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samedi 12 août 2023

9. 32. Des differens d' entre les Chirurgiens & Barbiers.

Des differens d' entre les Chirurgiens & Barbiers.

CHAPITRE XXXII.

Ayant par quelques livres precedans discouru des premieres & plus grandes dignitez de la France, d' amuser maintenant ma plume aux differens du Chirurgien & Barbier, c' est proprement un soubresaut de Phaëton, du haut en bas: mais puis que j' ay baptizé cet œuvre du nom de Recherches, je ne me pense fourvoyer de mon entreprise, repassant ores sur les choses hautes, ores sur les basses. Tant y a que ce sont  tousjours Recherches, les unes de plus fort, les autres de plus foible alloy. Comme aussi n' est-il pas dit que tout ce dont je feray part au Lecteur se trouve d' une mesme trempe; & à la mienne volonté que tout ainsi que le Chirurgien & le Barbier se meslent de guerir les playes, je pense aussi estancher le sang de la leur, dont je sçay qui en fut l' Autheur sans le dire.

Je pense vous avoir fidelement deduit par le precedant Chapitre, les differens qui furent, & sont encores entre la Faculté de Medecine & le College des Chirurgiens. Maintenant vous veux-je faire part de ceux qui sont & ont esté entre les Chirurgiens & Barbiers. En quoy je puis remarquer pour chose tres-vraye, que de toute ancienneté il y a eu deux ambitions qui ont couru: L' une dedans l' ame du Chirurgien, a fin que sa compagnie fust incorporee en l' Université: Et l' autre en celle du Barbier, que sa Confrairie fist part de celle des Chirurgiens. Chose à quoy ny l' un, ny l' autre n' ont peu atteindre, quelques artifices qu' ils y ayent diversement apportez.

Et neantmoins entant que touche les Barbiers, il ne faut faire doubte, que c' est une envie qui les a touchez d' une bien longue ancienneté: comme ceux qui firent dés pieça estat de guerir les playes. A quoy s' opposerent fort & ferme les Chirurgiens. Au livre blanc des Mestiers de Paris, qui est en la Chambre du Procureur du Roy au Chastelet, se trouvent ces deffenses souscrites.

L' an mil trois cens & un, le Lundy apres la my-Aoust furent semons tous les Barbiers, qui s' entremettent de Chirurgie, dont les noms sont cy-dessous escrits: & leur est deffendu sur peine de corps & d' amende; que ceux qui se disent Barbiers n' ouvrent de l' Art de Chirurgie, devant ce qu' ils soient examinez des Maistres Chirurgiens, à sçavoir mon se ils sont souffisans au dict mestier faire.

Item que nul Barbier, si ce n' est en aucun besoin d' estancher le blessé, ne se pourra entremettre du dit mestier: & si tost qu' il l' aura estanché, & affaité, il le fera à sçavoir à justice. C' est à sçavoir au Prevost de Paris ou son Lieutenant sur la peine dessus dite.

Et au dessous sont les noms de vingt-six Barbiers, ausquels ces deffenses sont faites, soit, ou qu' il n' y eust lors dedans Paris que vingt-six Barbiers, ou bien qu' il y en eust plus: mais qu' entre ce plus, il n' y eust que ces vingt-six qui voulussent enjamber sur l' Estat des Chirurgiens. Tant y a que cela tesmoigne que dés lors il y avoit des Barbiers qui s' en vouloyent faire croire. Et en plus forts termes dedans les anciens Statuts des Chirurgiens, il estoit porté par le quatorziesme article.

Item quod nullus, sive Magister, sive Baccalorius, patientem quemcumque cum Barbitonsoribus, nisi semel, aut bis ad summum visitabit, praenominati in Chirurgia Magistri iuraverunt. Et quelques destourbiers que les Barbiers receussent des Chirurgiens, en fin il leur fut permis par lettres patentes du Roy Charles cinquiesme en date du mois de Decembre mil trois cens septante deux, de penser les clouds, bosses, & playes ouvertes non mortelles, mais estans en peril eminent par faute de secours prompt & present.

Et comme depuis les Chirurgiens eussent obtenu commission du Prevost de Paris du quatriesme jour de May mil quatre cens vingt-trois, portant deffences generalement à toutes personnes de quelque estat & condition qu' ils fussent, non Chirurgiens, mesme aux Barbiers d' exercer, ou eux entremettre au faict de la Chirurgie. Et que cela eust esté proclamé à son de trompe & cry public par les carrefours de Paris, les Barbiers s' y estans opposez, l' instance prit traict pardevant le Prevost de Paris: Et par sentence du quatriesme jour de Novembre l' an mil quatre cens vingt-quatre, fut permis aux Barbiers de joüir du Privilege à eux octroyé par les lettres du Roy Charles cinquiesme cy-dessus mentionnees. De laquelle sentence Maistres Henry de Troyes, & Jean de Soulfour Chirurgiens jurez du Roy au Chastelet de Paris, & Maistre Jean Gilbert Prevost de la confrairie, appellerent, & releverent leur appel en la Cour de Parlement qui lors seoit sous l' authorité du jeune Henry sixiesme, soy disant Roy de France & d' Angleterre, & par Arrest du septiesme jour de Septembre mil quatre cens vingt-cinq, il fut dit qu' il avoit esté bien jugé, mal & sans grief appellé, & les appellans condamnez en l' amende du fol appel, & és despens: L' arrest fut prononcé en Latin, ainsi que portoit la commune usance.

Par cet Arrest il estoit permis de penser clouds, bosses & playes de la nature que dessus, & par l' Ordonnance du Prevost de Paris de l' an mil trois cens un, deffendu aux Barbiers d' exercer le fait de la Chirurgie, qu' ils n' eussent esté prealablement examinez, & jugez suffisans par les Maistres Chirurgiens: Voicy un autre placard que je trouve au Registre de la Police du Chastelet de Paris du 16. jour d' Aoust 1545.

Nous Philippes Flesselles Docteur Regent en la Faculté de Medecine, & Medecin juré du Roy nostre Sire audit Chastelet de Paris, & Jean Maillard Docteur Regent en la dite Faculté, substitut en l' absence du dit de Flesselles: & Pascal Bazin Chirurgien juré du Roy nostre Sire au dit Chastelet, & Sebastian Danisy Prevost des dits Chirurgiens à Paris, & François Bourlon Chirurgien juré à Paris, & le dit Bourlon commis par Guillaume Roger Chirurgien juré du Roy nostre Sire au dit Chastelet, parce que le dit Roger estoit detenu au lict malade d' une fievre tierce. Certifions qu' en vertu de certaine Ordonnance donnee en la chambre de la Police, datee du sixiesme jour d' Aoust, & signee Valet, nous avons procedé à l' audition, examen, & experience des dessous nommez sur le fait de la cognition & curation des clouds, bosses, antrax, & charbons, tant sur les differences d' iceux, que sur les phlebotomies & saignees, diversions qui en tels cas convient, & se devoient faire, & aussi pour la parfaicte curation d' icelles; & tout veu & consideré, les responces des dessous nommez, tant en Theorique, que Pratique, les disons estre idoines & suffisans, pour guerir les dits clouds, antrax, bosses & charbons: & le tout certifions estre vray: Tesmoins nos seings manuels icy mis le vingt-sixiesme jour du mois d' Aoust l' an mil cinq cens quarante cinq. Noms & surnoms, Jean Becquet, Pierre Gresle, Jean Pean, Estienne Bizeret, Jean Fremin, Simon Chesneau, Sulpice Pilors, Hugues Maillard, Jean Bigot, Benjamin Gasson, Guillaume Dibon, Jean Daqueu,  Baltazard le Chien, Raulequin Robillard, Jean Tabusso, Signé Maillard, de Flesselles, Danisy, Bazin, & Bourlon. Dont & desquelles choses les dits denommez & supplians, à sçavoir les dits Dibon, Becquet, & consorts, nous ont requis ces presentes, esquelles en tesmoin de ce nous avons faict mettre le seel de la dite Prevosté. Ce fut fait & extrait l' an mil cinq cens quarante-cinq, le Lundy 19. Octobre. Ainsi signé Goyer, & au dessous Fouques.

Je vous ay representé cette piece tout de son long, pour vous monstrer comme les choses alloient lors entre les Chirurgiens & Barbiers, & à vray dire c' estoit au temps qu' il y avoit surseance d' armes entre les Medecins & Chirurgiens: mais depuis que les armes furent reprises entr'eux, ils se liurerent toute autre chance. Depuis ce temps les Barbiers assistez de l' authorité des Medecins provignerent grandement leur estat au prejudice des Chirurgiens: Et specialement pendant les Troubles qui commencerent en cette France vers l' an mil cinq cens quatre-vingts cinq, & continuerent quelques ans. Qui fut cause que les choses estans aucunement racoisees, & le Roy Henry le Grand estant r' entré dedans Paris, les Chirurgiens obtindrent nouvelle commission du Prevost de Paris ou son Lieutenant du septiesme Fevrier mil cinq cens nonante six, par laquelle estoit deffendu à toute personne de quelque estat & qualité qu' elle fust de s' entremettre en appert (c' est le terme porté par icelle) ou en secret, en quelque place, jurisdiction, ou terre que ce fust, de la ville, Prevosté & Vicomté de Paris, de faire ou exercer chose qui appartint au dit art & science de Chirurgie: si auparavant ceux qui useroient, ou voudroient user du dit art & science de Chirurgie n'  estoient examinez par les deux Chirurgiens du Roy jurez au Chastelet: Avecques eux & par eux appellez & convoquez les autres Maistres experts & jurez, & par iceux trouvez capables & suffisans pour exercer le dit art & science, & qu' ils eussent esté rapportez tels, fait & presté le serment pardevant le Prevost de Paris ou son Lieutenant, de bien & loyalement practiquer le dit art & science, avecques permission de joüir des Privileges octroyez au corps & College des Maistres Chirurgiens jurez à Paris, & avoir pour marque les bannieres de S. Cosme & S. Damien, avec trois boëttes au devant de leurs maisons & fenestres.

Exceptez toutesfois les Barbiers tenans ouvroirs & boutiques à Paris, lesquels se pourroient entremettre si bon leur sembloit de curer & guerir clouds bosses, & playes ouvertes en cas de peril, si les playes n' estoient mortelles, le peril d' icelles premierement rapporté à justice, toutes les fois qu' ils seroient appellez à ce. Et pour ce faire pourroient iceux Barbiers bailler & administrer emplastres, oignemens, & autres medicamens necessaires pour la guerison d' iceux clouds, bosses, & playes ouvertes, au dit cas de peril: si les dites playes n' estoient mortelles, lesquelles seroient pensees & medicamentees par les dits Maistres Chirurgiens, & non d' autres, le peril d' icelles premierement rapporté à Justice: Et ayans esté au prealable les dits Barbiers sur les dits clouds, bosses, & playes ouvertes, interrogez par les dits deux Maistres Chirurgiens jurez du Roy au Chastelet, avecques eux les dits Maistres Chirurgiens jurez appellez; ainsi qu' il estoit porté par les Chartres des Roys de France, Sainct Louys, Philippes le Bel, & autres leurs successeurs, confirmez de Roy en Roy, & par le Roy tres-Chrestien Henry IV. lors regnant.

Item estoit deffendu de par le Roy, & le dit sieur Prevost de Paris, à tous les Maistres Barbiers tenans ouvroirs en la ville, Prevosté, & Vicomté de Paris, que doresnavant ils ne s' entremissent du dit art & science de Chirurgie autrement, & plus avant que permis leur estoit, & qu' ils n' eussent esté au prealable examinez, sur peine d' amende arbitraire. 

Ordonnance qui fut leuë & publiee à son de trompe & cry public par les carrefours de la ville de Paris, & lieux à ce accoustumez, par Robert Keruet crieur juré pour le Roy, accompagné de Pierre Gilbert, & Mathurin Noiret Trompettes jurez le 25. Septembre 1600.

Je vous ay couché tout au long les deffences faictes par le Prevost de Paris, comme fondement des nouvelles querelles: car encores qu' il semblast n' estre rien par icelles attenté au prejudice de l' ancienneté; toutesfois les Barbiers en appellerent, & la cause plaidee au Parlement, les Medecins joints avecques, appointee au Conseil: En fin par Arrest du vingt-sixiesme Juillet mil trois cens trois, la Cour mit les appellations, & ce dont avoit esté appellé au neant, & ordonne que les Maistres Barbiers Chirurgiens (ainsi sont-ils appellez par cet Arrest) ne seroient à l' advenir compris aux affiches & proclamations des Chirurgiens. Et leur permet de se dire & nommer Maistres Barbiers Chirurgiens, curer & penser toutes sortes de playes & blesseures comme ils avoient cy-devant faict, apres qu' ils avroient fait le chef-d'oeuvre accoustumé, & esté interrogé par les Maistres Barbiers Chirurgiens en la presence de quatre Docteurs en Medecine, & deux du College des Maistres Chirurgiens. A la charge que suivant l' Arrest du 10. Novembre 1554. iceux Barbiers Chirurgiens de cette ville & faux-bourgs serviroient chacun à leur tour trois mois sans gages à la Police des pauvres: deux en l' Université, un en la Cité, & deux du costé de la ville, selon le departement des Commissaires du Bureau des pauvres. Et comme les Barbiers voulussent aucunement intervertir la qualité nouvelle à eux baillee, & qu' ils se voulussent qualifier Chirurgiens Barbiers, la Cour par autre Arrest du vingt-cinquiesme Avril 1525. leur deffendit de ce faire; ains qu' ils se nommassent Barbiers Chirurgiens suivant l' Arrest de l' an 1603.

Par l' observation que j' ay faite des procedures qui se sont passees entr'eux, je trouve que les Barbiers ont tousjours gaigné quelque pied au desadvantage des Chirurgiens: Car ainsi le vois-je estre advenu premierement par l' Arrest de l' an 1425. Et combien que depuis par tous les autres Arrests subsequents, ils ne fussent nommés que Barbiers, ou si on les nommoit Barbiers Chirurgiens, c' estoit sous cette protestation qu' on y adjoustoit tout d' une suite que les qualitez ne prejudicieroient aux parties; toutesfois par l' Arrest de 1603. ils sont declarez Barbiers Chirurgiens. Qualité qui leur est depuis demeuree.

Et qui plus est, ores que par l' Arrest de l' an 1425. l'  exercice de la Chirurgie leur eust esté permis à certain genre de maux, toutesfois par ce dernier, la porte leur est ouverte à toutes sortes de playes, tout ainsi qu' au Chirurgien sans aucune limitation. Comme aussi est-ce la verité que devant l' Arrest, les Barbiers favorisez de la Faculté de Medecine s' en estoient fait grandement accroire. Et à vray dire, si les Chirurgiens n' eussent du commencement conillé en leur faict, ains se fussent vivement opposez aux entreprises des Barbiers, je ne fais aucune doute qu' ils eussent obtenu en tout & par tout gain de cause; car il est certain que l'  estat du Barbier est un mestier mechanique, tel recogneu par le cent vingt-septiesme article de la Coustume de Paris, & celuy de Chirurgie fait part & portion de l' Art de la Medecine, comme nous voyons par le cent vingt cinquiesme art de la mesme Coustume sous le titre de Prescription. Mais l' opiniastreté du Barbier l' ayant gaigné par long usage, & une infinité de tant de Maistres que compagnons Barbiers, ayans assigné leurs vies sur cet exercice, on a esté contrainct d' acquiescer en partie à leurs volontez sous les modifications portees par l' Arrest. Ainsi pour bannir la confusion passe-l'on souvent plusieurs choses par tolerance, qui d' ailleurs ne seroient aucunement tolerables.

Or est-ce une chose qu' il faut remarquer, que quelque different qu' il y ait entre le Medecin & Chirurgien, la Faculté de Medecine n' a doubte de recevoir les Maistres Chirurgiens Barbiers en leur Faculté, quand d' ailleurs ils se sont trouvez capables & suffisans. Aussi avons nous veus autresfois un Maistre Jean le Gay, & apres luy un Maistre François d' Amboise, tous deux Maistres jurez en la Chirurgie avoir esté passez Docteurs en la Medecine. Ny le nouveau titre de Medecin par eux acquis, ne leur fit oublier celuy de Chirurgien, & de comparoir comme tels aux actes publics de la Chirurgie. En cas semblable, nonobstant les anciens differens qui estoient entre les Chirurgiens & Barbiers, si on voyoit un Barbier qui par longue traicte de temps eust acquis nom au fait de la guerison des playes, encore qu' il ne fust versé en la langue Latine, on ne laissoit pas de l' en dispenser, moyennant qu' en la langue Françoise, il sceust fort bien respondre aux actes de Bachelerie & Licence; supleant le deffaut de la langue Latine, par la longue pratique & experience. A la charge toutesfois qu' entrant en ce College il fust tenu de quitter les bassins, & tout ce qui dependoit de la Barberie, que les Chirurgiens estiment barbarie, non compatible avecques leur profession: Et ainsi furent receuz en leur Ordre, Maistres Estienne de la Riviere, & Ambroise Paré: Celuy-là du depuis Chirurgien du Roy juré au Chastelet: & cestuy-cy premier Chirurgien de deux & trois Roys; grand personnage au fait de la Chirurgie, comme nous voyons par les vingt & cinq livres que nous avons de luy pour cet effect. Et se faict cette renonciation pardevant Notaires par le Barbier, les premiers & principaux des Chirurgiens, ce stipulans & acceptans. Suivant cette ancienne police les Chirurgiens receurent és annees mil six cens dix & mil six cens unze en leur College Nicolas Habicot, Jacques Marque, & Isaac d' Allemagne Maistres Barbiers, apres avoir esté examinez sous la condition que dessus, d' oster les bassins de leurs enseignes, & de quitter le mestier de Barbier. 

A quoy toutesfois ils n' obeïrent: car comme ils eussent apposé à leurs enseignes uns sainct Cosme & sainct Damien, & au dessous trois boëttes (enseigne ordinaire des Chirurgiens, ils ne fermerent leurs boutiques de Barbiers, & comme les Chirurgiens leurs en eussent faict instance au Parlement: au contraire que la communauté des Barbiers se fust jointe avecques leurs trois compagnons, en laquelle il n' y avoit pas moyen de subsister, finalement ils s' aviserent d' obtenir lettres patentes du Roy au mois d' Aoust l' an 1613. adressées à la Cour de Parlement, sous l' humble supplication du College des Chirurgiens, & des Lieutenant, Sindic, Jurez, & gardes de la Communauté des Maistres Barbiers Chirurgiens. Par lesquelles lettres le Roy presupposant sous un faux donner à entendre, que ces deux compagnies fussent d' accord, les incorpore ensemblément, pour joüir doresnavant concurremment des droits, libertez, & franchises appartenans aux uns & autres; sans qu' à l' advenir ils se peussent separer, à la charge de garder par chacun d' eux les Ordonnances & Statuts de l' Art de Chirurgie, & empescher les abus, à peine de privation de leurs privileges, & que nul n' y peust estre à l' advenir receu, sinon en subissant l' examen porté par l' Arrest du 12. Aoust 1606. sans toutesfois y abstreindre les Maistres Barbiers ja receus. Ces lettres verifiees en la Cour sans aucun obstacle; d' autant que l' on estimoit qu' il n' y eust rien de malefaçon: ains qu' elles eussent esté obtenuës par un vœu commun & general des deux compagnies. A la verité, ainsi que j' ay entendu, deux ou trois Chirurgiens abusans du nom de leur College s' estoient mis de cette partie: Mais le corps general estant adverty de cette publication de lettres s' y oppose, & pour rendre son opposition plus forte & asseuree, obtient lettres le 20. Decembre 1613. en forme de Requeste civile, par lesquelles ils desauoüent tout ce qui avoit esté fait, remonstrans que le mestier de Barbier, par ses Statuts anciens, & le College des Chirurgiens par les siens, ne pouvoient compatir ensemble: Tellement qu' on vouloit faire d' une impossibilité un possible. Or avant que la cause fust plaidee, les Barbiers chantans entr'eux un Te Deum, comme s' ils eussent obtenu pleine victoire, commencent de prendre la qualité de Chirurgiens, sans y adjouster celle de Barbiers, & neantmoins comme corps mety, bigarrent (au moins la plus part d' eux) leurs enseignes de boëttes, & de bassins, quittent l' Eglise du Sepulchre, retraicte ancienne de leur Confrairie, se veulent aggreger en celle des Chirurgiens, prennent le bonnet quarré & la robbe longue le jour & feste S. Cosme, & veulent quelques uns des principaux y avoir place avec les Chirurgiens, qui les en empeschent fort & ferme. En fin la cause plaidee par Galand pour les Chirurgiens, & par la Martheliere pour les Barbiers, fut la Requeste civile entherinee, & par Arrest du 23. Janvier 1614. les parties remises en tel estat qu' elles estoient auparavant. De maniere qu' ils ont esté contraints de despendre les nouvelles enseignes qu' ils avoient mises devant leurs maisons. Jusques icy je ne vous ay compté que noises & altercations entre personnes de basse estoffe; je vous diray maintenant quelle a esté la fin & catastrophe de cette comedie, qui vous apprestera peut estre à rire. Depuis l' Arrest, les Barbiers voulans reprendre leur anciennes brisees du Sepulchre, pour y continuer leur Confrairie comme auparavant, j' entens qu' ils en ont esté empeschez; parce que les Chapeliers y avoient esté surrogez en leur lieu, & comme les Barbiers insistassent au contraire, il avint à quelque gausseur de leur dire: Qu' ils n' avoient besoin de Sepulchre puis qu' ils estoient encore vivans: Sur quoy un autre le voulut renvier disant. Vous vous abusez: car ayans perdu leur cause, ils s' estiment comme morts & dignes du tombeau: Si ce compte n' est vray, pour le moins est-il bien trouvé. J' ay esté long en la deduction des differens du Medecin, Chirurgien, & Barbier, comme desireux que les discours que j' en ay faits, puissent empescher que la Cour de Parlement ne soit plus empeschee à les terminer, ains que chacun d' eux mettent les mains sur leurs consciences pour n' entreprendre les uns sur les autres. Ce dont je me deffie grandement. Parce que je les voy tous diversement ourdir la toile de Penelope, & estre deffait en une nuit, ce qui avoit esté par eux tissu en un jour.

vendredi 30 juin 2023

4. 33. Du droict de Chambellage porté par quelques Coustumes, & dont il procede.

Du droict de Chambellage porté par quelques Coustumes, & dont il procede.

CHAPITRE XXXIII.

Le Chambellage est un droict qui se paye par le vassal au Seigneur feodal, advenant changement de main, ainsi que nous voyons en celles de Meaux, Senlis & Mante, & nommément par celle de Mante, c' est un escu qui est deu au Seigneur, par celle de Senlis vingt sols Parisis, le tout selon les cas plus particulierement specifiez par icelles, mais dont en est peu proceder, & le mot & l' usage? Je vous ay dit au deuxiesme de ces miennes Recherches, qu' il y avoit cinq Estats prés de nos Roys anciennement fort authorisez depuis la venuë de Hugues Capet. Les Chancelier, grand Chambellan, grand Maistre, grand Bouteiller & Connestable. Authorité qui se continua jusques bien avant sous le regne de S. Louys. Or eurent-ils divers droicts qui leur furent diversement attribuez, & entr'autres le grand Bouteiller á chaque mutation d' Archevesque, Evesque, Abbé ou Abbesse, avoit droict de prendre cent sols. Quoy que soit, je trouve au plus ancien Registre de la Chambre des Comptes, intitulé le Livre Croix, que ce droict fut payé à Jean Dacre grand Bouteiller, par les Archevesques de Rheims, Sens, Bourges, Tours, Lyon, & Roüen: Par les Evesques de Langres, Laon, Beauvais, Chaalons, Noyon, Paris, Soissons, Tournay, Senlis, Teroüenne, Meaux, Chartres, Orleans, Auxerre, Troyes, Neuers, Mascon, Chaalon sur Saulne, Autun, Arras, Clairmont, Limoges, Amiens: Abbez de S. Denis, S. Germain des prez, S. Geneviefve, S. Magloire, S. Cornille à Compiegne, S. Medard de Soissons, l' Abbé de Corbie, de Montreil sur la mer, S. Sulpice de Bourges, de Tournay, S. Messan, Ferriere, S. Colombe de Sens, de Valery, de Montigny les Estampes: Abbesses de Cheles, de nostre Dame de Poissy, Montmartre, Faresmoutier. Or tout ainsi que le grand Bouteiller, aussi eut le grand Chambellan un certain droict sur les vassaux qui relevoient nuëment du Roy leurs Fiefs en foy & hommage. Car comme ainsi soit que le vassal se presentant à la Chambre du Roy, pour estre receu en foy, fust introduict par le grand Chambellan, ou autres Chambellans: aussi pour recognoistre cette courtoisie, les vassaux luy faisoient present de certaine somme de deniers. Et comme il advient ordinairement que toutes choses qui sont du commencement introduites de curialité, & comme disent les Ecclesiastics d' une loüable coustume, se tournent par progrez du temps en obligation: Aussi fut-il par arrest de l' an 1272. ordonné que les Chambellans avroient droict de prendre de tous vassaux qui relevoient du Roy vingt sols pour un fief de 50. liures de rente, & au dessous: 50. sols pour un fief qui vaudroit cent liures de revenu, & cent sols, le tout Parisis, pour celuy qui valoit cinq cens liures, & au dessous. Ancienneté que je recueille du registre de S. Just, Maistre des Comptes. De laquelle encores avons nous une remarque en la Chambre des Comptes de Paris, parce que nos Roys s' estans voulu garantir de cette importunité de recevoir entre leurs mains le serment de fidelité de leurs vassaux: & ayans remis cette charge à la Chambre des Comptes lors qu' elle fut establie à Paris, toutes & quantesfois qu' un vassal y est introduit par le premier Huissier, ou son Commis, pour y faire l' hommage, il luy doit certum quid en deniers, que l' on appelle le Chambellage, & ce, à mon jugement, pour autant que ce droict estant deu au Chambellan, parce qu' il introduisoit le vassal au Roy: Aussi les premiers Huissiers faisans le semblable envers la Chambre, ils se feirent accroire que ils devoient joüyr de mesme droict.

Cela soit par moy dit, a fin de ne rien oublier de ce que je pense appartenir au present sujet. Mais pour finir ce Chapitre par où je l' ay commencé, l' une des plus solemnelles foys & hommages, qui fut jamais faicte en France, est celle de François Duc de Bretagne, à nostre Charles VII. en la ville de Chinon, le 14. de Mars 1445. où le Seigneur de Varennes Grand Chambellan fit approcher le Duc, luy disant telles paroles. Monsieur de Bretagne vous faites la foy & hommage lige au Roy vostre souverain Seigneur cy-present, à cause de sa Couronne, de vostre Duché de Bretagne, ses appartenances & dependances, & luy promettez foy & loyauté, & le servir envers & contre tous, sans aucun excepter. 

A quoy le Duc respondit, adressant sa parole au Roy. Monsieur, je vous fais la foy & hommage telle & semblable, que mes predecesseurs Ducs de Bretagne ont accoustumé de faire à vos predecesseurs. Auquel hommage il fut receu en cette façon, & luy en furent decernees lettres. Je vous represente par exprez cet exemple, pour vous monstrer qu' en ces hommages signalez, le grand Chambellan estoit celuy qui avoit la charge d' introduire les vassaux au Roy.


Fin du quatriesme Livre des Recherches.

mardi 27 juin 2023

4. 13. Qu' il y eut certain siecle en France, pendant lequel la signature estoit incogneuë.

Qu' il y eut certain siecle en France, pendant lequel la signature estoit incogneuë.

CHAPITRE XIII.

Cette proposition semblera de premiere rencontre estrange, si est elle vraye. Je l' ay apris autresfois par plusieurs vieux & anciens tiltres, esquels on ne voyoit que le seel, & armes de ceux qui avoient fait quelque disposition, sans qu' avec ce, le nom & seing y fussent adjoustez, ainsi que depuis on a usé par la France. Et ne faut point estimer que ce fust l' ignorance du temps qui en fut cause, ains une coustume qui par je ne sçay quel long usage s' estoit insinuee entre nous. Sainct Bernard le premier de son siecle, en la doctrine des sainctes lettres, en sa trois cens trentiesme Epistre, Sigillum non erat ad manum, sed qui leget agnoscet stilum, quia ipse dictavi. Je n' avois point mon  cachet en ma main (dit il) mais qui me lira, cognoistra mon stile, car j' ay dicté cette lettre. Si au dessous de la lettre il eust mis son nom, il n' eust esté besoin de renvoyer la faute de son cachet à son stile. Le semblable se trouve en l' Epistre trois cens trente neufiesme, qu' il escrit à Baudoüin Evesque de Noyon. Materies locutionis pro sigillo sit: Quia ad manum non erat. Il vouloit dire que le sujet & le stile feroient paroistre que c' estoit luy qui escrivoit à faute de son cachet. Cela mesme s' observe encores aujourd'huy presque par toute l' Allemagne, & Souïsse. Et cecy ne se pratiquoit point seulement és escritures privees, ains publiques, comme nous apprenons de cet article de l' Ordonnance de Philippes le Long, de l' an 1319. où il veut que les forfaictures seront converties à payer les aumosnes deuës sur le thresor, & qu' il n' entend donner de son domaine, si ce n' est au cas que faire il doive. Puis adjouste. Et est à entendre que sceaux, & escritures sont de nostre propre domaine, & seront tenus les Seneschaux, & Baillifs signifier aux gens de nos Comptes les valeurs des dites forfaictures, & en quoy elles seront, & quand elles escherront, dedans le mois qu' elles seront advenuës au plustost convenablement qu' ils en pourront avoir faict inventaire, & qu' ils appellent avecques eux deux preud'hommes à la confection de cet inventaire, lesquels (porte le texte) mettront leurs sceaux avec les sceaux des dits Baillifs, & seront leurs noms escrits dedans les dits inventaires. Il ne parle ny de seing ny de paraphe au dessous de l' inventaire, ains seulement du seel: & neantmoins veut que dans l' inventaire les noms des preud'hommes soient inserez avec celuy du Baillif: & quand je voy que les contracts passez pardevant Notaires ne portent execution que par le moyen du seel, je me fais presque acroire que les Tabellions ne signoient. Toutesfois les autres en jugeront à leur fantasie. Qui est une ancienneté qu' il ne faut aisément contemner, pour les obscuritez qui en peuvent provenir au Palais, sur des vieux tiltres que l' on produit, esquels il n' y a que le seel sans autre signature.

vendredi 30 juin 2023

4. 29. De quelques secrets de nature dont il est malaisé de rendre la raison.

De quelques secrets de nature dont il est malaisé de rendre la raison.

CHAPITRE XXIX.

Sainct Augustin au vingt & uniesme livre de la Cité de Dieu, nous raconte quelques miracles de nature dont il est impossible aux Philosophes de rendre a raison. Et dit qués Salines de la ville d' Agrigente en Sicile, si le sel qui en provenoit estoit mis devant le feu, il se resolvoit en eau, mais si on le mettoit dans l' eau il petoit comme si c' eust esté du feu: Du premier il ne je faut pas trop esmerveiller. Car la neige qui semble estre un corps solide, se liquefie devant le feu: mais le second porte son irresolution quant & soy. Il adjouste qu' aux Garamantes il y avoit une fontaine dont l' eau estoit si chaude de nuict que l' on ne l' eust ozé toucher, & de jour si froide, que l' on n' en pouvoit boire: Qu' en Capadoce certaines Jumens concevoient du vent, dont les Poulains vivoient trois ans. Qu' en Epire une fontaine esteignoit une torche allumee en l' approchant d' elle: puis l' allumoit estant esteincte. Et adjouste au septiesme chapitre avoir apris de quelques uns, que pres de Grenoble és Gaules y avoit une autre fontaine de pareille vertu. Puis que ce grand personnage & sainct Evesque voulut donner jusques à nous, je ne douteray d' entrer en pareille lice que luy. Entre la ville de Paris & le Chasteau de sainct Germain en Laye, nous avons un bois taillis au milieu duquel y a un chemin passant, dont d' un costé prenez une branche, elle flottera sur l' eau, ainsi que tout autre bois, de l' autre prenez une autre branche, elle ira au dessous de l' eau comme une pierre: Et l' appelle le commun pour cette cause, le Bois de la trahison. Disant que pour une trahison qui y avoit esté autresfois commise, Dieu l' avoit voulu chastier de cette façon. Allez à Poitiers à deux lieuës pres, joignant l' Abbaye de sainct Benoist, il y a un arpent tout semé de pierres (car il ne produit autre fruict) qui sont pesle-mesle ensemble: Prenez - en les aucunes, encores que bien petites, elle enfoncent dans l' eau, ainsi qu' est la nature de la pierre: Au contraire, vous en trouverez de bien grosses, qui flottent ainsi que le bois dessus l' eau. Tel qui pensera estre bien grand Philosophe me dira que la raison de cette diversité de pierres & bois provient de ce qu' en ces pierres flottantes y a des pores tout ainsi qu' au bois, & au bois qui va dessous l' eau il n' y a point de pores. Mais je demanderois volontiers comment Nature larronnesse de ce qui est propre en chacune de ces especes, ait permis qu' un mesme terroir produisist & bois & pierres contraires à leurs naturels. Au pays d' Auge en Normandie, Bailliage de Caen, y a une terre appellee Bieux-ville & saincte Barbe, où l' herbe de certains prez croist à veuë d' œil du jour au lendemain, tellement que si le soir l' herbe se trouve broutee, & que vous y couchiez un baston, le matin il se trouvera demy couvert d' herbe: & specialement au Printemps. Pour cette cause, on y fait tres- grande nourriture de bœufs & bestes à corne que l' on debite par toute la France. Au village de Colombiers à deux lieuës de Tours y a de grandes caves obscures dans le Roc où l' eau perpetuellement distille du haut en bas, & se congele, voire aux plus chauds jours de l' Esté, produisant une infinité de diverses formes transparentes, comme le sucre candit. L' Angoulmoisin se glorifie de sa riviere de Touvre, contenant deux lieuës de long, profonde de quatre pieds seulement: où les Comtes d' Angoulesme faisoient nourrir anciennement des Cignes pour leur plaisir. Et disoit-on que cette riviere estoit tapissee de Cignes, pavee de Truites, & bordee d' Escrevices. Mais c' est une chose esmerveillable qu' elle ne peut porter un bateau de diverses pieces qu' il ne soit en peu de temps rongnonné & perdu par des vers qui s' y engendrent, & faut necessairement qu' il soit composé d' une seule piece de bois, petit veritablement, mais tel que l' on y peut heberger sans danger. Le long des murailles de Veron, petite Bourgade, non grandement esloignee de la ville de Sens, est assise une fontaine d' une source vive tres-plaisante à voir, dont l' eau belle & claire s' escoulant çà & là avecques le gravier qu' elle atraine, se conglutinant avecques du bourbier, & de la mousse se transforme en pierre. De sorte que l' on voit quelquesfois une partie  petrifiee: & l' autre aucunement verdoyante herbuë, & bourbeuse preste de recevoir pareille forme que l' autre. Ce chapitre peut estre sans fin & closture. Je veux qu' il serve de jeu à ceux qui le voudront remplir d' autres exemples.

vendredi 28 juillet 2023

7. 14. Des vers Latins retournez, & comme les François de nostre temps ont emporté en cecy le devant des anciens.

Des vers Latins retournez, & comme les François de nostre temps ont emporté en cecy le devant des anciens.

CHAPITRE XIV.

Je veux sur ce sujet discourir plus que nul autre n' a fait par le passé: Quoy faisant, paravanture la façon passera l' estoffe, & me feray-je tort à moy-mesme espinochant sur ces pointilles. Diomede au 3. Livre de sa Grammaire, appelle cette engeance de vers Reciprocos, Sidonius Apollinaris, Evesque de Clairmont en Auvergne, au 9. de ses Epistres, Recurrentes, nostre Estienne Tabourot, Retrogrades, dedans ses Bigarrures: Et moy je les veux nommer Retournez. Desquels il y a deux especes, les uns qui se tournent lettre pour lettre, & les autres mot pour mot. De la premiere Sidonius nous en a representez trois. 

Roma tibi subito, motibus ibit amor, 

Si bene te tua laus taxat, sua laute tenebis 

Sole medere pede, ede perede melos. 

Il y en a encore un autre ancien qui court par nos mains.

Signa te signa temere me tangis & angis. 

Esquels 4. vers se trouvent mesmes paroles par l' envers, comme à l' endroict, mais non aucun sens: hors-mis que pour y en trouver au dernier, quelques gausseurs font parler le diable, lequel portant en l' air sur son eschine un Chrestien, luy conseille de faire le signe de la Croix, a fin que ce luy fust sujet de le precipiter du haut en bas.

Et neantmoins ne pensez pas que la langue Latine ne soit capable de recevoir sens en telle maniere de vers: ainsi le verrez vous par cestuy, dont Messire Honoré d' Urfé Comte de Chasteau-neuf m' a fait part, Seigneur qui par un bel entrelas, sçait mester les bonnes lettres avec les armes.

Robur aue tenet, & te tenet Eua rubor. 

Qui est à dire que Eva avoit esté la premiere honte de nostre malheur, & Ave la premiere force de nostre restablissement. Symbolizant en cecy avec ce bel hymne de nostre Eglise, chantant que la Salutation Angelique pour nous sauver, changea ce fascheux nom d' Eva, en celuy d' Ave. Ce vers est une meditation spirituelle pour le salut de nos ames: Celuy que je vous reciteray cy-apres, sera une meditation temporelle pour la guerison de nos corps; auquel un sage medecin promet tout doux traitement à son malade, moyennant que pendant sa fievre il se vueille abstenir de trop boire.

Mitis ero, retine leniter ore sitim. 

Dont Nicolas Borbonius, que j' estime l' un des premiers Poëtes Latins de nostre temps, & de nostre France, m' a fait present. L' un & l' autre vers, quelques jours apres par moy monstrez à Pierre Reignol jeune Advocat plein de doctrine, & digne d' une grande fortune, me promist d' en faire non un, ains deux, ausquels y avroit accomplissement de sens. Et comme je m' en fusse mocqué, estimant que ce fust une rodomontade d' esprit, ou un Parturient montes d' Horace, toutes-fois quelque temps apres il me vint saluër de ce distique, que je trouvay admirable, apres l' avoir digeré, sur l' explication qu' il m' en fit.

Nemo *grec tetigit: tax attigit, & *grec, omen,

Ore feris animos, omina si refero.

Vous me trouverez d' un grand loisir, voulant deschifrer ce Distique, toutes-fois parce qu' en cette petite piece il y va de l' honneur de nostre France, pour monstrer ce que le François peut, és choses esquelles il tourne son entendement, je vous prie m' excuser, & n' estimer que je pedentise, si je fais un petit commentaire sur ces deux vers. Omen (en Latin) est augurium, & futurae rei enunciatio, ore hominis, quasi divino furore perciti. Tax est sonitus quem facit percußio. Et en cette signification, Plaute en sa Comedie de Persa en usa. Mot qui nous est autant naturel qu' au Romain, quand faisant joüer le marteau de nos portes, nous disons pour la rencontre du son, qu' il fait Tactac. Ces deux paroles de cette façon expliquees, ce jeune homme par forme d' un court Dialogue, introduit deux entreparleurs, dont le premier en ces mots, Nemo *grec tetigit omen, dit que le sage homme n' avoit jamais touché aux fantasques predictions des choses futures, comme estans une vraye folie: Et l' autre de contraire advis, respond brusquement, voire par une hyperbole, en ces mots, Tax attigit & *grec omen: voulant dire que non seulement le sage y avoit atouché, par la voix de l' homme inspiré d' une fureur, mais aussi le son d' un Tactac le luy pouvoit donner à entendre, & tout suivamment adjouste ce Pentametre.

Ore feris animos, omina si refero.

Tu me guerroyes de paroles, quand je soustien cette opinion de prediction. Et combien que je ne face grand estat de cette denree, toutes-fois comme je ne laisse aisément passer les occasions, lors qu' elles se presentent aussi depuis quelques jours en ça, me trouvant en une compagnie, où un personnage d' honneur portoit le surnom de Souriz, où sur la rencontre de ce mot ayant esté attaqué par quelque gausseur, je pris pour le mocqué sa defense, remonstrant que si en Latin il portoit le nom d' une bestiole, Sum Mus, on en pouvoit faire un Summus: Qui estoit d' un petit, faire un bien grand personnage. Et comme cette parole me fut à l' impourveu tombee de la bouche, aussi tost que je fus retourné en ma maison, sans grandement marchander avec ma plume je fis ce vers.

Sum Mus ore, sed is Sum Mus, si des ero Summus.

Vers paravanture champignon d' esprit, qui doit prendre fin du jour de sa naissance, dedans lequel toutes-fois vous trouverez non seulement un sens accomply, ains un contre-sens du petit au grand, sans aucun changement en la suitte des lettres, quand de ces deux mots Sum Mus, sur le commencement du vers, vous en faites un Summus en un mot vers la fin, & derechef voulant retourner le vers de ce Summus vous faites Sum Mus: & semblablement de Sum Mus premier mot un Summus. Et pour vous monstrer que le François est inimitable en matiere d' imitation, voire qu' il fait à ceux la leçon qu' il veut imiter, je vous diray que le 14. de Mars l' an 1574. un jeune Advocat Provençal, nommé André Mestrail, m' estant venu visiter, me dit qu' ayant leu mes Recherches, & signamment l' un des Chapitres du 6. Livre, cela avroit en luy excité un nouveau desir de braver toute l' ancienneté. Et de fait me fit present d' un petit Poëme de 54. vers Latins, tous retrogrades, qu' il avoit fait nouvellement imprimer, le tout comme un Roma tibi subitò, & au dessous un sien commentaire, pour monstrer qu' ils estoient intelligibles. Oeuvre peut estre aucunement ingrat d' un costé, mais grandement miraculeux d' un autre: Et je serois plus ingrat envers sa memoire, puis qu' il avoit esté induit à ce faire par ce qu' il avoit veu de moy, si je n' en faisois icy une honneste commemoration. 

Il s' estudia par un commentaire qui est au dessous, de monstrer qu' en toute cette suite de vers, il y a quelque sens. Chose dont je ne veux estre garend. Mais soit qu' il y en ait ou non, tant y a que ce sont 54. vers retrogrades, qui contrecarrent à bon escient les 4. de l' ancienneté. Toutes-fois comme ce Poëme est plein d' uns & autres Epigrammes, aussi y trouverez vous l' Epitaphe de nostre Roy Henry le Grand, que l' Autheur introduit parlant. Duquel je me contenteray de vous faire part du premier distique, que j' employe pour tout le tombeau, comme portant un sens bel & accomply.

Arca serenum me gere Regem (munere sacra)

Solem, aulas, animos, omnia salva, melos.

Discours que j' ay pris plaisir de vous mettre en son jour, non seulement en faveur de nostre France, mais aussi pour vous monstrer que s' il y a eu faute de sens aux quatre premiers vers Latins anciens, elle proceda des ouvriers, & non de la langue qu' ils mirent en œuvre, je veux dire de la langue Latine. Et suis cependant tres-glorieux, que non seulement nos François ayent de nostre temps fait sur ce sujet, honte à l' ancienneté, mais aussi que par hazard j' en aye esté aucunement le premier promoteur. Bien sçay-je qu' en cecy il y a plus de curiosité, que d' estude: mais si les anciens, voire un Evesque de marque, ne desdaignerent d' en faire estat par leurs livres, pourquoy ne le renvierons nous sur eux? Voila ce qui concerne les vers Latins, qui se retournent lettre pour lettre. Car quant à ceux qui se tournent mot pour mot, Diomede nous tesmoigne que l' usage en fut introduit de son temps, & remarque ces deux-cy, qui furent comme je croy de sa forge.

Veliuolis mare pes, fidentes tramite tranant, 

Caerula verrentes sic freta Nereïdes.

Et Sidonius Apollinaris ces deux autres.

Praecipiti modo quod decurrit tramite flumen

Tempore consumptum iam cito deficiet. 

Et estoit tombé en ce mesme accessoire Virgile long temps auparavant sans y penser au premier de son Aeneide.

Musa mihi caussas memora quo numine laesus, 

Laesus numine quo, memora caussas mihi musa. 

Et combien que Diomede, & Sidonius eussent mis leurs deux distiques sur la monstre, les estimans dignes d' estre veus, toutes-fois je n' y trouve pas grande grace. Ceux qui par une longue trainee des ans leur succederent, y apporterent bien plus de façon, & plus belle. Parce que faisans parler le courant du vers d' un sens, ils firent parler le revers d' un contre-sens. Et le premier qui joüa ce personnage fut François Philelphe, dedans ses Epistres, voulant depeindre de ses couleurs, un grand Prelat qui luy desplaisoit. 

Laus tua, non tua fraus, virtus, non copia rerum,

Scandere te fecit, hoc decus eximium. 

Tournez ce distique vous y trouverez le contraire. 

Eximium decus hoc fecit te scandere rerum 

Copia, non virtus, fraus tua, non tua laus. 

Jeu qui a grandement depuis provigné: Et nommément de nostre aage, nostre Joachim du Bellay, dedans ses Epigrammes Latins, y rencontra tres-heureusement. Nous avions lors deux grands ennemis, le Pape Jules le tiers, & l' Empereur Charles cinquiesme: & à la suite de luy Ferdinand son frere Roy des Romains, lesquels il voulut diversement gratifier de ces trois distiques.

Ad Iulium tertium, Pontificem Maximum. 

Pontifici sua sint divino numine tuta

Culmina, nec montes hos petat omnipotens. 

Ad Carolum quintum Caesarem.

Caesareum tibi sit foelici sydere nomen,

Carole, nec fatum sit tibi Caesareum.

Ad Ferdinandum Romanorum Regem.

Romulidum, bone Rex, magno sis Caesare Maior

Nomine, nec fatis aut minor Imperio.

Plus hardy est celuy que j' ay mis au sixiesme livre de mes Epigrammes, en un vers qui en fait deux, l' un Exametre, l' autre Pentametre. Car je fais parler le Catholique par cet Exametre.

Patrum dicta probo, nec sacris belligerabo.

Et le Huguenot par le Pentametre retourne, & retrouve dedans l' Exametre.

Belligerabo sacris, nec probo dicta Patrum.

Encore n' ay-je esté content de cestuy. Car au 2. Livre, je fis cet Epigramme en haine d' une paix fourree qui avoit esté par nous faite.

Mens bona, non nova fraus, pietas, non aulica fecit

Curia, id edictum Rex bone, pacificum; 

Plebs pia, non fera lex poterit, nunc vivere tecum,

Crescere, non labi, vis puto, sordidulè. 

Imperium, Deus, hoc servas, non perdis, amore

Fervida fit, nec pax haec tegit insidias. 

Magnifice, tibi Rex, succedant omnia, nunquam

Praelia sint, imo pax tibi perpetuo.

Retournez cette Epigramme de la fin au commencement, vous y trouverez une suite continuelle de contrarietez de sens. Tout ce que j' ay cy dessus discouru est pour le regard des vers Latins retournez.

mercredi 16 août 2023

10. 25. Cheute de la seconde famille nos Roys. / Fin du Dixiesme Livre des Recherches.

Cheute de la seconde famille nos Roys.

CHAPITRE XXV.

Je laisse à nos autres Historiographes les conquestes, glorieuses victoires, & superbes arrois de cette seconde famille: car quant à moy j' ay maintenant pris pour mon partage ses ruines: Quoy faisant je ne pense rapporter peu de profit à nos Princes, & grands Seigneurs, quand de bon heur ils se feront sages par la folie d' autruy. Nous sommes les gettons des Roys, qu' ils font valoir plus ou moins, comme il leur plaist, & les Roys sont les gettons de Dieu: Jamais famille ne receut plus de faveur, & benediction du ciel, que celle des Martels en trois Princes consecutifs, Charles Martel, Pepin, & Charlemagne & jamais elle ne fut tant terrassee qu' en trois autres, qui les survesquirent, Louys le Debonnaire, Charles le Chauve, & Louys le Begue. Je nomme entre ces six Charles Martel, ores qu' il ne portast jamais titre de Roy entre les siens, mais ce fut luy qui par sa proüesse & sage conduite, fit voye aux siens à la Royauté. Joint qu' apres son decez, sa statuë fut honoree d' une Couronne Royale, en son tombeau, comme l' on peut voir en l' Eglise, & Abbaïe de S. Denis. Les trois premiers furent torrens de fortune, qui l' augmenterent: les trois derniers precipices qui la ravalerent: car quant aux autres qui leur succederent, ce ne furent que des avortons qui ne firent que contenance de regner sans regner. Et combien qu' en Charlemagne fust l' accomplissement de la grandeur de cette famille; toutesfois je dirois volontiers s' il m' estoit loisible, qu' il jetta les premiers fondemens de la ruine. Vous entendrez les raisons pourquoy.

Le Roy Pepin mourant laissa deux enfans, Charles & Carloman: Ausquels par partage fait entr'eux escheut tout ce qui estoit compris és Gaules dedans l' enceinte du Rhin, monts Pyrenees & Apennin: & à Carloman tout ce qui nous appartenoit au delà du Rhin. Cestuy-cy mourut trois ans apres le decez de son pere, delaissez de la Royne Berthe sa femme, deux enfans. Et adonc Charles, par un droict de bienseance s' empara de tous & chacuns leurs pays. Chose dont la veufve voulant avoir premierement sa raison, se retira avec ses enfans vers Tassilon Duc de Baviere, mais l' ayant trouvé trop foible, pour venir à chef de cette vengeance, elle prit sa route vers Didier Roy des Lombards, qu' elle pensoit avoir juste cause d' indignation contre luy. D' autant qu' ayant espousé en premieres nopces Theodore sa fille, il la luy avoit renvoyee dedans le premier an de leur mariage. Toutesfois le malheur voulut, que Didier ayant esté desconfit à la semonce du Pape Adrian par Charles, & despoüillé de son Royaume, fut avec sa Royauté enseveli le tort que Charles tenoit à ses nepueux. Cette histoire est aucunement touchee par nos Annalistes, & toutesfois mise au rang des pechez oubliez, comme si ce ne fust qu' une peccadille d' avoir mis à nud ses nepueux en la succession de leur pere. Peché neantmoins qui fut rudement vangé sur les siens par un juste jugement de Dieu.

Apres avoir repudié la fille du Roy Didier, il espousa consecutivement trois femmes, dont de la premiere il eut six enfans, Charles, Pepin, Louys, Bertrude, Berthe, & Gillette: de la seconde, Tetrude, & Hildude: & de la troisiesme, nuls. Charles mourut du vivant du pere, sans hoirs procreez de soy, Pepin son second fils Roy d' Italie mourut pareillement le pere vivant, delaissé son fils Bernard pour son successeur: De maniere qu' à Charles (depuis dit Charlemagne, pour la magnanimité de ses faits) ne restoit plus de masle que Louys pour son fils, & Bernard pour arriere-fils. Or est-ce la verité qu' apres le decez de sa quatriesme femme il se ferma en matiere de mariage. Mais comme il est mal aisé de tenir une bonne fortune en bride, aussi ce grand Prince ayant attaint au dessus de tous ses desirs, par les grandes victoires qu' il avoit rapportees de ses ennemis, commença de n' avoir dedans sa maison, autre plus grand ennemy que soy mesme. Se donnant à la veüe de tous diverses garces, desquelles il eut trois bastards, Dreux, Hugues, & Theodoric, sans faire estat des bastardes. Et à l' exemple de luy, ses propres filles ne manquerent de serviteurs, non plus que la plus part des autres Dames. De maniere que la Cour de ce grand Empereur, n' estoit qu' une banque de toute honte & pudeur. Qui le fit tomber en telle nonchalance de son devoir, que combien qu' en luy fut l' accomplissement de cette famille: toutes-fois la fin de sa vie fut le commencement de sa ruine.

François Petrarque fort renommé entre les Poëtes Italiens, discourant en une Epistre Latine son voyage de la France, & de l' Allemagne, nous raconte que passant par la ville d' Aix la Chappelle, il apprit de quelques Prestres une histoire prodigieuse, qu' ils tenoient de main en main pour tres-veritable. Qui estoit que Charles le Grand, apres avoir conquesté plusieurs païs, s' esperdit de telle façon en l' amour d' une simple femme, que mettant tout honneur & reputation sous pieds, il oublia non seulement les affaires de son Empire, mais aussi le soing de sa propre personne, au grand desplaisir de chacun. Estant seulement ententif à courtizer ceste Dame, laquelle par bon heur commença de s' alliter d' une fort grosse maladie qui luy apporta la mort. Dont les Princes & grands Seigneurs furent grandement resjoüis. Esperans que par cette mort Charles reprendroit comme devant, & ses esprits, & ses affaires en main. Toutesfois il se trouva tellement infatué de cet amour, qu' encores cherissoit il ce cadaver, l' embrassant, baisant, & accolant de la mesme façon que devant, & au lieu de prester l' aureille aux legations qui luy survenoient il l' entretenoit de mille bayes, comme s' il eust esté plein de vie. Ce corps commençoit desja, non seulement de mal sentir, mais aussi se tournoit en putrefaction, & neantmoins n' y avoit aucun de ses favoris qui luy en ozast parler; Dont advint que l' Archevesque Turpin mieux advisé que les autres, pourpensa que telle chose ne pouvoit estre advenuë, que par quelque sorcelerie. Au moyen dequoy espiant un jour l' heure, que l' Empereur s' estoit absenté de la chambre, commença de foüiller le corps de toutes parts: Finalement trouva dedans sa bouche au dessous de sa langue un anneau, qu' il luy osta le jour mesme. Charlemagne retournant sur ses premieres brisees, se trouva fort estonné de voir une carcasse ainsi puante. Parquoy, comme s' il se fust reveillé d' un profond somme, commanda que l' on l' ensevelit promptement. Ce qui fut fait, mais en contr'eschange de cette folie, il tourna tous ses pensemens vers l' Archevesque porteur de cet anneau, ne pouvant estre de là en avant sans luy, & le suivant en tous les endroits. Quoy voyant ce sage Prelat, & craignant que cet anneau ne tombast és mains de quelque autre, le jetta dedans un lac prochain de la ville. Depuis lequel temps l' on tenoit que l' Empereur s' estoit trouvé si espris de l' amitié du lieu, qu' il ne desempara la ville d' Aix, où il bastit un Palais, & un Monastere, en l' un desquels il parfit le reste de ses jours, & en l' autre voulut y estre ensevely: ordonnant par son testament que tous les Empereurs de Rome eussent à se faire sacrer premierement en ce lieu.

Que cela soit vray ou non je m' en rapporte, tout ainsi que le mesme Petrarque, à ce qui en est: si estoit-ce un commun bruit, qui lors couroit en la ville d' Aix, lieu ou reposerent les os de Charlemagne. De laquelle histoire ou fable Germantian a fort bien sceu faire son profit, pour averer & donner quelque authorité à l' opinion de ceux qui soustiennent les malins esprits se pouvoir enclorre dedans des anneaux. Or que Charlemagne fust grandement adonné aux Dames sur la fin de son aage, mesme que ses filles qui estoient à la suite fussent quelque peu entachees d' amourettes, Aimoïn le Moine, vivant du temps du Debonnaire, nous en est tesmoin authentique: qui dit qu' à l' advenement de ce Prince à la Couronne, la premiere chose qu' il eut en recommandation, fut de bannir de la Cour les grands troupeaux des filles de joye qui y estoient demeurez depuis le decez de Charlemagne son pere, & aussi de confiner en certains lieux ses sœurs, qui ne s' estoient peu garentir des mauvais bruits, pour la dissoluë frequentation qu' elles avoient euës avec plusieurs hommes. Quelque grandeur de souveraineté qui soit en un Roy, ores que comme homme, de fois à autres il s' eschape, si doit-il tousjours rapporter ses pensees à Dieu, & croire qu' il est le vray juge de nos actions, pour les punir quelquesfois en nous de nostre vivant, ou bien à nos enfans apres nos decez. Chose que trouverez averee en ce que je discourray cy-apres. N' attendez doncques de moy au recit de ce present suject, que des injustices, partialitez & divisions entre les peres & les enfans, guerres civiles de freres à freres, oncles qui malmenerent leurs nepueus, tromperies entremeslees de cruautez, le tout basty par juste jugement de Dieu. Et parce que des trois enfans masles de Charlemagne il ne restoit que Louys le Debonnaire son fils, & Bernard son petit fils, c' est en cestuy auquel je commenceray les discours de cette histoire tragique.


Fin du Dixiesme Livre des Recherches.

tombeau, Charlemagne, Carlomagno, Carolus Magnus, Carles Magne, Carolo Magno

vendredi 28 juillet 2023

7. 13. De quelques jeux Poëtics, Latins & François.

De quelques jeux Poëtics, Latins & François.

CHAPITRE XIII.

Je veux que tout ce Chapitre ne me soit qu' une boufonnerie: Car pourquoy envierons nous à nostre Poësie Françoise divers Jeux, si les Romains mesmes s' en dispenserent quelques-fois? Je recognoistray que tant que la Poësie Latine fut en sa pleine fleur sous Catulle, Virgile, Horace, Ovide, Tibulle & Properce, telles plaisanteries n' estoient en usage: mais les survivans ne pouvans atteindre à leur parangon, s' en voulurent revanger par des jeux Poëtiques (ainsi les veux-je appeller) ausquels ils se rendirent admirables.

Celuy de tous les Poëtes Latins qui s' y esgaya d' avantage, fut Ausone, lequel au milieu d' une infinité de Poëmes de prix, nous voulut servir de ceux-cy, premierement en ces vers qui commençoient, & finissoient par Monosyllabes, & dont le commencement du suivant estoit emprunté de la fin du precedent.

Res hominum fragiles, agit, & regit, & perimit Sors, 

Sors dubia, aeternumque labans, quam blanda fovet Spes, 

Spes nullo finita aevo, cui terminus est Mors, 

Mors avida, inferna mergit caligine, quam Nox. 

Je vous passe le demeurant qui est de douze vers. Il en fit un autre de quatre vingts dix-huit d' une trempe, mais non d' une mesme si exacte superstition.

Aemula Dijs, naturae imitatrix, omniparens Ars, 

Pacato ut studeat labor hic meus, esto operi Dux, 

Arcta, inamoena licet, nec congrua carminibus Lex, 

Iudice sub tanto fandi tamen accipiet Ius 

Quippe ut ridiculis data gloria, ni prohibet Fors.

Il n' est pas que puis apres il ne se joüe en 27. carmes sur toutes les lettres Grecques & Latines Monosyllabes.

Dux elementorum studijs viget in Latijs A, 

Et suprema notis adscribitur Argolicis ω.

Au contraire au lieu des Monosyllabes portez par tous ces petits Poëmes, il en fait un autre en vers Hexametres, qui finissent tous par des mots de cinq syllabes.

Spes Deus aeterna stationis conciliator,

Si castis precibus veniales invigilamus,

His pater oratis placabilis adstipulare,

Da Christe specimen cognoscere inreprehensum,

Rex bone cultorum famulorum vivificator.

Et de cette façon y en a 42. en son Edille 29. J' adjousteray le Poëme qu' il fit du nombre Ternaire, & le Centon nuptial, qui est composé de diverses pieces de Virgile, & neantmoins de telle grace, comme si l' on n' avoit rien emprunté de luy. Ce que du temps de nos Peres fit aussi Laelius Capilupus en la plus part de ses Poëmes Latins.

La posterité adjousta à ces jeux Poëtiques Latins, l' Echo, dont j' estime

Joannes Secundus avoir esté le premier inventeur dans son Bocage, en un Dialogue où il introduit le Passant & Echo entre-parleurs, où le Passant commence ainsi.

O quae Diva cavos colis recessus

Sylvarumque regis domos opacas. 

Et apres poursuivant la route il dit en cette façon, 

Dic, oro, poterit quid impotenti 

Seros ponere limites amori? 

Ech. MORI. Viat. Dij meliora, sic ne nobis

Ad canos igitur dies manebunt, 

Et canos quoque non dies relinquent, 

Singultus, lachrymae, gravesque voces: 

Aut mox abijcienda prima vita est: 

Ech. ITA EST.

Et ainsi va le demeurant que j' ay voulu representer plus estroitement au 2. de mes Epigrammes.

Hic ego dum solus meditans longa avia sector, 

En age, dic Echo, dominae quis maior honos? NOS,

Ergo Fabulla sonis poterit me perdere multa? 

VLTA. Sed heu sodes recita quae caussa mali huius? 

IVS. An quod me etiam volui sacrare Sabinae? 

NAE. Is fructus binis est inservire puellis? 

IS. Sic ipse meae sortis miseranda lues? ES. 

Quae Venus inde meis haeret male sana medullis? 

LIS. Saltem ut valeam meme ablegabo peregrè? 

AEGRE. Tandem igitur spes est gaudere Fabulla? 

BVLLA. Vah pereas abs te discedimus. IMVS.

J' ay faict cest autre suyvant qui ne doit rien à son frere aisné. Par le premier je gouverne Echo de mes Amours, par le second, je la gouverne des siennes.

Te fugit, ingratum sequeris miserabilis Echo:

Quis furor? VROR, ait: Quis tibi clamor? AMOR.

Quid si conveniam Narcissum inter nemora? ORA.

Auxilione tibi me fore reris? ERIS.

Obsequar, atque viam celerabo quam subito. ITO.

Quae te res torquent plus in amore? MORAE.

Vtere consilio, si te fugit, huncce fuge, EVGE.

Non facis? O quam te spes vaga fallit.         ALIT.

Is cum te fugiat, fugienti, quae rogo, spes?         PES.

Ergone non ullo tempore stabit?         ABIT.

Nulla igitur cum spes tibi quid succurret Amans?         MENS. 

Iam satis, hac ego te desero valle. VALE.

Ne pensez pas que nostre Poësie Françoise n' ait ses jeux aussi bien que la Latine. Quant à moy, si j' en estois creu je mettrois au rang d' iceux, les Vers mesurez François. Car d' en vouloir faire des livres entiers de Poësie, encores que nostre langue en soit capable, si ne pense-je que cela succedast à son Autheur, comme nos Rimes.

Je mettrois volontiers entre nos jeux Poëtics ce Sonnet de du Bellay, auquel il s' est joüé sur ces deux paroles, vie & mort, n' estoit que c' est une belle & saincte Oraison qu' il fait à Dieu.

Dieu qui changeant avec l' obscure mort

Ta bien-heureuse & immortelle vie, 

Fus aux pecheurs prodigue de ta vie, 

Pour les tirer de l' eternelle mort. 

Que la pitié compagne de ta mort

Guide les pas de ma fascheuse vie,

Tant que par toy à plus heureuse vie

Je sois conduit esloigné de la mort.

Avise moy pour faire que ma vie

Ne soit noyee aux ondes de la mort, 

Qui me bannit d' une si douce vie.

Oste la palme à cette injuste mort, 

Qui veut, qui veut triompher de ma vie,

Et morte soit tousjours pour moy la mort.

Or tout ainsi que le Poëte Ausone se joüe sur des Monosyllabes, aussl nous le renviasmes à meilleures enseignes sur luy, parce qu' au lieu de ses Monosyllabes, qui ferment & ouvrent les vers, se trouve une Elegie de 42. carmes, inseree par Estienne Tabourot dans ses Bigarrures, qui est toute composee de Monosyllabes, dont je coucheray icy les huict premiers vers.

Mon cœur, mon heur, tout mon grand bien,

A qui je suis plus tien, que mien,

Pres que je ne voy sous les Cieux,

Rien plus beau, ny cher à mes yeux,

Mon cœur qui seul fais que je suis,

Qui fais qu' en un grand heur je vis,

Mon cœur que Dieu pour mon bien fit,

Mais de qui le nom ne se dit.

Outre cela, Clement Marot representa dans une sienne Chanson les jeux d' Ausone, mais d' une telle gayeté, qu' elle semble effacer le Latin.

Dieu gard ma Maistresse & Regente,

Gente de corps, & de façon

Son cœur tient le mien en sa tente

Tant & plus d' un ardent frisson.

S' on m' oit pousser sur ma chanson,

Son de Luts, ou Harpes doucettes,

C' est espoir qui sans marrissson

Songer me fait en amourettes.

La blanche Colombelle belle 

Souvent je vais priant criant. 

Mais dessous la cordelle d' elle, 

Me jette un œil friant, riant 

En me consommant, & sommant 

A douceur, qui ma face efface

Dont suis le reclamant amant, 

Qui pour l' outrepasse trespasse.

Dieu des amans de mort me garde 

Me gardant donne moy bon-heur, 

En me le donnant pren ta darde, 

En la prenant naure son cœur, 

Et le naurant me tiendras seur, 

En seurté suivray l' accointance, 

En l' accointant ton serviteur, 

En servant aura joüyssance.

Un esprit sombre se mocquera de ces rencontres, mais quant à moy je ne pense rien de si beau, mesmes que le dernier couplet, ou par une belle gradation, Marot met sa plume à l' essor, jusques à ce qu' il vient fondre au point tant desiré par les amans. L' autheur de l' art Poëtique qui fut du temps du Roy Louys XI. appelloit Taille de rime à queuë  simple, quand la queuë du vers precedant estoit semblable en voix au commencement de l' autre suivant, & divers de signification, comme est le premier couplet de cette Chanson: Et encores appelloit Taille de rime à double queuë, quand la penultiesme & derniere syllabes avoient deux paroles diverses, toutes-fois de mesme terminaison, comme vous voyez au second couplet: Cette Chanson estoit belle pour une fois: s' il en eust voulu faire mestier & marchandise, comme celuy dont je parleray cy-apres, il se fust rendu ridicule. Nous avons une autre maniere de jeu, qui provient de vers equivoquez. En quoy je puis dire que nous n' appellons pas Equivoque, ainsi que le Latin, quand un mesme mot a double signification: mais quand d' un, nous en faisons deux, qui se rencontrent en mesme terminaison. Il y a une Epistre du mesme Marot, où en bouffonnant sur le mot de rimer, il le diversifia en vingt & six sortes.

En m' esbatant je fais Rondeaux en rime, 

Et en rimant bien souvent je m' enrime:

Bref c' est pitié entre nous rimailleurs, 

Car vous trouvez assez de rime ailleurs: 

Et quand voulez, mieux que moy rimassez, 

Des biens avez, & de la rime aßez: 

Mais moy avec ma rime, & ma rimaille, 

Je ne soustien (dont je suis marry) maille.

Or ce me dit un jour quelque Rimart,

Viença Marot trouve tu en rime art,

Qui serve aux gens, toy qui as rimassé?

Ouy vrayement (dis-je) Henry Macé:

Car vois tu bien la personne rimante,

Qui au jardin de son sens la rime ente,

Si elle n' a des biens en rimoyant: 

Elle prendra plaisir en rime oyant:

Et m' est advis que si je ne rimois,

Mon pauvre cœur ne seroit nourry mois,

Ne demy jour: Car la moindre rimette

C' est le plaisir où faut que mon ris mette.

Si vous supply qu' à ce jeune Rimeur

Faciez avoir un jour par sa rime heur,

A fin qu' on die en prose, ou en rimant,

Ce Rimailleur, qui s' alloit enrimant,

Tant rimassa, rima, & rimonna,

Qu' il a cogneu quel bien par rime on a. 

C' est une gayeté entre ses œuvres, dont j' ay pensé vous devoir faire part, encore que paravanture quelques uns en voudront faire mal leur profit. Le regne du Roy François I. de ce nom porta un Guillaume Cretin Chantre de la saincte Chapelle de Paris, & Thresorier de celle du Bois de Vincennes, qui avoit veu trois Rois, Charles VIII. Louys XII. & François I. comme je recueille par ses œuvres, & estoit fort ancien soubs François I. ce qui le faisoit respecter par les plus jeunes. Marot fait estat de luy, comme d' un souverain Poëte, & luy dedie ses Epigrammes en cette façon.

L' homme sotart, & non sçavant,

Comme un Rotisseur qui lave oye,

La faute d' autruy nonce avant

Qu' il la cognoisse, qu' il la voye:

Mais vous de haut sçavoir la voye

Sçavrez par trop mieux m' excuser

D' aucun erreur si fait l' avoye,

Qu' un amoureux de musc user.

Qui est le premier de tous ses Epigrammes, & paravanture le plus foible, je dirois volontiers ridicule, m' estant esmerveillé mille fois pourquoy il n' y a rien qu' une affectation d' equivoques: Toutes-fois apres avoir leu les œuvres de Cretin, non seulement je l' excusay, mais loüay la gentillesse de son esprit: D' autant qu' il dedioit son livre à un homme, duquel toute l' estude ne gisoit qu' en equivoques: Et c' est pourquoy en la plainte qu' il fit sur la mort du general Preud'homme, il dit qu' aux champs Elisiens, entre les autres Poëtes François il y trouva le bon Cretin au vers Equivoqué. Et parce qu' il fut l' unique en ce sujet, je vous en representeray icy quelques placars: en une oraison qu' il addresse à Saincte Geneviefve.

Si quelques-fois ay renom merité

Du los dont peut estre un homme herité:

Doux Orateur en prose, ou bien par mettre, 

Et si le temps porte loy de permettre

Que mon vouloir de prier or ait son, 

Ne dois-je pas par devote oraison, 

Ma plume, & moy d' affection fervente

Monstrer bon zele, & plus ne faire vente

De mes escrits curieux, & mondains, 

Pour en cela tant complaire au monde, ains

Le Createur servir de corps, & d' ame?

C' est la raison benoiste, & saincte Dame.

Ainsi va tout le demeurant de l' oraison qui est de trente six vers, plus il alla sur l' aage, plus il s' adonna à ce sujet, y apportant tousjours quelque nouvelle grotesque. Vous trouverez une Epistre qu' il adresse à Honorat de la Jaille estre telle.

Par ces vins verds Atropos a trop os 

Des corps humains ruez envers en vers, 

Dont un quidam aspre aux pots, à propos 

A fort blasmé ses tours pervers par vers.

Faisant aller de cesté façon toute la suite, qui est de six vingts six vers: & dans un autre qu' il envoye à François Charbonnier, lors malade en la ville de Han, qu' il aimoit comme s' il eust esté son enfant, aussi est-ce luy qui apres le decez de Cretin fit imprimer toutes ses œuvres.

Fix par escrits j' ay sçeu qu' un jour à Han

Fis pareils cris qu' homme qui souffre ahan, 

Portant le faix de guerre, & ses alarmes, 

Pourtant le faix qu' elle provoque à larmes. 

Tes doux yeux secs, & sur eux l' eau tost rend, 

Tels douze excez (plus soudain que torrent 

Laisse courir son cours) perdroient tes forces, 

Les secourir est besoin que t' efforces. 

Tout le demeurant de la lettre est de cette trempe, qui est de 120. vers, esquels j' ay trouvé prou de rimes, & equivoques les lisant, mais peu de raison: Car pendant qu' il s' amusoit de captiver son esprit en cet entre-las de paroles, il perdoit toute la grace, & liberté d' une belle conception: Chose estrange, & qui merite d' estre icy remarquee en passant. Jamais homme ne fut plus honoré par les plumes de son temps, que luy en son vieil aage. Jean le Maire luy dedia son 3. Livre des Illustrations de la Gaule, où il le reclame comme celuy auquel il devoit son tout: & en un autre endroit le pleuuit Prince de tous ceux qui lors escrivoient. Marot, comme j' ay dit, luy dedia pareillement ses Epigrammes: Geoffroy Toré en son Champ Flory disoit qu' il avoit escrit les Chroniques de France, esquelles il faisoit honte à uns Homere & Virgile. Et toutes-fois jamais homme ne satisfit moins apres sa mort à l' opinion que l' on avoit conceuë de luy de son vivant. La verité est qu' il fit l' Histoire de France en vers François, mais ce fut un avorton, tout ainsi que le demeurant de ses œuvres. Et c' est pourquoy Rabelais qui avoit plus de jugement & doctrine, que tous ceux qui escrivirent en nostre langue de son temps, se mocquant de luy, le voulut representer soubs le nom de Raminagrobis vieux Poëte François (ainsi le nomme-il au 3. Livre de son Pantagruel) quand sur l' irresolution & doute d' un ouy & nanny, que Panurge avoit de son mariage futur, il l' alla chercher, comme il estoit sur le point de sa mort, pour prendre advis de luy, s' il devoit estre marié, ou non. A quoy il luy respondit par les ambages de ce Rondeau.

Prenez là, ne la prenez pas, 

Si vous la prenez, c' est bien faict, 

Si vous la laissez, en effect

Ce sera ouvrer par compas, 

Gallopez, allez l' entre-pas 

Differez, entrez y de faict, 

Desirez sa vie ou trespas, 

Prenez là, ne. 

Jeusnez, prenez double repas, 

Refaites ce qui est defait. 

Defaites ce qui est refait:

Desirez sa vie, ou trespas. 

Prenez là, ne.

Beaucoup de gens estiment que cette piece soit de la boutique de Rabelais, comme d' un mocqueur qu' il estoit, & moy-mesme l' avois tousjours ainsi estimé, jusques à ce que repassant sur les Poësies de Guillaume Cretin, je trouvay sur la fin du Livre ce Rondeau qu' il adressoit à Christofle de Refuge, qui luy avoit demandé conseil de se marier: Rabelais le figure comme un resueur sur ses vieux ans, & paravanture seray-je par vous reputé tel, pour avoir perdu tant de temps sur ses resueries. Car en somme s' il se fust joüé de ses equivoques sobrement par forme de jeu, non de vœu, il eust contenté le Lecteur, au lieu de l' atedier. Au demeurant que Rabelais l' ait voulu figurer sous ce nom de Raminagrobis, je n' en doute point: Car outre ce que dessus, Panurge l' estant retourné voir pour la seconde fois, en fin il est contraint de sortir de sa chambre, disant, laissons mourir ce Villaume. Mot dont il voulut user pour Guillaume, nom propre de Cretin.

Encore ne veux-je pas clorre ce Chapitre en ces gayetez par moy racontees: Tout ainsi que les Modernes ont introduit l' Echo dans leurs vers Latins, aussi avons nous fait le semblable és nostres. Ainsi le voyons nous dans Joachim du Bellay, en un petit dialogue d' un Amoureux, & d' Echo.

Piteuse Echo, qui erres en ces bois, 

Respons au son de ma dolente voix. 

Dont ay-je peu ce grand mal concevoir, 

Qui m' oste ainsi de raison le devoir? de voir.

Qui est l' autheur de ces maux advenus? Venus.

Comment en sont tous mes sens devenus?         Nuds.

Qu' estois-je avant qu' entrer en ce passage? Sage.

Et maintenant que sens-je en mon courage? Rage. 

Qu' est-ce qu' aimer, & s' en plaindre souvent: Vent. 

Qui suis-je donc lors que mon cœur en fend? Enfant. 

Qui est la fin de prison si obscure? Cure.

Dy moy quelle est celle pour qui j' endure?         Dure.

Sent-elle bien la douleur qui me poingt? Point.

O que cela me vient bien mal à point! 

Me faut-il donc, ô debile entreprise! 

Lascher ma proye avant que l' avoir prise? 

Si faut-il mieux avoir cœur moins hautain, 

Qu' ainsi languir sous espoir incertain.

Voila une piece qui n' est pas à negliger, sur laquelle je voulus r'envier de cet Epigramme aux Gayetez, qui furent imprimees sur ma main en l' an 1583. 

Pendant que seul dans ce bois je me plains, 

Dy moy Echo qui celebre mes mains?         Maints.

Y a-il point quelque autre gentille ame, 

Qui à loüer les autres mains enflame?         Ame.

Si moy vivant de mon loz je joüy, 

Ay-je subject d' en estre resjoüy? Ouy.

Et si ma main est jusqu' au Ciel ravie, 

Que me vaudra ce bruit contre l' envie? Vie.

N' y aura-il nul homme de renom,

Qui en cecy soit jaloux de mon nom? Non. 

Mais si quelqu'un mal appris en veut rire, 

Que produira dans mes os ce mesdire? Ire.

Contre ce sot, contre ce mal appris: 

Ne rongeray-je en moy que des despits? Pis.

O sot honneur d' une main mal bastie!

Quel humeur donc vainement me manie? Manie. 

Las pour le moins, Echo, si tu peux rien,

Fay que les bons de mes mains parlent bien: Bien.

Si tu le fais, rien plus je ne demande,

Or sus Adieu, va, je me recommande.          Commande.

Je finiray par cet Echo, & peut estre non mal à propos, pour vous monstrer que tout le discours du present Chapitre n' est que vent.