Affichage des articles triés par pertinence pour la requête Thierry. Trier par date Afficher tous les articles
Affichage des articles triés par pertinence pour la requête Thierry. Trier par date Afficher tous les articles

samedi 5 août 2023

8. 20. Assassin, Assassinat, Apannage, mots empruntez des Voyages d' Outre-mer.

Assassin, Assassinat, Apannage, mots empruntez des Voyages d' Outre-mer.

CHAPITRE XX.

En matiere d' Estat c' est une chose fort familiere, quand on se trouve le plus foible, de hazarder l' un de ses sujects contre le chef des ennemis pour le faire mourir, a fin de se garentir du danger où l' on estoit. Le Roy Porsenna au siege de Rome en eust peu dire quelque chose, quand Scevola, pour sauver sa ville, le pensa tuer, prit son Secretaire au lieu de luy. Ainsi fut meurdry le Roy Sigisbert à l' instigation de Fredegonde, lors que Chilperic son mary estoit par luy estroitement assiegé en la ville de Soissons, ou Cambray. Ainsi Amurath Roy des Turcs, dans sa chambre par un soldat qui faisoit semblant de luy vouloir baiser les mains: qui fut cause (dit Theodore Spadugin) que depuis il fut ordonné que les Gardes tiendroient les mains de tout homme qui viendroit salüer le grand Turc, pour obvier de là en avant à tel inconvenient. Et à peu dire, de nostre temps en cette façon fut occis François Duc de Guyse en l' an mil cinq cens soixante & un, par Poltrot devant Orleans: la mort duquel fit lever le siege, & tout d' une suite apporta la Paix par tout le Royaume. Cela s' est fait par des particuliers. Mais que tout un peuple par Loy ancienne du pays fust voüé à faire de tels meurdres, quand il en recevoit commandement par son Prince ou Superieur, je n' en trouve que deux manieres de gens, ceux qui de nostre jeune aage suivirent la secte des Anabaptistes soubs Jean Leïdan, & anciennement au Levant les Assaßins, subject de ce present chapitre. Celuy qui premier en introduisit l' usage fut un Seigneur, lequel lors de nos voyages d' outremer s' estant fortifié dans un Chasteau de tres-difficile accés, attiroit à sa suite plusieurs gens ramassez, ausquels il donnoit des brevuages pour les endormir d' un profond somme, & à leur resveil ils se trouvoient en une maison de plaisance, où ils estoient accueillis de toutes sortes de voluptez par personnes à ce atiltrees: Et apres avoir passé en cette façon quelques jours, finalement estans endormis par cette potion, puis resveillez on les presentoit à leur Prince, lequel s' informant d' eux de tout ce qu' ils avoient faict en dormant (car à vray dire ils estimoient que ce fust un Songe) il leur faisoit promesse d' un tel Paradis, là & au cas que pour la deffense de leur Religion ils voulussent entreprendre de tuer ceux des Chrestiens qui leur seroient par luy commandez: ce qu' ils sceurent fort bien exploicter, & depuis tels commandemens s' estendirent non seulement encontre les Chrestiens, mais aussi contre tous autres, ores qu' ils fussent Mahumetistes, ainsi qu' il sembloit bon à leur Roy. Chose à quoy ils se voüoyent d' un cœur si franc, & gay, que leur commun mauldisson estoit, Mauldy sois tu comme celuy qui s' arme de peur de mouri. Nicetas Senateur de Constantinople dit qu' ils portoient tel respect aux commandemens de leur Seigneur, que si seulement ils eussent descouvert à un clin d' œil, que sa volonté estoit qu' ils mourussent, ils se fussent precipitez du haut en bas d' une maison, & exposez au meillieu de cent espees, ou jectez au feu, ou dans l' eau, plustost qu' ils ne luy eussent obey: & qu' estans par luy deleguez pour tuer quelques Princes, ils se transportoient vers eux, comme leurs serviteurs, ou comme ayans à leur dire quelque chose à l' aureille pour  leur profit, & trouvans leur apoint, ils ne doutoient de les tuer, à la charge d' estre puis apres tuez. Vray que le passage est corrompu, les appellans Chaßins, au lieu d' Assaßins, tout ainsi qu' en un autre endroict vous trouverez Blachiens ceux qu' on disoit Valachiens. Guillaume de Nangy acquiesçant à cette opinion, dit que ce Roy des Assassins estoit non seulement redouté des Chrestiens, mais aussi des Sarrazins: Et parce que son passage fait grandement à mon intention, il me plaist de le vous transplanter icy tout au long. Ce tres-mauvais, & mal-veillant Seigneur de Assassins habitoit en la confinité & contree d' Antioche & de Damas en Chasteaux tresbien garnis sur montagnes: Celuy Roy estoit moult redouté & craint des Chrestiens, & des Sarrazins, Princes prochains, & lointains: pource que moult de fois eux par ses messagers indifferemment faisoit occire: car aucuns enfans commandoit de sa terre estre emmenez en ses Palais, & illec apprenoient toutes manieres de langue, & estoient enseignez d' aimer leurs Seigneurs sur toutes autres choses, & à luy jusques à la mort obeyr, qu' ainsi pourroient aux joyes de Paradis parvenir, & quiconque mouroit en obedience, estoit honoré au gré de la terre des Assassins: & ainsi à leur Roy obeyssans, moult de Princes occirent, comme ceux qui de leur mort avoient peu de crainte. 

Il dit vray: car par eux fut proditoirement mis à mort le Comte de Tripoly, & quelque temps apres Edoüart d' Angleterre, plus Thierry Prince de Tir. Philippe Auguste estant de retour de son voyage de Hierusalem, eut advis que le mesme Richard Anglois, avoit attitré quelques uns de ce peuple pour le meurdrir, qui le fit tenir sur ses gardes plus ententivement que de coustume. Sainct Louys en l' un de ses Voyages d' Outremer fut adverty qu' on luy vouloit dresser pareille embusche. Le tout de la mesme façon, que sur nos jeunes ans nous vismes un Jean Leïdan Prince des Anabaptistes, dont j' ay cy-dessus parlé, qui depescha douze de ses supposts pour tuer tous les Princes d' Allemagne, a fin de maintenir contr'eux sa Religion.

Tout de cette mesme façon les Jesuites ont introduit en leur Republique,  un nouveau formulaire d' Estat, non seulement contre ceux qui pretendent guerroyer leurs Roys, Comme contre le feu Prince d' Orenge, qu' ils firent assassiner dedans Anvers l' an mil cinq cens quatre vingts quatre par un Baltasard Girard, & encores contre le Prince Maurice son fils, l' an mil cinq cens quatre vingts dix-neuf, par Jean Parme: mais contre les Roys, & Roynes mesmes en & au dedans leurs Royaumes: Ainsi l' attenterent-ils par quatre fois contre la defuncte Royne Elisabeth d' Angleterre, par leur Jesuite Campian ou Campiense, l' an mil cinq cens septante huict. Par Guillaume Parry l' an mil cinq cens octante quatre à ce poussé & induict par Benedetto Palmio dedans la ville de Venise, & depuis confirmé dedans Paris, par Hannibal Coldreto: Par Patrice Culan 1588. persuadé par un meschant Jesuite nommé Holt. Et par Edoüard Squirre l' an mil cinq cens nonante sept par les inductions de leur Pere Richard Walpod. Ainsi deux fois contre nostre grand Roy Henry IIII. reduict sous l' obeyssance du sainct Siege de Rome, l' une en l' an mil cinq cens nonante trois par Pierre Barriere dit la Barre, dedans la ville de Melun, au beau milieu de la trefue, l' autre en celle de Paris l' an mil cinq cens nonante quatre par Jean Chastel dedans la Paix: celuy la mené à la main par les instructions & memoires de Varade & Commole Jesuites, & cestuy-cy nourry en leur escole dedans Paris: Ainsi l' ont-ils voulu de fraische memoire pratiquer, en l' an mil six cens cinq par leur Garnet contre Jacques Roy d' Angleterre, Escosse & Hibernie, c' est à dire la grande Bretagne. Et qui est une chose pleine de pitié & d' horreur tout ensemble: C' est que tout ainsi que le Prince des Assassins du Levant promettoit un Paradis asseuré à ceux qu' il mettoit en œuvre, là & au cas qu' ils mourussent sur cette querele, aussi font le semblable nos Jesuites à leurs champions, ausquels ils administrent premierement le Sainct Sacrement de penitence, puis celuy de communion, & armez de cette devotion leur laschent franchement la bride pour executer leurs detestables parricides. Institution impie, abhominable, & abhorrente de nostre Religion Chrestienne, mais grand artifice du Diable, pour les faire redouter, & consequemment quelquesfois embrasser par les Princes & grands Seigneurs, a fin de ne tomber en leurs aguets. Et qui est un malheur admirable, ce venin s' est espandu dedans quelques autres membres de nostre Eglise. Comme nous vismes par le malheureux parricide commis le deuxiesme jour d' Aoust mil cinq cens octante neuf en la personne de nostre bon Roy Henry troisiesme, à Sainct Cloud, par frere Jacques Clement Jacobin. Que Jean Mariana Jesuite a solemnizé comme chose tres-saincte au premier livre de son institution du Prince, chapitre sixiesme. Mais pour ne m' esloigner de mon but, combien que du commencement ces Assassins demeurassent en certaine contree, toutesfois ils furent depuis espandus en forme de secte par tout le Levant, ainsi que nous tesmoigne Jean Sire de Joinville, que les appelle Beduins: Mais il est certain que leur vray nom estoit d' Assassins, comme nous apprenons de Raphael Volaterran en sa Geographie, de Paule Aemile en ses Croniques de France, & de Guillaume Nangy par moy cy dessus allegué. Nicolas Gilles en ses Annales les appelle Arsacides d' un mot corrompu. Or d' eux est venu que la posterité tant en France, qu' en Italie: (car & François & Italiens entreprenoient d' ordinaire ensemblement tels voyages de Levant) appella Assassins ceux qui de sens froid, & guet apens faisoient des meurdres, & Assaßinats le mal qui en advenoit.

Au regard de l' Apanage, qui a exercité plusieurs esprits de la France, pour sçavoir dont il prenoit son origine: il est certain que tant sous la premiere que seconde lignee de nos Rois, mesmes bien avant sous la troisiesme, les Apannages estoient incogneus entre les enfans puisnez de la Couronne, tels que nous les observons aujourd'huy. Paul Aemile, autheur duquel je fais grand compte entre tous nos Historiographes, dit que Baudoüin Comte de Flandres, & Louys Comte de Blois s' estans croisez avec le Venitien, Baudoüin s' estant emparé de l' Empire de Constantinople, departit entre ses principaux Capitaines quelques Provinces, par forme de Panage. Nous y avons adjousté quelques formalitez tirees de nostre vieille Loy Salique.

mercredi 9 août 2023

9. 16. College de Navarre.

College de Navarre.

CHAPITRE XVI.

Ce College merite son Eloge particulier, aussi bien que celuy de  Sorbonne, non seulement pour la dignité de sa fondatrice, mais aussi pour la discipline que je voy y avoir tousjours esté religieusement observee. Jeanne Roine de Navarre, Comtesse de Champagne & Brie, femme & espouse du Roy Philippes le Bel, par son testament fait au Bois de Vincennes, le jour & feste de la nostre Dame de Mars l' an mil trois cens quatre, apres avoir fondé un Hospital en la ville de Chasteau-thierry, voulut aussi fonder un College dedans Paris en faveur de soixante & dix pauvres Escoliers, vingt Grammairiens, trente Artiens, & vingt Theologiens, à chacun desquels elle assigna honneste pension, pour son entretenement: & ordonna que son Hostel de Navarre, siz hors la porte sainct Germain des Prez fust vendu, pour des deniers qui en proviendroient de la vente, & autres, estre achetee une maison convenable dans la ville, en laquelle ces trois especes d' Escoliers fussent diversement logez. Qui avroient chacun endroit soy trois Maistres, je veux dire un en chaque profession. Et pour faciliter l' execution de sa derniere volonté, ordonna estre acheté de son revenu de Champagne és environs de Paris, deux mille liures tournois de rente en Fiefs, & terres Seigneuriales. Donnant pleine puissance à ses executeurs testamentaires; quoy que soit à ceux qui s' en voudroient charger, sans toutesfois mespriser les autres, de corriger, expliquer, & augmenter son testament. Chose qu' elle confirma par son Codicile du dernier jour du mesme mois de Mars au mesme an. Ordonnance vrayement tres-saincte, & digne d' une grande & devote Royne, suivant laquelle les executeurs, apres avoir adoüerié l' Hostel de Navarre, acheterent celuy que nous voyons aujourd'huy au Mont saincte Geneviefve, appellé du commencement College de Champagne, & depuis de Navarre. Nom qui luy est demeuré jusques à huy. Et se passerent les affaires de cette façon, que tout ainsi que dedans le pourprix de Paris, sejour ordinaire de nos Roys, il y a trois villes encloses, que nous appellons, Ville, Cité, & Université; aussi dedans l' enceinte de ce College Royal il y a trois Colleges divers, de la Grammaire, des Arts, c' est à dire de la Philosophie, & de la Theologie, & trois intendans, qui porterent le tiltre de Maistres: l' un pour l' Institution de la Grammaire, Rhetorique, Poësie, Histoire, & lettres humaines; l' autre pour la Philosophie, & le dernier pour la Theologie. Et eux trois en general pour la conduite des mœurs.

Les deux premiers devoient estre passez Maistres és Arts, & le troisiesme Docteur en Theologie, auquel les deux premiers estoient tenus de reveler les defaux de leurs Escoliers, pour y apporter remede. Comme celuy pardevers lequel residoit la generale surintendance du College: & qui d' ailleurs portoit le titre de Gouverneur, tant pour l' administration du temporel que du spirituel. Et pour cette cause on apportoit une grande circonspection, quand il estoit question de l' eslire: car dedans le testament on fait mention de luy sous ces mots. Un preud- homme seculier, Maistre en Divinité, qui lira aux Theologiens, & qui aura le general gouvernement de tout l' Hostel. Il sera esleu & estably gouverneur par le Doyen, & la greigneur partie des Maistres de la Faculté de Theologie, lesquels jureront sur saincts Evangiles à establir le dit Gouverneur, que pour amour, ne pour haine, ne pour affection d' amy, ne de nation, fors que purement, pource qu' ils croyent qu' il soit profitable, ils ne le reçoivent ne establissent gouverneur. Et sera tenu iceluy Gouverneur rendre compte chacun an des biens de l' administration de la dite maison deuëment, à la greigneur partie des Maistres dessusdits. De ce que dessus vous pouvez recueillir deux choses: L' une, avec quelle religion & conscience on procedoit a l' eslection de ce Maistre en Divinité, & comme il falloit avoir recours à la plus grande & saine partie de la Faculté de Theologie: L' autre, que tout ainsi qu' il avoit la superiorité sur les deux autres Maistres pour la discipline des mœurs de leurs Escoliers; aussi residoit pardevers luy le maniement du revenu & temporel, dont il en estoit comptable.

La Testatrice, comme j' ay dict, avoit ordonné que les deux mille liures de rente fussent achetees des biens de ses Comtez de Champagne & Brie: Qui fut cause que le Roy Philippes le Bel n' ayant donné ordre à cette acquisition, ces deux mille liures furent prises sur la Recepte generale de Champagne: chose qui s' est continuee jusques à huy. Or de tous les executeurs de son testament, qui estoient huit en nombre, il n' y en restoit plus que trois en l' an mil trois cens & quinze, Messire Simon Festu Evesque de Meaux, auparavant Confesseur de la Testatrice, Frere Gille Abbé de sainct Denis, & Messire Guy de Chastillon Comte de sainct Pol. Les deux premiers, apres avoir pris par escrit le consentement du dernier, voulurent suivant la permission à eux baillee, apporter quelque polisseure à la police portee par le testament: Et a fin de ne faire estat de tous les autres articles contenus és Statuts par eux faits du troisiesme Avril mil trois cens & quinze, je me contenteray de vous en representer trois seulement. La Princesse avoit par son testament ordonné une Chappelle pour l' administration du service Divin, sans faire mention du Patron, sous le nom duquel elle seroit servie: L' Evesque de Meaux son Confesseur, & qui par consequent avoit eu bonne part en sa conscience, & Gille son coexecuteur, nommerent sainct Louys ayeul de Philippes le Bel: Sous le nom duquel le service Divin a tousjours esté depuis administré. Elle avoit donné au Maistre en Divinité (que depuis nous avons appellé Grand Maistre) la charge du spirituel, & encore du temporel, dont il seroit comptable. Ce deux Prelats diviserent cette charge, & luy laisserent le spirituel avecques toutes les autres prerogatives à luy octroyees par le testament, fors & excepté du temporel, pour le maniement duquel ils establirent un Proviseur, & ores que dedans les Statuts il soit par fois appellé Procureur, toutesfois celuy de Proviseur comme plus honorable luy est demeuré. La Princesse ordonnant que le Maistre en Divinité seroit tenu de rendre compte, ne s' estoit advisee de specifier pardevant qui, ny comment. Ces deux Prelats sagement cognoissans que la fondation du College avoit esté non seulement faite par une Royne de France, mais aussi que les deniers voüez à la nourriture des Escoliers estoient pris sur la Recepte Royalle de Champagne, adjousterent dedans leurs Statuts cet article: Provisor autem semel in anno, in crastino Sancti Ludovici, reddat computum de expensis, misiis, & receptis per ipsum factis, praesentibus gubernatoribus dictae domus, vel mandato eorundem qui inferius nominabuntur. Praesente etiam  Magistro in Theologia ad hoc vocato: Et praesente aliquo de Camera Computorum Regiorum Parisius, quem Magistri de Camera deputabunt ad postulationem Magistri in Theologia dictae domus. Qui propter hoc ipsos adire tenebitur in dicta Camera, in vigilia dicti Festi, vel ante. Qui deputatus pro labore suo, audiendo, videndo, & examinando dictum computum, habebit quadraginta solidos Parisienses de reditibus dictae domus, & caet. La Chambre des Comptes n' avoit lors aucuns Auditeurs: Et pour ceste cause commettoit à cet effect l' un des Maistres. Depuis les Auditeurs ayans esté introduits, l' ordre dont on y a procedé est, que sur la requisition que faict le Grand Maistre, ou l' un des premiers Docteurs en Theologie du College, la Chambre leur distribuë un des plus anciens & capables Auditeurs; entre les mains duquel est mis le compte, pour le voir & examiner apart soy, & en faire son rapport au Grand Maistre, & autres anciennement à ce deputez; ausquels on a depuis adjousté le premier Confesseur du Roy. Nouvelle introduction procuree par Guiencour, Religieux de sainct Dominique, premier Confesseur du grand Roy François. Et les comptes rendus & clos, l' original est mis aux Archifs de la Chambre des Comptes, tout ainsi que de tous les autres comptables, & la coppie collationnee à l' original, demeure par devers le College. Et tout ainsi que ce College fut de fondation Royale, aussi son heur fatal a porté, que tous les jeunes Princes du Sang, & autres Princes & grands Seigneurs, ausquels on veut faire gouster les bonnes lettres, prennent leur premiere nourriture & institution en ce lieu: Et qui est un poinct que je ne dois oublier, pour closture du present discours, c' est que l' Université luy a baillé en garde tous les titres & enseignemens de ses Privileges. Qui sont comme un depost sacrosainct gardez en la chappelle du College.

Depuis la fondation de ce College Royal, les Colleges commencerent de provigner dans Paris, & lors les fondateurs choisirent leurs domiciles vers le Mont saincte Geneviefve, tant haut que bas: qui est le quartier que nous appellons l' Université. Et adoncques tout ainsi qu' aux Statuts de Navarre, aussi voy-je que l' ordre general qu' on observa en toutes ces fondations, fut en faveur des pauvres Escoliers de leurs Dioceses, si c' estoient Prelats qui aumosnassent ce bien au public, ou des autres contrees esquelles les fondateurs faisoient leurs habitations. Ces Escoliers furent en la ville de Tholose appellez Collegiaux, comme enfans des Colleges, & en l' Université de Paris Boursiers, comme estans nourris & alimentez de la bourse commune de leurs fondateurs. Et eurent presque tous les fondateurs cette reigle imprimee en leurs Statuts d' y establir deux superieurs, l' un pour la conduite du spirituel, auquel ils donnerent le nom de Maistre, l' autre du temporel, qui fut nommé par eux Procureur, ce dont il estoit comptable. Le tout à l' instar de celuy du College de Navarre. Et quant aux Maistres, l' ordre que je voy y avoir esté gardé depuis les deux cens ans premiers fut tel. 

La Sorbonne estoit dediee aux lectures de la Theologie, non seulement pour les pauvres Escoliers de son College, ains de tous ceux des autres Colleges voüez à mesme estude. Je n' entens sous ceux-cy comprendre celuy de Navarre qui avoit son Professeur expres pour ce sujet. Les lettres Humaines estoient enseignees aux Escoliers Boursiers, par ceux qui portoient le nom de Maistres en l' institution de chaque College: jusques à ce qu' estans promeuz, il leur convint entrer au cours de la Philosophie, & lors leur general rendez-vous estoit aux grandes Escoles de la ruë au Foüerre, pour apres avoir atteint au degré de Maistrise aux Arts, estudier en Theologie, qui estoit la premiere & principale bute des fondations.

Jeanne, Navarre, Juana de Navarra, reina, esposa de Felipe IV el hermoso, Phillipes IV le Bel

samedi 12 août 2023

9. 31. Du different ancien, qui a esté & est entre la Faculté de Medecine de Paris, & le College des Chirurgiens.

Du different ancien, qui a esté & est entre la Faculté de Medecine de Paris, & le College des Chirurgiens.

CHAPITRE XXXI.

Anciennement la profession du Medecin gisoit en l' exercice de trois points. Au Conseil selon les preceptes de l' Art pour les maladies interieures du corps humain; au razoüer & oignemens pour les exterieures: & finalement, en la confection des potions & medicamens.

Je veux dire qu' il estoit Medecin, Chirurgien, & Apoticaire tout ensemble: Ainsi en usa le grand Hippocrat, & long entreject de temps apres, Galien. Chose dont encores nous pouvons trouver des remarques tres-asseurées. Car Ulpian le Jurisconsulte disoit. Proculus ait,  si medicus servum imperite secuerit, vel ex locato, vet ex lege Aquilia competere actionem. Idem iuris est si medicamentis perperam factis usus fuerit. Sed & qui bene secuerit, & dereliquit curaturum securus non erit, sed culpae reus intelligetur. Passages par lesquels on voit que le Medecin exerçoit l' Art de Chirurgie, & encores faisoit les potions qui estoient par luy ordonnées. Or qu' il fust Apoticaire nous l' apprenons encores de deux passages d' Apuleie au dixiesme livre de son Asne d' Or. Par l' un desquels vous voyez un valet s' adresser au Medecin, affin qu' il eust à luy vendre de la poison, pour faire mourir promptement un homme, lequel pour le tromper luy debita un brevuage dormitif. Venenum soporiferum. Et en l' autre, une meschante femme, voulant haster les jours de son mary malade, Medicum convenit quemdam notae perfidiae, qui tam multarum palmarum spectatus praemijs, magna doctrinae suae trophaea numerabat, ut illi venderet momentaneum venenum, illa autem emeret mariti sui mortem, iamque aegroto marito, medicus poculum probe temperatum manu sua porrigebat. Je vous laisse le demeurant, me contentant que vous voyez par ces deux passages que le Medecin avecques sa profession exerçoit ce qui appartenoit à l' Estat d' Apoticaire. Et de cette ancienneté encores en avons nous je ne sçay quelle remarque par le cent vingt & cinquiesme Article de nostre coustume de Paris, qui fait marcher d' un mesme pas les Medecins, Chirurgiens, & Apoticaires au fait des prescriptions: & neantmoins par ce qu' en cest exercice il y avoit je ne scay quoy de vieil, cela fut cause que l' usage de la Medecine Gregeoise estant arrivé dedans Rome, les Gentils-hommes Romains faisoient apprendre cest Art à leurs valets & esclaves, affin d' estre par eux secourus avenant qu' ils fussent malades. Cela fut pareillement cause, qu' en ce nouveau mesnage d' Université, les Medecins pour la necessité de leur charge, ayans trouvé une place entre les quatre Facultez, on estima qu' il la falloit recognoistre en sa pure naïfveté, & luy oster la manufacture du razoüer, pilon & mortier

Et deslors furent formez trois estats distinct du Medecin, Chirurgien, & Apoticaire. Ancienneté doctement remarquée par nostre Fernel sur le commencement du septiesme livre de sa Medecine universelle. Chirurgia (dit il) primum medicinae pars est habita, & ambae eisdem sunt natae authoribus. Nec Chirurgiae alia, quam Medicinae principia, nec aliae demonstrandi sunt leges: postea vero ut unius Medicinae dignitas splendidior praestabiliorque foret, rationis, consilijque facultatem, ut pote liberalem assumentes Medici, ac suo quodammodo iure sibi vendicantes, quicquid manuum opera geri solet, id omne ad Chirurgos, & Pharmacopolas transtulerit. Distinction de Medecin, & Chirurgien, qui estoit des le temps mesme du Roy Philippes Auguste en cette France, ainsi que nous apprenons du cinquiesme livre de la Philippide de Guillaume le Breton, parlant comme Richard Roy d' Angleterre au siege du Chasteau en Limosin, ayant esté feru dedans les espaules d' une fleche, le Roy fut porté en sa maison.

Interea (dit le Poëte) Regem circunstant undique mixtim, 

Apponunt Medici fomenta; secantque Chirurgi

Vulnus, ut inde trahant ferrum leviore periclo. 

Guillaume le Breton estoit du temps de Philippes Auguste, dont il escrivit la vie, duquelle Roy Richard estoit contemporain. Or par ces trois vers vous voyez les fonctions du Medecin, & Chirurgien, distinctes; mais de telle façon que le Medecin ordonnoit les fomentations pour guerir la playe, & le Chirurgien le ministere de ses mains pour tirer la fleche du corps. Car ainsi n' estoit lors le College des Chirurgiens ouvert, comme j' ay plus amplement monstré par le precedant Chapitre. Mais depuis qu' il fut ouvert, ils voulurent en leur Art, aucunement contrecarer la Faculté de Medecine, soustenans que leur charge gisoit non seulement en ce qui estoit de leurs mains, mais aussi de l' Art, ne pouvant l' un subsister sans l' autre. Et tout d' une suite que leur profession estoit plus certaine que celle des Medecins. Comme ainsi fut que leur vacation consistoit en la cure exterieure des maladies du corps, que l' on cognoissoit au doigt & à l' œil, & celle du Medecin aux interieures, auxquelles le plus du temps il y procede plus à taton, & par jugement imaginaire tiré d' un poux inegal, de la veine, inspection des urines, & matieres fecales, jugeant bien souvent d' un, ores que ce soit un autre mal, comme on descouvre en apres par l' ouverture du corps mort. Ce qui a esté depuis representé en peu de vers par le Palingene en son Zodiaque sous le signe du Lyon.

Consule item si opus est Medicum, vel Clynicus ille,

Vel sit Chirurgus, Chirurgi certior est Ars. 

Nam quid agat certum est, & aperta luce videtur, 

Clynicus ipse autem qui nunc Physicus quoque fertur, 

Dum lotium infelix spectans, inde omnia captat, 

Dum tentat pulsum venae, dum stercora versat, 

Fallitur, & fallit.

Adjoustoient les Chirurgiens qu' ores que par un long progres & succession de temps le Medecin exerçast tant en la Grece que Rome, les trois charges de Medecin, Chirurgien & Apothicaire, toutesfois que la Chirurgie avoit esté du commencement plus en credit. Qu'  ainsi apprenions nous de Pline, qu' Esculape, qui depuis fut canonizé par les Payens entre leurs Dieux imaginaires, se rendit au siege de Troye plus recommandable par la guerison des playes, que des autres maladies

Et que dedans la ville de Rome, comme nous enseigne le mesme Pline, le premier Medecin qui y arriva nommé Archagathus, fut appellé Vulnerarius, comme celuy qui guerissoit seulement les playes. Tellement que sur ces persuasions ils introduisirent entr'eux un College, tel que je vous ay discouru par le precedant Chapitre, à l' instar presque de celuy des Medecins. Et estimerent qu' à eux seuls en consequence de leur razouër appartenoit l' anatomie, & dissection des corps, & le pensement des playes: & qu' en ce pensement ils pouvoient avecques leurs oignemens, selon que la necessité l' exigeoit, ordonner à leurs patiens, aposumes clysteres, potions, saignées, comme remedes annexez à leur profession. Menage que les Medecins ne peurent jamais approuvez (approuver), disans qu' encores que le mot Grec de Chirurgien portast quant & soy quelque prerogative chez nous: toutesfois rendu François, il ne signifioit que Manoeuvre. Parole que nous employons à toutes personnes de basse condition qui vivent au jour la journée: & au surplus, soit que nous considerions le mot Grec ou François en sa naïfve signification, il ne vise qu' à l' ouvrage de la main, & non plus.

Et à peu dire les Medecins pensent que le Chirurgien ne peut rien operer sans leur ordonnance. Au contraire le Chirurgien estime que les Medecins ne luy peuvent rien commander sur le fait qui despend de la Chirurgie; si ce n' est qu' il y ait danger de la vie en un malade: auquel cas il estimoit que pour obvier à tout blasme il n' estoit mat seant aux Medecin & Chirurgien, de concurrer ensemblement. A quoy j' adjousteray par forme de commentaire, que plus facilement deux hommes peuvent porter un corps mort en terre, qu' un seul.

Quelque different qu' il y eust entr'eux, le Medecin estant tousjours le superieur du Chirurgien, voicy un nouvel ingredient qu' il meit en œuvre contre cette maladie. Nous avons eu de tout temps les Barbiers, gens destinez par leur mestier pour accommoder les barbes, & cheveux. Et par ce que nos ancestres se faisoient ordinairement, non tondre, ains raire leurs barbes, comme pareillement de fois à autres leurs cheveux, en quoy le razoüer estoit necessaire aux Barbiers, aussi commencerent ils de s' aprivoiser du Medecin par les saignées qu' il ordonnoit, & en apres d' enjamber petit à petit sur l' Estat du Chirurgien, comme je verifieray en son lieu. Et neantmoins sans aller maintenant foüiller plus avant dedans une longue ancienneté precedante, vous entendrez, que les Medecins ont accoustumé d' eslire de deux en deux ans, un Doyen qui manie tout leur mesnage, & est tenu leur en rendre compte, sa charge finie. Je trouve sous le Doyenné de Maistre Michel de Colonia, que le 19. de Novembre 1491. la Faculté de Medecine fut assemblée en l' Eglise S. Yves, qui lors estoit son rendez-vous ordinaire en telles affaires, pour ouïr la plainte qui leur estoit faite par Messieurs les Chirurgiens, ainsi que porte le Registre. Ad audiendam querimoniam Dominorum Chirurgicorum, ut ipsa dignaretur eis praestare favorem in suis Privilegijs, & signanter contra Barbitonsores, sicuti proviserat eis. Et quod graviter ferebant, quod aliqui Magistri eiusdem Facultatis exposuerant & declaraverant dictis Barbitonsoribus: anatomiam quamdam legebant etiam dicti Magistri, Barbitonsoribus lingua vernacula super quibus deliberatum, & conclusum extitit, quod praefatae anatomiae factae sunt praeter mentem, & ordinationem eiusdem Facultatis, veruntamen credebant quod dicti Magistri sic fecerant ad evitandum maius malum, scilicet ne aliquis extraneus facisset: & addidit etiam ipsa Facultas, & praecepit ne supra dicti Magistri amplius dictis Barbitonsoribus legerent, quousque aliàs providisset.

Voila la premiere escarmouche, & depuis ils s' attaquerent diversemenz, les Medecins se donnans tousjours quelque advantage sur les Chirurgiens. L' unziesme Janvier mil quatre cens nonante trois sous le Doyenné de Maistre Jean Lucas: Placuit Facultati (porte le Registre) quod Barbitonsores haberent unum de Magistris Facultatis qui leget eis Guidonem, & alios authores verbis Latinis, eis exponendo aliquando verbis familiaribus & Gallicis secundum suam voluntatem. Et permet aux Barbiers d' acheter un corps exposé au gibet pour l' anatomiser, moyennant que l' anatomie fust faite par l' un des Docteurs en Medecine. Vous voyez comme pied à pied les Medecins prenoient terre sur les marches des Chirurgiens. Au moyen de quoy sous le Doyenné de Maistre Thierry le Cirier le dixhuictiesme de Novembre mil cinq cens nonante quatre. Supplicavit Magister Philippus Roger Chirurgicus, ut Magistri Facultatis de caetero non legerent Bartitonsoribus in lingua materna

Cui respondit Facultas, quod placebat sibi suspendere pro nunc illas lectiones, non tamen volebat absolute acquiescere petitioni illi, nisi etiam Domini Chirurgici desisterent ab ordinationibus receptarum ad Magistros Facultatis, & non ipsos Chirurgicos spectantibus. C' estoit (comme j' ay touché cy dessus) que les Medecins pretendoient que d' ordonner quelque Medecine à celuy qui estoit nauré, cela devoit sortir de leur boutique, & non de celle des Chirurgiens. Cette querelle depuis fut diversement promenée. Parce que sous le Doyenné de Maistre Bernard de la Vaugiere 1498. les compagnons Barbiers presenterent leur Requeste, à ce qu' il pleust à la Faculté commettre quelque Docteur, pour leur enseigner l' anatomie d' un corps qui leur avoit esté promis par le Lieutenant Criminel. A quoy s' opposerent les Chirurgiens, soustenans que cela estoit de leur gibier, & estoient pres d' y vacquer. Sur cette opposition fut ordonné le 13. Decembre, que l' anatomie seroit faite par un Docteur Medecin, qui l' expliqueroit, tant en Latin que François. Qui estoit tousjours autant esbrecher l' authorité des Chirurgiens.

Le dixhuictiesme Octobre mil quatre cens nonante neuf sur autre Requeste presentée par les Barbiers, il est permis de leur lire tous les livres de Chirurgie, Dummodo id fieret sermone Latino, & non alàs. Cum Magistri non soleant aliter libros suos legere. Une chose sans plus me desplaist, que l' avarice se vint loger au milieu de ces contrastes & altercations. Parce que sous le premier Doyenné de Maistre Richard Gassian mil cinq cens deux fut arresté: Quod Domini Chirurgici facerent anatomias, si vellent obedire Facultati, solvendo tertiam partem, & ut praeferrentur Tonsoribus, aliàs Facultas privat eos. La premiere recepte qui est faicte en consequence de cette ordonnance, est au compte de Gassian portant ces mots. Alia recepta pro anatomia à studentibus Chirurgicis Tonsoribus, & his qui voluerint interesse. A communitate Chirurgicorum qui solverunt tertiam partem expensa-sarum (expensarum) quadraginta duos solidos Parisienses. Sous le deuxiesme Doyenné de Maistre Jean Avis, la Faculté estant assemblée en l' Eglise sainct Yves, le troisiesme Janvier mil cinq cens cinq, se presenterent tous les Chirurgiens de Paris ayans tous le bonnet aux poings (ainsi que porte le Registre) & declarerent par l' organe de Maistre Philippes Roger, qu' ils estoient Escoliers de la Faculté: dont elle demanda acte à deux Notaires de la conservation en Cour d' Eglise, Maistre Martin Menart, & Jean Maioris. Ce fait Roger remonstra que les Maistres Chirurgiens estoient fondez en plusieurs Privileges Royaux, au prejudice desquels la Faculté avoit besongné, en donnant permission à un François Bourlon d' exercer la Chirurgie, la suppliant que de là en avant on n' entreprist plus sur leurs anciennes prerogatives. A quoy Helin, comme le plus ancien des Medecins, respondit que ces pretendus privileges avoient esté obtenus par subreption, & sous le faux donner à entendre des Chirurgiens, les Medecins non ouis ny defendus. Et neantmoins fut advisé qu' on en delibereroit plus amplement, mesme sur la requeste presentée par les Barbiers. Et quelque peu apres fut passé un contract le troisiesme Janvier mil cinq cens cinq pardevant Calais & Coste, Notaires au Chastelet de Paris, entre Giraut Tougaut Maistre Barbier à Paris, & garde des Chartres du mestier de Barbier, Pierre Cerisay, Jean Courroye, Guillaume Alain, Jean le Fort jurez, tant en leurs noms, que comme stipulans pour les autres Maistres Barbiers de cette ville de Paris d' une part, & Maistre Jean Avis natif de la ville de Beauvois, Docteur Regent en la Faculté de Medecine, Doyen d' icelle, tant en son nom, que comme stipulant pour la dite Faculté. Par lequel contract est narré que depuis quelque temps en là quelques Docteurs de leur Faculté avoient esté commis, pour declarer & exposer la science de la Chirurgie aux supplians. Pour ces causes estoit entr'eux passé ce contract portant les articles qui s' ensuivent. C' est à sçavoir que ces lectures se continuëroient, quoy faisant, les Barbiers jureroient estre vrais Escoliers de la Faculté, se feroient par chacun an inscrire au papier du Decanat, & pour leur inscription seroient tenus de payer deux sous parisis; jureroient de non administrer Medecine laxative, ains seulement ordonneroient ce qui appartiendroit à l' execution de la Chirurgie manuelle: Mais quand il seroit question de Medecine, ils avroient recours à l' un des Maistres de la Faculté. Que pour recevoir un Barbier à la Maistrise, on y appelleroit deux Docteurs de la Faculté, lesquels apres la deliberation des Maistres Barbiers, concluroient sur la suffisance, ou insuffisance de l' examiné, & pour leur assistance, avroient chacun deux escus sol pour leur salaire; qu' ils n' exerceroient l' art de Chirurgie avecques autre Medecin, qui ne seroit de leur Faculté; qu' apres que l' examiné avroit esté trouvé suffisant, il seroit tenu de jurer, & faire le serment de ce que dessus, en la main de l' un des Maistres Docteurs Commissaires. Moyennant cela la Faculté promettoit leur faire leçon en Chirurgie, & de leur communiquer, & faire exposer les anatomies, en payant par eux les droits specifiez: & où quelques uns les voudroient troubler en l' exercice de la Chirurgie, en ce cas la Faculté seroit tenuë  de prendre le fait & cause pour eux, & les garentir, à la charge que les Barbiers seroient tenus de faire les fraiz. 

Par le moyen de ce contract les Medecins passerent le Rubicon, & voulurent introduire un nouvel ordre de Chirurgie au prejudice de l' ancien. Et de fait ores qu' auparavant dedans leurs memoriaux, parlans des Barbiers ils les appelassent simplement, tantost Barbitonsores, tantost Barbirasores, ils commencerent de les honorer de ce titre, Tonsores Chirurgici, pour ne desmentir leur contract: & ceux qui pensoient plus elegamment parler, Chirurgi à tonstrina. Et non contens de cela par une assemblée du septiesme Juillet mil cinq cens six, la Faculté arresta, Quod nullus Magistrorum compareret in artibus Chirurgicorum, sub poena privationis. Qui estoit faire une profession expresse d' inimitié encontre le College ancien des Chirurgiens. Je me donneray bien garde de controller ce contract, & d' examiner si les Medecins pouvoient introduire une loy nouvelle, au prejudice des anciens statuts de l' Université de Paris, qui veut que les Arts s' enseignent par les siens en langue Latine, ne s' ils pouvoient attenter chose aucune au desavantage de la compagnie des Chirurgiens, ny de se faire juges & parties en leur cause.

Je laisse cette tasche à ceux qui voudront faire les Critiques, me contentant, comme simple Historiographe, de vous avoir representé comme le fait s' estoit passé. Bien vous diray-je qu' en cette nouvelle entreprise je trouve je ne sçay quoy de sage-mondain aux Medecins, quand par la closture du contract ils promettent prendre la cause des Barbiers contre les Chirurgiens, mais à leurs despens, perils, & fortunes. Qui estoit se mettre à l' abry des coups.

La connivence que les Chirurgiens apporterent à ce contract, rendit les Medecins de là en avant plus hardis, qu' ils n' avoient esté par le passé. Car le 3. de May mil cinq cens sept les Chirurgiens furent citez pardevant la Faculté de Medecine à certain jour, sur ce qu' ils ordonnoient des clysteres, aposumes & medecines, tout ainsi que les Medecins. Le premier de Juin ils comparent, & sur les remonstrances à eux faictes, promirent par serment fait sur les sainctes Evangiles (ainsi le portent les memoriaux de la Faculté de Medecine) qu' à l' avenir ils ne tomberoient plus en cet accessoire. Ainsi trouvé-je que sous le Doyenné de Maistre Jean Bertoul le 18. Decembre 1507. Eadem Facultas per iuramentum convocata dedit concorditer adiunctionem iuratis tonsoribus, studentibus in Chirurgia, sub doctoribus dictae Facultatis in certo processu, contra eos intentato, per Iuratos Chirurgicos, expensis videlicet ipsorum tonsorum: Aux anciens Registres on les appelloit Dominos Chirurgicos,  comme mesnagers, & ministres d' une partie de la Medecine: Icy on les nomme seulement jurez à l' instar des mestiers mecaniques. Ce procez prit quelque traict, mais je ne voy point quelle en fut l' issuë. Quoy que soit sous le premier Doyenné de Maistre Jean Ruelle l' an 1508. le Doyen en pleine assemblee remonstra, Quod Chirurgici, iampridem inchoatum processum continuare contendebant, dederantque suas posseßiones & saisinas, quae lectae fuerunt. Quibus auditis dedit Facultas deputatos, quorum consilio, necnon consiliarorum, in hoc processu ageretur. Deputati autem fuerunt Magistri, Richardus Helin, Michaël de Colonia, Theodoricus Sirier, Ioannes Bertoul, & Ioannes Avis: Au second Doyenné de Ruelle le 12. Novembre en une congregation de l' Université: Petita est per Decanum adiunctio Universitatis in processu quem facultas habebat, eo quod Chirurgici actus Baccalaureorum, in gravißimum Universitatis detrimentum faciebant. Cui porrectae supplicationi se adiunxit Universitas. Et le 9. jour de Mars ensuivant fut advisé par la Faculté, qu' on chercheroit toutes les pieces & Arrests, qui pouvoient estre contre les Chirurgiens: & prendre Advocat, Procureur, & soliciteur. Le 28. de Decembre 1510. sous le Doyenné de Maistre Jean Guischard, fut la Faculté assemblee à S. Yves, pour le procez des Chirurgiens: & conclud que la Faculté soustiendroit fortement le procez: Et sustineret praefatum Clodoaldum, & communitatem tonsorum, adversus Chirurgos. Et tout d' une suite fut arresté que Requeste seroit presentee à la Cour, pour contraindre les Chirurgiens de frequenter les leçons ordinaires des Docteurs en medecine, & de se soubsigner tous les ans au livre du Doyen, a fin qu' on fust suffisamment informé du temps de leurs Estudes, lors qu' ils se voudroient passer Maistres en leur Art. Au demeurant que les Barbiers seroient adjournez, sur les malversations qu' on pretendoit avoir esté par eux commises au desadvantage de la Faculté. Conclusion capitulaire, qui n' estoit ce me semble hors de propos. Or comme ce procez se poursuivoit chaudement, le dernier jour de Janvier comparuerunt in Burello Facultatis sponte sua Domini Chirurgi (en cet acte de Pacification le mot de Domini eschappe) quaerentes pacem cum Facultate, ut aiebant, & finem processus contra eos, similiter inter eos & tonsores. Quibus Facultas bene convocata congratulata est, & cum gaudio benigne suscepit: Et leur declara (porte le passage) qu' ils estoient les mieux que bien venus, moyennant qu' ils la voulussent recognoistre comme leur mere en cet Art; & pour trouver moyen de concorde entr'eux, elle deputa Helin, le Cirier, de Colonia, Bertoul, & Rozee: qui s' assemblerent plusieurs fois avec les Chirurgiens: mais je ne voy quelle fin eut leur procez. Que si je ne m' abuse ce fut une surseance d' armes, dont les Chirurgiens sceurent fort bien faire leur profit: car ayans fait cette declaration eh Janvier 1510. en plein bureau de vouloir nourrir paix & amitié avec la Faculté de Medecine, & ayans esté par elle embrassez: Aussi trouvez vous que le 5. Avril 1515. le Recteur & Université de Paris, en une congregation generale declara que les Chirurgiens devoient estre estimez Escoliers de l' Université. Et par acte emané de la Faculté de Medecine du 17. Novembre au mesme an, ils furent aussi declarez Escoliers de la Faculté de Medecine, & que comme tels ils devoient estre declarez francs & exempts de tous imposts & aydes: le tout comme vous avez peu plus amplement entendre par le precedent Chapitre. Depuis ce temps je ne voy nulle guerre ouverte entre le Medecin & le Chirurgien, ny pareillement entre le Chirurgien & le Barbier, ains une longue trefve dura jusques en l' an 1582. qui estoit temps suffisant pour leur faire mettre en oubly leurs anciens maltalens. Toutesfois voicy comme la memoire s' en renouvela. Les Chirurgiens d' un costé n' avoient autre plus grande ambition en leurs ames, que d' estre estimez enfans de l' Université de Paris: & les Barbiers d' un autre que d' estre incorporez au College des Chirurgiens. 

Pour le regard du premier point, je vous ay cy-dessus discouru en combien de manieres ils y voulurent donner quelque atteinte. En fin se voyans assistez de deux declarations par moy presentement touchees, & d' unes longues trefves qu' ils estimoient equipoller à une ferme paix, ils obtindrent unes lettres patentes du Roy François I. de ce nom en Janvier 1544. par lesquelles il vouloit qu' ils joüissent de mesmes Privileges, franchises, & immunitez que l' Université de Paris. A la charge que ceux qui voudroient estre Bacheliers, puis Licenciez en Chirurgie, seroient tenus de respondre en Latin pardevant les Examinateurs, qui seroient commis pour s' informer de leurs suffissances: Et au surplus qu' ils se trouveroient en l' Eglise S. Cosme, & S. Damien tous les premiers Lundis de chaque mois, & en ce lieu seroient tenus de visiter & penser, depuis dix heures du matin jusques à douze, tous les pauvres malades affligez en leurs membres qui se presenteroient à eux. Ces lettres adressees à la Cour de Parlement, Chambre des Comptes; Generaux des Aydes pour y estre verifiees; toutesfois je ne voy point qu' elles y eussent passé. Bien voy-je que la derniere clause d' icelles, concernant les malades, a esté pour eux, & est encores plainement executee: Et neantmoins je ne sçay si auparavant ces patentes cette charge estoit annexee à leur fonction: car je n' en ay rien veu ny appris par les tiltres qui sont passez par mes mains. Plusieurs annees s' escoulerent du depuis, pendant lesquelles les Chirurgiens se tindrent clos & couverts, sans remuer aucun nouveau mesnage jusques au 1. de Janvier 1579. qu' ils obtindrent un Indult du Pape Gregoire XIII. par lequel en entherinant leur requeste il voulut conformément aux termes portez par icelle: Ut omnes & singuli Chirurgi, tam coniugati, quam non coniugati, qui prius Grammatici, & postea in eadem Universitate Magistri artium recepti, ac ut moris est, eorumdem Chirurgorum examinati & approbati fuerint, ut à pro tempore existente dictae Universitatis Cancellario, postquam profeßionem fidei iuxta formam descriptam in eius manibus emiserint, benedictionem Apostolicam, quemadmodum caeteri Magistri, & Licentiati eiusdem Universitatis consueverunt cum debitis reverentia & humilitate recipiant.

Ce sont les propres mots de l' Indult, lequel mit aucunement en cervelle les Medecins, qui implorerent l' aide du Recteur & supposts de l' Université: & eux tous se joignans ensemble, appellerent comme d' abus de la fulmination de ces bulles. Cause qui fut plaidee au Parlement par Maistre Jacques Chouard pour l' Université, par Maistre René Chopin pour la Faculté de Medecine, par Maistre Barnabé Vest pour celle des Chirurgiens: trois Advocats de marque, & de nom: & par Messire Augustin de Thou pour Monsieur le Procureur general: qui n' oublia rien de ce qu' il pensoit faire à l' avantage des Chirurgiens: comme j' ay apris par son plaidoyé qui est tout au long inseré par l' arrest que l' on a levé: car quant aux plaidoyez des 3. autres, ils y sont couchez en blanc. Et neantmoins nonobstant les conclusions par luy prises, la cause fut appointee au Conseil par Arrest du Mardy 21. Mars 1582. Appointement qui dormit plusieurs annees: toutesfois en fin resveillé de cette façon. Maistres Jean Philippes, Guillaume Poulet, & Estienne Bizeret ayans suby l' examen à ce accoustumé par les Maistres Chirurgiens, & esté Licenciez en Chirurgie, s' estans presentez au Chancelier de l' Université, apres avoir fait la profession de foy prescrite, & receu de la benediction portee par les Bulles, l' Université de Paris, & la Faculté de Medecine en appellerent comme d' abus, pretendans que c' estoit un attentat expres commis au prejudice de l' appointé au Conseil de l' an 1582. Cause qui fut pareillement appointee au Conseil, & jointe avec la premiere, par Arrest du 24. Mars 1609. Esquelles deux causes les parties ont respectivement escrit & produit. Et adhuc sub iudice lis est.

Je ne veux par ce mien Chapitre estre un composeur d' Almanachs, & prognostiquer quel je pense devoir estre le succés de toute cette poursuite. Toutesfois si les souhaits ont lieu (comme il est mal-aisé de commander à nos premiers mouvemens) je vous diray franchement que je souhaite les Chirurgiens obtenir gain de leur cause; mais sous les conditions que je vous diray cy-apres, & non autrement. Que si desirez sçavoir qui fait naistre en moy ce souhait, je le vous diray franchement. Il est certain & sans doute que la Chirurgie fait part & portion de la Medecine. Partant semble y avoir grande raison d' aggreger au corps de l' Université le Chirurgien, tout ainsi que le Medecin. N' y ayant rien qui l' en ait cy-devant forclos, que la cruauté que l' on estime se trouver en l' exercice de son estat. Et comme l' Eglise n' abhorre rien tant que le sang; aussi ne faict l' Université sa fille par son premier institut: qui est la cause pour laquelle le Medecin mesme ordonnant une saignee à son patient, se donne bien garde d' y employer sa main; ains celle du Barbier: chose qui devoit appartenir au Chirurgien. Tout de ce mesme fonds l' Université de son originaire & premiere institution, ne permettoit qu' aucun de ses ministres fust marié, & pour cette cause, ny celuy qui vouloit passer Maistre és Arts, ny le Docteur en Medecine, ny le Docteur Regent en Decret, ne pouvoient estre mariez (car pour le regard du Docteur en Theologie, le celibat est une charge fonciere, annexee à sa profession sans exception & reserve,) & combien que le mariage fust prohibé & deffendu aux enfans de l' Université, toutesfois le Cardinal d' Estouteville Legat en France, ne douta de passer dessus ces deffenses, & de permettre aux Docteurs en Medecine d' estre mariez. Ce qui ne fut jamais trouvé de mauvaise digestion par nos ancestres: voire en plus forts termes les Docteurs en Decret s' en sont dispensez de nostre temps, sans qu' on leur ait imputé à faute, ny qu' on leur ait fait perdre leurs chaires, ores que contre leur ancienne institution ils fussent mariez. Que si un simple Cardinal Legat en France peut favoriser la famille des Medecins, & leur permettre d' estre mariez au prejudice des anciens statuts de l' Université, sans que l' on ait revoqué son Decret en aucun scandale, bien que ce fust un grand coup d' Estat, serions nous si osez de revoquer la puissance du S. Pere en doute, & de vouloir soustenir qu' il ne puisse authoriser le serment du nouveau Chirurgien, qui sera fait és mains du Chancelier de l' Université? Singulierement eu esgard que la Faculté de Chirurgie fut declaree faire partie de l' Université par deux congregations du Recteur, faictes aux Mathurins en l' an 1436. & l' an 1515. & encore par une autre des Medecins du mesme an. Je l' appelle Faculté, de mesme façon que celle de la Medecine, car ainsi la voy-je estre qualifiee par l' arrest de 1351. donné sous le regne du Roy Jean: par un autre sous le regne de Henry II. donné entre Maistre Charles Estienne Docteur en Medecine, & Maistre Estienne de la Riviere Chirurgien en l' an 1541. & finalement par l' arrest du 26. Juillet 1603. dont sera parlé cy-apres, donné entré les Chirurgiens, Barbiers, & Medecins intervenans. Voila le premier souhait que je fais en faveur des Chirurgiens: mais pour le rendre de toutes façons accomply, & que l' on sçache qu' il ne m' entre en l' ame sous faux gages, je desire que celuy qui veut prendre les degrez de la Chirurgie soit Chirurgien, non à petit semblant, ains à bon escient. Premierement qu' il soit bien & deüement instruit en la langue Latine, comme veulent les anciens Statuts de leur ordre: que comme les Medecins; aussi ceux-cy soient passez Maistres és Arts, avant que d' entrer au corps de la Chirurgie, le tout ainsi qu' il est porté par les Bulles du Pape Gregoire, & aussi est-ce la verité qu' aux deux actes qui se passerent entr'eux & l' Université l' an 1436. & 1515. & le 3. au mesme an, avec la Faculté de Medecine: ceux qui porterent les paroles pour la Faculté de Chirurgie nommez, Jean de Soulfour, Claude Vanif, Estienne Barat, prindrent qualité de Maistres és Arts & en Chirurgie. Je desire qu' ils facent leurs premieres estudes de Chirurgie en l' escole de Medecine: ainsi qu' il leur est enjoint par l' acte de l' an 1436. par lequel ils sont advoüez enfans de l' Université: Proviso tamen (dict le texte) quod ipsi lectiones Magistrorum actu Parisius in Facultate Medicinae Regentium, ut moris est, frequentent. Et apres qu' ils avront passé par tous ces alambics, qu' il leur soit permis d' entrer au cours de deux ans de la Chirurgie (rapportans bonnes & seures testimoniales de tout ce que dessus) & de se choisir tel Maistre qu' il leur plaira des Docteurs en la Chirurgie, pour se rendre plus capables de cet art, & subir les examens à ce requis & accoustumez, pour le degré premierement de Bachelerie, puis de Licence: car autrement quelques rolles qu' ils vueillent joüer sous ces dignitez Scholastiques, je ne les estime faire vrais actes de Chirurgie, ains de cingerie, moulez sur ce qu' ils voyent estre praticqué doctement aux Escoles de Medecine, par les Medecins.

dimanche 2 juillet 2023

6. 1. De la fatalité qu' il y eut en la lignee de Hugues Capet au prejudice de celle de Charlemagne:

LIVRE SIXIESME

De la fatalité qu' il y eut en la lignee de Hugues Capet au prejudice de celle de Charlemagne: Et contre la sotte opinion de Dante Poëte Italien, qui estima que Capet estoit yssu d' un Boucher.

CHAPITRE I.

Entre toutes les nations de la Germanie, ou d' Allemagne, il n' y en eut point qui donna tant d' exercice à Charlemagne, que celle de Saxe, & entre les seigneurs de Saxe principalement Witikind. Les Saxons furent plusieurs fois vaincus, & autant de fois se rebellerent. N' ayans autre plus signalé entremetteur de leurs rebellions que ce grand guerrier. Lequel ne voulut jamais rendre les abois, quelque victoire que Charlemagne eust obtenue contr'eux, ains en ses desastres avoit son ordinaire retraicte à Dannemarc, & par l' aide des Danois reprenoit haleine, & souvent s' en faisoit accroire pour luy & les siens: Les Saxons selon leurs appoints & occasions firent plusieurs capitulations avec Charlemagne, ausquelles Witikind ne voulut estre compris. Ne respirant autre chose dedans son ame que la liberté ancienne de son pays. Toutesfois en fin apres plusieurs & diverses secousses de fortune, voyant toute la Saxe avoir receu le sainct Sacrement de Baptesme, & s' estre reduitte sans esperance de respit sous l' obeyssance de l' Empereur Charlemagne, il le vint trouver à Attigny, où apres avoir esté Chrestienné, il luy fit le serment de fidelité. Et commencerent deslors luy & sa posterité de s' adomestiquer de la France. Je remarque specialement cette opiniastreté de rebellion en ce Saxon, d' autant qu' il semble que sa famille fut depuis destinee pour la fin & closture de celle de Charlemagne, comme vous pourrez entendre par ce que je vous deduiray presentement. Ce grand Witikind eut un fils nommé Theodorich ou Thierry, duquel entre autres enfans nasquirent Witikind II. & Matilde, autrement Mahault. De ce second Witikind vint Robert premier. C' est celuy qui fut commis par Charles le Chauve à la deffense des marches d' Anjou & Touraine contre les Normands, sous le titre & qualité de Marquis, selon les uns, ou de Comte selon les autres. Charge en laquelle il acquist tres-grande reputation: & de fait mourut vaillamment en cette querelle.

Cela moyenna credit aux siens dedans cette France, qui succederent à sa dignité. Il laissa deux enfans, Eude & Robert II. Cettuy-là fut donné pour tuteur & curateur au jeune Charles le Simple, sur lequel il usurpa la Couronne & se fit proclamer Roy de France, & apres luy Robert son frere. Cettuy fut pere de Hugues le Grand, & luy de Hugues Capet, qui transmit aux siens la couronne de France de la famille de Charlemagne.

Voila pour le regard du dedans de la France, voyons ce qui fut du dehors. Cette famille estoit fonduë en Charles le Gras, sur lequel pour l'  alteration de son cerveau, Arnoul bastard son nepueu empieta l' Estat d' Allemagne. Auquel succeda Louys son fils, lequel decedant sans enfans, & en luy prenant fin la lignee de Charlemagne, Conrad Duc de Franconie fut eleu Roy d' Allemagne par l' advis d' Othon Duc de Saxe beau-frere de Louys. Conrad decedant sans hoirs voulut par son ordonnance testamentaire recognoistre en Henry fils d' Othon le plaisir qu' il avoit receu de son pere, & le nomma pour successeur. Cet Henry fut conjoint par mariage avecques Mahault sœur de Widikind second, & d' eux par diverses generations vindrent les Othons I. II. & III. qui furent Roys, & Empereurs, & en fin transporterent l' Empire en Allemagne. Nouveau discours d' histoire en ce païs-là, tout ainsi que de la posterité de Capet en cette France. Les uns & les autres ayans pris leurs racines d' un mesme tige, qui fut Widikind premier. De cecy vous pouvez recognoistre la fatalité qu' il y eut en cette famille depuis son commencement jusques à la fin, au desavantage de celle de Charlemagne. Et au surplus combien Dante Poëte Italien fut ignorant, quand au livre par luy intitulé le Purgatoire, il dit que nostre Hugues Capet avoit esté fils d' un Boucher. Laquelle parole, ores que par luy escrite à la traverse, & comme faisant autre chose, si est-elle tellement insinuee en la teste de quelques sots, que plusieurs qui ne sonderent jamais les anciennetez de nostre France, sont tombez en cette mesme heresie. François de Villon plus soucieux des tavernes, & cabarets, que des bons livres, dit en quelque endroit de ses œuvres.

Si feusse des hoirs de Capet, 

Qui fut extrait de boucherie.

Et depuis Agrippa Alleman en son livre de la Vanité des sciences, chapitre de la Noblesse, sur cette premiere ignorance declame impudemment contre la genealogie de nostre Capet. Si Dante estima Hugues le Grand, duquel Capet estoit fils, avoir esté un boucher, il estoit un mal habille homme. Que s' il usa de ce mot par metaphore, ainsi que je le veux croire, ceux qui se sont attachez à l' escorce de cette parole sont encores plus grands lourdauts. C' est luy qui donna tant d' algarades à Charles le Simple & aux siens, & mesla tellement les cartes à son profit, qu' en fin Hugues Capet son fils demeura maistre du tapis. Conjoignez ce chapitre avec celuy de nos Pairs, vous trouverez que jamais Prince ne fut plus propre pour remuer un Estat que luy. Parce que je le voy en toutes ses actions avoir esté accompagné d' une prudence, vaillance, & heur, autant que seigneur fut oncques. Pour le regard de la prudence, combien qu' il fust jeune & fils de Roy, consequemment que par un boüillon de son âge, il deust affectionner la couronne, toutesfois il fut tant retenu apres la mort du Roy Robert son pere, que Raoul Duc de Bourgongne son beau-frere ayant esté eleu Roy, il ne fit jamais contenance de s' y opposer. Prevoyant que par ce contraste qui pourroit estre entr'eux nouveaux usurpateurs de la couronne, ce seroit asseurer les affaires de Charles le Simple, vray & legitime heritier du Royaume: Heribert Comte de Vermandois Seigneur d' un esprit remuant tenoit grand rang entre ceux de leur party, pour se faire proclamer Roy apres le decés de Raoul. Or Hugues le Grand son beau-frere estant creu d' âge, & d' authorité tout ensemble, jaçoit qu' auparavant il eust passé par connivence la Royauté de Raoul, si se donna-il lors bien garde de la laisser tomber és mans de Heribert ou autre de leurs partissans. Parquoy par un sage conseil il donna ordre que les vrays heritiers de la couronne fussent couronnez: mais avecques telle condition qu' il les tenoit tousjours en bride, pour l' authorité que le temps, & sa sage conduicte luy avoient acquise. En fin Heribert son corrival estant decedé, il commença de lever le masque, & au lieu du tiltre de Comte de Paris qu' il portoit, il fut appellé Duc de France, dont il fit la foy & hommage au Roy Lothaire, comme d' un grand fief. Ne luy restant à avoir que le nom de Roy dont les effects residoient en luy.

Quant à sa vaillance, non seulement il ne reboucha jamais aux coups, mais qui plus est il en vint à chef. En la bataille qui fut baillee entre le Roy Robert son pere, & le Roy Charles le Simple, Robert y mourut & demeura sur la place pres de Soissons, mais la victoire demeura pardevers Hugues le Grand, & fut le Simple contraint de fuir à vauderoute, & se retirer hors la France. Et ne trouverez bataille par luy donnee où il ne fist plusieurs grands exploicts de Chevalerie par dessus les autres. Toutes lesquelles particularitez luy firent acquerir le surnom de Grand. Or si la prudence & la vaillance luy firent perpetuelle compagnie, encores ne fut-il pas moins accompagné de bon heur, mais bon-heur qui prenoit fonds de sa prudence. Parce qu' apres que Rotilde sa premiere femme fut morte il espousa en secondes nopces la fille du Roy d' Angleterre, belle sœur de Charles le Simple, & en troisiesmes, Emmode fille puisnee de l' Empereur Othon I. dont le Roy Louys d' Outremer avoit espousé l' aisnee. Tellement que s' il ne porta le titre de Roy, si fut-il beau-frere de deux Rois. Et soit, ou que par heur, ou par discours ces deux mariages eussent esté par luy procurez, tant y a que telles alliances empeschoient ces Princes estrangers de venir au secours des vrais Roys contre luy. Adjoustez que par la longueur de son âge ayant survescu tous ses partissans, il empieta tel credit, que combien qu' il ne fust Roy, si estoit-il faiseur & defaiseur des Roys. Bref vous ne voyez rien avoir esté pratiqué par Charles Martel contre la lignee de Clovis, que Hugues le Grand n' ait pratiqué contre celle de Martel. Charles Martel ne se disoit Roy, ains seulement Maire du Palais, & sous cette qualité donnoit telle loy qu' il vouloit aux vrais Roys. Le semblable fit Hugues le Grand sous le titre premierement de Comte de Paris, puis de Duc de France. Martel mourant delaissa son fils Pepin Maire du Palais, puis Roy: Hugues aussi allant de vie à trespas laissa Hugues Capet son fils qui fit la foy & hommage au Roy Lothaire en celle mesme qualité de Duc de France, & en fin se fit declarer Roy de France. Pepin confina en une Religion Childeric dernier Roy de la race de Clovis: & Hugues Capet en une prison, Charles dernier Roy de la lignee de Martel, auquel par droict successif appartenoit nostre couronne. De maniere que l' on peut dire, que ce fut un vray jugement de Dieu: & en effect voila le Boucher dont Hugues Capet est extrait.

Le passage de Dante leu & expliqué par Louys Alleman, Italien devant le Roy François I. de ce nom, il fut indigné de cette imposture, & commanda qu' on le luy ostast, voire fut en esmoy d' en interdire la lecture dedans son Royaume. Mais de ma part pour excuser cet autheur je voudrois dire que sous ce nom de Boucher, il entendoit que Capet estoit fils d' un grand & vaillant guerrier. Car à vray dire en matiere de guerre, quand on a fait en une bataille un grand carnage, nous disons d' un autre mot boucherie & appellons aussi un grand meurdrier & carnassier, grand Boucher, & de cette mesme façon ay-je leu qu' Olivier de Clisson estoit ordinairement nommé Boucher par les nostres. Parce que tous les Anglois qui tomboient entre ses mains il n' en prenoit aucun à mercy, ains les faisoit tous passer au fil de l' espee. Et de nostre temps François de Lorraine Duc de Guyse, l' un des plus redoutez Capitaines de nostre siecle, estoit ainsi appellé par les Huguenots ses ennemis, quand par une contumelie ils taschoient d' obscurcir sa gloire. Si ainsi Dante l' entendit, je luy pardonne, si autrement, il estoit un Poëte fort ignorant.

samedi 1 juillet 2023

5. 2. Que la mort de Bernard Roy d' Italie petit fils de l' Empereur Charlemagne fut une mort d' Estat,

Que la mort de Bernard Roy d' Italie petit fils de l' Empereur Charlemagne fut une mort d' Estat, contre l' opinion commune de nos Historiographes.

CHAPITRE II.

Charlemagne auparavant que de mourir avoit faict Pepin son fils aisné, Roy d' Italie, & Louys son puisné Roy d' Aquitaine. Ce fut une Loy depuis observee en cette famille, qu' à l' aisné qui devoit succeder à l' Empire estoit donné le Royaume d' Italie, voire dés le vivant du pere mesme. Ainsi fut-il baillé par l' Empereur Louys le Debonnaire, à Lothaire son fils aisné, ainsi par le mesme Lothaire à Louys aussi son aisné. Le tout de la mesme façon que nous appellons aujourd'huy Roy des Romains, celuy est destiné à l' Empire apres la mort de l' Empereur: Tiltre qui a esté emprunté de cette longue ancienneté. Car entre le Roy d' Italie & des Romains, il n' y avroit pas grande difference qui accompagneroit le Roy des Romains de l' effect. Advint que le Roy Pepin meurt du vivant de Charlemagne son pere, & par sa mort transmit le Royaume d' Italie à Bernard son fils: Auquel consequemment si le droict de representation eust lors eu lieu, la Couronne Imperiale estoit deuë. Nos Historiographes nous enseignent que Louys dés le vivant de son pere avoit esté par luy associé, & faict compagnon de son Empire. De moy, je le veux croire avec eux, encores que le Prince Nitard petit fils de Charlemagne par sa fille Berthe, n' en face aucune mention en sa vie, Regnavit (dit-il parlant de Charlemagne) per annos duos & triginta, Imperijque gubernacula cum omni foelicitate per annos quatuordecim poßedit. Haeres autem tantae sublimitatis Ludovicus filiorum eius ex iusto matrimonio susceptorum novissimus, caeteris decedentibus succeßit. Qui ut pro certo patrem deceßisse comperit, Aquas ab Aquitania protinus venit, quo undique ad se venientem populum suae ditionis addixit. S' il eust esté fait Empereur dés le vivant du pere, ce placard meritoit bien d' estre icy enchassé. Et à vray dire, qui prendroit ce passage par la simple lettre, sans y apporter quelque commentaire, il sembleroit que Louys demeurant dedans l' enceinte de France, ayant eu les premieres nouvelles de la mort de son pere, eust gaigné le devant de Bernard son nepueu qui residoit en Italie, & l' eust supplanté de la benediction de son ayeul.

Or combien que je ne vueille pas aisément desdire en cet endroit l' opinion commune de cette association d' Empire, toutesfois je soustiendray librement, que jamais il n' y eut chose qui affligea tant l' Empereur Louys en son ame, que Bernard, lequel il fit quelque temps apres mourir, feignant qu' il s' estoit voulu rebeller contre luy. Qui estoit une accusation supposee pour apporter quelque excuse à cette mort. Je sçay bien qu' à cette parole j' arresteray tout court le Lecteur, pour estre le premier de ce nom qui mette cette opinion en avant. Je ne me veux point icy chatoüiller: mais voyez si mes conjectures sont bonnes, que j' emprunte de ceux mesmes qui accusent Bernard de rebellion.

Premierement la question n' est pas petite de sçavoir si ce crime de rebellion pouvoit tomber en celuy, qui se pouvoit pretendre estre fondé en juste tiltre par le moyen du droict d' ainesse qu' il pensoit estre fondu en luy par la representation du Roy Pepin son pere, fils aisné de Charlemagne. Mais laissant cette particularité en arriere, qui estoit toutesfois le motif de la crainte du Debonnaire, ceux qui nous ont redigé sa vie par escrit, disent que ce Bernard reduit aux termes de desespoir, voyant son oncle s' armer contre luy, le vint trouver en cette France, & se prosternant à ses pieds, le supplia tres-humblement de luy vouloir pardonner sa faute: comme feirent semblablement tous ses complices, & entre autres un Reginard son Connestable: Toutesfois qu' ils ne le peurent de luy obtenir, ains furent mis entre les mains de la justice, qui condamna entre les autres, Bernard à mort, & que l' oncle meu de pitié, voulut qu' il eust seulement les yeux creuez, dont ce jeune Prince indigné, mourut trois jours apres de regret. Voila le courant de cette histoire. Par tout le discours de la vie de Louys le Debonnaire, on le represente un Prince calme le possible, lent & tardif à se courroucer, prompt à se reconcilier, enclin à la misericorde, qui ne refusa jamais pardon à celuy qui luy demandoit, quelque conjuration qu' il eust auparavant brassee. Ainsi en usa-il envers Guinemark qui avoit fait revolter la Bretaigne contre luy: Ainsi à l' endroict de Berca Comte de Barcelone convaincu de crime de leze Majesté: ainsi à ceux qui avoient suivy le party de Lothaire son fils, commuant la condamnation de leurs morts en bannissemens, & ainsi à une infinité d' autres Seigneurs factionnaires. Bernard seul se trouva ne pouvoir joüir de cette clemence, lequel se tenant clos & couvert dedans son Royaume d' Italie, pouvoit longuement amuser les forces de l' Empereur, qui mieux aimoit le repos d' une Chambre, que la poussiere des champs, toutesfois comme asseuré de sa conscience, il se vint jetter entres ses bras: dont vient que l' oncle fut chiche de sa misericorde envers son nepueu, luy dis-je, qui en estoit prodigue envers ceux qu ne luy attouchoient de proximité de lignage. Je n' en rendray point la raison, ains le lairray juger par celuy, qui non preocupé d' opinion, se donnera le loysir de me lire. On me dira que pour me flater j' adjouste icy à la lettre, & que Bernard ne se presenta à l' Empereur, que lors qu' il ne sçavoit plus de quel bois faire fleches. Belle objection vrayement, qui la pourroit lier avecques ce qui s' estoit passé. Car quand Bernard vint en France, il n' avoit encores senty aucuns efforts de la guerre, ains seulement sur un bruit que son oncle s' armoit souz un faux donner à entendre que Bernard s' estoit remué contre luy. Tout cela, ce sont paroles (me dira quelque autre) bonnes à estre contestees en un barreau par des Advocats qui combatent pour la vraysemblance, & non pour la verité. Or entendez je vous prie ce que j' ay maintenant à vous dire. Charlemagne, outre Pepin & Louys ses deux enfans legitimes, avoit trois bastards, Dreux, Hugues, & Thierry. Voyez ce qu' en recite Nytard duquel je fais tres-grand fonds en cette histoire: lequel apres avoir touché, & la venuë de Louys en la ville d' Aix, & la reception qui luy fut faite par ses sujets, comme je l' ay icy dessus representé, dit ainsi: Fratres quoque adhuc tenera aetate Draconem, Hugonem, & Theodoricum participes mensae esse, quos & in Palatio una secum nutriri praecepit, & Bernardo nepoti suo Pepini Regnum Italiae conceßit. Qui quoniam paulò pòst, ab eo defecit, capitur, & à Bertmondo Lugdunensis provinciae praefecto luminibus pariter & vita privatur. Hinc autem metuens ne post dicti fratres, populo solicitato eadem facerent, ad conventum publicum eos venire praecepit, totondit, ac sub libera custodia commendavit. Pour le regard des bastards, on voit à l' œil une moinerie, ou pour mieux dire mommerie d' Estat, pardevant un Parlement & assemblee generale des Princes & grands Seigneurs: Et quant à la mort de Bernard, il y apporte quelque excuse en cette parole Defecit, comme aussi escrivant l' Histoire de son temps, & de son oncle, il luy eust esté aucunement mal seant de ne donner quelque lustre à cette mort. Mais le subsequent des bastards me fait juger de l' antecedant pour Bernard, & qui me fortifie plus en mon opinion, c' est que l' autheur qui donna entre les anciens plus de façon à cette histoire de rebellion, nous enseigne que le Debonnaire quelque temps apres espoint d' un bon instinct de sa conscience, en un solemnel Parlement qu' il tint en son Palais d' Attigny, fit confession & penitence publique de ces deux fautes par luy commises. Anno subsequenti (dit cet Autheur) domnus Imperator conventum generalem coire iußit in loco cuius vocabulum est Attiniacus: In quo, convocatis ad concilium Episcopis, Abbatibus, spiritualibusque viris, necnon Regni sui proceribus, primo quidem fratribus reconciliari studuit, quos inuitos attonderi fecerat. Post haec autem palam se erraße confessus, & imitatus Imperatoris Theodosij exemplum, poenitentiam spontaneam suscepit, tam de his, quam quae in Bernardum proprium nepotem gesserat: S' il y avoit eu de la rebellion au nepueu, il ne falloit point de penitence à l' oncle. La juste condamnation de l' un estoit la justification de l' autre. Et à peu dire entre les chefs, pour lesquels il fut depuis degradé de sa dignité Imperiale par le Clergé dedans la ville de Soissons, à l' instigation de Lothaire son fils aisné, cestuy concernant ses freres & son (neueu) nepueu estoit le premier. Eo quod fratribus & propinquis (portoit le narré de l' arrest) violentiam intulerit, & nepotem suum, quem ipse liberare poterat, interficere permiserit. Passage qui ne porte pas que l' Empereur eust fait mourir le Roy son (neueu) nepueu, ains que le pouvant empescher il ne l' avroit fait. Qui monstre qu' en cette mort il y avoit plus du fait des hommes, que de Dieu, ou de la Justice. Aussi estoit-ce l' un des points que Thegan coadjuteur de l' Evesque de Triers, reprenoit en luy particulierement, que pendant que comme devot il s' amusoit trop à Psalmodier, & comme adonné aux bonnes lettres, il consommoit la meilleure partie du temps à la lecture des livres, ses conseillers & favoris luy faisoient acroire tout ce qu' ils vouloient. Omnia cautè & prudenter agens (dit cet Autheur parlant de luy) nihil indiscretè faciebat, praeterquam quod consiliarijs suis magis credidit quàm opus esset. Quod ei fecit Psalmodiae occupatio, & lectionum aßiduitas.

Bernard ayant esté occis, son corps fut porté en la ville de Milan, où il repose. Et combien que toute l' Italie fust de là en avant du tout exposee sous la puissance du Debonnaire, & que la mort du jeune Prince fust excusee par les courtizans, sous le pretexte de rebellion, toutesfois au veu & sceu de l' Empereur on l' honora de cet Epitaphe dans la principale Eglise: Bernardus civilitate mirabilis, caeterisque pijs virtutibus inclytus Rex, hic quiescit. Regnavit an. 4. Mens 5. Obiit 15. Cal. Maij indict. II. filius piae memoriae Pepini. Epitaphe, si je ne m' abuse, qui faisoit le procez au procez qu' on luy avoit fait. Et qui me fortifie de plus en plus à mon opinion, c' est qu' Adon Evesque de Vienne qui florit vers le temps de Charles le Chauve, & s' estoit du tout voüé à la celebration de cet Empereur, se donna bien garde en sa Chronique de parler, ny de la mort de Bernard, ny de la degradation des trois freres bastards, comme estans pieces qu' il ne pouvoit debiter sans obscurcir cette histoire. Ce Roy Bernard laissa un fils unique, nommé Pepin, qui eut trois enfans, Bernard, Pepin, & Heribert Comte de Vermandois (que le commun de nos Annales appelle par abreviation Hebert). Cestuy entres autres siens enfans eut un Aldebert fils puisné. D' un autre costé Louys le Debonnaire fut pere de Charles le Chauve, duquel nasquit Louys le Begue, & de luy Charles le simple. Admirable justice de Dieu qui se trouve entre ces deux familles. Car soit, ou que pour asseurer son Estat souz le masque de rebellion, ou non, Louys le Debonnaire eust consenty à la mort du Roy Bernard son nepueu, tant y a que ceste playe saigna longuement.

Parce que Dieu voulut en ramantevoir la vangeance en la troisiesme generation de l' une & de l' autre famille, je veux dire jusques à Charles le Simple, que Heribert fit mourir dedans les prisons de Peronne: Et pour accomplissement de vangeance (chose pleine de honte & pudeur) Ogine veufve de Charles, convoia en secondes nopces avec Aldebert fils d' Heribert. Qui estoit assassiner tout à fait la memoire de son mary. En effet voila quel jugement je fais de cette Histoire, que je supplie tout favorable Lecteur vouloir prendre de bonne part.