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lundi 29 mai 2023

2. 10. Comment, & vers quel temps l' ordre des douze Pairs de France fut institué,

Comment, & vers quel temps l' ordre des douze Pairs de France fut institué, pour lesquels on appelle le Parlement, Cour des Pairs, dont vient qu' on requiert leur presence aux sacres, couronnemens de nos Roys.

CHAPITRE X. 

Si la vray-semblance doit quelque fois tenir lieu de verité, és anciennetez où les livres nous defaillent, il y a grande apparence d' estimer, que sous le Roy Hugues Capet, ceste police des douze Pairs eust pris son commencement, lors que tous les Ducs & Comtes avoient commué en fiefs perpetuels, les dignitez qu' ils tenoient auparavant sous le bon plaisir de nos Roys. Toutesfois en ceste opinion je me sens infiniement combatu d' une objection à laquelle il semble de prime-face n' y avoir aucune responce: Parce qu' entre les Pairs Laiz, nous y mettons pour sixiesme, le Comte de Champagne: Et neantmoins c' est une chose tres-certaine, que ny sous Hugues Capet, ny sous le Roy Robert son fils, ny bien avant sous le regne de Henry I. nous ne recognoissions ces Comtes de Champagne, tels que les ans porterent depuis, pour faire part de ce grand College. Thibault le vieil auquel commence le tige de ceste race, gendre de Heribert Comte de Vermandois, estoit seulement Comte de Blois, Tours, & Chartres: Ny luy, ny Eude premier son fils ne dilaterent ailleurs leurs limites. Vray que Eude second, se fit nommer Comte de Meaux & de Troyes, sous le regne du Roy Robert par la mort d' Estienne fils de Heribert qui tenoit le dessus de Germain sur luy, & est luy qui commença de prendre pied en Brye & Champagne, & pour ceste cause est appellé par Sigebert le Croniqueur, Odo Campaniensis.

Cestui eut pour fils Thibault deuxiesme, lequel pour les inimitiez qu' il exerçoit encontre le Roy Henry premier, se mit sous la protection d' un autre Henry Empereur d' Alemagne, qui l' honora du tiltre de Palatin de l' Empire. (Ainsi appelloient les Empereurs ceux qui estoient leurs Conseillers ordinaires.) Qualité qui ne tomba depuis de la famille des Comtes de Champagne, en tous leurs tiltres & enseignemens: laquelle toutesfois repugnoit à celle des Pairs de France, qui sont les premiers Conseillers de nostre Couronne: Voire qu' entre le Roy Louys le Gros, & le mesme Thibault, vous trouverez une guerre continuelle, & encores y en eut plusieurs autres apres leur decés, tellement que vous ne pouvez presque cotter temps auquel les Comtes de Champagne peussent être mis en ce rang de Pairs. Tant s' en faut que nous les y puissions agreger sous le temps de Hugues Capet. Et neantmoins nous tenons tous de main en main par une ancienne caballe qu' il y a eu de tout temps & ancienneté en ceste France douze Pairs, six Ecclesiastics & six Laiz. Tradition non seulement authentique, ains sacrosaincte, contre laquelle de vouloir faire le sçavant, c' est une vraye ignorance. J' adjousteray, que si ceste police est veritable, je vous supplie dites moy d' où vient qu' entre tant de grands Seigneurs qui lors estoient, l' on en tria quatre aux pays de deça, les Ducs de Bourgongne & de Normandie, les Comtes de Flandres & Champagne, & que de là, faisant un grand sault jusques aux extremitez du Royaume, on y adjousta le Duc d' Aquitaine, & le Comte de Thoulouse, laissant en arriere plusieurs Comtes qui estoient entre-deux, non moins grands terriens que les autres: Dont vient encores qu' entre tant de Prelats de France, qui portent tiltres d' Archevesques, & les aucuns de Primats, on en ait seulement choisi six, dont il n' y en ait qu' un Archevesque: mesmes qu' on les ait seulement pris des Provinces de Picardie, Bourgongne & Champagne? Car si tous les Archevesques & Evesques avant que d' entrer en leurs charges doivent la foy & homage à nos Roys à cause de leur Couronne, pourquoy n' en a l' on apparié quelques-uns à ces six autres, ou pourquoy avons nous borné ce grand & souverain fief de France, seulement de trois Provinces de la part des Ecclesiastics? Je le vous diray au moins mal qu' il me sera possible, & peut-être que ces deux dernieres objections, non seulement ne destruiront l' opinion que j' apporte de Hugues Capet, mais au contraire en tout & par tout la confirmeront, non pas pour vous dire que cest ordre des douze Pairs eust esté par luy jecté en moule, mais à mon jugement c' est luy qui fit les premiers fondements de ceste grande architecture. Chose que je ne vous puis descouvrir sans vous representer comme sur un petit tableau, les troubles, partialitez, & divisions qui advindrent en ceste France depuis la mort de Louys le Begue, qui fut en l' an 878. jusques au couronnement de Hugues Capet.

Louys le Begue mourant, delaissa sa femme enceinte d' un posthume qui fut appellé Charles le Simple, auquel par son testament il ordonna pour tuteur Eude fils de Robert Comte d' Angers. Les Normands affligeoient lors par diverses courses nostre France, dont ils s' estoient trop long temps apprivoisez à nos despens. Il falloit un Roy guerrier pour leur faire teste. Une Royne-Mere, Princesse estrangere n' estoit suffisante pour ce faire. 

Veu que noz plus grands Capitaines ne s' y trouvoient que trop empeschez. C' estoit un pretexte fort beau, pour supplanter un petit Prince de ses droicts. Louys & Carloman ses freres bastards se trouvent propres à cét effect, & se font couronner Roys de France. Mourans ils laissent un autre Louys fils de Carloman pour leur successeur, qui mourut quelque temps apres sans hoirs procedez de son corps. Tout cest entreregne (ainsi le veux-je appeller) dura sept ou huict ans pour le plus. Grande pitié, & digne d' être icy ramentue. Ceste grande famille de Charlemaigne, qui avoit faict trembler l' Europe, estoit lors aboutie en deux Charles, l' un surnommé le Gras, l' autre le Simple. Dieu veut que Charles le Gras deuiéne (devienne) mal ordonné de son cerveau. De façon qu' en un mesme temps ces deux Princes eurent deux curateurs: l' un pour la foiblesse de son sens, Arnoul Bastard son nepueu, l' autre pour la foiblesse de ses ans, Eude. Voire qu' en cestuy-cy noz ancestres remarquerent encores une imbecillité de sens, estant faict majeur, par le surnom qu' ils luy baillerent du Simple. Or ces deux curateurs, violans le droict de leurs charges se feirent proclamer Roys, celuy là de la Germanie, & cestuy de nostre France, vray que pour y apporter quelque masque, ce fut par l' election tant de leur Clergé que Noblesse. Je laisse ce qui est de l' Histoire de la Germanie, pour m' arrester à celle de France. 

Charles le Simple cependant arrivé au douziesme an de son aage, Herué (Hervé) Archevesque de Rheims qui ne couvoit pas moins d' ambition dedans sa poictrine, que Eude, sacre & couronne ce jeune Prince, & tout d' une main se faict confanonnier de ses armes. Vous pouvez juger quelles guerres civiles apporta lors ce contraste de deux Roys en un mesme Royaume. Eude va de vie à trespas, & avant que de mourir il adjure son frere Robert Comte & Gouverneur de Paris, & tous les autres grands Seigneurs de la France, de recognoistre Charles le Simple pour leur Roy: Aquoy ils acquiescerent, & sembloit que par ce moyen la France fut reduitte en son ancien repos. Le malheur du temps ne le voulut permettre. Le Roy avoit peu voir en son bas aage quatre Roys esbransler sa Couronne, d' avantage il se voyoit depourveu de tout Prince de son sang qui le secondast, au contraire il estoit assiegé de plusieurs Seigneurs accoustumez pendant le regne d' Eude de ne le recognoistre. Tout cela mis en consideration luy devoit servir de bride, pour se contenir dans les bornes de son devoir, mais son aage de dixhuict à dix neuf ans y resistoit: Joinct le peu de conseil dont il accompaigna toutes les actions. Flodoart qui vivoit de ce temps là, duquel l' use en tout ce discours, comme d' un fanal pour me servir de conduitte dans les obscuritez de ceste Histoire, nous raconte, que soudain que ce jeune Prince pensa être au dessus du vent, il embrassa esperduement l' amitié d' un jeune Gentil-homme nommé Aganon, vilipendant tous les grands Seigneurs, chose qui les indigna de telle façon qu' ils se banderent encontre luy dans Soissons, le reduisant en tel desespoir, qu' il fut contrainct avecques son favory de se re retirer chez l' Archevesque de Rheims aux despens duquel il vesquit l' espace de sept mois entiers. Comme la Majesté d' un Roy ne se peut oublier tout à coup, ains apres un premier choc de fortune, ne laisse de se ramentevoir à ses subjects, aussi advint-il le semblable à Charles. Mais luy opiniastre en son malheur continua ceste mal fondee bien-vueillance, mesmes fut si mal advisé de s' aheurter à la famille de Robert, ostant une Abbaye à Rotilde belle mere de Hugues le Grand pour en gratifier Aganon: Hugues fils de Robert se transporte expressement dans Laon par devers le Roy, pour en tirer quelque raison: mais voyant qu' il luy prestoit sourde aureille, il delibera d' obtenir par la voye des armes, ce qu' il n' avoit peu par justice. Maladie qui prit son cours dans la France l' espace de soixante dix ans, je veux dire depuis l' an 919. jusques en l' an 987. que Hugues Capet fut couronné Roy.

Charles le Simple estoit assisté de la Justice de sa cause (par ce que le subject qui prend les armes contre son Prince n' est jamais excusé envers Dieu) mais il estoit sans experience, sans conseil, sans aucun Prince de son sang. Le plus grand support qu' il avoit, estoit de l' Archevesque de Rheims. La partie est aussi mal faicte, quand un Prestre endosse le harnois, pour combattre un Capitaine, comme si un capitaine se revestoit d' une chasuble pour contrefaire le Prestre. Au contraire la faction de Robert estoit tres-forte & tres-puissante: car elle n' estoit point fondee sur une volonté esvolee du commun peuple, lequel on peut dire être un monstre, qui pour avoir trop de testes, est sans teste. Moins encores faisoit-elle estat d' un secours estranger qu' il faut fuyr comme un escueil, lors d' une guerre civile: par ce que ce Prince estranger faisant semblant de favoriser le party pour lequel il vient, n' a autre but que de demourer maistre du tapis par la ruyne des deux. Robert avoit esté faict Comte & Lieutenant general de Paris par le Roy Eude son frere, il estoit pere de Hugues que depuis la posterité surnomma le Grand, beaupere de Raoul Duc de Bourgongne, & de Heribert qui iouïssoit des villes de S. Quentin, Peronne, & autres forteresses des environs, & en outre de Meaux & Troyes. D' avantage ils attirerent à leur cordelle Thibault le Vieil Comte de Chartres, & de Blois, brave guerrier, dont j' ay parlé cy dessus, qui se fist gendre de Heribert. Il leur falloit encores un Roy au moyen dequoy Robert en prent le tiltre comme par un droict successif d' Eude son frere. Vray que pour y apporter plus de fueille, on y proceda par election: & apres son decez fut aussi éleu Roy de France Raoul de Bourgongne son gendre. Coustume qui s' insinua, non seulement pour ses Roys extraordinaires, mais qui plus est pour ceux qui estoient les vrays & legitimes, pour Louys d' Outremer, Lothaire son arrierefils. Qui a causé une heresie à quelques uns de penser que tous noz Roys fussent anciennement electifs. Je ne me suis icy proposé de vous estaler par le menu tous les accidents qui advindrent lors. Je vous diray seulement que depuis ce temps là vous ne voyez qu' un chaos, meslange & confusion de toutes affaires dans la France, tantost tous ces Princes uniz ensemble, tantost divisez selon les mescontentemens qu' ils avoient les uns des autres.

Et neantmoins, ainsi que je recueille de Flodoart, dont je faits grand fonds, l' air general de tous ces troubles fut tel. Hugues, depuis surnommé le Grand, devint chef de part, faiseur & defaiseur des Roys selon les occasions: (tout ainsi qu' autres fois Charles Martel) entre ses partizans. Heribert & Thibault beaupere & gendre à face ouverte donnerent les coups orbes: celuy là ayant fait deux fois Charles le Simple son prisonnier, lequel en fin il fit mourir en prison: Et cestuy, Louys d' Outremer son fils, qu' il eut en sa garde un an entier dedans Laon, vray que c' estoit par les menees de Hugues le Grand. Les Duc de Normandie & Comte de Flandres estoient arbitres de la querelle, tantost d' un party, tantost d' autre, selon que la commodité de leurs affaires les y convioit. Quant au Duc d' Aquitaine & Comte de Languedoc, (depuis appellé Comte de Thoulouze) ils servoient de fois à autres de retraicte à nos Roys, en cas de malheureux succez: le theatre où se joüiot la tragedie, c' estoit la Picardie, Bourgongne, Champaigne. La demeure de Hugues, dans Paris, dont il estoit Comte, celle des Roys dans Laon, Rheims, & Compieigne: mais sur tout, les chefs tant d' un que d' autre party affectionnoient la ville de Laon, comme un fort boulevert pour se maintenir contre toutes les advenuës. Au regard des Duchez & Comtez, encores que les Roys pretendissent en pouvoir dispofer, vacquation d' iceux advenant par mort, si est-ce qu' on ne les croyoit, sinon de tant qu' ils estoient assistez de la force: ils eurent en fin un Hugues lequel, ayant perdu tous ses corrivaux (hormis Thibault qui le seconda en toutes ses entreprises) s' estoit fait Controleur general de leurs actions: Heribert estant decedé, ses enfans occirent un Raoul que Louys d' Outremer avoit envoyé exprez pour remettre entre ses mains les villes & terres dont leur pere estoit mort vestu: Le mesme Roy voulant r'entrer dans la Normandie par la mort de Guillaume Duc qui n' avoit laissé qu' un bastard, en fut empesché par Hugues, qui eut un trop puissant adversaire pres de soy, si ceste reünion eust sorty effect. Et neantmoins il se fit donner puis apres le Duché de Bourgongne par le Roy, & sous ce tiltre, luy & ses enfans en jouyrent. Le pretexte estoit par devers nos Roys, la force par devers luy: & à peu dire ils avoient le nom & tiltre de Roys sans effect, cestuy l' effect sans le nom: toutesfois il fit en fin la foy & hommage au Roy Lothaire du Duché general de la France, & apres luy Hugues Capet son fils à Louys dernier Roy de la race de Martels, estans au lieu de Comtes de Paris, appellez Ducs de la France, qui n' estoit pas une qualité grandement eslongnee de celle de Roy: jusques à ce qu' en fin apres plusieurs & diverses disputes, Lothaire regnant, Charles son frere par une ambiton sotte & precipitee se fit vassal de l' Empereur Othon second, qui erigea en Duché, la Lorraine, & l' en investit, luy faisant don d' un pays qu' il ne pouvoit bonnement garder. Ce qui aliena tant Charles, du cœur des François, qu' apres la mort de Louys son nepueu, il fut aisé à Hugues Capet de se faire couronner Roy par le commun vœu & suffrage des Prelats & Seigneurs de la France: Car mesmes Charles froid & lent luy donna le loisir de reprendre haleine quatre ans entiers, apres qu' il fut monté à ce haut degré. Et toutesfois Charles s' estant depuis mis en armes eut deux heureux succez contre luy : car il le vainquir premierement en bataille rangee, & en apres le chassa de la ville de Laon, en laquelle il deliberoit d' establir sa demeure, tout ainsi que ses devanciers: mais par les menees de Hugues Capet, il fut trahy par l' Evesque, lequel le meit avecq' sa femme entre les mains de son ennemy. Qui fut l' accomplissement de son malheur: d' autant que deslors il fut envoyé prisonnier en la ville d' Orleans, où luy & sa femme paracheverent leurs jours.

Par ce dernier chef d' œuvre, vous pouvez recognoistre qu' il y eut moins de vaillance & plus de prudence en Hugues, pour laquelle aussi il emporta à mon jugement le surnom de Capet. Mon opinion doncques est, que luy se voulant rendre paisible de l' Estat, suivit toutes les mesmes traces qui luy avoient esté enseignees par son pere: Aussi que quand il y eust voulu proceder autrement, la Noblesse ne l' eust permis: Et comme ainsi fust que Eude, Robert, & Raoul, Roys adoptez & non naturels, fussent venus à la Couronne par election, voire que ceste mesme procedure eust esté tenuë en Louys d' Outremer, Lothaire, & l' autre Louys, aussi luy convint-il faire le semblable, & par une grande sagesse qui luy faisoit perpetuelle compagnie, il choisit, & les Prelats & les Princes qui avoient eu la meilleure part en la querelle, c' est à sçavoir entre tous les Prelats de la France, six qui estoient des Provinces où l' on avoit joüé des mains: dont il feit le chef, l' Archevesque de Rheims, chef non seulement pour sa qualité, mais aussi que d' ancienneté il consacroit les Roys: au dessous duquel il meit pour second, l' Evesque de Laon, pour l' obligation qu' il avoit en luy, & ainsi des autres selon le plus ou le moins de respect, qu' il leur portoit. Comme aussi entre les Princes & Seigneurs Laiz, il choisit ceux qui avoient esté principalement employez pour l' un & l' autre party: Les Ducs de Bourgongne, Normandie & Guienne, les Comtes de Flandre, & Languedoc: & par special le Duc de Bourgongne, qui fut le Doyen de tous ces Seigneurs: non que ce Duché fust de plus grande recommandation que les autres, ains par ce qu' Othon son frere en estoit Duc, & par consequent meritoit lieu de primauté. Avec lesquels il adjousta Thibaut Comte de Chartres, Blois & Tours, qui n' estoit si grand terrien, mais par ce qu' il avoit esté l' un des premiers & plus obstinez entremetteurs, à la conduitte des troubles: 

Et sa posterité ayant acquis tant par droict successif, que de bien seance, les pays de Champaigne & de Brie, l' on meit puis apres au rang des autres, les Comtes de Champaigne. Voila ce qu' il me semble du premier establissement de nos douze pairs.

Or tout ainsi que ceux-cy tindrent les premiers lieux lors que Hugues Capet fut esleu Roy, aussi ne fay-je aucune doute qu' aux Parlemens & Assemblees generales esquelles on vuidoit toutes causes, tant d' Estat, que de Justice, ils y tinsent les premiers rangs: Et comme on est bien aise de n' oublier les noms des ancienes dignitez, ores que la forma en soit perdue, aussi remeit-on lors l' ancienne dignité de Patrice ou Pairrie en avant, qui estoit tant respectee premierement par les Empereurs, & en apres par nos Roys de la premiere, & seconde lignee. De là vint, que s' il y avoit quelque question entre le Roy & eux pour leurs Pairries & teneures feodales, ou entr' eux mesmes, qu' ils ne decidassent par les armes, ils en remettoient la decision au Conseil general d' eux tous: Et d' autant que d' ordinaire cela se vuidoit en un parlement, on l' appella Cour des Pairs: & à l' exemple de cecy, les Ducs & Comtes voulurent aussi (comme j' ay dict) avoir leurs Pairs en leurs Conseils, Eschiquiers & Grands jours, & au dessous d' eux les Barons voulurent faire le semblable: comme naturellement les petits se rendent Singes des grands. Je trouve dans les Memoriaux de nostre Chambre des Comptes unes procedures qui furent faites l' an 1224. entre la Comtesse de Flandres & le sire de Nesles qui merite d' être icy transcripte, encores que le langage ne soit si vieux, comme estoit celuy de ce temps là. Sur un different qui estoit en Parlement entre Jeanne Comtesse de Flandres & Jean de Nestes: la Comtesse comparant au jour proposé, disoit qu' elle n' avoit pas esté suffisamment semonce par deux Chevaliers, fut jugé qu' elle avoit esté suffisamment semonce: Elle demanda depuis le renvoy de sa cause par devant ses Pairs, qui estoient en Flandres. Jean de Nesles disoit qu' elle avoit failly de droict par ses Pairs, dont il avoit appellé ladicte Comtesse, où il estoit prest de la convaincre de defaut de droict, fut jugé par le Roy, que Jean de Nesles ne retourneroit en Flandres. Lors comparurent le Chancelier, le Bouteiller, le Chambrier, & le Connestable qui sont Officiers de l' hostel du Roy. Les Pairs soustenoient qu' ils ne devoient assister au jugement des Pairs de France: soustenans lesdits Officiers le contraire. Par Arrest fut dict que lesdicts Officiers y assisteroient & jugeroient. Ancienneté, dont vous pouvez recueillir que dés pieça l' ordre & police des Pairs estoit lors instituee tant au chef que membres de la Couronne. Au demourant si ce placard est veritable, il semble que lors le College des Pairs pretendoit qu' à luy seul appartenoit la cognoissance de ses confreres, veu qu' il n' y vouloit admettre les quatre premieres dignitez de la France, & mesmement le Chancelier que depuis nous avons recogneu pour chef general de la Justice. Et neantmoins ce different fut jugé par le Parlement: D' autant que ce n' estoit pas la raison que le College des Pairs eust esté juge en sa propre cause. Depuis on n' a point faict de doute que le corps des Pairs & du Parlement n' estoit qu' un.

Voila quant à la Cour des Pairs, je viens maintenant aux Sacres & Couronnemens de noz Roys, où l' on desire la presence des Pairs. Et combien que cela semble avoir pris son premier traict, de l' élection de Hugues Capet, si ne se continua-il d' un tel fil, que l' autre: Parce que depuis son couronnement jusques à la venuë de Philippes second, dit le Conquerant, on ne trouve point que ces Pairs ayent faict profession d' assister aux Sacres, quelque chose que l' on s' imagine du sacre de Louys le Jeune son pere. Et à vray dire c' est une histoire où il y a autant de tenebres qu' en pas une des nostres. Pour l' esclaircissement de laquelle faut noter que tant & si longuement que les Troubles durerent entre les deux familles, on proceda par élection au couronnement de noz Roys, ainsi que je vous ay cy-dessus touché. Ceste mesme procedure fut practiquee en Hugues Capet, nouveau Roy.

Mais luy Prince tres-advisé, cognoissant que de remettre à la mercy d' une élection, la Couronne nouvellement transferee en sa famille, c' estoit chose de perilleuse consequence, rechercha tous les moyens qu' il peut pour en suprimer l' usage: Et ne trouvant expedient plus prompt que d' agreger avecq' soy Robert son fils, il le fit sacrer & Couronner Roy dés son vivant. Coustume qui fut depuis observee en quatre ou cinq generations successives de noz Roys: Parce que le mesme Robert en fit autant à Henry premier, son fils: & luy à Philippes premier. Lequel n' ayant voulu faire le semblable à l' endroict de Louys le Gros, ce jeune Prince se trouva aucunement empesché apres la mort du Roy son pere. D' autant que l' Archevesque de Rheims, & quelques Prelats & Barons voulurent s' opposer à sa reception. Chose dont Yves Evesque de Chartres adverty, prevint leur dessein par un sage conseil, qui fut de le faire promptement sacrer Roy dedans la ville d' Orleans. Et comme apres coup, ils s' en plaignissent, ce Prelat plein d' entendement, & homme d' Estat, fit une Apologie, qui est la septantiesme entre ses Epistres, par laquelle il monstre qu' il luy avoit esté loisible de ce faire, & que les Sacres de noz Roys n' estoient non plus affectez à l' Eglise de Rheims, qu' aux autres Cathedrales ou Metropolitaines du Royaume. Joinct qu' outre la plume de cest Evesque, Louys le Gros estoit un rude ioueur, auquel il ne se failloit pas aisément heurter. Et neantmoins luy s' estant faict sage, par soy-mesmes, & à ses propres despens, il se donna bien garde de faire la faute qu' avoit faict son pere. Parce que quelques ans avant que de mourir, il fit sacrer Roy, Louys le Jeune son fils. Ce que pareillement fit Louys envers Philippes second, dir Auguste. Ces sages resignations admises dés le vivant des peres, firent oublier les elections qui estoient nees dedans les Troubles de la France. De maniere que vous ne voyez en tous ces Sacres & couronnemens être faicte mention des Pairs, horsmis en celuy de Philippes Auguste, où l' on remarque que Henry le jeune Roy d' Angleterre s' y trouva comme Pair & vassal de France. Mais c' estoit une honneste submission qu' il faisoit au Roy, pour monstrer qu' il ne se pretendoit souverain des seigneuries qu' il possedoit dedans le Royaume. Bien veux-je croire (& n' est en cecy vaine ma creance) que tout ainsi que ce Roy Philippes second eust tant qu' il regna la fortune en pouppe, pour laquelle il fut surnommé tantost Philippes le Conquerant, tantost Philippes Auguste, comme s' il eust esté un autre Empereur Auguste entre nous, aussi voulut-il magnifier sa Cour de ce beau tiltre de Pair. Pour le moins le voyez vous dés & depuis son regne plus en usage que devant. Guillaume de Nangy nous raconte que vers l' an 1259. en paix faisant entre S. Louys, petit fils d' Auguste, & Henry Roy d' Angleterre, il fut accordé que la Normandie, Poictou, Anjou, Maine, & Touraine demeureroient aux François, & la Gascongne, Lymosin & Perigord aux Anglois, à la charge que le Roy d' Angleterre recognoistroit les tenir de noz Roys, en foy & hommage, & s' appelleroit Duc d' Aquitaine & Pair de France. Et neantmoins repassez en quatre ou cinq lignees subsequutives: En Louys huict & neufiesme, Philippes troisiesme, Philippes quatriesme dit le Bel, & en ses trois enfans, vous ne voyez les Sacres de noz Roys être honorez de ceste parade de Pairs. Parquoy je dirois volontiers, s' il m' estoit permis, que lors qu' ils commencerent de n' être, ils commencerent de renaistre, c' est à sçavoir, apres que tous les anciens Duchez & Comtez furent reüniz à la Couronne, fors & excepté celuy de Flandres. Car voyans noz Roys leur Royaume n' être plus eschantillonné: ils voulurent representer par image ces anciennes Pairries: vray qu' avecq' un discours grandement eslongné: Car au lieu qu' autresfois on avoit erigé les grandes Provinces en Royaumes, pour lotir un enfant de France, & luy mort sans enfans on les reduisoit en Duchez & Pairries, nous erigeames depuis en Duchez & Pairries les simples Baronnies: & lors on ne douta de tirer en ceremonie, aux Sacres de noz Roys, ce qui avoit esté faict par necessité à l' advenement de Hugues Capet à la Couronne. De maniere que les Prelats demourerent en leur ancienne prerogative de Pairs & les nouveaux Pairs Laiz representerent les anciens, comme estant ceste representation sans danger.

dimanche 2 juillet 2023

6. 2. Qu' il ny a rien tant à craindre en une Republique, que la minorité d' un Roy.

Qu' il ny a rien tant à craindre en une Republique, que la minorité d' un Roy.

CHAPITRE II.

Ce que je vous discourray maintenant me sera non un Livre, ains une meslange d' affaires selon qu' elles me sont venuës en l' esprit, & paradvanture non moins aggreables que si j' eusse observé l' ordre des ans. Je commenceray doncques ce Chapitre par la minorité des Roys, & vous diray que ce fut une question ancienne traictee par quelques personnages de marque, sçavoir lequel estoit plus expediant au public, d' avoir un Prince foible de sens, assisté de sages Seigneurs, ou bien des Seigneurs de foible conseil, commandez par un Prince sage. Question certes qui peut trouver divers parrains, pour le soustenement du pour, & du contre: Car il se trouve tel Prince, lequel foible d' entendement a restably son Estat, qui estoit au dessous de toutes affaires, comme en cette France on vit autresfois un Charles septiesme, lequel plus ententif à faire l' amour à sa belle Agnes, qu' au restablissement de son Royaume: Toutesfois fut remis fus par la sage conduite premierement de Jean Bastard d' Orleans, & en apres par un Connestable de Richemont, la Hire, Poton, & autres Capitaines, dont la fortune l' accommoda plus que le conseil: Au contraire il se trouve plusieurs Princes qui par leurs sens, & suffisances peuvent beaucoup, toutesfois assiegez de plusieurs mauvais conseillers, sont quelquesfois reduits en toutes miseres & calamitez. Or en cette question si j' en estois creu, j' aymerois mieux estre pour le dernier party. Car encores que les Roys ne voyent que par les yeux, n' oyent que par les oreilles de ceux qui leur assistent, si est-ce qu' il y a plus d' asseurance en un Roy sage, quelque mauvais conseil dont il soit environné, qu' en un sol, quelques sages personnes qu' il ait prés de soy. Il n' a point esté dit sans s cause que l' œil du Maistre engraisse & son champ & son cheval. Le Prince sage, encores qu' il ne puisse de soy donner ordre à tout, si fait-il contenir aucunement les plus desbordez de ses serviteurs en leur devoir: Et celuy que l' on voit manquer de sens, fait que ceux qui estoient du commencement les plus retenus, apprennent peu à peu à s' oublier, & tout d' une suite abuser de l' imbecillité de l' âge, ou de l' entendement de leur Maistre: Bref s' il en advient autrement, c' est plus par hazard, que discours. De cela nous eusmes un bel exemple sous le regne de Charles sixiesme, lequel fut appellé à la Couronne n' ayant encores que douze ans, & depuis venant en âge de plus grande maturité, Dieu permit qu' il tomba en alteration de son bon sens. Je vous prie doncques de considerer quel fruict en rapporta la France. Jamais Roy ne fut plus sage entre les nostres que Charles cinquiesme: car il fut apres son decez par les uns intitulé le Sage, & par les autres le Riche, deux tiltres qui ont quelque correspondance de l' un à l' autre. Parce que sans sa sagesse il n' eust pas aisément laissé son Royaume riche & opulent. Ce grand Prince prevoyant toutes les calamitez qui peuvent sourdre du bas âge d' un Roy, y voulut apporter tous les remedes que l' on pouvoit desirer en sens commun: & par especial fit une loy magnifique, publiee en son Parlement le vingt-uniesme de May mil trois cens soixante & quinze en sa presence,  & de tous les Princes de son sang, ensemble de plusieurs Archevesques, Evesques, & d' autres plus signalez Seigneurs de la France, par laquelle il fut ordonné qu' un Roy de France seroit estimé majeur en l' âge de quatorze ans, & pourroit deslors estre sacré Roy. Il pensoit par là asseurer l' Estat aux siens à clouds de diamant, ne se souvenant que les loix de Nature sont immuables, quelque changement que nous y pensions apporter par la loy civile, & qu' il luy estoit impossible de faire qu' un enfant ne fust tousjours enfant, quelque ceremonie de Sacre, & Couronnement que l' on y apportast, pour suppleer le defaut de son aage. Et neantmoins j' estime que s' il y avoit remede dont l' on se peust prevaloir en tel cas, c' estoit celuy dont s' advisa ce sage Roy. Or non content de cela, voulant encores avant que de mourir, apporter quelque asseurance particuliere à ses enfans, il choisit son frere Louys Duc d' Anjou qui le secondoit en aage, pour avoir l' œil sur les affaires du Royaume, pendant la minorité de son fils, lequel dés le premier jour d' Octobre mil trois cens octante, vint prendre possession de sa Regence en plain Parlement, & jamais commencement de gouvernement ne fut de plus belle promesse que cestuy-cy. Car comme ainsi fust que l' estat de Chancelier fust vacquant par le decez de Messire Guillaume des Dormans, Louys nouveau Regent, voulut que par bon scrutin il fust procedé à l' eslection d' un Chancelier, & y fut nommément esleu Milon des Dormans son frere, Evesque de Beauvais, President des Comptes, & quelques jours apres il ordonna que combien que le Roy ne fust en aage, toutesfois il seroit Sacré, & Couronné Roy, comme aagé, & que toutes les affaires de là en avant se manieroient sous son nom: Toutes lesquelles choses ce grand Duc en sa presence voulut estre publiees, ratifiees, & authorisees le quatriesme Novembre ensuyvant en plain Parlement, où se trouverent la Royne Blanche, la Duchesse d' Orleans, tante du Roy, Messieurs les Ducs de Berry, Bourgongne, & de Bourbon, & pareillement les Comtes de Sarrebruche, Dampmartin, & de la Marche, & tous Messieurs de Parlement, & de la Chambre des Comptes, & Thresoriers de France, Prevost de Paris, & le Prevost des Marchands, & Eschevins, le tout en presence d' une infinité de personnes. De là Charles sixiesme fut Sacré Roy en la ville de Rheims, & quelque temps apres Couronné dans sainct Denis: A la suitte de cecy, les Ducs d' Anjou, Berry, Bourgongne, & Bourbon, le dernier jour de Novembre au mesme an, capitulent ensemblement, & arrestent qu' ils feroient tous les jours un conseil, & que par leur advis, ou de trois, ou de deux, les finances de France seroient maniees, & qu' ils esliroient douze Seigneurs, pour estre au Conseil du Roy, & adviser avecques eux, d' instituer Capitaines, Gardes de Chasteaux, Baillifs, Seneschaux, Receveurs, & autres Officiers. Que ces Princes ne pourroient aliener le Domaine du Roy à vie, sans le consentement des quatre, & de tout le Conseil. Que par eux seroit fait inventaire secret de la finance, & de tous les joyaux du Roy, & qu' ils seroient gardez à son profit, jusques à ce qu' il fust en aage de cognoissance. Que la garde de sa personne, & de Monsieur de Valois son frere (c' estoit Louys qui depuis porta le tiltre de Duc d' Orleans) demeureroit aux Ducs de Bourgongne, & de Bourbon: & pour cette cause pourroient leur donner Officiers, par le gré toutesfois des Ducs d' Anjou, & de Berry. Jamais plus beaux devis & projets ne furent mis en avant pour le soustenement de l' Estat d' un jeune Prince, & avec plus de ceremonie: ce nonobstant en moins de rien tout cela ne fut que fumee: Car cette interposition de nom du Roy n' estoit qu' un masque, qui non seulement ne profita au public, mais y nuisit davantage: Parce que ces Princes se donnans la main l' un à l' autre, s' en faisoient croire comme ils vouloient, pour ne pouvoir estre controllez par leur Roy: & neantmoins donnoient plus de voye, & franchise à leurs actions, y employans l' authorité de son nom: Et à peu dire, jamais ne fut une plus grande desbauche sous un Roy que dessous cestuy. Premierement à l' issuë de la grande assemblee tenuë au Parlement, furent decernees lettres Patentes du Roy, par lesquelles il donnoit toute puissance de Roy au Duc de Berry: Car par icelles il le fit son Lieutenant general de Berry, Auvergne, Poictou, Guyenne, luy donnant plaine puissance de pouvoir instituer, & destituer toutes sortes d' Officiers de quelque qualité qu' ils fussent, & aussi de pouvoir donner lettres de graces, de Justice, d' Estat, de respit, sauve-garde, sauf-conduit aux ennemis, bailler lettres d' abolition à un crimineux de leze Majesté, rappel de ban, permission de legitimer tous enfans qui seroient engendrez d' un attouchement illicite, de creer des Notaires Royaux, & de les destituer puis apres si bon luy sembloit, d' amortir les lettres des Eglises, permettre aux personnes roturieres de pouvoir tenir des fiefs, conferer tous Benefices, estans au patronnage du Roy, de mettre oblats, & autres personnes aux Abbayes, ordonner des hospitaux, & maladeries, tout ainsi comme le Roy. Bref de jouyr de tous les droicts Royaux, fors & excepté qu' il ne pourroit aliener le Domaine de la Couronne. Voila un premier coup d' essay de desbauche, qui fut quelque temps apres suivy d' un autre. Car combien qu' il eust esté arresté entre ces quatre grands Princes que l' on feroit inventaire de tous les thresors du Roy Charles cinquiesme, pour les reserver à l' aage de discretion du Roy, toutesfois le Duc d' Anjou les espuisa tous au voyage d' Italie qu' il fit pour conquerir le Royaume de Naples, ancien & malheureux amusoir de l' ambition de nos Princes: & dit-on qu' il trouva en ces thresors la somme de quatorze millions de liures. Je vous laisse que quelque temps apres le Roy donna au Duc de Berry tous les restes des comptes tant ordinaires qu' extraordinaires du Languedoc, & qu' il le fit encores son Lieutenant general és pays de Lymosin, Xaintonges, Angoulmois, Perigord, Quercy, Agenois, Bourdelois, Bigorre, & autres par delà la riviere de Garonne, outre son premier Gouvernement, & qu' il decerna pareille puissance sur la Normandie au Duc de Bourgongne son autre oncle: Tout cela, se furent les premiers fruicts que rapporta le bas aage de ce pauvre Prince: Mais quand depuis croissant d' ans il diminua de cerveau, maladie qui luy dura tout le temps de son regne, bien que de fois à autres il eust quelque surseance de fureur, alors ce fut l' accomplissement du malheur de nostre France. Chose qui me semble meriter son discours particulier, que je reserve au Chapitre suyvant.

jeudi 25 mai 2023

2. 4. De plusieurs particularitez qui concernent le Parlement.

De plusieurs particularitez qui concernent le Parlement. 

CHAPITRE IV. 

Je veux que le Lecteur repreigne icy son haleine, & c' est pourquoy d' un chapitre il me plaist d' en faire deux. D' autant qu' au discours de ce Parlement il y a plusieurs particularitez qui meritent de n' être oubliees. Car en premier lieu pour donner occasion & aux Juges de bien juger, & aux parties de ne provigner leurs procés, nos anciens eurent premierement une coustume generale de faire adjourner les Juges, pour venir soustenir leur jugé à leurs perils & fortunes. Et faisoient seulement intimer & signifier l' appel à la partie qui avoit obtenu gain de cause, afin qu' elle assistast au plaidoyé, si bon luy sembloit, pour oster toute occasion au Juge de ne s' entendre & colluder avec l' appellant. Laquelle coustume, ores qu' elle soit perie, si en sont encores demourees les vieilles traces jusques à nous: En ce qu' encores pour le present on adjourne les Juges, & inthime-l' on seulement les parties. Qui me fait presque penser (d' autant que je voy ceste façon de faire être observee tant à l' endroit des Juges Royaux, qu' autres Juges guestrez & pedanees) que de vieille & primitive institution estoient aussi bien les Juges Royaux pris à parties comme les autres, & que depuis par succez de temps fut supprimee la rigueur de ceste coustume: De sorte que puis apres elle fut seulement pratiquee à l' endroit des Juges non Royaux, comme nous apprenons du Vieux stile de Parlement. Et à ceste mienne opinion assiste, que par anciennes Ordonnances ils devoient assister en personnes aux jours de leurs Parlements, pour veoir reformer leurs sentences: Et du droict mesmes originel des François, ils eurent une sorte de Juges qu' ils appelloient Rhatimbourgs, expressemment destinez pour decider les causes qui se presentoient pour le fait de la Loy Salique. Lesquels se trouvans avoir sententié autrement que la Loy ne portoit, se rendoient pour ceste faute emendables en certaine somme envers celuy contre lequel ils avoient jugé, ainsi que l' on trouve au chapitre soixantiesme de la Loy Salique. Tellement qu' il n' est pas du tout hors de propos d' estimer qu' anciennement tous Juges de quelque qualité qu' ils fussent estoient responsables de leurs jugemens: Et que depuis ceste coustume fut retraincte & limitee encontre ceux seulement qui se trouvoient Juges non Royaux: jusques à ce que finalement s' est ceste maniere de faire du tout anichilee entre nous, ne nous estant demouré pour remarque de toute ceste ancienneté que les paroles sans effect. Car encores que nous facions adjourner les Juges comme vrayes parties, si est-ce que cela se fait à present tant seulement pour la forme: demourant en la personne de l' inthimé le fais & hazard des despens. 

Et à la mienne volonté que ceste ancienne coustume eust repris sa racine en nous, pour bannir les ambitions effrenees qui voguent aujourd'huy par la France en matiere de judicature. 

Aussi eurent nos ancestres une chose qu' ils observerent tressoigneusement, parce que du commencement il n' estoit permis bailler assignation aux parties adverses, sinon aux jours qui estoient du Parlement de leurs Bailliages ou Seneschaussees. Pour laquelle chose entendre, faut noter que ce Parlement estant fait continuel l' on distribua les territoires, ordonnant par rang, certains jours dediez pour rendre droict à chasque Bailliage. Ces jours selon qu' ils estoient ordonnez, s' appelloient jours du Parlement de Vermandois, Touraine, Anjou, Maine, ou autrement. Et estoit lors une coustume notable & recogneuë par nos vieilles Ordonnances: Car apres que l' on s' estoit presenté, on faisoit les roolles ordinaires, dans lesquels chaque cause estoit couchee à son rang. Se pouvant chacun asseurer d' avoir expedition en justice, selon son degré de priorité ou posteriorité. Et trouve l' on mesmement Arrest donné long temps apres la resseance du Parlement, par lequel dés le neufiesme d' Octobre mil quatre cens trente six, sur les importunitez qui se presentoient par les parties qui vouloient enfraindre ce vieil ordre, fut ordonné que les Lundis & les Mardis on plaideroit des causes ordinaires, & non d' autres: Et defendu à toutes personnes de ne demander les Audiences extraordinaires. Pour lesquelles furent reservez les Jeudis, ainsi qu' il plairoit au President qui tiendroit l' Audience les distribuer en faveur des veufues, orphelins & pauvres. Ordonnance renouvellee par le quarantedeuxiesme Article de l' Edict d' Orleans de l' an 1560. Pour retourner au progrés de mon propos, en ceste distribution de Bailliages assignez à certains jours, estoit un chacun astraint de soy contenir dans les bornes de son Parlement, jusques à ce que la subtilité des praticiens trouva une clause de Chancellerie que l' on a encores de coustume d' inserer dedans les lettres d' appel, par laquelle il est porté de donner assignation à sa partie adverse, posé que ce ne soit des jours dont l' on plaidera au Parlement, ainsi que Jean de Bouteiller vieux praticien nous * ammonneste de faire en sa pratique, intitulee Somme rurale, en laquelle y a plusieurs decisions anciennes tres-notables. De là commencerent à sourdre je ne sçay quelles petites chiquaneries (comme les esprits des hommes ne demeurent jamais oiseux és cas où leur profit se presente) sçavoir si ceste clause estant obmise, l' impetrant des lettres devoit à son adversaire les despens de l' assignation, comme l' ayant de son auctorité privee & sans derogation expresse assigné à jours hors le Parlement: Sur laquelle difficulté Jean Gallus, homme qui florissoit du temps de Charles VI. se vante en quelque endroit de ses decisions avoir respondu. Et de fait en la question 124. il dispute ce qu' opere ceste clause mise dans un relief d' appel.

Entre ces honorables coustumes, nos anciens eurent une chose digne de grande recommandation. Car desirans couper toute broche aux procés, ce neantmoins cognoissans que de permettre en ceste Cour qu' il y eust certains hommes qui n' eussent autre vacation qu' à procurer les affaires d' un estranger, seroit au lieu d' amortir les procés, les immortaliser à jamais, d' autant qu' il est bien mal-aisé qu' un homme ayme la fin d' une chose dont despend le gain de sa vie: pour ceste cause estoit un chacun forcé de venir aux assignations en personne. Et toutesfois là où il n' eust eu si prompte expedition & depesche que les affaires de sa maison desiroient, luy estoit permis creer un Procureur en sa cause. Non pas avec tel abandon qu' à present, ains par benefice du Prince, & encore sous telle condition que le Parlement expiré, s' expiroit aussi chaque procuration. Tant estoient nos ancestres soucieux d' empescher qu' aucun ne fit son estat de viure à la poursuite & solicitation des causes d' autruy. Prevoyant le mal qui depuis en est advenu. Ceste usance estoit fort loüable, & à bonne intention instituee: toutesfois (voyez comme une chose bonne d' entree se corrompt par traicte de temps) la malice & opiniastreté des plaideurs ne cessant, failloit renouveller d' an en an telles procurations par benefice du seel, dont les Secretaires corbinoient un grand gain. De là est que la premiere lettre qui se trouve au Protecole de Chancelerie, ce sont lettres que nos predecesseurs appelloient Grace à plaidoyer par Procureur. Par lesquelles le Roy, de grace speciale permettoit à une partie de plaider par Procureur au Parlement & dehors, jusques à un an. Pour obvier à tels abus, la Cour depuis d' un bon advis, voulut que par Requeste generale presentee par les Procureurs au commencement de chaque Parlement, seroient icelles procurations continuees annuellement par l' authorité de ceste Cour, sans que de là en avant il fut besoin avoir recours au seel. Laquelle chose s' est observee jusques en l' an mil cinq cens vingthuict, que par Ordonnance du Roy François I. furent toutes telles procurations confirmees & continuees jusques à ce qu' elles fussent revoquees expressemment par les Maistres. Ainsi sont creuz en nombre excessif Procureurs. Au moyen dequoy à bonne & juste raison le Chancelier Olivier, defendit par Edict exprés, sous le regne de François I. qu' on n' eust à en pourvoir aucuns de nouveau à cet estat. Lesquelles mesmes defences avoient esté faites du temps de Charles huictiesme, en l' an mil quatre cens quatre-vingts & sept. 

Voilà comment chaque chose a pris divers plis selon la diversité des temps & saisons. Outre lesquelles mutations, encores s' en sont trouvees d' autres dignes d' être en ce lieu remarquees. Car les Espices que nous donnons maintenant, ne se donnoient anciennement par necessité. Mais celuy qui avoit obtenu gain de cause par forme de recognoissance, ou regraciement de la Justice qu' on luy avoit gardee, faisoit present à ses Juges de quelques dragees & confitures: car le mot d' Espices par nos anciens estoit pris pour confitures & dragees, & ainsi en a usé maistre Alain Chartier en l' histoire de Charles septiesme, chapitre commançant l' an mil quatre cens trente quatre. Où il dit que le Roy Charles septiesme sejournant en la ville de Vienne, & ayant esté visité par la Royne de Sicile, Le Roy luy fit, dit-il, grande chere & vint apres souper, & apres ce que la Royne eut fait la reverence au Roy, dancerent longuement, & apres vint vin & espices, & servit le Roy Monseigneur le Comte de Clermont de vin, & Monsieur le Connestable servit d' espices: Et en cas semblable Philippes de Commines au second chapitre de ses Memoires, dit, que Philippes Duc de Bourgongne donna congé aux Ambassadeurs qui estoient venus de la part du Roy de France, apres qu' il leur eut fait prendre le vin & les espices: Lequel mot pris en ceste signification, s' est perpetué jusques à nous, és festins solemnels qui se celebrent aux escoles des Theologiens de ceste ville de Paris, esquels l' on a sur le dessert accoustumé de demander le vin & les espices. Ces espices doncques se donnoient du commencement par forme de courtoisie à leurs Juges, par ceux qui avoient obtenu gain de cause, ainsi que je disois ores. Neantmoins le malheur du temps voulut tirer telles liberalitez en consequence: Si que d' une honnesteté on fit une necessité. Pour laquelle cause le dixseptiesme jour de May, mil quatre cens deux, fut ordonné que les espices qui se donneroient pour avoir visité les procés, viendroient en taxe. Et pour-autant que les Procureurs vouloient user de mesme privilege sur leurs clients, le dixneufiesme jour ensuivant furent faites defences aux Procureurs, de n' exiger de leurs Maistres aucunes choses sous ombre d' Espices: Toutesfois si les parties estoient grosses & qu' il eust esté question de matiere qui importast, estoit permis de leur donner deux ou trois liures d' Espices. Depuis les Espices furent eschangees en argent, aimans mieux les Juges toucher deniers que des dragees. Tout de la mesme façon que nous voyons qu' aux doctorandes la pluspart de nos Maistres de la Sorbonne aimerent mieux choisir vingts sols qu' un bonnet: Ou en cas encores beaucoup plus semblable, ainsi que l' on fait en la ville de Tholose: Auquel lieu les nouveaux Docteurs ont accoustumé de faire presens de boettes de dragees aux Docteurs Regents, par forme de gratification de leur nouvelle promotion: Ce que j' ay veu de mon temps plusieurs Regents avoir eschangé en argent.

Or combien que ce lieu & souverain Parlement ait quelquefois esté repris pour les chiquaneries & longueurs qui y ont esté introduites entre les parties privees: si a-il esté tousjours destiné, pour les affaires publiques, & verification des Edicts: Car tout ainsi que sous Charlemagne & ses successeurs ne s' entreprenoit chose de consequence au Royaume que l' on ne fit assemblee & de Prelats & de Barons, pour avoir l' œil sur ceste affaire: aussi le Parlement estant arresté, fut trouvé bon que les volontez generales de nos Roys n' obtinssent point lieu d' Edicts, sinon qu' elles eussent esté verifiees & emologuees en ce lieu. Laquelle chose premierement se pratiquoit sans hypocrisie & dissimulation. Deferans nos Roys grandement aux deliberations de la Cour. Et avec ce, l' on prestoit pour les grands & premiers Estats de la France serment en ceste Cour. Ainsi trouve-l' on és registres, neufiesme Septembre mil quatre cens sept, serment presté par Jean Duc de Bourgongne comme Pair: le septiesme Nouembre (Novembre) mil quatre cens dix, reception d' un grand Pannetier: & aussi un Mareschal de France, receu le sixiesme jour de Juin mil quatre cens dixsept: & le mesme jour un Admiral: Et le seiziesme jour ensuivant un grand Veneur: le troisiesme de Fevrier mil quatre cens vingt & un, le grand Maistre des Arbalestiers: le seiziesme Janvier mil quatre cens trente neuf, Courtenay receu Admiral: Et qui plus est, un Tresorier & general administrateur des Finances, le seiziesme Avril mil quatre cens vingt cinq: Et le semblable le treiziesme Octobre mil quatre cens trente neuf. Laquelle chose nous avons veu s' observer de nostre temps sous le regne du Roy Henry second, en la reception de Messire Gaspard de Colligny Seigneur de Chastillon en l' Estat de l' Amirauté. Toutesfois je ne sçay comment ces coustumes se sont par traicte de temps sinon du tout anichilees, pour le moins non si estroictement observees comme nos anciens avoient fait. Aussi semble-il que telles coustumes ayent esté plus soigneusement observees lors des minoritez de nos Roys, ou en cas d' alteration de leur bon sens, comme estoient presque toutes les annees que j' ay specifices cy dessus. Pendant lequel temps l' authorité de la Cour a esté tousjours de quelque plus grande efficace que sous la maiorité de nos Roys. Et au surplus au regard des emologations des Edicts, encores que l' usance en soit venuë jusques à nous, si faut-il que nous recognoissions que quelquesfois on les passe & enterine contre l' opinion de ceste Cour. Et l' un des premiers qui à son plaisir força les volontez de la Cour, feignant de luy gratifier en tout & par tout, fut Jean Duc de Bourgongne (fleau ancien de la France) duquel entre autres choses on lit que voulant, pour gagner le cœur du Pape, faire suprimer les Ordonnances qui avoient esté faictes quelques annees auparavant contre les abus de la Cour de Rome, envoya par plusieurs fois sous le nom du Roy, Edict revocatoire d' icelles, que jamais la Cour ne voulut emologuer. Au moyen dequoy Messire Eustache de Laistre, Chancelier, fait de la main de ce Duc, le Comte de sainct Pol lors gouverneur de Paris, le Seigneur de Mauteron, vindrent au Parlement le trentiesme de Mars mil quatre cens dixhuict: Et firent publier ces lettres revocatoires, sans ouyr le Procureur general & en son absence. Et commanda le Chancelier que l' on y mit Lecta publicata &c. Et apres son partement vindrent plusieurs Conseillers au Greffier, remonstrer que puis que c' estoit contre la deliberation de la Cour, il ne devoit mettre Lecta. Ou bien s' il le vouloit mettre devoit y adjouster clause, par laquelle il apparut que la compagnie n' avoit approuvé ceste publication: Lequel fit responce qu' il se garderoit de mesprendre. Et le lendemain ceux des Enquestes vindrent à la grand Chambre faire pareilles remonstrances. Surquoy fut dit que nonobtant ceste publication, la Cour n' entendoit approuver ceste revocation, & aussi qu' il y avoit par le commandement du Chancelier. Depuis ce temps les affaires de France furent tousjours en grands troubles, sous la subjection des Anglois. Pendant lequel temps le Duc de Bet-fort, lors Regent se feit semblablement souvent croire contre la volonté de la Cour. Et les choses estans au long aller reduites sous la puissance de Charles septiesme (vray & legitime heritier de la Couronne) Louys unziesme son fils, entre tous les autres Roys de France, n' usa gueres de l' authorité de ceste grande compagnie, sinon entant que directement elle se conformoit à ses volontez: Voulant être ordinairement creu d' une puissance absoluë & opiniastreté singuliere. Ainsi que mesmement on lit de luy estant encores simple Dauphin en certaine publication requise au profit de Charles d' Anjou Comte du Maine, beau-frere de Charles septiesme. Car comme Charles d' Anjou requist que l' on eust à publier en la Cour, la donation qui luy avoit esté faite par le Roy, des terres de sainct Maixant, Mesles, Ciuray & autres, à quoy le Procureur general du Roy fist lors responce que les deux Advocats estoient absens, & que sans leur conseil il ne pouvoit rien: & que par le conseil du Comte fut repliqué qu' il n' estoit besoin de conseil en la cause qui lors s' offroit: il se leva lors un Evesque qui remonstra que le Dauphin l' avoit là envoyé expressemment, pour faire publier ces lettres. Au moyen dequoy la Cour, veu le temps & volonté du Dauphin, qui pressoit ainsi ceste affaire, feist enregistrer sur le reply des lettres. Lecta de expresso mandato Regis per Dominum Delphinum præsidentem in ipsius relatione: Fait le vingt-quatriesme de Juillet mil quatre cens quarante & un. Mais le Dauphin manda querir soudain les Presidens, & leur dist qu' il vouloit que l' on ostast ce (de expresso mandato) & qu' il ne bougeroit de Paris jusques à ce que cela fust rayé. Protestant que s' il advenoit quelque inconvenient par faute d' avoir esté la part où il luy avoit esté enjoint par le Roy, en faire tomber toute la tare & coulpe sur la Cour. A cause dequoy la Cour, temporisant en partie, ordonna le vingtquatriesme jour de Juillet ensuivant que l' on osteroit le de expresso: mais que le registre en demeureroit chargé pour l' advenir. Tellement que ces mots furent seulement rayez de dessus les lettres. Et depuis en l' an mil quatre cens soixante cinq le mesme Louys, estant Roy, fist publier bon gré mal gré en plaine Cour par son Chancelier le don qu' il avoit fait au Comte de Charolois, & nonobstant toutes protestations que fissent la plus grand part des Conseillers, il voulut que sur le reply fut mis Registrata, audito Procuratore regis, & non contradicente. Telles protestations ont esté depuis assez familieres en ceste Cour. Et se trouvent assez d' Edicts portans: De expresso & expressissimo mandato Regis, pluribus vicibus reiterato. Laquelle clause tout ainsi qu' elle est adjoustee, pour bonne fin, aussi souhaiteroient plusieurs (paraventure non sans cause) que ceste honorable compagnie se rendit quelquesfois plus flexible, selon que les necessitez & occasions publiques le requierent. 

Grande chose veritablement, & digne de la Majesté d' un Prince, que nos Roys (ausquels Dieu a donné toute puissance absoluë) ayent d' ancienne institution voulu reduire leurs volontez sous la civilité de loy: & en ce faisant, que leurs Edicts & Decrets passassent par l' alambic de cest ordre public. Et encores chose pleine de merveille, que deslors que quelque ordonnance a esté publiee & verifiee au Parlement, soudain le peuple François y adhere sans murmure: comme si telle compagnie fust le lien qui noüast l' obeïssance des subjects avec les commandemens de leur Prince. Qui n' est pas œuvre de petite consequence pour la grandeur de nos Roys. Lesquels pour ceste raison ont tousjours grandement respecté ceste compagnie, encore que quelquesfois sur les premieres avenuës, son opinion ne se soit en tout & par tout renduë conforme à celles des Roys. Voire que comme si cest ordre fust le principal retenail de toute nostre Monarchie, ceux qui jadis par voyes obliques aspirent à la Royauté, se proposerent d' establir une forme de Parlement la part où ils avoient puissance. Enguerrand de Monstrellet nous raconte que Jean Duc de Bourgongne ayant esté dechassé de la ville de Paris & de la presence du Roy Charles sixiesme, de laquelle il faisoit pavois, pour favoriser ses entreprises encontre la maison d' Orleans, s' empara puis apres de plusieurs villes, comme de celles d' Amiens, Senlis, Mondidier, Pontoise, Montlehery, Corbeil, Chartres, Tours, Mante, Meulant, & Beauvois: & tout d' une suitte s' estant joinct & uny avec la Royne Isabelle (laquelle estoit lors en dissension avec son fils Charles, qui depuis fut septiesme Roy de ce nom) il advisa d' envoyer maistre Philippes de Morvilliers dedans la ville d' Amiens, accompagné de quelques personnages notables & d' un Greffier : pour y faire, sous le nom de la Royne, une Cour souveraine de Justice au lieu de celle qui estoit au Parlement de Paris. Afin qu' il ne fust besoin d' aller en la Chancellerie du Roy pour obtenir mandemens, ny pour quelque autre cause qui peust advenir és Baillages d' Amiens, Vermandois, Tournay, Seneschaussée de Ponthieu, ny és terres qui estoient en sa subjection & obeïssance. Auquel Morvilliers il bailla un seel, dans lequel estoit emprainte l' image de la Royne, estant droicte & ayant les deux bras tendus vers la terre: Du costé droict les armes de France my-parties avec celles de Bauieres, duquel lieu elle estoit extraicte. Et estoit escrit à l' entour, C' est le seel des causes souveraines & appellations pour le Roy. Ordonnant que les lettres s' expediroient sous le nom de la Royne, en la maniere qui s' ensuit. Isabel par la grace de Dieu Royne de France, ayant pour l' occupation de Monseigneur le Roy le gouvernement & administration de ce Royaume, par l' ottroy irrevocable à nous sur ce fait par mondit Seigneur & son Conseil. Ceste usurpation & monopole de la Royne & Duc de Bourgongne apprit puis apres la leçon à Charles lors simple Dauphin: Car estans le Capitaine de l' Isl' Adam & les Bourguignons entrez dans Paris de nuict, & par intelligence, il seroit impossible de raconter tout au long les pilleries, & inhumanitez qui furent exercees à l' encontre de ceux qui tenoient le party contraire de Bourgongne. Messire Bernard d' Armignac Connestable, Messire Henry de Marle Chancelier, Jean Gauda grand Maistre de l' artillerie, les Evesques de Coutance, Senlis & Clermont furent miserablement mis à mort, avec sept ou huict cens pauvres hommes prisonniers: En ce miserable spectacle la pluspart des hommes notables de la Cour de Parlement, & singulierement ceux qui favorisoient sans arriere boutique le Dauphin, se retirerent avec luy pour eviter la fureur de ceste populace. J' ay leu dans Historien que j' ay en ma possession, & qui estoit curieux de rediger par escrit les miseres de ce temps-là, que l' an mil quatre cens dixneuf qui fut deux ans apres l' entree de l' Isl' Adam, le Dauphin ayant recueilly ses forces, ordonna pour le fait de la Justice un Parlement dans Poictiers, Presidens & Conseillers: C' est à sçavoir de ceux qui en ceste desolation s' estoient garentis par suitte. Et lors fut advisé pour le commencement, que les causes des grands jours de Berry, Auvergne, & Poictou, seroient les premieres expediees. Gardans au demeurant tout le stile de la Cour de Parlement de Paris. Pareillement evoqua-l' on toutes les causes qui estoient pendantes à Paris: au moins celles qui estoient des pays obeïssans au Dauphin: lequel prit deslors le tiltre de Regent en France. Charles sixiesme toutesfois, qui estoit adonc mal ordonné de son cerveau, ne laissoit pas d' avoir son Parlement dans Paris, auquel fut estably (par la volonté du Duc Jean) premier President Messire Philippes de Morvilliers, duquel j' ay fait n' agueres mention. Bien est vray que le Parlement cho* sans rien faire depuis l' entree de l' Isl' Adam, qui fut le vingt-neufiesme de May mil quatre cens dixsept, jusques au vingt-cinquiesme de Juin: pendant lequel entreget, le peuple usoit des vies des hommes comme si elles leurs eussent esté baillees à l' abandon. Ainsi demourerent les affaires de France bigarrees l' espace de vingt ans ou environ, y ayant double Parlement, l' un dans Paris pour les Anglois qui possedoient le Royaume de France, & se disoient legitimes heritiers de luy: & dans Poictiers pour les adherans du Dauphin. Depuis, ces Anglois en l' an 1436. le treziesme jour d' Avril, furent dechassez de Paris par le Connestable de Richemont, & autres plusieurs grands Seigneurs partissans de Charles septiesme. Au moyen dequoy le sixiesme jour ensuivant, ceux de la Cour de Parlement de Paris deleguerent quelques-uns de leur corps vers le Connestable, pour entendre ce qui luy plairoit qu' ils feissent. Ausquels il fist responce qu' il en escriroit au Roy son maistre, & le prieroit de les avoir pour recommandez: mais ce pendant qu' ils expediassent les causes comme de coustume. Ceste gratieuseté contenta grandement un chacun: Toutesfois le Roy decerna depuis ses patentes le quinziesme de May, par lesquelles le Parlement & Chambre des Comptes furent interdicts. Je trouve dans un livre, auquel toutes choses qui advenoient en ce temps-là, sont escrites par forme de papier Journal, que le jour sainct Clement au mesme an, revint le Connestable dans Paris & sa femme, & qu' avec eux estoient l' Archevesque de Rheims, Chancelier, le Parlement du Roy & entrerent par la porte Bordelle (c' est celle que nous appellons aujourd'huy porte sainct Marcel) qui lors nouvellement avoit esté desmuree: Et que le jeudy ensuivant vigile de sainct André, fut crié à son de trompe que le Parlement du Roy Charles, qui depuis sa departie avoit esté tenu dans Poictiers, & sa Chambre des Comptes à Bourges, se tiendroit desormais au Palais Royal de Paris, en la forme & maniere que ses predecesseurs Roys de France avoient accoustumé de faire. Et dit l' Autheur qu' ils commencerent le premier jour de Decembre ensuivant à le tenir. Auquel mesme jour nos registres portent, que tous les Conseillers firent renouvellement de serment d' être fideles & loyaux subjects au Roy Charles septiesme. Lors que le Parlement de Poictiers revint, messire Adam de Cambray y estoit premier President, lequel fut employé à plusieurs grandes Legations & Ambassades pour le fait de la paix & union du Roy & du Duc de Bourgongne: Les os duquel personnage reposent dans les Chartreux de Paris. 

Or en ceste nouvelle reünion des deux Parlements, pour-autant que pendant le tumulte des guerres, plusieurs choses avoient esté en tres-mauvais ordre, & mesmement que durant cestuy temps les Requestes du Palais avoient esté suprimees, & sans effect: Charles septiesme apres s' estre rendu paisible, voulant remettre tout en bon estat, ordonna qu' en la grand Chambre y auroit trente Conseillers, quinze Laiz, & quinze Clercs: Et en la Chambre des Enquestes quarante, seize Laiz, & vingt quatre Clercs. Remettant sus la jurisdiction des Requestes en laquelle il ordonna cinq Conseillers Clercs, & trois Laiz, en ce compris leur President. De laquelle il fist publier l' auditoire le cinquiesme jour de Juillet mil quatre cens cinquante deux: Et pourautant qu' en la Chambre des Enquestes y avoit deux Presidents, il la voulut diviser en deux pour l' expedition des procés: Enjoignant semblablement qu' en la Tournelle se vuidassent les causes criminelles: A la charge toutesfois que si en definitive il falloit juger d' aucun crime qui emportant peine capitale, que le jugement s' en fit en la grand Chambre. Depuis la multitude des procés fit faire trois Chambres des Enquestes: Et par François premier du nom y feut adjoustee la quatriesme, que l' on appella du Domaine: parce que sous le nom & pretexte du Domaine il trouva ceste invention pour tirer argent de vingt nouvelles Conseilleries qu' il exposa lors en vente.

Or ont tous ces Conseillers un privilege annexé à leurs offices, lors qu' ils y entrent, par lequel ils se peuvent sous le nom d' autruy (qu' ils empruntent pour cest effect) nommer sur telles Eveschez & Abbayes qu' il leur plaist pour avoir (à leur rang & tour) le premier benefice vaquant, & qui se trouve en despendre. Laquelle coustume semble avoir pris commencement du temps que les Anglois gouvernoient, vivant toutesfois. Charles VI. Et à ce propos se trouve dans les registres, que l' an mil quatre cents & vingt, le douziesme jour de Fevrier, fut advisé, que pour pourveoir les Conseillers de benefices, l' on escriroit au Roy que son plaisir fust leur donner les benefices vaquans en regale: & aussi d' en escrire aux Ordinaires. Et le vingt-huictiesme de May mil quatre cens trente quatre, Maistre François Lambert requit être inseré au roolle que la Cour envoyoit au Pape, attendu qu' il avoit esté autresfois Conseiller. 

A quoy fut dit qu' il seroit enroollé: Lequel Indult je croy leur fut accordé par le Pape, afin que par telle maniere de gratification la Cour ne s' opposast plus si souvent aux Annates & autres pernicieuses coustumes que le Pape levoit sur le Clergé. Chose que la Cour de Parlement ne voulut aucunement recevoir, & à cause dequoy il y avoit eu mille piques entre la Cour de Rome, & celle de Paris. Et de fait, combien que ceste cause ne soit expliquee, si est-ce que depuis que cest Indult eut grande vogue, je ne voy plus que la Cour fist tel estat d' empescher les Annates comme elle avoit fait au precedent. Et neantmoins furent telles nominations de la Cour intermises pour quelque temps par sa nonchalance ou negligence: Jusques à ce que sous le regne de François premier, maistre Jacques Spifame Conseiller, homme d' un esprit remuant, ayant fueilleté les anciens registres, & voyant que ce droict leur estoit deu, mais que par long laps de temps il s' estoit à demy esgaré, prit la charge d' en faire les poursuittes & diligences envers le Pape Paul troisiesme: Ce qu' il fit si dextrement, que depuis il en apporta belles bulles à la Cour. Au moyen desquelles elle a depuis iouy plainement de ce privilege. 

Depuis que Charles septiesme eust reduit les choses en tel train que j' ay discovru cy dessus, encores que la Cour de Parlement de Paris semblast avoir toute authorité par la France, si est-ce que pour le soulagement des subjects, le mesme Charles retrancha quelque peu la jurisdiction & cognoissance qu' avoient eu par le passé les Parisiens. Car comme ainsi fut que deslors que le Parlement fut arresté, il estendit sa puissance sur tous les territoires de la France, cestuy Roy premierement eclipsa le païs de Languedoc, & une partie de l' Auvergne: establissant un Parlement dedans la ville de Tholose: Lequel y avoit esté à demy ordonné par Philippes le Bel, mais non avec tels liens & conditions que sous Charles. A l' imitation duquel, Louys onziesme son fils eschangea le conseil qui estoit tenu dans Grenoble pour le Dauphiné, & l' erigea semblablement en Parlement. Par succession de temps puis apres, Louys douziesme en crea un autre dans la ville de Bordeaux, pour les pays de Gascongne, Xaintonge, & Perigord: un autre en celle d' Aix, pour la Provence: un dans Dijon pour la Bourgongne: Et un finalement dans Roüen pour contenir toute la Normandie en devoir. Demourant tousjours ce nonobstant au Parlement de Paris le nom de la Cour des Pairs, & semblablement la puissance & authorité d' emologuer les Edicts generaux de la France, comme elle faisoit auparavant. De nostre temps on a plusieurs fois mis en deliberation & conseil de faire un nouveau Parlement à Poictiers, tout ainsi qu' autresfois ceste mesme deliberation avoit esté mise en avant sous le regne de Charles septiesme. Et n' est pas chose qu' il faille passer sous silence, que pour les grands frais qui se faisoient souventes fois en ceste Cour en causes de petite consequence, le Roy Henry deuxiesme de ce nom au voyage d' Allemagne institua en chaque siege Presidial certain nombre de Conseillers pour decider les procés en dernier ressort, qui monsteroient à dix liures de rente, & à deux cens cinquante liures pour une fois. Aussi en l' an mil cinq cens cinquante quatre, sous ce mesme Roy, par un general changement de face, fut ce Parlement de Paris fait Semestre, & divisé en deux seances, dont l' une estoit destinee depuis le premier de Janvier, jusques au dernier de Juin: & l' autre du mois de Juillet, jusques à la fin de l' annee. Ayant chaque seance, ses Presidens & Conseillers particulierement. Tellement qu' au lieu de quatre Presidents qui estoient de tout temps & ancienneté, se veirent huict Presidents. Et de la mesme façon que le Roy avoit fait cruës d' Officiers, aussi leur augmenta-il leurs gages, jusques à huit cens liures par an, avec defenses de ne toucher de là en avant espices des parties. Qui fut l' une des plus grandes mutations & traverses que receut jamais ceste Cour. Je sçay bien qu' on trouve en l' an mil quatre cens six, sous Charles sixiesme, un Mauger receu President cinquiesme, & extraordinaire: & un maistre Anthoine Minart du semblable, sous François premier: Et encore une creuë de vingt Conseillers sous le mesme Roy. Et du temps de Louys onziesme en l' an mil quatre cens soixante cinq, Hales receu tiers Advocat pour le Roy. Toutesfois ceux-cy estoient tousjours unis ensemble, & representans un mesme corps: mais au Semestre la division estoit telle, que ce que les courtisans ne pouvoient obtenir en une seance, ils le practiquoient en l' autre, rendans par ce moyen l' authorité de la Cour à demy illusoire. Au moyen dequoy fut ceste invention annullee, & les choses remises en leur premier estat au bout de trois ans, c' est à dire en l' an mil cinq cens cinquante sept, peu auparavant la reprise de la ville de Calais. Bien est vray que pour la multiplicité des Presidents & Conseillers qui ne pouvoient être si tost reduits par mort en leur nombre ancien & primitif, l' on advisa de faire une chambre de Conseil supernumeraire, où se vuideroient les appoinctez au conseil de la grand Chambre. Tellement qu' ainsi que les choses sont disposees pour le jourd'huy, il y a grand Chambre ordonnee pour la plaidoirie & publication des Edicts: celle du Conseil qui la fuit, ausquelles deux chambres indifferemment president les cinq premiers Presidents qui restent aujourd'huy du Semestre. Puis quatre chambres des Enquetes, entre lesquelles est comprise celle que l' on appelle la chambre du Domaine. De toutes lesquelles ensemble on tire la chambre qui est destinee au criminel. Le tout sans asseurance de certain nombre de Conseillers, pour autant que par Edict publié la vueille de la nostre Dame de Septembre, mil cinq cens soixante, tours Officiers furent suprimez par mort, & n' est loisible à aucun de l' endemettre és mains du Roy, jusques à ce que les Offices erigez pour subvenir à l' iniquité & injustice des guerres soient reduicts au nombre qui estoit il y a trente ans. Vray que le Roy a depuis donné plusieurs dispenses en contre l' Edict qui estoit bien fort rigoureux.

Lors que je mis en lumiere pour la premiere fois ce second livre de mes Recherches, l' ordre des Chambres du Parlement estoit tel que j' ay deduict: Mais depuis, en l' an 1568. fut erigee de nouveau une cinquiesme Chambre des Enquestes, & par mesme moyen suprimee celle du Conseil, & furent renvoyez tous les Conseillers, aux Chambres des Enquestes, dont ils avoient esté tirez. Et en l' an mil cinq cens quatre vingt fut de nouvel aussi erigee une seconde chambre des Requestes, par le Roy Henry troisiesme: Et tout d' une suitte creez vingt nouveaux Conseillers, qui furent espars par les Chambres des Enquestes, sans que la necessité publicque le conviast de ce faire. 

Certainement en ce Parlement, outre les choses par moy discovruës, se trouvent plusieurs particularitez notables. Et n' est pas chose qu' il faille oublier, que le vingt & uniesme jour de Novembre, l' an mil quatre cens & cinq, par arrest furent faites deffenses qu' aucun ne s' appellast Greffier de quelque Greffe que ce fut, Royal, ou autre, ny Huissier, fors les Greffiers & Huissiers de ceste Cour. Se trouve aussi qu' en ceste mesme annee les Presidens avoient obtenu lettres patentes du Roy, par lesquelles leur estoit permis de corriger & oster les Conseillers quand ils faudroient, toutesfois ne fut obtemperé à icelles: & le dixhuictiesme Fevrier fut arresté que l' on s' excuseroit au Roy.

Ceste compagnie, comme j' ay dit, a esté tousjours fort recommandee dans la France, comme celle par laquelle sans esclandre sont verifiees les volontez de nostre Prince. Une chose toutesfois y est sur tout ennuyeuse, c' est la longueur des procedures, laquelle semble y avoir fait sa derniere preuve par la subtilité de ceux qui manient les causes d' autruy: Lesquels pendant qu' ils ombragent & revestent leurs mensonges de quelques traicts de vraysemblance, mendians d' une contrarieté de loix la decision de leurs causes, tiennent tousjours une pauvre partie en suspens. Estans bons coustumiers prendre en cecy aide d' une Chancellerie: Laquelle fut premierement introduitte pour subvenir aux affligez, par benefice du Roy, qui s' en veut dire le protecteur. Neantmoins les plus fins & rusez en usent comme d' une chose inventee, pour tenir en haleine ceux qui se sont opiniastrez à leur ruine, pour trouver par ce moyen quelque ressource à une cause desesperee. Tirants, & Advocats, & Procureurs, de telles longueurs (j' ay cuidé dire langueurs) un grand profit. Qui est cause que plusieurs bons esprits de la France, picquez de l' amorce du gain present, laissent bien souvent les bonnes lettres pour suivre le train du Palais, & s' assopissent par ceste voye, pendant que comme asnes voüez au moulin, ils consomment leurs esprits à se charger de sacs, au lieu de livres. 

dimanche 13 août 2023

9. 40. Pays coustumier, & de Droit escrit en la France.

Pays coustumier, & de Droit escrit en la France.

CHAPITRE XL.

Je veux me transformer comme le Polipe, en autant de couleurs, que d' objects, estre maintenant Jurisconsulte, puis Cavalier, puis Practicien. Et qui plus est representer ces trois personnages en choses qui de prime face vous sembleront estre du tout incompatibles; Prouver par le Droict Civil des Romains, l' ancienneté du pays Coustumier du Royaume de la France: Au contraire, comme Cavalier François, verifier dont vient, que nous appellons quelques unes de nos Provinces, pays de Droict escrit, comme ayans emprunté leurs coustumes du Droict escrit des Romains: Et au bout de cela par une estrange metamorphose, me faire Practicien: obres que je n' abhorre rien tant en mon ame que la chicanerie. Ce sont tous les propres discours du present Chapitre, & du subsequent, à la lecture desquels je supplie humblement tous les esprits deliez de ne se vouloir amuser, ou bien s' armer de patience en les lisant, pour voir quel profit ils en avront rapporté.

Bartole est d' avis que les coustumes dont on usoit diversement en unes & autres Provinces, avoient esté anciennement introduictes, ut aliquid Iuri communi adderent, vel substraherent. Dont quelques Bartolistes estiment que toute la conduite judiciaire des Provinces estoit tiree du Droict ordinaire des Romains, sauf quand il y avoit quelque coustume particuliere qui y derogeoit. Quant à moy je ferois conscience de dementir un si grand Docteur. C' est pourquoy je me fais accroire que son opinion estoit, qu' il falloit juger selon les coustumes de chaque pays, & en leur defaut avoir recours au Droict commun des Romains.

La proposition generale du temps des Empereurs estoit pour entretenir leurs Provinces en une obeïssance agreable, de n' y rien innover au prejudice de leurs anciennes coustumes. Pline second Vice-Empereur de la Phrigie (depuis appellee Natolie) desirant estre esclaircy de quelque obscurité qui se presentoit en son gouvernement, l' Empereur Trajan luy respondit: Id semper tutissimum esse sequendam legem cuiusque civitatis. Et de cette ancienneté il n' en faut plus asseuré tesmoignage que du titre; Quae sit longa consuetudo C. par lequel vous trouverez que

ce sont instructions & memoires, adressez aux Presidens des Provinces: leur enjoignans d' observer en leurs jugemens les coustumes de leurs Provinces. Ny ne fut cet ancien reiglement effacé par Justinian; ains au contraire confirmé: car autrement en vain eust il fait inserer les loix portees sous ce titre, sinon pour une continuation de ce qui avoit tousjours esté par le passé observé en ce subject. A quoy semblera aucunement deroger ce que Tribonian disoit, par la plume duquel Justinian fit son Edit. De vetere iure enucleando: où il est dit en termes formels: Quod secundum Saluij Iultiani scripturam, omnes civitates debent consuetudinem Romae sequi, quae caput est orbis terrarum, & non ipsam alias civitates. Il emprunta cette ancienneté du Jurisconsulte Julian, duquel toutesfois nous apprenons une leçon à ce contraire:

quand il nous enseigne qu' il falloit premierement juger selon les uz & coustumes des lieux, & si elles manquoient, avoir recours aux plus prochaines, & en leur defaut au Droict commun de Rome, comme anchre de dernier respit. Ce que dessus ayant esté par moy scholastiquement proposé par forme d' avant-jeu; je veux maintenant recognoistre dont vient en ce Royaume de France la distinction des pays Coustumier, & Droict escrit. Jule Cesar sur le commencement de ses Memoires de la Gaule, nous tesmoigne que de son temps, il y avoit autant de diversité de Coustumes, que de Provinces. Je sçay quel estat ce grand guerrier fit des Gaulois. Car apres les avoir subjuguez, & avoir acquis sur eux le haut point de souveraineté pour sa Republique. Il les laissa viure en leurs anciennes coustumes, comme ceux desquels il tira depuis plusieurs grands services, pour l' advancement de ses opinions, au desadvantage des siens: & comme l' Estat de Rome par succession de temps eut pris divers visages: mesmes que le François se fut impatronisé és Gaules, de la Belgique & Celtique, par l' entremise des Roys Clodion, Meroüée, Childeric & Clovis. La plus grande & solemnelle proposition qu' ils graverent dedans leurs conquestes fut (ainsi que nous apprenons de Procope Secretaire de Justinian) de suivre au plus pres les pas du Romain, & de ne rien innover au prejudice de l' ancienneté. Voire que le Roy Clovis voyant les Gaulois viure en la Religion Catholique; non seulement ne les conjura de l' abjurer, & d' espouser la Payenne, en laquelle il estoit nourry: mais au contraire se fit Chrestien, & suivit toute la mesme Religion que ses propres subjects, non la secte Arrienne, ainsi que les Visigots & Bourguignons. Qui luy bailla depuis de grands advantages sur eux lors qu' il les voulut guerroyer. De mesme façon en la conduite de la Justice, il les laissa viure selon leurs anciennes coustumes, tout ainsi que le Romain leur avoit permis. Usage qui s' est depuis continué de main en main soubs le nom de Bailliages, & Seneschaussees jusques à nous. Au moyen dequoy il ne faut trouver estrange, que par une continuë de temps, nous ayons appellé les pays de la Belgique & Celtique, pays coustumiers: Parce que les coustumes, ores qu' elles ayent selon la diversité des temps changé de divers usages, leur estoit un droict tres-foncier.

Mais quant aux pays que nous appellons de Droict escrit, il y a plus d' obscurité. Car l' Aquitaine faisant la troisiesme partie de la Gaule, & consequemment fondee en Coustumes qui estoient de son ancien estoc; tout ainsi que la Celtique & Belgique, dont vient qu' elle alla mendier le Droict escrit des Romains; mesmes depuis l' advenement des François, qui ne recogneurent jamais sur eux aucune superiorité du Romain, depuis qu' ils se furent emparez de la Gaule? Je vous diray ce qu' il m' en semble. Advint qu' en la desbauche, ou pour mieux dire en la conjuration generale que firent les nations estrangeres contre l' Empire, les Visigots, Bourguignons, & François se lotirent diversement de la Gaule. Les Visigots premierement par la permission de l' Empereur Gratian, puis d' Honoré son fils d' une partie d' Aquitaine, je veux dire de ce que nous avons depuis appellé Guyenne, Languedoc, Provence, Dauphiné, Savoye, Xaintonge, Agenois, Quercy, Auvergne, Roüergue, Perigord, Limosin; jusques au regne d' Alaric second: Qui n' estoit pas une petite domination. Les Bourguignons s' impatronizerent de la Province, qui sous les Empereurs avoit esté nommee Lugdunense: C' estoit deça la Saone, ce que depuis nous avons appellé Lionnois, Forest, Beaujoulois, Masconnois, Bourbonnois, Duché & Comté de Bourgongne, & au delà de quelques villes circonvoisines. Les François tant de la Gaule Belgique que Celtique; C' estoit ce que nous avons depuis appellé les pays Bas, Normandie, Picardie, Champagne, Brie, Gatinois, isle de France, & autres. Vray qu' il restoit encore quelque petit fruict de l' authorité des Romains dedans la ville de Soissons, & és environs, dont Gilles Senateur de la ville de Rome en avoit esté Gouverneur, & apres sa mort Siagré son fils: lesquels toutesfois se faisoient croire de leurs opinions, comme Princes souverains au peu de pays qu' ils possedoient. Le Visigot avoit vescu soubs les coustumes anciennes du pays d' Aquitaine, jusques au vingt & deuxiesme an du regne de Alaric second, lequel par loy generale ordonna que le Code, qui est vulgairement appellé Theodosian, reformé par Aman l' un de ses principaux Conseillers d' Estat fust observé par tous les pays de son obeïssance. C' estoit un sommaire recueil de toutes les Ordonnances depuis Constantin le grand, jusques à Theodose deuxiesme, par le commandement duquel il avoit esté fait. Apres que Clovis fut venu à chef du Romain, il attaqua Gondedaut Roy de Bourgongne, comme je toucheray cy-apres, puis le Visigot. De vous dire icy le pourquoy, & comment, ce ne seroit que perte de temps & de papier. Il me suffira de vous dire qu' en une bataille rangee il desconfit, & occit le Roy Alaric le 23. an de son regne: Qui fut l' annee immediatement apres la publication du Code de Theodosian. Ceux qui d' une plus soigneuse recherche pensent avoir mieux aprofondy cette ancienneté de la nomination de pays de Droict escrit, la rapportent à l' Ordonnance d' Alaric. Ouverture que je trouve belle, non toutesfois sans espines, d' autant que Alaric ayant esté occis l' an subsequent de son Edit, ce peut-il faire qu' apres une si grande route, cette nouvelle Ordonnance du Droict escript eust déraciné tout à fait de la teste du commun peuple, ce qui estoit empraint en luy des anciennes coustumes? Mesmes qu' une partie de l' Aquitaine fust tout à fait affranchie de cette Ordonnance, & l' autre non. Objections qui ne semblent hors de propos, faciles toutesfois à dissoudre. La victoire qu' obtint Clovis, ores qu' il eust mis à mort Alaric, si ne fut elle absoluë. C' est pourquoy Clovis se fit Maistre de quelque pays, comme du Bourdelois, Agenois, Xaintonge, Angoulmoisin, Perigord, Limosin, Berry, d' une partie d' Auvergne: & les autres plus devots envers leur Prince, demeurerent soubs son obeïssance. Comme le Languedoc, Quercy, Dauphiné, Provence, Savoye. Et comme ainsi fust qu' Alaric eust laissé pour son heritier Amalarich son fils, aagé seulement de huit à neuf ans, & que Theodorich Ostrogot Roy d' Italie, son ayeul maternel eust pris en main le gouvernement de sa personne, & pays, luy qui estoit d' un esprit calme & politic, ne voulut rien changer de ce qui avoit esté ordonné par Alaric son gendre. De maniere que quelques esprits gaillards se voulans joüer sur les noms de Theodose, & Theodorich, par l' eschange d' une S, en appellerent ce Code, tantost Theodosian, tantost Theodorian. Et de là est venu que du depuis une partie de l' Aquitaine a esté gouvernee par le Droict escrit des Romains, & l' autre par les coustumes. Ce sont les pays que le Roy Clovis annexa à sa Couronne.

Mais je voy icy un nouvel obstacle qui se presente devant mes yeux. Car

combien que paravanture il y ait subjet de me passer comdemnation pour les Provinces d' Aquitaine, par moy presentement touchees, que dirons nous du Lyonnois, Forest, Beaujoulois, qui ne furent jamais soubs la domination du Visigot, & neantmoins usent du Droict escrit pour coustume? Je vous apporteray pareille response qu' à l' autre. Procope au livre premier des guerres Gottiques, nous raconte que quand Clovis voulut terrasser tout à fait Gondebaut Roy de Bourgongne, qui avoit cruellement fait assassiner le Roy Chilperic son frere, pere de la Royne Clotilde femme du Roy Clovis, pour ne faillir à son entreprise il se ligua avecques le Roy Theodoric, à la charge que l' un & l' autre armeroient, & que venus au dessus de leurs affaires, ils partageroient le gasteau ensemble. Suivant cette capitulation, le Roy Clovis, auquel rien n' estoit impossible au fait des armes; mesmes qu' en cette querelle il y alloit plus du sien, en consideration de sa femme, s' achemine le premier avecques son armee, & se heurte à toute outrance contre Gondebaut. Theodorich au contraire, ayant levé son armee, la faisant marcher à petites journees, y apportant plus de contenance que d' effect, pour ne rien hazarder du sien que bien à propos: mais voyant que cette entreprise estoit en tout & par tout reüssie au souhait de son associé, il fait chausser les esperons aux siens, leur commandant qu' à toute vistesse ils se presentassent à luy, & demandassent part au butin selon le compromis fait entr'eux. Clovis contre cette demande se deffendoit, & soustenoit que sans l' aide de leur Roy, il avoit mis à fin cette entreprise. A quoy les autres repliquoient, que Theodorich leur Roy n' avoit manqué de volonté, & que si les siens n' estoient arrivez à point nommé, il ne luy falloit imputer, ains à la difficulté des chemins. En fin apres quelques altercations reciproques, il fut conclud & arresté qu' à Theodorich seroit baillé quelque part & portion des terres qui avoient esté conquises, en payant certaine somme de ressoulte pour le defroy de l' armee de nostre Clovis, & que tout le demeurant des pays luy appartiendroient. De moy je veux croire, que les pays du Bourbonnois, Masconnois, & ce que nous avons depuis nommé Duché & Comté de Bourgongne demeurerent au lot de Clovis, esquelles les coustumes anciennes de ces Provinces furent continuees tout ainsi qu' és autres qui estoient de sa subjection. Et que le Lyonnois, Forest, Beaujoulois, & quelques villes au delà du Rosne, & de la Saone furent octroyees à Theodorich, esquelles il fit observer pareille reigle du Droict escript, que aux pays du Roy Almarich (Amalric) son petit fils, pour ne les bigarrer. Si ma divination n' est veritable, pour le moins n' est-elle esloignee de la vray-semblance. C' est une histoire tenebreuse, en laquelle on est contrainct de proceder à tastons. Bien vous diray-je qu' avant que les Universitez fondees sur le Droict de l' Empereur Justinian fussent en usage, il y avoit quelque difference en France du pays coustumier, avecques celuy du Droict escrit, comme nous en voyons quelque remarque au Chapitre precedant, quand le Pape Honoré troisiesme du nom dict: Quia tamen in Francia, & nonnullis Provinciis Franci Romanorum Imperatorum legibus non utuntur, &c. 

Il vouloit doncques dire que de son temps il y avoit des Provinces en France, esquelles on observoit le Droict des Romains.

Les choses s' estans de cette façon passees, comme j' ay cy-dessus recité, Amalarich fut depuis tué par le Roy Childebert fils de Clovis, & estant decedé sans hoirs issus & procreez de son corps, les Ostrogots d' Italie successeurs de Theodoric par un droit de bienseance demeurerent en la possession des villes dont il en avoit pris le bail & garde pour son petit fils, ausquelles ils mirent garnisons. Ce qui leur estoit de grand coust. Et depuis estans chaudement envahis par Bellissaire, pour l' Empereur Justinian son Maistre, a fin d' estre mieux assistez de forces, ils retirerent leurs garnisons, & les logerent dedans le pays d' Italie: & tout d' une main firent present au Roy Childebert & ses freres, de toutes les places qu' ils pretendoient leur appartenir; a fin d' estre par eux secourus, ou en tout evenement, que les François ne joignissent leurs forces à l' encontre d' eux à celles de Bellissaire. Et deslors tous les enfans du Roy Clovis furent paisibles possesseurs de la France, n' ayans autres corrivaux de leurs grandeurs que eux mesmes. Et deslors aussi se logea chez nous la distinction des Pays Coustumier, & de Droict escrit. Droict escrit (vous dy-je) qui prit apres plus fortes racines, quand le Droict compilé par l' Ordonnance de Justinian se tourna en estude chez nous.