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mardi 8 août 2023

9. 4. Que l' opinion est erronée, par laquelle on attribuë l' institution de l' Université de Paris à l' Empereur Charlemagne.

Que l' opinion est erronée, par laquelle on attribuë l' institution de l' Université de Paris à l' Empereur Charlemagne.

CHAPITRE IV.

He vrayement ce n' est pas un petit honneur à cette noble Université, si elle a eu pour parrein l' Empereur Charlemagne, qui luy ait donné ce nom; quoy que soit qu' il ait esté dedans Paris le premier Autheur & Promoteur des bonnes lettres. De mesme façon vois-je qu' on luy attribuë l' Institution, & de nos Parlemens, & de nos douze Pairs de France. Luy (dis-je) qui fut premierement Roy de France, puis Patriciat de Rome, & de toute la Lombardie, & finalement Empereur de tout l' Occident. Tant y a qu' il se veit commander absolument à la France, Italie, & Allemagne. Il estoit vrayment grand Prince, personnage d' esprit, bien nourry és bonnes lettres, grand Capitaine & guerrier, a l' espee duquel nostre Royaume de France doit beaucoup; mais j' ose dire que sa memoire n' est moins obligee à nos plumes. Car quant à moy j' estime, que ny l' Ordre des Parlemens, ny des Pairs ne luy est deu, comme j' ay amplement verifié par parcelles dedans mon second Livre, ny aussi de l' Université de Paris, ainsi que j' ay amplement discouru au vingt-troisiesme chapitre du troisiesme. Toutesfois d' autant que ce Livre est expressément dedié pour la deduction des Universitez de la France, je donneray à cette nouvelle opinion plus d' air, contrevenant à l' ancienne. Les deux premiers que je vois de nostre temps, ou quelque peu auparavant n' avoir voulu adherer à Vincent, Gaguin, Gilles, & autres, sont Paule Emile, & Messire Jean du Tillet Evesque de Meaux, l' un en son Histoire generale de nostre France, l' autre en sa Chronique abregee. Deux personnages dont je fais grand compte en ce subject, & m' asseure qu' ils n' eussent oublié de faire mention de cette opinion, si par leurs estudes & recherches ils l' eussent trouvee veritable. Ils ne l' ont expressément contredite; ains seulement teuë, j' ay voulu dire sagement, monstrant par cette sagesse, qu' ils n' y adjoustoient aucune foy. Je suis le moindre des moindres: mais je pense avoir esté celuy, qui premier levay la paille en cet endroit l' an 1564. quand en ce grand theatre de la Cour de Parlement de Paris, en presence d' une infinité de gens de lettres plaidans pour l' Université de Paris, contre les Jesuites, apres avoir faict mon preambule, tel que je pensois necessaire, je commençay le demeurant de ma narration par ces mots. 

L' Université de Paris, soit qu' elle ait pris son commencement sous le grand Empereur Charlemagne (ainsi que le vulgaire de nos Annales estime) ou sous ce grand Philippes Auguste, sous lequel les bonnes lettres prindrent leur grand advancement & progrez, specialement en cette ville, par le moyen de Messire Pierre Lombard, Evesque du lieu, (en faveur duquel nous celebrons tous les ans un Anniversaire dedans l' Eglise sainct Marcel) a tousjours esté grandement cherie, aimee, & favorisee de nos Roys. Je me fermay en cela pour cet esgard: car ce n' estoit mon intention d' en discourir. Et a fin que ne pensiez que ce fust par nouvel esprit de contradiction que j' entray deslors en ce nouveau party, je sçay quel honneur je dois porter à une opinion commune, mais aussi sçay-je bien que la verité doit estre beaucoup plus honoree. Et pour cette cause je vous diray encore un coup que ce ne nous seroit pas un petit Autheur de nostre Université que Charlemagne: toutesfois je ne voy, ny qu' Aimoïn, ny Rheginon, ny Adon, ny Sigebert en facent aucune mention (car quant à l' Histoire de Turpin, c' est une Histoire supposee, & neantmoins encore n' en parle t' elle point.) Chose que non seulement ils n' eussent escoulé sous silence, mais l' eussent pris à nostre tres-grand honneur, s' estans arrestez par leurs œuvres à plusieurs parcelles, qui ne sont de tel merite que cette-cy. Mesme que Eghinard qui se dit avoir esté son Secretaire, semble avoir laissé aux autres Historiographes la deduction des exploits militaires de cet Empereur, & pris pour son partage seulement ce qui regarde le sçavoir & bonnes lettres qui estoient en cet Empereur, nous discourant qu' il avoit esté nourry, non seulement en sa langue naturelle, mais aussi en plusieurs estrangeres; Et specialement que la Latine luy estoit aussi familiere que sa langue maternelle: Et quant à la Grecque qu' il l' entendoit, ores qu' il ne la sceust prononcer, comme pareillement il avoit esté instruit en la Grammaire, & aux arts liberaux, premierement par Pierre Pisan, puis par Albin, surnommé Alcuin, voire avoit l' intelligence de l' Astronomie. Qu' il fit la vie des Roys de France en vers: donna à son vulgaire les noms des mois & des vents: Qu' à ses repas, pour ne perdre le temps, il se faisoit lire ou reciter quelque belle histoire: Bref estant la plus belle remarque dont Eghinard embellisse la vie de Charlemagne, que le soing qu' il avoit eu aux bonnes lettres & sciences; je ne me puis persuader, qu' il n' eust à la queuë de cecy parlé de cette Université, s' il en eust esté fondateur, tant pour la dignité du lieu, où elle eust esté establie (ancien sejour de nos Roys de France, dés l' advenement de Clovis) que pour l' excellence mesme d' un tel œuvre. Estant la plus belle closture que cet Historien eust peu adjouster à la suite de cette belle narration. J' ay dit tout cela en mon 3. Livre, je le repete mot pour mot, & paravanture la repetition n' en sera frustratoire & oiseuse, ayant à desraciner l' opinion fabuleuse de nostre Vincent de Beauvais. Ce que je vous verifieray encore amplement par un passage exprez des Constitutions de Charlemagne, & Louys le Debonnaire son fils, au 2. Livre article 5. où le Debonnaire escrit en cette façon aux Evesques qui habitoient en ses Provinces. Scholae sanè ad filios instruendos, vel edocendos, sicut nobis praeterito tempore, ad Attiniacum, promisistis, & vobis iniunximus, in congruis locis, ad multorum utilitatem & profectum, vobis ordinari, non negligatur. 

Il estoit Roy & Empereur, & comme tel desiroit qu' on establist Escoles en divers lieux, l' avoit auparavant, comme il dit, commandé. Commandement qu' il reïteroit par expres: Croyez que si cette mesme institution eust esté auparavant faite dedans Paris par l' Empereur son pere, il n' eust pas espargné cet exemple pour exciter ceux ausquels il avoit affaire, pour estre induits à luy obeïr.

J' adjouste que Charlemagne fit tenir pendant son Empire cinq Concils, à Majence, Rheims, Tours, Arles, & Chaalons sur Saone, & apres son decez Louys le Debonnaire son fils, puis Charles le Chauve son arriere-fils plusieurs autres, en tous lesquels nulle mention de cette Université, ny des Escholes qui y furent lors, ny depuis dressees. Car quant à tous les autres Roys qui sont venus depuis le Roy Louys le Gros, vous ne trouvez que chamaillis, coups d' espees, & à peu dire images des Rois, jusques à la venuë de Hugues Capet, & encore moins aucun soucy des sciences, non pas mesmes sous les mesmes Capet, Robert, Henry, Philippes premier de ce nom. Il estoit question d' assassiner un vieux Estat, & en asseurer un nouvel, puis de faire nouvelles conquestes au Levant sur les Sarrazins. En tous les livres qui ont esté diversement escrits de ce qui estoit de ce temps là, vous ne trouverez un seul mot de ces pretenduës Escoles. Qui me semblent grands arguments, pour monstrer que ce que l' on dict de Charlemagne, & de l' Anglois, & des Escossois est une Histoire fabuleuse. Singulierement eu esgard que tout ce que j' ay deduit cy-dessus prend sa source, dés & depuis Charlemagne sans discontinuation, & si ainsi me permettez de le dire de fil en aiguille, jusques à nostre Philippes II. qui fut le quatriesme Roy successif de nostre troisiesme lignee. Au contraire le plus ancien auquel nous sommes redeuables de cette creation faite par Charlemagne, c' est à Vincent de Beauvais, Religieux de l' Ordre des Freres Prescheurs de sainct Dominique, qui nasquit en Espagne l' an 1205. & mourut l' an 1258. Au regard de Charlemagne, qui nasquit l' an 742. & mourut l' an 814. Prenez tout cet entrejet de temps de sa nativité jusques à son decez, & le joignez à celuy de Vincent, vous y trouverez quelques quatre cens ans d' intervalle que plus que moins. Et luy mesme recognoist ne la tenir que d' une Cronique d' Arles, qui est sans nom, & depuis s' est avecques le temps perduë. Joint que je fais grand estat d' un Paule Emile, d' un Jean du Tillet Evesque, Jean du Tillet Greffier au Parlement son frere, Claude Fauchet premier President des Monnoyes, qui n' ont rien ignoré de nostre Histoire, & neantmoins passent ce present discours sous silence. Et ores que Pierre Maçon, & Jean de Serre, facent Charlemagne fondateur, l' un & l' autre oublie le compte des Moines Escossois: & signamment de Serre apres avoir sur le commencement de la vie, dit en passant que Charlemagne avoit esté fondateur de nostre Université, & poursuivant puis apres d' un long discours toute cette histoire, il ne touche un seul mot concernant cette fondation, non plus que Belle-Forest. Il n' est pas que Veigner au second Tome de son Histoire, apres avoir fait contenance de favoriser cette opinion, la contredit immediatement en l' article subsequent. Antoine l' Oisel Advocat, en son plaidoyé concernant la Collation de l' Eglise Parrochiale de Sainct Cosme & Sainct Damien, la soustint formellement estre supposee. Comme j' avois fait auparavant en l' an 1564. & depuis par le 23. chap. de mon 3. Livre, lequel vous pourrez pareillement voir, comme y estans plusieurs autres raisons deduites, que je n' ay icy touchees. Partant mettez en la balance les deux opinions qui regardent cette fondation, vous trouverez que celle qui est pour la negative est la meilleure. Voyons doncques maintenant quelle fut l' Institution & progrez de cette Université.

dimanche 28 mai 2023

2. 9. De l' Ordre des douze Pairs de France

De l' Ordre des douze Pairs de France, & s' ils furent institués par Charlemagne, comme la commune de nos Annalistes estime. 

CHAPITRE IX.

Comme l' on voit les nageurs être souvent emportez bien loing au fil de l' eauë, avant qu' à force & rames de bras, ils puissent gagner le bord, aussi me suis-je laissé emporter au fil des ans, & d' une longue ancienneté des Parlements Ambulatoires, par une liaison de discours de l' un à l' autre, je suis en fin venu fondre dedans nostre siecle. Parquoy il est meshuy temps que je retourne au port dont je suis sorty, & revienne à la premiere & seconde lignee de nos Roys, pour vous discourir de nos Pairs de France, qui sera le subject du present chapitre.

La plus grande partie du peuple tient pour histoire tres-certaine, que l' Empereur Charlemagne pour asseurer son Estat, & gagner le cœur des siens, donna presque semblable authorité qu' à soy, à douze de ses principaux, à la charge toutesfois de se retenir la principale voix en chapitre. De ceux-cy on en nomme six Laiz, & autant d' Ecclesiastiques: & encore divise le peuple, ceste generale police en Ducs & Comtes: 

C' est à sçavoir les Ducs & Prelats de Rheims, de Laon, & Langres: les Comtes & Evesques de Beauvais: Chaalons & Noyon: les Ducs de Bourgongne, Normandie, & Guyenne: les Comtes de Flandres, Champagne, & Tholose. Veritablement quiconque ait esté inventeur de ceste police (si telle a esté reellement & de fait introduite & observee) il deust être bien grand personnage. Et croy que les premiers qui s' induisirent d' en *attribuer la premiere invention à Charlemagne, furent semonds à ceste opinion, tant à l' occasion de son bon sens, qu' aussi qu' il esperoit par ce moyen se fortifier contre l' ancienne famille de nos Roys de France, sur lesquels Pepin son pere s ' estoit emparé du Royaume. Toutesfois il me semble que ceux qui ont esté de cest advis ne digererent oncques bien la puissance de Charlemagne, ny comment les affaires de France se demenoient de son temps: Car de ma part je ne presteray jamais consentement à ceux-cy. Et croy à bien dire que ce discours ait esté plustost emprunté de l' ignorance fabuleuse de nos Romans, que de quelque histoire authentique. Qu' ainsi ne soit, il est certain que Charlemagne gouvernoit ses pays de l' authorité de luy seul, & non de la necessité des Ducs & Comtes: lesquels pour lors n' estoient que simples Gouverneurs, & tels qu' il les deposoit à sa volonté. Je sçay bien que lors que Charles Martel son ayeul commença de rapporter à sa famille sous le nom de Maire du Palais toute la Majesté de France, plusieurs Ducs se mirent de mesme façon en devoir de faire tomber en leurs maisons les Provinces desquelles ils avoient le gouvernement. Toutesfois ils furent successivement rangez par Martel, puis par Pepin: Tellement que toutes rebellions *effacees, les Duchez furent reduicts selon leur ancienne forme, & donnez & ostez au bon plaisir des Roys de France. Ainsi ce seroit abus de pense que Charlemagne eust voulu avoir pour Pairs ou semblables à soy, ceux qui totalement despendoient de son authorité & puissance. Ce neantmoins pour verifier cecy par pieces, en quel lieu je vous supply trouverez-vous mention de ce temps-là, d' un Duc de Guyenne separé d' avec le Comte de Tholose? certes il ne s' en trouve chose aucune: mais est la verité, que sous le nom d' un Duché d' Aquitaine estoit compris, & ce que nous appellons maintenant Guyenne, & la ville mesme de Tholose. Voire que les Comtes alors & mesmement ceux de Tholose, n' estoient que simples Juges & administrateurs de Justice en chaque ville, comme nous deduirons plus amplement au chapitre destiné pour tel sujet. Davantage, qui est celuy qui ne sçache que l' on ne parloit point adonc de Normandie, ains fut un nom qui depuis sous Charles le Simple commença d' entrer en credit avec l' erection de Duché qui en fut faite en faveur des Normans: Et aussi que la Flandre lors à demy inhabitee & deserte estoit gouvernee seulement par un simple grand forestier. Afin que je n' adjouste à cecy que la police de ce temps-là estoit telle, que ce qui estoit maintenant dit Duché (quand il estoit és mains de quelque Prince gouverneur d' une contree au nom du Roy) en moins de rien prenoit le nom de Royaume, lors qu' il tomboit au partage d' un fils de France. Estant ce Royaume de telle qualité qu' il ne recognoissoit de là en avant autre seigneur que Dieu, & son Roy. En ceste façon voyons nous que le pays d' Aquitaine fut pour un temps appellé Duché sous Charlemagne, puis Royaume quand il en investit Louys Debonnaire son fils, lequel deslors commença de tenir ses Estats à part. Et depuis, cestuy Debonnaire faisant partage general à ses enfans, donna l' Italie à Lothaire son fils aisné, le faisant sacrer Empereur. A Louys son second fils, le Royaume de Bauieres & de la Germanie: & à Pepin celuy d' Aquitaine. Verité est que Pepin estant decedé du vivant de son pere, ceste Aquitaine se trouvant reünie à la Couronne, fut donnee en partage à Charles le Chauve son dernier fils, avec la plus grande partie de ce que nous nommons la France. Semblablement apres la mort de Louys Debonnaire, Lothaire Empereur partageant ses Royaumes à trois autres siens enfans, à l' aisné qui estoit Louys, il donna l' Empire avec le Royaume de Lombardie, à Lothaire qui estoit le second, le Royaume de la Lorraine: & pour Charles son puisné, il fit un Royaume de la Provence, & de partie de la Bourgongne: Et à peu dire, depuis la venuë de Charlemagne jusques sous deux ou trois lignees successivement la Majesté de la maison de France estoit telle, que les enfans de nos Rois s' entrepartageoient les Provinces par forme d' Empire ou de Royaumes, & non par forme de Duchez. Et ne lit-on point de la lignee de Charlemagne aucun enfant masle qui se soit contenté d' un simple nom de Duc ou de Comte, ains de Prince souverain & Roy. Voire que Charles le Chauve, sous lequel toute la grandeur de ceste noble famille n' estoit pas encor' amortie, mais commençoit beaucoup à s' estaindre, donnant le pays de Provence & partie de la Bourgongne qui luy estoient retournez par le decés de ses neveux, à Bosson duquel il avoit espousé la sœur, erigea de rechef ces pays en Royaume. Et le premier & le dernier d' entr' eux tous, si je ne m' abuse, qui prit la qualité de Duc, fut celuy Charles que Hugues Capet desherita du Royaume: Mais les affaires de la France avoient desia pris toute autre forme qu' au precedant, ainsi que je discourray cy apres. De sorte que pour retourner à mon but, c' eust esté une police frustratoire, si Charlemagne eust voulu faire douze Pairs de ceste marque, pour en anichiler la coustume à un instant, & à un simple partage qu' il eut fait entre ses enfans. Et qui m' induit encores à ceste opinion, c' est que combien que dans Theodulphe, qui fut du temps de Charlemagne, & dans Aimoïn, soit faite frequente mention des Parlements qui estoient adonc tenus, si n' ay-je jamais leu que les Ducs y assistassent en ceste qualité de Pairs, comme nous en usons aujourd'huy.

Toutes lesquelles conjectures m' ont tousjours semonds de pense qu' à tort s' estoit le peuple imprimé ceste fole persuasion de rapporter l' introduction de cecy en la personne de Charlemagne. Laquelle chose tout ainsi que je la tiens pour asseuree, aussi est-il fort difficile de pouvoir remarquer le temps sous lequel ceste police de douze Pairs, fut introduitte. Tellement qu' il nous faut en cecy proceder à l' Academique, je veux dire monstrer par bonnes & vallables raisons ce qui n' est pas, & timidement asseurer ce qui peut estre. Parquoy, pour descouvrir ce que j' en pense, mon opinion est que le mot de Pair s' est insinué entre nous de l' ancienne dignité de Patrice qui fut à Constantinople. Pour laquelle chose deduire tout au long, il faut entendre que sur le declin de l' Empire de Rome, Constantin le Grand voulut introduire, & mettre en honneur la dignité du Patritiat, tout d' une autre façon qu' elle n' avoit esté mise en usage par les premiers peres de Rome, tellement qu' elle ne se donna de là en avant par les Empereurs qu' à leurs favoris & autres personnes qu' ils avoient en grande recommandation. Et de fait, le plus grand honneur dont ils pouvoient caresser un Prince estranger, estoit de luy envoyer l' ordre de Patrice en signe de confederation & alliance. Ainsi lisons nous que l' Empereur Anastaise l' envoya au grand Roy Clovis: Et quand Adalgise fils de Didier Roy des Lombards se fut retiré vers Constantin Empereur de Constantinople, il ne le peut mieux honorer que de l' aranger au nombre de ses Patrices. Et envoyoient cest Estat avec un grand appareil de langage, dont le formulaire est inseré au sixiesme des Epistres de Cassiodore. Je ne puis presque mieux comparer cet Estat qu' à l' ordre de S. Michel, que donnent aujourd'huy nos Roys à ceux ausquels ils veulent gratifier, ou pour la faveur qu' ils leur portent, ou pour la vertu qui est en eux. Car tout ainsi que les Chevaliers de S. Michel n' ont en consideration de leur Ordre autre commandement sur le peuple, (ainsi en estoit-il quand je mis premierement ce livre en lumiere) sinon que par là ils se ressentent en quelque chose de la Majesté de nostre Prince, aussi ces Patrices n' avoient autre prerogative sur le *commun, sinon qu' ils attouchoient de bien pres la personne d' un Empereur. Et outre plus, entrans en ceste dignité, par la teneur de leur privilege, ils estoient absous & affranchis de la puissance de leurs peres. Or ny plus ny moins que ces Patrices aprochoient de pres la lumiere & splendeur des grands Empereurs, aussi leur estoient les grandes charges commises. Non vrayement à cause de l' estat de Patrice, ains pource que le Patritiat ne se donnoit gueres qu' à ceux qui estoient les mieux aimez & cheris. En sorte que petit à petit pour-autant que d' ordinaire on ne donnoit les Provinces en maniement qu' à tels Patrices, il escheut par succession de temps que les Gouverneurs des Provinces furent de quelques-uns appellez de ce nom de Patrice. Ainsi appelle-l' on ce grand AEtius qui combatit Atille aux champs Catalauniens, le dernier Patrice des Gaules: Voire que ceux mesmes qui pendant les troubles de la Republique occuperent le Gouvernement d' Italie, & qui à nom ouvert ne s' osoient nommer Empereurs, s' appellerent Patrices de Rome. De telle marque sont Auite (Avite), Maiorian, & autres, jusques à Augustule, qui fut chassé par Odoacre Roy des Hetuliens. Et certes tout de la mesme forme que ces Empereurs userent du Patritiat, aussi nos vieux Roys François voulurent practiquer le semblable pour recompenser les Courtizans qui estoient à leur suitte. Et en ceste façon Gregoire de Tours au quatriesme livre de ses histoires, dit, que Gontran Roy d' Orleans degrada un personnage nommé Agrecula, de l' honneur de Patritiat, & donna ceste dignité à Celsus: & qu' un Gentil-homme nommé Mommole fut orné de ce mesme Ordre par le mesme Roy. Sainct Gregoire au douziesme de ses Epistres escrit à Aschelpiodate, Patrice des Gaules, qui tenoit le premier rang pres du Roy de France son maistre. Voire qu' à l' imitation des Romains, commencerent nos Roys à donner les grands gouvernements aux Patrices. Dont vint qu' on usa puis apres des mots de Patrices, & Ducs indifferemment, pour Gouverneurs de Provinces. Pour laquelle cause Aimoïn au 3. livre est autheur, que le mesme Gontran au vingt-septiesme an de son regne fit Landegisile Patrice de la Provence: Et au quatriesme il dit qu' apres que Clotaire II. eust regné trente ans, il fit Garnier, par le moyen duquel il estoit parvenu au Royaume d' Austrasie, Maire de ce pays-là, & donna semblable estat à Rhadon en la Bourgongne. Et au pays Ultrajurain, c' est à dire, qui est outre la montagne de Jura, il institua Herpon Patrice. Et au mesme livre il fait mention d' un autre Patrice Ultrajurain, nommé Guillebaud. Ausquels trois passages Patrice se prend pour Duc & Gouverneur: Et au mesme livre, je trouve qu' il appelle Hunold Patrice d' Aquitaine, lequel peu apres il nomme Duc du mesme pays. Vrayement je ne fais aucune doute qu' aux generaux Parlements que tenoient Pepin, Charlemagne, & ses successeurs, tels Ducs & Patrices ne tinssent l' un des premiers degrez, comme ceux ausquels estoient commises les grandes Provinces en charge. Et qu' au lieu de Patrices ne les ayons appellez en nostre vulgaire Ducs & Peres, comme j' ay leu dans une vieille histoire Françoise, & depuis par abreviation Ducs & Pairs de France (ainsi que nous voyons d' un Magister Palatij, avoir esté fait un Maistre, & depuis Maire du Palais.) A l' imitation desquels quand les Ducs & Comtes se firent perpetuels, ils commencerent semblablement (pour authoriser d' avantage leurs Cours) d' appeller leurs grands Barons Pairs, & leur donner voix & assistance en leurs jugemens: comme nous voyons avoir esté anciennement practiqué au Duché de Normandie, Comtez de Champagne & de Flandres. Et est chose digne d' être icy remarquee en passant, que le Comte de Champagne eut sept Comtes pour Pairs qui estoient obligez de se trouver toutes & quantesfois qu' il vouloit tenir ses Grands jours dans sa ville de Troye: les Comtes de Joigny, Retel, Portian, Brienne, Bresne, Grandpré, Roussy, desquels le Comte de Joigny estoit le Doyen. Et en cas semblable les mediocres Seigneurs, qui veulent ordinairement se composer à l' exemple des plus grands, establirent en plusieurs endroicts semblables formes de Pairries, que nos ancestres, au long aller & par corruption de langage appelloient Pares curiae, desquels est fait frequent recit dans les anciennes loix des Lombards, qui ont esté en partie mendiees des nostres: & encores en voyons nous pour le jourd'huy quelques observances en plusieurs particulieres coustumes de ce Royaume, comme en celles du Bailliage d' Amiens, & Seneschaussé de Pontieu. Qui a esté cause que quelquesuns ont voulu tirer en conjecture que l' invention de douze Pairs de France fut apportee du pays de la Germanie, par les François, Lombards, & autres peuples Germaniques. Estimans que tout ainsi qu' és fiefs, les anciens François eurent leurs Pairs, aussi les Duchez & Comtez s' estans renduës patrimoniales, nos Roys sur le modelle ancien des fiefs voulurent faire sous leur Couronne, un establissement de Pairries, telles que nous les voyons aujourd'huy. Toutesfois j' ay quelque raison qui me semble corrompre vray semblablement ceste opinion, d' autant que je ne voy point ces Pairs être venus en usage, en matiere feodale, sinon lors que les fiefs commencerent à se perpetuer aux familles, qui est depuis la venuë de Capet. Aussi n' est il pas à presumer, si ceste police eust esté entre les François quand ils arriverent és Gaules, que nous n' en eussions eu quelques enseignements & addresses, par nos anciennes Histoires aussi bien que du Patrice & Patritiat, ce que toutesfois je ne trouve point: Bien sçay-je qu' au troisiesme livre des Ordonnances de Charlemagne, article soixante-cinquiesme, il semble y avoit un passage respondant à ceste opinion. Quicunque ex eis qui beneficium Principis habent, Parem suum contra hosteis communes in exercitu pergentem dimiserit, & cum eo ire vel stare noluerit, honorem suum perdat. Tout homme ( dit-il) ayant un fief du Prince, qui aura delaissé en la guerre son Pair, s' acheminant contre l' ennemy, & qui ne voudra aller ou demourer avecques luy, qu' il foit desapointé de son Estat & honneur. Lequel lieu quelques uns veulent rapporter aux Pairries que l' on pratique aux fiefs, toutesfois, selon mon jugement, jamais l' intention de Charlemagne ne fut telle. Et de fait, entre toutes les Loix & Edicts de cest Empereur, & du Debonnaire son fils, posé qu' il foit fait infinie mention des benefices ou fiefs, & semblablement des vassaux & beneficiers, ce neantmoins ce passage est le seul & unique auquel l' on trouve ce nom de Pair, és endroicts qui traittent de ces benefices. Tellement que je ne me puis persuader aisément si les Pairries eussent esté deslors en vogue és matieres feodales, que nous n' en eussions plusieurs autres sentimens par les mesmes loix. Parquoy mon advis est que ce que l' Empereur Charlemagne defend au vassal de ne laisser son Pair en la guerre, c' est une police militaire, par laquelle il commande à ses vassaux qui estoient tenus quand la necessité se presentoit de porter les armes (comme encores ils sont aujourd'huy) ne laisser leurs compagnons & convassaux à la guerre, sur peine de privation de leurs fiefs. Prenant ce mot Pair, selon sa vraye & naïue signification, sans qu' il pensast oncques de le retirer à l' ordre & police des Pairs. Et en ceste mesme façon est prise ceste diction au quatriesme livre des mesmes Ordonnances, article soixante & dixseptiesme, lequel livre est destiné pour les loix de Louys le Debonnaire. Ut in hoste nemo Parem suum vel quemlibet alium hominem bibere cogat. Nous deffendons (dit-il) à tous estans au camp d' inviter de boire leurs Pairs, ny aucuns autres quels qu' ils soient. Vrayement je croy que tout homme de bon cerveau me passera condemnation, que l' Empereur le Debonnaire ne voulut point lors deffendre à ses vassaux de boire d' autant à leurs Pairs, ainsi que nous le prenons aujourd'huy, ains que son intention fut pour bannir l' yurongnerie de son Camp, de prohiber à tous soldats de n' inviter à boire tant leurs Pairs & compagnons, que tous autres, jaçoit qu' ils ne fissent profession des armes. Et en la suite de l' histoire de Aimoïn, quiconques ait esté celuy qui ait voulu accommoder son labeur sous le nom de cest Historiographe, au chapitre trente-huictiesme du cinquiesme livre, couchant de mot à mot les articles de la tresue qui fut juree entre le Roy Louys le Begue, & Louys Roy d' Allemaigne son cousin, l' on trouve ces deux grands Roys qui ne dependoient en rien l' un de l' autre, en avoir usé de mesme façon. Ut autem, quia firmitas amicitiae & coniunctionis nostrae quibusdam causis praepedientibus esse non potuit, usque ad illud Placitum, quo simul ut conveniamus statutum habemus: talis amicitia inter nos maneat, Domino auxiliante de corde puro, & conscientia bona & fide non ficta, ut nemo suo Pari vitam, regnum aut fideles suos, vel aliquid quod ad salutem seu prosperitatem ac honorem regni pertinet, discupiat aut male conciliet. Ut si in alterutrius nostrum regnum pagani seu pseudochristiani insurrexint, uterque veraciter suum Parem, ubicunque necessitas fuerit, si ipse rationabiliter potuerit, aut per semetipsum aut per fideles suos, & consilio & auxilio, ut optimè possit, adiuvet.

Qui est à dire, Et pour-autant que nous ne pouvons pour le present jurer une amitié ferme & stable à jamais (pour quelques raisons qui l' empeschent) jusques à ce que nous nous soyons trouvez au pour-parler que nous avons conclud ensemble: Ce temps pendant toutesfois demeurera entre nous, Dieu aidant, la presente confederation de bon cœur, sincere conscience, & sans hypocrisie. Sçavoir est que nul de nous ne s' estudiera d' oster la vie à son Pair, son Royaume, ou ses fideles & vassaux, ou attenter chose aucune qui se peut tourner à son deshonneur ou dommage: & si peut-être les Payens ou faux Chrestiens couroient sur les marches de l' un ou l' autre de nous, en ce cas chacun d' entre nous sera tenu sans dissimulation ou feintise porter conseil & aide à son Pair, si le peut bonnement faire, ou par luy ou par l' entremise de ses subjects feaux, le tout au moins mal qu' il pourra.

En tous lesquels passages l' on voit que le mot de Pair est pris pour compagnon seulement. Et à tant il me semble le semblable avoit esté fait en ce soixante-cinquiesme article des Ordonnances de Charlemagne: Ne me pouvant faire accroire (comme j' ay deduict cy dessus) si la police des Pairs eust lors esté en essence és Benefices & Fiefs, que nous n' en eussions eu plusieurs autres instructions & memoires du mesme Empereur, les Ordonnances duquel sont presque la plus grand part du temps voüees à traitter de ces Benefices & Fiefs.

Toutes lesquelles choses j' ay voulu deduire en passant: Parce que je voy quelques doctes personnages contrevenir à mon opinion: estimans que non des Patrices, ains des Pairs qui se trouvent observez és Fiefs ayent esté introduicts nos douze Pairs de France: Parquoy pour reprendre mon premier but, que la necessité du present discours m' a fait eslongner de l' œil, je ne fais aucune doute que du temps de Charlemagne, & de toute sa lignee, ces Ducs & Patrices de France que j' appelle Pairs ne fussent en tres-grand credit, & que pour ceste cause ils ne tinssent les premieres seances aux Parlements & generales Assemblees qui se tenoient par nos Roys: toutesfois il ne me peut entrer en la teste que ceste generale police des douze Pairs, tant celebree par la bouche de tous, fut ny du temps de Charlemagne, ny long temps apres en usage. Reservant au chapitre suivant de discourir comment, & en quel temps je pense qu' ils prindrent leur origine.

mardi 8 août 2023

9. 3. Opinion commune que Charlemagne a esté fondateur de l' Université de Paris.

Opinion commune que Charlemagne a esté fondateur de l' Université de Paris.

CHAPITRE III.

Chose admirable qui ne doibt estre teuë, ains sceuë, voire cornée à son de trompe, & cry public que nous avons douze ou treize Universitez, en cette France, diversement destinées pour l' enseignement d' unes & autres bonnes lettres, mot anciennement incognu par les Latins, pour cette signification. Et n' y a ville qui porte ce titre là qu' elle ne sçache qui feust le Roy, lequel l' honora premierement de ce nom. Nul ne doubte que Paris n' ait cest honneur d' estre la ville Metropolitaine de la France, & que tout d' une suite elle ne soit la premiere, & plus ancienne de toutes nos Universitez. Toutesfois (ô malheur) nous n' avons dedans nos archifs, aucuns titres, & enseignements dont nous puissions sçavoir qui feut le premier Autheur, & instituteur de cette Université: non seulement nous ne l' avons, mais qui plus est discourant sur son origine, chacun de nous en parle à tastons, l' atribuant, qui à Charlemagne, qui à Louys le Gros, qui à Louys le jeune, son fils, qui à Philippe second, dit Auguste. 

Et parce que la commune opinion va à l' Empereur Charlemagne, & que de croire le contraire, c' est estre heretique en l' Histoire, par plusieurs personnes, je toucheray premierement cette corde, puis diray franchement ce que j' en pense, à la charge d' estre desdit par ceux qui seront de contraire advis: Ce que je ne prendray à cœur, moyennant que je suis combatu par bonnes & vifves raisons.

La commune opinion est, que quatre Escossois disciples du venerable Beda Anglois, estant arrivez en France, publioient par toutes les villes esquelles ils passosent, qu' ils avoient de la doctrine à vendre, & que celuy qui en desiroi d' en acheter vint par devers eux, il raporteroit ce qu' il souhaitoit. Ce dont l' Empereur Charlemagne adverty, apres les avoir halenez leur assigna la ville de Paris pour cest effect, & que deslors l' Université de Paris commença d' estre en vogue. Ces nouveaux vendeurs estoient Alcuinus ou bien Albius, Joannes, Claudius, Pisanus. 

Le premier que je trouve nous avoir servy de cette opinion est Vincent de Beauvais Religieux de l' Ordre des freres Minimes, comme nous aprenons du titre de ses œuvres qui n' estoit point un Personnage de peu de merite, comme nous aprenons des quatre tomes qu' il fit soubs le nom de miroüer. Speculum Historiale, lib. 32. Speculum naturale 33. Speculum doctrinale lib. 13. Speculum morale lib. 3. Estant homme de telle marque, il ne le faut aisément condamner. Je vous raporteray doncques icy tout au long ce que j' emprunte de luy. Au Chap. LXXIV. du XXIV. livre de son miroüer historial nous aprend qu' Albuin avoit esté envoyé en Ambassade d' Angleterre, à nostre Roy Charles, lequel l' ayant trouvé homme de doctrine l' avroit honoré de l' Abbayé de sainct Martin de Tours, qui lors estoit regie par des Religieux seulement, & non secularisée. Puis il adjouste ce qui s' ensuit. In Chronicis Metropolis Arelatensis legitur, Omnipotens verum dispositor ordinatorque regnorum & temporum &c. & peu apres parlant du Roy Charles le grand. Qui cum in occiduis partibus regere solus caepisset & studia litterarum ubique eßent in oblivione, adeoque verae deitatis cultura teperet, contigit duos Scotos monachos de Hibernia cum mercatoribus Britannis, litus Galliae advenire, viros & in sacris & in secularibus scripturis eruditos. Qui quotidie cum nihil ostenderent venale ad convenientes emendi gratia turbas, clamare caeperunt: si quis sapientiae cupidus est veniat ad nos, & accipiat, nam vaenalis est apud nos. Tandiu conclamata sunt ista, donec ab admirantibus, licet insanos putantibus, ad aures Regis Caroli semper amatoris sapientiae sunt prolata; qui celeriter illos ad praesentiam suam evocatos interrogavit si vere scientiam haberent, ut ipse compararet: Sapientiam, inquiunt & habemus & in nomine Domini, eam quaerentibus dare parati sumus. Qui cum quaesisset ab his quid pro ipsa peterent, responderunt. Loca tantum opportuna & animas ingeniosas, & sine quibus ista peregrinatio transiri non potest alimenta, & quibus tegamur. Quo ille accepto ingenti gaudto repletus, primum quidem apud se parvo tempore tenuit. Postea vero cum ad expeditiones bellicas urgeretur, unum eorum, nomine Clementem, in Gallia Parisius scilicet residere fecit, cui & pueros nobilißimos, mediocres & infimos satis multos commendavit. Et eis prout necessarium habuerunt victualia ministrari praecepit habitaculis opportunis ad metandum deputatis, alterum vero in Italiam direxit. Cum & Monasterium S. Aug. juxta Tirenensem urbem delegavit, ut illic si voluissent ad discendum congregari possent. Audito autem Albinus de natione Anglorum, qui graviter sapientes, ac Religiosos viros susciperet Carolus, conscensa navi venit ad eum, cum socijs in omnibus scripturis exercitatus. Utpote doctißimi Bedae discipulus. Quem Rex usque ad finem Regni iugiter secum retinuit, nisi cum ad ingruentia bella processit. Deditque & illi Abbatiam sancti Martini, ut quando ipse absens esset illic resideret, & ad se confluentes doceret. Cuius intantum doctrina fructificavit, ut Franci antiquis Romanis, & Atheniensibus aequiparentur. 

En tout ce que dessus il n' est fait nulle mention expresse de l' Université, & neantmoins sans la nommer il est aisé de penser qu' il entendoit en parler. Comme de fait Nicole Gilles en ses Annales de France a presque traduit de luy mot à mot tout le passage en la vie de Charlemagne. En ce temps (dit-il) vindrent d' Irlande en France deux Moines, qui estoient d' Escosse, moult grands Clercs, & de saincte vie, lesquels par les citez & pays preschoient & crioient, qu' ils avoient science à vandre, & qui en voudroit achapter, vint à eux. Ce qui vint à la cognoissance de l' Empereur Charlemagne, qui les feit venir devers luy, & leur demanda s' il estoit vray, & qu' ils eussent science à vendre, lesquels respondirent que voirement ils l' avoient, par don de graces de Dieu. Et qu' ils estoient venus en France pour la prescher, & enseigner à qui la voudroit apprendre. L' Empereur leur demanda quel loyer ils voudroient avoir pour la monstrer. Et ils respondirent qu' ils ne vouloient fors lieux convenables à ce faire, & la substance de leurs corps tant seulement, & qu' on leur administrast gens & enfans ingenieux pour la recevoir. Quand l' Empereur les eut oüis, il fut bien joyeux, & les tint avecques luy, jusques à ce qu' il luy convint aller en guerre. Et lors commanda à l' un d' eux nommé Clement, qu' il demeurast à Paris, & luy feit bailler des enfans de gens de tous estats, les plus ingenieux qu' on sçeut trouver, & feit faire lieux & Escoles convenables pour apprendre, & commanda qu' on leur administrast ce qu' il leur seroit besoing, & leur donna de grands privileges, franchises, & libertez, & de là vint la premiere institution du corps de l' Université de Paris. L' autre fut par luy envoyé, & luy donna une Abbaïe de S. Augustin, pres la cité de Pavie. Lors y avoit en Angleterre un moult grand Clerc, Philosophe & Theologien nommé Alcuin, lequel estoit Anglois de nation, & avoit esté disciple du venerable Bede, & estoit remply de toutes sciences, tant en Grec, que Latin. Quand il sceut que l' Empereur Charlemagne recueilloit les sages hommes & grands Clercs, qui avoient pouvoir de monstrer, & enseigner sciences, il passa en France, & vint devers le dit Empereur, qui le reçeut honorablement, & le retint avecques luy tant qu' il vesquit, & l' appelloit son Maistre. Toutesfois quand il alloit en guerre, il le laissoit, & ne le menoit pas avecques luy, & ordonna qu' il demeurast en l' Abbaïe Sainct Martin de Tours. Et par le moyen des dicts Maistres fut multipliee science à Paris, & en France. Et parce à la requeste du dit Alcuinus, translata (comme dit est) le dit Charlemagne, l' Université qui estoit à Rome, & laquelle paravant y avoit esté transferee d' Athenes, & la feit tenir à Paris: & furent fondateurs de la dite Estude & Université quatre grands Clercs, qui avoient esté disciples de Bede: C' est à sçavoir le dit Alcuinus, Rabanus, Claudius, & Joannes. Tellement que la vraye source y a tousjours depuis esté. Vous voyez que tout ce passage a esté nommément extraict de celuy de Vincent de Beauvais, horsmis quelques particularitez: mais bien courtes. Et voicy que Robert Gaguin Religieux de l' Ordre de la Sainte Trinité, Ministre des Mathurins de Paris en dict en sa Chronique Françoise. 

Carolo, cum specie corporis valetudo, & robur, ingenium insuper excellens, gravitas atque incessus, dignitati Regiae non discors, liberalibus disciplinis animum excoluit, praeceptore primum, Petro Pisano, deinde Alcuino Anglo, viro apprime divinis, humanisque artibus erudito, quem Glossae in Bibliam (quam Ordinariam vocant) Authorem Anthonius Florentinus prodit. Quamvis enim Alcuinus à Regibus Anglis ad Carolum missus esset Orator, solius tamen Gallici benignitate delectatus apud Carolum mansit. Quo Authore Parisiensis Schola (quam universitatem vocant) hac occasione coepit. Delati nave ex Scotia, Claudius & Ioannes, Rabanus quoque, & Alcuinus ex Venerabilis Bedae discipulis, in Gallias cum venissent, nec quicquam praeter bonas disciplinas patria exportassent, se sapientiam profiteri, eamque vaenalem conclamant. Qua re ad Carolum perlata, illos ad se vocat, vocati libere profitentur; sapientiam illis esse: quam adipisci cupientes gratis edocerent, si vita, locusque tantum eis praeberetur. Intellexit Imperator ingenuam hominum mentem, eosque cum aliquot dies apud se tenuisset, Claudium, cui nomen erat Clemens Parisijs conversari, & generosos adolescentes bonis disciplinis instituere iubet. Ioannem vero Papiam misit. Hoc initium habuit Parisiensis schola, celebre mox Philosophiae, atque Theologiae Gymnasium, unde prodiere insigni doctrina atque eruditione viri, qui non secus atque illuminatißimae faces, mirum Christianae Religioni fulgorem effuderunt. Ita ut non abs re, bonorum studiorum parens (non quidem annis, sed liberalibus, religiosisque disciplinis) antiqua, à plerisque nominetur.

A la suite dequoy je voy les aucuns avoir suivy cette opinion à laquelle Baptista Aegnatius adhere es vies des Empereurs. Et apres luy beaucoup plus amplement Bernard de Girard Seigneur du Bertas donna plus d' air que ses devanciers au quatriesme livre de nostre Histoire de France. 

Et de cette mesme est Nicolas Veigner en son Sommaire de l' Histoire de France. Et encore quelques annees apres au second Tome de sa Bibliotheque Historiale. Papirius Maçonius sans particulariser cette Histoire, attribuë en son general cette institution à Charlemagne. Et François de Belle-Forest en ses grandes Annales de France, vie de Charles le Grand chapitre septiesme sur la fin. Et depuis quelques annees en ça, frere Jacques du Brueil Religieux de Sainct Germain des Prez, en son Theatre des Antiquitez de Paris. Chacun desquels il faut diversement honorer, en ce que ils nous ont par leur diligence laissé par escrit. Le commun dire de Pline le grand nous est assez familier, par lequel il se vantoit ne lire livre, dont il ne rapportast profit. A plus forte raison devons nous dire le semblable de tous ceux-cy dont nous devons estimer les œuvres de recommandation.

dimanche 2 juillet 2023

6. 1. De la fatalité qu' il y eut en la lignee de Hugues Capet au prejudice de celle de Charlemagne:

LIVRE SIXIESME

De la fatalité qu' il y eut en la lignee de Hugues Capet au prejudice de celle de Charlemagne: Et contre la sotte opinion de Dante Poëte Italien, qui estima que Capet estoit yssu d' un Boucher.

CHAPITRE I.

Entre toutes les nations de la Germanie, ou d' Allemagne, il n' y en eut point qui donna tant d' exercice à Charlemagne, que celle de Saxe, & entre les seigneurs de Saxe principalement Witikind. Les Saxons furent plusieurs fois vaincus, & autant de fois se rebellerent. N' ayans autre plus signalé entremetteur de leurs rebellions que ce grand guerrier. Lequel ne voulut jamais rendre les abois, quelque victoire que Charlemagne eust obtenue contr'eux, ains en ses desastres avoit son ordinaire retraicte à Dannemarc, & par l' aide des Danois reprenoit haleine, & souvent s' en faisoit accroire pour luy & les siens: Les Saxons selon leurs appoints & occasions firent plusieurs capitulations avec Charlemagne, ausquelles Witikind ne voulut estre compris. Ne respirant autre chose dedans son ame que la liberté ancienne de son pays. Toutesfois en fin apres plusieurs & diverses secousses de fortune, voyant toute la Saxe avoir receu le sainct Sacrement de Baptesme, & s' estre reduitte sans esperance de respit sous l' obeyssance de l' Empereur Charlemagne, il le vint trouver à Attigny, où apres avoir esté Chrestienné, il luy fit le serment de fidelité. Et commencerent deslors luy & sa posterité de s' adomestiquer de la France. Je remarque specialement cette opiniastreté de rebellion en ce Saxon, d' autant qu' il semble que sa famille fut depuis destinee pour la fin & closture de celle de Charlemagne, comme vous pourrez entendre par ce que je vous deduiray presentement. Ce grand Witikind eut un fils nommé Theodorich ou Thierry, duquel entre autres enfans nasquirent Witikind II. & Matilde, autrement Mahault. De ce second Witikind vint Robert premier. C' est celuy qui fut commis par Charles le Chauve à la deffense des marches d' Anjou & Touraine contre les Normands, sous le titre & qualité de Marquis, selon les uns, ou de Comte selon les autres. Charge en laquelle il acquist tres-grande reputation: & de fait mourut vaillamment en cette querelle.

Cela moyenna credit aux siens dedans cette France, qui succederent à sa dignité. Il laissa deux enfans, Eude & Robert II. Cettuy-là fut donné pour tuteur & curateur au jeune Charles le Simple, sur lequel il usurpa la Couronne & se fit proclamer Roy de France, & apres luy Robert son frere. Cettuy fut pere de Hugues le Grand, & luy de Hugues Capet, qui transmit aux siens la couronne de France de la famille de Charlemagne.

Voila pour le regard du dedans de la France, voyons ce qui fut du dehors. Cette famille estoit fonduë en Charles le Gras, sur lequel pour l'  alteration de son cerveau, Arnoul bastard son nepueu empieta l' Estat d' Allemagne. Auquel succeda Louys son fils, lequel decedant sans enfans, & en luy prenant fin la lignee de Charlemagne, Conrad Duc de Franconie fut eleu Roy d' Allemagne par l' advis d' Othon Duc de Saxe beau-frere de Louys. Conrad decedant sans hoirs voulut par son ordonnance testamentaire recognoistre en Henry fils d' Othon le plaisir qu' il avoit receu de son pere, & le nomma pour successeur. Cet Henry fut conjoint par mariage avecques Mahault sœur de Widikind second, & d' eux par diverses generations vindrent les Othons I. II. & III. qui furent Roys, & Empereurs, & en fin transporterent l' Empire en Allemagne. Nouveau discours d' histoire en ce païs-là, tout ainsi que de la posterité de Capet en cette France. Les uns & les autres ayans pris leurs racines d' un mesme tige, qui fut Widikind premier. De cecy vous pouvez recognoistre la fatalité qu' il y eut en cette famille depuis son commencement jusques à la fin, au desavantage de celle de Charlemagne. Et au surplus combien Dante Poëte Italien fut ignorant, quand au livre par luy intitulé le Purgatoire, il dit que nostre Hugues Capet avoit esté fils d' un Boucher. Laquelle parole, ores que par luy escrite à la traverse, & comme faisant autre chose, si est-elle tellement insinuee en la teste de quelques sots, que plusieurs qui ne sonderent jamais les anciennetez de nostre France, sont tombez en cette mesme heresie. François de Villon plus soucieux des tavernes, & cabarets, que des bons livres, dit en quelque endroit de ses œuvres.

Si feusse des hoirs de Capet, 

Qui fut extrait de boucherie.

Et depuis Agrippa Alleman en son livre de la Vanité des sciences, chapitre de la Noblesse, sur cette premiere ignorance declame impudemment contre la genealogie de nostre Capet. Si Dante estima Hugues le Grand, duquel Capet estoit fils, avoir esté un boucher, il estoit un mal habille homme. Que s' il usa de ce mot par metaphore, ainsi que je le veux croire, ceux qui se sont attachez à l' escorce de cette parole sont encores plus grands lourdauts. C' est luy qui donna tant d' algarades à Charles le Simple & aux siens, & mesla tellement les cartes à son profit, qu' en fin Hugues Capet son fils demeura maistre du tapis. Conjoignez ce chapitre avec celuy de nos Pairs, vous trouverez que jamais Prince ne fut plus propre pour remuer un Estat que luy. Parce que je le voy en toutes ses actions avoir esté accompagné d' une prudence, vaillance, & heur, autant que seigneur fut oncques. Pour le regard de la prudence, combien qu' il fust jeune & fils de Roy, consequemment que par un boüillon de son âge, il deust affectionner la couronne, toutesfois il fut tant retenu apres la mort du Roy Robert son pere, que Raoul Duc de Bourgongne son beau-frere ayant esté eleu Roy, il ne fit jamais contenance de s' y opposer. Prevoyant que par ce contraste qui pourroit estre entr'eux nouveaux usurpateurs de la couronne, ce seroit asseurer les affaires de Charles le Simple, vray & legitime heritier du Royaume: Heribert Comte de Vermandois Seigneur d' un esprit remuant tenoit grand rang entre ceux de leur party, pour se faire proclamer Roy apres le decés de Raoul. Or Hugues le Grand son beau-frere estant creu d' âge, & d' authorité tout ensemble, jaçoit qu' auparavant il eust passé par connivence la Royauté de Raoul, si se donna-il lors bien garde de la laisser tomber és mans de Heribert ou autre de leurs partissans. Parquoy par un sage conseil il donna ordre que les vrays heritiers de la couronne fussent couronnez: mais avecques telle condition qu' il les tenoit tousjours en bride, pour l' authorité que le temps, & sa sage conduicte luy avoient acquise. En fin Heribert son corrival estant decedé, il commença de lever le masque, & au lieu du tiltre de Comte de Paris qu' il portoit, il fut appellé Duc de France, dont il fit la foy & hommage au Roy Lothaire, comme d' un grand fief. Ne luy restant à avoir que le nom de Roy dont les effects residoient en luy.

Quant à sa vaillance, non seulement il ne reboucha jamais aux coups, mais qui plus est il en vint à chef. En la bataille qui fut baillee entre le Roy Robert son pere, & le Roy Charles le Simple, Robert y mourut & demeura sur la place pres de Soissons, mais la victoire demeura pardevers Hugues le Grand, & fut le Simple contraint de fuir à vauderoute, & se retirer hors la France. Et ne trouverez bataille par luy donnee où il ne fist plusieurs grands exploicts de Chevalerie par dessus les autres. Toutes lesquelles particularitez luy firent acquerir le surnom de Grand. Or si la prudence & la vaillance luy firent perpetuelle compagnie, encores ne fut-il pas moins accompagné de bon heur, mais bon-heur qui prenoit fonds de sa prudence. Parce qu' apres que Rotilde sa premiere femme fut morte il espousa en secondes nopces la fille du Roy d' Angleterre, belle sœur de Charles le Simple, & en troisiesmes, Emmode fille puisnee de l' Empereur Othon I. dont le Roy Louys d' Outremer avoit espousé l' aisnee. Tellement que s' il ne porta le titre de Roy, si fut-il beau-frere de deux Rois. Et soit, ou que par heur, ou par discours ces deux mariages eussent esté par luy procurez, tant y a que telles alliances empeschoient ces Princes estrangers de venir au secours des vrais Roys contre luy. Adjoustez que par la longueur de son âge ayant survescu tous ses partissans, il empieta tel credit, que combien qu' il ne fust Roy, si estoit-il faiseur & defaiseur des Roys. Bref vous ne voyez rien avoir esté pratiqué par Charles Martel contre la lignee de Clovis, que Hugues le Grand n' ait pratiqué contre celle de Martel. Charles Martel ne se disoit Roy, ains seulement Maire du Palais, & sous cette qualité donnoit telle loy qu' il vouloit aux vrais Roys. Le semblable fit Hugues le Grand sous le titre premierement de Comte de Paris, puis de Duc de France. Martel mourant delaissa son fils Pepin Maire du Palais, puis Roy: Hugues aussi allant de vie à trespas laissa Hugues Capet son fils qui fit la foy & hommage au Roy Lothaire en celle mesme qualité de Duc de France, & en fin se fit declarer Roy de France. Pepin confina en une Religion Childeric dernier Roy de la race de Clovis: & Hugues Capet en une prison, Charles dernier Roy de la lignee de Martel, auquel par droict successif appartenoit nostre couronne. De maniere que l' on peut dire, que ce fut un vray jugement de Dieu: & en effect voila le Boucher dont Hugues Capet est extrait.

Le passage de Dante leu & expliqué par Louys Alleman, Italien devant le Roy François I. de ce nom, il fut indigné de cette imposture, & commanda qu' on le luy ostast, voire fut en esmoy d' en interdire la lecture dedans son Royaume. Mais de ma part pour excuser cet autheur je voudrois dire que sous ce nom de Boucher, il entendoit que Capet estoit fils d' un grand & vaillant guerrier. Car à vray dire en matiere de guerre, quand on a fait en une bataille un grand carnage, nous disons d' un autre mot boucherie & appellons aussi un grand meurdrier & carnassier, grand Boucher, & de cette mesme façon ay-je leu qu' Olivier de Clisson estoit ordinairement nommé Boucher par les nostres. Parce que tous les Anglois qui tomboient entre ses mains il n' en prenoit aucun à mercy, ains les faisoit tous passer au fil de l' espee. Et de nostre temps François de Lorraine Duc de Guyse, l' un des plus redoutez Capitaines de nostre siecle, estoit ainsi appellé par les Huguenots ses ennemis, quand par une contumelie ils taschoient d' obscurcir sa gloire. Si ainsi Dante l' entendit, je luy pardonne, si autrement, il estoit un Poëte fort ignorant.

mercredi 16 août 2023

10. 25. Cheute de la seconde famille nos Roys. / Fin du Dixiesme Livre des Recherches.

Cheute de la seconde famille nos Roys.

CHAPITRE XXV.

Je laisse à nos autres Historiographes les conquestes, glorieuses victoires, & superbes arrois de cette seconde famille: car quant à moy j' ay maintenant pris pour mon partage ses ruines: Quoy faisant je ne pense rapporter peu de profit à nos Princes, & grands Seigneurs, quand de bon heur ils se feront sages par la folie d' autruy. Nous sommes les gettons des Roys, qu' ils font valoir plus ou moins, comme il leur plaist, & les Roys sont les gettons de Dieu: Jamais famille ne receut plus de faveur, & benediction du ciel, que celle des Martels en trois Princes consecutifs, Charles Martel, Pepin, & Charlemagne & jamais elle ne fut tant terrassee qu' en trois autres, qui les survesquirent, Louys le Debonnaire, Charles le Chauve, & Louys le Begue. Je nomme entre ces six Charles Martel, ores qu' il ne portast jamais titre de Roy entre les siens, mais ce fut luy qui par sa proüesse & sage conduite, fit voye aux siens à la Royauté. Joint qu' apres son decez, sa statuë fut honoree d' une Couronne Royale, en son tombeau, comme l' on peut voir en l' Eglise, & Abbaïe de S. Denis. Les trois premiers furent torrens de fortune, qui l' augmenterent: les trois derniers precipices qui la ravalerent: car quant aux autres qui leur succederent, ce ne furent que des avortons qui ne firent que contenance de regner sans regner. Et combien qu' en Charlemagne fust l' accomplissement de la grandeur de cette famille; toutesfois je dirois volontiers s' il m' estoit loisible, qu' il jetta les premiers fondemens de la ruine. Vous entendrez les raisons pourquoy.

Le Roy Pepin mourant laissa deux enfans, Charles & Carloman: Ausquels par partage fait entr'eux escheut tout ce qui estoit compris és Gaules dedans l' enceinte du Rhin, monts Pyrenees & Apennin: & à Carloman tout ce qui nous appartenoit au delà du Rhin. Cestuy-cy mourut trois ans apres le decez de son pere, delaissez de la Royne Berthe sa femme, deux enfans. Et adonc Charles, par un droict de bienseance s' empara de tous & chacuns leurs pays. Chose dont la veufve voulant avoir premierement sa raison, se retira avec ses enfans vers Tassilon Duc de Baviere, mais l' ayant trouvé trop foible, pour venir à chef de cette vengeance, elle prit sa route vers Didier Roy des Lombards, qu' elle pensoit avoir juste cause d' indignation contre luy. D' autant qu' ayant espousé en premieres nopces Theodore sa fille, il la luy avoit renvoyee dedans le premier an de leur mariage. Toutesfois le malheur voulut, que Didier ayant esté desconfit à la semonce du Pape Adrian par Charles, & despoüillé de son Royaume, fut avec sa Royauté enseveli le tort que Charles tenoit à ses nepueux. Cette histoire est aucunement touchee par nos Annalistes, & toutesfois mise au rang des pechez oubliez, comme si ce ne fust qu' une peccadille d' avoir mis à nud ses nepueux en la succession de leur pere. Peché neantmoins qui fut rudement vangé sur les siens par un juste jugement de Dieu.

Apres avoir repudié la fille du Roy Didier, il espousa consecutivement trois femmes, dont de la premiere il eut six enfans, Charles, Pepin, Louys, Bertrude, Berthe, & Gillette: de la seconde, Tetrude, & Hildude: & de la troisiesme, nuls. Charles mourut du vivant du pere, sans hoirs procreez de soy, Pepin son second fils Roy d' Italie mourut pareillement le pere vivant, delaissé son fils Bernard pour son successeur: De maniere qu' à Charles (depuis dit Charlemagne, pour la magnanimité de ses faits) ne restoit plus de masle que Louys pour son fils, & Bernard pour arriere-fils. Or est-ce la verité qu' apres le decez de sa quatriesme femme il se ferma en matiere de mariage. Mais comme il est mal aisé de tenir une bonne fortune en bride, aussi ce grand Prince ayant attaint au dessus de tous ses desirs, par les grandes victoires qu' il avoit rapportees de ses ennemis, commença de n' avoir dedans sa maison, autre plus grand ennemy que soy mesme. Se donnant à la veüe de tous diverses garces, desquelles il eut trois bastards, Dreux, Hugues, & Theodoric, sans faire estat des bastardes. Et à l' exemple de luy, ses propres filles ne manquerent de serviteurs, non plus que la plus part des autres Dames. De maniere que la Cour de ce grand Empereur, n' estoit qu' une banque de toute honte & pudeur. Qui le fit tomber en telle nonchalance de son devoir, que combien qu' en luy fut l' accomplissement de cette famille: toutes-fois la fin de sa vie fut le commencement de sa ruine.

François Petrarque fort renommé entre les Poëtes Italiens, discourant en une Epistre Latine son voyage de la France, & de l' Allemagne, nous raconte que passant par la ville d' Aix la Chappelle, il apprit de quelques Prestres une histoire prodigieuse, qu' ils tenoient de main en main pour tres-veritable. Qui estoit que Charles le Grand, apres avoir conquesté plusieurs païs, s' esperdit de telle façon en l' amour d' une simple femme, que mettant tout honneur & reputation sous pieds, il oublia non seulement les affaires de son Empire, mais aussi le soing de sa propre personne, au grand desplaisir de chacun. Estant seulement ententif à courtizer ceste Dame, laquelle par bon heur commença de s' alliter d' une fort grosse maladie qui luy apporta la mort. Dont les Princes & grands Seigneurs furent grandement resjoüis. Esperans que par cette mort Charles reprendroit comme devant, & ses esprits, & ses affaires en main. Toutesfois il se trouva tellement infatué de cet amour, qu' encores cherissoit il ce cadaver, l' embrassant, baisant, & accolant de la mesme façon que devant, & au lieu de prester l' aureille aux legations qui luy survenoient il l' entretenoit de mille bayes, comme s' il eust esté plein de vie. Ce corps commençoit desja, non seulement de mal sentir, mais aussi se tournoit en putrefaction, & neantmoins n' y avoit aucun de ses favoris qui luy en ozast parler; Dont advint que l' Archevesque Turpin mieux advisé que les autres, pourpensa que telle chose ne pouvoit estre advenuë, que par quelque sorcelerie. Au moyen dequoy espiant un jour l' heure, que l' Empereur s' estoit absenté de la chambre, commença de foüiller le corps de toutes parts: Finalement trouva dedans sa bouche au dessous de sa langue un anneau, qu' il luy osta le jour mesme. Charlemagne retournant sur ses premieres brisees, se trouva fort estonné de voir une carcasse ainsi puante. Parquoy, comme s' il se fust reveillé d' un profond somme, commanda que l' on l' ensevelit promptement. Ce qui fut fait, mais en contr'eschange de cette folie, il tourna tous ses pensemens vers l' Archevesque porteur de cet anneau, ne pouvant estre de là en avant sans luy, & le suivant en tous les endroits. Quoy voyant ce sage Prelat, & craignant que cet anneau ne tombast és mains de quelque autre, le jetta dedans un lac prochain de la ville. Depuis lequel temps l' on tenoit que l' Empereur s' estoit trouvé si espris de l' amitié du lieu, qu' il ne desempara la ville d' Aix, où il bastit un Palais, & un Monastere, en l' un desquels il parfit le reste de ses jours, & en l' autre voulut y estre ensevely: ordonnant par son testament que tous les Empereurs de Rome eussent à se faire sacrer premierement en ce lieu.

Que cela soit vray ou non je m' en rapporte, tout ainsi que le mesme Petrarque, à ce qui en est: si estoit-ce un commun bruit, qui lors couroit en la ville d' Aix, lieu ou reposerent les os de Charlemagne. De laquelle histoire ou fable Germantian a fort bien sceu faire son profit, pour averer & donner quelque authorité à l' opinion de ceux qui soustiennent les malins esprits se pouvoir enclorre dedans des anneaux. Or que Charlemagne fust grandement adonné aux Dames sur la fin de son aage, mesme que ses filles qui estoient à la suite fussent quelque peu entachees d' amourettes, Aimoïn le Moine, vivant du temps du Debonnaire, nous en est tesmoin authentique: qui dit qu' à l' advenement de ce Prince à la Couronne, la premiere chose qu' il eut en recommandation, fut de bannir de la Cour les grands troupeaux des filles de joye qui y estoient demeurez depuis le decez de Charlemagne son pere, & aussi de confiner en certains lieux ses sœurs, qui ne s' estoient peu garentir des mauvais bruits, pour la dissoluë frequentation qu' elles avoient euës avec plusieurs hommes. Quelque grandeur de souveraineté qui soit en un Roy, ores que comme homme, de fois à autres il s' eschape, si doit-il tousjours rapporter ses pensees à Dieu, & croire qu' il est le vray juge de nos actions, pour les punir quelquesfois en nous de nostre vivant, ou bien à nos enfans apres nos decez. Chose que trouverez averee en ce que je discourray cy-apres. N' attendez doncques de moy au recit de ce present suject, que des injustices, partialitez & divisions entre les peres & les enfans, guerres civiles de freres à freres, oncles qui malmenerent leurs nepueus, tromperies entremeslees de cruautez, le tout basty par juste jugement de Dieu. Et parce que des trois enfans masles de Charlemagne il ne restoit que Louys le Debonnaire son fils, & Bernard son petit fils, c' est en cestuy auquel je commenceray les discours de cette histoire tragique.


Fin du Dixiesme Livre des Recherches.

tombeau, Charlemagne, Carlomagno, Carolus Magnus, Carles Magne, Carolo Magno

jeudi 20 juillet 2023

6. 32. D' un amour prodigieux de Charlemagne envers une femme.

D' un amour prodigieux de Charlemagne envers une femme.

CHAPITRE XXXII.

Apres avoir discouru cy-dessus des assassins du corps, il ne sera hors de propos de parler des assassins de nos ames. Car si nous croyons aux Poëtes l' amour est le meurdre d' icelles. François Petrarque fort renommé entre les Poëtes Italiens, discourant en une Epistre son voyage de France, & de l' Allemagne, nous raconte que passant par la ville d' Aix, il apprit de quelques Prestres une Histoire prodigieuse qu' ils tenoient de main en main pour tres-veritable. Qui estoit que Charles le Grand, apres avoir conquesté plusieurs pays s' esperdit de telle façon en l' amour d' une simple femme, que mettant tout honneur & reputation en arriere, il oublia non seulement les affaires de son Royaume, mais aussi le soing de sa propre personne, au grand desplaisir de chacun: estant seulement ententif à courtiser cette Dame: laquelle par bon-heur commença à s' aliter d' une grosse maladie qui luy apporta la mort: Dont les Princes, & grands Seigneurs furent fort resjoüis, esperans que par cette mort, Charles reprendroit comme devant, & ses esprits & les affaires du Royaume en main: Toutes fois il se trouva tellement infatué de cet amour, qu' encores cherissoit-il ce cadaver, l' embrassant, baisant, accolant de la mesme façon que devant, & au lieu de prester l' oreille aux legations qui luy survenoient, il l' entretenoit de mille bayes, comme s' il eust esté plein de vie. Ce corps commençoit desja non seulement à mal sentir, mais aussi se tournoit en putrefaction, & neantmoins n' y avoit aucun de ses favoris qui luy en osast parler: dont advint que l' Archevesque Turpin mieux advisé que les autres, pourpensa que telle chose ne pouvoit estre advenuë sans quelque sorcellerie. Au moyen dequoy espiant un jour l' heure que le Roy s' estoit absente de la chambre commença de foüiller le corps de toutes parts, finalement trouva dans sa bouche au dessous de sa langue un anneau qu' il luy osta. Le jour mesme Charlemagne retournant sur ses premieres brisees, se trouva fort estonné de voir une carcasse ainsi puante. Parquoy, comme s' il se fust resveillé d' un profond sommeil, commanda que l' on l' ensevelist promptement. Ce qui fut fait: mais en contr'eschange de cette folie, il tourna tous ses pensemens vers l' Archevesque porteur de cet anneau, ne pouvant estre de là en avant sans luy, & le suivant en tous les endroits. Quoy voyant ce sage Prelat, & craignant que cet anneau ne tombast és mains de quelque autre, le jetta dans un lac prochain de la ville. Depuis lequel temps on dit que ce Roy se trouva si espris de l' amour du lieu, qu' il ne desempara la ville d' Aix, où il bastit un Palais, & un Monastere, en l' un desquels il parfit le reste de ses jours, & en l' autre voulut estre ensevely. Ordonnant par son testament que tous les Empereurs de Rome eussent à se faire sacrer premierement en ce lieu. Que cela soit vray, ou non, je m' en rapporte, tout ainsi que le mesme Petrarque, à ce qui en est. Si estoit ce un commun bruict, qui lors couroit en la ville d' Aix, lieu où reposent les os de Charlemagne. De laquelle histoire ou fable, Germantian a fort bien sceu faire son profit, pour averer, & donner quelque authorité à l' opinion de ceux qui soustiennent les malins esprits se pouvoir enclorre dans des anneaux. Or que Charlemagne fust grandement adonné aux Dames sur la fin de son âge, mesmes que ses propres filles, qui estoient à sa suitte, fussent quelque peu entachees du peché d' amourettes, Aimoïn le Moine vivant du temps du Debonnaire nous en est tesmoin authentique: Qui dit qu' à l' advenement de Louys Debonnaire à la Couronne, la premiere chose qu' il eut en recommandation fut de bannir de sa Cour les grands troupeaux de femmes qui y estoient demeurees depuis le decez de feu son pere: & aussi de confiner en certains lieux ses sœurs, qui ne s' estoient peu garentir de mauvais bruits, pour la dissoluë frequentation qu' elles avoient eüe avecques plusieurs hommes.

samedi 1 juillet 2023

5. 2. Que la mort de Bernard Roy d' Italie petit fils de l' Empereur Charlemagne fut une mort d' Estat,

Que la mort de Bernard Roy d' Italie petit fils de l' Empereur Charlemagne fut une mort d' Estat, contre l' opinion commune de nos Historiographes.

CHAPITRE II.

Charlemagne auparavant que de mourir avoit faict Pepin son fils aisné, Roy d' Italie, & Louys son puisné Roy d' Aquitaine. Ce fut une Loy depuis observee en cette famille, qu' à l' aisné qui devoit succeder à l' Empire estoit donné le Royaume d' Italie, voire dés le vivant du pere mesme. Ainsi fut-il baillé par l' Empereur Louys le Debonnaire, à Lothaire son fils aisné, ainsi par le mesme Lothaire à Louys aussi son aisné. Le tout de la mesme façon que nous appellons aujourd'huy Roy des Romains, celuy est destiné à l' Empire apres la mort de l' Empereur: Tiltre qui a esté emprunté de cette longue ancienneté. Car entre le Roy d' Italie & des Romains, il n' y avroit pas grande difference qui accompagneroit le Roy des Romains de l' effect. Advint que le Roy Pepin meurt du vivant de Charlemagne son pere, & par sa mort transmit le Royaume d' Italie à Bernard son fils: Auquel consequemment si le droict de representation eust lors eu lieu, la Couronne Imperiale estoit deuë. Nos Historiographes nous enseignent que Louys dés le vivant de son pere avoit esté par luy associé, & faict compagnon de son Empire. De moy, je le veux croire avec eux, encores que le Prince Nitard petit fils de Charlemagne par sa fille Berthe, n' en face aucune mention en sa vie, Regnavit (dit-il parlant de Charlemagne) per annos duos & triginta, Imperijque gubernacula cum omni foelicitate per annos quatuordecim poßedit. Haeres autem tantae sublimitatis Ludovicus filiorum eius ex iusto matrimonio susceptorum novissimus, caeteris decedentibus succeßit. Qui ut pro certo patrem deceßisse comperit, Aquas ab Aquitania protinus venit, quo undique ad se venientem populum suae ditionis addixit. S' il eust esté fait Empereur dés le vivant du pere, ce placard meritoit bien d' estre icy enchassé. Et à vray dire, qui prendroit ce passage par la simple lettre, sans y apporter quelque commentaire, il sembleroit que Louys demeurant dedans l' enceinte de France, ayant eu les premieres nouvelles de la mort de son pere, eust gaigné le devant de Bernard son nepueu qui residoit en Italie, & l' eust supplanté de la benediction de son ayeul.

Or combien que je ne vueille pas aisément desdire en cet endroit l' opinion commune de cette association d' Empire, toutesfois je soustiendray librement, que jamais il n' y eut chose qui affligea tant l' Empereur Louys en son ame, que Bernard, lequel il fit quelque temps apres mourir, feignant qu' il s' estoit voulu rebeller contre luy. Qui estoit une accusation supposee pour apporter quelque excuse à cette mort. Je sçay bien qu' à cette parole j' arresteray tout court le Lecteur, pour estre le premier de ce nom qui mette cette opinion en avant. Je ne me veux point icy chatoüiller: mais voyez si mes conjectures sont bonnes, que j' emprunte de ceux mesmes qui accusent Bernard de rebellion.

Premierement la question n' est pas petite de sçavoir si ce crime de rebellion pouvoit tomber en celuy, qui se pouvoit pretendre estre fondé en juste tiltre par le moyen du droict d' ainesse qu' il pensoit estre fondu en luy par la representation du Roy Pepin son pere, fils aisné de Charlemagne. Mais laissant cette particularité en arriere, qui estoit toutesfois le motif de la crainte du Debonnaire, ceux qui nous ont redigé sa vie par escrit, disent que ce Bernard reduit aux termes de desespoir, voyant son oncle s' armer contre luy, le vint trouver en cette France, & se prosternant à ses pieds, le supplia tres-humblement de luy vouloir pardonner sa faute: comme feirent semblablement tous ses complices, & entre autres un Reginard son Connestable: Toutesfois qu' ils ne le peurent de luy obtenir, ains furent mis entre les mains de la justice, qui condamna entre les autres, Bernard à mort, & que l' oncle meu de pitié, voulut qu' il eust seulement les yeux creuez, dont ce jeune Prince indigné, mourut trois jours apres de regret. Voila le courant de cette histoire. Par tout le discours de la vie de Louys le Debonnaire, on le represente un Prince calme le possible, lent & tardif à se courroucer, prompt à se reconcilier, enclin à la misericorde, qui ne refusa jamais pardon à celuy qui luy demandoit, quelque conjuration qu' il eust auparavant brassee. Ainsi en usa-il envers Guinemark qui avoit fait revolter la Bretaigne contre luy: Ainsi à l' endroict de Berca Comte de Barcelone convaincu de crime de leze Majesté: ainsi à ceux qui avoient suivy le party de Lothaire son fils, commuant la condamnation de leurs morts en bannissemens, & ainsi à une infinité d' autres Seigneurs factionnaires. Bernard seul se trouva ne pouvoir joüir de cette clemence, lequel se tenant clos & couvert dedans son Royaume d' Italie, pouvoit longuement amuser les forces de l' Empereur, qui mieux aimoit le repos d' une Chambre, que la poussiere des champs, toutesfois comme asseuré de sa conscience, il se vint jetter entres ses bras: dont vient que l' oncle fut chiche de sa misericorde envers son nepueu, luy dis-je, qui en estoit prodigue envers ceux qu ne luy attouchoient de proximité de lignage. Je n' en rendray point la raison, ains le lairray juger par celuy, qui non preocupé d' opinion, se donnera le loysir de me lire. On me dira que pour me flater j' adjouste icy à la lettre, & que Bernard ne se presenta à l' Empereur, que lors qu' il ne sçavoit plus de quel bois faire fleches. Belle objection vrayement, qui la pourroit lier avecques ce qui s' estoit passé. Car quand Bernard vint en France, il n' avoit encores senty aucuns efforts de la guerre, ains seulement sur un bruit que son oncle s' armoit souz un faux donner à entendre que Bernard s' estoit remué contre luy. Tout cela, ce sont paroles (me dira quelque autre) bonnes à estre contestees en un barreau par des Advocats qui combatent pour la vraysemblance, & non pour la verité. Or entendez je vous prie ce que j' ay maintenant à vous dire. Charlemagne, outre Pepin & Louys ses deux enfans legitimes, avoit trois bastards, Dreux, Hugues, & Thierry. Voyez ce qu' en recite Nytard duquel je fais tres-grand fonds en cette histoire: lequel apres avoir touché, & la venuë de Louys en la ville d' Aix, & la reception qui luy fut faite par ses sujets, comme je l' ay icy dessus representé, dit ainsi: Fratres quoque adhuc tenera aetate Draconem, Hugonem, & Theodoricum participes mensae esse, quos & in Palatio una secum nutriri praecepit, & Bernardo nepoti suo Pepini Regnum Italiae conceßit. Qui quoniam paulò pòst, ab eo defecit, capitur, & à Bertmondo Lugdunensis provinciae praefecto luminibus pariter & vita privatur. Hinc autem metuens ne post dicti fratres, populo solicitato eadem facerent, ad conventum publicum eos venire praecepit, totondit, ac sub libera custodia commendavit. Pour le regard des bastards, on voit à l' œil une moinerie, ou pour mieux dire mommerie d' Estat, pardevant un Parlement & assemblee generale des Princes & grands Seigneurs: Et quant à la mort de Bernard, il y apporte quelque excuse en cette parole Defecit, comme aussi escrivant l' Histoire de son temps, & de son oncle, il luy eust esté aucunement mal seant de ne donner quelque lustre à cette mort. Mais le subsequent des bastards me fait juger de l' antecedant pour Bernard, & qui me fortifie plus en mon opinion, c' est que l' autheur qui donna entre les anciens plus de façon à cette histoire de rebellion, nous enseigne que le Debonnaire quelque temps apres espoint d' un bon instinct de sa conscience, en un solemnel Parlement qu' il tint en son Palais d' Attigny, fit confession & penitence publique de ces deux fautes par luy commises. Anno subsequenti (dit cet Autheur) domnus Imperator conventum generalem coire iußit in loco cuius vocabulum est Attiniacus: In quo, convocatis ad concilium Episcopis, Abbatibus, spiritualibusque viris, necnon Regni sui proceribus, primo quidem fratribus reconciliari studuit, quos inuitos attonderi fecerat. Post haec autem palam se erraße confessus, & imitatus Imperatoris Theodosij exemplum, poenitentiam spontaneam suscepit, tam de his, quam quae in Bernardum proprium nepotem gesserat: S' il y avoit eu de la rebellion au nepueu, il ne falloit point de penitence à l' oncle. La juste condamnation de l' un estoit la justification de l' autre. Et à peu dire entre les chefs, pour lesquels il fut depuis degradé de sa dignité Imperiale par le Clergé dedans la ville de Soissons, à l' instigation de Lothaire son fils aisné, cestuy concernant ses freres & son (neueu) nepueu estoit le premier. Eo quod fratribus & propinquis (portoit le narré de l' arrest) violentiam intulerit, & nepotem suum, quem ipse liberare poterat, interficere permiserit. Passage qui ne porte pas que l' Empereur eust fait mourir le Roy son (neueu) nepueu, ains que le pouvant empescher il ne l' avroit fait. Qui monstre qu' en cette mort il y avoit plus du fait des hommes, que de Dieu, ou de la Justice. Aussi estoit-ce l' un des points que Thegan coadjuteur de l' Evesque de Triers, reprenoit en luy particulierement, que pendant que comme devot il s' amusoit trop à Psalmodier, & comme adonné aux bonnes lettres, il consommoit la meilleure partie du temps à la lecture des livres, ses conseillers & favoris luy faisoient acroire tout ce qu' ils vouloient. Omnia cautè & prudenter agens (dit cet Autheur parlant de luy) nihil indiscretè faciebat, praeterquam quod consiliarijs suis magis credidit quàm opus esset. Quod ei fecit Psalmodiae occupatio, & lectionum aßiduitas.

Bernard ayant esté occis, son corps fut porté en la ville de Milan, où il repose. Et combien que toute l' Italie fust de là en avant du tout exposee sous la puissance du Debonnaire, & que la mort du jeune Prince fust excusee par les courtizans, sous le pretexte de rebellion, toutesfois au veu & sceu de l' Empereur on l' honora de cet Epitaphe dans la principale Eglise: Bernardus civilitate mirabilis, caeterisque pijs virtutibus inclytus Rex, hic quiescit. Regnavit an. 4. Mens 5. Obiit 15. Cal. Maij indict. II. filius piae memoriae Pepini. Epitaphe, si je ne m' abuse, qui faisoit le procez au procez qu' on luy avoit fait. Et qui me fortifie de plus en plus à mon opinion, c' est qu' Adon Evesque de Vienne qui florit vers le temps de Charles le Chauve, & s' estoit du tout voüé à la celebration de cet Empereur, se donna bien garde en sa Chronique de parler, ny de la mort de Bernard, ny de la degradation des trois freres bastards, comme estans pieces qu' il ne pouvoit debiter sans obscurcir cette histoire. Ce Roy Bernard laissa un fils unique, nommé Pepin, qui eut trois enfans, Bernard, Pepin, & Heribert Comte de Vermandois (que le commun de nos Annales appelle par abreviation Hebert). Cestuy entres autres siens enfans eut un Aldebert fils puisné. D' un autre costé Louys le Debonnaire fut pere de Charles le Chauve, duquel nasquit Louys le Begue, & de luy Charles le simple. Admirable justice de Dieu qui se trouve entre ces deux familles. Car soit, ou que pour asseurer son Estat souz le masque de rebellion, ou non, Louys le Debonnaire eust consenty à la mort du Roy Bernard son nepueu, tant y a que ceste playe saigna longuement.

Parce que Dieu voulut en ramantevoir la vangeance en la troisiesme generation de l' une & de l' autre famille, je veux dire jusques à Charles le Simple, que Heribert fit mourir dedans les prisons de Peronne: Et pour accomplissement de vangeance (chose pleine de honte & pudeur) Ogine veufve de Charles, convoia en secondes nopces avec Aldebert fils d' Heribert. Qui estoit assassiner tout à fait la memoire de son mary. En effet voila quel jugement je fais de cette Histoire, que je supplie tout favorable Lecteur vouloir prendre de bonne part.

lundi 19 juin 2023

3. 23. De l' Université de Paris.

De l' Université de Paris

CHAPITRE XXIII. 

Quand je considere à part moy comme les affaires de l' Eglise Romaine, & Gallicane se passerent depuis le regne de S. Louys, cecy me fait souvenir des divisions qui furent dans la ville de Rome fort familieres entre le Senat & les Tribuns, esquelles pendant que le Senat soustenoit son authorité encontre le peuple, & les Tribuns combatoient pour la liberté populaire contre la grandeur du Senat, ils furent par les grands appellez seditieux, & perturbateurs du repos public: & toutesfois ceux qui à meilleures enseignes, & sans passion ont discouru de ceste Republique, sont d' advis que dans ces dissensions se trouva l' entretenement de son repos & grandeur: Parce que les questions que les Tribuns mouvoient aux premieres rencontres faisoient que les Consuls, & Senat estoient plus retenus en leurs actions. Parquoy demouroit chacun en cervelle, & dans les bornes de son devoir: Tellement que par ce contrepoids florit longuement ceste Republique. Ainsi en est-il advenu à nos deux Eglises. Car si vous parlez à celuy qui est seulement nourry en Cour de Rome, il dira que l' Eglise Gallicane a esté perturbatrice du repos general de l' Eglise Romaine, pour s' estre opposee aux entreprises du Pape: Aussi n' approuvent-ils dans Rome nos maximes en cest endroict: & neantmoins s' il vous plaist approfondir toutes choses à leur vray poinct, vous ne ferez nulle doute qu' à ceste France ne soit deuë la restauration generale de l' Eglise Romaine. Car qui eust laissé en ceste façon fluctuer toutes les affaires, comme elles faisoient, certainement le siege de Rome voulant prendre son vol trop haut, se fust abysmé. Et de fait, encores n' y sceumes nous donner si bon ordre, qu' il n' y ait perdu de ses plumes. Car le grand schisme de trente huict à quarante ans, & les miserables exactions qu' il produisit, aliena du tout le cœur des Bohemiens, de la Papauté, & excita par mesme moyen l' heresie Hussienne, laquelle bien qu' elle semblast être estainte pour quelques annees, si est-ce que tout ainsi que le feu couvert sous une chaude cendre, se descouvrant, produit une chaleur plus forte qu' auparavant: aussi ceste mesme opinion ayant repris air par la venuë de Luther, a depuis eslongné du Pape presque toute l' Allemagne, l' Angleterre, & l' Escosse, du sein de nostre Eglise: Luther, dy-je, prenant mesme fondement que Jean Hus, sur je ne sçay quels abus du Pape Leon X. Nous seuls qui perpetuellement avons fait teste à l' Eglise de Rome en tels accessoires, sommes toutesfois demourez ses tres-humbles, & tres-obeïssans enfans. Quand je dis nous, j' entends nos Roys, Prelats, Princes, grands Seigneurs, Cours de Parlemens, qui sont les principaux nerfs de la Republique Françoise. Car quant au peuple, encores que le malheur de ce temps nous ait divisez en deux Religions, si est-ce qu' il y en a sans comparaison beaucoup plus de secteteurs de l' ancienne. Tellement que l' on peut dire justement (car la verité est telle) que tant s' en faut que par les privileges, & libertez de nostre Eglise, nous soyons autres que nous devons envers l' Eglise Romaine, qu' au contraire c' est par une grande abondance d' humilité, & obeïssance envers le S. Siege, que nous les appellons privileges: veu que ceste liberté tant rechantee par les nostres, n' est autre chose que le droict commun, & ordinaire. Et c' est la cause pour laquelle chacun par un commun consentement, s' est induit d' appeller les Evesques, Ordinaires, comme ne faisans riens dans leurs Dioceses, qui ne fust de droict ordinaire, & que ce que l' on entreprenoit sur eux, estoit extraordinaire. Or parce qu' en ceste devote discorde des deux Eglises, qui ne tendit jamais qu' à une union, & accord, l' Université de Paris ressembla les Tribuns de Rome (car & l' un, & l' autre, par honnestes concions, & harangues, excita chacun à son devoir) il me semble qu' elle merite bien que nous luy donnions un chapitre, pour descouvrir, non ce qui est de son menage (cela se verra au plaidoyé que je fis pour elle 1564.) mais de son ancienneté, & du grand lieu qu' elle tint autresfois par la France. 

Ceux qui en ont parlé devant moy, disent que l' Empereur Charlemagne en jetta les premieres traces, & qu' estans arrivez quatre Anglois, ou Escossois, disciples du venerable Beda, en France, Alcuin, Rabam, Jean, & Claude, surnommé Clement, qui crioyent qu' ils avoient de la science à vendre, cest Empereur les ayant ouys, à leur instigation, & semonce, establit dans Paris une Université, où ces quatre grands Docteurs donnerent les premiers advancemens, & progrés aux bonnes lettres. C' est l' opinion de Robert Gaguin, puis de Nicolas Gilles, & de Boëce historiographe Escossois, lequel, pour illustrer sa patrie, dit que l' Université de Paris doit à l' Escosse son commencement, & que Clement fut Escossois. Certes je veux croire que Alcuin homme docte, selon la portee de son temps, a esté à la suitte de Charlemagne: Mais que ceste Université ait jamais esté fondee par cest Empereur, je ne me le suis jamais peu persuader, encores que pour ne me desmouvoir de ceste commune opinion, j' aye voulu rechercher pour elle tous les advantages que l' on luy sçavroit donner. Car ce ne seroit pas petite rencontre pour l' exaltation de nostre ville, que l' Université eust un tel parrain, comme ce grand Prince. Toutesfois je ne voy, ny qu' Eguinarth, ny Aimoïn, ny Rheginon, ny Adon, ny Sigebert en facent aucune mention. Car quant à l' histoire qui court sous le nom de Turpin, indubitablement elle est supposee par quelques Religieux de sainct Denis, & neantmoins encores n' en parle-elle point. Chose qu' à mon jugement ils n' eussent escoulé sous silence, s' il en eust esté quelque cas, estant ceste fondation non moins digne de commemoration, voire plus que plusieurs autres particularitez, qu' ils ont songneusement deduictes, en recitant ses faicts, & gestes. Mesmes qu' Eguinarth, qui a fait sa vie, semble avoir laissé aux autres historiographes la deduction des exploicts militaires de cest Empereur, & pris pour son partage seulement ce qui regardoit le sçavoir, & bonnes lettres, qui estoient en cest Empereur, nous discourant qu' il avoit esté nourry non seulement en sa langue naturelle, mais aussi en plusieurs estrangeres, & specialement que la Latine luy estoit aussi familiere comme sa langue maternelle. Et quant à la Grecque, qu' il l' entendoit, ores qu' il ne la sçeust prononcer: comme pareillement il avoit esté instruict aux arts liberaux, en la Grammaire par Pierre Pisan, & aux autres disciplines par Albin, surnommé Alcuin: voire avoit l' intelligence de l' Astronomie: Qu' il fit la vie des Roys de France en vers: Donna à son vulgaire les noms des mois, & des vents: Qu' à ses repas, pour ne perdre temps, il se faisoit lire, ou reciter quelque belle histoire. Brief estant la plus belle remarque dont Eguinarth embelisse la vie de Charlemagne, que le soin qu' il avoit eu aux bonnes lettres, je ne me puis persuader, qu' il n' eust à la queuë de cecy parlé de ceste Université, s' il en eust esté fondateur, tant pour la dignité du lieu, où elle est establie (ancien sejour des Roys de France, dés l' advenement de Clovis) que pour l' excellence mesme d' un tel œuvre. Estant la plus belle closture que cest historien eust peu adjouster à la suitte d' une telle narration. Joinct que combien que par les loix, & ordonnances du Debonnaire, il soit enjoinct aux Evesques d' avoir escoles en leurs Eglises, suyvant ce qu' ils luy avoient promis de faire, au Parlement par luy tenu à Latigny, & que mesmes au Concil celebré sous Lothaire Empereur son fils, dedans la ville de Paris, soit fait pareil commandement. Toutesfois je ne trouve point que l' on se soit onques souvenu de ceste Université ny mesmement qu' elle ait jamais produit un seul homme de marque, ou un seul fruit sous toute la lignee de Charlemagne, ny bien avant sous celle de Hugues Capet. Et mesmes en la seconde partie de ce Concil tenu à Paris, article douziesme, les Evesques le prient, qu' en ensuivant les traces de son pere, & a fin qu' une intention si loüable du deffunct ne devint en friche, il voulust ordonner que sous son auctorité on establit des Escoles en trois villes les plus commodes du Royaume. Quoy faisant, il procureroit un grand bien, & honneur à l' Eglise, & quant à luy, qu' il se rendroit à tout jamais recommandable à la posterité. Ce Concil estant tenu dedans la ville de Paris, l' on parloit de l' institution des Escoles publiques, sous l' authorité du Roy. Si Paris eust ja receu cest honneur d' avoir une Université de la main de Charlemagne, il ne me peut entrer en teste que l' on n' en eust fait expresse mention, pour exciter Lothaire Empereur à faire le semblable. Adjoustez que descendant beaucoup plus bas, on n' en trouve un seul mot dedans S. Bernard, homme studieux le possible, & dans les œuvres duquel on recueille plusieurs choses, qui appartiennent à l' ancienneté. Bien escrit-il à Hugues de S. Victor, qui lors estoit en estime dedans Paris. (Car vers ce temps commençoient les lettres de poindre dans ceste ville) & encores s' atacha-il à Pierre Abelard grand personnage, fors qu' il tenoit quelques propositions erronees: Mais qu' il nous ait jamais baillé le moindre esclair, dont nous puissions recueillir je ne sçay quoy de la fondation ancienne de ceste Université, il n' y en a riens. Toutes lesquelles raisons me font non seulement penser, ains croire, qu' en nos historiographes il y a eu pareil erreur au discours de l' Université, comme des Parlemens, & Pairs de France: & neantmoins erreur grandement loüable, d' avoir rapporté l' origine de ces trois grands Ordres à un si grand patron, que l' Empereur Charlemagne.

Mon opinion doncques est que ceste Université commença de jetter ses premieres racines sous Louys VII. & de les espandre grandement sous le regne de Philippe Auguste son fils, que l' on sçait entre nos Rois s' estre grandement addonné à l' establissement, & illustration de nostre ville, & sur tout, qu' elle en doit les premieres promotions à Pierre Lombard, Evesque de Paris, & à son Eglise: Evesque, puis-je dire, qui fut l' un des plus grands personnages de son Ordre. Opinion que je mis en avant dés l' an 1564. plaidant la cause de l' Université encontre les Jesuites. Non toutesfois que ceste Université ait esté fondee tout d' un coup, non plus que le Parlement, ny les douze Pairs: mais comme Dieu resueille les esprits sur un suject en un temps plus qu' en un autre, il semble que les lettres vers ceste faison commençassent à se desgourdir.

D' autant que sous le regime de Louys VII. vous eustes plusieurs personnages d' erudition tant dedans, que dehors la France. Et tout ainsi que ce siecle produisit plusieurs gens doctes, aussi se reveilla la devotion des Superieurs de l' Eglise en faveur des bonnes lettres. 

Sous la seconde lignee de nos Roys, je trouve dedans le second livre des Ordonnances de Louys le Debonnaire, en l' article 5. ces mots qu' il addresse au Clergé: Schola sane ad filios instruendos, sicut nobis præterito tempore ad Attiniacum promisistis, & vobis iniunximus, in congruis locis ad multorum utilitatem & profectum, à vobis ordinari non negligatur. C' est à dire: Je souhaite que suivant la promesse que me fites à Attigny, & ainsi que je le vous commanday, vous establissiez en lieux convenables des Escoles, pour l' instruction de la jeunesse, au profit & advancement de plusieurs. Toutesfois je ne voy point que sous ceste lignee, ce commandement fust de grand effect. Celuy qui porta plus de coup, fut le Concil general tenu en l' Eglise S. Jean de Latran dans Rome, sous Alexandre III. par lequel il fut ordonné que les Evesques avroient en chacune de leurs Eglises un precepteur à leurs gages pour enseigner tant la Theologie, que la Philosophie & autres bonnes lettres. En consequence duquel en un autre depuis tenu en la ville de Rheims sous Eugene III. du temps du Roy Louys VII. à l' instigation de S. Bernard il fut conclud & arresté touchant les erections des Escoles & estudes publiques en unes & autres villes. Ces commandements si souvent reïterez il ne faut faire nulle doute que la pluspart des Eglises se voulurent acquitter en cecy de leur devoir, & sur toutes celle de Paris, comme exposee au premier theatre de la France, sejour ordinaire de nos Roys. Et lors se firent deux grands partis dedans Paris en faveur des bonnes lettres: l' un en l' Eglise Cathedrale, l' autre en l' Abbaye de S. Victor de fraische memoire lors bastie par Louys le Gros: laquelle sous le regne de Louys VII. son fils, fut un receptacle de gens d' honneur: tant en la faculté de Theologie, qu' autres bonnes lettres. Tesmoins uns Hugue, Adam, Richard, & l' autre Richard, tous surnommez de sainct Victor, parce qu' ils estoient Religieux de S. Victor: tous quatre tres grands Theologiens, non despourveus de braves escoliers, comme l' on peut recueillir de l' Epitaphe d' Adam, gravé en l' airain dedans le cloistre.

Hares peccati, natura filius irae, 

Exiliique reus nascitur omnis homo. 

Unde superbit homo? cuius conceptio culpa, 

Nasci poena, labor vita, necesse mori. 

Vana salus hominis, vanus decor, omnia vana:

Inter vana nihil vanius est homine.

Dum magis alludit præsentis gloria vitae, 

Præterit, immo fugit: non fugit, immo perit.

Post hominem vermis, post vermem fit cinis, heu hex: 

Sic redit ad cinerem gloria nostra simul.

Hic ego qui iaceo miser, & miserabilis Adam,

Unam, pro summo munere, posco precem. 

Peccavi fateor, veniam peto, parce fatenti: 

Parce pater, fratres parcite, parce Deus.

Sous ces mots de pere & freres, il entendoit son Abbé & ses freres Religieux. Et certes j' oppose ceste piece à tous Epitaphes, tant anciens que modernes, & à tant soit que ce Religieux luy mesme se fust basty son tombeau pendant sa vie, ou quelqu'un de ses escoliers apres sa mort, nous pouvons de cest eschantillon juger que les bonnes lettres estoient lors à bonnes enseignes, logees dans ce monastere. Chose que vous pouvez encores recueillir de ceste belle & excellente Bibliotheque qu' ils y commencerent de bastir, & depuis par succession de temps enrichie de tous livres rares, tant celebree par nos anciens: Que si ces bons Religieux se rendoient lors recommandez parmy le peuple dedans leur Cloistre, hors la ville, par leurs estudes umbratiles: ne doubtez point que la grande Eglise exposee au beau milieu de la ville à la lumiere du Soleil, n' en voulust rapporter le dessus. Comme aussi est-ce la verité que l' on ne faisoit en ce temps-là exercice des lettres & des leçons qu' en la maison Episcopale, & ainsi l' apprenons-nous de Pierre Abelard, auquel j' ay voüé son chapitre cy apres: Auquel lieu y avoit adoncques deux grands Precepteurs, Maistre Anseaulme qui lisoit en la Theologie, & Guillaume Campellense, en Philosophie: sous lesquels le mesme Abelard fit ses premieres estudes: Ny pour tout cela n' estoit lors l' Université formee. C' estoit un Embrion que l' Eglise de Paris couvoit dans son sein pour en esclorre l' Université, de laquelle elle fut la mere, sous l' authorité de nos Roys: Et de là est venu que les degrez de Doctorie & licence, ont accoustumé d' être pris au logis de l' Evesque: & que le premier juge & censeur de la doctrine, & mœurs des escoliers, que nous appellons Chancelier de l' Université, est du corps des Doyen, Chanoines & Chapitre de ceste Eglise: De là aussi que tous les principaux de Colleges, Docteurs & Regens de l' Université, ne pouvoient entrer en lien de Mariage pendant leurs professions. Comme si les Principautez, Doctories, & Regences, eussent esté affectees à l' Eglise, dont elles avoient pris leur premiere source. Coustume qui fut estroittement observee par toutes les Facultez. Jusques à la nouvelle police qui fut introduite par le Cardinal de Toute-ville Legat en France. Car il permit par privilege special, aux Docteurs en Medecine, de pouvoir être mariez. Les Docteurs en decret presenterent leur requeste à l' Université le 9. Decembre, 1534. a fin d' avoir pareil privilege, dont ils furent deboutez: Sauf à eux de se pourvoir en la Cour de Parlement pour en être par elle ordonné ainsi que bon luy sembleroit: Et toutesfois absolument arresté pour la Faculté, tant des arts, que de Theologie, que, Vxorati à Doctoratu, & Regentia arcendi erant. Depuis le Parlement permit le Mariage aux Docteurs de decret, & le premier de cest ordre, que nous veimes marié, fut la Riviere vers l' an 1552. depuis pourveu de l' Estat de Lieutenant de Chasteleraud.

Tout cela a esté par moy discouru en passant pour monstrer que le premier fondement de l' Université a esté l' Eglise de Paris: J' adjousteray que celuy qui en jetta la premiere pierre, fut Pierre Lombard Evesque de Paris, en commemoration dequoy l' Université luy fait tous les ans un anniversaire en l' Eglise S. Marcel où ses os reposent: C' est luy qui composa ce beau livre des Sentences (fondement de la Theologie scholastique) tant celebré par ses survivans; Et sur lequel la Faculté de Theologie de Paris establit en partie, sa *profession. Il eut pour contemporain Pierre Comestor autheur de l' histoire Scholastique, qui fut enterré à S. Victor: & aussi un Galterus insigne Poëte, qui escrivit en vers Latins, la vie d' Alexandre, sous le tiltre d' Alexandreïde, grand imitateur de Lucain. C' est luy dans les œuvres duquel, nous trouvons un vers souvent par nous allegué, sans que plusieurs sçachent qui en fut l' Autheur.

Decidit in Scyllam, cupiens vitare Charibdim. 

Ce grand Evesque commença de florir vers la fin du regne de Louys VII. & s' accreut en reputation sous celuy de Philippe son fils, qui pour la grandeur de ses merites emporta par la voix des doctes, le surnom d' Auguste: & par une rencontre mutuelle de l' un à l' autre donnerent plus grande vogue aux bonnes lettres qu' auparavant. De maniere que dés & depuis ce temps là, l' Université qui avoit receu par le menu sa polisseure, se trouva toute formee. Quoy que soit vous en voyez frequente mention dont au precedant on n' avoit parlé. Et trouverez un jugement du mesme Auguste de l' an 1200, donné à *Berizy, contre des particuliers qui avoient tué quelques escoliers de Paris: Et par ce mesme Arrest il defend au Prevost de Paris de prendre jurisdiction & cognoissance de leurs forfaits, luy enjoignant de les renvoyer à leur juge en Cour d' Eglise. Sauf à decider puis apres, si le cas estoit de telle qualité que la cognoissance en deust appartenir au juge Royal. Et à la suitte de cestuy nous trouvons qu' en l' an 1215. le Cardinal de S. Estienne, Legat en France defendit à tout homme, de monter en chaize pour prescher, qu' il n' eust attaint l' âge de vingt cinq ans: & que nul ne peust lire en Theologie, qu' il ne fust âgé de trente cinq ans, & estudié par huit ans en ceste Faculté.

Et ayans les bonnes lettres trouvé lieu dedans Paris, sous le nom d' Université, elle fut apres esparse par toute la ville, & non au recoin que l' on luy assigne maintenant. En tesmoignage dequoy voyons nous encore le College des Bons enfans en la ruë S. Honoré pres du Louvre, l' Eglise de S. Germain de l' Auxerrois, que l' on appelle l' Escolle, & celle de saincte Catherine, que l' on surnomme du Val des Escoliers, nous servir de belles remarques, & mesmes en tous les Monasteres de la ville, où le Recteur fait sa procession, il ne la fait sinon de tant que ce sont lieux qui sont du corps de l' Université de Paris: vray que depuis que Jeanne Royne de Navarre, femme de Philippes le Bel eust construit le College de Navarre vers le haut de la montagne de Paris, en l' an 1304. ceux qui apres s' adonnerent à mesme sujet, comme il y en eut une infinité vers le regne de Charles VI. lors que l' Université estoit en grande vogue, ils choisirent tous ce mesme quartier, pour y être l' air vray semblablement plus sain, qu' en la fondriere, qui est accompagnee des esgouts de la ville. Chose qui a depuis apporté entre nous la difference que nous mettons entre la Ville, Cité, & Université: Aussi que dés son premier establissement elle faisoit ses congregations au College des Bernardins, que l' on a depuis reduites aux Mathurins pour la commodité du lieu. Un Robert de Sorbonne sous S. Louys est fondateur du College qui porte son nom, destiné pour les Theologiens, & croy que vous n' en trouverez point un plus ancien que cestuy-là. Grande chose: Qu' un simple valet de chambre de Roy ait apris aux Roys, Princes, Prelats, & grands Seigneurs une si noble Architecture. Vers ce mesme temps Guillaume de sainct Amour Theologien fut condamné par ses compagnons de la proposition par luy prise contre les quatre Ordres des Mendians.

Depuis les Roys à l' envy semblerent luy vouloir diversement gratifier: parce que Philippes le Bel par Edict de l' an 1295. ordonna que quelque emprunt qu' il fit pour la necessité des guerres, il n' entendoit que l' Université fust comprise en ce mandement, en l' an 1299. que pour une debte reelle, on ne pourroit gager un Escolier en ses meubles: Et en l' an 1311. que le Chevalier du Guet, dés son advenement jureroit de garder en tout & par tout les privileges de l' Université. Et Louys Hutin son fils, qui regna seulement un an, Que tous Escoliers peussent transporter leurs besongnes en tous endroits, où ils voudroient, sans trouble, ou inquietation d' aucun. Mais sur tous, grand fut le privilege que Philipes de Valois leur dona l' an 1340. par lequel il les exempta de tous peages, tailles, impositions, coustumes, ou autres telles charges personnelles, & qu' en tous leurs procés ils ne peussent être evocquez de la ville de Paris, a fin qu' ils ne fussent distraicts de leurs estudes: Et à ceste fin, pour conservation de leurs privileges, leur fut baillé pour Juge le Prevost de Paris, lequel pour ceste cause fut appellé Conservateur des privileges Royaux de l' Université de Paris. Et trouve-l'on aux vieux registres de l' Université, le formulaire du serment que le Prevost de Paris estoit tenu de faire sur son advenement és mains du Recteur de l' Université, pour conservation de ses privileges. Et depuis elle creut grandement en authorité, tant par le schisme de trente huict ans, qui regna en l' Eglise depuis le trespas de Gregoire unziesme, jusques à Martin cinquiesme, que par les troubles & divisions qui furent en France, entre les maisons d' Orleans, & de Bourgongne. Pour le premier, faisant vrayement ce qu' elle devoit, & au second, abusant de l' authorité, qui luy estoit sous main baillee par les chefs de part. Il n' y eut du commencement lors ordre en ceste France qui rabatit tant les coups du Pape de la Lune, qui fut Benoist XIII. comme ceste Université. Et Jean Duc de Bourgongne voyant l' authorité qu' elle avoit par ce moyen gagnee parmy le peuple, dressant une partie contre Louys Duc d' Orleans, la voulut sagement preoccuper encontre son ennemy. Qui fut cause que Louys dés l' an 1402. depescha Gentil-homme vers elle, pour la prier de vouloir bien & diligemment examiner ceste affaire, avant que de luy donner le blasme. Et voyant qu' elle prestoit l' aureille sourde à son ambassade, il se retira puis apres pour quelque temps (dit Alain Chartier en la vie de Charles septiesme) vers le Pape de la Lune, pour se liguer avec luy encontre l' Université, avec laquelle ce Pape faisoit profession expresse d' inimitié. Et creut en telle grandeur, que les gens de Messire Charles de Sanoisy grand Chambellan de France, & l' un des plus favoris du Roy, s' estans temerairement attachez à quelques escoliers, en une procession que l' Université faisoit en l' Eglise saincte Catherine du Val des Escoliers, & en y ayans blessé quelques uns, par Arrest du Roy, des Princes de son sang, & de son grand Conseil, donné en l' an 1404. il fut dit que sa maison seroit demolie, & Sanoisy tenu de fonder une Chapelle en faveur de l' Université, de cent liures de rente, & en mil cinq cens liures envers les blessez, & mil liures envers l' Université. Monstrelet adjouste que Sanoisy seroit banny & exterminé de la Cour du Roy, & tous ceux qui luy appartenoient de parentelle, & avec ce, privé de tous Offices Royaux. Ce qui fut executé, & ceste maison demolie, depuis reédifiee du consentement de l' Université, qui est aujourd'huy celle que l' on appelle l' hostel de Lorraine: Toutesfois ce fut à la charge qu' il y avroit un tableau attaché contre la paroy, au devant de l' Eglise saincte Catherine, dans lequel seroit contenuë toute l' Histoire & jugement, que l' on y peut encores aujourd'huy voir. Et fut pareillement desappoincté Sanoisy quelques mois de ses estats, pour contenter l' Université, mais puis apres restably.

Quelques annees apres, je veux dire en l' an 1407. Messire Guillaume de Tignon-ville Prevost de Paris fist pendre deux Escoliers, estudians en l' Université de Paris, l' un nommé Leger du Moussel Normant, & l' autre Olivier Bourgeois Breton, tous deux malgisans, qui avoient tué un homme de sens froid, lesquels ayans demandé leur renvoy, comme Escoliers, pardevant leur Juge, Tignon-ville sans y avoir esgard, les condamna d' être pendus, & estranglez au gibet de Montfaucon, où il les fit conduire dés l' instant mesmes, à jour failly, avec la lumiere des torches. Craignant que s' il remettoit du jour au lendemain ceste execution, ils ne fussent recoux du Roy, en faveur de l' Université. Chose dont elle appella, & en fit l' espace de quatre mois telle instance, qu' il fut ordonné par Arrest de l' an 1408. qu' ils seroient dependus, comme il fut fait. Et dit Alain Chartier que le Prevost y fust en personne, & les baisa en la bouche, & convoya avecq' ses sergens, depuis le gibet jusques au Monstier, où ils furent inhumez, estants leurs corps emmenez dans une biere, sur une charrette, & estoit le bourreau sur le cheval, vestu d' un surplis, comme un Prestre. Monstrelet adjouste, que pour garder les privileges de l' Université, il fut dit que les corps seroient rendus à l' Evesque: & au Recteur, comme il fut fait au Parvis de nostre Dame, & de là, ensevelis au Cloüestre des Mathurins, où l' on voit encores la tumbe. Le mesme Monstrelet dit, que Tignon-ville en perdit son estat: mais Juvenal des Ursins Advocat du Roy, qui estoit mieux nourry aux affaires de la France que l' autre, comme celuy qui estoit de ce temps-là, dit en la vie de Charles sixiesme, que ce fut un pretexte exquis par Jean Duc de Bourgongne pour le chasser, de tant qu' il favorisoit aux Orleannois, pour faire mettre en son lieu Pierre des Essars, l' un de ses confidents. Jamais punition, hors la mort, ne fut plus griefve envers un Juge, qui n' avoit peché que pour un grand zele qu' il avoit eu de bien faire: Mais l' authorité de l' Université estoit lors montee en tel degré, qu' à quelque condition que ce fust, il l' a falloit contenter. Elle estoit tellement peuplee, que le mesme Juvenal des Ursins atteste qu' ayant fait une procession en l' an mil quatre cens & neuf, de l' Eglise de saincte Geneviefve, à celle de sainct Denis pour l' assopissement des Troubles, qui adoncques voguoient par la France, l' assemblee se trouva si grande, que le Recteur estoit encores devant les Mathurins, lors que ceux qui tenoient les premiers rangs, estoient en la ville de sainct Denis. Et adjouste Alain Chartier, apres avoir raconté l' Histoire de Tignon-ville ces deux ou trois lignes. La dicte Université avoit grande puissance pour ce temps-là. Tellement que quand ils mettoient la main à une besongne, il falloit qu' ils en vinssent à bout, & se vouloient mesler du gouvernement du Roy, & autres choses. Cest Autheur, qui fut l' un des premiers de son siecle, n' en parloit point comme un aveugle des couleurs, parce que cela se verifia depuis par effect en une infinité d' actions qui se presenterent. Car soudain apres l' assassinat commis en la personne du Duc Louys, Maistre Jean Petit, l' un des premiers Docteurs de la Faculté de Theologie, prit la cause du Duc Jean en main, & soustint le huictiesme Mars 1407. au milieu du Parvy nostre Dame de Paris, par plusieurs raisons sophistiques, que ce meurdre estoir advenu par juste jugement de Dieu. Et depuis ce mesme Duc s' estant emparé du Roy, & ayant donné ordre de faire eslongner de la Cour tous les autres Princes du sang, qui portoient le party le plus foible, s' allia du tout avecq' l' Université, & ayant persuadé au Roy que tous ces Princes avoient conspiré contre sa Majesté, & deliberé de creer un nouveau Roy à la France, Charles sixiesme en escrivit promptement à l' Université sa fille, la priant de faire prescher & publier ceste conjuration au peuple, & qu' elle voulut prendre la protection de sa cause: A laquelle semonce tous les Prescheurs aiguisans & leurs langues, & leurs esprits commencerent à crier encontre les Armignacs. Car ainsi furent-ils nommez du Connestable Armignac, l' un des plus forts, & puissans guerriers de la faction des Orleannois: Presches qui gagnerent avecq' tel avantage le cœur des Parisiens, que jamais ils ne se peurent reconcilier avec ces Princes, encores que leur querelle fust la plus juste, jusques à ce que toutes choses estans en desolation & ruine, ils s' apperceurent, mais à tard, de la faute qu' ils avoient faite, supportans le party du Duc Jean. 

Mais pour ne m' eslongner de mon but, & monstrer tousjours quel rang tenoit lors l' Université, l' on trouve que le 7. jour de Fevrier, l' an mil quatre cens treize, assistee du Prevost des Marchands & Eschevins de la ville de Paris, elle vint remonstrer à la Cour de Parlement, qu' auparavant les Finances du Roy avoient esté mal gouvernees, & qu' elle avoit deputé certains personnages notables, pour en faire remonstrances au Roy, supliant la Cour faire le semblable de son costé. A quoy la Cour de Parlement sagement luy fit response, que c' estoit à elle de faire justice à ceux qui la luy demendoient, & non de la requerir, & qu' elle feroit chose indigne de soy, si elle se rendoit partie requerante, veu qu' elle estoit Juge. Cela fut cause que l' Université ne prenant ceste response pour payement, voulut avoir sa retraicte vers son garend ordinaire, qui estoit le Duc de Bourgongne, à l' instigation duquel le Roy fit une assemblee, & convocation generale dedans la ville de Paris, sur la reformation des Estats, où se presenta Frere Eustache Pauilly Carme, Docteur en Theologie, portant la parole pour l' Université, avecq' telle vehemence qu' il passa sur tous les Estats, monstrant les abus qui y estoient, mesme exhiba un ample roolle, dont il estoit porteur, dans lequel estoient declarez par le menu les grands & excessifs gages de tous les Officiers de la France, & que la multiplication de tant d' Officiers qu' il y avoit ne tendoit qu' à la subversion de l' Estat.

Ceux qui lors avecq' plus de nez jugeoient des affaires, cognoissoient fort bien que jamais la France n' avoit nourry dans son sein un plus certain ennemy que le Bourguignon, pendant qu' il pretextoit ses actions du masque d' un Roy mal ordonné de son bon sens, lequel il avoit en sa possession. Le premier qui oza remedier à ce mal dedans la ville de Paris, fut Maistre Juvenal des Ursins Advocat du Roy, personnage qui de son temps fit une infinité de bons offices au public, tant aux armes, comme en la justice. Cestuy, apres avoir longuement couvé un creue-cœur dedans soy, voyant le commun peuple attedié des grandes tyrannies, & extorsions, qui se faisoient dans la ville par les Bouchers, & Cabochiens, sous l' authorité du Duc Jean, qui lors estoit pres du Roy au bois de Vincennes, delibere d' en venir à chef. Et pour y parvenir, encores est-il contrainct d' avoir recours à l' Université. Pour le faire court, avecq' l' aide d' elle, il y besongne de telle façon, qu' il separe le Roy d' avecq' le Duc de Bourgongne, & fait dissiper, & esvanoüir à un clin d' œil tous ces mauvais garnimens, qui tenoient la ville sous leurs pieds, donne ordre que les prisons soient ouvertes à des plus grands Seigneurs de la France qui estoient dans la Bastide, destinez d' être defaits quelques jours prochains. Et tout d' une suitte fait approcher du Roy tous ces pauvres Princes qui avoient esté bannis de sa presence, les uns pour poursuivre une juste vengeance de la cruelle mort qui estoit advenuë à leur pere, les autres pour prester l' espaule à une querelle si bonne que celle-là. Et comme il n' y a riens qui soit plus doux au cœur de l' homme que se ressentir d' un tort qu' il a souffert, aussi soudain apres le retour de ceux-cy, ce fut seulement de joüer à beau jeu beau retour, & user de mesme pretexte que l' autre, pour combattre leur ennemy, c' estoit la presence du Roy. Et neantmoins encores pour y fraper coup, fallut-il interposer l' authorité de l' Université. J' ay leu unes lettres patentes qui furent lors depeschees sous le nom de Charles VI. par lesquelles il advertissoit de tous les costez ses principaux Officiers de la deliberation qu' il avoit prise en son Conseil de faire la guerre au Duc Jean, au bas desquelles estoit escrit, A la relation de son grand Conseil tenu du commandement de la Royne, & de Monseigneur le Duc de Guyene, auquel le Roy de Sicile, Messieurs les Ducs d' Orleans, & de Berry, Louys Duc de Bavieres, les Comtes de Vertus, & de Richemont, de Vendosme, & plusieurs du grand Conseil, & du Parlement, le Recteur, & plusieurs de l' Université estoient. Qui monstre que l' on les appelloit quelquefois au conseil des affaires d' Estat: & depuis comme le naturel du François est de s' attacher aux extremitez, le Parisien recevant pareil traictement des Armignacs, comme il avoit fait des Bourguignons, encores voulut-il reprendre ses anciennes brisees, & introduisit de nuict l' lsle-Adam, qui fit tels ravages, comme l' Histoire de ce temps-là en est chargee. 

Or comme ainsi soit que toute personne qui se donne plus de puissance, se donne par mesme moyen fort aisément plus de volonté qu' il ne doit, & qu' en nos actions il soit fort aisé de glisser d' une liberté (encores qu' elle soit honneste du commencement) en une licence effrenee: aussi ceste Université passant plus outre, se mit en fin à l' essor: d' autant qu' irritee des indignitez qu' elle enduroit des Ordinaires, elle appella de l' ordonnance de l' an 1417. faite en faveur d' eux: mais elle trouva icy un obstacle par l' authorité de la Cour de Parlement qui fit arrester le Recteur en la maison d' un chantre de la saincte Chapelle, & constituer prisonniers en la Conciergerie ceux qui tenoient rang plus bas. Ce qui rendit de là en avant l' Université quelque peu plus retenuë, non toutesfois de telle maniere qu' encores elle ne s' en voulut ressentir, mesmement contre le Parlement: mais en fin trouva qu' elle avoit trop forte partie à combatre. Parce qu' en la mesme annee ayant obtenu du Roy des privileges trop advantageux, & les voulant faire verifier, la Cour de Parlement ne le voulut faire. D' autant qu' il y avoit quelques clauses pour esmouvoir à sedition, & manda querir aucuns des chefs, & principaux de l' Université, pour le leur remonstrer: mais ils ne se voulurent contenter de ces remonstrances, & persisterent à leur requeste. Disans que si on ne les publioit, ils cesseroient leurs leçons. Nonobstant ce, ils n' obtindrent à leur intention, s' estant mesmement le corps de la ville de Paris opposé à ceste verification, & presenté requeste, a fin d' être receu partie: sur laquelle il avroit esté ordonné que les parties viendroient plaider au premier jour. Quoy voyant l' Université, & que ses affaires ne reüscissoient selon son desir, tourna sa pensee à nouveau conseil. Soustenant qu' elle ne devoit plaider en la Cour, & qu' elle avoit ses causes commises pardevant le Prevost de Paris, Conservateur de ses privileges. A l' instant mesmes le Prevost la vendique, & demande le renvoy pardevant soy, pour luy faire puis apres droict sur ses privileges. Cecy estoit du 25. Juin 1417. Pareille requeste le 4. Juillet, autre le 13. ensuyvant, a fin qu' on leur rendist leurs privileges. La Cour craignant quelque esmeute (car ce fut l' an que l' Isle-Adam estoit entré dans Paris) ne voulut interposer expressement son authorité sur ce renvoy: mais tirant prudemment les choses en longueur, en fin avecq' la colere, s' esvanoüit aussi la requeste en fumee, & se presentant nouveau succés d' affaires en la France par le meurdre du Duc Jean en la ville de Montereau, aussi prit-on nouveaux desseins: & neantmoins fut ceste querelle de l' Université totalement assopie par l' Edict du Roy Charles VII. verifiee le deuxiesme May, 1446. par lequel fut ordonné que la Cour cognoistroit des causes d' icelle, quand le cas y escherroit.

Les Anglois s' estans en l' an 1420. impatronisez de l' Estat, par le mariage qui fut fait avec Catherine de France, je ne voy plus que l' authorité de l' Université soit telle, comme elle estoit auparavant en telles affaires. Bien luy communiqua l' on de tous les principaux actes du procés que l' on faisoit à Jeanne la Pucelle, dedans la ville de Roüen. C' estoit parce que les Anglois pretendoient que Jeanne pour avoir pris l' habit d' homme, estoit heretique, & qu' il estoit question du fait de la Religion, dont on a tousjours estimé en France qu' il en falloit avoir l' advis de l' Université, depuis qu' elle fut establie: Finalement tous ces anciens troubles estans avecq' le temps assopis, & les Anglois chassez du Royaume, par la vaillance des grands Capitaines de Charles VII. tout ainsi que dedans ces dissensions estoit nee, aussi avec leur mort s' estaignit ceste grandeur plus oiseuse, que profitable à ceste Université, estant par ce moyen reduite en son premier ordre, & se contenant dedans ses anciennes bornes. Elle fut reformee en l' an 1452. par le Cardinal de Toute-ville Legat en France. Et certes qui voudra repasser par toute les Universitez de l' Europe, il n' en trouvera une seule qui revienne au parangon de ceste-cy, de laquelle nous pouvons dire que tout ainsi que du cheval de Troye sortirent innumerables Princes, & braves guerriers, aussi nous a-elle produit une infinité de grands personnages, dont la posterité bruira tant que le monde sera monde. En la Theologie, un Gerson, un Clamengis. Car je ne veux faire mention de Pierre Lombard pere de tous, qui est sans pair: en la faculté de Decret, un Rebufy, un Quentin, en la Medecine, un Sylvius, un Fernel, un Tagault, un Gonteric: en la Philosophie, & en toutes bonnes lettres, un Guillaume Budé, auquel, outre l' accomplissement qu' il eut de toutes les disciplines, on doit l' institution des Lecteurs (que nous appellons Professeurs du Roy) sous le Roy François premier, comme celuy qui luy en donna les premiers memoires, un Jean Faber, un Adrian Turnebus, un Pierre Ramus, un Robert Estienne. Es Mathematiques, un Oronce, En la langue Grecque, le mesme Budé, & un Tusan: en l' Hebraïque, un Vatable, & ce non comparable Mercerus, a fin que je ne parle des vivans, dont ceux qui viendront apres nous, pourront parler sans envie. Car quant à l' œconomie de ceste Université, concernant la distribution de ses dignitez, & autres menuës parcelles: on les pourra plus amplement entendre par mon Plaidoyé encontre les Jesuites.