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lundi 29 mai 2023

2. 10. Comment, & vers quel temps l' ordre des douze Pairs de France fut institué,

Comment, & vers quel temps l' ordre des douze Pairs de France fut institué, pour lesquels on appelle le Parlement, Cour des Pairs, dont vient qu' on requiert leur presence aux sacres, couronnemens de nos Roys.

CHAPITRE X. 

Si la vray-semblance doit quelque fois tenir lieu de verité, és anciennetez où les livres nous defaillent, il y a grande apparence d' estimer, que sous le Roy Hugues Capet, ceste police des douze Pairs eust pris son commencement, lors que tous les Ducs & Comtes avoient commué en fiefs perpetuels, les dignitez qu' ils tenoient auparavant sous le bon plaisir de nos Roys. Toutesfois en ceste opinion je me sens infiniement combatu d' une objection à laquelle il semble de prime-face n' y avoir aucune responce: Parce qu' entre les Pairs Laiz, nous y mettons pour sixiesme, le Comte de Champagne: Et neantmoins c' est une chose tres-certaine, que ny sous Hugues Capet, ny sous le Roy Robert son fils, ny bien avant sous le regne de Henry I. nous ne recognoissions ces Comtes de Champagne, tels que les ans porterent depuis, pour faire part de ce grand College. Thibault le vieil auquel commence le tige de ceste race, gendre de Heribert Comte de Vermandois, estoit seulement Comte de Blois, Tours, & Chartres: Ny luy, ny Eude premier son fils ne dilaterent ailleurs leurs limites. Vray que Eude second, se fit nommer Comte de Meaux & de Troyes, sous le regne du Roy Robert par la mort d' Estienne fils de Heribert qui tenoit le dessus de Germain sur luy, & est luy qui commença de prendre pied en Brye & Champagne, & pour ceste cause est appellé par Sigebert le Croniqueur, Odo Campaniensis.

Cestui eut pour fils Thibault deuxiesme, lequel pour les inimitiez qu' il exerçoit encontre le Roy Henry premier, se mit sous la protection d' un autre Henry Empereur d' Alemagne, qui l' honora du tiltre de Palatin de l' Empire. (Ainsi appelloient les Empereurs ceux qui estoient leurs Conseillers ordinaires.) Qualité qui ne tomba depuis de la famille des Comtes de Champagne, en tous leurs tiltres & enseignemens: laquelle toutesfois repugnoit à celle des Pairs de France, qui sont les premiers Conseillers de nostre Couronne: Voire qu' entre le Roy Louys le Gros, & le mesme Thibault, vous trouverez une guerre continuelle, & encores y en eut plusieurs autres apres leur decés, tellement que vous ne pouvez presque cotter temps auquel les Comtes de Champagne peussent être mis en ce rang de Pairs. Tant s' en faut que nous les y puissions agreger sous le temps de Hugues Capet. Et neantmoins nous tenons tous de main en main par une ancienne caballe qu' il y a eu de tout temps & ancienneté en ceste France douze Pairs, six Ecclesiastics & six Laiz. Tradition non seulement authentique, ains sacrosaincte, contre laquelle de vouloir faire le sçavant, c' est une vraye ignorance. J' adjousteray, que si ceste police est veritable, je vous supplie dites moy d' où vient qu' entre tant de grands Seigneurs qui lors estoient, l' on en tria quatre aux pays de deça, les Ducs de Bourgongne & de Normandie, les Comtes de Flandres & Champagne, & que de là, faisant un grand sault jusques aux extremitez du Royaume, on y adjousta le Duc d' Aquitaine, & le Comte de Thoulouse, laissant en arriere plusieurs Comtes qui estoient entre-deux, non moins grands terriens que les autres: Dont vient encores qu' entre tant de Prelats de France, qui portent tiltres d' Archevesques, & les aucuns de Primats, on en ait seulement choisi six, dont il n' y en ait qu' un Archevesque: mesmes qu' on les ait seulement pris des Provinces de Picardie, Bourgongne & Champagne? Car si tous les Archevesques & Evesques avant que d' entrer en leurs charges doivent la foy & homage à nos Roys à cause de leur Couronne, pourquoy n' en a l' on apparié quelques-uns à ces six autres, ou pourquoy avons nous borné ce grand & souverain fief de France, seulement de trois Provinces de la part des Ecclesiastics? Je le vous diray au moins mal qu' il me sera possible, & peut-être que ces deux dernieres objections, non seulement ne destruiront l' opinion que j' apporte de Hugues Capet, mais au contraire en tout & par tout la confirmeront, non pas pour vous dire que cest ordre des douze Pairs eust esté par luy jecté en moule, mais à mon jugement c' est luy qui fit les premiers fondements de ceste grande architecture. Chose que je ne vous puis descouvrir sans vous representer comme sur un petit tableau, les troubles, partialitez, & divisions qui advindrent en ceste France depuis la mort de Louys le Begue, qui fut en l' an 878. jusques au couronnement de Hugues Capet.

Louys le Begue mourant, delaissa sa femme enceinte d' un posthume qui fut appellé Charles le Simple, auquel par son testament il ordonna pour tuteur Eude fils de Robert Comte d' Angers. Les Normands affligeoient lors par diverses courses nostre France, dont ils s' estoient trop long temps apprivoisez à nos despens. Il falloit un Roy guerrier pour leur faire teste. Une Royne-Mere, Princesse estrangere n' estoit suffisante pour ce faire. 

Veu que noz plus grands Capitaines ne s' y trouvoient que trop empeschez. C' estoit un pretexte fort beau, pour supplanter un petit Prince de ses droicts. Louys & Carloman ses freres bastards se trouvent propres à cét effect, & se font couronner Roys de France. Mourans ils laissent un autre Louys fils de Carloman pour leur successeur, qui mourut quelque temps apres sans hoirs procedez de son corps. Tout cest entreregne (ainsi le veux-je appeller) dura sept ou huict ans pour le plus. Grande pitié, & digne d' être icy ramentue. Ceste grande famille de Charlemaigne, qui avoit faict trembler l' Europe, estoit lors aboutie en deux Charles, l' un surnommé le Gras, l' autre le Simple. Dieu veut que Charles le Gras deuiéne (devienne) mal ordonné de son cerveau. De façon qu' en un mesme temps ces deux Princes eurent deux curateurs: l' un pour la foiblesse de son sens, Arnoul Bastard son nepueu, l' autre pour la foiblesse de ses ans, Eude. Voire qu' en cestuy-cy noz ancestres remarquerent encores une imbecillité de sens, estant faict majeur, par le surnom qu' ils luy baillerent du Simple. Or ces deux curateurs, violans le droict de leurs charges se feirent proclamer Roys, celuy là de la Germanie, & cestuy de nostre France, vray que pour y apporter quelque masque, ce fut par l' election tant de leur Clergé que Noblesse. Je laisse ce qui est de l' Histoire de la Germanie, pour m' arrester à celle de France. 

Charles le Simple cependant arrivé au douziesme an de son aage, Herué (Hervé) Archevesque de Rheims qui ne couvoit pas moins d' ambition dedans sa poictrine, que Eude, sacre & couronne ce jeune Prince, & tout d' une main se faict confanonnier de ses armes. Vous pouvez juger quelles guerres civiles apporta lors ce contraste de deux Roys en un mesme Royaume. Eude va de vie à trespas, & avant que de mourir il adjure son frere Robert Comte & Gouverneur de Paris, & tous les autres grands Seigneurs de la France, de recognoistre Charles le Simple pour leur Roy: Aquoy ils acquiescerent, & sembloit que par ce moyen la France fut reduitte en son ancien repos. Le malheur du temps ne le voulut permettre. Le Roy avoit peu voir en son bas aage quatre Roys esbransler sa Couronne, d' avantage il se voyoit depourveu de tout Prince de son sang qui le secondast, au contraire il estoit assiegé de plusieurs Seigneurs accoustumez pendant le regne d' Eude de ne le recognoistre. Tout cela mis en consideration luy devoit servir de bride, pour se contenir dans les bornes de son devoir, mais son aage de dixhuict à dix neuf ans y resistoit: Joinct le peu de conseil dont il accompaigna toutes les actions. Flodoart qui vivoit de ce temps là, duquel l' use en tout ce discours, comme d' un fanal pour me servir de conduitte dans les obscuritez de ceste Histoire, nous raconte, que soudain que ce jeune Prince pensa être au dessus du vent, il embrassa esperduement l' amitié d' un jeune Gentil-homme nommé Aganon, vilipendant tous les grands Seigneurs, chose qui les indigna de telle façon qu' ils se banderent encontre luy dans Soissons, le reduisant en tel desespoir, qu' il fut contrainct avecques son favory de se re retirer chez l' Archevesque de Rheims aux despens duquel il vesquit l' espace de sept mois entiers. Comme la Majesté d' un Roy ne se peut oublier tout à coup, ains apres un premier choc de fortune, ne laisse de se ramentevoir à ses subjects, aussi advint-il le semblable à Charles. Mais luy opiniastre en son malheur continua ceste mal fondee bien-vueillance, mesmes fut si mal advisé de s' aheurter à la famille de Robert, ostant une Abbaye à Rotilde belle mere de Hugues le Grand pour en gratifier Aganon: Hugues fils de Robert se transporte expressement dans Laon par devers le Roy, pour en tirer quelque raison: mais voyant qu' il luy prestoit sourde aureille, il delibera d' obtenir par la voye des armes, ce qu' il n' avoit peu par justice. Maladie qui prit son cours dans la France l' espace de soixante dix ans, je veux dire depuis l' an 919. jusques en l' an 987. que Hugues Capet fut couronné Roy.

Charles le Simple estoit assisté de la Justice de sa cause (par ce que le subject qui prend les armes contre son Prince n' est jamais excusé envers Dieu) mais il estoit sans experience, sans conseil, sans aucun Prince de son sang. Le plus grand support qu' il avoit, estoit de l' Archevesque de Rheims. La partie est aussi mal faicte, quand un Prestre endosse le harnois, pour combattre un Capitaine, comme si un capitaine se revestoit d' une chasuble pour contrefaire le Prestre. Au contraire la faction de Robert estoit tres-forte & tres-puissante: car elle n' estoit point fondee sur une volonté esvolee du commun peuple, lequel on peut dire être un monstre, qui pour avoir trop de testes, est sans teste. Moins encores faisoit-elle estat d' un secours estranger qu' il faut fuyr comme un escueil, lors d' une guerre civile: par ce que ce Prince estranger faisant semblant de favoriser le party pour lequel il vient, n' a autre but que de demourer maistre du tapis par la ruyne des deux. Robert avoit esté faict Comte & Lieutenant general de Paris par le Roy Eude son frere, il estoit pere de Hugues que depuis la posterité surnomma le Grand, beaupere de Raoul Duc de Bourgongne, & de Heribert qui iouïssoit des villes de S. Quentin, Peronne, & autres forteresses des environs, & en outre de Meaux & Troyes. D' avantage ils attirerent à leur cordelle Thibault le Vieil Comte de Chartres, & de Blois, brave guerrier, dont j' ay parlé cy dessus, qui se fist gendre de Heribert. Il leur falloit encores un Roy au moyen dequoy Robert en prent le tiltre comme par un droict successif d' Eude son frere. Vray que pour y apporter plus de fueille, on y proceda par election: & apres son decez fut aussi éleu Roy de France Raoul de Bourgongne son gendre. Coustume qui s' insinua, non seulement pour ses Roys extraordinaires, mais qui plus est pour ceux qui estoient les vrays & legitimes, pour Louys d' Outremer, Lothaire son arrierefils. Qui a causé une heresie à quelques uns de penser que tous noz Roys fussent anciennement electifs. Je ne me suis icy proposé de vous estaler par le menu tous les accidents qui advindrent lors. Je vous diray seulement que depuis ce temps là vous ne voyez qu' un chaos, meslange & confusion de toutes affaires dans la France, tantost tous ces Princes uniz ensemble, tantost divisez selon les mescontentemens qu' ils avoient les uns des autres.

Et neantmoins, ainsi que je recueille de Flodoart, dont je faits grand fonds, l' air general de tous ces troubles fut tel. Hugues, depuis surnommé le Grand, devint chef de part, faiseur & defaiseur des Roys selon les occasions: (tout ainsi qu' autres fois Charles Martel) entre ses partizans. Heribert & Thibault beaupere & gendre à face ouverte donnerent les coups orbes: celuy là ayant fait deux fois Charles le Simple son prisonnier, lequel en fin il fit mourir en prison: Et cestuy, Louys d' Outremer son fils, qu' il eut en sa garde un an entier dedans Laon, vray que c' estoit par les menees de Hugues le Grand. Les Duc de Normandie & Comte de Flandres estoient arbitres de la querelle, tantost d' un party, tantost d' autre, selon que la commodité de leurs affaires les y convioit. Quant au Duc d' Aquitaine & Comte de Languedoc, (depuis appellé Comte de Thoulouze) ils servoient de fois à autres de retraicte à nos Roys, en cas de malheureux succez: le theatre où se joüiot la tragedie, c' estoit la Picardie, Bourgongne, Champaigne. La demeure de Hugues, dans Paris, dont il estoit Comte, celle des Roys dans Laon, Rheims, & Compieigne: mais sur tout, les chefs tant d' un que d' autre party affectionnoient la ville de Laon, comme un fort boulevert pour se maintenir contre toutes les advenuës. Au regard des Duchez & Comtez, encores que les Roys pretendissent en pouvoir dispofer, vacquation d' iceux advenant par mort, si est-ce qu' on ne les croyoit, sinon de tant qu' ils estoient assistez de la force: ils eurent en fin un Hugues lequel, ayant perdu tous ses corrivaux (hormis Thibault qui le seconda en toutes ses entreprises) s' estoit fait Controleur general de leurs actions: Heribert estant decedé, ses enfans occirent un Raoul que Louys d' Outremer avoit envoyé exprez pour remettre entre ses mains les villes & terres dont leur pere estoit mort vestu: Le mesme Roy voulant r'entrer dans la Normandie par la mort de Guillaume Duc qui n' avoit laissé qu' un bastard, en fut empesché par Hugues, qui eut un trop puissant adversaire pres de soy, si ceste reünion eust sorty effect. Et neantmoins il se fit donner puis apres le Duché de Bourgongne par le Roy, & sous ce tiltre, luy & ses enfans en jouyrent. Le pretexte estoit par devers nos Roys, la force par devers luy: & à peu dire ils avoient le nom & tiltre de Roys sans effect, cestuy l' effect sans le nom: toutesfois il fit en fin la foy & hommage au Roy Lothaire du Duché general de la France, & apres luy Hugues Capet son fils à Louys dernier Roy de la race de Martels, estans au lieu de Comtes de Paris, appellez Ducs de la France, qui n' estoit pas une qualité grandement eslongnee de celle de Roy: jusques à ce qu' en fin apres plusieurs & diverses disputes, Lothaire regnant, Charles son frere par une ambiton sotte & precipitee se fit vassal de l' Empereur Othon second, qui erigea en Duché, la Lorraine, & l' en investit, luy faisant don d' un pays qu' il ne pouvoit bonnement garder. Ce qui aliena tant Charles, du cœur des François, qu' apres la mort de Louys son nepueu, il fut aisé à Hugues Capet de se faire couronner Roy par le commun vœu & suffrage des Prelats & Seigneurs de la France: Car mesmes Charles froid & lent luy donna le loisir de reprendre haleine quatre ans entiers, apres qu' il fut monté à ce haut degré. Et toutesfois Charles s' estant depuis mis en armes eut deux heureux succez contre luy : car il le vainquir premierement en bataille rangee, & en apres le chassa de la ville de Laon, en laquelle il deliberoit d' establir sa demeure, tout ainsi que ses devanciers: mais par les menees de Hugues Capet, il fut trahy par l' Evesque, lequel le meit avecq' sa femme entre les mains de son ennemy. Qui fut l' accomplissement de son malheur: d' autant que deslors il fut envoyé prisonnier en la ville d' Orleans, où luy & sa femme paracheverent leurs jours.

Par ce dernier chef d' œuvre, vous pouvez recognoistre qu' il y eut moins de vaillance & plus de prudence en Hugues, pour laquelle aussi il emporta à mon jugement le surnom de Capet. Mon opinion doncques est, que luy se voulant rendre paisible de l' Estat, suivit toutes les mesmes traces qui luy avoient esté enseignees par son pere: Aussi que quand il y eust voulu proceder autrement, la Noblesse ne l' eust permis: Et comme ainsi fust que Eude, Robert, & Raoul, Roys adoptez & non naturels, fussent venus à la Couronne par election, voire que ceste mesme procedure eust esté tenuë en Louys d' Outremer, Lothaire, & l' autre Louys, aussi luy convint-il faire le semblable, & par une grande sagesse qui luy faisoit perpetuelle compagnie, il choisit, & les Prelats & les Princes qui avoient eu la meilleure part en la querelle, c' est à sçavoir entre tous les Prelats de la France, six qui estoient des Provinces où l' on avoit joüé des mains: dont il feit le chef, l' Archevesque de Rheims, chef non seulement pour sa qualité, mais aussi que d' ancienneté il consacroit les Roys: au dessous duquel il meit pour second, l' Evesque de Laon, pour l' obligation qu' il avoit en luy, & ainsi des autres selon le plus ou le moins de respect, qu' il leur portoit. Comme aussi entre les Princes & Seigneurs Laiz, il choisit ceux qui avoient esté principalement employez pour l' un & l' autre party: Les Ducs de Bourgongne, Normandie & Guienne, les Comtes de Flandre, & Languedoc: & par special le Duc de Bourgongne, qui fut le Doyen de tous ces Seigneurs: non que ce Duché fust de plus grande recommandation que les autres, ains par ce qu' Othon son frere en estoit Duc, & par consequent meritoit lieu de primauté. Avec lesquels il adjousta Thibaut Comte de Chartres, Blois & Tours, qui n' estoit si grand terrien, mais par ce qu' il avoit esté l' un des premiers & plus obstinez entremetteurs, à la conduitte des troubles: 

Et sa posterité ayant acquis tant par droict successif, que de bien seance, les pays de Champaigne & de Brie, l' on meit puis apres au rang des autres, les Comtes de Champaigne. Voila ce qu' il me semble du premier establissement de nos douze pairs.

Or tout ainsi que ceux-cy tindrent les premiers lieux lors que Hugues Capet fut esleu Roy, aussi ne fay-je aucune doute qu' aux Parlemens & Assemblees generales esquelles on vuidoit toutes causes, tant d' Estat, que de Justice, ils y tinsent les premiers rangs: Et comme on est bien aise de n' oublier les noms des ancienes dignitez, ores que la forma en soit perdue, aussi remeit-on lors l' ancienne dignité de Patrice ou Pairrie en avant, qui estoit tant respectee premierement par les Empereurs, & en apres par nos Roys de la premiere, & seconde lignee. De là vint, que s' il y avoit quelque question entre le Roy & eux pour leurs Pairries & teneures feodales, ou entr' eux mesmes, qu' ils ne decidassent par les armes, ils en remettoient la decision au Conseil general d' eux tous: Et d' autant que d' ordinaire cela se vuidoit en un parlement, on l' appella Cour des Pairs: & à l' exemple de cecy, les Ducs & Comtes voulurent aussi (comme j' ay dict) avoir leurs Pairs en leurs Conseils, Eschiquiers & Grands jours, & au dessous d' eux les Barons voulurent faire le semblable: comme naturellement les petits se rendent Singes des grands. Je trouve dans les Memoriaux de nostre Chambre des Comptes unes procedures qui furent faites l' an 1224. entre la Comtesse de Flandres & le sire de Nesles qui merite d' être icy transcripte, encores que le langage ne soit si vieux, comme estoit celuy de ce temps là. Sur un different qui estoit en Parlement entre Jeanne Comtesse de Flandres & Jean de Nestes: la Comtesse comparant au jour proposé, disoit qu' elle n' avoit pas esté suffisamment semonce par deux Chevaliers, fut jugé qu' elle avoit esté suffisamment semonce: Elle demanda depuis le renvoy de sa cause par devant ses Pairs, qui estoient en Flandres. Jean de Nesles disoit qu' elle avoit failly de droict par ses Pairs, dont il avoit appellé ladicte Comtesse, où il estoit prest de la convaincre de defaut de droict, fut jugé par le Roy, que Jean de Nesles ne retourneroit en Flandres. Lors comparurent le Chancelier, le Bouteiller, le Chambrier, & le Connestable qui sont Officiers de l' hostel du Roy. Les Pairs soustenoient qu' ils ne devoient assister au jugement des Pairs de France: soustenans lesdits Officiers le contraire. Par Arrest fut dict que lesdicts Officiers y assisteroient & jugeroient. Ancienneté, dont vous pouvez recueillir que dés pieça l' ordre & police des Pairs estoit lors instituee tant au chef que membres de la Couronne. Au demourant si ce placard est veritable, il semble que lors le College des Pairs pretendoit qu' à luy seul appartenoit la cognoissance de ses confreres, veu qu' il n' y vouloit admettre les quatre premieres dignitez de la France, & mesmement le Chancelier que depuis nous avons recogneu pour chef general de la Justice. Et neantmoins ce different fut jugé par le Parlement: D' autant que ce n' estoit pas la raison que le College des Pairs eust esté juge en sa propre cause. Depuis on n' a point faict de doute que le corps des Pairs & du Parlement n' estoit qu' un.

Voila quant à la Cour des Pairs, je viens maintenant aux Sacres & Couronnemens de noz Roys, où l' on desire la presence des Pairs. Et combien que cela semble avoir pris son premier traict, de l' élection de Hugues Capet, si ne se continua-il d' un tel fil, que l' autre: Parce que depuis son couronnement jusques à la venuë de Philippes second, dit le Conquerant, on ne trouve point que ces Pairs ayent faict profession d' assister aux Sacres, quelque chose que l' on s' imagine du sacre de Louys le Jeune son pere. Et à vray dire c' est une histoire où il y a autant de tenebres qu' en pas une des nostres. Pour l' esclaircissement de laquelle faut noter que tant & si longuement que les Troubles durerent entre les deux familles, on proceda par élection au couronnement de noz Roys, ainsi que je vous ay cy-dessus touché. Ceste mesme procedure fut practiquee en Hugues Capet, nouveau Roy.

Mais luy Prince tres-advisé, cognoissant que de remettre à la mercy d' une élection, la Couronne nouvellement transferee en sa famille, c' estoit chose de perilleuse consequence, rechercha tous les moyens qu' il peut pour en suprimer l' usage: Et ne trouvant expedient plus prompt que d' agreger avecq' soy Robert son fils, il le fit sacrer & Couronner Roy dés son vivant. Coustume qui fut depuis observee en quatre ou cinq generations successives de noz Roys: Parce que le mesme Robert en fit autant à Henry premier, son fils: & luy à Philippes premier. Lequel n' ayant voulu faire le semblable à l' endroict de Louys le Gros, ce jeune Prince se trouva aucunement empesché apres la mort du Roy son pere. D' autant que l' Archevesque de Rheims, & quelques Prelats & Barons voulurent s' opposer à sa reception. Chose dont Yves Evesque de Chartres adverty, prevint leur dessein par un sage conseil, qui fut de le faire promptement sacrer Roy dedans la ville d' Orleans. Et comme apres coup, ils s' en plaignissent, ce Prelat plein d' entendement, & homme d' Estat, fit une Apologie, qui est la septantiesme entre ses Epistres, par laquelle il monstre qu' il luy avoit esté loisible de ce faire, & que les Sacres de noz Roys n' estoient non plus affectez à l' Eglise de Rheims, qu' aux autres Cathedrales ou Metropolitaines du Royaume. Joinct qu' outre la plume de cest Evesque, Louys le Gros estoit un rude ioueur, auquel il ne se failloit pas aisément heurter. Et neantmoins luy s' estant faict sage, par soy-mesmes, & à ses propres despens, il se donna bien garde de faire la faute qu' avoit faict son pere. Parce que quelques ans avant que de mourir, il fit sacrer Roy, Louys le Jeune son fils. Ce que pareillement fit Louys envers Philippes second, dir Auguste. Ces sages resignations admises dés le vivant des peres, firent oublier les elections qui estoient nees dedans les Troubles de la France. De maniere que vous ne voyez en tous ces Sacres & couronnemens être faicte mention des Pairs, horsmis en celuy de Philippes Auguste, où l' on remarque que Henry le jeune Roy d' Angleterre s' y trouva comme Pair & vassal de France. Mais c' estoit une honneste submission qu' il faisoit au Roy, pour monstrer qu' il ne se pretendoit souverain des seigneuries qu' il possedoit dedans le Royaume. Bien veux-je croire (& n' est en cecy vaine ma creance) que tout ainsi que ce Roy Philippes second eust tant qu' il regna la fortune en pouppe, pour laquelle il fut surnommé tantost Philippes le Conquerant, tantost Philippes Auguste, comme s' il eust esté un autre Empereur Auguste entre nous, aussi voulut-il magnifier sa Cour de ce beau tiltre de Pair. Pour le moins le voyez vous dés & depuis son regne plus en usage que devant. Guillaume de Nangy nous raconte que vers l' an 1259. en paix faisant entre S. Louys, petit fils d' Auguste, & Henry Roy d' Angleterre, il fut accordé que la Normandie, Poictou, Anjou, Maine, & Touraine demeureroient aux François, & la Gascongne, Lymosin & Perigord aux Anglois, à la charge que le Roy d' Angleterre recognoistroit les tenir de noz Roys, en foy & hommage, & s' appelleroit Duc d' Aquitaine & Pair de France. Et neantmoins repassez en quatre ou cinq lignees subsequutives: En Louys huict & neufiesme, Philippes troisiesme, Philippes quatriesme dit le Bel, & en ses trois enfans, vous ne voyez les Sacres de noz Roys être honorez de ceste parade de Pairs. Parquoy je dirois volontiers, s' il m' estoit permis, que lors qu' ils commencerent de n' être, ils commencerent de renaistre, c' est à sçavoir, apres que tous les anciens Duchez & Comtez furent reüniz à la Couronne, fors & excepté celuy de Flandres. Car voyans noz Roys leur Royaume n' être plus eschantillonné: ils voulurent representer par image ces anciennes Pairries: vray qu' avecq' un discours grandement eslongné: Car au lieu qu' autresfois on avoit erigé les grandes Provinces en Royaumes, pour lotir un enfant de France, & luy mort sans enfans on les reduisoit en Duchez & Pairries, nous erigeames depuis en Duchez & Pairries les simples Baronnies: & lors on ne douta de tirer en ceremonie, aux Sacres de noz Roys, ce qui avoit esté faict par necessité à l' advenement de Hugues Capet à la Couronne. De maniere que les Prelats demourerent en leur ancienne prerogative de Pairs & les nouveaux Pairs Laiz representerent les anciens, comme estant ceste representation sans danger.

lundi 17 juillet 2023

6. 28. Fin de la seconde famille d' Anjou; Comté de Provence

Fin de la seconde famille d' Anjou, avec un Sommaire discours tant sur le Comté de Provence escheu à noz Rois, que des voyages de Naples par eux entrepris.

CHAPITRE XXVIII.

Par cette Princesse Yoland, la seconde famille d' Anjou fondit en celle de Lorraine, & voicy comment.

Jean dix & neufiesme Duc de Lorraine, eut deux enfans, Charles son fils aisné qui luy succeda apres son decés, & Ferry Comte de Vaudemont, puisné.

De Charles nasquit Isabeau de Lorraine qui fut conjointe par mariage avec René Duc d' Anjou, qui se donnoit qualité de Roy de Sicile.

De ce mariage nasquirent Jean & Yoland. Car quant à une Marguerite femme d' un Roy d' Angleterre, je n' en fay mise, ny recepte, comme estant une piece hors œuvre.

Jean d' Anjou mourut auparavant René son pere, & eut un fils nommé Nicolas, qui mourut pareillement auparavant son ayeul. De maniere que toute la maison de René estoit aboutie en une seule Princesse Yoland d' Anjou.

De Ferry Comte de Vaudemont premier de ce nom, nasquit Anthoine, & de luy Ferry second.

Isabeau de Lorraine femme de René pretendoit apres le decés de Charles son pere, que le Duché de Lorraine luy appartenoit, comme seule fille & heritiere du Duc.

Anthoine au contraire soustenoit que ce Duché estoit un fief affecté aux masles qui ne pouvoit tomber en quenoüille. Partant qu' ores qu' il fust seulement issu du puisné, toutesfois estant masle il forcluoit cette Princesse. Nouveau subject de guerre entre luy & René. Auquel en fin René se trouva avoir du pire. Et ayant esté faict prisonnier d' Antoine, pour moyenner sa deliurance, il accorda le mariage d' Yoland sa fille avec Ferry fils d' Antoine. Quoy faisant on unit les deux branches de l' aisné & puisné de Lorraine ensemble. Sage conseil pour faire cesser les differents qui estoient entre eux. Mariage toutesfois que jamais René ne peut bonnement gouster pour avoir esté extorqué de luy. Tellement que tous ses projets ne tendoient qu' à coupper les aisles à son gendre. Et de faict Philippes de Commines nous tesmoigne, que s' il n' eust esté prevenu par le desastre qui advint à Charles Duc de Bourgongne contre les Souisses, il se fust donné à luy. Qui eust esté un mauvais party pour la France.

Or avoit il un frere puisné nommé Charles, auquel entre autre biens il laissa pour son partage le Comté du Maine, la Baronnie de Mayenne la Iouais, la Ferté Bernard, Sablé, & autres grandes terres & seigneuries. Ce Seigneur eut un fils portant le nom de Charles comme luy, que René par son testament de l' an mil quatre cens septante huict, institua son heritier universel: lequel choisit pour son domicile la Provence, dont il estoit Seigneur souverain, & y mourut quatre ans apres, & par son testament à l' instigation de Palamedes Forbin Seigneur de Soliers, qui avoit grande part en ses bonnes graces, institua son heritier particulier au Comté de Provence, le Roy Louys unziesme & ses successeurs Roys de France.

En ce Prince Charles dernier masle, prit fin, & le nom, & la familie d' Anjou, & fondit en celle de Lorraine par le mariage d' Yoland avecques Ferry de Lorraine, dont sont issus ces grands Princes Lorrains, que nous voyons aujourd'huy. Famille d' Anjou, (vous dis-je) enflee, tant en pretensions, que d' effect de trois Royaumes, Sicile, Poüille, & Hierusalem (& encore de celuy d' Arragon, si on eust faict droict à Yoland d' Arragon femme de Louys deuxiesme) de trois Duchez, Anjou, Lorraine, & Calabre, de trois Comtez, Provence, le Maine, & Bar; dont le dernier fut depuis erigé en Duché. Et furent les pieces esmorcillees à divers Princes: l' Arragonnois se lotit de la Sicile, Poüille & Calabre: Le Lorrain de la Lorraine & du Barrois, & encores de plusieurs autres seigneuries esparses, tant au pays du Maine, Provence, que plusieurs autres endroicts de la France. Le Roy Louys unziesme de la Provence, par le moyen du testament de Charles, & des Duché, d' Anjou, & Comté du Mayne par nostre droict de reversion à la Couronne, comme estans de l' ancien Domaine de France, qui ne tomboient en quenoüille. Car quant au Royaume de Hierusalem, ce fut un titre de parade, dont ny la premiere, ny seconde lignee d' Anjou, ne jouyt actuellement. Et comme le Roy Louys XI. estoit Prince qui ne laissoit perdre les occasions de s' advantager quand elles se presentoient, aussi se voulut-il faire accroire, que les quatre Baronnies du Duché de Bar luy appartenoient en proprieté, la force estoit pardevers luy: car quant au bon droit je m' en remets à ce en qui estoit. Tant y a que par accord faict entre luy, & René Duc de Lorraine, le seigneur de la Jaille le 14. de Mars 1479. pour le Roy de Sicile meit entre les mains de Louys pour six ans, la ville de Bar, pour en jouyr pendant ce temps, & y mettre telle garde qu' il luy plairoit. Et le lendemian (lendemain) les manans & habitans feirent le serment de fidelité au Roy, conformément au traité fait & passé entre les deux Princes. Et tant & si longuement que Louys vesquit le Prince Lorrain ne s' en oza plaindre.

Quelque temps apres son decez Charles huictiesme son fils, luy ayant succedé à la Couronne en l' aage seulement de quinze ans, René Duc de Lorraine vint en Cour, & en plein Conseil du Roy (auquel estoit Philippes de Commines, comme Conseiller d' Estat, duquel j' ay emprunté ce Placard) feit instance, tant pour le Duché de Barrois, qu' il soustenoit luy avoir esté induëment occupé par le feu Roy, que pour le Comté de Provence qu' il disoit luy devoir appartenir du chef de la Royne Yoland d' Anjou sa mere, qui avoit est plus proche habille à succeder à Charles d' Anjou son cousin germain. Et ce nonobstant le testament par luy faict en faveur du Roy Louys unziesme, comme n' en ayant peu disposer par les anciens statuts de Provence.

Particularité que je vous touche icy par expres contre l' opinion de ceux qui se font accroire que le Roy s' en estoit emparé par un droict de bienseance seulement & sans tiltre. Car si cela eust esté vray, le Duc de Lorraine ne l' ust oublié, non plus que du pays de Barrois. Mais au cas qui lors se presentoit, il demoura d' accord le testament avoir esté faict, & revoqua seulement en doubte, sçavoir s' il avoit peu estre faict au prejudice de la plus proche lignagere. De moy je vous puis dire l' avoir eu, veu, & leu en bonne forme & authentique, en la cause du Vicomte de Martygues, que par trois diverses matinees d' uns Lundy, Mardy, & Jeudy, nous plaidasmes au parlement de Paris, l' an mil cinq cens septante trois à huis ouvert, en la presence de tous les Princes & Princesses Lorrains & Lorraines residents en cette France, moy plaidant pour Messire Henry de Lorraine Duc de Guyse, & Maistre Claude Mangot grand & excellant Advocat, pour la fille unique de Messire Sebastien de Luxembourg. Testament qui servoit à la decision de nostre cause, lequel fut fait par Charles, le dixiesme Decembre mil quatre cens octante & un, dedans lequel il institua le Roy Louys unziesme son heritier particulier au Comté de Provence, & apres luy, tous ses successeurs Roys de France. Tellement qu' il ne faut point revoquer en doute, si ce testament a esté fait, puisque René en demouroit d' accord, mais bien si Charles en avoit peu gratifier nos Roys par son Ordonnance testamentaire. En quoy il n' y avoit aucune obscurité, d' autant que la Provence est un pays de droict escrit, auquel il est loisible à chacun de disposer de tous & chacuns ses biens, par son testament. Et mesmement avoit esté cette cause prejugee en cas individu par deux diverses dispositions: La premiere du Comte Beranger au profit de Beatrix femme de Charles d' Anjou frere de S. Louys, au desadvantage de ses trois sœurs qui la precedoyent d' aage: La seconde par la Royne Jeanne premiere Comtesse de Provence en faveur de Louys Duc d' Anjou premier de ce nom. Lequel en jouyt apres le decés d' elle, & le transmeit à ses successeurs. Qui estoit du tout clorre la bouche du Prince Lorrain. Comme aussi sagement & justement le conseil du Roy fut d' advis de luy rendre le Duché de Bar, mais non le Comté de Provence. Vray que pour luy oster toute opinion de remuëment de mesnage, Pierre Duc de Bourbon beau-frere du Roy Charles huictiesme, qui lors avoit tout le gouvernement des affaires de France en main, luy feit bailler une compagnie de cent gendarmes, & pension de soixante mille liures pour quatre ans. Leçon qui luy avoit esté expres enseignee par le Roy Louys son beau-pere, avant que de mourir, luy enjoignant que sur toutes choses il empeschast qu' on ouvrist la porte aux armes dedans son Royaume, tant & si longuement que son fils seroit en bas aage. Comme aussi n' y a-il riens qu' il faille tant craindre, que la guerre, pendant la minorité d' un Roy.

Nostre Roy & le Duc de Lorraine diversement assortis des biens, terres, & seigneuries de la maison d' Anjou, restoit à partager entre eux l' esperance des trois Royaumes & du Duché de Calabre, chacun d' eux pretendants y avoir la meilleure part: car combien que les François se l' adjugeassent en consequence du testament de Charles d' Anjou, toutesfois les Princes Lorrains n' en voulurent lors quitter le tiltre. Ainsi Yoland s' intitula Royne de Sicile, jusques au jour de son decés, qui fut l' an mil quatre cens quatre vingts neuf, & apres elle René son fils: Le tout au veu & sceu de nos Roys sans aucune contradiction. Et d' un autre costé combien que Charles huictiesme cornast la guerre contre l' Arragonnois pour la recousse du Royaume de Naple, toutesfois jamais René ne feit protestation contraire. Voire en plus forts termes, sommé & interpellé par les Napolitains qui s' estoient revoltez contre leur Roy Ferdinand, de s' armer & joindre ses forces avecques les leur, comme celuy qui y avoit le principal interest, il saigna du nez, soit qu' il estimast cette querelle estre la nostre, ou qu' il se fust faict sage par les folastres voyages des Princes d' Anjou ses predecesseurs.

Tellement que ce fut une chasse morte aux Lorrains: mais non à nous autres François, & le premier de nos Roys qui s' engagea à cette querelle fut Charles huictiesme (contre l' advis des plus sages) poussé d' un boüillon de sa grande jeunesse, & de je ne sçay quels mignons apprentis au fait de la guerre. Voyage qui eut une entree heureusement courte, & une retraicte plus heureuse que ne se promettoit la sagesse de tous les Potentats d' Italie. Toutesfois je ne voy point que nostre France raportast de ce voyage autre fruict, que la perte du corps & des biens. Car c' est celuy auquel on doit l' origine de cette malheureuse maladie, que quelques uns nommerent depuis mal de Naples, pour y avoir premierement mis son siege, & les autres mal des François, parce qu' ils en porterent les premieres marques. Et pour le regard des biens, nous devons au mesme voyage le premier engagement du Domaine de la Couronne pour subvenir aux affaires de la guerre. Car le Roy Charles estant sorty du Royaume à la vanuole, sans auparavant recognoistre quel estoit le fonds de ses finances, se trouvant en la ville de Plaisance court d' argent, decerna ses lettres patentes en Octobre mil quatre cens quatre vingts quatorze, pour engager de son Domaine jusques à la somme de six vingts mil escus. Et parce que c' estoit un chemin non encores frayé par la France, il voulut authoriser ses lettres de l' advis de treize seigneurs ses principaux Conseillers. Ces lettres envoyees au Parlement furent du commencement trouvees de tres-fascheuse digestion, toutesfois la necessité n' ayant point de loy, il fut trouvé bon pour desgager nostre Roy de ce perilleux voyage de tolerer cest engagement, pour ce coup tant seulement, & sans le tirer en consequence, portoit la verification du vingtiesme Novembre au mesme an. Belle protestation sans effect. Et de moy toutes & quantes fois que je lis cette sage clause portant un, Sans le tirer en consequence, pour faire passer & donner cours à une ouverture nouvelle, je m' en ris: comme estant une clause contrevenante au naturel de ce Royaume, qui est un Royaume de consequence. Ce que nous avons depuis esprouvé en ce mesme subject: car combien que le Domaine de la Couronne soit une chose sacrosaincte, & que l' alienation n' en soit faicte qu' à faculté de rachapt perpetuel, sans aucune limitation de temps: toutesfois ce mesnage par succession de temps est arrive à tel desbord & desarroy entre nous, que horsmis les tiltres generaux du Domaine, pour le regard des terres particulieres, à peine en trouverez vous aujourd'huy aucunes, esquelles nos Roys se puissent heberger.

Discours qui n' est pas du present subject: mais pour reprendre mes brizees, l' observation que je fais en tous ces voyages de Naples, est une belle promesse de fortune sur nos arrivees, mais fascheuses fins pour closture de nos entreprises. Apres le decés du Roy Charles, trois Roys successivement & l' un apres l' autre s' y voüerent, uns Roys Louys douziesme par l' entremise du Seigneurd' Aubigny, François premier par le Mareschal de l' Autrec, & Henry deuxiesme par le Duc de Guyse, tous grands Capitaines & guerriers. Et ces trois Roys se trouverent successivement, & l' un apres l' autre deceuz de leurs esperances, apres avoir faict une despense infinie, & perte d' une infinité de Seigneurs & Capitaines de marque: J' excepte le dernier voyage, par ce qu' il fut interrompu par un changement de volonté du Pape Carrafe qui nous y avoit appellez. Que si nous eussions employé, quand les occasions s' y sont presentees, au recouvrement des pays qui nous attouchent, & sont de nostre ancien estoc, tout l' argent qu' avons despendu en la recherche de ce Royaume de nous separé, & de mœurs, & d' un long entrejet de chemins, il nous en fust beaucoup mieux pris. Lisant les Historiographes qui en ont escrit, vous trouverez de grandes fautes advenuës de la part de ceux qui prés de nos Roys estoient estimez les plus sages. Et quant à moy je les impute à nostre malheur, y ayant eu quelque Ange qui par le vouloir expres de Dieu, s' opposa aux desseins qu' entreprismes de là les Monts, & tint en bride ceux que pouvions selon les rencontres, aisément executer à nos portes aux pays bas.

jeudi 6 juillet 2023

6. 6. De deux traits de liberalitez remarquables.

De deux traits de liberalitez remarquables.

CHAPITRE VI.

Il n' est pas dit que tousjours il faille estre agité des flots de la mer, quand on a esté traversé d' une tempeste. A l' issuë des Troubles par moy cy-dessus discourus (vray miroüer des malheurs qui de nostre temps ont vogué par la France) il ne sera hors de propos de nous rafraischir maintenant, ainsi qu' à un port, en ces deux exemples que je me suis proposez par ce present Chapitre. On dit qu' il n' y a plus beau moyen pour representer la grandeur de Dieu qu' exerçant une liberalité envers les pauvres. De cette vertu Henry frere aisné de celuy Thibaut, qui depuis fut gendre de Sainct Louys, s' aida si bravement, que pour sa grande largesse il fut surnommé par le commun peuple, le Large. De luy se fait un conte sur ce sujet fort memorable. Il y avoit un Bourgeois riche & opulent sur tous les autres dans la ville de Troyes, nommé Artaut, qui par les bien-faits de son Maistre avoit fait bastir un Chasteau de singuliere beauté, qui fut appellé Nogent, & du nom de son Maistre vulgairement Nogent l' Artaut. Advint qu' un jour de Pentecoste, le Comte allant ouyr la Messe à sainct Estienne de Troyes, se presenta devant luy à genoux un pauvre Gentil-homme qui luy requit au nom de Dieu l' aumosne pour marier deux siennes filles, lesquelles il luy presenta, surquoy Artaut qui estoit derriere son Maistre, sans attendre aucune responce du Comte, s' ingera de respondre au Gentil-homme, qu' il avoit tort de demander argent au Comte, qui pour ses liberalitez excessives estoit tant à l' estroit d' argent, qu' il ne luy estoit presque demeuré aucuns deniers dans ses coffres: Toutesfois le Comte courroucé d' une responce faite ce luy sembloit si mal à propos, par laquelle ce mignon esperoit retrancher sa liberalité, se tourna devers luy: Maistre vilain (luy dit-il) vous mentez faussement de dire que je n' ay plus que donner, si ay dea, car j' ay encores vous mesmes à donner. C' est pourquoy je vous donne presentement à ce pauvre Gentil-homme que je voy prosterné devant mes pieds. Et à l' instant mesme se saisit de luy, disant: Gentil-homme mon amy tenez, je le vous donne, & le vous garentiray. A laquelle parole le Gentil-homme se leve, & apres avoir faict une honorable reverence, & remercié tres-humblement le Comte prit Artaut, lequel fut contraint de payer sa rançon pour marier les deux Damoiselles. Il est bien seant à ceux qui ont l' oreille d' un Prince de mesnager le bien de luy: mais non aux despens de sa reputation: & neantmoins encore aymerois-je mieux le conseil d' Artaut, que d' un tas de sangsuës qui n' apprennent à un Roy que la prodigalité: car pendant que par cet excez ils espuisent toute son Espargne, il faut qu' il ait recours de ses fautes sur son pauvre peuple, & est certain que l' augmentation des tailles est la diminution de la bonne volonté des sujets envers leur souverain Seigneur.

Or à la suitte de l' exemple du Comte Henry, il me plaist d' en enfiler une autre de Messire Georges d' Amboise Cardinal, l' un des principaux Conseillers du bon Roy Louys douziesme. Ce preud'homme joüissoit du lieu de Gaillon, dependant de son Archevesché de Roüen, qu' il augmentoit, & accommodoit de tout son possible comme maison de plaisance, relasche de ses plus serieuses occupations. Il y avoit un Gentil-homme sien voisin grandement affairé, lequel pour se mettre au large, parla à l' un des domestiques du Cardinal, à ce qu' il voulust moyenner envers son Maistre qu' il acheptast une sienne terre qui estoit grandement à la bien-seance de Gaillon. Or comme la nature de tous Courtisans est prompte en telles negotiations, cestuy en advertit soudain son Maistre, l' advisant qu' il pourroit avoir à bon conte cette terre, dont il luy portoit parole: A quoy le Cardinal d' une face gaye, & riante, luy respondit qu' il ne demandoit pas mieux que de communiquer cette affaire avec le Gentil-homme vendeur, & que partant on le conviast à disner: Commandement qui fut incontinent mis en œuvre par le Courtisan: & de fait quelques jours apres le Gentil-homme ayant pris sa refection avec ce bon Seigneur, les tables levees, & un chacun retiré pour les laisser deviser à leur aise, sur ce qu' ils avoient à faire, le Cardinal commença de luy tenir propos de cette terre, l' admonnestant, comme voisin & amy de ne se vouloir defaire de ce lieu qui estoit de son ancien estoc, l' autre au contraire insistant, alleguoit pour ses raisons, qu' il esperoit rapporter de cette vente trois profits, l' un en gaignant par ce moyen sa bonne grace, l' autre parce que d' une partie de l' argent il marieroit une sienne fille, & la derniere qu' il employeroit le reste de ses deniers en rentes courantes, qui luy profiteroient tout autant comme le revenu de sa terre entiere, & pource Monseigneur (adjoustoit-il) qu' elle vous est trop plus seante qu' à nul autre, je me suis adressé à vous, pour vous en faire tel marché que souhaiterez. Voire-mais mon voisin (respondit le Cardinal) si vous aviez argent d' emprunt pour loger vostre fille en bon lieu, n' auriez vous pas beaucoup plus cher que la terre vous demeurast? A quoy luy ayant le Gentil-homme fait responce que ce luy seroit une autre difficulté de rendre à jour nommé l' argent qu' il avroit emprunté. Mais si on vous attermoyoit à tel temps (poursuivit le Seigneur) que sans vous mal-aiser peussiex acquitter vostre debte, que diriez vous? Ha Monseigneur (repliqua l' autre) vous dictes bien, mais où sont maintenant ces presteurs? Et ainsi estans tombez en une taisible altercation de la vente & du prest, en fin ce bon Legat s' escria: Et vrayement ce seray-je, & non autre qui vous feray ce party. Ce qu' il fit: car il luy presta argent convenable, avecques terme si long, que comblant, comme l' on dit, de la terre ce fossé, ce Gentil-homme maria sa fille à son desir, sans se despoüiller de sa place: & comme sont toutes gens de Cour soucieux d' advantager leurs Maistres par un droict de bien-seance au prejudice des autres, sortans de ce conseil estroit, survint celuy qui estoit l' entremetteur, lequel en particulier demande à son Maistre s' il avoit convenu de prix: Ouy, luy respondit ce preud' homme, & y pense avoir trop plus gaigné que vous n' estimez: Car au lieu de la Seigneurie dont vous m' aviez parlé, j' ay faict acquisition d' un amy, aimant trop mieux un bon voisin, que toutes les terres du monde. Qui rendit mon pauvre Courtisan si confus, que de là en avant ne luy souvint de s' esmoyer de telles voyes, pour penser gratifier à ce bon Seigneur. O exemple digne d' un Aristides, ou Caton, lequel à la mienne volonté tous Seigneurs eussent enchassé dans leurs testes: & toutes-fois en mourant il regrettoit avec pleurs & larmes le temps qu' il avoit employé plus à la suite de la Cour d' un Roy, que d' endoctriner ses brebis.

mercredi 12 juillet 2023

6. 25. Du Royaume de Hierusalem, & pourquoy les Rois de Naples, & Sicile, se pretendent Rois de Hierusalem.

Du Royaume de Hierusalem, & pourquoy les Rois de Naples, & Sicile, se pretendent Rois de Hierusalem.

CHAPITRE XXIV. (XXV)

Le fault est grand de France en Angleterre tel qu' au precedant chapitre, & maintenant d' Angleterre en Hierusalem, & de Hierusalem en Sicile, pour en fin revenir en France: Toutesfois tout cela regarde la grandeur de nostre France, à laquelle sont principalement deubs les voyages que l' on fit pour conquerir la terre Saincte: Joint que nos Normands, qui commanderent premierement à la Sicile, puis successivement les deux familles d' Anjou, je veux dire celle de Charles frere de sainct Louys, puis celle de Louys frere de Charles cinquiesme, tout cela est de nostre estoc.

Au premier voyage que nous fismes en la Palestine, les affaires nous succederent si à propos, qu' eusmes moyen d' y establir un nouveau Royaume sous le tiltre de Hierusalem. L' on presenta premierement la Couronne à Robert, fils de Guillaume le Bastard, qui la refusa, & à son refus, Godefroy de Boüillon fut faict Roy, & neantmoins ne voulut jamais charger la Couronne sur sa teste, disant, que ja à Dieu ne pleust qu' il se vist couronner Roy en un lieu, où l' on avoit faict porter une Couronne d' espines à nostre grand Roy Jesus-Christ. A luy succeda son frere Baudoüin, puis Baudoüin deuxiesme son cousin. A luy Foulques Comte d' Anjou son gendre, auquel succeda Almeric son frere, qui eut trois enfans, Baudoüin le Lepreux, qui fut apres troisiesme Roy de ce nom, Sibille, & Isabelle. Sibille fut mariee deux fois, en premieres nopces avecques Guillame de Montferrand, dont ell' eut Baudoüin quatriesme. Puis à Guy de Lusignen. Baudoüin le Lepreux decedant recommanda son nepueu Baudoüin au peuple, le laisse pour son heritier, & le met en la garde de Raimond Prince de Tripoly. Il n' y a rien qui soit tant à craindre, que quand un Royaume tombe entre les mains d' un enfant: chacun en son particulier veut joüer au Roy despoüillé. Cela advint soubz ce jeune Prince, qui regna seulement un an, non sans grande suspicion qu' il avoit esté empoisonné par Guy de Lusignen son beau-pere, lequel lors s' empara de l' Estat: mais Raimond tuteur luy fit teste: Guerre civile entre ces deux Princes, Raimond plus foible appelle à son secours Saladin Souldan d' Egypte. Cestuy faisant contenance de favoriser son party, s' impatronise de la plus grande partie de nos anciennes conquestes, mesmes de la ville de Hierusalem, aux despens de l' ambition de ces deux Princes mal conseillez. Cela s' appelle 88. ans apres que nous en estions rendus maistres. Ce temps pendant meurt Sibille, par la mort de laquelle Guy son mary perdit le tiltre de Roy, reprenant pour cette cause la route de France: mais à son retour il trouva par bon heur le Roy Richard d' Angleterre, qui luy fit present du Royaume de Chipre, qu' il avoit nouvellement conquis: Adoncques Henry Comte de Champagne avoit espousé Isabelle, sœur puisnee de Sibille, lequel se fit proclamer Roy de Hierusalem en ce peu de païs qui nous restoit: Mais mourant, Almeric frere de Guy espouse sa veufve, & par mesme moyen le Royaume, chose toutesfois qu' il negligea: Parce que quelque peu apres il se demist de la couronne entre les mains de Jean de Braine, mary d' Yoland fille aisnee d' Isabelle. mais luy ne pouvant supporter les indignitez & secousses que l' on fassoit aux Chrestiens, s' en retourna de deça, où il maria sa fille unique avecques Federic Empereur second de ce nom, Roy de Naples, & de Sicile, lequel par le moyen de ce mariage fut aussi intitulé Roy de Hierusalem. Le Royaume de Sicile tombant depuis és mains de Charles d' Anjou, il prit aussi le titre de Roy de Hierusalem: Et voicy pourquoy, par ce que Marie seconde fille d' Isabelle du premier lit, pretendoit la couronne luy appartenir, à laquelle le Pape ordonna une pension sur le Royaume de Sicile, moyennant laquelle elle renonça à tous droicts qui luy pouvoient appartenir au Royaume de Hierusalem, lesquels pour bien dire estoient lors plus imaginaires, que par effect. Voila comment depuis ce temps là, les Roys de Naples & Sicile, se sont qualifiez Roys de Hierusalem.

dimanche 2 juillet 2023

5. 3. Guerres civiles, entre l' Empereur Louys le Debonnaire & ses enfans.

Guerres civiles, entre l' Empereur Louys le Debonnaire & ses enfans.

CHAPITRE III.

Soudain apres que Louys eut esté recogneu heritier Souverain & Universel de l' Empereur Charlemagne son pere, dedans la ville d' Aix la Chappelle, il chassa d' aupres de soy je ne sçay quelle enjance de femmes dont la Cour de son pere estoit plaine: & quelque peu apres donna ordre à la reformation de la discipline Ecclesiastique, qui estoit aucunement en desordre. Et pour le regard des armes reduisit sous son obeissance les Bretons qui s' en estoient soustraicts. Tous actes dignes de recommandation: mais en ce dernier il fit un hola. Car en tout le demeurant de sa vie, il se monstra d' une façon assez fetarde, qui cousta depuis grandement à cette France, comme vous pourrez remarquer parce que je vous reciteray presentement.

Combien qu' il ne fust permis à un nouveau Pape, apres avoir esté esleu, d' entrer en son throsne Pontifical, qu' il n' eust esté auparavant confirmé par lettres patentes de l' Empereur, qui estoit l' un des plus beaux fleurons de sa Couronne Imperiale, toutes-fois le Pape Paschal I. de ce nom pour le peu de courage qu' il recognoissoit en nostre Empereur, ne douta de s' instaler de son authorité privee en son siege, sans le reblandir, & en fut quitte pour telles quelles excuses dont il le paya. C' est l' un des premiers coups de massuë que nostre France receut dedans la ville de Rome. Qui fut secondé par une autre recharge non moins dure. Car l' Empereur ayant depuis envoyé vers le mesme Pape, Lothaire son fils aisné, pour estre par luy honoré de la Couronne Imperiale, il receut nouvelles, qu' apres son retour, Paschal avoit dedans son Palais de Latran fait creuer les yeux à Theodore son premier Secretaire, & à Leon son Nomenclateur, & tout d' une suite fait mourir l' un & l' autre. Non pour autre raison, sinon que Lothaire sejournant à Rome ils luy avoient fait demonstration de plusieurs grands & affectionnez services. Cruauté tenuë pour tres-asseuree par toute l' Italie. Toutesfois apres quelques ceremonies d' Ambassades, dont nostre Empereur se flattoit ordinairement, il se contenta pour toute satisfaction d' un des-adveu faict par le Pape, revestu de son serment: Ores qu' il fust desdit par le seul recit de l' Histoire, & par la voix generale & universelle de tout le peuple: Les Italiens qui en s' agrandissant par effect de nos despoüilles, ne furent chiches de belles paroles, voulurent attribuer cecy à une pieté, & pour cette cause l' honorerent du mot Latin Pius, & les Sages-mondains de nostre France l' imputans à un manque & faute de courage, l' appellerent le Debonnaire. Couvrans sa pusillanimité, du nom de Debonnaireté. Sur ce propos il me souvient que le Roy Henry troisiesme disoit en ses communs devis, qu' on ne luy pouvoit faire plus grand despit que de le nommer le Debonnaire. Parce que cette parole impliquoit sous soy, je ne sçay quoy du sot. Le prenant de cette façon, c' est emporter la piece à cet Empereur. Et neantmoins de l' accuser de sottise tout à fait, ce seroit grandement errer, s' il vous plaist remarquer les deux grands coups d' Estat, dont j' ay parlé au precedent Chapitre, quand pour asseurer son Empire il fit mourir son nepueu Bernard qui estoit plus à craindre, d' une mort naturelle, & ses trois freres bastards, qui estoient de plus foible alloy, d' une mort civile. Or voyez je vous prie comme Dieu se mocque de la sagesse des hommes qui n' est qu' une folie envers luy. Et vrayement ce n' est pas sans raison qu' aux prieres de nos Eglises nous le supplions de ne se vouloir souvenir, ny de nos pechez, ny de ceux de nos peres & meres, & n' en faire tomber la punition sur nous. Le Debonnaire selon le monde s' estoit affranchy de la crainte de ceux qui luy pouvoient plus nuire. Dieu veut qu' il ne soit affligé, ny par son nepueu, ny par ses freres bastards, ains par ses propres enfans, & que cette playe saigne contre toute sa posterité jusques au dernier souspir, tant en la France, qu' Allemagne, qui est le suject du present chapitre.

Pour ne confondre cette histoire faut noter que le Debonnaire eut trois enfans masles d' Hermingarde sa premiere femme, qu' il assortit de divers Royaumes. Car à Pepin son second fils, il donna celuy d' Aquitaine, à Loys son troisiesme, celuy de Baviere, & pour le regard de Lothaire son fils aisné il le designa son heritier principal en tout le demeurant de ses terres & Seigneuries, luy donnant mesmement deslors le tiltre de Roy d' Italie, & d' Empereur. Hermingarde estant decedee, il convola en secondes nopces avecques Judict, dont il n' eut qu' un seul fils, nommé Charles, qui fut un nouveau suject de tragedie. Car elle possedant son mary, moyenna de luy une donation de tous les pays d' Austrasie, en faveur de son fils, c' est celuy que nous avons depuis appellé le Chauve. Les enfans du premier lict sont irritez de cette immense donation. Je vous traceray le crayon de cette histoire en gros, laissant les autres particularitez à ceux qui en ont cy devant escrit. Nouvelle guerre suscitee par les enfans contre le pere, dont le succez fut tel, que Judict est renduë Religieuse voilee à saincte Radegonde de Poictiers, sous la puissance de Pepin: & le Debonnaire & Charles demeurent sous celle de Lothaire. Depuis se fait entr'eux quelque surseance de mauvaises volontez, l' Empereur & sa femme restablis en leurs dignitez, par l' entremise de Pepin & Louys seulement. Judict, rongeant une vengeance mortelle contre Pepin, est la garde duquel elle avoit esté confinee, pendant son affliction, faict donner par le pere à son fils Charles le Royaume d' Aquitaine, au lieu de l' Austrasie. Quoy faisant c' estoit defrauder le titulaire de celuy qui luy estoit dés pieçà acquis. Seminaire d' une autre guerre, mais beaucoup plus furieuse que la premiere, qui produisit des espouventables effects. Car en moins de rien les enfans rendus les plus forts se saisirent en la ville de Compiegne, tant de l' Empereur que de l' Imperatrice, envoyant Judict à Tortonne ville de la Lombardie pour y tenir prison clause. Ce fait Pepin & Louys retournerent en leurs Royaumes, laissans leur pere és mains de leur frere aisné, qui luy fit faire & parfaire son procés par le Clergé. De maniere qu' en l' Eglise sainct Medard de Soissons au milieu d' une infinité de peuple, il fut degradé de sa dignité imperiale.

Quelque temps apres les deux freres puisnez ayans pitié du mauvais traictement que leur pere recevoit par Lothaire, se liguent ensemblement contre luy à la suscitation de Pepin, auquel toutesfois l' injure avoit esté faicte, & donnerent si bon ordre à leur faict que l' Empereur & sa femme furent reintegrez, nonobstant les destourbiers & empeschemens que leur frere aisné y apportast. Si en cette histoire tragique il y avoit eu quelque lieu de reprimende, c' estoit en la personne de Lothaire qui s' estoit continuellement opiniastré à la ruine de son pere, & si quelque lieu de repremiation, c' estoit en faveur des deux puisnez, lesquels apres leurs rebellions estoient revenus à recognoissance & honnestes submissions envers leur pere, luy donnans confort & ayde sur son restablissement. Toutesfois par un jugement rebours l' opiniastreté profita à Lothaire, & les submissions nuisirent à ces deux puisnez. Pepin decedé quelque temps apres, delaissé un sien fils du mesme nom que luy pour son successeur au Royaume d' Aquitaine. Judict qui d' un costé ne respiroit en son ame qu' une grandeur pour son fils Charles à quelque condition que ce fust, mais qui d' un autre avoit senty combien la main de Lothaire estoit pesante, s' advisa d' un nouveau conseil. Qui fut de l' attirer à soy en la façon qui s' ensuit. Il est mandé de l' Italie par l' Empereur qui luy propose sa volonté estre telle, de faire un partage de tous ses pays entre luy & Charles, fors & excepté celuy de Bavieres qui appartiendroit à Louys: A la charge que tout ainsi qu' il avoit tenu son plus jeune frere sur les fons baptismaux, aussi seroit-il tenu d' estre son parrain en la protection qui escherroit en son lot. Offre non seulement acceptee franchement, mais aussi promise & juree solemnellement par Lothaire. Et sur ces conventions fut faict le partage entr'eux au souhait de l' Imperatrice, dans lequel entre autres contrees escheut particulierement à son fils la Neustrie, qui est la France que nos Roys possedent aujourd'huy. Par ce partage la part & portion de Louys Roy de Bavieres estoit racourcie au petit pied sans esperance de ressource, advenant la mort de son pere. Et quant au jeune Prince Pepin, il demeuroit lourche, son Royaume d' Aquitaine estant confus en celuy de Charles le Chauve son oncle. Occasion pour laquelle le Clergé & la Noblesse d' Aquitaine envoyerent par devers l' Empereur, l' Evesque de Poictiers & quelques autres Prelats, pour le supplier vouloir avoir pitié de son petit fils. La responce qu' ils eurent de luy, fut qu' il avroit esgard à leurs remonstrances, au prochain Parlement qu' il tiendroit en la ville de Chaalons, & qu' en attendant sa responce ils s' en retournassent en leurs pays. Promesse faicte, mais non tenuë, & de faict le Parlement rompu, il s' en va avecques sa femme en Auvergne faisant partie de l' Aquitaine, où les Prelats & principaux de la Noblesse firent le serment de fidelité à Charles. De là il arrive à Poictiers en deliberation de recevoir le semblable des Poictevins, mais sur ces entrefaictes nouvelles luy vindrent que Louys son fils avoit pris les armes, & remuoit nouveau mesnage contre luy. Au moyen dequoy il fut contraint de rebrousser chemin pour luy faire teste, mais comme il estoit en cette deliberation, vaincu de l' aage & de despit pres de Majence, il fut surpris d' une maladie dont 40. jours apres il mourut. Jamais il n' y eut plus d' injustice de pere envers ses enfans que cette cy, d' apparier en tout & par tout un cadet avec son aisné, tenir Pepin son petit fils pour un chiffre, & Louys pour une piece de rebut. Nonobstant les grandes obligations qu' il eust en luy, l' Imperatrice Judict n' avoit autre plus grande asseurance pour le soustenement de son fils que Lothaire. Toutesfois Dieu veut qu' il en soit le premier infracteur, & lors voicy un nouveau mesnage qui se pratique entr'eux. Car Louys & Charles se liguent contre leur aisné avecques lequel Pepin son nepueu se mit de la partie, esperant que pour closture du jeu il trouveroit en luy quelque ressource contre Charles. Il ne fut point lors question de passer leurs affaires à l' amiable. Leur different se vuida en la campagne de Fontenay à trois lieuës pres d' Auxerre, où fut liuree une bataille la plus sanglante qui fut jamais en cette France, en laquelle mourut la fleur de la Noblesse de tous leurs pays: de là en avant ce fut rat en paille. Car ces Princes ayans affaires de guerriers & les guerriers de places à leurs bienseances, ils s' en firent accroire sans que leurs Roys les en ozassent bonnement desdire. En fin ils acheverent leurs querelles par où ils devoient commencer, & s' en rapporterent à quelques seigneurs de marque, lesquels apres avoir loti Lothaire comme aisné & Empereur, laisserent à Louys la plus grande partie de toute l' Allemagne, lequel de là en avant prit titre non de Roy de Bavieres, ains de la Germanie, & à Charles advint la Neustrie & autres pays circonvoisins, prenant pour cette cause qualité de Roy de France. Car comme j' ay dict nostre France Occidentale estoit lors appellee Westrie, & depuis Neustrie, à la difference de la France Orientale que l' on appella du commencement Ostrie, & par succession de temps Austrasie. Et à vray dire, c' est en luy auquel commença le plant de la France, tel que l' on a depuis veu continuer en la lignee de Hugues Capet. Or se donnerent-ils par leur partage la peau de l' Ours qui estoit en vie. Je veux dire non seulement ce qu' ils possedoient reellement & de fait, mais aussi ce qu' ils ne possedoient, ains pretendoient devoir posseder à tort ou à droit. Tellement que la paix generalle entr'eux arrestee, estoit un acheminement de nouvelles guerres, contre uns & autres seigneurs possesseurs, dont ils ne devoient avoir autres garends de leurs lots, que leurs glaives, ny pour ce partage toutesfois ils ne laisserent d' enjamber les uns sur les autres quand les occasions s' y presenterent. Qui fut cause pendant leurs divorces intestins, de donner voye aux Sarrazins dedans l' Italie, aux Hongres dedans l' Allemagne, aux Danois (que nous appellasmes Normans) tant en la France, qu' Allemagne: Et combien qu' auparavant ces derniers vinssent, si ainsi voulez que je le die, en nostre France a tatons, ils y vindrent sous Charles le Chauve en flotes, & depuis continuerent leurs inundations, guidez tantost de la riviere de Loire, tantost de celle de Seine, l' oree desquelles ils establirent leurs demeures premierement en la ville de Blois, puis en celle de Roüen & des environs.

Mais pour n' anticiper sur les temps, Charles le Chauve garny de son partage se voulut avant tout œuvre heurter contre Pepin son nepueu Roy d' Aquitaine, mais voyant qu' il y faisoit mal ses affaires, tourna visage tant contre les Bretons qui s' estoient donnez un nouveau Roy, que contre les Normans qui rodoient le pays d' Anjou, & de Touraine. Ausqueis il voulut opposer Robert grand Capitaine, yssu de Saxe, luy assignant un grand territoire sous le nom & tiltre de Marquisat, comme celuy qu' il destinoit pour defendre contr'eux les marches & limites de la Touraine & Anjou. Ce choix cousta puis apres la ruine totale des siens dedans cette France. Car c' est de luy dont de main à autre nasquit le Roy Hugues Capet. Ce que Charles le Chauve n' avoit peu gaigner par armes contre Pepin son nepueu, il pourpensa de l' obtenir par pratiques sourdes. Comme de fait ce jeune Roy trahy luy fut liuré par les siens, l' accusant d' exercer une cruelle tyrannie contr'eux, & tout d' une main fut rendu Moine par son oncle en l' Abbaye sainct Medard de Soissons où il paracheva ses jours, le Chauve se faisant couronner Roy d' Aquitaine dedans la ville de Bordeaux, Dieu ne le voulut pas rendre exempt de la punition qu' il devoit porter pour l' injustice par luy commise envers son nepueu. Parce que Carloman l' un de ses enfans le guerroya quelque temps apres. Vray qu' en fin vaincu, il fut condamné par le pere d' avoir les yeux creuez. Supplice auquel le pere avoit part, aussi bien comme le fils, ou bien nature manquoit en luy. Il n' est pas qu' il ne sentist une algarade du Roy de Germanie son frere sous le mesme pretexte que celuy avoit exercé contre son nepueu, d' autant qu' il fut solicité par quelques seigneurs de la France de vouloir s' emparer de l' Estat, pour mettre fin aux tyrannies que le Roy Charles exerçoit sur ses sujects. Sur cette sollicitation les portes de la France luy sont ouvertes, où sans autre destourbier il fut ordonné Roy dedans la ville de Sens, pendant que le Chauve estoit empesché contre les Normans, & advança grandement ses affaires, favorisé d' un esclair de fortune qui luy fit courte compagnie. Car ayant eu advis d' une nouvelle revolte qui se faisoit en Allemagne contre luy, pour y remedier, il y envoya ses gensdarmes & sujects qui luy estoient tres-fonciers, estimant que ceux qu' il s' estoit fraischement acquis le conserveroient en sa nouvelle dignité. En cecy grandement trompé de son opinion, parce que de la mesme facilité qu' ils s' estoient rendus à luy, ils s' en soustrahirent: Se reduisans sous l' obeïssance originaire de leur vray & legitime Roy. Et par ainsi se reconcilierent les deux freres par beaux semblans, en attendant commodité plus propice, pour empieter l' un sur l' autre. Je vous recite cecy, ne gardant point l' ordre des temps, pour monstrer en quel mesnage estoient lors les affaires de cette famille dedans nostre France.

L' Empereur Lothaire voulant faire penitence des torts & injures qu' il avoit procurees au Debonnaire son pere se rend Moine, delaissant tous & chacuns ses biens à ses enfans. Dont Louys son aisné fut Roy d' Italie, & Empereur, Lothaire son second Roy du païs d' Austrasie, qui depuis emprunta de luy le nom de Lotharingie, & Charles son dernier Roy de Provence, Dauphiné, Savoye, & d' une partie du Lyonnois. Charles meurt quelque temps apres, & delaisse son Royaume à ses deux freres qui le partagerent entr'eux sans fraude & malengin. Il fut suivy quelques ans apres par Lothaire qui n' avoit autre plus proche heritier que Louys l' Empereur son frere, lequel lors estoit empesché dans l' Italie à se defendre contre les Sarrazins, comme semblablement Louys Roy de Germanie son oncle encontre quelques siens sujects nouvellement revoltez. Il n' estoit pas adoncques question de les secourir par Charles le Chauve ainsi qu' il estoit obligé de faire, mais luy abusant de ces occasions, donna si bon ordre à son faict qu' en peu de temps il se rendit maistre & seigneur du Royaume de Lothaire, & comme tel se fit couronner Roy d' Austrasie ou Lotharinge dedans la ville de Mets. Nouvelle discorde entre les deux oncles, non pour rendre à Louys leur nepueu le bien qui luy appartenoit, ains pour le partager ensemble, & pour n' en venir aux mains, à Louys de Germanie escheurent les villes & contrees attenans le Rhin, & au Chauve, la Provence, le Dauphiné, & la Savoye. Cet Empereur Louys ainsi frustré par ses oncles decede n' ayant qu' une seule fille nommee Hermingarde: Charles le Chauve, qui estoit aux escoutes, adverty de cette mort negotie son fait de si bonne sorte avecques le Pape Jean huictiesme de ce nom, que moyennant une grande somme de deniers dont il luy fit present, ce Pape le couronna Empereur & Roy d' Italie le jour de Noüel l' an 876. luy vendant un droict auquel il n' avoit aucun droict. Toutesfois le seul tiltre coulouré de l' authorité de ce grand Prelat, luy rendit cette qualité asseuree: lequel tout d' une suitte s' achemine à Pavie, où en presence de tout le Clergé & de la Noblesse du païs, il se fit proclamer & couronner Roy de Lombardie. Je vous laisse icy les divisions & rumeurs qui se trouverent pour cette cause entre luy & le Roy de Germanie son frere: comme Carloman son premier fils voulut venir en l' Italie pour envahir l' Estat, & plusieurs autres particularitez, n' ayant icy entrepris de vous escrire toute cette histoire, ains de la vous monstrer au doigt en passant. Et me contenteray de vous dire, que tout ce qui fut lors entrepris contre le Chauve fut en vain: La fortune ne voulut permettre à Carloman de passer plus outre. Sur ces entrefaites Louys Roy de Germanie va de vie à trespas delaissez Carloman, Louys & Charles, depuis surnommé le Gras, qui tous porterent diversement titres & qualitez de Roys. Ce que je vous reciteray cy apres est un inventaire de morts violentes, & non naturelles qui se trouverent en cette famille. Charles le Chauve meurt apres en l' an huict cens septante huict, empoisonné par Zedechie Juif son medecin lors qu' il retournoit d' Italie. Auquel succeda Louys le Begue son fils unique, qui fut couronné Empereur par le Pape Jean, mais à vray dire il n' en porta que le masque. Il regna seulement deux ans, & mourut aussi de poison, tout ainsi comme son pere. Il eut deux enfans bastards, Louys & Carloman, & un legitime nommé Charles le Simple qui nasquit apres son decés. Cela fut cause que ses deux freres bastards entreprindrent sur luy la couronne de France, & regnerent quelques anees. Louys monté sur un bon coursier, poursuivant à toute bride par forme de jeu une Damoiselle, elle se lance dans une maison, ferme la porte sur soy, & ce Prince ne pouvant retenir son cheval fort en bride, se heurta de telle façon, qu' il se rompit les reins, dont il mourut. Apres sa mort Carloman son frere chassant fut tué par un sanglier, n' ayant qu' un fils nommé Louys, qui mourut dedans l' an de son regne. Et par ces trois morts, à Charles le Simple vray & legitime heritier devoit appartenir la couronne de France. Voila de quelles façons moururent ces quatre Princes chez nous. Ne pensez pas que les Princes Allemans furent de beaucoup meilleure condition. Car des trois enfans de Louys Roy de Germanie, Carloman mourut le premier, delaissé seulement Arnoul son bastard, auquel il donna par son appanage la Carinthie. Loys le Jeune eut un seul fils portant le mesme nom que luy, qui mourut du vivant de son pere d' une malheureuse mort. Car folastrant dedans une chambre avecques quelques seigneurs de son aage, il tomba casuellement du haut en bas d' une fenestre & se rompit le col: Suivy peu apres de son pauvre pere esploré. De maniere que toutes les grandes terres, Seigneuries & possessions qui estoient hors le pourprix de ce Royaume de France eschevrent à Charles le Gras restant seul & unique des Princes de ce cette famille qui habitoient outre le Rhin: Comme aussi dedans cette France ne restoit plus autre rejetton de cette grande famille des Martels que Charles le Simple.

Je commenceray par Charles le Gras, & puis acheveray par l' autre. Jamais ne se vit un si grand conflus de bonnes fortunes qu' en cettuy du commencement, & jamais Prince ne fut en fin touché d' un si malheureux revers que luy mesme, quand fortune luy voulut tourner visage. Car en moins de rien il se vit par le decés de ses deux freres, Empereur & Roy de tous les pays qui avoient esté possedez par Charlemagne son bisayeul. Manquoit à sa grandeur nostre Royaume de France, lors affligé par les courses des Normands, nostre Charles le Simple ne se trouvant assez suffisant pour leur faire teste, les François appellerent à leur secours l' Empereur Charles le Gras, & l' establirent Roy de la France, vray qu' il n' y fit pas grand sejour. Ainsi plaisoit-il à fortune, pour rendre la puissance de ce Roy generalement absoluë. Mais peu de temps apres, elle luy joüa un tour de son mestier. Car en moins d' un clin d' œil il fut abandonné de soy, de sa femme, de sa sœur Hildegarde, & de ses principaux favoris, & par mesme moyen de tous ses sujects. Je dis abandonné de soy: Parce qu' à un instant il devint stupide, & perclus de son cerveau: Je dis de sa femme, laquelle le voyant par cette indisposition, estre tombé au mespris de tous les siens, se fit separer d' avecques luy en plain Parlement, où elle jura que pendant dix ans qu' ils estoient demeurez ensemble, ils ne s' estoient cognus par attouchemens mutuels. Chose dont son mary fut d' accord. Je dis par Hildegarde sa sœur, laquelle d' un esprit bizarre, indignee du changement inopiné de son frere, au lieu de luy subvenir, sollicita à face ouverte ceux ausquels il avoit plus de fiance, de se soustraire de son obeïssance. Ce qu' ils firent; luy baillans pour son gouverneur, Arnoul bastard son nepueu, lequel sous ce tiltre s' empara des Royaumes de la Germanie & Italie, se faisant proclamer Empereur. N' estant resté pour tout partage que la mendicité à ce pauvre Prince, lequel fut contraint d' avoir recours, non aux armes pour le recouvrement de son Estat, ains aux larmes, & tres humbles supplications, a fin qu' il pleust à Arnoul luy bailler quelques terres pour son entretenement, ce qu' il fit, mais d' une main assez chiche. Tant ce pauvre Prince estoit tombé au mespris de tous. Histoire pleine de compassion & pitié, en laquelle je remarque deux Charles avoir esté grands terriens: Le premier surnommé le Grand, & l' autre le Gras: mais tout ainsi qu' en l' un residoit la vivacité de cœur, & en l' autre la pesanteur de corps & d' esprit, aussi produisirent-ils deux effects du tout contraires. Arnoul mourant laissa Louys son fils unique, successeur de son Estat, aagé seulement de sept ans, qui mourut, l' an neuf cens douze, en l' aage de dix-huict ans, sans hoirs procreez de son corps. Et en luy finit toute la posterité de Charlemagne qui habitoit outre le Rhin. Que si les loix introduites en faveur des successions, eussent lors eu lieu, il est certain que Charles le Simple, comme son plus proche parent luy devoit succeder. Mais ce fut un autre joüet de fortune, non moins miserable que Charles le Gras. Tant y a que par la mort de Louys, Conrad Duc de Franconie fut creé Roy d' Allemagne, & apres luy Henry Duc de Saxe, duquel vindrent les Othons, nouveau plant de Royauté en Allemagne. Restoit en cette France Charles le Simple, autre vray portraict entre les Princes de calamité & misere, dont premierement son bas aage, puis sa sottise furent autheurs & architectes. Car pendant son enfance, ses freres bastards usurperent sur luy la couronne, & depuis Eude son tuteur se fit couronner Roy de France, lequel mourant le restablit par son testament. Restably qu' il fut, il oublia tous les malheurs de son bas aage: & favorisant un Aganon simple gentil-homme, par dessus tous les Princes & grands seigneurs de la France, il engendra un si grand despit dans leurs ames, qu' en haine de ce seul object, Robert frere d' Eude comme son heritier se fit proclamer Roy de France, titre qui fut continué apres sa mort en Raoul Duc de Bourgongne son gendre. La France estant lors generalement affligee par le conflit de ces nouveaux Roys, contre le Simple, & entierpied par les Normans, qui sçeurent fort bien faire leur profit de ces longs troubles: en fin ce pauvre Roy finit ses jours dedans les prisons de Peronne, par les artifices d' Heribert arriere-fils de Bernard Roy d' Italie. De maniere que la Royne Ogine sa veufve fut contrainte de se retirer chez le Roy d' Angleterre son frere, avecques Louys son petit enfant, auquel pour ceste cause la posterité donna le surnom d' Outremer. Hugues le Grand, fils de Robert qui sans porter titre de Roy, fassoit trophees de nos Roys, semond Ogine de retourner en cette France avec promesse de recevoir son fils en son Throsne, comme il fit quelque peu de temps: Et neantmoins il ne fut au long aller gueres mieux traicté que son pere. Car laissant à part le demeurant de son histoire, Hugues luy fit tenir prison clause, un an entier dedans la ville de Laon, sous la garde de Thibault Normand soldat de fortune, qui dans les troubles s' estoit fait Comte de Chartres, homme du tout voüé à la faction de Hugues. Finalement ce jeune Roy estant remis en liberté, apres avoir esté diversement traversé, courant un loup, son cheval luy faut des quatre pieds, & le tua. Il avoit deux enfans masles, Lothaire, & Charles, celuy-là qui fut Roy de France par image tout ainsi que Louys d' Outremer son pere, cettuy-cy Duc de Lorraine, qui recogneut tenir son Duché en foy & hommage de l' Empire. Quelque temps apres Lothaire est empoisonné, auquel succede Louys son fils qui mourut de pareille mort. Et par son decez Hugues Capet fils de Hugues le Grand, s' impatronisa de l' Estat, sans qu' autre Prince luy fist contre-teste. Vray que deux ans apres Charles oncle de Louys, se souvint de s' y opposer, & prit les armes contre luy, mais un peu trop tard. Joinct qu' il avoit accueilly la haine publique des François, pour s' estre rendu imperialiste en son Duché. Fortune en fin pour abandonner de tout poinct cette famille, le fit liurer és mains de Hugues Capet, par la trahison d' Adalberon Evesque de Laon, auquel il avoit mis toute sa fiance. De là fut mené prisonnier avec sa femme & ses enfans en la ville d' Orleans, où ils moururent. Ainsi prist fin cette grande famille de Charles Martel en ce dernier Charles: & ainsi prindrent accroissement deux autres nouvelles familles: l' une des Othons dedans l' Allemagne, & celle de Hugues Capet dedans cette France. Pepin fils de Martel fut couronné Roy de France en la ville de Soissons l' an 750. Louys dernier Roy de cette famille mourut l' an 981. 75. ans apres la mort de l' autre Louys, qui fut aussi le dernier Roy des Carliens en Allemagne. La famille des Martels regna 237. ans en nostre France: celle de Capet jusques à huy, qui est la fin de l' an 1606. l' espace de 616. ans. Non sans recevoir unes & autres algarades, dont avec l' aide de Dieu elle s' est autant de fois garentie.

jeudi 6 juillet 2023

6. 11. Qu' il est quelquesfois dangereux de mesler les affaires d' Estat & du Palais ensemble,

Qu' il est quelquesfois dangereux de mesler les affaires d' Estat & du Palais ensemble, exemple icy representé, par le grand procés qui fut au Parlement de Paris, entre Madame la Regente Louyse de Savoye, mere du Roy François premier, & Charles Prince du sang, aisné de la maison de Bourbon, Connestable de France.

CHAPITRE XI.

Le Comte de Sainct Pol qui fut executé à mort l' an 1475. avoit ensevely avec luy la dignité de Connestable, jusques en l' an mil cinq cens quatorze, que le Roy François premier de ce nom sur le commencement de son regne la feit reviure en Charles Prince du sang, aisné de la maison de Bourbon. Ces deux Connestables esmeurent de grands troubles, mais comme le second estoit dans nostre France de plus grande estoffe, aussi porta-il plus de coup que le premier. Histoire dont j' ay le souvenir en horreur, laquelle merite d' estre enchassee dedans cest œuvre. Peut-estre servira-elle de quelque leçon à ceux qui sont prez des Roys. Et par ce que le commecement de cette grande tragedie fut joüé par gens de robbe longe, & le demourant par gens faisans profession des armes, je veux donner le present chapitre à la plume, & estre homme du Palais, & l' autre suyvant à l' espee, & me faire homme d Estat: Et d' une mesme main vous enfiler sommairement la genealogie des aisnez de la maison de Bourbon, & quelques actes que je pense appartenir au present discours, sans lesquels je ne pourrois vous faire bonnement entendre ce que je me suis projetté.

Du mariage de Robert (qui fut appennagé par le Roy Sainct Louys son pere du Comté de Clairmont en Beauvoisis) & de Beatrix, Dame de la Baronnie de Bourbon, nasquit Louys premier de ce nom: En cestuy on remarque deux choses: Une qu' il feit eriger la Baronnie de Bourbon en Duché & Pairrie, y annexant plusieurs villes & seigneuries pour le soustenement de cette grande dignité: L' autre que là où auparavant Robert son pere, & luy portoient le surnom de Clairmont, il prit celuy de Bourbon, pour luy & sa posterité, retenant toutesfois à soy les armes de France au baston de gueule, tesmoignage asseuré à ses survivans de son extraction Royalle: & de là en avant ce fut une loy en cette famille que le pere portoit le tiltre de Duc de Bourbon, & son fils aisné celuy de Comte de Clairmont. Ce Prince eut deux enfans, Pierre aisné, & Jacques puisné, qui est celuy auquel prit commencement l' illustre maison de Vendosme, dont nostre grand Roy Henry 4. prit sa source.

De Pierre Duc de Bourbonnois nasquit Loys second, & de luy Jean premier de ce nom, lequel en l' an 1400. espousa Marie fille unique de Jean Duc de Berry & d' Auvergne (oncle du Roy Charles 6.) lequel par le contract de mariage donna à sa fille (suivant la permission qu' il disoit avoir du Roy) le Duché d' Auvergne, faisant partie de son appennage, & encores le Comté de Montpensier qui estoit de son acquest. Et Louys donna aussi à Jean son fils le Duché de Bourbonnois, avecques les Comtez de Clairmont & Forest. L' une & l' autre donation faicte en faveur des enfans masles qui descendroient des futurs mariez. Et le jour mesme le Duc Louys feit une declaration, par laquelle il ordonna qu ' avenant que Jean son fils, & autres enfans masles nez ou à naistre, allassent de vie à trespas, sans hoirs masles, tellement que la ligne directe de masles vint à faillir, en ce cas les Duché de Bourbonnois, Comtez de Clairmont & Forest fussent unis à la Couronne. C' estoit à bien dire un troc, & au lieu du Duché d' Auvergne ancien domaine de France qui ne pouvoit tomber en quenoüille, ny par consequent és mains de la Princesse Marie, faire tomber en contreschange à la Couronne le Bourbonnois & Forest, ausquels elle n' eust eu aucune part defaillans les masles, sans cette nouvelle Ordonnance du Duc Louys deuxiesme de ce nom: Car quant au Comté de Clairmont, il n' en falloit aucune declaration, comme estant un appanage de France.

Du mariage de Jean de Bourbon & Marie de Berry vindrent deux enfans, Charles & Louys, & par partage fait entr'eux le 3. Fevrier 1417. Charles laissa a Louys son frere puisné le Comté de Montpensier, seigneurie de Combraille & autres qu' il n' est besoin icy de specifier.

Charles premier eut plusieurs enfans, mais entre autres trois, dont nous avons maintenant affaire. Jean second qui fut marié en l' an 1450. avec Jeanne de France, fille du Roy Charles 7. Pierre sire de Beaujeu qui espousa en l' an 1474. (son frere vivant encores) Anne de France, fille aisnee du Roy Louys unziesme. Et Marguerite qui fut conjointe par mariage avec Philippes Comte de Bresse, & depuis Duc de Savoye, dont issirent deux enfans, Philebert qui succeda à son pere au Duché, & Loïse de Savoye mere du Roy François I. de ce nom.

De Louys Comte de Montpensier nasquit Gilbert, qui eut cinq enfans, Louys, Charles, François, Loïse & Renee: Charles qui par la mort de Louys fut faict l' aisné de la maison de Montpensier, Loïse qui fut mariee à Louys Prince de la Roche-sur-yon, puisné de la maison de Vendosme, dont sont issus successivement Louys qui fit eriger le Comté de Montpensier en Duché, François son fils, & finalement Henry qui mourut en la ville de Paris en l' an mil six cens huict, sur la fin du mois de Fevrier, auquel est faillie la ligne masculine de Montpensier.

Je vous ay dict que le Roy Louys unziesme avoit baillé en mariage Anne de France sa fille aisnee à Pierre. Chose qui de premiere rencontre pourroit sembler estrange au Lecteur. Qu' un Roy de France eust voulu choisir pour son gendre un puisné de Bourbon, qui ne portoit qualité de Duc, Marquis, ou Comte, ains de simple sire de Beau-jeu, mesmes le Duc Jean son frere estant encores plain de vie: toutesfois quand vous entendrez la suitte de cette negociation, vous y verrez un Roy Louys unziesme tiré tout de son long au naturel. Il voyoit d' un costé Jean Duc de Bourbon, marié dix & neuf ans n' ayant enfans, & presque hors d' esperance d' en avoir: d' un autre costé un Pierre de Bourbon aucunement necessiteux: Parquoy comme il estoit Prince accort qui sçavoit aussi dextrement choisir ses advantages pour les mesnager sur du parchemin, que ses predecesseurs par les armes: Il estima ne devoir laisser envoler l' occasion qui se presentoit. Tellement que ce qui par un jugement commun le devoit destourner d' y entendre, au contraire par un particulier l' y porta: Le contract de mariage est fait & passé, auquel il ne voulut estre present, a fin qu' à l' advenir on ne dist que sa presence eust esté une contraincte cachee, mais pour suppleer ce defaut, quelques seigneurs de marque negotierent ce faict pour luy. Par le traicté de mariage entre autres conventions, le Roy donne pour les deniers dotaux de sa fille, cent mille escus, suivant la coustume de la maison de France (porte le contract) & en consideration de ce que Pierre espousa une fille de Roy, il consent & accorde entant qu' il le touchoit ou pourroit toucher (ce sont les propres paroles du mesme contract) que tous les Duchez, Comtez, & Vicomtez de la maison de Bourbon, advenant qu' il n' eust enfans masles de son mariage, appartinssent au Roy, & ses successeurs. C' estoit un Prince non grandement riche, qui recevoit manuellement cent mille escus, somme suffisante pour reparer aucunement les bresches de ses affaires, & exerçoit liberalité d' un bien auquel il n' avoit lors rien que par esperance. Qui ne fut pas un petit coup de rét jetté par Louys unziesme, vray que par la clause portant ces mots, En tant qu' il touchoit Pierre, ou le pouvoit toucher, apporta une obscurité, sçavoir s' il avoit entendu prejudicier à toute la famille de Bourbon, ou bien aux filles seulement qui descendroient de son mariage. Paroles qui appresterent matiere aux Advocats pour se joüer diversement de leurs langues au Parlement de Paris.

Le Duc Jean mourut quelques annees apres sans hoirs procreez de son corps delaissant par ce moyen pour son heritier son frere Pierre, lequel n' eut qu' une seule fille de son mariage qui fut appellee Suzanne, laquelle devoit estre mal lotie apres la mort de son pere par le moyen de la clause cy dessus mentionnee. Cela fut cause que sur l' advenement du Roy Louys douziesme à la couronne, le Duc Pierre obtint en l' an mil quatre cens quatre vingts dix-huict, trois patentes diverses, de mesme datte & substance, l' une pour le Duché de Bourbonnois, l' autre pour celuy d' Auvergne, & la troisiesme pour le Comté de Clairmont, par lesquelles le Roy permettoit que sans avoir esgard à la declaration de Pierre portee par son contract de mariage, Suzanne sa fille, & les enfans masles ou femelles, qui descendroient d' elle, peussent jouyr des deux Duchez & du Comté. De ces lettres presentees à la Cour de Parlement de Paris les deux concernans l' Auvergne & Clairmont ne furent publiees, ains seulement celles qui concernoient le Bourbonnois, & à publication s' opposa Louys aisné de la maison de Montpensier, dont il eut acte, & pour le surplus fut dit qu' elles estoient leuës, publiees & verifiees entant que touchoit l' interest du Roy seulement. Sage arrest, pour ce que la Cour estima que le Bourbonnois estoit naturellement de l' ancien estoc & patrimoine des seigneurs de Bourbon, ausquels nos Roys ne pouvoient rien pretendre sans la cause contractuelle de Pierre, à laquelle le Roy pouvoit facilement renoncer, & faire retourner les choses en leur premiere nature: mais quant au Duché d' Auvergne, & Comté de Clairmont, qui originairement estoient du Domaine de la France, c' eust esté pecher contre les reigles fondamentales de nostre Estat de les faire tomber en quenoüille. Le Duc Pierre voyant ce refus fiança en l' an mil cinq cens, sa fille aagee seulement de huict à neuf ans, avecques Charles de Vallois Duc d' Alençon, esperant par l' union de deux familles, de Vallois & Bourbon, estayer de telle façon sa cause que par multiplicité de jussions, il obtiendroit enfin du Parlement, ce dont il avoit esté refusé. Il meurt en l' an mil cinq cens trois, delaissee Anne de France sa vefve, chargee de sa fille, & encores de Charles de Bourbon son nepueu, Comte de Montpensier, jeune Prince, qui lors n' estoit aagé que de quinze ans, lequel avoit esté nourry & eslevé dés son bas aage en la maison du Duc Pierre, sa grande jeunesse ne permettoit qu' il eust cognoissance de ses affaires, & quand il en eust esté esclaircy, l' obligation qu' il avoit en cette famille, luy ostoit la volonté de reprendre les arrhemens de l' opposition formee par feu Louys son frere aisné. Toutesfois Louys, Prince de la Roche-sur-yon son beau-frere, s' en remua pour luy, & supplia Anne Duchesse, Doüairiere, de ne vouloir trouver mauvais, si pour la conservation des droicts de la maison de Montpensier il obtenoit lettres Royaux en forme de complaincte, sous le nom de Charles son beau-frere, pour la faire assigner en qualité de tutrice & curatrice, naturelle & legitime de sa fille Suzanne en la Cour de Parlement, sur ce qu' il pretendoit que tous les grandes biens de la maison de Bourbon estoient fondus par la mort du Duc Pierre en la personne du Comte Charles de Montpensier, aisné de cette famille. Cette premiere desmarche estonna aucunement la Duchesse, & la fit tenir sur ses gardes, toutesfois priee & interpellee plusieurs fois d' en communiquer avecques son conseil, enfin elle luy lascha la bride, ce qu' elle ne pouvoit empescher: Les lettres sont obtenuës, signifiees, & assignation à elle baillee en la Cour de Parlement à la requeste de Charles Comte de Montpensier.

Cette nouvelle escarmouche tint aucunement la Cour du Roy en rumeur. Au moyen dequoy le Roy Louys douziesme, Prince debonnaire s' il en fut oncques un en France, ne voulant que ce nouveau trouble qui pourroit apporter plus grands troubles, passast plus outre, fit assembler plusieurs seigneurs, tant de l' espee que de la plume pour examiner ce qui pouvoit estre de leurs droicts. Lesquels apres avoir eu communication des titres & enseignemens, furent par un sage conseil d' advis que sans approfondir plus amplement les droits des parties il falloit faire le mariage des deux jeunes, Prince & Princesse. Quoy faisant, en reünissant les deux branches c' estoit bannir toute l' obscurité qui pouvoit estre entre les deux familles, issuës d' un mesme tige. Conseil qui ne despleut au Roy, & moins à la Duchesse mere, & peut estre ce mesme project estoit entré en sa teste, quand elle permit d' obtenir les lettres. Cognoissant ce jeune Prince, qui estoit sa nourriture, estre de mœurs tres-agreables, & promettre beaucoup de luy: Les articles du mariage furent dressez au mois de Janvier 1504. du consentement du Duc d' Alençon, en presence du Cardinal George d' Amboise Archevesque de Roüen, Legat en France, des Evesques de Clairmont & de Rodés, des Ducs de Vendosme, & Longue-ville, Comte de Neuers & autres grands Seigneurs: Et selon mon petit jugement, jamais plus de prudence ne fut apportee en contract qu' en cestuy-cy. Car combien que dans iceluy on attribuast seulement à Charles la qualité de Comte de Montpensier, & à Suzanne, celle de Duchesse de Bourbonnois, comme si elle en fust Dame, toutes fois doüaire de dix mille liures par an luy est assigné sur les Duché d' Auvergne & Comté de Clairmont, & Anne de France mere fut assignee par le futur espoux de ses deniers dotaux sur le Duché de Bourbonnois. Tellement que par ce sage entrelas ils laisserent à l' arbitrage du Lecteur de juger qui l' on devoit estimer estre seigneur ou Dame de toutes les Duchez & Comtez. Chacun d' eux l' estant & ne l' estant point sans se faire tort l' un à l' autre, & au surplus les deux futurs espoux, par l' advis expres de tous ces seigneurs, à ce expressément commis & deleguez par le Roy, se firent donation mutuelle de tous & chacuns leurs biens presens & advenir, au survivant l' un de l' autre, comme pareillement feit la mere de tous ses biens, dont lors de son decés elle n' avoit disposé: le Roy n' y estoit present, parce qu' il estoit grandement affligé de ses gouttes, mais les articles luy estans apportez il les soubsigna, & au mois de May ensuivant, mil cinq cens cinq, fut le mariage consommé. La mere, la fille, & le gendre, faisans une demeure ensemble. La mere pretendant estre usufruitiere de Bourbonnois, Auvergne & Clairmont par les trois lettres patentes de l' an mil quatre cens quatre vingts dix-huict. En l' annee 1519. Suzanne se voyant aucunement mal disposee de son corps fit son testament, par lequel elle institua son mary son heritier universel, confirmant les conventions portees par son contract de mariage, à la charge que l' usufruict pretendu par sa mere, fust en elle continué. Deux ans apres, je veux dire en l' an 1521. elle alla de vie à trespas: Et par son decés la mere se pretendoit heritiere de sa fille par le moyen du SC. Tertulian en tous les biens du droict escrit, comme pareillement aux meubles & acquests au pays coustumier, la coustume generale de France, & singulierement en tous & chacuns les meubles: Parce que leur domicile estoit en la ville de Moulins, & qu' en matiere de meubles tous les autres en quelque pays qu' ils soient suivent la nature du domicile des parties: Droits qu' elle ceda puis apres & transporta avant que de mourir, ensemble le Vicomté de Chastelerault & Comté de Gien de son acquest, à Charles son gendre.

Jamais seigneur en cette France, n' estant fils de Roy n' estoit arrivé à si haut degré de fortune que luy, Prince du sang, Connestable de France, Gouverneur de Languedoc, doüé de plusieurs belles & rares vertus, tant de corps, que d' esprit, seigneur souverain de Dombes, Duc de Bourbonnois, & d' Auvergne, Comte de Clairmont en Beauvoisis, Forest, la Marche, Montpensier, Prince Dauphin d' Auvergne, Vicomte de Morat & Carlat, Seigneur de Beaujoulois, Mercueur, Combrailles, la Roche en Renier, & de Bourbon Lanceis, Pair & Chambrier de France. Terres & seigneuries dont luy & sa belle mere joüirent l' espace d' un an, par une mutuelle concorde, sans aucun destourbier, quand voicy son malheur qui luy dresse inopinément cette nouvelle embusche. Je vous reciteray une Histoire non escrite, mais que nous tenons depuis ce temps là de main en main pour vraye, par forme de tradition. 

Toutes ces singularitez que l' on voyoit reluire en ce Prince lors aagé seulement de trente deux ans, convierent Loyse de Savoye mere du Roy François premier de ce nom, de souhaitter son mariage. Chose dont elle le fit rechercher avecques une tres-grande instance. A quoy il ne voulut entendre; De vous en dire la raison, ce me sont lettres clauses, refus que cette Princesse porta fort impatiemment en son ame, bien deliberee de s' en vanger à quelque prix & condition que ce fust.

Manet alta mente repostum 

Iudicium Paridis, spretaeque iniuria formae.

Elle estoit Dame absoluë en ses volontez, desquelles, bonnes, ou mauvaises, elle vouloit estre creuë. Qui fut cause que par la voix commune du peuple on fit cet Anagramme de son nom & surnom, sans changement & transport d' aucune lettre, Loyse de Savoye, Loy se desavoye. Elle estoit assistee de messire Antoine du Prat Chancelier de France; qui avoit pris la premiere nourriture dedans le Palais de Paris, accroissement de fortune par la maison d' Angoulesme, sous le regne de Louys douziesme, & accomplissement de grandeur sous celuy de François premier. De maniere qu' il s' estoit du tout voüé aux opinions de sa maistresse, & la voyant resoluë à la ruine de ce Prince, ou du mariage, il luy bailla ce conseil. Que les biens dont jouyssoit le Connestable estoient de deux natures. Les uns provenans de l' ancien estoc de la famille de Bourbon, ausquels cette Princesse devoit succeder, comme plus proche lignagere, & les autres sujets à reversion à la Couronne par conventions contractuelles: Partant y devoient estre reincorporees. Qui seroit un party que le Procureur general soustiendroit pour la necessité de sa charge. Au demeurant qu' il y avoit une ancienne leçon dedans l' escole du Palais, que jamais le Roy ne plaidoit dessaisi. 

Et par ces moyens il pourroit advenir que sans entrer en involution de procés, le Connestable seroit tres-aise d' entendre au mariage dont estoit question, tout ainsi que la Duchesse Anne avoit fait pour sa fille Suzanne, lors qu' elle fut mariee avecques luy.

Voila le premier plan de cette cause, dont la suite fut telle que je vous deduiray presentement. Tout ainsi qu' au faict de la guerre deux armees ennemies estans campees l' une devant l' autre, on attaque plusieurs escarmouches, avant que de liurer la bataille, aussi fut fait le semblable en cette cause. Le Lundy unziesme jour d' Aoust mil cinq cens vingt deux, apres que le premier Huissier eut appellé à l' Audience l' intitulation des Rolles du Bourbonnois, Auvergne, Chastelerault, Clairmont, la Marche, sous les noms de Charles de Bourbon, & Anne de France Doüairiere & usufruitiere, Maistre Guillaume Poyet Advocat de Loyse de Savoye mere du Roy s' y opposa, & forma complainte en cas de saisine & nouvelleté, soustenant que toutes ces qualitez devoient tomber en sa partie. Ce jour y eut contestations d' une part & d' autre, & par Arrest la partie fut remise au lendemain par l' organe de messire Jean de Salva lors premier President au Parlement. Auquel jour Poyet reprenant les arrhemens du jour precedant particulariza tout au long ses moyens, par lesquels il pretendoit la succession devoir eschoir à la mere du Roy demanderesse. Bouchard pour Anne de France soustint que par le benefice du Tertulian, comme tous les biens assis au pays de droict escrit luy devoient appartenir, pareillement les meubles & acquests au pays coustumier. Adjoustant à tout cela qu' elle estoit Dame usufruitiere de tous & chacuns les biens. Maistre François de Montelon Advocat du Connestable, que tous ces grands biens ne pouvoient tomber en quenoüille, les uns de leur nature essentielle tenus en appagnage, les autres par conventions & dispositions anciennes: Partant luy appartenoient comme plus prochain masle & principal heritier. Eu esgard mesmement à son contract de mariage, & testament de feuë sa femme: & neantmoins demandoit delay, pour venir defendre peremptoirement & à toutes fins: Maistre Pierre Liset Advocat du Roy, pour le Procureur general, requit avoir communication des titres, disant que tel faisoit souvent lever le lievre, qu' il ne prenoit pas, ains tomboit inesperement és mains d' un autre qui n' y pensoit. Que cela pouvoit advenir en la cause qui se presentoit, qu' apres que les titres avroient esté par luy veus, peut estre se trouveroit-il, que les deux parties disputoient de la Chappe à l' Evesque (ce sont ses mots dont il usa) & que nul n' y avoit aucun droict que le Roy. La Cour par son Arrest ordonna que toutes les parties viendroient defendre à la complainte le lendemain de sainct Martin. Pendant lequel temps le Procureur general avroit communication des titres & enseignemens desquels seroit fait inventaire. Ce qui est fait. Advient entre tant, que Madame Anne de France decede, faschee tant de la mort de sa fille qui luy pesoit sur le cœur, que de cette nouvelle moleste, & par son decés Charles de Bourbon son donataire universel fut fait maistre & seigneur de tous & chacun ses biens, & mesmement des pretensions que cette grande Princesse avoit sur ceux de sa fille. La cause estant appellee à l' audience l' unziesme de Decembre ensuivant, Montelon demanda nouveau delay pour en venir, a fin d' estre suffisamment informé des droicts nouvellement escheus à sa partie. Chose empeschee par Poyet, soustenant que c' estoit une hypocrisie du barreau, & que Montelon par son premier plaidoyé s' estoit tellement ouvert que mal-aisément y pourroit-il apporter aucune chose de plus. Il fut ordonné par Arrest qu' on en viendroit au lendemain des Roys. Je trouve en Montelon deux grands traits de prudence: L' un quand le 12. d' Aoust faisant contenance de ne vouloir defendre, il estalla toutesfois de telle maniere son fait, qu' obtenant le delay par luy requis, il laissa pour closture de son plaidoyé, une bonne bouche de sa cause à toute la compagnie. L' autre quand l' unziesme de Decembre, combien qu' il fust armé de toutes pieces pour parer aux coups de son adversaire, ce neantmoins il rechercha tous les moyens à luy possibles, pour n' entrer en lice, voyant & la puissance, & l' animosité de la Princesse contre laquelle il avoit affaire. Qui est un secret que tout Advocat doit apprendre en telle occurrance, non qu' il ne faille estimer tous juges estre gens de bien, qui ne voudroient detraquer leurs consciences du bon chemin: mais tant y a qu' ils sont hommes, quand j' ay dit cette parole j' ay tout dit, & doit le sage en tels accessoires esquiver le plus qu' il peut, tout ainsi que le Nautonnier calle le voile à la tempeste.

De vous representer maintenant toutes les fleurettes des plaidoyez de ces grands Advocats, telles que portoit la Rhetorique de leurs temps, ny les raisons par eux diversement deduites, c' est un ouvrage que je n' ay icy entrepris. Je me contenteray de vous dire que Poyet plaida pour la proximité de lignage: Montelon pour la Masculinité, ores qu' en plus esloigné degré, & Lizet pour le droict de reversion au Roy & à sa couronne. Voila quel estoit l' air general des trois plaidoyez, & celuy qui sera quelque peu nourry au barreau, pourra recueillir du discours que j' ay cy dessus fait, & pieces par moy alleguees, les raisons sur lesquelles chaque Advocat se fondoit.

Grande cause veritablement, si jamais il s' en presenta de grande en la France, soit que vous consideriez la grandeur du sujet, ou des parties, ou des Advocats. Car il estoit question de deux Duchez, quatre Comtez, deux Vicomtez, plusieurs Baronnies, & Chastellenies, & une infinité d' autres seigneuries. Trois illustres parties, une mere de Roy, un Prince du sang Connestable, & finalement le Roy mesme. Trois signalez Advocats, Poyet, depuis Chancelier, Montelon Garde des Seaux, Liset premier President au Parlement de Paris. Une chose sans plus me desplaist que je ne puis passer sous silence. Les conventions concernans leurs droits estoient claires, sans art, sans fard, avec une naïfveté telle que l' on pouvoit souhaiter en Princes non nourris en la poussiere des escoles. Toutesfois quand ce vint aux lances baisser qui fut le 22. Fevrier 1522. 

je voy que ces trois grands guerriers s' armerent d' une Jurisprudence pedantesque mandiee d' un tas d' escoliers Italiens que l' on appelle Docteurs en Droict, vrays provigneurs de procés (telle estoit la Rhetorique de ce temps là.) Et tout ainsi qu' il est aisé de s' egarer dedans un touffe de bois, aussi dedans un pesle-mesle d' allegations bigarrees, au lieu d' esclaircir la cause, on y apporta tant d' obscuritez & tenebres qu' en fin par Arrest donné sur le commencement d' Aoust les parties furent appointees au Conseil, & ce pendant par provision ordonné, que tous les biens contentieux seroient sequestrez. Ce n' estoit pas saisir le Roy, mais bien mettant toutes ces Duchez, Comtez, Vicomtez, Baronnies & Seigneuries en main tierce, c' estoit une provision, qui sembloit reduire au petit pied diffinitivement la grandeur de ce Prince. Quoy faisant, combien que la mere du Roy deust avoir la moindre part au gasteau, si obtint-elle victoire de ses pensees. S' estant par ce moyen vangee de celuy que, pour avoir desdaigné son mariage, elle avoit sur tous les hommes du monde à contrecoeur. Vengeance qui fut depuis cherement venduë à la France, comme vous entendrez par le Chapitre prochain.