où l' on avoit joüé des mains: dont il feit le chef, l' Archevesque de Rheims, chef non seulement pour sa qualité, mais aussi que d' ancienneté il consacroit les Roys: au dessous duquel il meit pour second, l' Evesque de Laon, pour l' obligation qu' il avoit en luy, & ainsi des autres selon le plus ou le moins de respect, qu' il leur portoit. Comme aussi entre les Princes & Seigneurs Laiz, il choisit ceux qui avoient esté principalement employez pour l' un & l' autre party: Les Ducs de Bourgongne, Normandie & Guienne, les Comtes de Flandre, & Languedoc: & par special le Duc de Bourgongne, qui fut le Doyen de tous ces Seigneurs: non que ce Duché fust de plus grande recommandation que les autres, ains par ce qu' Othon son frere en estoit Duc, & par consequent meritoit lieu de primauté. Avec lesquels il adjousta Thibaut Comte de Chartres, Blois & Tours, qui n' estoit si grand terrien, mais par ce qu' il avoit esté l' un des premiers & plus obstinez entremetteurs, à la conduitte des troubles: 

Et sa posterité ayant acquis tant par droict successif, que de bien seance, les pays de Champaigne & de Brie, l' on meit puis apres au rang des autres, les Comtes de Champaigne. Voila ce qu' il me semble du premier establissement de nos douze pairs.

Or tout ainsi que ceux-cy tindrent les premiers lieux lors que Hugues Capet fut esleu Roy, aussi ne fay-je aucune doute qu' aux Parlemens & Assemblees generales esquelles on vuidoit toutes causes, tant d' Estat, que de Justice, ils y tinsent les premiers rangs: Et comme on est bien aise de n' oublier les noms des ancienes dignitez, ores que la forma en soit perdue, aussi remeit-on lors l' ancienne dignité de Patrice ou Pairrie en avant, qui estoit tant respectee premierement par les Empereurs, & en apres par nos Roys de la premiere, & seconde lignee. De là vint, que s' il y avoit quelque question entre le Roy & eux pour leurs Pairries & teneures feodales, ou entr' eux mesmes, qu' ils ne decidassent par les armes, ils en remettoient la decision au Conseil general d' eux tous: Et d' autant que d' ordinaire cela se vuidoit en un parlement, on l' appella Cour des Pairs: & à l' exemple de cecy, les Ducs & Comtes voulurent aussi (comme j' ay dict) avoir leurs Pairs en leurs Conseils, Eschiquiers & Grands jours, & au dessous d' eux les Barons voulurent faire le semblable: comme naturellement les petits se rendent Singes des grands. Je trouve dans les Memoriaux de nostre Chambre des Comptes unes procedures qui furent faites l' an 1224. entre la Comtesse de Flandres & le sire de Nesles qui merite d' être icy transcripte, encores que le langage ne soit si vieux, comme estoit celuy de ce temps là. Sur un different qui estoit en Parlement entre Jeanne Comtesse de Flandres & Jean de Nestes: la Comtesse comparant au jour proposé, disoit qu' elle n' avoit pas esté suffisamment semonce par deux Chevaliers, fut jugé qu' elle avoit esté suffisamment semonce: Elle demanda depuis le renvoy de sa cause par devant ses Pairs, qui estoient en Flandres. Jean de Nesles disoit qu' elle avoit failly de droict par ses Pairs, dont il avoit appellé ladicte Comtesse, où il estoit prest de la convaincre de defaut de droict, fut jugé par le Roy, que Jean de Nesles ne retourneroit en Flandres. Lors comparurent le Chancelier, le Bouteiller, le Chambrier, & le Connestable qui sont Officiers de l' hostel du Roy. Les Pairs soustenoient qu' ils ne devoient assister au jugement des Pairs de France: soustenans lesdits Officiers le contraire. Par Arrest fut dict que lesdicts Officiers y assisteroient & jugeroient. Ancienneté, dont vous pouvez recueillir que dés pieça l' ordre & police des Pairs estoit lors instituee tant au chef que membres de la Couronne. Au demourant si ce placard est veritable, il semble que lors le College des Pairs pretendoit qu' à luy seul appartenoit la cognoissance de ses confreres, veu qu' il n' y vouloit admettre les quatre premieres dignitez de la France, & mesmement le Chancelier que depuis nous avons recogneu pour chef general de la Justice. Et neantmoins ce different fut jugé par le Parlement: D' autant que ce n' estoit pas la raison que le College des Pairs eust esté juge en sa propre cause. Depuis on n' a point faict de doute que le corps des Pairs & du Parlement n' estoit qu' un.

Voila quant à la Cour des Pairs, je viens maintenant aux Sacres & Couronnemens de noz Roys, où l' on desire la presence des Pairs. Et combien que cela semble avoir pris son premier traict, de l' élection de Hugues Capet, si ne se continua-il d' un tel fil, que l' autre: Parce que depuis son couronnement jusques à la venuë de Philippes second, dit le Conquerant, on ne trouve point que ces Pairs ayent faict profession d' assister aux Sacres, quelque chose que l' on s' imagine du sacre de Louys le Jeune son pere. Et à vray dire c' est une histoire où il y a autant de tenebres qu' en pas une des nostres. Pour l' esclaircissement de laquelle faut noter que tant & si longuement que les Troubles durerent entre les deux familles, on proceda par élection au couronnement de noz Roys, ainsi que je vous ay cy-dessus touché. Ceste mesme procedure fut practiquee en Hugues Capet, nouveau Roy.

Mais luy Prince tres-advisé, cognoissant que de remettre à la mercy d' une élection, la Couronne nouvellement transferee en sa famille, c' estoit chose de perilleuse consequence, rechercha tous les moyens qu' il peut pour en suprimer l' usage: Et ne trouvant expedient plus prompt que d' agreger avecq' soy Robert son fils, il le fit sacrer & Couronner Roy dés son vivant. Coustume qui fut depuis observee en quatre ou cinq generations successives de noz Roys: Parce que le mesme Robert en fit autant à Henry premier, son fils: & luy à Philippes premier. Lequel n' ayant voulu faire le semblable à l' endroict de Louys le Gros, ce jeune Prince se trouva aucunement empesché apres la mort du Roy son pere. D' autant que l' Archevesque de Rheims, & quelques Prelats & Barons voulurent s' opposer à sa reception. Chose dont Yves Evesque de Chartres adverty, prevint leur dessein par un sage conseil, qui fut de le faire promptement sacrer Roy dedans la ville d' Orleans. Et comme apres coup, ils s' en plaignissent, ce Prelat plein d' entendement, & homme d' Estat, fit une Apologie, qui est la septantiesme entre ses Epistres, par laquelle il monstre qu' il luy avoit esté loisible de ce faire, & que les Sacres de noz Roys n' estoient non plus affectez à l' Eglise de Rheims, qu' aux autres Cathedrales ou Metropolitaines du Royaume. Joinct qu' outre la plume de cest Evesque, Louys le Gros estoit un rude ioueur, auquel il ne se failloit pas aisément heurter. Et neantmoins luy s' estant faict sage, par soy-mesmes, & à ses propres despens, il se donna bien garde de faire la faute qu' avoit faict son pere. Parce que quelques ans avant que de mourir, il fit sacrer Roy, Louys le Jeune son fils. Ce que pareillement fit Louys envers Philippes second, dir Auguste. Ces sages resignations admises dés le vivant des peres, firent oublier les elections qui estoient nees dedans les Troubles de la France. De maniere que vous ne voyez en tous ces Sacres & couronnemens être faicte mention des Pairs, horsmis en celuy de Philippes Auguste, où l' on remarque que Henry le jeune Roy d' Angleterre s' y trouva comme Pair & vassal de France. Mais c' estoit une honneste submission qu' il faisoit au Roy, pour monstrer qu' il ne se pretendoit souverain des seigneuries qu' il possedoit dedans le Royaume. Bien veux-je croire (& n' est en cecy vaine ma creance) que tout ainsi que ce Roy Philippes second eust tant qu' il regna la fortune en pouppe, pour laquelle il fut surnommé tantost Philippes le Conquerant, tantost Philippes Auguste, comme s' il eust esté un autre Empereur Auguste entre nous, aussi voulut-il magnifier sa Cour de ce beau tiltre de Pair. Pour le moins le voyez vous dés & depuis son regne plus en usage que devant. Guillaume de Nangy nous raconte que vers l' an 1259. en paix faisant entre S. Louys, petit fils d' Auguste, & Henry Roy d' Angleterre, il fut accordé que la Normandie, Poictou, Anjou, Maine, & Touraine demeureroient aux François, & la Gascongne, Lymosin & Perigord aux Anglois, à la charge que le Roy d' Angleterre recognoistroit les tenir de noz Roys, en foy & hommage, & s' appelleroit Duc d' Aquitaine & Pair de France. Et neantmoins repassez en quatre ou cinq lignees subsequutives: En Louys huict & neufiesme, Philippes troisiesme, Philippes quatriesme dit le Bel, & en ses trois enfans, vous ne voyez les Sacres de noz Roys être honorez de ceste parade de Pairs. Parquoy je dirois volontiers, s' il m' estoit permis, que lors qu' ils commencerent de n' être, ils commencerent de renaistre, c' est à sçavoir, apres que tous les anciens Duchez & Comtez furent reüniz à la Couronne, fors & excepté celuy de Flandres. Car voyans noz Roys leur Royaume n' être plus eschantillonné: ils voulurent representer par image ces anciennes Pairries: vray qu' avecq' un discours grandement eslongné: Car au lieu qu' autresfois on avoit erigé les grandes Provinces en Royaumes, pour lotir un enfant de France, & luy mort sans enfans on les reduisoit en Duchez & Pairries, nous erigeames depuis en Duchez & Pairries les simples Baronnies: & lors on ne douta de tirer en ceremonie, aux Sacres de noz Roys, ce qui avoit esté faict par necessité à l' advenement de Hugues Capet à la Couronne. De maniere que les Prelats demourerent en leur ancienne prerogative de Pairs & les nouveaux Pairs Laiz representerent les anciens, comme estant ceste representation sans danger.

mercredi 9 août 2023

9. 16. College de Navarre.

College de Navarre.

CHAPITRE XVI.

Ce College merite son Eloge particulier, aussi bien que celuy de  Sorbonne, non seulement pour la dignité de sa fondatrice, mais aussi pour la discipline que je voy y avoir tousjours esté religieusement observee. Jeanne Roine de Navarre, Comtesse de Champagne & Brie, femme & espouse du Roy Philippes le Bel, par son testament fait au Bois de Vincennes, le jour & feste de la nostre Dame de Mars l' an mil trois cens quatre, apres avoir fondé un Hospital en la ville de Chasteau-thierry, voulut aussi fonder un College dedans Paris en faveur de soixante & dix pauvres Escoliers, vingt Grammairiens, trente Artiens, & vingt Theologiens, à chacun desquels elle assigna honneste pension, pour son entretenement: & ordonna que son Hostel de Navarre, siz hors la porte sainct Germain des Prez fust vendu, pour des deniers qui en proviendroient de la vente, & autres, estre achetee une maison convenable dans la ville, en laquelle ces trois especes d' Escoliers fussent diversement logez. Qui avroient chacun endroit soy trois Maistres, je veux dire un en chaque profession. Et pour faciliter l' execution de sa derniere volonté, ordonna estre acheté de son revenu de Champagne és environs de Paris, deux mille liures tournois de rente en Fiefs, & terres Seigneuriales. Donnant pleine puissance à ses executeurs testamentaires; quoy que soit à ceux qui s' en voudroient charger, sans toutesfois mespriser les autres, de corriger, expliquer, & augmenter son testament. Chose qu' elle confirma par son Codicile du dernier jour du mesme mois de Mars au mesme an. Ordonnance vrayement tres-saincte, & digne d' une grande & devote Royne, suivant laquelle les executeurs, apres avoir adoüerié l' Hostel de Navarre, acheterent celuy que nous voyons aujourd'huy au Mont saincte Geneviefve, appellé du commencement College de Champagne, & depuis de Navarre. Nom qui luy est demeuré jusques à huy. Et se passerent les affaires de cette façon, que tout ainsi que dedans le pourprix de Paris, sejour ordinaire de nos Roys, il y a trois villes encloses, que nous appellons, Ville, Cité, & Université; aussi dedans l' enceinte de ce College Royal il y a trois Colleges divers, de la Grammaire, des Arts, c' est à dire de la Philosophie, & de la Theologie, & trois intendans, qui porterent le tiltre de Maistres: l' un pour l' Institution de la Grammaire, Rhetorique, Poësie, Histoire, & lettres humaines; l' autre pour la Philosophie, & le dernier pour la Theologie. Et eux trois en general pour la conduite des mœurs.

Les deux premiers devoient estre passez Maistres és Arts, & le troisiesme Docteur en Theologie, auquel les deux premiers estoient tenus de reveler les defaux de leurs Escoliers, pour y apporter remede. Comme celuy pardevers lequel residoit la generale surintendance du College: & qui d' ailleurs portoit le titre de Gouverneur, tant pour l' administration du temporel que du spirituel. Et pour cette cause on apportoit une grande circonspection, quand il estoit question de l' eslire: car dedans le testament on fait mention de luy sous ces mots. Un preud- homme seculier, Maistre en Divinité, qui lira aux Theologiens, & qui aura le general gouvernement de tout l' Hostel. Il sera esleu & estably gouverneur par le Doyen, & la greigneur partie des Maistres de la Faculté de Theologie, lesquels jureront sur saincts Evangiles à establir le dit Gouverneur, que pour amour, ne pour haine, ne pour affection d' amy, ne de nation, fors que purement, pource qu' ils croyent qu' il soit profitable, ils ne le reçoivent ne establissent gouverneur. Et sera tenu iceluy Gouverneur rendre compte chacun an des biens de l' administration de la dite maison deuëment, à la greigneur partie des Maistres dessusdits. De ce que dessus vous pouvez recueillir deux choses: L' une, avec quelle religion & conscience on procedoit a l' eslection de ce Maistre en Divinité, & comme il falloit avoir recours à la plus grande & saine partie de la Faculté de Theologie: L' autre, que tout ainsi qu' il avoit la superiorité sur les deux autres Maistres pour la discipline des mœurs de leurs Escoliers; aussi residoit pardevers luy le maniement du revenu & temporel, dont il en estoit comptable.

La Testatrice, comme j' ay dict, avoit ordonné que les deux mille liures de rente fussent achetees des biens de ses Comtez de Champagne & Brie: Qui fut cause que le Roy Philippes le Bel n' ayant donné ordre à cette acquisition, ces deux mille liures furent prises sur la Recepte generale de Champagne: chose qui s' est continuee jusques à huy. Or de tous les executeurs de son testament, qui estoient huit en nombre, il n' y en restoit plus que trois en l' an mil trois cens & quinze, Messire Simon Festu Evesque de Meaux, auparavant Confesseur de la Testatrice, Frere Gille Abbé de sainct Denis, & Messire Guy de Chastillon Comte de sainct Pol. Les deux premiers, apres avoir pris par escrit le consentement du dernier, voulurent suivant la permission à eux baillee, apporter quelque polisseure à la police portee par le testament: Et a fin de ne faire estat de tous les autres articles contenus és Statuts par eux faits du troisiesme Avril mil trois cens & quinze, je me contenteray de vous en representer trois seulement. La Princesse avoit par son testament ordonné une Chappelle pour l' administration du service Divin, sans faire mention du Patron, sous le nom duquel elle seroit servie: L' Evesque de Meaux son Confesseur, & qui par consequent avoit eu bonne part en sa conscience, & Gille son coexecuteur, nommerent sainct Louys ayeul de Philippes le Bel: Sous le nom duquel le service Divin a tousjours esté depuis administré. Elle avoit donné au Maistre en Divinité (que depuis nous avons appellé Grand Maistre) la charge du spirituel, & encore du temporel, dont il seroit comptable. Ce deux Prelats diviserent cette charge, & luy laisserent le spirituel avecques toutes les autres prerogatives à luy octroyees par le testament, fors & excepté du temporel, pour le maniement duquel ils establirent un Proviseur, & ores que dedans les Statuts il soit par fois appellé Procureur, toutesfois celuy de Proviseur comme plus honorable luy est demeuré. La Princesse ordonnant que le Maistre en Divinité seroit tenu de rendre compte, ne s' estoit advisee de specifier pardevant qui, ny comment. Ces deux Prelats sagement cognoissans que la fondation du College avoit esté non seulement faite par une Royne de France, mais aussi que les deniers voüez à la nourriture des Escoliers estoient pris sur la Recepte Royalle de Champagne, adjousterent dedans leurs Statuts cet article: Provisor autem semel in anno, in crastino Sancti Ludovici, reddat computum de expensis, misiis, & receptis per ipsum factis, praesentibus gubernatoribus dictae domus, vel mandato eorundem qui inferius nominabuntur. Praesente etiam  Magistro in Theologia ad hoc vocato: Et praesente aliquo de Camera Computorum Regiorum Parisius, quem Magistri de Camera deputabunt ad postulationem Magistri in Theologia dictae domus. Qui propter hoc ipsos adire tenebitur in dicta Camera, in vigilia dicti Festi, vel ante. Qui deputatus pro labore suo, audiendo, videndo, & examinando dictum computum, habebit quadraginta solidos Parisienses de reditibus dictae domus, & caet. La Chambre des Comptes n' avoit lors aucuns Auditeurs: Et pour ceste cause commettoit à cet effect l' un des Maistres. Depuis les Auditeurs ayans esté introduits, l' ordre dont on y a procedé est, que sur la requisition que faict le Grand Maistre, ou l' un des premiers Docteurs en Theologie du College, la Chambre leur distribuë un des plus anciens & capables Auditeurs; entre les mains duquel est mis le compte, pour le voir & examiner apart soy, & en faire son rapport au Grand Maistre, & autres anciennement à ce deputez; ausquels on a depuis adjousté le premier Confesseur du Roy. Nouvelle introduction procuree par Guiencour, Religieux de sainct Dominique, premier Confesseur du grand Roy François. Et les comptes rendus & clos, l' original est mis aux Archifs de la Chambre des Comptes, tout ainsi que de tous les autres comptables, & la coppie collationnee à l' original, demeure par devers le College. Et tout ainsi que ce College fut de fondation Royale, aussi son heur fatal a porté, que tous les jeunes Princes du Sang, & autres Princes & grands Seigneurs, ausquels on veut faire gouster les bonnes lettres, prennent leur premiere nourriture & institution en ce lieu: Et qui est un poinct que je ne dois oublier, pour closture du present discours, c' est que l' Université luy a baillé en garde tous les titres & enseignemens de ses Privileges. Qui sont comme un depost sacrosainct gardez en la chappelle du College.

Depuis la fondation de ce College Royal, les Colleges commencerent de provigner dans Paris, & lors les fondateurs choisirent leurs domiciles vers le Mont saincte Geneviefve, tant haut que bas: qui est le quartier que nous appellons l' Université. Et adoncques tout ainsi qu' aux Statuts de Navarre, aussi voy-je que l' ordre general qu' on observa en toutes ces fondations, fut en faveur des pauvres Escoliers de leurs Dioceses, si c' estoient Prelats qui aumosnassent ce bien au public, ou des autres contrees esquelles les fondateurs faisoient leurs habitations. Ces Escoliers furent en la ville de Tholose appellez Collegiaux, comme enfans des Colleges, & en l' Université de Paris Boursiers, comme estans nourris & alimentez de la bourse commune de leurs fondateurs. Et eurent presque tous les fondateurs cette reigle imprimee en leurs Statuts d' y establir deux superieurs, l' un pour la conduite du spirituel, auquel ils donnerent le nom de Maistre, l' autre du temporel, qui fut nommé par eux Procureur, ce dont il estoit comptable. Le tout à l' instar de celuy du College de Navarre. Et quant aux Maistres, l' ordre que je voy y avoir esté gardé depuis les deux cens ans premiers fut tel. 

La Sorbonne estoit dediee aux lectures de la Theologie, non seulement pour les pauvres Escoliers de son College, ains de tous ceux des autres Colleges voüez à mesme estude. Je n' entens sous ceux-cy comprendre celuy de Navarre qui avoit son Professeur expres pour ce sujet. Les lettres Humaines estoient enseignees aux Escoliers Boursiers, par ceux qui portoient le nom de Maistres en l' institution de chaque College: jusques à ce qu' estans promeuz, il leur convint entrer au cours de la Philosophie, & lors leur general rendez-vous estoit aux grandes Escoles de la ruë au Foüerre, pour apres avoir atteint au degré de Maistrise aux Arts, estudier en Theologie, qui estoit la premiere & principale bute des fondations.

Jeanne, Navarre, Juana de Navarra, reina, esposa de Felipe IV el hermoso, Phillipes IV le Bel

lundi 26 juin 2023

4. 6. Bourgeoisies du Roy, droits de Juree en Champagne,

Bourgeoisies du Roy, droits de Juree en Champagne, & que nous avons en France quelques images des anciennes libertez de Rome.

CHAPITRE VI.

Puis que par le Chapitre precedant j' ay discouru des Servages, tant de la ville de Rome, que de nostre France, il me sembler n' estre hors de propos, si maintenant tout d' une suite je discoure, combien de diverses manieres de libertez il y eut pour quelque temps dedans Rome, & comme sans y penser nous les representons en la France.

Jaçoit que du droit primitif & originaire des Romains, il n' y eust dedans Rome qu' une maniere de liberté, dont indifferemment ioüissoient tant ceux qui des leurs naissances estoient libres, que les affranchis, toutesfois la chiquanerie en apporta par succession de temps trois especes: La grande, par le moyen de laquelle l' esclave par son affranchissement ioüissoit de mesmes privileges, franchises, & libertez que celuy qui l' avoit affranchy, ioüissant parce moyen du droit de Bourgeoisie de Rome. La moyenne estoit celle qui leur moyennoit pendant le cours de leurs vies, les privileges ordinaires de la liberté commune, mais arrivans au periode de la mort, leur fermoit les mains: Tellement qu' il ne leur estoit loisible de tester (qui n' estoit pas une petite disgrace) & n' avoient autres heritiers que leurs premiers Seigneurs & Maistres: Par la derniere, qui estoit appellee la moindre des trois, l' affranchy pendant sa vie estoit exposé sous la puissance de son Maistre, comme son serf & esclave: Mais avant sa mort luy estoit permis de tester, & à faute de testament ses proches parens habiles à luy succeder, apprehendoient sa succession. Distinction de personnes que l' Empereur Justinian supprima par son Ordonnance, comme un trouble-mesnage d' Estat, & reduisit la liberté à son premier pied.

Or combien qu' en cette France nous ne soyons sujets au droit des Romains, toutesfois cette mesme police s' y est dés pieça insinuee, & continuee, mais sous diverses qualitez & considerations, és Bourgeoisies du Roy en Champagne, Aulbains, & estrangers par tout le Royaume, femmes mariees au pays coustumier. La grande liberté de Rome est representee en la Province de Champagne, quand l' homme de serve condition acquiert le droit de Bourgeoisie du Roy, ainsi que je discourray cy-apres en son lieu.

Car quant à l' estranger de nation, que nous appellons Aulbain, toutes & quantesfois qu' il se vient habituer en la France, & n' est naturalizé par lettres patentes du Roy, bien & deuëment verifiees en la Chambre des Comptes de Paris, il peut tant & si longuement qu' il est sain, vendre & disposer par donations entre-vifs de ses biens, comme il luy plaist, tout ainsi qu' un vray & naturel François: mais non par testament & ordonnance de derniere volonté: mesmes n' a autre successeur que le Roy en tous & chacuns les biens qu' il a dedans ce Royaume. C' est un droit qui eschet au Prince par une prerogative speciale de sa Couronne. Ce que j' appelle image de la seconde, & moyenne liberté de Rome: mais beaucoup mieux reiglee (selon mon jugement) que celle de Rome: pour n' estre exercee que contre celuy qui ne nous est naturel sujet.

Au contraire la femme au pays coustumier, exposee sous la puissance de son mary, tant & si longuement qu' elle est mariee, ne peut de son authorité privee disposer entre-vifs de ses biens, je veux dire, les vendre, donner, aliener, ny engager, mais en ces cas est requise l' authorité de son mary sur peine de nullité. Toutesfois luy est loisible de tester, de tous & chacuns ses biens selon le desir des Coustumes où ils sont assis, tout de la mesme façon que son mary peut faire des siens: Qui est une autre image de la derniere, & plus petite liberté de Rome. Particularitez que j' ay estimé devoir estre par moy remarquees, comme celles qui sont par nous veuës sans les voir. Je veux doncques maintenant venir à nos droits de Juree, & Bourgeoisies du Roy, principal sujet du present Chapitre: qui representent la grande liberté de Rome.

mardi 1 août 2023

8. 3. De la diversité de l' ancienne langue Françoise, avecques celle du jourd'huy.

De la diversité de l' ancienne langue Françoise, avecques celle du jourd'huy.

CHAPITRE III.

J' ay dit au premier Chapitre de ce Livre, que tout ainsi que selon la diversité des temps on change d' habits, voire de Magistrats en une Republique, aussi se changent les langues par une taisible alluvion. Pierre Crinit en ses livres de l' honneste discipline, dit que l' on avoit peu autres-fois observer dans Rome quatre ou cinq diversitez de langues. La vieille des Saliens, qui pour sa longue ancienneté n' estoit presque entenduë, laquelle puis apres s' eschangea au Latin des douze Tables, qui receut quelque polisseure, sous le Poëte Ennius & Caton le Censeur, jusques à ce que petit à petit elle attaignit à sa perfection du temps de Ciceron, Cesar & Saluste, & depuis alla tousjours en telle decadence, qu' en fin elle fut ensevelie dedans l' Italienne. 

Je ne fais point de doute que le semblable ne soit advenu à nostre langue Françoise, laquelle selon la diversité des siecles, a pris diverses habitudes, mais de les vous pouvoir representer, il est mal aisé. Parce qu' anciennement nous n' eusmes point une langue particulierement courtizane, à laquelle les bons esprits voulussent attacher leurs plumes. Et voicy pourquoy. Encores que nos Rois tinssent la superiorité sur tous autres Princes, si est-ce que nostre Royaume estoit eschantillonné en pieces, & y avoit presque autant de Cours que de Provinces. La Cour du Comte de Provence, celle du Comte de Tholose, celle du Comte de Flandres, du Comte de Champagne, & autres Princes & Seigneurs, qui tous tenoient leurs rangs & grandeurs à part, ores que la plus part d' eux recogneussent nos Rois pour leurs souverains. De là vint que ceux qui avoient quelque asseurance de leurs esprits, escrivoient au vulgaire de la Cour de leurs Maistres, qui en Picard, qui Champenois, qui Provençal, qui Tholozan, tout ainsi que ceux qui estoient à la suite de nos Rois, escrivoient au langage de leur Cour. Aujourd'huy il nous en prend tout d' une autre sorte. Car tous ces grands Duchez & Comtez, estans unis à nostre Couronne, nous n' escrivons plus que en un langage, qui est celuy de la Cour du Roy, que nous appellons langage François. Et ce qui nous oste encore d' avantage la cognoissance de cette ancienneté, c' est que s' il y eust un bon livre composé par nos ancestres, lors qu' il fut question de le transcrire, les copistes les copioient non selon la naïfve langue de l' Autheur, ains selon la leur. Je le vous representeray par exemple: entre les meilleurs livres de nos devanciers, je fais estat principalement du Roman de la Roze. Prenez en une douzaine escrits à la main, vous y trouverez autant de diversité de vieux mots, comme ils sont puisez de diverses fontaines. J' adjousteray que comme nostre langue prenoit divers plis, aussi chacun copiant changeoit l' ancien langage à celuy de son temps. Cela s' observe non seulement en ce vieux Roman de la Roze, mais aussi en l' ordonnance de sainct Louys de l' an mil deux cens cinquante quatre sur les Baillifs, Seneschaux, Prevosts, Viguiers, & autres choses concernans la police generale de la France: Ordonnance que je voy diversifiee en autant de langages, comme il y a eu de diversité de temps. Si vous veux-je dedans cette obscurité mettre en veuë un eschantillon qui merite d' estre recogneu.

L' un des vieux Autheurs François que nous ayons, est Geoffroy de Villardoüin Mareschal de Champagne du temps de Philippe Auguste, lequel nous redigea par escrit tout le voyage d' outre-mer de Baudoüin Comte de Flandres. Chose dont il pouvoit fidelement parler, comme celuy qui fut de la partie. Or voila le commencement de son œuvre dont Blaise Viginelle nous a fait present.

Sçachiez que mille cent quatre vingts & dix-huict ans apres l' Incarnation de nostre Seigneur Jesu-Christ, al temps Innocent III. Apostoille de Rome, & Philippe Roy de France, & Richard Roy d' Angleterre, ot un sainct homme en France, qui ot nom Folque de Nuilly, Cil Nuiliz si est entre Laigny sor Marne, & Paris, & il ere Prestre, & tenoit le Paroiche de la ville: & Cil Folque dont je vous dy, commença au parler des Diex par Frances, & par les autres terres & entre nostre Sire, fit mains miracles par luy. Sçachiez que la renommee de cel sainct homme alla tant qu' elle vint à l' Apostoille de Rome Innocent, & l' Apostoille envoya un sien Cardinal, Maistre Perron de Chappes Croisie, & manda par luy le pardon tel comme vous diray. Tuit Cil qui se croiseroient, & feroient le service deu, un an en l' ost, seroient quittes de tous les pechez qu' ils avoient faits. Porce que cil pardon fu issy gran, si sen esmeurent mult li cuers des gens, & mult s' en croißierent, porce le pardon ere si grand.

Viginelle qui a retrouvé cette Histoire, & opposé à chaque page le vieux langage au nouveau, l' a rendu en cette façon:

L' an mille cent quatre-vingts dix & huit, apres l' incarnation de nostre Seigneur Jesus-Christ, au temps du Pape Innocent troisiesme, de Philippe Auguste Roy de France second de ce nom, & de Richard Roy d' Angleterre, il y eut un Sainct homme en France appellé Foulques de Nuilly, Prestre & Curé du mesme lieu, qui est entre Laigny sur Marne & Paris. Cestuy-cy se meit à prescher la parole de Dieu par la France, & les terres circonvoisines, & nostre Seigneur fit tout plein de miracles par luy, tant que la renommee en alla jusques au sainct Pere, lequel envoya ce preudhomme à ce que sous son nom & authorité, il eust à prescher la Croisade, & bien tost apres il y depescha un sien Cardinal Maistre Pierre de Cappes Croisé, pour y inviter les autres à son exemple, avec les Indulgences & Pardons que je vous vois dire: Que tous ceux qui se croiseroient pour servir à Dieu un an durant en l' armee qui se dressoit pour conquerir la terre Saincte, avroient planiere absolution de tous leurs pechez dont ils feroient confez & repens: Et pource que ces Indulgences furent si grandes, s' en esmeurent fort les cœurs des personnes, & plusieurs se croiserent à ceste occasion.

Je ne vous baille pas le passage de Villardoüin pour naïf François, car estant né Champenois, & nourry en la Cour du Comte de Champagne, je veux croire qu' il a escrit selon le ramage de son pays. Toutes-fois conferez son ancienneté à ce qui est de nostre temps, vous direz que ce qu' a fait Viginelle est plus une traduction, qu' imitation. Celuy de nos Autheurs anciens que je voy suivre de plus pres Villardoüin est Guillaume de Lorry qui fut du temps de S. Louys, & apres luy Jean de Mehun sous le regne de Philippes le Bel. Voyez les anciennes coppies de leur Roman, & les parangonnez au langage que Clement Marot leur donna du temps du Roy François premier, vous en direz tout autant. Vray que par une grande prudence il y voulut laisser quelques vieilles traces en la fin de plusieurs vers, pour ne sortir du tout des termes de la venerable ancienneté.

Nostre langue commença grandement à se polir de cette ancienne rudesse, vers le milieu du regne de Philippes de Valois, si les Registres de nostre Chambre des Comptes ne sont menteurs, esquels vous voyez une pureté qui commence de s' approcher de nostre aage. Vous y trouverez encores uns Enformer, pour informer, non contrestant, pour nonobstant, Diex, pour Dieu. Mais au demeurant tout le contexte des paroles ne s' esloigne gueres des nostres. Comme aussi en tous les Romans qui furent depuis faits en prose. Et plus nous allasmes en avant, plus nostre langue receut de polisseure: tesmoins les œuvres de Maistre Alain Chartier, en son Quadrilogue, Curial, & Poësies (que je ne reprendray icy, pour luy avoir cy-dessus donné Chapitre particulier au 5. Livre de ces Recherches) & successivement Philippes de Commines en son Histoire des Rois, Louys XI. & Charles VIII. Et apres luy, Maistre Jean le Maire de Belges, du temps du Roy Louys XII. Claude Seissel tant en son Apologie du Roy Louys XII. & discours de la Loy Saiique, qu' és traductions de Thucidide, Eusebe, & Appian. Je trouve sous le regne de François I. une plus grande naïfveté de langage en Jacques Amiot, ores qu' il ait principalement paru soubs Henry II. qui sembla avoir succé sans affectation tout ce qui estoit de beau, & de doux en nostre langue: Tous les autres qui sont depuis survenus se licencierent ou en paroles, ou en abondance de metaphores trop hardies, ou en une negligence de stile. Quoy que soit il me semble que je voy en luy cette belle fleur qui estoit aux autres, se ternir.

Il n' est pas dit que tout ce que nous avons changé de l' ancienneté, soit plus poly, ores qu' il ait aujourd'huy cours. Nos ancestres avoient pris de Verus, & Vera, Voir, & Voire, dont il ne nous est resté que les adverbes, voire, & voirement: Nous en avons fait uns vray, & vraye, qui sont beaucoup plus rudes, & de difficile prononciation que les premiers. Nous disions aux preterits parfaicts de ces Verbes, Tenir & Venir, Tenit & Venit, lesquels on eschangea depuis en Tiensit, & Viensit, finalement nous en avons fait Tint & Vint, en ces mutations allans tousjours en empirant: car il ne faut faire de doute que Tenit, & Venit ne fussent selon les reigles de la Grammaire meilleurs, & plus naturels.

J' ay remarqué plusieurs belles paroles anciennes, dont les aucunes sont du tout perduës par la nonchalance, & les autres changees en pires par l' ignorance des nostres. Nos ancestres userent de Barat, Guille, & Lozange, pour Tromperie, & Barater, Guiller, & Lozanger, pour tromper: Dictions qui nous estoient naturelles, au lieu desquelles nous en avons adopté des Latines, Dol, Fraude, circonvention: Vray qu' encores le commun peuple use du mot de Barat: A fin cependant que je remarque icy en passant que comme nos esprits ne sont que trop fertils, & abondans en tromperie, aussi n' y a-il parole que nous ayons diversifiee en tant de sortes que cette-cy: Parce que Guille, Lozange, Barat, Malengin, Dol, Fraude, Tromperie, Circonvention, Deception, Surprise, & Tricherie, denotent cette mesme chose. Le Roman de Pepin dit Enherber, nous Empoisonner. Le mesme Roman, & encores le Comte Thibaut de Champagne en ses Amours Maleir, pour ce que nous disons Mauldire. Le vieux valoit bien le nouveau, si nous voulons nous arrester à l' analogie de beneir, qui est son contraire. Nos predecesseurs dirent grigneour puis grigneur, dont encores est faite frequente mention dans quelques anciennes coustumes: Nous disons plus grande, & meilleure part, rendans en deux mots ce qu' ils comprenoient sous un seul. Nous disons aujourd'huy Magistralement, Hugues de Bersy Maistrement, qui est moins Latin. Nous usons du mot adjourner, quand nous faisons appeller un homme en justice par la semonce d' un Sergent, le Roman de Pepin en a usé pour dire que le jour estoit venu, Qui n' estoit pas trop mal propre: nous en avons perdu la naïfveté, pour la tourner en chicanerie. Dans le mesme Autheur, Hosteler, pour loger, qui n' estoit pas moins bon que le nostre: Malotru est dedans Hugues de Bersy: barguigner, mot aussi familier entre les marchands, que chicaner entre les praticiens, est dans Huon de Mery en son Tournoy de l' Antechrist, ces deux se sont perpetuez entre nous jusques à huy. Le Latin a dit Ambo & Duo, pour denoter le nombre de deux: De ces deux mots l' Italien a fait un ambedue, & dans le Roman de la Roze je trouve pour pareille signification ambedeux, mot qui n' est plus à nostre usage: Endementiers avoit eu vogue jusques au temps de Jean le Maire de Belges, car il en use fort souvent, pour ce que nous disons par une Periphrase, en ce pendant, Joachim du Bellay dans sa traduction des quart, & sixiesme livres de Virgile le voulut remettre sus, mais il n' y peut jamais parvenir. Nessum pour nul, Ades pour maintenant. Nous les avons resignez à l' Italien aussi bien que lozenger, qui estoit à dire tromper, en ces mots Nessuno, Adesso, *Lozingar. Le Cattivo Italien, & le chetif François symbolizerent, comme semblablement Albergar, & heberger, je ne sçay si l' Italien le tient de nous, ou nous de luy. L' Italien dit Schifar pour ce que nous dismes anciennement Eschever, & aujourd'huy Esquiver. Ce que nos anciens appellerent Heaume (Helm, helmet, elm, yelmo), on l' appella sous François premier, Armet, nous le nommons maintenant Habillement de teste. Qui est une vraye sottie de dire par trois paroles ce qu' une seule nous donnoit. Ainsi est-il de Tabour, que les soldats appellent maintenant Quesse, sans sçavoir dire pourquoy. Ainsi de l' Estendart, Banniere, ou Enseigne, que nous disons aujourd'huy Drapeau. Vray qu' il est plus aisé d' en rendre la raison que de l' autre: Cela estant provenu d' une hypocrisie ambitieuse des Capitaines, qui pour paroistre avoir esté aux lieux, où l' on remuoit les mains, veulent representer au public leurs enseignes deschirees, encores que peut-estre il n' en soit rien. Dans les livres de la discipline Militaire de Guillaume de Langey vous ne trouverez ny corps de garde, ny sentinelle, ains au lieu du premier il l' appelle le Guet, & le second estre aux escoutes. Ces deux qui estoient de tres-grande & vraye signification, se sont eschangez en corps de garde, & sentinelle: & nommément le mot d' escoute estoit plus significatif que celuy de sentinelle, dont nous usons. De mon temps j' ay veu plusieurs mots mis en usage, qui n' estoient recogneus par nos devanciers. Et peut estre le mesme mot de Devancier. Le premier qui mist en œuvre Avant-propos pour Prologue, fut Louys le Charond en ses Dialogues, dont on se mocquoit du commencement: Et depuis je voy cette parole receuë sans en douter: Non sans cause. Car nous avons plusieurs mots de mesme parure, Avant-garde, avant-jeu, avant-bras, & croy qu' il y avoit plus de raison de dire Avant-chambre, que ce que nous disons Antichambre. Il voulut aussi d' un Jurisconsulte Latin, faire en nostre langue un Droict-conseillant, mais il perdit son François. Piafer, que l' on approprie à ceux qui vainement veulent faire les braves, est de nostre siecle, comme aussi aller à la Picorée, pour les gensd'armes qui vont manger le bon homme aux champs, faire un affront pour braver un homme, la populace, mot qu' avons esté contrainct d' innover par faute d' autre pour denoter un peuple sot. Le premier où j' ay leu Courtizer, est dans la Poësie d' Olivier de Maigny. Parole qui nous est pour le jourd'huy fort familiere. Je n' avois jamais leu Arborer une enseigne, pour la planter, sinon aux ordonnances que fit l' Admiral de Chastillon, exerçant lors la charge de Colonnel de l' infanterie, mot dont Viginelle a usé en l' histoire de Villardoüin. Nous avons depuis trente ou quarante ans emprunté plusieurs mots d' Italie, comme Contraste pour Contention, Concert, pour Conference, Accort, pour Advisé, En conche, pour en ordre, Garbe, pour je ne sçay quoy de bonne grace, faire une supercherie à un homme, quand on luy fait un mauvais tour à l' impourveu. En l' escrime nous appellons Estramassons, des coups de taille. Le Pedant, pour un Maistre és arts mal appris, & façon Pedantesque, en consequence de ce mot. Comme aussi nous avons quitté plusieurs mots François qui nous estoient tres-naturels, pour enter dessus des bastards. Car de Chevalerie nous avons fait Cavallerie, Chevalier, Cavalier, Embusche, Embuscade, attacher l' escarmouche, attaquer, au lieu de bataillon, nous avons dit Escadron: Et pour nos pietons ou avanturiers anciens, nous ne serions pas guerriers si nous ne disions Infanterie, mots François que nos soldats voulurent Italianiser, lors que nous possedions le Piedmont, pour dire qu' ils y avoient esté: & de mal-heur aussi quittasmes nous nos vieux mots de fortification, pour emprunter des nouveaux Italiens. Parce qu' en telles affaires les Ingenieurs d' Italie sçavent mieux debiter leurs denrees que nous autres François. Il n' est pas que n' ayons mis sous pieds des paroles, qui estoient de quelque honneur, pour donner cours à d' autres de moindre valeur. Le mot de Valet anciennement s' adaptoit fort souvent à titre d' honneur pres des Rois: Car non seulement on disoit Valets de Chambre, ou Garderobe, mais aussi Valets Trenchans, & d' Escurte. Et maintenant le mot de Valet se donne dans nos familles à ceux qui entre nos serviteurs sont de moindre condition, & quasi par contemnement, & mespris. Vray est qu' il avoit un valet, Qu' on appelloit nihil valet, diz Marot en se mocquant. La Chambriere estoit destinee pour servir sa maistresse en la chambre: Maintenant les Damoiselles prendroient à honte d' appeller celles qui les suivent Chambrieres: ains les appellent Servantes. Mot beaucoup plus vil que l' autre que l' on approprie à celles qui servent à la cuisine. Le nom de Grand Bouteiller estoit un Office de la Couronne, comme celuy de Connestable: Aujourd'huy non seulement la memoire en est oubliee en la Cour du Roy, mais il n' y a rien de si bas que la charge de Bouteiller. Et pour cette cause ceux qui sont aujourd'huy en telles charges, sont appellez Sommeliers. Une vieille dotation faite à l' hospital de Mascon en May 1323. par Barthellemy de Chevriere eschanson du Roy, l' appelle en Latin Bartholomeus Caprarij Scancio domini nostri Regis. Qualité qui succeda à celle du grand Bouteiller. Nous avons accreu nostre langue de plusieurs nouvelles dictions tirees de nous mesmes, comme pour exemple, de Chemin, nos predecesseurs firent acheminer, de compagnon, accompagner, de raison arraisonner: Comme au contraire une negative en adjoustant De, Car ils dirent desaison, desaisonner, mais de nostre temps nous y apportasmes plus de liberté: Parce que d' Effect, Occasion, Violent, Diligent, Patient, Medicament, Facile, Neceßité, Tranquille, nous fismes: Effectuer, Occasionner, Violenter, Diligenter, Patienter, Medicamenter, Faciliter, Necessiter, Tranquilliser. Je n' ay point encores leu poßibiliter, de poßible: Il n' est pas que Montagne en ses Essaiz, & Ronsard en la derniere impression de ses œuvres (avant qu' il mourut) n' ayent par une nouveauté fait un nouvel ainsin: Car lors que ce mot est suivy d' une voyelle immediate, ils mettoient une N, derriere, pour oster la Cacophonie: Si ces nouveautez enrichissent ou embellissent nostre langue, j' en laisse le jugement à la posterité, me contentant de marquer ces chaches, pour monstrer je ne sçay quoy de particulier en nous, qui n' estoit point en nos ayeuls.

Chacun se fait accroire que la langue vulgaire de son temps est la plus parfaite, & chacun est en cecy trompé. De ma part je ne doute point que Hugue de Bersy, Huon de Mery, Jean de S. Cloct, Jean le Nivelet, Lambert Licors, & tous nos vieux Poëtes, n' eussent jamais mis la main à la plume, s' ils n' eussent estimé rendre leurs œuvres immortelles: Lesquelles neantmoins ont esté ensevelies dans les ans par le changement du langage. Ne restans plus de tous leurs escrits qu' une carcasse. Et Lorry mesmes, & Clopinel fussent aussi au tombeau, si Marot ne les en eust garentis par le langage de nostre temps qu' il leur donna. Quoy doncques? Dirons nous que les langages ressemblent aux rivieres, lesquelles demeurans tousjours en essence, toutes-fois il y a un continuel changement des ondes: aussi nos langues vulgaires demeurans en leur general, il y ayt changement continu de paroles particulieres, qui ne reviennent plus en usage? Je vous diray ce que j' en pense. Je croy que l' abondance des bons Autheurs, qui se trouvent en un siecle, authorise la langue de leur temps par dessus les autres: On a recours à leurs conceptions originaires, qu' il faut puiser d' eux. Le vulgaire de Rome fut en sa perfection sous Ciceron, Cesar, Saluste & Virgile. Le Toscan sous Petrarque, & Bocace: Et combien que le temps apportast changement à ces deux langues, toutes-fois leur perfection a esté tousjours rapportee au temps de ces grands Maistres. De faire un prognostic de la nostre, il me seroit tres-malaisé, y voyant mesmes quelques changemens, qui se peuvent mieux penser, que exprimer en ceux qui se sont donnez diversement les premiers lieux. Clement Marot fut le premier de sa volee sous le grand Roy François. Lisez Ronsard, qui vint sous Henry II. il le passe d' un long entrejet. Jettez l' œil dessus du Bertas, qui se fit voir sous Henry III. encores y a-il dedans ses 2. Sepmaines je ne sçay quelle sorte de vers, & conceptions, plus enflees que dans Ronsard, vray qu' entre le peu du premier, & le trop du dernier, il me semble que Ronsard tient le lieu de la mediocrité. Je diray doncques que s' il y a rien qui perpetuë la langue vulgaire qui est aujourd'huy entre nous, ce seront les braves Poëtes qui ont eu vogue de nostre temps. Car pour bien dire, je ne pense point que Rome ait jamais produit un plus grand Poëte que Ronsard, lequel fut suivy de quelques autres fort à propos. Nostre parler de l' un à l' autre prendra diverses habitudes, mais ceux qui voudront escrire, seront bien aises de se proposer un si grand personnage pour miroüer. Les Autheurs qui se sont disposez de traicter discours de poids, & estoffe, pourront servir à mesme effect, & moy-mesme faisant en ma jeunesse mon Monophile, puis mes dix Livres des lettres Françoises, & ces presentes Recherches, les ay exposees en lumiere sous cette mesme esperance.