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mardi 23 mai 2023

2.2. Du Parlement Ambulatoire, & premiere introduction d' iceluy.

Du Parlement Ambulatoire, & premiere introduction d' iceluy. 

CHAPITRE II. 

Tous ceux qui ont voulu fonder la liberté d' une Republique bien ordonnee, ont estimé que c' estoit lors que l' opinion du souverain Magistrat estoit attrempée par les remonstrances de plusieurs personnes d' honneur, estans constituees en estat pour cest effect: & quand en contreschange, ces plusieurs estoient controullez par la presence, commandement & Majesté de leur Prince. Et vrayement qui voudra sainement discovrir sur le fait de nostre Monarchie, il semble que cest ordre ait esté quelquesfois tres-estroittement observé entre nous par le moyen du Parlement. Qui est la cause pour laquelle quelques estrangers discourans dessus nostre Republique, ont estimé que de ceste commune police, qui estoit comme moitoyenne entre le Roy & le peuple, dependoit toute la grandeur de la France. 

Les premiers qui meirent ceste noble invention sur les rangs, le feirent pour captiver par ce moyen le cœur & devotion des subjects: car nos anciens Maires du Palais, voulans unir en leurs personnes toute l' authorité du Royaume, & usans de nos Roys par forme de masque: pour ne se mettre en haine des grands Seigneurs & Potentats, introduisirent premierement une forme de Parlement annuel, qui se tenoit an mois de May, auquel presidoient nos Roys, assistez de la plus grand part de leurs Barons, & donnoient responce tant aux plainctes de leurs subjets, qu' aux Ambassadeurs qui venoient des pays estranges: le tout selon les instructions & memoires que souz main ils recevoient de leurs Maires. Ceste coustume depuis fut assez soigneusement observee par le Roy Pepin, lequel cognoissant qu' à tort il s' estoit emparé du Royaume, pour obvier à toute sedition intestine, & monstrer que de la seule grandeur ne despendoient toutes les affaires de France, assembloit selon les urgentes difficultez qui se presentoient, le corps general de ses Princes & grands Seigneurs, pour passer par leur determination & conseil. Ostant par ce moyen toute mauvaise & sinistre opinion que l' on eust peu avoir imprimee de luy pour l' injuste invasion qu' il avoit faict de la Couronne. 

Chose que Charlemagne son fils, qui n' aspiroit pas à petites choses, practiqua plus souvent que luy: Speciallement lors qu' il s' offroit quelque entreprise de guerres, ou qu' il deliberoit ordonner quelque chose à l' avantage de sa famille ou du Royaume universel. Et estoit l' usance de noz anciens Roys telle, qu' és lieux où la necessité les semonnoit, se vuidoient ordinairement les affaires par assemblees generales des Barons. Telles assemblees s' appelloient Parlemens, comme nous appellons maintenant celles où se fait un traicté de paix Pour parler de paix. Duquel mot de Parlement, celebré de la façon que je dy, vous verrez frequente mention dans la vieille histoire de sainct Denis és vies de Pepin, Charlemaigne, & Louys le Debonnaire.

Or se rendirent tels Parlemens beaucoup plus recommandez qu' auparavant soubs le regne du Debonnaire: Car tout ainsi que ce Roy estoit plus enclin an soulagement de son peuple, qu' à faire grands exploicts & chefs d' armes, aussi voulut-il principalement maintenir sa grandeur par telles solemnelles assemblees. Et à tant commencerent à se pratiquer, deux fois l' an d' ordinaire. Non toutesfois à jours certains & prefix, comme depuis soubs Philippes le Bel, mais selon ce qu' il se trouvoit bon au depart de telles congregations, on advisoit de la ville & du temps qu' on les renouvelleroit. En ce lieu donc se decidoient toutes affaires qui importoient de quelque consequence au Royaume: Estoient receuës par le Roy les Fois & Hommages des Princes estrangers : Et en ceste façon lisons nous en Theodulphe & Adon de Vienne qu' en un Parlement tenu à Compieigne, Thassile Duc de Bauieres avecques plusieurs grands Seigneurs de la Province vint promettre le serment de fidelité à Pepin & à ses enfans. Et dict Aimoinus Religieux de Sainct Germain des Prez (ja, dis appellé Annonius par alteration de lettres) que ce mesme Roy ayant reduict les Saxons souz son obeissance, leur feit promettre de luy amener tous les ans à chaque Parlement general trois cens roussins de tribut. Estoient semblablement emologuees les volontez du Roy, c' est à sçavoir celles qui concernoient le faict general de la France. Ainsi pout nourrir paix & concorde entre ses enfans, Charlemaigne leur donna assignation de partage en un Parlement, faisant jurer à tous grands Seigneurs & Barons de l' avoir pour agreable: En ce lieu de mesme façon se terminoient les differens des plus grands Princes, & principalement de ceux qui estoient accusez de trahisons, rebellions & crimes de leze Majesté, & comme il en prit à Tassille du temps de Charlemaigne au Parlement qui fut tenu joignant la ville de Majence, lequel par l' advis de tous les Barons pour ses frequentes & repliquees rebellions, fut condamné à mort. Qui luy fut neantmoins eschangee par la douceur de l' Empereur en un confinement de Religion & monastere, duquel jugement fait honorable mention Paul Aemile. Et du temps du Debonnaire, fut accusé en un autre Parlement, Theadagre Prince & Duc des Abodrites, & Tougon l' un des principaux des Sorabes: comme suscitans l' un & l' autre plusieurs factions & novalitez encontre la Majesté du Roy. A cause dequoy dict Aimoïnus, ou si ainsi le voulez Annonius, qu' il leur fut donné assignation à un autre prochain Parlement: auquel depuis ils se purgerent. Voire pour autant que le Debonnaire, outre son pere & son ayeul, adjousta en telles assemblees les Evesques & Abbez, se determinoient en icelles, plusieurs differents entre les Prelats. A ceste cause lit-on qu' une controverse meuë entre les Evesques de Lyon & Vienne pour raison de leurs Eveschez, tomba soubs la decision du Roy & de son assistance.

Certainement telles congregations (que noz Historiographes Latins appellent Placita, & nos plus vieilles Histoires Françoises, comme j' ay dict, Parlemens) estoient arrivees en tel degré d' administration, que non seulement elles sembloient être comme une ressource en laquelle respondoient les grands negoces de France, mais aussi les differens mesmes qui tomboient entre les estrangers estoient soubmis à leur arbitrage. C' est pourquoy raconte le mesme Aimoïnus (le quel j' employe icy plus souvent, pour autant qu' il fut du temps de Louys le Debonnaire) qu' en un Parlement que ce Roy tint en la ville de Francfort, auquel lieu se trouverent de toutes parts, François, Allemans, Saxons & Bourguignons, se presenterent deux freres d' une mesme nation, nommee Vvitzes (Witzes), laquelle par vœu & profession ancienne, exerçoit inimitiez mortelles contre nostre France, lesquels freres sur le debat qu' ils avoient de leur Royaume, s' en rapporterent à l' advis de l' Empereur de son Parlement, Par ce que Milegast, l' un des deux contendants, comme aisné avoit esté appellé au Royaume apres le decez de son pere, dont l' on l' avoit depuis dejetté, pour ses extorsions extraordinaires, & en son lieu investi du Royaume Celeadagre son puisné: En laquelle assemblee fut par commun advis & deliberation sententié en la faveur du puisné. Qui nous apprend & rend certains en quelle reputation estoient tels Parlements envers les nations estranges. Ceste police, qui avoit esté entre nous si religieusement observee soubs le Debonnaire, fut intermise par l' outrecuidance & orgueil de Charles le Chauve son fils, & depuis ramenee en valeur par Louys le Begue. Au moyen dequoy nos Historiographes racontent qu' il gaigna grandement le cœur des subjects à demy alienez, pour avoir esté telles assemblees mises soubs pied, & à non chaloir du vivant de son devancier. 

Voilà, selon mon advis, la primitive origine & institution des Parlements, lesquels tout ainsi qu' en un coup ils ne furent jettez en moule, *  selon la diversité des saisons trouvons nous qu' ils prindrent divers plis sous Hugues Capet & ses successeurs: Sous lesquels ils se continuerent encor plus frequentement que devant. Car combien que ce grand Prince occupé le tiltre de Roy, si n' en avoit-il presque que le nom: Par ce que tout de la mesme façon que luy en son endroict, aussi chasque gouverneur de Province se maintenoit être vray titulaire du lieu qui estoit demouré soubs sa charge. Et n' y avoit presque ville de laquelle quelque Gentilhomme de marque ne se fust enseigneurié. Chose que ce Roy nouvellement instalé, fut contrainct de passer par connivence. N' ayant pas dequoy respondre, comme autresfois avoit eu un Pepin encontre Eude Duc d' Aquitaine, qui voulut faire à l' advenement de luy le semblable. Parquoy Capet plus fin que vaillant, & qui par astuce seulement estoit arrivé à la Couronne, fit au moins mal qu' il peut une paix avecques tous ses grands Ducs & Comtes, qui commencerent deslors à le recognoistre seulement pour souverain, ne s' estimans au demourant gueres moins en grandeur que luy. Et certes quelques uns, non sans grand' apparence de raison, sont d' advis que la premiere institution des Pairs commença adonc entre nous.

Estans doncques ces grands Seigneurs ainsi lors unis, se composa un corps general de tous les Princes & Gouverneurs par l' advis desquels se vuideroient non seulement les differents qui se presenteroient entre le Roy & eux, mais entre le Roy & ses subjects. Qui fut une institution notable pour contenir ceste France en union, laquelle estoit ce neantmoins divisee en plusieurs Ducs & Comtes, qui amoindrissoient l' authorité du Roy de tant plus, que hormis le baisemain que par prerogative ils luy devoient, ils ne despendoient au surplus que de leur authorité & grandeur. Tellement que maintesfois ils guerroyoient particulierement le Roy mesme, & le reduisoient en grandes angusties. Toutesfois apres plusieurs guerroyements, chacun se soubmettoit à ce commun Parlement. Laquelle usance (presque de la mesme façon) avoit esté observee par les anciens Gaulois, lesquels combien qu' ils fussent partialisez en ligues, si avoient-ils tous ensemble un general ressort de la Justice, qui se manioit au pays Chartrain par leurs Prestres, qu' ils nommoient Druydes.

Il seroit mal-aisé d' estimer quel profit apporta depuis ceste invention à nos Roys. D' autant que par ce moyen, comme d' un Concile general, se gardoit esgalement droict & au Roy, & aux Ducs, & Comtes. Et neantmoins estant ce conseil à la *tte du Roy, comme celuy qu' entre les autres un chacun recognoissoit pour souverain. L' on trouva à la longue moyen de r' entrer en plusieurs terres par Arrests qui emanerent du Parlement, au desadvantage de plusieurs Seigneurs, desquels les seigneuries, voire les Duchez & Comtez par desobeyssance & forfaicture estoient declarez acquis & confisquez au Roy. En quoy se rendoient les Princes mesmes executeurs de tels Arrests. Car combien que le Roy n' eust quelques fois force à suffisance pour faire sortir plain effect aux choses arrestees, si estoit-il secouru par les autres Ducs & Potentats, qui estoient facilement induicts à luy donner confort & aide, comme despendant son droict de la Justice & raison. 

A maniere que petit à petit nos Rois temporisans & faisans, comme l' on dit, d' une main l' autre, sans que ces grands Ducs & Comtes y prinssent garde, remirent à leur domaine toutes leurs terres & pays, demourans Monarques & uniques Princes de la France. Car les Ducs que nous appellons aujourd'huy ne sont qu' une image des anciens sans grand effect.

Voire qu' au moyen de ceste souveraineté, le Roy s' estant petit à petit rendu le plus fort dans son Royaume, adonc commença de se renforcer la commune police à l' advantage de sa Couronne. A cause dequoy les appellations des Baillis & Seneschaux ressortissoient premierement au Conseil, Grands jours ou Eschiquier des Ducs ou Comtes, & de là en la Cour de Parlement: pour laquelle cause estant ceste Cour arrestee dedans Paris, eurent les Ducs & Comtes continuellement leurs Procureurs generaux pour deffendre leurs jugemens. Ainsi trouvons nous aux plus anciens registres de la Cour certaine ordonnance portant qu' ez pays que le Roy d' Angleterre tenoit dans les limites de la France, seroient receus les appellans tant en cause civile que criminelle, au Lieutenant du Roy d' Angleterre, ou au Juge qui en cognoistroit en son lieu, & la seconde appellation seroit tousjours à la Cour du Roy de France. Toutesfois si ce Lieutenant en cognoissoit en premiere instance, on en appelleroit à la Cour du Roy. De laquelle chose j' ay trouvé autresfois un exemple fort notable & digne d' être icy inseré. Le Vicomte de Bearn ayant deux filles, l' une qui eut nom Matilde, & l' autre Marguerite, celle-là fut donnee en mariage au Comte de Foix, & depuis instituee heritiere universelle par son pere, & ceste-cy mariee au Comte d' Armaignac. Le pere estant decedé, le Comte d' Armaignac debat ceste institution, s' aydant d' une coustume du pays, par laquelle il pretendoit que quand la succession tomboit en quenoüille elle se partageoit par égales portions. Sur quoy les douze Barons tindrent Cour majeur, & appellerent avec eux les Prelats & autres gens notables du pays. Finalement parties ouyes fut par eux le Vicomté de Bearn adjugé au Comte de Foix à cause de sa femme. Duquel jugement le Comte d' Armaignac appella à Bordeaux pardevant le Conseil & les commis au gouvernement de Guyenne de la part du Roy d' Angleterre Duc de Guyenne: Où par sentence il feut dit que ce jugement estoit bon & valable, & que mal sans grief Armaignac avoit appellé: De laquelle sentence il appella de rechef au Parlement de Paris, où il releva son appel, & en sont les lettres d' appel en la Cour, qui y furent apportees dedans un sac l' an 1443. apres la prise du Comte Jean d' Armaignac: Auquel sac il y a plusieurs choses concernantes les droicts du Roy. Et feut ceste lettre apportee par maistre Guillaume Cousinot, lequel par commandement du Roy feut delegué pour inventorier tous les tiltres & enseignemens concernans ce Comté.

Toutesfois pour ne m' eslongner de mon propos, & reprendre mon premier fil: Toutainsi qu' en ces Parlemens, le Roy tenoit le premier lieu, aussi estoit-il assisté de plusieurs grands Princes & puissans Seigneurs, que depuis nous avons appellez Pers ou Peres de France (à l' imitation des Patrices qui furent soubz les Empereurs) avec lesquels estoient plusieurs Conseillers & Assesseurs. Et pour autant qu' en ces Parlements ne se traictoient ordinairement que causes de grand poids, pour celles qui se presentoient communement en la Cour du Roy, l' on avoit de coustume d' employer, non seulement quelques Seigneurs de sa suitte, qui estoient du corps du Parlement, mais le Roy mesme souventes fois donnoit audience aux parties. Et en ceste façon recite le sire de Jonville que S. Louys, apres avoir ouy Messe, s' alloit souvent esbatre au bois de Vincenne, & se seoit au pied d' un chaisne, faisant asseoir aupres de luy quelques Seigneurs de son Parlement, prestant audience libre à chacun, sans aucun trouble ou empeschement: Puis demandoit à haute voix s' il y avoit aucun, qui eut partie, & s' il se presentoit aucun, l' escoutoit prononçant sa sentence sur ce qui s' offroit devant luy. Qui est à bien dire un acte digne de Roy, & symbolisant grandement avec celuy de l' Empereur Auguste, ou de l' Empereur Adrian, lesquels non seulement rendoient droict aux parties seans en leur tribunal, mais aussi le plus du temps pendant leur repas, quelquesfois dedans leurs litieres, telle fois couchez en leurs licts. Tant ils avoient peur que justice ne feust administree à leurs subjects. 

Or estoient ces Parlemens de telle & si grande recommandation, que Federic second Empereur de ce nom, en l' an mil deux cens quarante quatre, ne douta de vouloir remettre à iceluy tous les differens qu' il avoit avec le Pape Innocent quatriesme, ausquels n' y alloit que du nom & tiltre de l' Empire. Et est icy à noter que le Parlement pour lors ne se tenoit en certain lieu & designé: mais selon les occasions maintenant en une ville, puis en une autre, & destinoient les bonnes festes pour le tenir, tantost vers les festes de Pasques, Pentecoste, tantost vers celles de Noel, Toussainct, Nostre Dame de myAoust, selon les necessitez & occurrences. En memoire dequoy, le Parlement ayant esté faict sedentaire, l' on a eu tousjours de coustume les surveilles de telles journees, prononcer en robe rouge quelques Arrests de consequence, pour tenir comme lieu de Loy. Depuis se trouvans les causes en plus grande affluence, Philippes le Bel y voulut donner police telle que je deduiray au chapitre suyvant. 

dimanche 28 mai 2023

2. 9. De l' Ordre des douze Pairs de France

De l' Ordre des douze Pairs de France, & s' ils furent institués par Charlemagne, comme la commune de nos Annalistes estime. 

CHAPITRE IX.

Comme l' on voit les nageurs être souvent emportez bien loing au fil de l' eauë, avant qu' à force & rames de bras, ils puissent gagner le bord, aussi me suis-je laissé emporter au fil des ans, & d' une longue ancienneté des Parlements Ambulatoires, par une liaison de discours de l' un à l' autre, je suis en fin venu fondre dedans nostre siecle. Parquoy il est meshuy temps que je retourne au port dont je suis sorty, & revienne à la premiere & seconde lignee de nos Roys, pour vous discourir de nos Pairs de France, qui sera le subject du present chapitre.

La plus grande partie du peuple tient pour histoire tres-certaine, que l' Empereur Charlemagne pour asseurer son Estat, & gagner le cœur des siens, donna presque semblable authorité qu' à soy, à douze de ses principaux, à la charge toutesfois de se retenir la principale voix en chapitre. De ceux-cy on en nomme six Laiz, & autant d' Ecclesiastiques: & encore divise le peuple, ceste generale police en Ducs & Comtes: 

C' est à sçavoir les Ducs & Prelats de Rheims, de Laon, & Langres: les Comtes & Evesques de Beauvais: Chaalons & Noyon: les Ducs de Bourgongne, Normandie, & Guyenne: les Comtes de Flandres, Champagne, & Tholose. Veritablement quiconque ait esté inventeur de ceste police (si telle a esté reellement & de fait introduite & observee) il deust être bien grand personnage. Et croy que les premiers qui s' induisirent d' en *attribuer la premiere invention à Charlemagne, furent semonds à ceste opinion, tant à l' occasion de son bon sens, qu' aussi qu' il esperoit par ce moyen se fortifier contre l' ancienne famille de nos Roys de France, sur lesquels Pepin son pere s ' estoit emparé du Royaume. Toutesfois il me semble que ceux qui ont esté de cest advis ne digererent oncques bien la puissance de Charlemagne, ny comment les affaires de France se demenoient de son temps: Car de ma part je ne presteray jamais consentement à ceux-cy. Et croy à bien dire que ce discours ait esté plustost emprunté de l' ignorance fabuleuse de nos Romans, que de quelque histoire authentique. Qu' ainsi ne soit, il est certain que Charlemagne gouvernoit ses pays de l' authorité de luy seul, & non de la necessité des Ducs & Comtes: lesquels pour lors n' estoient que simples Gouverneurs, & tels qu' il les deposoit à sa volonté. Je sçay bien que lors que Charles Martel son ayeul commença de rapporter à sa famille sous le nom de Maire du Palais toute la Majesté de France, plusieurs Ducs se mirent de mesme façon en devoir de faire tomber en leurs maisons les Provinces desquelles ils avoient le gouvernement. Toutesfois ils furent successivement rangez par Martel, puis par Pepin: Tellement que toutes rebellions *effacees, les Duchez furent reduicts selon leur ancienne forme, & donnez & ostez au bon plaisir des Roys de France. Ainsi ce seroit abus de pense que Charlemagne eust voulu avoir pour Pairs ou semblables à soy, ceux qui totalement despendoient de son authorité & puissance. Ce neantmoins pour verifier cecy par pieces, en quel lieu je vous supply trouverez-vous mention de ce temps-là, d' un Duc de Guyenne separé d' avec le Comte de Tholose? certes il ne s' en trouve chose aucune: mais est la verité, que sous le nom d' un Duché d' Aquitaine estoit compris, & ce que nous appellons maintenant Guyenne, & la ville mesme de Tholose. Voire que les Comtes alors & mesmement ceux de Tholose, n' estoient que simples Juges & administrateurs de Justice en chaque ville, comme nous deduirons plus amplement au chapitre destiné pour tel sujet. Davantage, qui est celuy qui ne sçache que l' on ne parloit point adonc de Normandie, ains fut un nom qui depuis sous Charles le Simple commença d' entrer en credit avec l' erection de Duché qui en fut faite en faveur des Normans: Et aussi que la Flandre lors à demy inhabitee & deserte estoit gouvernee seulement par un simple grand forestier. Afin que je n' adjouste à cecy que la police de ce temps-là estoit telle, que ce qui estoit maintenant dit Duché (quand il estoit és mains de quelque Prince gouverneur d' une contree au nom du Roy) en moins de rien prenoit le nom de Royaume, lors qu' il tomboit au partage d' un fils de France. Estant ce Royaume de telle qualité qu' il ne recognoissoit de là en avant autre seigneur que Dieu, & son Roy. En ceste façon voyons nous que le pays d' Aquitaine fut pour un temps appellé Duché sous Charlemagne, puis Royaume quand il en investit Louys Debonnaire son fils, lequel deslors commença de tenir ses Estats à part. Et depuis, cestuy Debonnaire faisant partage general à ses enfans, donna l' Italie à Lothaire son fils aisné, le faisant sacrer Empereur. A Louys son second fils, le Royaume de Bauieres & de la Germanie: & à Pepin celuy d' Aquitaine. Verité est que Pepin estant decedé du vivant de son pere, ceste Aquitaine se trouvant reünie à la Couronne, fut donnee en partage à Charles le Chauve son dernier fils, avec la plus grande partie de ce que nous nommons la France. Semblablement apres la mort de Louys Debonnaire, Lothaire Empereur partageant ses Royaumes à trois autres siens enfans, à l' aisné qui estoit Louys, il donna l' Empire avec le Royaume de Lombardie, à Lothaire qui estoit le second, le Royaume de la Lorraine: & pour Charles son puisné, il fit un Royaume de la Provence, & de partie de la Bourgongne: Et à peu dire, depuis la venuë de Charlemagne jusques sous deux ou trois lignees successivement la Majesté de la maison de France estoit telle, que les enfans de nos Rois s' entrepartageoient les Provinces par forme d' Empire ou de Royaumes, & non par forme de Duchez. Et ne lit-on point de la lignee de Charlemagne aucun enfant masle qui se soit contenté d' un simple nom de Duc ou de Comte, ains de Prince souverain & Roy. Voire que Charles le Chauve, sous lequel toute la grandeur de ceste noble famille n' estoit pas encor' amortie, mais commençoit beaucoup à s' estaindre, donnant le pays de Provence & partie de la Bourgongne qui luy estoient retournez par le decés de ses neveux, à Bosson duquel il avoit espousé la sœur, erigea de rechef ces pays en Royaume. Et le premier & le dernier d' entr' eux tous, si je ne m' abuse, qui prit la qualité de Duc, fut celuy Charles que Hugues Capet desherita du Royaume: Mais les affaires de la France avoient desia pris toute autre forme qu' au precedant, ainsi que je discourray cy apres. De sorte que pour retourner à mon but, c' eust esté une police frustratoire, si Charlemagne eust voulu faire douze Pairs de ceste marque, pour en anichiler la coustume à un instant, & à un simple partage qu' il eut fait entre ses enfans. Et qui m' induit encores à ceste opinion, c' est que combien que dans Theodulphe, qui fut du temps de Charlemagne, & dans Aimoïn, soit faite frequente mention des Parlements qui estoient adonc tenus, si n' ay-je jamais leu que les Ducs y assistassent en ceste qualité de Pairs, comme nous en usons aujourd'huy.

Toutes lesquelles conjectures m' ont tousjours semonds de pense qu' à tort s' estoit le peuple imprimé ceste fole persuasion de rapporter l' introduction de cecy en la personne de Charlemagne. Laquelle chose tout ainsi que je la tiens pour asseuree, aussi est-il fort difficile de pouvoir remarquer le temps sous lequel ceste police de douze Pairs, fut introduitte. Tellement qu' il nous faut en cecy proceder à l' Academique, je veux dire monstrer par bonnes & vallables raisons ce qui n' est pas, & timidement asseurer ce qui peut estre. Parquoy, pour descouvrir ce que j' en pense, mon opinion est que le mot de Pair s' est insinué entre nous de l' ancienne dignité de Patrice qui fut à Constantinople. Pour laquelle chose deduire tout au long, il faut entendre que sur le declin de l' Empire de Rome, Constantin le Grand voulut introduire, & mettre en honneur la dignité du Patritiat, tout d' une autre façon qu' elle n' avoit esté mise en usage par les premiers peres de Rome, tellement qu' elle ne se donna de là en avant par les Empereurs qu' à leurs favoris & autres personnes qu' ils avoient en grande recommandation. Et de fait, le plus grand honneur dont ils pouvoient caresser un Prince estranger, estoit de luy envoyer l' ordre de Patrice en signe de confederation & alliance. Ainsi lisons nous que l' Empereur Anastaise l' envoya au grand Roy Clovis: Et quand Adalgise fils de Didier Roy des Lombards se fut retiré vers Constantin Empereur de Constantinople, il ne le peut mieux honorer que de l' aranger au nombre de ses Patrices. Et envoyoient cest Estat avec un grand appareil de langage, dont le formulaire est inseré au sixiesme des Epistres de Cassiodore. Je ne puis presque mieux comparer cet Estat qu' à l' ordre de S. Michel, que donnent aujourd'huy nos Roys à ceux ausquels ils veulent gratifier, ou pour la faveur qu' ils leur portent, ou pour la vertu qui est en eux. Car tout ainsi que les Chevaliers de S. Michel n' ont en consideration de leur Ordre autre commandement sur le peuple, (ainsi en estoit-il quand je mis premierement ce livre en lumiere) sinon que par là ils se ressentent en quelque chose de la Majesté de nostre Prince, aussi ces Patrices n' avoient autre prerogative sur le *commun, sinon qu' ils attouchoient de bien pres la personne d' un Empereur. Et outre plus, entrans en ceste dignité, par la teneur de leur privilege, ils estoient absous & affranchis de la puissance de leurs peres. Or ny plus ny moins que ces Patrices aprochoient de pres la lumiere & splendeur des grands Empereurs, aussi leur estoient les grandes charges commises. Non vrayement à cause de l' estat de Patrice, ains pource que le Patritiat ne se donnoit gueres qu' à ceux qui estoient les mieux aimez & cheris. En sorte que petit à petit pour-autant que d' ordinaire on ne donnoit les Provinces en maniement qu' à tels Patrices, il escheut par succession de temps que les Gouverneurs des Provinces furent de quelques-uns appellez de ce nom de Patrice. Ainsi appelle-l' on ce grand AEtius qui combatit Atille aux champs Catalauniens, le dernier Patrice des Gaules: Voire que ceux mesmes qui pendant les troubles de la Republique occuperent le Gouvernement d' Italie, & qui à nom ouvert ne s' osoient nommer Empereurs, s' appellerent Patrices de Rome. De telle marque sont Auite (Avite), Maiorian, & autres, jusques à Augustule, qui fut chassé par Odoacre Roy des Hetuliens. Et certes tout de la mesme forme que ces Empereurs userent du Patritiat, aussi nos vieux Roys François voulurent practiquer le semblable pour recompenser les Courtizans qui estoient à leur suitte. Et en ceste façon Gregoire de Tours au quatriesme livre de ses histoires, dit, que Gontran Roy d' Orleans degrada un personnage nommé Agrecula, de l' honneur de Patritiat, & donna ceste dignité à Celsus: & qu' un Gentil-homme nommé Mommole fut orné de ce mesme Ordre par le mesme Roy. Sainct Gregoire au douziesme de ses Epistres escrit à Aschelpiodate, Patrice des Gaules, qui tenoit le premier rang pres du Roy de France son maistre. Voire qu' à l' imitation des Romains, commencerent nos Roys à donner les grands gouvernements aux Patrices. Dont vint qu' on usa puis apres des mots de Patrices, & Ducs indifferemment, pour Gouverneurs de Provinces. Pour laquelle cause Aimoïn au 3. livre est autheur, que le mesme Gontran au vingt-septiesme an de son regne fit Landegisile Patrice de la Provence: Et au quatriesme il dit qu' apres que Clotaire II. eust regné trente ans, il fit Garnier, par le moyen duquel il estoit parvenu au Royaume d' Austrasie, Maire de ce pays-là, & donna semblable estat à Rhadon en la Bourgongne. Et au pays Ultrajurain, c' est à dire, qui est outre la montagne de Jura, il institua Herpon Patrice. Et au mesme livre il fait mention d' un autre Patrice Ultrajurain, nommé Guillebaud. Ausquels trois passages Patrice se prend pour Duc & Gouverneur: Et au mesme livre, je trouve qu' il appelle Hunold Patrice d' Aquitaine, lequel peu apres il nomme Duc du mesme pays. Vrayement je ne fais aucune doute qu' aux generaux Parlements que tenoient Pepin, Charlemagne, & ses successeurs, tels Ducs & Patrices ne tinssent l' un des premiers degrez, comme ceux ausquels estoient commises les grandes Provinces en charge. Et qu' au lieu de Patrices ne les ayons appellez en nostre vulgaire Ducs & Peres, comme j' ay leu dans une vieille histoire Françoise, & depuis par abreviation Ducs & Pairs de France (ainsi que nous voyons d' un Magister Palatij, avoir esté fait un Maistre, & depuis Maire du Palais.) A l' imitation desquels quand les Ducs & Comtes se firent perpetuels, ils commencerent semblablement (pour authoriser d' avantage leurs Cours) d' appeller leurs grands Barons Pairs, & leur donner voix & assistance en leurs jugemens: comme nous voyons avoir esté anciennement practiqué au Duché de Normandie, Comtez de Champagne & de Flandres. Et est chose digne d' être icy remarquee en passant, que le Comte de Champagne eut sept Comtes pour Pairs qui estoient obligez de se trouver toutes & quantesfois qu' il vouloit tenir ses Grands jours dans sa ville de Troye: les Comtes de Joigny, Retel, Portian, Brienne, Bresne, Grandpré, Roussy, desquels le Comte de Joigny estoit le Doyen. Et en cas semblable les mediocres Seigneurs, qui veulent ordinairement se composer à l' exemple des plus grands, establirent en plusieurs endroicts semblables formes de Pairries, que nos ancestres, au long aller & par corruption de langage appelloient Pares curiae, desquels est fait frequent recit dans les anciennes loix des Lombards, qui ont esté en partie mendiees des nostres: & encores en voyons nous pour le jourd'huy quelques observances en plusieurs particulieres coustumes de ce Royaume, comme en celles du Bailliage d' Amiens, & Seneschaussé de Pontieu. Qui a esté cause que quelquesuns ont voulu tirer en conjecture que l' invention de douze Pairs de France fut apportee du pays de la Germanie, par les François, Lombards, & autres peuples Germaniques. Estimans que tout ainsi qu' és fiefs, les anciens François eurent leurs Pairs, aussi les Duchez & Comtez s' estans renduës patrimoniales, nos Roys sur le modelle ancien des fiefs voulurent faire sous leur Couronne, un establissement de Pairries, telles que nous les voyons aujourd'huy. Toutesfois j' ay quelque raison qui me semble corrompre vray semblablement ceste opinion, d' autant que je ne voy point ces Pairs être venus en usage, en matiere feodale, sinon lors que les fiefs commencerent à se perpetuer aux familles, qui est depuis la venuë de Capet. Aussi n' est il pas à presumer, si ceste police eust esté entre les François quand ils arriverent és Gaules, que nous n' en eussions eu quelques enseignements & addresses, par nos anciennes Histoires aussi bien que du Patrice & Patritiat, ce que toutesfois je ne trouve point: Bien sçay-je qu' au troisiesme livre des Ordonnances de Charlemagne, article soixante-cinquiesme, il semble y avoit un passage respondant à ceste opinion. Quicunque ex eis qui beneficium Principis habent, Parem suum contra hosteis communes in exercitu pergentem dimiserit, & cum eo ire vel stare noluerit, honorem suum perdat. Tout homme ( dit-il) ayant un fief du Prince, qui aura delaissé en la guerre son Pair, s' acheminant contre l' ennemy, & qui ne voudra aller ou demourer avecques luy, qu' il foit desapointé de son Estat & honneur. Lequel lieu quelques uns veulent rapporter aux Pairries que l' on pratique aux fiefs, toutesfois, selon mon jugement, jamais l' intention de Charlemagne ne fut telle. Et de fait, entre toutes les Loix & Edicts de cest Empereur, & du Debonnaire son fils, posé qu' il foit fait infinie mention des benefices ou fiefs, & semblablement des vassaux & beneficiers, ce neantmoins ce passage est le seul & unique auquel l' on trouve ce nom de Pair, és endroicts qui traittent de ces benefices. Tellement que je ne me puis persuader aisément si les Pairries eussent esté deslors en vogue és matieres feodales, que nous n' en eussions plusieurs autres sentimens par les mesmes loix. Parquoy mon advis est que ce que l' Empereur Charlemagne defend au vassal de ne laisser son Pair en la guerre, c' est une police militaire, par laquelle il commande à ses vassaux qui estoient tenus quand la necessité se presentoit de porter les armes (comme encores ils sont aujourd'huy) ne laisser leurs compagnons & convassaux à la guerre, sur peine de privation de leurs fiefs. Prenant ce mot Pair, selon sa vraye & naïue signification, sans qu' il pensast oncques de le retirer à l' ordre & police des Pairs. Et en ceste mesme façon est prise ceste diction au quatriesme livre des mesmes Ordonnances, article soixante & dixseptiesme, lequel livre est destiné pour les loix de Louys le Debonnaire. Ut in hoste nemo Parem suum vel quemlibet alium hominem bibere cogat. Nous deffendons (dit-il) à tous estans au camp d' inviter de boire leurs Pairs, ny aucuns autres quels qu' ils soient. Vrayement je croy que tout homme de bon cerveau me passera condemnation, que l' Empereur le Debonnaire ne voulut point lors deffendre à ses vassaux de boire d' autant à leurs Pairs, ainsi que nous le prenons aujourd'huy, ains que son intention fut pour bannir l' yurongnerie de son Camp, de prohiber à tous soldats de n' inviter à boire tant leurs Pairs & compagnons, que tous autres, jaçoit qu' ils ne fissent profession des armes. Et en la suite de l' histoire de Aimoïn, quiconques ait esté celuy qui ait voulu accommoder son labeur sous le nom de cest Historiographe, au chapitre trente-huictiesme du cinquiesme livre, couchant de mot à mot les articles de la tresue qui fut juree entre le Roy Louys le Begue, & Louys Roy d' Allemaigne son cousin, l' on trouve ces deux grands Roys qui ne dependoient en rien l' un de l' autre, en avoir usé de mesme façon. Ut autem, quia firmitas amicitiae & coniunctionis nostrae quibusdam causis praepedientibus esse non potuit, usque ad illud Placitum, quo simul ut conveniamus statutum habemus: talis amicitia inter nos maneat, Domino auxiliante de corde puro, & conscientia bona & fide non ficta, ut nemo suo Pari vitam, regnum aut fideles suos, vel aliquid quod ad salutem seu prosperitatem ac honorem regni pertinet, discupiat aut male conciliet. Ut si in alterutrius nostrum regnum pagani seu pseudochristiani insurrexint, uterque veraciter suum Parem, ubicunque necessitas fuerit, si ipse rationabiliter potuerit, aut per semetipsum aut per fideles suos, & consilio & auxilio, ut optimè possit, adiuvet.

Qui est à dire, Et pour-autant que nous ne pouvons pour le present jurer une amitié ferme & stable à jamais (pour quelques raisons qui l' empeschent) jusques à ce que nous nous soyons trouvez au pour-parler que nous avons conclud ensemble: Ce temps pendant toutesfois demeurera entre nous, Dieu aidant, la presente confederation de bon cœur, sincere conscience, & sans hypocrisie. Sçavoir est que nul de nous ne s' estudiera d' oster la vie à son Pair, son Royaume, ou ses fideles & vassaux, ou attenter chose aucune qui se peut tourner à son deshonneur ou dommage: & si peut-être les Payens ou faux Chrestiens couroient sur les marches de l' un ou l' autre de nous, en ce cas chacun d' entre nous sera tenu sans dissimulation ou feintise porter conseil & aide à son Pair, si le peut bonnement faire, ou par luy ou par l' entremise de ses subjects feaux, le tout au moins mal qu' il pourra.

En tous lesquels passages l' on voit que le mot de Pair est pris pour compagnon seulement. Et à tant il me semble le semblable avoit esté fait en ce soixante-cinquiesme article des Ordonnances de Charlemagne: Ne me pouvant faire accroire (comme j' ay deduict cy dessus) si la police des Pairs eust lors esté en essence és Benefices & Fiefs, que nous n' en eussions eu plusieurs autres instructions & memoires du mesme Empereur, les Ordonnances duquel sont presque la plus grand part du temps voüees à traitter de ces Benefices & Fiefs.

Toutes lesquelles choses j' ay voulu deduire en passant: Parce que je voy quelques doctes personnages contrevenir à mon opinion: estimans que non des Patrices, ains des Pairs qui se trouvent observez és Fiefs ayent esté introduicts nos douze Pairs de France: Parquoy pour reprendre mon premier but, que la necessité du present discours m' a fait eslongner de l' œil, je ne fais aucune doute que du temps de Charlemagne, & de toute sa lignee, ces Ducs & Patrices de France que j' appelle Pairs ne fussent en tres-grand credit, & que pour ceste cause ils ne tinssent les premieres seances aux Parlements & generales Assemblees qui se tenoient par nos Roys: toutesfois il ne me peut entrer en la teste que ceste generale police des douze Pairs, tant celebree par la bouche de tous, fut ny du temps de Charlemagne, ny long temps apres en usage. Reservant au chapitre suivant de discourir comment, & en quel temps je pense qu' ils prindrent leur origine.

samedi 1 juillet 2023

5. 1. Des admirables exploits de guerre du grand Roy Clovis,

LIVRE CINQUIESME.

Des admirables exploits de guerre du grand Roy Clovis, forlignement de sa posterité, & comment la Couronne de France fut transportee de sa famille, en celle de Charles Martel.

CHAPITRE I.

Clodion deuxiesme Roy des François mourant, laissa trois petits Princes ses enfans, Ranchaire, Renaut, & Aulbert, sous la conduite de la Royne leur mere, & cognoissant la foiblesse du sexe de la mere, & du bas aage de ses enfans, il leur ordonna pour Gouverneur Meroüee sien parent, grand Capitaine. Lequel prenant cette occasion à son advantage, se feit proclamer Roy des François. De maniere que la pauvre Princesse fut contrainte de se blotir avecques ses enfans dedans quelques villes du pays bas, conquises par le feu Roy son mary, où ils prindrent le nom & tiltre de Roys de Cambresy, Tournay, & Colongne: mais au petit pied. Tiltre qui ne leur fut envié par Meroüee, comme celuy qui pour avoir les forces en main, aspiroit à plus hauts desseins, se promettant de s' habituer avec les siens à bonnes enseignes dedans le pays de la Gaule, comme il feit. Ce Prince se trouva si brave guerrier, que de luy la premiere famille de nos Roys fut appellee Meroüingienne, & eut pour son successeur Childeric son fils, pere de nostre grand Roy Clovis, qui arriva à la Couronne aagé soulement de quinze ans. Et deslors par un fort instinct de nature qui le poussoit au fait des armes, il commença de nourrir de grandes ambitions & esperances en son ame. En quoy il ne fut aucunement deceu de son opinion. Les Romains avoient souvent harcelé par guerres les Germains, depuis appellez Allemans, toutes-fois n' y avoient jamais sceu bailler attainte apoint, quelques hypocrisies, dont les Empereurs voulussent revestir de fois à autres leurs grandeurs, se surnommans tantost Germaniques, tantost Allemaniques, comme s' ils se fussent rendus Maistres & Seigneurs de leurs pays, dont toutes-fois vous n' en trouverez aucune remarque precise dedans l' ancienneté. Au contraire jamais Auguste premier Empereur ne receut telle escorne, & affliction en son esprit, que quand Varenus son Lieutenant general en la Gaule perdit trois legions Romaines contre le Germain. A quel propos tout cecy? Pour vous dire que ce grand trophee estoit par les Cieux reservé à nostre Clovis; lequel en la journee de Tolbiac obtint une si sanglante victoire contre eux, que depuis il leur fut presque impossible de se relever & furent contraincts d' avoir recours à Theodoric Roy des Ostrogots dedans l' Italie, qui se rendit intercesseur pour eux par les œuvres de Cassiodore, & obtint pour eux une partie de ce qu' il desiroit. S' estimant cette Province tres-heureuse d' estre tributaire de ce grand Roy Clovis. Au regard de la Gaule, elle estoit sur l' advenement de ce Prince commandee par quatre diverses nations. L' Aquitaine par le Visigot, le Lyonnois qui n' estoit de petite estenduë par le Bourguignon, la ville de Soissons avecques ses despendances & appartenances par le Romain: Et le demeurant par les François partializez en deux ligues: 
L' une des Meroüingiens qui avoient la plus grande part au gasteau: 
L' autre des Clodionistes qui avoient la moindre. Et tous les peuples y habitans estoient gouvernez par trois diverses Religions (permettez moy pour m' expliquer d' user de ce mot, encores que des trois il n' y en eust qu' une qui meritast d' estre nommee Religion) la Catholique, l' Arrienne, & la Payenne. La Catholique estoit d' une longue main & ancienneté, exercee par l' ordinaire des Prelats, & du commun peuple de la Gaule, l' Arrienne par les Princes Visigots & Bourguignons, qui diversement affligeoient leurs sujets sur ce sujet, estans par ce moyen plus craints qu' aymez: La Payenne par les François, tant de l' un que de l' autre party.

Il falloit que nostre Clovis, auquel les mains demangeoient, eust des pretextes coulourez pour attaquer les Princes de ces nations. Ces pretextes ne luy manquoient, horsmis contre ceux qui estoient les moindres en puissance, je veux dire les Princes issus de Clodion. Nos anciens Evesques, Abbez, & Religieux qui prindrent la charge de nostre Histoire, nous representent Clovis pour un Prince accomply de toutes les pieces qu' on pouvoit desirer en un grand guerrier: Chose tres-vraye. Ils y adjoustent une grande devotion, dont je douterois, n' estoit que je ferois conscience de desmentir la venerable ancienneté. Bien diray-je (& je supplie le Lecteur de le prendre de bonne part) que dedans sa Religion il y avoit beaucoup du sage-mondain, & de l' homme d' Estat, comme ses effects nous en porterent tesmoignage.

Estant nourry en l' Idolatrie Payenne, il fut souvent prié, sommé, & sollicité par la Royne Clotilde sa femme, de vouloir pour le salut de son ame espouser la Religion Chrestienne, mais quelle des deux, de la Catholique ou Arrienne, c' est en quoy je suis empesché. Car je ne trouve point estre expressément specifié par nos Historiographes, laquelle des deux estoit par elle embrassee, & ce qui m' appreste encores plus à penser, est; que je la voy dés sa naissance & enfance, nourrie par le Roy Chilperic son pere & la Royne sa mere, & apres leurs decez par le Roy Gondebaut son oncle, Princes & Princesses Bourguignons infectez de l' heresie Arrienne. Je ne veux pas vous debiter cette opinion pour veritable; ja à Dieu ne plaise que je croye la Royne Clotilde avoir esté autre que Catholique, ains me suffit de vous dire que Clovis se trouvant pressé par son ennemy Alleman en la bataille de Tolbiac, ayant fait vœu, en cas qu' il obtint la victoire, de se reduire au sein de nostre Eglise, il se choisit pour parrein & instructeur de sa conscience S. Remy Archevesque de Rheims (Prelat tres-Catholique entre tous les Prelats de la Gaule) soit qu' il fust à ce poussé par la volonté expresse de Dieu, comme il nous est plus seant d' ainsi le croire, ou par un trait de prudence humaine, n' estant pas un petit secret aux Princes nouveaux conquereurs, ou qui projettent de conquerir de symbolizer en religion avec leurs sujets. Tant y a que sur ce pied de la Religion Catholique, il seroit malaisé de dire combien il se donna d' avantages. Car premierement, ce luy fut beau pretexte de guerroyer le Bourguignon, puis le Visigot pour extirper l' Arrianisme de la Gaule: & en apres un merveilleux advancement contr'eux, qui possedoient les biens, terres, & domaines de leurs Royaumes, mais non le cœur de leurs subjets. Et Clovis tout au rebours auparavant ses victoires estoit entré en pleine possession, & joüissance des cœurs, tant des Ecclesiastiques, que du demeurant du peuple Gaulois.

Ayant premierement exterminé le Romain, contre lequel la haine commune des nations estranges combattoit, puis le Visigot, rendu le Bourguignon tributaire. Bref, reduit sous son obeissance toute la Gaule, depuis appellee la France, fors & exceptez quelques petits eschantillons, qui estoient sous la domination des successeurs de Clodion, Clovis n' avoit aucun sujet de les envahir, tant pour le peu de pays par eux possedé, que pour n' avoir jamais receu d' eux aucune injure. Au contraire avoit esté secouru par Ragnacaire en la bataille, contre Siaisre Romain, & par Sigebert en celle de Tolbiac, où il avoit esté fait bourgeois, tous deux petits fils de Clodion.

Toutesfois prevoyant que par traite de temps, la memoire du tort qui leur avoit esté fait par Meroüee son ayeul, se pourroit ramantevoir contre sa posterité, il se voulut lascher toute bride, & sans marchander donna ordre de faire assassiner Ragnacaire, Cacaric, & Sigebert ses parens, Roys issus de l' estoc & ligne de Clodion. Voire ne doubta de mettre en œuvre la main du fils contre le pere. Car il est certain que par son Conseil Sigebert Roy de Colongne chassant, fut assassiné par l' entremise de son fils unique, à l' instigation de Clovis, & le fils tost apres par gens attitrez par Clovis. Je ne vous dy rien en tout ce narré que je ne le tienne en foy & hommage de nostre Gregoire Evesque de Tours, au deuxiesme Livre de nostre Histoire, Chapitres quarante, quarante & un, & quarante & deuxiesme. Cruautez certes barbaresques, & indignes d' un Chrestien, par le moyen desquelles il s' impatroniza du peu de pays que ces pauvres Roys possedoient. Chose qui me feit presque croire, que quand recevant le S. Sacrement de Baptesme, il se feit Catholique & non Arrien, il y avoit en luy plus de la sagesse mondaine, que de la devotion, pour la raison par moy cy-dessus touchee.

En ces grands coups d' Estat, tels que ce dernier de Clovis, il faut tout ou rien, & non y besongner par moitié: comme ce grand Roy avoit fort bien recogneu. Car ayant nettoyé le pays de ces trois Princes, qui auparavant leurs meurtres estoient autant d' espines à son opinion, il commença en communs propos de condamner ses soudainetez, comme s' il en fust venu au repentir. Disant que par ses conseils precipitez, il s' estoit forclos de tout confort & ayde, qu' auparavant il pouvoit tirer de ses propres parens en cas de malheureux succez contre ses ennemis. Protestation par luy faite, non à autre intention (dit Gregoire) que pour attraper ceux qui par une sotte creance eussent voulu sous cet appas estre enregistrez dedans ce Calandrier.

Plus grand & sage conseil ne pouvoit estre par luy pris selon le monde, pour la conservation de son Estat, que cestuy, si vous en parlez à Machiavel, & ses escoliers. Or voyez je vous prie comme la sagesse du monde est une vraye follie envers Dieu. La posterité de Clovis venant par succession de temps à forligner, les uns par la foiblesse de leurs sens, les autres par la foiblesse de leurs ans, les Maires du Palais ayans peu à peu empieté l' authorité Royale, pendant que nos Roys par leur fetardise se blotissoient en leurs serrails, pour donner lieu à leurs voluptez, Dieu voulut que la Mairrie apres avoir changé de diverses mains aux despens du sang d' uns & autres., aboutit finalement en Pepin, rejetton de la famille de Clodion: Et voicy comment. Le troisiesme des enfans de Clodion nommé Aubert eut un fils du nom Waspert, duquel nasquit Ausebert, seigneur en partie de la Mosellane, lequel voyant de quelle façon ses cousins estoient mal menez par Clovis, pour eschever ce coup s' enfuit à Rome, où estant recogneu pour Prince du sang des François, fut par le Roy Theodoric fait Senateur de Rome. La fureur des meurtres esteinte par la mort de Clovis, ce pauvre Prince fugitif trouva moyen d' estre reintegré en ses biens: Et lors quittant la qualité de Roy, cause de la ruine des siens, se contenta de celle de Senateur Romain, qu' il continua jusques au dernier souspir de sa vie. Cestuy fut pere d' Arnoul grand personnage au pays d' Austrasie, tant en bonnes mœurs que doctrine, Precepteur du Roy Dagobert pendant son bas aage, & depuis Maire de son Palais, & sa femme estant decedee fut pour sa preud' homie & saincteté fait Evesque de Mets. C' est celuy dont la posterité a canonizé la memoire, & en l' honneur duquel fut fondee l' Abbaye de sainct Arnoul, dedans la ville de Mets. De son mariage nasquit Ansegise qui espousa Becca fille unique de Pepin le Vieux, grand Seigneur dedans le pays d' Austrasie. Tous ces Seigneurs selon les occasions & rencontres, furent ores Maires du Palais d' Austrasie, où ils avoient pris leur naissance, ores de la Westrie, que nous appellons la France: Ores de l' un & l' autre Royaume. D' Ansegise & Becca nasquit Pepin le Gros, Prince sage & de valeur, qui apres avoir couru diverses fortunes, fut en fin Maire des deux Royaumes, au gré & contentement de tous les peuples. Cestuy ayant par son testament ordonné que Dreux son fils legitime, engendré de Plectrude son espouse, fust Maire du Palais de nostre France, & Charles Martel son fils naturel fust Maire du Palais d' Austrasie. Dreux estant allé de vie à trespas delaisse Theodoric son fils jeune Prince, Plectrude son ayeule donna ordre de faire mettre en prison Charles Martel dedans la ville de Coulongne, comme n' estant raisonnable qu' un bastard succedast à si grande charge. Et adoncques elle tint seule quelque temps le gouvernail de toutes les affaires des deux Frances. Histoire vrayement piteuse, & lamentable, qui nous monstre au doigt & à l' œil, de quel poids estoit lors la Majesté de nos Roys, puisque une Dame, veufve d' un Maire du Palais, non mere de Roy, prit la hardiesse sous le pretexte d' un enfant son petit fils, de vouloir commander à la France.

C' est pourquoy premier que de passer outre, je vous prieray me permettre de faire icy cette entreligne, pour puis reprendre à mon point le fil de cette genealogie, & y mettre fin. Les affaires de nostre Couronne estoient lors arrivees en tel desarroy, que les Maires du Palais n' ayans corrivaux, laissoient leurs Mairries à leurs enfans, comme Seigneuries hereditaires, ou bien en disposoient par leurs testamens comme il leur plaisoit, sans attendre le gré de leur Roy: Et leur suffisoit qu' ils eussent un Roy à leur poste, qui leur servist de pretexte à l' exercice de leurs Mairries, c' est à dire de leurs volontez. Apres le decez de Clovis, & Clotaire premier, vous voyez par deux diverses successions nostre Royaume avoir esté partagé en quatre lots: Paris, Orleans, Soissons, & Mets. Et lors la proximité du sang n' empeschoit qu' il n' y eust guerres civiles, entre les freres, oncles, & nepueux, par une convoitise detestable d' enjamber les uns sur les autres: Mais depuis que la faineantise commença de se loger en leurs ames, point, ou peu de guerres entr'eux dedans nos anciennes Histoires: Mais prou entre les Maires du Palais pour leur dignité. La plus part des Princes du sang estoient nourris à petit bruit, prés des Roys, ou és Moineries, pour en estre tirez comme d' un reservoir, par les Maires du Palais, lors que leur garand leur failloit par mort, & qu' il estoit besoin d' asseurer leur grandeur par un nouveau masque. Voire supposoient quelquesfois un faux Roy, sous l' authorité duquel ils exerçoient leurs tyrannies.

Il falloit que je donnasse air à ma juste douleur par ce discours. Or pour reprendre la suite de mes premiers arrhemens, la regence de Plectrude ne dura pas longuement. Car Charles Martel ayant trouvé les moyens de sortir de prison, luy qui fut un autre Clovis en proüesse dedans sa famille, sceut si bien mesnager sa fortune, tant contre cette Princesse & son fils, que par deux fois contre les Sarrazins, & en apres contre Eude Duc d' Aquitaine, puis contre les Seues (Sueves) & Saxons, que non seulement la qualité de Maire du Palais luy fut accordee, sans controlle d' aucun Seigneur, mais qui plus est en plein Parlement, & assemblee des premiers Seigneurs, fut declaré Prince de toute la France. Et de faict, luy estant decedé, ores que non Roy, fut enterré en l' Eglise S. Denys, tombeau venerable & magnifique de nos Roys, & son effigie honoree d' une Couronne, tout ainsi que s' il eust esté Roy.

Il mourut ayant deux enfans grands guerriers, Carloman, & Pepin, delaissant par son ordonnance & derniere volonté à l' aisné la Mairrie de l' Austrasie, & au puisné celle de France. Freres qui par un vœu commun, & devotion pour le soustenement de l' Estat feirent plusieurs beaux exploits d' armes. Vray que quelques anees apres Carloman se fit Chevalier de Dieu, & se rendit Moine de l' Ordre de sainct Benoist en Italie, au Mont Cassin: Demeurant par ce moyen tout le maniement des affaires, tant de la France, que de l' Austrasie, pardevers Pepin son frere, qui leva à la fin tout à fait le masque, & sceut si bien joüer son rolle, ayant pour protecolle le Pape Zacharie, qu' il confina le Roy Childeric son Seigneur (dernier de la lignee de Clovis) en une vie monastique, & tout d' une suite fit tomber la Couronne de France entre ses mains. Or en luy prit commencement la Royauté de la seconde famille de nos Roys, depuis appellé Carlienne, en commemoration de Charles Martel, premier fondement de ceste grandeur, tout ainsi que la premiere avoit esté nommee Meroüingienne du Roy Meroüee. Je vous ay estalé en petit volume cette grande & longue histoire, ainçois tragedie d' octante huit ans, pour vous monstrer combien estoit de grand sens nostre Roy Clovis, quand il preveut que la lignee de Clodion pourroit à la longue supplanter la sienne, & pour y obvier fit assassiner trois Roitelets de cette famille, par moy cy-dessus touchez. Toutesfois il n' y peut si bien pourvoir que sa prevoyance ne fust renduë illusoire par un juste jugement de Dieu. Ce qui fut par luy executé contre les Princes Clodionistes, fut un grand coup d' Estat, & ce qui advint à Pepin un grand coup du Ciel. Belle leçon certes à tous Princes, pour leur enseigner de ne separer les affaires d' Estat, d' avec celles de Dieu, & tous les miracles dont nos Moines ont gratifié la memoire de nostre Clovis, particulierement cestuy. Non toutesfois qu' il faille rejetter ce qui en est escrit: Car Dieu souvent exerce ses miracles, non en consideration des Roys, ains du Royaume qu' il favorise. Ainsi veit-on un Saül fils de Cis meneur d' asnes, prophetiser entre les Prophetes, quand Dieu l' eut destiné à regner sur le peuple d' Israël. Ainsi Vespasian fit des miracles en la Palestine, apres qu' il eut esté nommé Empereur par le Senat, ores qu' il ne sceust cette qualité luy avoir esté baillee. Et n' est pas hors de propos de croire que Dieu fit le semblable en celle dont nous avons cy-dessus parlé, Dieu voulant par son caractere de Baptesme exalter les Roys de France en grandeur.

lundi 5 juin 2023

3. 8. Des libertez de l' Eglise Gallicane sous la seconde famille de nos Roys.

Des libertez de l' Eglise Gallicane sous la seconde famille de nos Roys. 

CHAPITRE VIII. 

*Estant la grandeur du Pape telle que j' ay cy-dessus discouruë, & infiniment respectee en ce qui dependoit de la foy, pour la grande religion qui tousjours avoit reluy dedans Rome, cela fut cause que Pepin qui avoit la force de France en ses mains desirant faire tomber la Couronne en sa famille, eut recours au Pape de Rome, (ainsi que j' ay deduit en un autre chapitre) par lequel il fut proclamé Roy de France, & apres son decez Charles son fils fut aussi couronné Empereur. Tellement que de là en avant les Papes commencerent de s' accroistre dedans ce Royaume, en prerogative & grandeur d' une autre façon qu' auparavant. Car plus d' authorité leur donnoit-on, & plus l' on confirmoit la Royauté de nouvel adjugee à ceste seconde famille, à la confusion de la premiere. Et lors commencerent aussi de prendre tiltres plus hauts. Parce que tout ainsi que du commencement, ils avoient esté seulement appellez Evesques de Rome, puis Papes: aussi dés lors en avant on commença de les appeller, tantost Apostoles, tantost Apostolics, sans autre suitte de paroles: & eux mesmes quand ils parloient de leurs actions, avoient accoustumé d' user de ceste maniere de parler. Nostre Apostolat ordonne telle, ou telle chose. Outre que cela se remarque fort souvent dans l' ancienneté, il n' y a lieu toutesfois qui soit plus digne d' être noté que de Rheginon Abbé, qui estoit sur la fin de ceste lignee, vers le regne de Charles le Simple. Cestuy au premier livre de son Histoire, où il parle sommairement de la premiere famille de noz Roys, n' a autre mot dans la plume que celuy de Pape quand il parle du siege de Rome: mais quand au deuxiesme, il descend à la lignee de Pepin, tout aussi tost commence-il d' appeller le Pape ores Apostole, ores Apostolic, & sur tout n' use jamais du mot de Pape, qu' il ne l' appelle Pape universel, voire que quelques Evesques ne rendans honneur condigne au Siege de Rome, dit qu' ils blasphemoyent contre le Pape: & encores que ce changement de style procede plus en cest Autheur d' une simplicité Monachale, que de discours: si est-ce que de ceste simplicité nous pouvons recueillir la verité de l' Histoire. Ayant Rheginon escrit de ceste façon selon le moins, ou le plus d' authorité qu' il voyoit avoir esté prise par les Papes, selon la diversité des temps & saisons.

Or combien que l' authorité du sainct Siege Apostolic fut lors tres-grande, si ne faut-il estimer que pour cela s' esvanouist l' ancien usage de noz Concils, ny par consequent de noz privileges, ains furent diversement tenus soubz Pepin, Charlemaigne, & Louys le Debonnaire, sans en rien changer la forme qui avoit esté suyvie soubz noz premiers Roys, voire de plus grande efficace en plusieurs articles. Car entre autres choses il fut celebré un Concil à Verdun, pour la reformation de toutes les Eglises de France, & d' Allemaigne, par lequel en reprenant les arrhemens des anciens Peres, il fut ordonné qu' il n' y avroit en une Eglise qu' un Evesque: que les Evesques obeiroient aux Metropolitains, que l' Evesque avroit toute Jurisdiction sur son Clergé, tant regulier que seculier: Que deux fois l' an on tiendroit Concil en France, les premiers jours de Mars & d' Octobre, en telle ville qu' il plairoit au Roy: Que les Monasteres tant d' hommes que de femmes vivroient selon les reigles de leurs ordres, & s' ils refusoyent de ce faire, que l' animadversion en demoureroit par devers l' Evesque, & par appel par devant les Metropolitains, que le Roy entendoit constituer dessus les Provinces: Que les differends, qui pourroient sourdre entre le Metropolitain & l'  Evesque, seroient vuidez par la decision d' un Concil: Qu' une Abbesse n' avroit qu' une Abbaye, & defense à elle de sortir sinon par necessité, & encores avecq' le congé de son Evesque. Que l' excommunié ne pourroit entrer dedans l' Eglise, ny manger, ny boire avec un autre Chrestien, ny le saluër, ou approcher de luy pour prier Dieu qu' il ne se fust premierement reconcilié avecq' son Evesque. Et si dedans certain temps il ne se mettoit en devoir de faire lever les censures Ecclesiastiques, que l' on implorast le bras seculier encontre luy.

En ce Concil general passerent plusieurs autres articles notables, esquels n' est faite mention des Papes, non plus qu' en ceux qui furent tenus soubz Charlemagne, & Louys le Debonnaire, és villes de Paris, Compostelle, Strasbourg, Arles, Aix, Majence, Tours, Chalon, & autres situees, part en la France, part en Allemaigne, & Espaigne, lesquelles estoient souz la domination de ces deux Roys, & Empereurs. Et par especial est fait grand estat de cinq Concils, qui furent celebrez soubz Charlemaigne. Concilia quinque iussu eius (dit Rheginon, & apres luy Adon de Vienne) super statum Ecclesiarum per totam Galliam ab Episcopis celebrata sunt. Quorum unum Maguntia, alterum Rhemis, tertium Turonis, quartum *Cabilonis, quintum Arebate, congregatum est: & constitutiones, quae in singulis falta sunt, ab Imperatore sunt confirmata, quos qui nosse voluerit, in supradictis civitatibus investire poterit, quanquam & earum exemplaria in archivo Palatii habeantur. 

Les Evesques (dit-il) par le commandement de l' Empereur assemblerent cinq Concils parmy la Gaule, dont l' un fut à Majence, l' autre à Rheims, le tiers à Tours, le quart à Chalon, & le cinquiesme à Arles. Et toutes les constitutions qui furent faictes en chaque Concil, furent confirmees par l' Empereur: desquelles qui voudra avoir plus certaine information, il les pourra trouver en icelles villes, combien qu' il y en ait autant és archifs & thresor du Palais. Passage merveilleusement recommandable, pour montrer que non seulement la police Ecclesiastique de France s' assoit en ce temps là par noz Concils, mais aussi que l' on y requeroit l' authorité du Prince, tant pour l' ouverture, que confirmation d' iceux: Tout ainsi que pour le jourd'huy l' emologation d' une Cour de Parlement: Chose qu' il ne faut pas trouver estrange. Car aussi est-ce la verité que ces Concils, recognoissans prendre authorité par noz Roys, determinoient indifferemment ce qui concernoit tant la police seculiere, que Ecclesiastique. Qui fut à mon jugement cause que le mesme Rheginon, que j' ay cy dessus allegué, confond les mots de Synodus, & Placitum, combien que celuy-là fut seulement destiné pour les Ecclesiastiques, & cestuy pour les Seculieres. De là est pareillement venu qu' Ansegise Evesque reduisant par escrit les anciennes constitutions de Charlemaigne, & Louys le Debonnaire son fils, mesle & le spirituel; & le temporel dans icelles, le tout par un entrelas de puissance, a fin que tout ainsi que noz Prelats, par la tolerance, ou permission de noz Roys, jectoient l' œil quelquefois sur le reglement de la police seculiere, comme si ell' eust esté de leur fonds: aussi le Roy par le consentement general de tous les Prelats se donnoit Loy sur toutes les deux. Car il ne faut faire aucune doute que noz Roys n' eussent adoncques cognoissance de la discipline de leur Clergé. Et c' est aussi ce que nous enseigne Aimoïn au cinquiesme de son Histoire, quand il dict, que le Debonnaire fit publier un livre concernant la discipline Ecclesiastique. Ce dont cest autheur pouvoit seurement parler, d' autant qu' il estoit de ce mesme temps. Or dans ces Loix de Charlemaigne, & Louys, vous y pourrez recognoistre une infinité de sainctes constitutions, dignes de la grandeur de noz Roys. De quelle marque sont celles-cy. Qu' il ne fust loisible à un Evesque de promouvoir à l' ordre Ecclesiastic un Esclave, sans le gré & consentement de son maistre: Que les Vierges que lon vouloit faire Religieuses ne fissent profession qu' elles n' eussent attainct le vingt-cinquiesme an de leur aage: Que nul ne fust faict Prestre, qu' il n' eust trente ans passez, & accomplis: & que pareillement il n' eust esté bien & deuëment examiné: Injonction aux Prestres, c' est à dire aux Curez, de donner à entendre au menu peuple l' Oraison Dominicale, a fin qu' en priant Dieu, il sceust ce qu' il luy demandoit: Que les Evesques fussent éleuz par le Clergé & le peuple: & les Abbez par les Religieux: Commandement aux Evesques d' annoncer la saincte parole de Dieu à leur peuple: defenses de recevoir les enfans Religieux, ou Religieuses sans l' expres consentement de leurs peres: Que les hommes de franche condition ne peussent prendre clericature de l' Evesque sans prealable permission du Roy: & ce pour autant qu' il avoit entendu que plusieurs prenoient ceste qualité, non tant par devotion qu' ils eussent à Dieu, que pour s' exempter des charges seculieres qu' il leur convenoit supporter pour le service du Roy? Que chaque Seigneur fust tenu de nourrir ses mendians invalides sur sa terre & seigneurie, sans permettre qu' ils vaguassent ailleurs: Que les Eglises servissent à tous de franchise: De ne publier legerement, & sans grande cause des censures Ecclesiastiques: De n' ensevelir les morts dedans les Eglises, ains seulement aux Cimetieres: Que les Evesques donnassent ordre d' avoir escholes publiques en leurs dioceses pour l' instruction des enfans aux bonnes lettres. Defenses d' aliener le bien de l' Eglise, & aux Tabellions d' en recevoir les contracts, sur peine de bannissement: Que les dismes fussent conservees aux Eglises: Et plusieurs autres ordonnances de mesme subject que je passe pour briefueté souz silence, par lesquelles vous pourrez voir que ce n' est de ceste heure que noz Roys sont en possession d' avoir l' œil, & intendance sur la police Ecclesiastique.

Toutesfois les affaires de la France ne demourerent pas longuement en cest estat souz ceste famille. Car tout ainsi que toutes choses violentes ne sont jamais de duree, aussi ceste famille estant en peu de temps arrivee en une extremité de grandeur, elle esprouva souz trois Roys, trois aages, sa jeunesse souz Pepin, sa virilité souz Charlemaigne, & sa vieillesse souz Louys le Debonnaire. Car tous ceux qui leur succederent, ne firent, à mon jugement que radoter, ainsi que nous voyons quelques uns par leur aage decrepit tomber au rang d' enfance. Ce ne furent que partialitez, que divisions, tantost entre les freres, tantost entre les cousins, puis avecq' leurs propres subjects, jusques à ce que pour closture de ces tragiques spectacles, ils descheurent en fin totalement de leur Estat, par la promotion de Hugues Capet, soubz la lignee duquel on establit une nouvelle forme de Republique. Pendant lesquelles divisions le Pape qui par la confederation qu' il avoit faite avecq' les trois premiers Roys, communiquoit fort souvent avecq' les François, se donna plusieurs grandes authoritez sur noz Roys, auparavant incogneuës: & encores dessus noz Prelats, lesquels mesmement tournans en abus les Concils anciens de la France, & ce qui estoit de devotion, s' oublierent tant que pour gratifier à l' ambition detestable des enfans Louys le Debonnaire qui ne feit jamais faute aux siens que par une trop grande simplicité, que nous avons couvert du mot de Debonnaireté) feirent un Concil à Lyon, quelques uns disent à Soissons, où ils excommunierent leur Roy, & le declarerent incapable, & indigne tant de l' Empire, que du Royaume, permettans à ses enfans de s' en emparer. Ce qui fut apres cher vendu à noz Ecclesiastics. Parce que depuis cest ambitieux Concil, je ne voy plus gueres en usage ceste dignité ancienne de Concils, ou par une juste vengeance de Dieu, pour avoir ainsi temerairement abusé de leur authorité au prejudice de leur Roy, ou bien que les Roys mesmes faicts sages par cest exemple, en voulussent retrancher l' authorité & l' usage. Car combien que l' on celebrast puis apres quelques Concils, si ne furent ils de telle efficace que les anciens. Quoy que foit, depuis ce temps là les Papes gaignerent grande puissance dessus nos Prelats, & au lieu où auparavant quelques uns d' entre eux affligez s' estoient retirez en la ville de Rome comme en une ressource de leurs afflictions pour en tirer quelque honneste support, & ayde, ainsi que firent Maxime, Brice, Salon, Sagitaire, Urcissin, on commença de là en avant d' abreger ce mot, & d' une ressource en faire un ressort, & appeller au Pape des torts & griefs, que les Ecclesiastics pretendoient leur avoir esté faits par leurs confreres. Pareillement le Pape eut souvent des Legats en France, qui s' en faisoient croire. Chose à quoy la porte fut d' autant plus aisec à ouvrir qu' avecq' l' ambition s' estoit en ce temps là logee l' ignorance chez nous. Car Rheginon nous tesmoigne que deux Legats du Pape estans retournez de France à Rome, rapporterent au Pape Nicolas premier, que jamais ils n' avoient trouvé tant d' asnerie, que celle qui estoit lors en nostre Eglise: n' y ayant un tout seul Prelat qui fust sainement nourry aux constitutions Canoniques. Au contraire à peine que Rome eut jamais un Pape de plus grand sens que Nicolas (je n' en excepteray ny Leon premier, ny S. Gregoire) en ce mesmement qui appartenoit à l' accroissement du siege de Rome. J' ay dit en quelque autre endroict qu' entre tous les Papes, il y en eut trois, ausquels la Papauté estoit grandement redeuable, qui furent premiers de leurs noms, Leon, Gregoire, & Nicolas, dont les deux premiers furent par la posterité surnommez les Grands. Leon comme grand Prelat qu' il estoit, pour le respect qu' on luy portoit, fut le premier de tous les Papes qui receut le titre d' Universel au Concil de Chalcedoine, par ceux qui presenterent requestes. Et ores que Gregoire premier combatist fortement contre ce tiltre, craignant que le Patriarche de Constantinople ne le prist, & que par ce moyen il ne se voulust prevaloir d' un degré dessus l' Eglise de Rome, comme celuy qui avoit quelque faveur pres de l' Empereur Maurice: si est-ce que ce grand & sage Prelat Romain couvoit ceste mesme grandeur dans sa poictrine, comme j' ay deduit ailleurs, mesmes qu' en l' une de ses Epistres il soustient que le Constantinopolitain estoit subject au Pape de Rome. Toutesfois ce procez, qui sembloit estre pendu au croc, fut bravement, & hardiment jugé par Nicolas premier, escrivant tant à Michel Empereur de Constantinople, qu' à Phocius Patriarche pour la defence d' Ignace, qu' il jugeoit avoir esté soubs un Concil feint, & simulé mal exterminé de son siege. Car il leur monstre par vifves raisons que le sainct siege Apostolic estably dedans Rome, ville par les anciens nommee Eternelle, tenoit ses privileges, non par emprunt d' un Concil de Constantinople, ou de Chalcedoine, ains en proprieté de Dieu, & de la saincte Escriture. Partant qu' il n' estoit en la puissance d' aucun Prince terrien de les deraciner. Qu' à S. Pierre, duquel luy, & les Papes estoient vicaires, avoit esté baillee puissance de par Dieu universellement sur toutes les Eglises du monde, & que le seul mot de l' Eglise Romaine contenoit ce que ce grand seigneur vouloit être compris sous le nom de toutes les Eglises, desquelles pour ceste cause luy appartenoit avoir le soin. Qu' il n' y avoit en tout cest Univers, auctorité quelle qu' elle fust, qui se peust parangonner à l' Apostolique, & que ce qui s' estoit passé par jugement, ne pouvoit être en aucune façon retracté. Que les anciens Canons avoient voulu que de tous les Climats du monde on peut appeller au sainct Siege de Rome, mais que nul ne pouvoit appeller de luy. Et adjoustoit puis apres, que nulle reigle, nulle coustume n' enseignoit que l' on peust sans l' expres consentement du Pape anuller une sentence par luy donnee. Bien la pouvoit-il luy mesmes reformer selon l' exigence des affaires. Que de toute ancienneté les Papes estoient en possession de ceste grandeur dés le bers mesme de nostre Eglise. Qu' ainsi Victor, qui n' estoit grandement eslongné du temps des Apostres, avoit excommunié les quartodecimains de l' Asie: Que Jules avoit donné assignation à Athanaise, & ses Coevesques de comparoir à Rome par devant luy: A quoy liberalement ils obeirent. Que Felix avoit destitué Acarius de son Evesché de Constantinople: & Agapit condamné Antoine Evesque du mesme lieu. Pour ces causes, que ce qui estoit ordonné par le S. Siege de Rome de son propre mouvement, & puissance absolue, ne pouvoit être revoqué en doute, quelque coustume à ce contraire que l' ignorance du temps eust apportee.

Plusieurs autres raisons alleguoit ce grand prelat, authorisees de maints exemples, dont ores que les aucuns peussent recevoir quelque contredit pour l' histoire seulement, si est-ce que qui lira ces discours, il les trouvera pleins de fonds, jugement & entendement, pour le subject qu' il traitte: & si j' ay quelque sentiment en ceste affaire, & que l' on me permette d' y interposer mon jugement, je croy qu' à cestuy appartenoit le surnom de Tres-grand, non qu' il excedast de sens, Leon & Gregoire premiers: mais il en eut autant qu' eux, tant de naturel que d' acquis, és choses, où il vouloit donner attainte. Et outre ce il trouva le temps propre, & favorable, pour mettre à execution ses desseins, qui est le poinct qui nous fait paroistre plus grands entre les hommes. Car * faut pas estimer que Pirrhus & Annibal fussent moindres en vaillance, ou conduitte, qu' Alexandre de Macedoine, ou Jules Cesar: mais lors que les deux premiers heurterent leur fortune contre l' Estat de Rome, il n' estoit encores disposé à prendre coup, pour une infinité de raisons, comme il fut du temps de Jules Cesar, & celuy d' Asie du temps d' Alexandre. Aussi ne fais-je aucune doute que si Leon ou Gregoire fussent tombez sous le siecle de Nicolas, où les affaires de nostre Eglise estoient en desarroy, ils n' eussent fait ce que fist Nicolas, & luy en leurs temps ce qu' ils firent & non plus. Mais puis que cestuy couronna l' œuvre, tout ainsi que ces trois Papes furent premiers de nom, & d' effect, aussi penseroy-je faire tort à l' histoire, si je ne donnois au troisiesme sinon le tiltre de Tres-grand, pour le moins le tiltre de Grand, tout ainsi qu' on fait aux deux autres. 

mercredi 28 juin 2023

4. 20. Dont vient qu' anciennement en la France representation n' avoit lieu tant en ligne directe, que collaterale.

Dont vient qu' anciennement en la France representation n' avoit lieu tant en ligne directe, que collaterale.

CHAPITRE XX.

Je seray en ce Chapitre, & Advocat, & Historien tout ensemble. Tout ainsi que nature nous a separez d' Italie d' un grand entreject de montagnes, aussi sommes nous en une infinité de choses, distincts & separez des propositions de droict. Laissant à part plusieurs autres rencontres, je toucheray seulement ces deux cy, que je me suis mis en butte par ce Chapitre. La representation en matiere des successions, & la Communauté de biens d' entre le mary, & la femme. Si vous prenez le droict des Romains, representation avoit lieu en ligne directe, jusques à une infinité de lignes, chose certes tres-juste: & en succession collaterale, jusques aux enfans des freres & soeurs: Car les nepueux succedoient avecques leurs oncles en souches, c' est à dire, que quatre ou cinq enfans plus ou moins representoient leurs peres & meres: Mais si tous les oncles estoient morts, & qu' il n' y restast que des cousins, la question estoit s' ils succederoient par testes, ou par souches: L' opinion d' Azon estoit d' y parvenir par testes, celle d' Accurse, par souches. Or par le droict ancien de nostre France, nous ne recognoissons aucune representation, tant en succession directe, que collaterale: & le fils excluoit l' arriere-fils és successions des peres & meres, & l' oncle pareillement son nepueu en une succession collaterale. Chose infiniment rude, voire cruelle pour le premier cas, & neantmoins tant approuvee, qu' elle s' observoit en la succession de nostre Couronne. Car il est certain que l' Empereur Charlemagne eut deux enfans, Pepin son aisné, & Louys le Debonnaire puisné: Pepin deceda du vivant de son pere, delaissé un seul fils nommé Bernard, auquel si representation eust eu lieu, devoit appartenir tant le droict d' Empire d' Italie & Germanie, que de la Couronne de France: Toutesfois Charlemagne estant decedé, on ne douta jamais que Louys ne deust estre le principal heritier (comme il fut) & pour tout partage Bernard eut tant seulement l' Italie. Coustume qui se practiqua aussi par toutes les Seneschaussees, & Bailliages de France: Vray qu' estant trouvee trop rude, on y apporta avec le temps quelque moderation & attrempance. De tant qu' és contracts de mariages que l' on faisoit, on avoit accoustumé d' y adjouster cette clause, que là où les futurs mariez iroient de vie à trespas auparavant leurs peres & meres, les enfans qui naistroient d' eux succederoient à leurs ayeuls, & ayeules, avec leurs oncles, nonobstant toutes coustumes à ce contraires. Clause qui fut depuis trouvee devoir operer pour tous les autres enfans: Car s' il fust advenu qu' en mariant l' un des autres enfans on eust oublié d' opposer cette reservation dans leur contract de mariage, toutes-fois il suffisoit que l' un d' entr'eux eust esté autres-fois rappellé, pour faire jouyr de mesme privilege ses autres freres: & ainsi le jugeoit-on par les Arrests de la Cour, jusques à ce qu' aux reformations de Coustumes qui furent faites en l' an 1507. par Monsieur Baillet President, cet article fut biffé, & en son lieu mis, que de là en avant representation avroit lieu en ligne directe in infinitum. La Coustume d' Amiens a encores perseveré en l' ancienne: car combien qu' en l' an 1567. elle fut reformee par Monsieur le premier President de Thou: Toutes-fois par article expres, il est dit que representation n' a lieu en ligne directe, si elle n' est expressément stipulee par contract de mariage. Mais Charles du Moulin en ses Annotations rendant raison de cet article dit fort à propos, que jaçoit que cette Coustume semble de prime-face estrange, si est-elle plaine de raison, pour empescher que les enfans ne se marient sans le consentement de leurs peres & meres. Dedans la Chronique du Moine Sigebert, l' on trouve que cette mesme question ayant esté agitee devant l' Empereur Othon premier, les Docteurs en Droict de la Germanie s' y trouverent tant empeschez, qu' il la convint juger par les armes, & en fin celuy qui estoit pour le party de la representation obtint la victoire.

Et neantmoins cette question advint plusieurs centaines d' ans apres, entre nos Princes François de la Maison d' Anjou, qui tenoient le Royaume de Naples. Car entre les autres enfans masles du Roy Charles deuxiesme, qui furent neuf en nombre, il eut Charles Martel son fils aisné, Louys son second qui fut Evesque de Tholoze, & lequel pour avoir espousé une vie Ecclesiastique ne pretendoit rien en la succession de son pere: Le troisiesme fut Robert Prince de Salerne. Pendant la vie du pere Charles Martel Roy de Hongrie decede, delaissé un fils nommé Charles par les Hongrois, & par les Italiens Carobert, mot composé de Charles & Robert, l' un empruntant le premier de son pere, & le second de Robert son oncle & parrain. Apres la mort de Charles second, Robert se fit investir Roy de Naples par le Pape Clement cinquiesme, tenant son siege en Avignon. Carobert son nepueu pretendoit le Royaume luy appartenir, comme representant au droict d' aisnesse son pere Charles Martel. Il fait adjourner son oncle pardevant l' Empereur Henry septiesme, où l' oncle ne compare: & par son jugement declare la Couronne n' appartenir à Robert. Arrest depuis cassé & annullé par le Pape Clement, fondant sa sentence sur ce que Robert n' avoit esté oüy, & neantmoins luy-mesme estoit tombé en mesme faute, parce qu' il n' avoit oüy Carobert. Quelques Docteurs Italiens pour excuser ce dernier jugement dirent que le Pape avoit esté meu d' ainsi le sententier, d' autant que Carobert se devoit contenter du Royaume de Hongrie, partant qu' il n' estoit pas mal seant d' adjuger celuy de Naple à Robert son oncle Prince sage, pour l' utilité des sujects. Qui eust esté une absurdité telle que le Gouverneur du Roy Cyrus dedans Xenophon declara, Quand deux hommes, l' un grand, l' autre petit, disputerent devant ce jeune Roy, deux robbes, l' une grande, & l' autre petite, sans approfondir la cause il adjugea la grande au grand, & la petite au petit. Sur quoy il fut griefvement repris & blasmé par son gouverneur: luy disant que la cause avoit deu estre par luy jugee, non sur un droict de bienseance, ains sur le merite du droict de portion. C' est pourquoy je veux croire que l' Empereur jugeant contre Robert, establit son jugement sur la representation du pere, & le Pape sur la proximité du sang. Tellement que chacun d' eux à son endroit avoit quelque grande apparence de raison au soustenement de son opinion. A quoy j' adjousteray ce mot en passant par forme de remplissage, & peut estre ne sera ce discours oiseux. Carobert mourant laissa deux enfans, Louys son aisné Roy de Hongrie, & Audrasse son puisné. D' un autre costé Robert n' eut qu' un fils nommé Charles dit Sans-terre qui le preceda, delaissees trois filles, Jeanne, Marie, & Marguerite: Robert mourant par son testament ordonna Jeanne son heritiere universelle au Royaume de Naples, à la charge qu' elle espouseroit Audrasse son cousin comme elle fit apres sa mort. Et cette Ordonnance testamentaire dernier jugement de Robert, me fait dire qu' en sa conscience il recogneut lors avoir fait tort à Carobert son nepueu: Cecy soit par moy touché en passant, pour les successions directes.

Quant à la ligne collaterale, toutes les Coustumes anciennes demeurerent en leur estat, jusques à ce que le mesme de Thou President obtint Commission lors du Semestre, pour reformer quelques unes, & en toutes celles où il besongna, il fut dit que representation avroit lieu en ligne collaterale, jusques aux enfans des freres & soeurs, tout ainsi que du droict civil des Romains, & que les cousins germains succedans en mesme degré viendroient par testes, non par souches, & aux autres qui n' ont esté reformees, on suit ce qui estoit de l' ancienneté. Voila ce qui est tant de l' ancien usage que moderne, en matiere de successions, directes & collaterales.

Mais dont estoit procedee cette Coustume, que nulle representation n' avoit lieu en quelque lignee que ce fust? Je le vous diray en peu de paroles. C' est une Loy generale de cette France en tout pays Coustumier, quand il s' agit des successions: Que le mort saisit le vif, le plus prochain habile à succeder. En consequence de laquelle il falloit, ou qu' elle n' eust point de lieu, ou bien l' ayant, que les petits enfans ne succedassent aux biens de leur ayeul & ayeule, avec leurs oncles qui estoient plus proches en degré, ny pareillement en ligne collaterale les nepueux. C' est ce qui fut amplement disputé en la cause du Comte de Blois, & Jean Comte de Montfort pour le Duché de Bretagne. Actur deuxiesme de ce nom Duc de Bretagne mourant delaissa trois enfans, deux de Beatrix Vicomtesse de Limoges sa premiere femme, nommez Jean & Guy: & un autre appellé aussi Jean d' Yoland de la Comtesse de Montfort sa seconde femme. Actur estant decedé, Jean son fils aisné luy succeda au Duché qui fut troisiesme de ce nom. Guy de Bretagne Comte de Pontieure decede quelque temps apres, delaissee Jeanne la Boiteuse sa fille, qui fut mariee à Charles de Chastillon Comte de Blois, nepueu du Roy Philippes de Valois. Jean Duc de Bretagne decede sans enfans. Par son decez Jean Comte de Montfort son frere fut dans la ville de Nantes proclamé Duc de Bretagne par les Prelats & Barons, & depuis dans la ville de Renes receut la Couronne Ducale. Il voulut faire la foy & hommage au Roy, à quoy Charles de Blois s' opposa du chef de sa femme soustenant le Duché luy appartenir. Cette opposition renvoyee par le Roy en sa Cour de Parlement pour y estre jugee par luy & ses Pairs: Charles proposoit que par les uz & coustumes notoires de Bretagne en successions feudales entre nobles personnes, quand il y avoit plusieurs freres, l' aisné succedoit en tous les Fiefs de quelque grandeur & Noblesse qu' ils fussent, & estoit seulement tenu de faire provision de viures à ses freres puisnez, ou de les apannager selon leur estat, & valeur de la terre. Disoit que le frere aisné trespassé sans hoirs procreez de son mariage, tout son bien estoit transmis au second d' apres luy, ou à ses enfans, qui venoient en tel droict d' aisnesse, comme si leur pere eust vescu. Que ce n' estoit chose nouvelle de voir en France les filles succeder aux grands Duchez & Comtez, comme on avoit veu advenir és Comtez de Tholoze, Champagne & Arthois, & mesmement en la Bretagne, en laquelle la femme de Pierre Mauclerc avoit recueiily le Duché par la mort de son pere, sans aucune contradiction: Que Jean Comte de Montfort n' estoit conjoinct du deffunct Duc, que du costé paternel, & Jeanne Comtesse de Blois des deux costez: Qu' elle estoit fille de Guy, qui secondoit en aage Jean le dernier mort, qu' à luy s' il eust vescu eust appartenu le Duché, consequemment que l' on ne le pouvoit denier à sa fille unique, qui representoit son pere. A cela Jean Comte de Montfort respondoit en un mot, Que par la Coustume generale du Royaume, le mort saisissoit le vif son plus prochain lignager, du costé dont venoient les heritages, en excluant tous autres, estans de plus loingtain degré, ores qu' ils fussent parens de l' un & de l' autre costé. 

C' estoit à dire en bon langage, que representation n' avoit point de lieu, puis que luy comme plus prochain devoit estre saisi du Duché. Disoit outre que par la Coustume notoire de France, la femme ne devoit estre receuë à succession de Fiefs & dignitez feudales en ligne collaterale, quand il y avoit hoirs masles qui l' en excluoient, voire quand ils seroient en pareil degré. Et que pour le regard des Comtez de Tholoze, Champagne, Arthois, esquels les femmes avoient succedé, c' estoit en succession directe, comme aussi au Duché de Bretagne la femme de Pierre Mauclerc, ayans mesmement succedé à leurs peres au prejudice des collateraux.

Raisons certes tres-pertinentes, & si j' ose dire indubitables, & lors mesmes il est tres-certain que representation n' avoit point de lieu en ligne directe, à plus forte raison il n' y avoit propos de l' admettre en ligne collaterale: & quant au second point de ses repliques, par lequel en matiere de Fiefs, mesmes en ces grandes dignitez, le masle excluoit la femelle, la cause avoit esté fraischement jugee au profit de Philippes de Valois pour la Couronne de France, contre Edoüard d' Angleterre, fils d' Ysabelle & nepueu de Charles le Bel: Toutesfois par Arrest donné à Conflant le 7. jour de Septembre 1341. le Roy Philippes de Valois estant en son lict de Justice avecques ses Pairs, fut Charles Comte de Blois à cause de Jeanne sa femme declaré Duc de Bretagne, & le Comte de Montfort debouté. Dont il appella à Dieu: car combien que pour complaire à un Roy, les hommes luy eussent osté ce que justement luy appartenoit selon les Coustumes de France, Dieu le luy conserva, & apres plusieurs guerres demeura le Duché à luy, & à sa posterité. Cela soit par moy discouru pour le faict de la representation.