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mardi 23 mai 2023

2.2. Du Parlement Ambulatoire, & premiere introduction d' iceluy.

Du Parlement Ambulatoire, & premiere introduction d' iceluy. 

CHAPITRE II. 

Tous ceux qui ont voulu fonder la liberté d' une Republique bien ordonnee, ont estimé que c' estoit lors que l' opinion du souverain Magistrat estoit attrempée par les remonstrances de plusieurs personnes d' honneur, estans constituees en estat pour cest effect: & quand en contreschange, ces plusieurs estoient controullez par la presence, commandement & Majesté de leur Prince. Et vrayement qui voudra sainement discovrir sur le fait de nostre Monarchie, il semble que cest ordre ait esté quelquesfois tres-estroittement observé entre nous par le moyen du Parlement. Qui est la cause pour laquelle quelques estrangers discourans dessus nostre Republique, ont estimé que de ceste commune police, qui estoit comme moitoyenne entre le Roy & le peuple, dependoit toute la grandeur de la France. 

Les premiers qui meirent ceste noble invention sur les rangs, le feirent pour captiver par ce moyen le cœur & devotion des subjects: car nos anciens Maires du Palais, voulans unir en leurs personnes toute l' authorité du Royaume, & usans de nos Roys par forme de masque: pour ne se mettre en haine des grands Seigneurs & Potentats, introduisirent premierement une forme de Parlement annuel, qui se tenoit an mois de May, auquel presidoient nos Roys, assistez de la plus grand part de leurs Barons, & donnoient responce tant aux plainctes de leurs subjets, qu' aux Ambassadeurs qui venoient des pays estranges: le tout selon les instructions & memoires que souz main ils recevoient de leurs Maires. Ceste coustume depuis fut assez soigneusement observee par le Roy Pepin, lequel cognoissant qu' à tort il s' estoit emparé du Royaume, pour obvier à toute sedition intestine, & monstrer que de la seule grandeur ne despendoient toutes les affaires de France, assembloit selon les urgentes difficultez qui se presentoient, le corps general de ses Princes & grands Seigneurs, pour passer par leur determination & conseil. Ostant par ce moyen toute mauvaise & sinistre opinion que l' on eust peu avoir imprimee de luy pour l' injuste invasion qu' il avoit faict de la Couronne. 

Chose que Charlemagne son fils, qui n' aspiroit pas à petites choses, practiqua plus souvent que luy: Speciallement lors qu' il s' offroit quelque entreprise de guerres, ou qu' il deliberoit ordonner quelque chose à l' avantage de sa famille ou du Royaume universel. Et estoit l' usance de noz anciens Roys telle, qu' és lieux où la necessité les semonnoit, se vuidoient ordinairement les affaires par assemblees generales des Barons. Telles assemblees s' appelloient Parlemens, comme nous appellons maintenant celles où se fait un traicté de paix Pour parler de paix. Duquel mot de Parlement, celebré de la façon que je dy, vous verrez frequente mention dans la vieille histoire de sainct Denis és vies de Pepin, Charlemaigne, & Louys le Debonnaire.

Or se rendirent tels Parlemens beaucoup plus recommandez qu' auparavant soubs le regne du Debonnaire: Car tout ainsi que ce Roy estoit plus enclin an soulagement de son peuple, qu' à faire grands exploicts & chefs d' armes, aussi voulut-il principalement maintenir sa grandeur par telles solemnelles assemblees. Et à tant commencerent à se pratiquer, deux fois l' an d' ordinaire. Non toutesfois à jours certains & prefix, comme depuis soubs Philippes le Bel, mais selon ce qu' il se trouvoit bon au depart de telles congregations, on advisoit de la ville & du temps qu' on les renouvelleroit. En ce lieu donc se decidoient toutes affaires qui importoient de quelque consequence au Royaume: Estoient receuës par le Roy les Fois & Hommages des Princes estrangers : Et en ceste façon lisons nous en Theodulphe & Adon de Vienne qu' en un Parlement tenu à Compieigne, Thassile Duc de Bauieres avecques plusieurs grands Seigneurs de la Province vint promettre le serment de fidelité à Pepin & à ses enfans. Et dict Aimoinus Religieux de Sainct Germain des Prez (ja, dis appellé Annonius par alteration de lettres) que ce mesme Roy ayant reduict les Saxons souz son obeissance, leur feit promettre de luy amener tous les ans à chaque Parlement general trois cens roussins de tribut. Estoient semblablement emologuees les volontez du Roy, c' est à sçavoir celles qui concernoient le faict general de la France. Ainsi pout nourrir paix & concorde entre ses enfans, Charlemaigne leur donna assignation de partage en un Parlement, faisant jurer à tous grands Seigneurs & Barons de l' avoir pour agreable: En ce lieu de mesme façon se terminoient les differens des plus grands Princes, & principalement de ceux qui estoient accusez de trahisons, rebellions & crimes de leze Majesté, & comme il en prit à Tassille du temps de Charlemaigne au Parlement qui fut tenu joignant la ville de Majence, lequel par l' advis de tous les Barons pour ses frequentes & repliquees rebellions, fut condamné à mort. Qui luy fut neantmoins eschangee par la douceur de l' Empereur en un confinement de Religion & monastere, duquel jugement fait honorable mention Paul Aemile. Et du temps du Debonnaire, fut accusé en un autre Parlement, Theadagre Prince & Duc des Abodrites, & Tougon l' un des principaux des Sorabes: comme suscitans l' un & l' autre plusieurs factions & novalitez encontre la Majesté du Roy. A cause dequoy dict Aimoïnus, ou si ainsi le voulez Annonius, qu' il leur fut donné assignation à un autre prochain Parlement: auquel depuis ils se purgerent. Voire pour autant que le Debonnaire, outre son pere & son ayeul, adjousta en telles assemblees les Evesques & Abbez, se determinoient en icelles, plusieurs differents entre les Prelats. A ceste cause lit-on qu' une controverse meuë entre les Evesques de Lyon & Vienne pour raison de leurs Eveschez, tomba soubs la decision du Roy & de son assistance.

Certainement telles congregations (que noz Historiographes Latins appellent Placita, & nos plus vieilles Histoires Françoises, comme j' ay dict, Parlemens) estoient arrivees en tel degré d' administration, que non seulement elles sembloient être comme une ressource en laquelle respondoient les grands negoces de France, mais aussi les differens mesmes qui tomboient entre les estrangers estoient soubmis à leur arbitrage. C' est pourquoy raconte le mesme Aimoïnus (le quel j' employe icy plus souvent, pour autant qu' il fut du temps de Louys le Debonnaire) qu' en un Parlement que ce Roy tint en la ville de Francfort, auquel lieu se trouverent de toutes parts, François, Allemans, Saxons & Bourguignons, se presenterent deux freres d' une mesme nation, nommee Vvitzes (Witzes), laquelle par vœu & profession ancienne, exerçoit inimitiez mortelles contre nostre France, lesquels freres sur le debat qu' ils avoient de leur Royaume, s' en rapporterent à l' advis de l' Empereur de son Parlement, Par ce que Milegast, l' un des deux contendants, comme aisné avoit esté appellé au Royaume apres le decez de son pere, dont l' on l' avoit depuis dejetté, pour ses extorsions extraordinaires, & en son lieu investi du Royaume Celeadagre son puisné: En laquelle assemblee fut par commun advis & deliberation sententié en la faveur du puisné. Qui nous apprend & rend certains en quelle reputation estoient tels Parlements envers les nations estranges. Ceste police, qui avoit esté entre nous si religieusement observee soubs le Debonnaire, fut intermise par l' outrecuidance & orgueil de Charles le Chauve son fils, & depuis ramenee en valeur par Louys le Begue. Au moyen dequoy nos Historiographes racontent qu' il gaigna grandement le cœur des subjects à demy alienez, pour avoir esté telles assemblees mises soubs pied, & à non chaloir du vivant de son devancier. 

Voilà, selon mon advis, la primitive origine & institution des Parlements, lesquels tout ainsi qu' en un coup ils ne furent jettez en moule, *  selon la diversité des saisons trouvons nous qu' ils prindrent divers plis sous Hugues Capet & ses successeurs: Sous lesquels ils se continuerent encor plus frequentement que devant. Car combien que ce grand Prince occupé le tiltre de Roy, si n' en avoit-il presque que le nom: Par ce que tout de la mesme façon que luy en son endroict, aussi chasque gouverneur de Province se maintenoit être vray titulaire du lieu qui estoit demouré soubs sa charge. Et n' y avoit presque ville de laquelle quelque Gentilhomme de marque ne se fust enseigneurié. Chose que ce Roy nouvellement instalé, fut contrainct de passer par connivence. N' ayant pas dequoy respondre, comme autresfois avoit eu un Pepin encontre Eude Duc d' Aquitaine, qui voulut faire à l' advenement de luy le semblable. Parquoy Capet plus fin que vaillant, & qui par astuce seulement estoit arrivé à la Couronne, fit au moins mal qu' il peut une paix avecques tous ses grands Ducs & Comtes, qui commencerent deslors à le recognoistre seulement pour souverain, ne s' estimans au demourant gueres moins en grandeur que luy. Et certes quelques uns, non sans grand' apparence de raison, sont d' advis que la premiere institution des Pairs commença adonc entre nous.

Estans doncques ces grands Seigneurs ainsi lors unis, se composa un corps general de tous les Princes & Gouverneurs par l' advis desquels se vuideroient non seulement les differents qui se presenteroient entre le Roy & eux, mais entre le Roy & ses subjects. Qui fut une institution notable pour contenir ceste France en union, laquelle estoit ce neantmoins divisee en plusieurs Ducs & Comtes, qui amoindrissoient l' authorité du Roy de tant plus, que hormis le baisemain que par prerogative ils luy devoient, ils ne despendoient au surplus que de leur authorité & grandeur. Tellement que maintesfois ils guerroyoient particulierement le Roy mesme, & le reduisoient en grandes angusties. Toutesfois apres plusieurs guerroyements, chacun se soubmettoit à ce commun Parlement. Laquelle usance (presque de la mesme façon) avoit esté observee par les anciens Gaulois, lesquels combien qu' ils fussent partialisez en ligues, si avoient-ils tous ensemble un general ressort de la Justice, qui se manioit au pays Chartrain par leurs Prestres, qu' ils nommoient Druydes.

Il seroit mal-aisé d' estimer quel profit apporta depuis ceste invention à nos Roys. D' autant que par ce moyen, comme d' un Concile general, se gardoit esgalement droict & au Roy, & aux Ducs, & Comtes. Et neantmoins estant ce conseil à la *tte du Roy, comme celuy qu' entre les autres un chacun recognoissoit pour souverain. L' on trouva à la longue moyen de r' entrer en plusieurs terres par Arrests qui emanerent du Parlement, au desadvantage de plusieurs Seigneurs, desquels les seigneuries, voire les Duchez & Comtez par desobeyssance & forfaicture estoient declarez acquis & confisquez au Roy. En quoy se rendoient les Princes mesmes executeurs de tels Arrests. Car combien que le Roy n' eust quelques fois force à suffisance pour faire sortir plain effect aux choses arrestees, si estoit-il secouru par les autres Ducs & Potentats, qui estoient facilement induicts à luy donner confort & aide, comme despendant son droict de la Justice & raison. 

A maniere que petit à petit nos Rois temporisans & faisans, comme l' on dit, d' une main l' autre, sans que ces grands Ducs & Comtes y prinssent garde, remirent à leur domaine toutes leurs terres & pays, demourans Monarques & uniques Princes de la France. Car les Ducs que nous appellons aujourd'huy ne sont qu' une image des anciens sans grand effect.

Voire qu' au moyen de ceste souveraineté, le Roy s' estant petit à petit rendu le plus fort dans son Royaume, adonc commença de se renforcer la commune police à l' advantage de sa Couronne. A cause dequoy les appellations des Baillis & Seneschaux ressortissoient premierement au Conseil, Grands jours ou Eschiquier des Ducs ou Comtes, & de là en la Cour de Parlement: pour laquelle cause estant ceste Cour arrestee dedans Paris, eurent les Ducs & Comtes continuellement leurs Procureurs generaux pour deffendre leurs jugemens. Ainsi trouvons nous aux plus anciens registres de la Cour certaine ordonnance portant qu' ez pays que le Roy d' Angleterre tenoit dans les limites de la France, seroient receus les appellans tant en cause civile que criminelle, au Lieutenant du Roy d' Angleterre, ou au Juge qui en cognoistroit en son lieu, & la seconde appellation seroit tousjours à la Cour du Roy de France. Toutesfois si ce Lieutenant en cognoissoit en premiere instance, on en appelleroit à la Cour du Roy. De laquelle chose j' ay trouvé autresfois un exemple fort notable & digne d' être icy inseré. Le Vicomte de Bearn ayant deux filles, l' une qui eut nom Matilde, & l' autre Marguerite, celle-là fut donnee en mariage au Comte de Foix, & depuis instituee heritiere universelle par son pere, & ceste-cy mariee au Comte d' Armaignac. Le pere estant decedé, le Comte d' Armaignac debat ceste institution, s' aydant d' une coustume du pays, par laquelle il pretendoit que quand la succession tomboit en quenoüille elle se partageoit par égales portions. Sur quoy les douze Barons tindrent Cour majeur, & appellerent avec eux les Prelats & autres gens notables du pays. Finalement parties ouyes fut par eux le Vicomté de Bearn adjugé au Comte de Foix à cause de sa femme. Duquel jugement le Comte d' Armaignac appella à Bordeaux pardevant le Conseil & les commis au gouvernement de Guyenne de la part du Roy d' Angleterre Duc de Guyenne: Où par sentence il feut dit que ce jugement estoit bon & valable, & que mal sans grief Armaignac avoit appellé: De laquelle sentence il appella de rechef au Parlement de Paris, où il releva son appel, & en sont les lettres d' appel en la Cour, qui y furent apportees dedans un sac l' an 1443. apres la prise du Comte Jean d' Armaignac: Auquel sac il y a plusieurs choses concernantes les droicts du Roy. Et feut ceste lettre apportee par maistre Guillaume Cousinot, lequel par commandement du Roy feut delegué pour inventorier tous les tiltres & enseignemens concernans ce Comté.

Toutesfois pour ne m' eslongner de mon propos, & reprendre mon premier fil: Toutainsi qu' en ces Parlemens, le Roy tenoit le premier lieu, aussi estoit-il assisté de plusieurs grands Princes & puissans Seigneurs, que depuis nous avons appellez Pers ou Peres de France (à l' imitation des Patrices qui furent soubz les Empereurs) avec lesquels estoient plusieurs Conseillers & Assesseurs. Et pour autant qu' en ces Parlements ne se traictoient ordinairement que causes de grand poids, pour celles qui se presentoient communement en la Cour du Roy, l' on avoit de coustume d' employer, non seulement quelques Seigneurs de sa suitte, qui estoient du corps du Parlement, mais le Roy mesme souventes fois donnoit audience aux parties. Et en ceste façon recite le sire de Jonville que S. Louys, apres avoir ouy Messe, s' alloit souvent esbatre au bois de Vincenne, & se seoit au pied d' un chaisne, faisant asseoir aupres de luy quelques Seigneurs de son Parlement, prestant audience libre à chacun, sans aucun trouble ou empeschement: Puis demandoit à haute voix s' il y avoit aucun, qui eut partie, & s' il se presentoit aucun, l' escoutoit prononçant sa sentence sur ce qui s' offroit devant luy. Qui est à bien dire un acte digne de Roy, & symbolisant grandement avec celuy de l' Empereur Auguste, ou de l' Empereur Adrian, lesquels non seulement rendoient droict aux parties seans en leur tribunal, mais aussi le plus du temps pendant leur repas, quelquesfois dedans leurs litieres, telle fois couchez en leurs licts. Tant ils avoient peur que justice ne feust administree à leurs subjects. 

Or estoient ces Parlemens de telle & si grande recommandation, que Federic second Empereur de ce nom, en l' an mil deux cens quarante quatre, ne douta de vouloir remettre à iceluy tous les differens qu' il avoit avec le Pape Innocent quatriesme, ausquels n' y alloit que du nom & tiltre de l' Empire. Et est icy à noter que le Parlement pour lors ne se tenoit en certain lieu & designé: mais selon les occasions maintenant en une ville, puis en une autre, & destinoient les bonnes festes pour le tenir, tantost vers les festes de Pasques, Pentecoste, tantost vers celles de Noel, Toussainct, Nostre Dame de myAoust, selon les necessitez & occurrences. En memoire dequoy, le Parlement ayant esté faict sedentaire, l' on a eu tousjours de coustume les surveilles de telles journees, prononcer en robe rouge quelques Arrests de consequence, pour tenir comme lieu de Loy. Depuis se trouvans les causes en plus grande affluence, Philippes le Bel y voulut donner police telle que je deduiray au chapitre suyvant. 

samedi 1 juillet 2023

5. 2. Que la mort de Bernard Roy d' Italie petit fils de l' Empereur Charlemagne fut une mort d' Estat,

Que la mort de Bernard Roy d' Italie petit fils de l' Empereur Charlemagne fut une mort d' Estat, contre l' opinion commune de nos Historiographes.

CHAPITRE II.

Charlemagne auparavant que de mourir avoit faict Pepin son fils aisné, Roy d' Italie, & Louys son puisné Roy d' Aquitaine. Ce fut une Loy depuis observee en cette famille, qu' à l' aisné qui devoit succeder à l' Empire estoit donné le Royaume d' Italie, voire dés le vivant du pere mesme. Ainsi fut-il baillé par l' Empereur Louys le Debonnaire, à Lothaire son fils aisné, ainsi par le mesme Lothaire à Louys aussi son aisné. Le tout de la mesme façon que nous appellons aujourd'huy Roy des Romains, celuy est destiné à l' Empire apres la mort de l' Empereur: Tiltre qui a esté emprunté de cette longue ancienneté. Car entre le Roy d' Italie & des Romains, il n' y avroit pas grande difference qui accompagneroit le Roy des Romains de l' effect. Advint que le Roy Pepin meurt du vivant de Charlemagne son pere, & par sa mort transmit le Royaume d' Italie à Bernard son fils: Auquel consequemment si le droict de representation eust lors eu lieu, la Couronne Imperiale estoit deuë. Nos Historiographes nous enseignent que Louys dés le vivant de son pere avoit esté par luy associé, & faict compagnon de son Empire. De moy, je le veux croire avec eux, encores que le Prince Nitard petit fils de Charlemagne par sa fille Berthe, n' en face aucune mention en sa vie, Regnavit (dit-il parlant de Charlemagne) per annos duos & triginta, Imperijque gubernacula cum omni foelicitate per annos quatuordecim poßedit. Haeres autem tantae sublimitatis Ludovicus filiorum eius ex iusto matrimonio susceptorum novissimus, caeteris decedentibus succeßit. Qui ut pro certo patrem deceßisse comperit, Aquas ab Aquitania protinus venit, quo undique ad se venientem populum suae ditionis addixit. S' il eust esté fait Empereur dés le vivant du pere, ce placard meritoit bien d' estre icy enchassé. Et à vray dire, qui prendroit ce passage par la simple lettre, sans y apporter quelque commentaire, il sembleroit que Louys demeurant dedans l' enceinte de France, ayant eu les premieres nouvelles de la mort de son pere, eust gaigné le devant de Bernard son nepueu qui residoit en Italie, & l' eust supplanté de la benediction de son ayeul.

Or combien que je ne vueille pas aisément desdire en cet endroit l' opinion commune de cette association d' Empire, toutesfois je soustiendray librement, que jamais il n' y eut chose qui affligea tant l' Empereur Louys en son ame, que Bernard, lequel il fit quelque temps apres mourir, feignant qu' il s' estoit voulu rebeller contre luy. Qui estoit une accusation supposee pour apporter quelque excuse à cette mort. Je sçay bien qu' à cette parole j' arresteray tout court le Lecteur, pour estre le premier de ce nom qui mette cette opinion en avant. Je ne me veux point icy chatoüiller: mais voyez si mes conjectures sont bonnes, que j' emprunte de ceux mesmes qui accusent Bernard de rebellion.

Premierement la question n' est pas petite de sçavoir si ce crime de rebellion pouvoit tomber en celuy, qui se pouvoit pretendre estre fondé en juste tiltre par le moyen du droict d' ainesse qu' il pensoit estre fondu en luy par la representation du Roy Pepin son pere, fils aisné de Charlemagne. Mais laissant cette particularité en arriere, qui estoit toutesfois le motif de la crainte du Debonnaire, ceux qui nous ont redigé sa vie par escrit, disent que ce Bernard reduit aux termes de desespoir, voyant son oncle s' armer contre luy, le vint trouver en cette France, & se prosternant à ses pieds, le supplia tres-humblement de luy vouloir pardonner sa faute: comme feirent semblablement tous ses complices, & entre autres un Reginard son Connestable: Toutesfois qu' ils ne le peurent de luy obtenir, ains furent mis entre les mains de la justice, qui condamna entre les autres, Bernard à mort, & que l' oncle meu de pitié, voulut qu' il eust seulement les yeux creuez, dont ce jeune Prince indigné, mourut trois jours apres de regret. Voila le courant de cette histoire. Par tout le discours de la vie de Louys le Debonnaire, on le represente un Prince calme le possible, lent & tardif à se courroucer, prompt à se reconcilier, enclin à la misericorde, qui ne refusa jamais pardon à celuy qui luy demandoit, quelque conjuration qu' il eust auparavant brassee. Ainsi en usa-il envers Guinemark qui avoit fait revolter la Bretaigne contre luy: Ainsi à l' endroict de Berca Comte de Barcelone convaincu de crime de leze Majesté: ainsi à ceux qui avoient suivy le party de Lothaire son fils, commuant la condamnation de leurs morts en bannissemens, & ainsi à une infinité d' autres Seigneurs factionnaires. Bernard seul se trouva ne pouvoir joüir de cette clemence, lequel se tenant clos & couvert dedans son Royaume d' Italie, pouvoit longuement amuser les forces de l' Empereur, qui mieux aimoit le repos d' une Chambre, que la poussiere des champs, toutesfois comme asseuré de sa conscience, il se vint jetter entres ses bras: dont vient que l' oncle fut chiche de sa misericorde envers son nepueu, luy dis-je, qui en estoit prodigue envers ceux qu ne luy attouchoient de proximité de lignage. Je n' en rendray point la raison, ains le lairray juger par celuy, qui non preocupé d' opinion, se donnera le loysir de me lire. On me dira que pour me flater j' adjouste icy à la lettre, & que Bernard ne se presenta à l' Empereur, que lors qu' il ne sçavoit plus de quel bois faire fleches. Belle objection vrayement, qui la pourroit lier avecques ce qui s' estoit passé. Car quand Bernard vint en France, il n' avoit encores senty aucuns efforts de la guerre, ains seulement sur un bruit que son oncle s' armoit souz un faux donner à entendre que Bernard s' estoit remué contre luy. Tout cela, ce sont paroles (me dira quelque autre) bonnes à estre contestees en un barreau par des Advocats qui combatent pour la vraysemblance, & non pour la verité. Or entendez je vous prie ce que j' ay maintenant à vous dire. Charlemagne, outre Pepin & Louys ses deux enfans legitimes, avoit trois bastards, Dreux, Hugues, & Thierry. Voyez ce qu' en recite Nytard duquel je fais tres-grand fonds en cette histoire: lequel apres avoir touché, & la venuë de Louys en la ville d' Aix, & la reception qui luy fut faite par ses sujets, comme je l' ay icy dessus representé, dit ainsi: Fratres quoque adhuc tenera aetate Draconem, Hugonem, & Theodoricum participes mensae esse, quos & in Palatio una secum nutriri praecepit, & Bernardo nepoti suo Pepini Regnum Italiae conceßit. Qui quoniam paulò pòst, ab eo defecit, capitur, & à Bertmondo Lugdunensis provinciae praefecto luminibus pariter & vita privatur. Hinc autem metuens ne post dicti fratres, populo solicitato eadem facerent, ad conventum publicum eos venire praecepit, totondit, ac sub libera custodia commendavit. Pour le regard des bastards, on voit à l' œil une moinerie, ou pour mieux dire mommerie d' Estat, pardevant un Parlement & assemblee generale des Princes & grands Seigneurs: Et quant à la mort de Bernard, il y apporte quelque excuse en cette parole Defecit, comme aussi escrivant l' Histoire de son temps, & de son oncle, il luy eust esté aucunement mal seant de ne donner quelque lustre à cette mort. Mais le subsequent des bastards me fait juger de l' antecedant pour Bernard, & qui me fortifie plus en mon opinion, c' est que l' autheur qui donna entre les anciens plus de façon à cette histoire de rebellion, nous enseigne que le Debonnaire quelque temps apres espoint d' un bon instinct de sa conscience, en un solemnel Parlement qu' il tint en son Palais d' Attigny, fit confession & penitence publique de ces deux fautes par luy commises. Anno subsequenti (dit cet Autheur) domnus Imperator conventum generalem coire iußit in loco cuius vocabulum est Attiniacus: In quo, convocatis ad concilium Episcopis, Abbatibus, spiritualibusque viris, necnon Regni sui proceribus, primo quidem fratribus reconciliari studuit, quos inuitos attonderi fecerat. Post haec autem palam se erraße confessus, & imitatus Imperatoris Theodosij exemplum, poenitentiam spontaneam suscepit, tam de his, quam quae in Bernardum proprium nepotem gesserat: S' il y avoit eu de la rebellion au nepueu, il ne falloit point de penitence à l' oncle. La juste condamnation de l' un estoit la justification de l' autre. Et à peu dire entre les chefs, pour lesquels il fut depuis degradé de sa dignité Imperiale par le Clergé dedans la ville de Soissons, à l' instigation de Lothaire son fils aisné, cestuy concernant ses freres & son (neueu) nepueu estoit le premier. Eo quod fratribus & propinquis (portoit le narré de l' arrest) violentiam intulerit, & nepotem suum, quem ipse liberare poterat, interficere permiserit. Passage qui ne porte pas que l' Empereur eust fait mourir le Roy son (neueu) nepueu, ains que le pouvant empescher il ne l' avroit fait. Qui monstre qu' en cette mort il y avoit plus du fait des hommes, que de Dieu, ou de la Justice. Aussi estoit-ce l' un des points que Thegan coadjuteur de l' Evesque de Triers, reprenoit en luy particulierement, que pendant que comme devot il s' amusoit trop à Psalmodier, & comme adonné aux bonnes lettres, il consommoit la meilleure partie du temps à la lecture des livres, ses conseillers & favoris luy faisoient acroire tout ce qu' ils vouloient. Omnia cautè & prudenter agens (dit cet Autheur parlant de luy) nihil indiscretè faciebat, praeterquam quod consiliarijs suis magis credidit quàm opus esset. Quod ei fecit Psalmodiae occupatio, & lectionum aßiduitas.

Bernard ayant esté occis, son corps fut porté en la ville de Milan, où il repose. Et combien que toute l' Italie fust de là en avant du tout exposee sous la puissance du Debonnaire, & que la mort du jeune Prince fust excusee par les courtizans, sous le pretexte de rebellion, toutesfois au veu & sceu de l' Empereur on l' honora de cet Epitaphe dans la principale Eglise: Bernardus civilitate mirabilis, caeterisque pijs virtutibus inclytus Rex, hic quiescit. Regnavit an. 4. Mens 5. Obiit 15. Cal. Maij indict. II. filius piae memoriae Pepini. Epitaphe, si je ne m' abuse, qui faisoit le procez au procez qu' on luy avoit fait. Et qui me fortifie de plus en plus à mon opinion, c' est qu' Adon Evesque de Vienne qui florit vers le temps de Charles le Chauve, & s' estoit du tout voüé à la celebration de cet Empereur, se donna bien garde en sa Chronique de parler, ny de la mort de Bernard, ny de la degradation des trois freres bastards, comme estans pieces qu' il ne pouvoit debiter sans obscurcir cette histoire. Ce Roy Bernard laissa un fils unique, nommé Pepin, qui eut trois enfans, Bernard, Pepin, & Heribert Comte de Vermandois (que le commun de nos Annales appelle par abreviation Hebert). Cestuy entres autres siens enfans eut un Aldebert fils puisné. D' un autre costé Louys le Debonnaire fut pere de Charles le Chauve, duquel nasquit Louys le Begue, & de luy Charles le simple. Admirable justice de Dieu qui se trouve entre ces deux familles. Car soit, ou que pour asseurer son Estat souz le masque de rebellion, ou non, Louys le Debonnaire eust consenty à la mort du Roy Bernard son nepueu, tant y a que ceste playe saigna longuement.

Parce que Dieu voulut en ramantevoir la vangeance en la troisiesme generation de l' une & de l' autre famille, je veux dire jusques à Charles le Simple, que Heribert fit mourir dedans les prisons de Peronne: Et pour accomplissement de vangeance (chose pleine de honte & pudeur) Ogine veufve de Charles, convoia en secondes nopces avec Aldebert fils d' Heribert. Qui estoit assassiner tout à fait la memoire de son mary. En effet voila quel jugement je fais de cette Histoire, que je supplie tout favorable Lecteur vouloir prendre de bonne part.

lundi 5 juin 2023

3. 8. Des libertez de l' Eglise Gallicane sous la seconde famille de nos Roys.

Des libertez de l' Eglise Gallicane sous la seconde famille de nos Roys. 

CHAPITRE VIII. 

*Estant la grandeur du Pape telle que j' ay cy-dessus discouruë, & infiniment respectee en ce qui dependoit de la foy, pour la grande religion qui tousjours avoit reluy dedans Rome, cela fut cause que Pepin qui avoit la force de France en ses mains desirant faire tomber la Couronne en sa famille, eut recours au Pape de Rome, (ainsi que j' ay deduit en un autre chapitre) par lequel il fut proclamé Roy de France, & apres son decez Charles son fils fut aussi couronné Empereur. Tellement que de là en avant les Papes commencerent de s' accroistre dedans ce Royaume, en prerogative & grandeur d' une autre façon qu' auparavant. Car plus d' authorité leur donnoit-on, & plus l' on confirmoit la Royauté de nouvel adjugee à ceste seconde famille, à la confusion de la premiere. Et lors commencerent aussi de prendre tiltres plus hauts. Parce que tout ainsi que du commencement, ils avoient esté seulement appellez Evesques de Rome, puis Papes: aussi dés lors en avant on commença de les appeller, tantost Apostoles, tantost Apostolics, sans autre suitte de paroles: & eux mesmes quand ils parloient de leurs actions, avoient accoustumé d' user de ceste maniere de parler. Nostre Apostolat ordonne telle, ou telle chose. Outre que cela se remarque fort souvent dans l' ancienneté, il n' y a lieu toutesfois qui soit plus digne d' être noté que de Rheginon Abbé, qui estoit sur la fin de ceste lignee, vers le regne de Charles le Simple. Cestuy au premier livre de son Histoire, où il parle sommairement de la premiere famille de noz Roys, n' a autre mot dans la plume que celuy de Pape quand il parle du siege de Rome: mais quand au deuxiesme, il descend à la lignee de Pepin, tout aussi tost commence-il d' appeller le Pape ores Apostole, ores Apostolic, & sur tout n' use jamais du mot de Pape, qu' il ne l' appelle Pape universel, voire que quelques Evesques ne rendans honneur condigne au Siege de Rome, dit qu' ils blasphemoyent contre le Pape: & encores que ce changement de style procede plus en cest Autheur d' une simplicité Monachale, que de discours: si est-ce que de ceste simplicité nous pouvons recueillir la verité de l' Histoire. Ayant Rheginon escrit de ceste façon selon le moins, ou le plus d' authorité qu' il voyoit avoir esté prise par les Papes, selon la diversité des temps & saisons.

Or combien que l' authorité du sainct Siege Apostolic fut lors tres-grande, si ne faut-il estimer que pour cela s' esvanouist l' ancien usage de noz Concils, ny par consequent de noz privileges, ains furent diversement tenus soubz Pepin, Charlemaigne, & Louys le Debonnaire, sans en rien changer la forme qui avoit esté suyvie soubz noz premiers Roys, voire de plus grande efficace en plusieurs articles. Car entre autres choses il fut celebré un Concil à Verdun, pour la reformation de toutes les Eglises de France, & d' Allemaigne, par lequel en reprenant les arrhemens des anciens Peres, il fut ordonné qu' il n' y avroit en une Eglise qu' un Evesque: que les Evesques obeiroient aux Metropolitains, que l' Evesque avroit toute Jurisdiction sur son Clergé, tant regulier que seculier: Que deux fois l' an on tiendroit Concil en France, les premiers jours de Mars & d' Octobre, en telle ville qu' il plairoit au Roy: Que les Monasteres tant d' hommes que de femmes vivroient selon les reigles de leurs ordres, & s' ils refusoyent de ce faire, que l' animadversion en demoureroit par devers l' Evesque, & par appel par devant les Metropolitains, que le Roy entendoit constituer dessus les Provinces: Que les differends, qui pourroient sourdre entre le Metropolitain & l'  Evesque, seroient vuidez par la decision d' un Concil: Qu' une Abbesse n' avroit qu' une Abbaye, & defense à elle de sortir sinon par necessité, & encores avecq' le congé de son Evesque. Que l' excommunié ne pourroit entrer dedans l' Eglise, ny manger, ny boire avec un autre Chrestien, ny le saluër, ou approcher de luy pour prier Dieu qu' il ne se fust premierement reconcilié avecq' son Evesque. Et si dedans certain temps il ne se mettoit en devoir de faire lever les censures Ecclesiastiques, que l' on implorast le bras seculier encontre luy.

En ce Concil general passerent plusieurs autres articles notables, esquels n' est faite mention des Papes, non plus qu' en ceux qui furent tenus soubz Charlemagne, & Louys le Debonnaire, és villes de Paris, Compostelle, Strasbourg, Arles, Aix, Majence, Tours, Chalon, & autres situees, part en la France, part en Allemaigne, & Espaigne, lesquelles estoient souz la domination de ces deux Roys, & Empereurs. Et par especial est fait grand estat de cinq Concils, qui furent celebrez soubz Charlemaigne. Concilia quinque iussu eius (dit Rheginon, & apres luy Adon de Vienne) super statum Ecclesiarum per totam Galliam ab Episcopis celebrata sunt. Quorum unum Maguntia, alterum Rhemis, tertium Turonis, quartum *Cabilonis, quintum Arebate, congregatum est: & constitutiones, quae in singulis falta sunt, ab Imperatore sunt confirmata, quos qui nosse voluerit, in supradictis civitatibus investire poterit, quanquam & earum exemplaria in archivo Palatii habeantur. 

Les Evesques (dit-il) par le commandement de l' Empereur assemblerent cinq Concils parmy la Gaule, dont l' un fut à Majence, l' autre à Rheims, le tiers à Tours, le quart à Chalon, & le cinquiesme à Arles. Et toutes les constitutions qui furent faictes en chaque Concil, furent confirmees par l' Empereur: desquelles qui voudra avoir plus certaine information, il les pourra trouver en icelles villes, combien qu' il y en ait autant és archifs & thresor du Palais. Passage merveilleusement recommandable, pour montrer que non seulement la police Ecclesiastique de France s' assoit en ce temps là par noz Concils, mais aussi que l' on y requeroit l' authorité du Prince, tant pour l' ouverture, que confirmation d' iceux: Tout ainsi que pour le jourd'huy l' emologation d' une Cour de Parlement: Chose qu' il ne faut pas trouver estrange. Car aussi est-ce la verité que ces Concils, recognoissans prendre authorité par noz Roys, determinoient indifferemment ce qui concernoit tant la police seculiere, que Ecclesiastique. Qui fut à mon jugement cause que le mesme Rheginon, que j' ay cy dessus allegué, confond les mots de Synodus, & Placitum, combien que celuy-là fut seulement destiné pour les Ecclesiastiques, & cestuy pour les Seculieres. De là est pareillement venu qu' Ansegise Evesque reduisant par escrit les anciennes constitutions de Charlemaigne, & Louys le Debonnaire son fils, mesle & le spirituel; & le temporel dans icelles, le tout par un entrelas de puissance, a fin que tout ainsi que noz Prelats, par la tolerance, ou permission de noz Roys, jectoient l' œil quelquefois sur le reglement de la police seculiere, comme si ell' eust esté de leur fonds: aussi le Roy par le consentement general de tous les Prelats se donnoit Loy sur toutes les deux. Car il ne faut faire aucune doute que noz Roys n' eussent adoncques cognoissance de la discipline de leur Clergé. Et c' est aussi ce que nous enseigne Aimoïn au cinquiesme de son Histoire, quand il dict, que le Debonnaire fit publier un livre concernant la discipline Ecclesiastique. Ce dont cest autheur pouvoit seurement parler, d' autant qu' il estoit de ce mesme temps. Or dans ces Loix de Charlemaigne, & Louys, vous y pourrez recognoistre une infinité de sainctes constitutions, dignes de la grandeur de noz Roys. De quelle marque sont celles-cy. Qu' il ne fust loisible à un Evesque de promouvoir à l' ordre Ecclesiastic un Esclave, sans le gré & consentement de son maistre: Que les Vierges que lon vouloit faire Religieuses ne fissent profession qu' elles n' eussent attainct le vingt-cinquiesme an de leur aage: Que nul ne fust faict Prestre, qu' il n' eust trente ans passez, & accomplis: & que pareillement il n' eust esté bien & deuëment examiné: Injonction aux Prestres, c' est à dire aux Curez, de donner à entendre au menu peuple l' Oraison Dominicale, a fin qu' en priant Dieu, il sceust ce qu' il luy demandoit: Que les Evesques fussent éleuz par le Clergé & le peuple: & les Abbez par les Religieux: Commandement aux Evesques d' annoncer la saincte parole de Dieu à leur peuple: defenses de recevoir les enfans Religieux, ou Religieuses sans l' expres consentement de leurs peres: Que les hommes de franche condition ne peussent prendre clericature de l' Evesque sans prealable permission du Roy: & ce pour autant qu' il avoit entendu que plusieurs prenoient ceste qualité, non tant par devotion qu' ils eussent à Dieu, que pour s' exempter des charges seculieres qu' il leur convenoit supporter pour le service du Roy? Que chaque Seigneur fust tenu de nourrir ses mendians invalides sur sa terre & seigneurie, sans permettre qu' ils vaguassent ailleurs: Que les Eglises servissent à tous de franchise: De ne publier legerement, & sans grande cause des censures Ecclesiastiques: De n' ensevelir les morts dedans les Eglises, ains seulement aux Cimetieres: Que les Evesques donnassent ordre d' avoir escholes publiques en leurs dioceses pour l' instruction des enfans aux bonnes lettres. Defenses d' aliener le bien de l' Eglise, & aux Tabellions d' en recevoir les contracts, sur peine de bannissement: Que les dismes fussent conservees aux Eglises: Et plusieurs autres ordonnances de mesme subject que je passe pour briefueté souz silence, par lesquelles vous pourrez voir que ce n' est de ceste heure que noz Roys sont en possession d' avoir l' œil, & intendance sur la police Ecclesiastique.

Toutesfois les affaires de la France ne demourerent pas longuement en cest estat souz ceste famille. Car tout ainsi que toutes choses violentes ne sont jamais de duree, aussi ceste famille estant en peu de temps arrivee en une extremité de grandeur, elle esprouva souz trois Roys, trois aages, sa jeunesse souz Pepin, sa virilité souz Charlemaigne, & sa vieillesse souz Louys le Debonnaire. Car tous ceux qui leur succederent, ne firent, à mon jugement que radoter, ainsi que nous voyons quelques uns par leur aage decrepit tomber au rang d' enfance. Ce ne furent que partialitez, que divisions, tantost entre les freres, tantost entre les cousins, puis avecq' leurs propres subjects, jusques à ce que pour closture de ces tragiques spectacles, ils descheurent en fin totalement de leur Estat, par la promotion de Hugues Capet, soubz la lignee duquel on establit une nouvelle forme de Republique. Pendant lesquelles divisions le Pape qui par la confederation qu' il avoit faite avecq' les trois premiers Roys, communiquoit fort souvent avecq' les François, se donna plusieurs grandes authoritez sur noz Roys, auparavant incogneuës: & encores dessus noz Prelats, lesquels mesmement tournans en abus les Concils anciens de la France, & ce qui estoit de devotion, s' oublierent tant que pour gratifier à l' ambition detestable des enfans Louys le Debonnaire qui ne feit jamais faute aux siens que par une trop grande simplicité, que nous avons couvert du mot de Debonnaireté) feirent un Concil à Lyon, quelques uns disent à Soissons, où ils excommunierent leur Roy, & le declarerent incapable, & indigne tant de l' Empire, que du Royaume, permettans à ses enfans de s' en emparer. Ce qui fut apres cher vendu à noz Ecclesiastics. Parce que depuis cest ambitieux Concil, je ne voy plus gueres en usage ceste dignité ancienne de Concils, ou par une juste vengeance de Dieu, pour avoir ainsi temerairement abusé de leur authorité au prejudice de leur Roy, ou bien que les Roys mesmes faicts sages par cest exemple, en voulussent retrancher l' authorité & l' usage. Car combien que l' on celebrast puis apres quelques Concils, si ne furent ils de telle efficace que les anciens. Quoy que foit, depuis ce temps là les Papes gaignerent grande puissance dessus nos Prelats, & au lieu où auparavant quelques uns d' entre eux affligez s' estoient retirez en la ville de Rome comme en une ressource de leurs afflictions pour en tirer quelque honneste support, & ayde, ainsi que firent Maxime, Brice, Salon, Sagitaire, Urcissin, on commença de là en avant d' abreger ce mot, & d' une ressource en faire un ressort, & appeller au Pape des torts & griefs, que les Ecclesiastics pretendoient leur avoir esté faits par leurs confreres. Pareillement le Pape eut souvent des Legats en France, qui s' en faisoient croire. Chose à quoy la porte fut d' autant plus aisec à ouvrir qu' avecq' l' ambition s' estoit en ce temps là logee l' ignorance chez nous. Car Rheginon nous tesmoigne que deux Legats du Pape estans retournez de France à Rome, rapporterent au Pape Nicolas premier, que jamais ils n' avoient trouvé tant d' asnerie, que celle qui estoit lors en nostre Eglise: n' y ayant un tout seul Prelat qui fust sainement nourry aux constitutions Canoniques. Au contraire à peine que Rome eut jamais un Pape de plus grand sens que Nicolas (je n' en excepteray ny Leon premier, ny S. Gregoire) en ce mesmement qui appartenoit à l' accroissement du siege de Rome. J' ay dit en quelque autre endroict qu' entre tous les Papes, il y en eut trois, ausquels la Papauté estoit grandement redeuable, qui furent premiers de leurs noms, Leon, Gregoire, & Nicolas, dont les deux premiers furent par la posterité surnommez les Grands. Leon comme grand Prelat qu' il estoit, pour le respect qu' on luy portoit, fut le premier de tous les Papes qui receut le titre d' Universel au Concil de Chalcedoine, par ceux qui presenterent requestes. Et ores que Gregoire premier combatist fortement contre ce tiltre, craignant que le Patriarche de Constantinople ne le prist, & que par ce moyen il ne se voulust prevaloir d' un degré dessus l' Eglise de Rome, comme celuy qui avoit quelque faveur pres de l' Empereur Maurice: si est-ce que ce grand & sage Prelat Romain couvoit ceste mesme grandeur dans sa poictrine, comme j' ay deduit ailleurs, mesmes qu' en l' une de ses Epistres il soustient que le Constantinopolitain estoit subject au Pape de Rome. Toutesfois ce procez, qui sembloit estre pendu au croc, fut bravement, & hardiment jugé par Nicolas premier, escrivant tant à Michel Empereur de Constantinople, qu' à Phocius Patriarche pour la defence d' Ignace, qu' il jugeoit avoir esté soubs un Concil feint, & simulé mal exterminé de son siege. Car il leur monstre par vifves raisons que le sainct siege Apostolic estably dedans Rome, ville par les anciens nommee Eternelle, tenoit ses privileges, non par emprunt d' un Concil de Constantinople, ou de Chalcedoine, ains en proprieté de Dieu, & de la saincte Escriture. Partant qu' il n' estoit en la puissance d' aucun Prince terrien de les deraciner. Qu' à S. Pierre, duquel luy, & les Papes estoient vicaires, avoit esté baillee puissance de par Dieu universellement sur toutes les Eglises du monde, & que le seul mot de l' Eglise Romaine contenoit ce que ce grand seigneur vouloit être compris sous le nom de toutes les Eglises, desquelles pour ceste cause luy appartenoit avoir le soin. Qu' il n' y avoit en tout cest Univers, auctorité quelle qu' elle fust, qui se peust parangonner à l' Apostolique, & que ce qui s' estoit passé par jugement, ne pouvoit être en aucune façon retracté. Que les anciens Canons avoient voulu que de tous les Climats du monde on peut appeller au sainct Siege de Rome, mais que nul ne pouvoit appeller de luy. Et adjoustoit puis apres, que nulle reigle, nulle coustume n' enseignoit que l' on peust sans l' expres consentement du Pape anuller une sentence par luy donnee. Bien la pouvoit-il luy mesmes reformer selon l' exigence des affaires. Que de toute ancienneté les Papes estoient en possession de ceste grandeur dés le bers mesme de nostre Eglise. Qu' ainsi Victor, qui n' estoit grandement eslongné du temps des Apostres, avoit excommunié les quartodecimains de l' Asie: Que Jules avoit donné assignation à Athanaise, & ses Coevesques de comparoir à Rome par devant luy: A quoy liberalement ils obeirent. Que Felix avoit destitué Acarius de son Evesché de Constantinople: & Agapit condamné Antoine Evesque du mesme lieu. Pour ces causes, que ce qui estoit ordonné par le S. Siege de Rome de son propre mouvement, & puissance absolue, ne pouvoit être revoqué en doute, quelque coustume à ce contraire que l' ignorance du temps eust apportee.

Plusieurs autres raisons alleguoit ce grand prelat, authorisees de maints exemples, dont ores que les aucuns peussent recevoir quelque contredit pour l' histoire seulement, si est-ce que qui lira ces discours, il les trouvera pleins de fonds, jugement & entendement, pour le subject qu' il traitte: & si j' ay quelque sentiment en ceste affaire, & que l' on me permette d' y interposer mon jugement, je croy qu' à cestuy appartenoit le surnom de Tres-grand, non qu' il excedast de sens, Leon & Gregoire premiers: mais il en eut autant qu' eux, tant de naturel que d' acquis, és choses, où il vouloit donner attainte. Et outre ce il trouva le temps propre, & favorable, pour mettre à execution ses desseins, qui est le poinct qui nous fait paroistre plus grands entre les hommes. Car * faut pas estimer que Pirrhus & Annibal fussent moindres en vaillance, ou conduitte, qu' Alexandre de Macedoine, ou Jules Cesar: mais lors que les deux premiers heurterent leur fortune contre l' Estat de Rome, il n' estoit encores disposé à prendre coup, pour une infinité de raisons, comme il fut du temps de Jules Cesar, & celuy d' Asie du temps d' Alexandre. Aussi ne fais-je aucune doute que si Leon ou Gregoire fussent tombez sous le siecle de Nicolas, où les affaires de nostre Eglise estoient en desarroy, ils n' eussent fait ce que fist Nicolas, & luy en leurs temps ce qu' ils firent & non plus. Mais puis que cestuy couronna l' œuvre, tout ainsi que ces trois Papes furent premiers de nom, & d' effect, aussi penseroy-je faire tort à l' histoire, si je ne donnois au troisiesme sinon le tiltre de Tres-grand, pour le moins le tiltre de Grand, tout ainsi qu' on fait aux deux autres. 

lundi 29 mai 2023

2. 13. Des Comtes, Baillis, Prevosts, Vicomtes & Viguiers.

Des Comtes, Baillis, Prevosts, Vicomtes & Viguiers

CHAPITRE XIII.

Les Comtez premierement n' estoient dignitez de telle parure comme nous le voyons aujourd'huy, ains de leur primitive institution estoient mots appropriez presque à toutes manieres d' estats qui estoient autour des Empereurs de Rome, rapportans les anciens, l' effect de ceste diction à la signification Latine. Pour laquelle cause estoient appellez ceux qui avoient superintendance, ou sur le Palais, ou sur l' Escuyrie, ou sur l' Espargne de l' Empereur, Comtes du Palais, Comtes d' Estable, & Comtes des Largitions, & ainsi presque de tous les autres. Verité est qu' à l' imitation de ceux-cy, les Courtizans, & Gentils-hommes qui estoient pris de la suitte des Empereurs pour aller gouverner les Provinces, prindrent semblablement en plusieurs endroicts ce tiltre de Comte: Comme nous voyons être faite assez frequente mention des Comtes de la Marche d' Orient. Et petit à petit ce nom s' espandit de telle façon, qu' il n' y avoit ville qui n' eust son Comte pour juge. Voulant chaque Juge rapporter sa grandeur, comme s' il eust esté tiré de la suitte & compagnie des Empereurs. De là vint que les François arrivans aux Gaules, y trouverent presque ceste generale police plantee, laquelle ils ne voulurent changer non plus que plusieurs autres. De ces Comtes ayans ainsi charge & superintendance de la commune Justice, vous trouverez être souvent faicte mention dedans les loix de Charlemaigne, & de Louys le Debonnaire son fils lesquelles en la plus part de leurs chapitres, ne chantent d' autre chose que la diligence que les Comtes doivent faire en leurs Comtez à rendre droit à chacun. Et fut cecy cause que sur une mesme ville y avoit un Duc, puis un Comte. Mais le Duc ayans sous soy plusieurs Comtes comme celuy qui estoit Visroy & Gouverneur, ainsi que j' ay deduit cy dessus, & les Comtes establis pour le faict de la Justice. Gregoire au chapitre septiesme du troisiesme de ses Histoires, dit qu' Ennode, qui estoit Duc de Tours & de Poictiers, fut osté de sa charge par le Roy Childebert, à l' instigation & pour suitte des Comtes d' icelles villes. Or comme ainsi fust que les Comtes prestassent residence assiduelle sur les lieux, comme Juges ordinaires des villes: & que pour ceste cause ils peussent commettre plusieurs abus & malversations, qui ne leur eust fait controlle: Pour y obvier, noz Roys s' adviserent d' une nouvelle police. Ils deleguoient certains Gentils-hommes de leur Cour, qui avoient tous leurs territoires distincts, desquels l' office estoit de vaguer par leur ressort, & cognoistre si les Comtes exerçoient bien & deuëment leurs offices, & s' il venoit quelque clameur du peuple encontre eux, ils en faisoient puis apres leur rapport au Roy. Ceux-cy exerceans cest office estoient appellez par nos anciens (Missi) desquels il est faict expresse mention en la Decretale premiere, au tiltre des immunitez des Eglises, dans laquelle il est dit en tels termes. 

Ut in domibus Ecclesiarum neque Missus, neque Comes, vel iudex publicus, quasi pro consuetudine, Placitum teneant, sed in publicis locis domos constituant, quibus placitum teneant. Qui est à dire: Nous defendons que l' Envoyé, le Comte, ou autre Juge public, ne tiennent point leurs plaicts dans les Eglises, souz pretexte de quelque coustume, ains qu' ils se pourchassent ailleurs un lieu pour ce faire. Qui monstre que lors que ceste constitution fut bastie, les Comtes estoient encores juges, & outre plus qu' il y avoit une autre espece de Juges, qui estoient appellez Missi. Aimoïn au chap. centiesme du 3. livre, les appelle d' un mot plus elegant (Legatos) & au dixiesme chap. du 4. Fideles ac creditarios à latere. Nos Croniques Françoises redigees par escrit du temps de Charles VIII. les ont appellez Messagers, & speciallement en un lieu, où parlant de l' Empereur Louys le Debonnaire, elles font mention, & des Comtes & des Messagers qui estoient en ceste France commis à l' exercice de la Justice. Lors (porte le passage) n' entrelaissa pas l' Empereur qu' il ne pensast du profit de la commune. Car il fit avant venir ses Messagers qu' il avoit envoyez par tout le Royaume, & s' enquist diligemment de chacun comment il avoit exploité. Et quand il sçeur qu' aucuns de ses Comtes avoient esté paresseux & lasches de leurs terres garder, & de prendre vengeance des latrons, & des mal-faicteurs, il les condamna par diverses sentences, & les punit de telles peines comme ils avoient deservy pour leurs paresses. Si doit-on cecy entendre, que ce n' estoient pas Comtes qui fussent Princes, ne hauts Barons qui tinssent Comtez, ne heritages, mais estoient ainsi comme Baillifs, que l' on ostoit & mettoit à certain temps, & punissoit de leurs meffaits quand ils le desservoient. Auquel lieu il ne faut pas estimer que ce qu' il compare le Comte au Bailly, il entende que ce feussent mesmes estats: mais le compilateur de ces Croniques a voulu dire qu' anciennement les Comtes n' estoient constituez en telle dignité & preeminence comme ils furent depuis, ains exerçoient l' estat de judicature à leur vie, comme de son temps les Baillis. A laquelle opinion Robert Gaguin & tous autres qui font tant soit peu nourris en l' ancienneté de nos Histoires, condescendent sans difficulté.

L' estat donc de ces Messagers estoit, de vacquer par tout leur ressort (que nos ancestres appellent Missaticum) & cognoistre si les Comtes faisoient bonne & loyalle Justice. Pour laquelle cause au 4. livre des ordonnances du Debonnaire article 64. estoit porté en termes Latins. Que nul Messager n' eust à faire longue demeure, ny convoquer le peuple aux endroits où il trouveroit les Comtes avoir fait bonne Justice, ains qu' il s' arrestast seulement és lieux esquels il trouveroit la Justice avoir esté mal ou negliemment administree.

Outre ce, estoit leur jurisdiction fondee sur peages & tributs. Avoient l' œil sur les Fiefs & vassaux du Roy (car les causes communes & de legere estofe appartenoient aux Comtes) estoient chargez de faire sommaires descriptions des cens & rentes qui appartenoient au Prince, & combien de serfs & esclaves estoient compris soubz chaque fief. Et si paravanture, faisans le faict de leur charge, il se presentoit cause d' importance, estoient tenus d' en faire leur rapport au Roy. Comme de toutes ces choses nous nous sommes acertenez par les ordonnances de Charlemaigne & du Debonnaire. Quelquesfois aussi leur estoit enjoint de rapporter aux Parlemens ce qu' ils avoient exploité pendant leur voyage, comme nous voyons dans Aimoin au quatriesme livre de ses Histoires chapitre quinziesme. Il commanda (dit-il) à ses Messagers d' aller par chaque Comté, pour nettoyer le pays d' un tas de meschans garniments, qui ne faisoient que piller: à la charge, que s' ils trouvoient resistance, ils prissent confort & aide tant des Comtes, que des gens des Evesques, pour deffaire ceste canaille. Leur enjoignant, que de tout ce qu' ils avroient fait, ils luy en vinssent faire rapport au prochain Parlement, qu' il devoit tenir en la ville de Uvorme (Worme, Worms). Qui sont tous actes qui se conforment directement à noz Baillis, & dont nous devons estimer leur estats avoir esté pris. D' autant qu' encores pour le jourd'huy cognoissent-ils du faict, & causes des Prevosts qui sont au lieu de ces Comtes, ont specialement cognoissance des matieres des Nobles & des fiefs, cognoissent seuls entre les autres Juges, des matieres domaniales du Roy. Et mesmes, tout ainsi qu' anciennement ces Messagers visitoient les Provinces qui estoient de leur charge, pour faire droict à chacun, aussi comme pour image & simulacre de cecy, furent pratiquees entre nous les Assises que les Baillis avant l' Edict des Juges Presidiaux, avoient accoustumé de tenir de Prevosté en Prevosté qui estoit de leur Bailliage. Toutes lesquelles choses ainsi rapportees piece à piece, nous rendent asseurez dont est procedee l' origine de noz Baillis. Chose que l' on peut encores descouvrir aisément à l' œil par un vieil passage du grand Coustumier de Normandie. Car comme ainsi soit que l' Estat du Bailly & du Seneschal soient tout un, & different sans plus, de noms, se trouve au chapitre dixiesme, l' Estat du grand Seneschal de Normandie être en ceste façon expliqué. Anciennement souloit descovrir par le pays de Normandie un Justicier greigneur, qui estoit appellé le Seneschal au Prince. Il corrigeoit ce que les autres bas Justiciers avoient delinqué, gardoit la terre du Prince, les loix & les droicts de Normandie *il faisoit garder: Et ce qui estoit moins, que deuëment faict par les Baillis, il corrigeoit les ostoit du service du Prince, s' il voyoit qu' il les convint oster: il visitoit les forests & les hayes du Prince, & revoquoit les forfaits, & s' enqueroit comme ils estoient traictez: Et la paix du pays fermement il entendoit: principalement à faire: Et ainsi en descourant par Normandie de trois ans en trois ans, visitoit chacunes parties & Bailliages d' iceluy. A celuy appartenoit en chacun Bailliage d' enquerir de ces excés, & des injures des soubs-Justiciers. Qui monstre bien qu' estans les baillis reduits chacun en leurs ressorts au païs de Normandie, encores fut erigé un estat par dessus eux, qui fut nommé grand Seneschal, qui est autant que grand Bailly: lequel faisoit les mesmes chevauchees qu' avoient fait anciennement les Baillis. Mais tout ainsi que ceux qui estoient particuliers, les faisoient seulement dans les destroicts de leurs Bailliages, aussi celuy-là qui estoit le grand & general, les faisoit sur tout le Duché.

Or furent ainsi appellez à mon jugement ces Baillis, pour autant que de leur premiere origine, ils estoient baillez & envoyez en diverses Provinces, par noz Roys. Ou bien sans aucune alteration de lettre, Baillis, comme conservateurs & gardiens du bien du peuple encontre les offences qu' il eust pou encovrir des Juges ordinaires. Tout en mesme façon comme de nostre temps, le Roy Henry II. voulant eriger un Magistrat en chaque Bailliage qui eust l' œil sur les Baillis & Prevosts, pour en faire son rapport au Conseil Privé du Roy, le voulut intituler, Pere du Peuple: Car le mot de Bailly en vieil langage François, ne signifioit autre chose que Gardien, & Baillie, Garde: Jean de Melun en son Romant de la Roze

Cœur failly

Qui de tout dueil est bailly.

Et en autre endroit, où Faux semblant se vante que Contrainte abstinence est en sa garde & protection.

M' amie Contrainte abstinence

A besoin de ma pourveance,

Pieça fut morte ou mal sortie,

S' elle ne fut en ma baillie.

De la mesme façon voyons nous que dans la plus grand part de noz Coustumes de France nous appellons ceux Baillis ou Baillistres qui ont la garde noble ou bourgeoise de leurs enfans. Tellement qu' il n' est pas du tout hors propos, de penser que tels Messagers fussent de ceste derivaison nommez Baillis. Aussi Jean le Bouteiller vieil autheur, en tout son traicté de pratique qu' il intitule Somme rural, appelle Baillies seulement, ce que nous appellons Bailliages. Et qui plus est, je puis asseurer comme chose vraye que l' on ne commença d' user du mot de Bailliage que souz le regne du Roy Jean, & encores fort sobrement. 

Car quant au mot de Seneschal, qui n' a autre puissance ou authorité entre nous que le Bailly, ainsi que je disois maintenant, quelques personnages de bon sens, comme feu François de Conan, estiment que ce soit un mot corrompu, my Latin & my François, signifiant vieil Chevalier. Qui n' est pas une opinion du tout hors propos: parce qu' anciennement tels estats estoient seulement donnez à vieux Gentils-hommes & Chevaliers: & en estoit la porte fermee aux Advocats & Legistes. Voire qu' au Vieil stile de la Cour de Parlement, il est defendu à tous Baillis & Seneschaux de commettre pendant leurs absences, en leurs sieges, Lieutenans de robe longue. Toutesfois je suis presque semonds de croire que ce mot de Seneschal ait esté emprunté du vieil langage Anglois, par nous non entendu: Parce que je le voy principalement pratiqué és lieux de la France qui ont esté autrefois souz l' obeïssance des Anglois, voire jusques aux portes presque de Paris, comme en la Seneschaussee de Ponthieu.

Telle fut doncques la premiere police des Comtes & Baillis. Bien est vray que pour autant que du commencement les Baillis n' estoient pas Juges qui prestassent resseance ordinaire sur les lieux, ains alloient par certains entrejects de tems (sans p) faire leurs reveuës: & au contraire les Comtes se tenoient ordinairement sur leurs jurisdictions, & que d' ailleurs ils avoient (comme nous apprennent les mesmes ordonnances par moy cy-dessus alleguees) certains fiefs qui estoient annexez à leurs estats, afin que d' une mesme main ils vacquassent quand la necessité le requierroit au faict de la guerre, tout ainsi que de la Justice: pour ceste cause il advint que les Baillis, n' ayans surquoy prendre terre, ne peurent s' accroistre & augmenter de telle façon que firent les Comtes, lesquels commencerent de là en avant de s' arrester seulement aux biens-faits du Roy, laissans la jurisdiction à leurs Lieutenans: dont les aucuns furent appellez Vicomtes, & les autres Viguiers du mot de Vicarius, & les autres Prevosts, d' un autre mot Latin que nous appellons Præpositus. Car en ceste façon les voyons nous être appellez és anciennes lettres de noz Roys, lors qu' elles s' addressoient aux Prevosts. Ayant changé la lettre de P, en V, ainsi que nous avons faict de quelques autres dictions Françoises: Car de Lepus, Lepusculus, & pauper, Aperire, & cooperire, recuperare, operari, nous avons façonnez les mots de liévre, lévraut, pauvre, ouvrir, couvrir, recouvrer, ouvrer. Je sçay que plusieurs sont d' advis que la dignité Prevostale a esté tiree des Romains, estimans que lors que les François arriverent és Gaules, ils trouverent chaque cité garnie de ses Prevosts, mais apres avoir couru tous les estats que les Romains establissoient sur les Provinces, je ne voy point avec lequel d' entr' eux nous puissions assortir ce mot. Et qui m' induit davantage à penser que c' est un estat venu en usage depuis le temps de Charlemaigne & du Debonnaire: c' est que combien que je voye plusieurs reglements en leurs ordonnances pour les Comtes en qualité de personne : *qui exerçoient la Jurisdiction ordinaire, si est-ce que je ne voy point un seul endroit où il soit parlé des Prevosts. Et ne me puis persuader s' ils eussent esté en essence qu' ils eussent esté oubliez: de maniere qu' il faut que l' office de Prevost soit venu lors que les Comtes se desmirent de leurs estats de judicature sur autruy: c' est à dire, lors qu' ils commencerent à se faire grands & à manier les armes, tout de la mesme sorte que les Ducs qui fut depuis le regne du Debonnaire. Croissans en telle grandeur, que comme j' ay deduit ailleurs, entre ces grands Ducs & Comtes qui florirent du temps de Hugues Capet & quelque intervalle au dessouz, il n' y avoit pas grande difference pour le regard de l' authorité & preéminence, ains chacun selon que la fortune & hazard du temps luy donna le tiltre, s' estimoit aussi grand seigneur, cestuy estant Comte de Flandre, comme l' autre qui se disoit Duc du pays de Normandie.

Au demourant, entant que touche le mot de Viguier, tout ainsi que nous le voyons être seulement en usage au pays de Languedoc & és environs, pour representer le Prevost que nous avons en ce pays cy, aussi avoit esté ce mot mis en œuvre en ce pays là par Theodoric Roy des Ostrogots, lequel feignant de garder une partie du Languedoc à son arriere-fils Amalaric grandement affligé par les guerres du Roy Clovis, y establit un Vicaire, ou si ainsi le voulez dire, Viguier general de ceux qui souz son nom avoient le gouvernement du pays. Constituit (dit Cassiodore parlant d' iceluy Theodoric) Gemellum in *Gallis Vicarium præfectorum ad exercendas iustitias. Il establit (dit-il) aux Gaules Gemelle, Vicaire de tous ses gouverneurs, pour rendre le droict à chacun. Et combien qu' il die par un mot general, les Gaules, si les faut-il restraindre au pays que possedoit lors Theodoric dedans icelles, qui estoit seulement le Languedoc. Certes ceste dignité de Viguier destinee à l' estat de Judicature, estoit fort familiere aux Gots. Et pour ceste cause voyons nous que dans Rome pour mesme effect lors qu' iceux Gots regnoient sur l' Italie, y avoit une telle forme de Magistrat, comme nous apprenons du mesme Cassiodore, au quatriesme de ses Epistres, en une lettre de Theodoric à Jean Archiatre, c' est à dire, premier, ou principal medecin. Qui fut cause, à mon jugement, que les Comtes laissans au pays de Languedoc l' exercice personnel de la justice pour s' habituer du tout aux armes, il fut aisé d' y insinuer le mot de Viguier, tant pour y avoir esté autresfois planté, que aussi pour ne representer en sa signification autre chose que l' estat d' un Lieutenant. En l' ordonnance de Charles VI. 1388. Qu' il n' y ait nul Prevost ou Vicaire parent du Bailly ou Seneschal

lundi 7 août 2023

8. 54. Marquis, Marchal, Mareschal, Maire.

Marquis, Marchal, Mareschal, Maire.

CHAPITRE LIV.

Mon opinion est que le mot de Marquis signifie un Estat anciennement inventé pour la protection & deffence des pays frontiers, & limitrophes, que nous appellons de tout temps & ancienneté Marches. En la vie du Debonnaire, dans la vieille Chronique de S. Denis: Au mois de May tint l' Empereur Parlement à Aix la Chappelle. Là vindrent les Messagers des Bulgeois qui moult longuement avoient demeuré en Baviere: Si estoit telle leur intention, qu' apres la confirmation de Paix & alliance, on traictast debonnairement des Marches qui sont entre les Bulgeois, Allemands, & François Austrasiens. Mot certes fort ancien, & usurpé par plusieurs fois par Aimoin en son Histoire, mais par passage merveilleusement exprés au cent dixhuictiesme chapitre de son quatriesme livre, où il dit que le mesme Debonnaire tint Parlement en la mesme ville d' Aix, où l' on traicta du fait de la guerre, puis adjouste, Simili modo de Marcha Hispanica constitutum est, & hoc illius limitis praefectis imperatum: c' est à dire, En cas semblable il fut en ce lieu arresté touchant la Marche d' Espagne, & enjoinct d' y avoir esgard à ceux qui avoient la charge de cette frontiere: Auquel endroit vous voyez en moins de rien Marche & Limite estre pratiquez l' un pour l' autre, à cette occasion dirent nos anciens Marchir, pour confiner à quelque pays. Froissard au 3. volume: La Comté de Blois marchist à la Duché de Touraine. Et en la sus mentionnee Histoire de S. Denis: Ils degasterent la contree d' unes gens qui pres eux marchissoient, qu' on appelloit Toringiens: Et en la vie de Philippes fils de Henry: Si advint en ce temps qu' entre Adam l' Abbé S. Denis, & Boucard de Mont-morency sourdit contention pour aucunes de leurs terres, qui ensemblement marchissoient. Et de là à mon jugement vint celuy que nous appellasmes en François Marquis, & en Latin Marchio, je veux dire celuy auquel on commettoit la garde des lisieres d' un pays: Pour l' explication duquel mot les Romains furent contraints avant le desbord des nations Septentrionales user d' une periphrase, & circonlocution, estant par eux appellé celuy qui estoit commis pour garder les limites d' Orient Comes limitis Orientis, qui vaut autant à dire comme si nous disions Comte des Marches du Levant. De cette mesme façon use assez souvent Aimoin: Car vous y trouverez tantost un Praefectus limitis Britannici, tantost un Custos Avarici limitis, & neantmoins le mesme autheur le definit d' un tout seul mot au chap. 2. du 5. livre, auquel lieu parlant du Debonnaire Roy pour lors d' Aquitaine, qui fut mandé par Charlemagne son pere, Accersivit filium iam bene equitantem cum omni populo militari, relictis tantum Marchionibus, qui fines regni tuentes omnes, si forte ingruerent, hostium arcerent incursus. Or comme ainsi soit que pour distinguer les Marches & limites, l' on ait accoustumé d' asseoir bornes, que l' on peut appeller Marques, aussi avons nous façonné entre nous une diction qui respond à cette signification. Car nous appellons Marcher ou marquer, toutes & quantesfois que par signal, affiche, recognoissance, ou autrement nous assignons certains buts, limites, & separations entre les personnes, & de cette parole ainsi prise vient que nous appellons Marchal des logis du Roy celuy qui marche ou marque, & assigne diversement les logis aux domestiques de la maison du Roy, & Marchal du camp celuy qui marque & departit aux uns & autres Capitaines les Cantons & assietes diverses du camp. Car comme je viens de toucher, marcher & marquer, n' est qu' un, & en use-l'on indifferemment en commun langage, comme mesmes vous recognoistrez plus à plein dans les œuvres de Clement Marot. Tellement que c' est errer d' appeller telles gens Mareschaux des logis du Roy, ou du Camp, d' autant que le mot de Mareschal, qui reçoit l' e s' aproprie vrayement aux quatre Mareschaux de France, & vient de deux dictions corrompuës Maire, qui est une alteration, & changement de Maistre, & Chal pour Cheval, comme si on les eust voulu dire estre Maistre de la Chevalerie apres un Connestable (comite stabuli) de France. Quelques-uns toutesfois sont d' advis comme du Tillet, qu' il vient du mot de Marsk (Mark) qui signifioit Cheval, soit l' un ou l' autre, je m' en rapporte à ce qui en est.

dimanche 28 mai 2023

2. 9. De l' Ordre des douze Pairs de France

De l' Ordre des douze Pairs de France, & s' ils furent institués par Charlemagne, comme la commune de nos Annalistes estime. 

CHAPITRE IX.

Comme l' on voit les nageurs être souvent emportez bien loing au fil de l' eauë, avant qu' à force & rames de bras, ils puissent gagner le bord, aussi me suis-je laissé emporter au fil des ans, & d' une longue ancienneté des Parlements Ambulatoires, par une liaison de discours de l' un à l' autre, je suis en fin venu fondre dedans nostre siecle. Parquoy il est meshuy temps que je retourne au port dont je suis sorty, & revienne à la premiere & seconde lignee de nos Roys, pour vous discourir de nos Pairs de France, qui sera le subject du present chapitre.

La plus grande partie du peuple tient pour histoire tres-certaine, que l' Empereur Charlemagne pour asseurer son Estat, & gagner le cœur des siens, donna presque semblable authorité qu' à soy, à douze de ses principaux, à la charge toutesfois de se retenir la principale voix en chapitre. De ceux-cy on en nomme six Laiz, & autant d' Ecclesiastiques: & encore divise le peuple, ceste generale police en Ducs & Comtes: 

C' est à sçavoir les Ducs & Prelats de Rheims, de Laon, & Langres: les Comtes & Evesques de Beauvais: Chaalons & Noyon: les Ducs de Bourgongne, Normandie, & Guyenne: les Comtes de Flandres, Champagne, & Tholose. Veritablement quiconque ait esté inventeur de ceste police (si telle a esté reellement & de fait introduite & observee) il deust être bien grand personnage. Et croy que les premiers qui s' induisirent d' en *attribuer la premiere invention à Charlemagne, furent semonds à ceste opinion, tant à l' occasion de son bon sens, qu' aussi qu' il esperoit par ce moyen se fortifier contre l' ancienne famille de nos Roys de France, sur lesquels Pepin son pere s ' estoit emparé du Royaume. Toutesfois il me semble que ceux qui ont esté de cest advis ne digererent oncques bien la puissance de Charlemagne, ny comment les affaires de France se demenoient de son temps: Car de ma part je ne presteray jamais consentement à ceux-cy. Et croy à bien dire que ce discours ait esté plustost emprunté de l' ignorance fabuleuse de nos Romans, que de quelque histoire authentique. Qu' ainsi ne soit, il est certain que Charlemagne gouvernoit ses pays de l' authorité de luy seul, & non de la necessité des Ducs & Comtes: lesquels pour lors n' estoient que simples Gouverneurs, & tels qu' il les deposoit à sa volonté. Je sçay bien que lors que Charles Martel son ayeul commença de rapporter à sa famille sous le nom de Maire du Palais toute la Majesté de France, plusieurs Ducs se mirent de mesme façon en devoir de faire tomber en leurs maisons les Provinces desquelles ils avoient le gouvernement. Toutesfois ils furent successivement rangez par Martel, puis par Pepin: Tellement que toutes rebellions *effacees, les Duchez furent reduicts selon leur ancienne forme, & donnez & ostez au bon plaisir des Roys de France. Ainsi ce seroit abus de pense que Charlemagne eust voulu avoir pour Pairs ou semblables à soy, ceux qui totalement despendoient de son authorité & puissance. Ce neantmoins pour verifier cecy par pieces, en quel lieu je vous supply trouverez-vous mention de ce temps-là, d' un Duc de Guyenne separé d' avec le Comte de Tholose? certes il ne s' en trouve chose aucune: mais est la verité, que sous le nom d' un Duché d' Aquitaine estoit compris, & ce que nous appellons maintenant Guyenne, & la ville mesme de Tholose. Voire que les Comtes alors & mesmement ceux de Tholose, n' estoient que simples Juges & administrateurs de Justice en chaque ville, comme nous deduirons plus amplement au chapitre destiné pour tel sujet. Davantage, qui est celuy qui ne sçache que l' on ne parloit point adonc de Normandie, ains fut un nom qui depuis sous Charles le Simple commença d' entrer en credit avec l' erection de Duché qui en fut faite en faveur des Normans: Et aussi que la Flandre lors à demy inhabitee & deserte estoit gouvernee seulement par un simple grand forestier. Afin que je n' adjouste à cecy que la police de ce temps-là estoit telle, que ce qui estoit maintenant dit Duché (quand il estoit és mains de quelque Prince gouverneur d' une contree au nom du Roy) en moins de rien prenoit le nom de Royaume, lors qu' il tomboit au partage d' un fils de France. Estant ce Royaume de telle qualité qu' il ne recognoissoit de là en avant autre seigneur que Dieu, & son Roy. En ceste façon voyons nous que le pays d' Aquitaine fut pour un temps appellé Duché sous Charlemagne, puis Royaume quand il en investit Louys Debonnaire son fils, lequel deslors commença de tenir ses Estats à part. Et depuis, cestuy Debonnaire faisant partage general à ses enfans, donna l' Italie à Lothaire son fils aisné, le faisant sacrer Empereur. A Louys son second fils, le Royaume de Bauieres & de la Germanie: & à Pepin celuy d' Aquitaine. Verité est que Pepin estant decedé du vivant de son pere, ceste Aquitaine se trouvant reünie à la Couronne, fut donnee en partage à Charles le Chauve son dernier fils, avec la plus grande partie de ce que nous nommons la France. Semblablement apres la mort de Louys Debonnaire, Lothaire Empereur partageant ses Royaumes à trois autres siens enfans, à l' aisné qui estoit Louys, il donna l' Empire avec le Royaume de Lombardie, à Lothaire qui estoit le second, le Royaume de la Lorraine: & pour Charles son puisné, il fit un Royaume de la Provence, & de partie de la Bourgongne: Et à peu dire, depuis la venuë de Charlemagne jusques sous deux ou trois lignees successivement la Majesté de la maison de France estoit telle, que les enfans de nos Rois s' entrepartageoient les Provinces par forme d' Empire ou de Royaumes, & non par forme de Duchez. Et ne lit-on point de la lignee de Charlemagne aucun enfant masle qui se soit contenté d' un simple nom de Duc ou de Comte, ains de Prince souverain & Roy. Voire que Charles le Chauve, sous lequel toute la grandeur de ceste noble famille n' estoit pas encor' amortie, mais commençoit beaucoup à s' estaindre, donnant le pays de Provence & partie de la Bourgongne qui luy estoient retournez par le decés de ses neveux, à Bosson duquel il avoit espousé la sœur, erigea de rechef ces pays en Royaume. Et le premier & le dernier d' entr' eux tous, si je ne m' abuse, qui prit la qualité de Duc, fut celuy Charles que Hugues Capet desherita du Royaume: Mais les affaires de la France avoient desia pris toute autre forme qu' au precedant, ainsi que je discourray cy apres. De sorte que pour retourner à mon but, c' eust esté une police frustratoire, si Charlemagne eust voulu faire douze Pairs de ceste marque, pour en anichiler la coustume à un instant, & à un simple partage qu' il eut fait entre ses enfans. Et qui m' induit encores à ceste opinion, c' est que combien que dans Theodulphe, qui fut du temps de Charlemagne, & dans Aimoïn, soit faite frequente mention des Parlements qui estoient adonc tenus, si n' ay-je jamais leu que les Ducs y assistassent en ceste qualité de Pairs, comme nous en usons aujourd'huy.

Toutes lesquelles conjectures m' ont tousjours semonds de pense qu' à tort s' estoit le peuple imprimé ceste fole persuasion de rapporter l' introduction de cecy en la personne de Charlemagne. Laquelle chose tout ainsi que je la tiens pour asseuree, aussi est-il fort difficile de pouvoir remarquer le temps sous lequel ceste police de douze Pairs, fut introduitte. Tellement qu' il nous faut en cecy proceder à l' Academique, je veux dire monstrer par bonnes & vallables raisons ce qui n' est pas, & timidement asseurer ce qui peut estre. Parquoy, pour descouvrir ce que j' en pense, mon opinion est que le mot de Pair s' est insinué entre nous de l' ancienne dignité de Patrice qui fut à Constantinople. Pour laquelle chose deduire tout au long, il faut entendre que sur le declin de l' Empire de Rome, Constantin le Grand voulut introduire, & mettre en honneur la dignité du Patritiat, tout d' une autre façon qu' elle n' avoit esté mise en usage par les premiers peres de Rome, tellement qu' elle ne se donna de là en avant par les Empereurs qu' à leurs favoris & autres personnes qu' ils avoient en grande recommandation. Et de fait, le plus grand honneur dont ils pouvoient caresser un Prince estranger, estoit de luy envoyer l' ordre de Patrice en signe de confederation & alliance. Ainsi lisons nous que l' Empereur Anastaise l' envoya au grand Roy Clovis: Et quand Adalgise fils de Didier Roy des Lombards se fut retiré vers Constantin Empereur de Constantinople, il ne le peut mieux honorer que de l' aranger au nombre de ses Patrices. Et envoyoient cest Estat avec un grand appareil de langage, dont le formulaire est inseré au sixiesme des Epistres de Cassiodore. Je ne puis presque mieux comparer cet Estat qu' à l' ordre de S. Michel, que donnent aujourd'huy nos Roys à ceux ausquels ils veulent gratifier, ou pour la faveur qu' ils leur portent, ou pour la vertu qui est en eux. Car tout ainsi que les Chevaliers de S. Michel n' ont en consideration de leur Ordre autre commandement sur le peuple, (ainsi en estoit-il quand je mis premierement ce livre en lumiere) sinon que par là ils se ressentent en quelque chose de la Majesté de nostre Prince, aussi ces Patrices n' avoient autre prerogative sur le *commun, sinon qu' ils attouchoient de bien pres la personne d' un Empereur. Et outre plus, entrans en ceste dignité, par la teneur de leur privilege, ils estoient absous & affranchis de la puissance de leurs peres. Or ny plus ny moins que ces Patrices aprochoient de pres la lumiere & splendeur des grands Empereurs, aussi leur estoient les grandes charges commises. Non vrayement à cause de l' estat de Patrice, ains pource que le Patritiat ne se donnoit gueres qu' à ceux qui estoient les mieux aimez & cheris. En sorte que petit à petit pour-autant que d' ordinaire on ne donnoit les Provinces en maniement qu' à tels Patrices, il escheut par succession de temps que les Gouverneurs des Provinces furent de quelques-uns appellez de ce nom de Patrice. Ainsi appelle-l' on ce grand AEtius qui combatit Atille aux champs Catalauniens, le dernier Patrice des Gaules: Voire que ceux mesmes qui pendant les troubles de la Republique occuperent le Gouvernement d' Italie, & qui à nom ouvert ne s' osoient nommer Empereurs, s' appellerent Patrices de Rome. De telle marque sont Auite (Avite), Maiorian, & autres, jusques à Augustule, qui fut chassé par Odoacre Roy des Hetuliens. Et certes tout de la mesme forme que ces Empereurs userent du Patritiat, aussi nos vieux Roys François voulurent practiquer le semblable pour recompenser les Courtizans qui estoient à leur suitte. Et en ceste façon Gregoire de Tours au quatriesme livre de ses histoires, dit, que Gontran Roy d' Orleans degrada un personnage nommé Agrecula, de l' honneur de Patritiat, & donna ceste dignité à Celsus: & qu' un Gentil-homme nommé Mommole fut orné de ce mesme Ordre par le mesme Roy. Sainct Gregoire au douziesme de ses Epistres escrit à Aschelpiodate, Patrice des Gaules, qui tenoit le premier rang pres du Roy de France son maistre. Voire qu' à l' imitation des Romains, commencerent nos Roys à donner les grands gouvernements aux Patrices. Dont vint qu' on usa puis apres des mots de Patrices, & Ducs indifferemment, pour Gouverneurs de Provinces. Pour laquelle cause Aimoïn au 3. livre est autheur, que le mesme Gontran au vingt-septiesme an de son regne fit Landegisile Patrice de la Provence: Et au quatriesme il dit qu' apres que Clotaire II. eust regné trente ans, il fit Garnier, par le moyen duquel il estoit parvenu au Royaume d' Austrasie, Maire de ce pays-là, & donna semblable estat à Rhadon en la Bourgongne. Et au pays Ultrajurain, c' est à dire, qui est outre la montagne de Jura, il institua Herpon Patrice. Et au mesme livre il fait mention d' un autre Patrice Ultrajurain, nommé Guillebaud. Ausquels trois passages Patrice se prend pour Duc & Gouverneur: Et au mesme livre, je trouve qu' il appelle Hunold Patrice d' Aquitaine, lequel peu apres il nomme Duc du mesme pays. Vrayement je ne fais aucune doute qu' aux generaux Parlements que tenoient Pepin, Charlemagne, & ses successeurs, tels Ducs & Patrices ne tinssent l' un des premiers degrez, comme ceux ausquels estoient commises les grandes Provinces en charge. Et qu' au lieu de Patrices ne les ayons appellez en nostre vulgaire Ducs & Peres, comme j' ay leu dans une vieille histoire Françoise, & depuis par abreviation Ducs & Pairs de France (ainsi que nous voyons d' un Magister Palatij, avoir esté fait un Maistre, & depuis Maire du Palais.) A l' imitation desquels quand les Ducs & Comtes se firent perpetuels, ils commencerent semblablement (pour authoriser d' avantage leurs Cours) d' appeller leurs grands Barons Pairs, & leur donner voix & assistance en leurs jugemens: comme nous voyons avoir esté anciennement practiqué au Duché de Normandie, Comtez de Champagne & de Flandres. Et est chose digne d' être icy remarquee en passant, que le Comte de Champagne eut sept Comtes pour Pairs qui estoient obligez de se trouver toutes & quantesfois qu' il vouloit tenir ses Grands jours dans sa ville de Troye: les Comtes de Joigny, Retel, Portian, Brienne, Bresne, Grandpré, Roussy, desquels le Comte de Joigny estoit le Doyen. Et en cas semblable les mediocres Seigneurs, qui veulent ordinairement se composer à l' exemple des plus grands, establirent en plusieurs endroicts semblables formes de Pairries, que nos ancestres, au long aller & par corruption de langage appelloient Pares curiae, desquels est fait frequent recit dans les anciennes loix des Lombards, qui ont esté en partie mendiees des nostres: & encores en voyons nous pour le jourd'huy quelques observances en plusieurs particulieres coustumes de ce Royaume, comme en celles du Bailliage d' Amiens, & Seneschaussé de Pontieu. Qui a esté cause que quelquesuns ont voulu tirer en conjecture que l' invention de douze Pairs de France fut apportee du pays de la Germanie, par les François, Lombards, & autres peuples Germaniques. Estimans que tout ainsi qu' és fiefs, les anciens François eurent leurs Pairs, aussi les Duchez & Comtez s' estans renduës patrimoniales, nos Roys sur le modelle ancien des fiefs voulurent faire sous leur Couronne, un establissement de Pairries, telles que nous les voyons aujourd'huy. Toutesfois j' ay quelque raison qui me semble corrompre vray semblablement ceste opinion, d' autant que je ne voy point ces Pairs être venus en usage, en matiere feodale, sinon lors que les fiefs commencerent à se perpetuer aux familles, qui est depuis la venuë de Capet. Aussi n' est il pas à presumer, si ceste police eust esté entre les François quand ils arriverent és Gaules, que nous n' en eussions eu quelques enseignements & addresses, par nos anciennes Histoires aussi bien que du Patrice & Patritiat, ce que toutesfois je ne trouve point: Bien sçay-je qu' au troisiesme livre des Ordonnances de Charlemagne, article soixante-cinquiesme, il semble y avoit un passage respondant à ceste opinion. Quicunque ex eis qui beneficium Principis habent, Parem suum contra hosteis communes in exercitu pergentem dimiserit, & cum eo ire vel stare noluerit, honorem suum perdat. Tout homme ( dit-il) ayant un fief du Prince, qui aura delaissé en la guerre son Pair, s' acheminant contre l' ennemy, & qui ne voudra aller ou demourer avecques luy, qu' il foit desapointé de son Estat & honneur. Lequel lieu quelques uns veulent rapporter aux Pairries que l' on pratique aux fiefs, toutesfois, selon mon jugement, jamais l' intention de Charlemagne ne fut telle. Et de fait, entre toutes les Loix & Edicts de cest Empereur, & du Debonnaire son fils, posé qu' il foit fait infinie mention des benefices ou fiefs, & semblablement des vassaux & beneficiers, ce neantmoins ce passage est le seul & unique auquel l' on trouve ce nom de Pair, és endroicts qui traittent de ces benefices. Tellement que je ne me puis persuader aisément si les Pairries eussent esté deslors en vogue és matieres feodales, que nous n' en eussions plusieurs autres sentimens par les mesmes loix. Parquoy mon advis est que ce que l' Empereur Charlemagne defend au vassal de ne laisser son Pair en la guerre, c' est une police militaire, par laquelle il commande à ses vassaux qui estoient tenus quand la necessité se presentoit de porter les armes (comme encores ils sont aujourd'huy) ne laisser leurs compagnons & convassaux à la guerre, sur peine de privation de leurs fiefs. Prenant ce mot Pair, selon sa vraye & naïue signification, sans qu' il pensast oncques de le retirer à l' ordre & police des Pairs. Et en ceste mesme façon est prise ceste diction au quatriesme livre des mesmes Ordonnances, article soixante & dixseptiesme, lequel livre est destiné pour les loix de Louys le Debonnaire. Ut in hoste nemo Parem suum vel quemlibet alium hominem bibere cogat. Nous deffendons (dit-il) à tous estans au camp d' inviter de boire leurs Pairs, ny aucuns autres quels qu' ils soient. Vrayement je croy que tout homme de bon cerveau me passera condemnation, que l' Empereur le Debonnaire ne voulut point lors deffendre à ses vassaux de boire d' autant à leurs Pairs, ainsi que nous le prenons aujourd'huy, ains que son intention fut pour bannir l' yurongnerie de son Camp, de prohiber à tous soldats de n' inviter à boire tant leurs Pairs & compagnons, que tous autres, jaçoit qu' ils ne fissent profession des armes. Et en la suite de l' histoire de Aimoïn, quiconques ait esté celuy qui ait voulu accommoder son labeur sous le nom de cest Historiographe, au chapitre trente-huictiesme du cinquiesme livre, couchant de mot à mot les articles de la tresue qui fut juree entre le Roy Louys le Begue, & Louys Roy d' Allemaigne son cousin, l' on trouve ces deux grands Roys qui ne dependoient en rien l' un de l' autre, en avoir usé de mesme façon. Ut autem, quia firmitas amicitiae & coniunctionis nostrae quibusdam causis praepedientibus esse non potuit, usque ad illud Placitum, quo simul ut conveniamus statutum habemus: talis amicitia inter nos maneat, Domino auxiliante de corde puro, & conscientia bona & fide non ficta, ut nemo suo Pari vitam, regnum aut fideles suos, vel aliquid quod ad salutem seu prosperitatem ac honorem regni pertinet, discupiat aut male conciliet. Ut si in alterutrius nostrum regnum pagani seu pseudochristiani insurrexint, uterque veraciter suum Parem, ubicunque necessitas fuerit, si ipse rationabiliter potuerit, aut per semetipsum aut per fideles suos, & consilio & auxilio, ut optimè possit, adiuvet.

Qui est à dire, Et pour-autant que nous ne pouvons pour le present jurer une amitié ferme & stable à jamais (pour quelques raisons qui l' empeschent) jusques à ce que nous nous soyons trouvez au pour-parler que nous avons conclud ensemble: Ce temps pendant toutesfois demeurera entre nous, Dieu aidant, la presente confederation de bon cœur, sincere conscience, & sans hypocrisie. Sçavoir est que nul de nous ne s' estudiera d' oster la vie à son Pair, son Royaume, ou ses fideles & vassaux, ou attenter chose aucune qui se peut tourner à son deshonneur ou dommage: & si peut-être les Payens ou faux Chrestiens couroient sur les marches de l' un ou l' autre de nous, en ce cas chacun d' entre nous sera tenu sans dissimulation ou feintise porter conseil & aide à son Pair, si le peut bonnement faire, ou par luy ou par l' entremise de ses subjects feaux, le tout au moins mal qu' il pourra.

En tous lesquels passages l' on voit que le mot de Pair est pris pour compagnon seulement. Et à tant il me semble le semblable avoit esté fait en ce soixante-cinquiesme article des Ordonnances de Charlemagne: Ne me pouvant faire accroire (comme j' ay deduict cy dessus) si la police des Pairs eust lors esté en essence és Benefices & Fiefs, que nous n' en eussions eu plusieurs autres instructions & memoires du mesme Empereur, les Ordonnances duquel sont presque la plus grand part du temps voüees à traitter de ces Benefices & Fiefs.

Toutes lesquelles choses j' ay voulu deduire en passant: Parce que je voy quelques doctes personnages contrevenir à mon opinion: estimans que non des Patrices, ains des Pairs qui se trouvent observez és Fiefs ayent esté introduicts nos douze Pairs de France: Parquoy pour reprendre mon premier but, que la necessité du present discours m' a fait eslongner de l' œil, je ne fais aucune doute que du temps de Charlemagne, & de toute sa lignee, ces Ducs & Patrices de France que j' appelle Pairs ne fussent en tres-grand credit, & que pour ceste cause ils ne tinssent les premieres seances aux Parlements & generales Assemblees qui se tenoient par nos Roys: toutesfois il ne me peut entrer en la teste que ceste generale police des douze Pairs, tant celebree par la bouche de tous, fut ny du temps de Charlemagne, ny long temps apres en usage. Reservant au chapitre suivant de discourir comment, & en quel temps je pense qu' ils prindrent leur origine.