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mardi 27 juin 2023

4. 9. Des Bonnets qu' on prend aux Licences, & Maistrises des Escoliers, Estreines, Banquets, que l' on faict à la feste des Roys.

Des Bonnets qu' on prend aux Licences, & Maistrises des Escoliers, Estreines, Banquets, que l' on faict à la feste des Roys.

CHAPITRE IX.

Les franchises & libertez dont j' ay parlé cy-dessus, me feront maintenant discourir de celles que les Escoliers acquierent en nos Universitez par leurs Maistrises & degrez de Licences. Par les deux precedens Chapitres j' ay esté homme du Palais, je seray maintenant Escolier. Quand un jeune homme a esté longuement sous la verge de son pedagogue, apres avoir passé sa jeunesse sous l' alambic d' une Grammaire, Rhetorique & Philosophie, à quoy certains temps sont prefix dans l' Université de Paris, par la reformation du Cardinal de Toute-ville, il n' y a Escolier qui ne desire de passer Maistre, pour estre de là en avant à soy. Cette ceremonie se fait tous les ans en Caresme apres la Feste de sainct Gregoire. J' ay veu en mon jeune aage qu' il n' y avoit College, où il n' en passast vingt & trente, maintenant il y en a beaucoup moins. Parce que soudain que nos enfans out esté quelques ans à l' estude d' humanité, nous les envoyons aux Universitez des Loix, pour leur faire puis apres suivre le barreau, dont on attend plus de profit.

Or en ces Maistrises on baille à chacun le Bonnet aux grandes Escholes, avec quelques autres solemnitez, & ce fait, on a acquis toute liberté, c' est à dire, que l' Escolier n' est plus sujet à la verge de ses Superieurs. Qui estoit une espece de servitude, par laquelle on dependoit en tout & par tout de leur volonté: & commencent d' estre appellez Maistres, tout ainsi que ceux de la puissance & authorité desquels ils dependoient auparavant. Tellement que par le commun mot de l' Université, quand on dit, il a pris le Bonnet, c' est autant comme si l' on disoit, il est passé Maistre. Chose que nous avons empruntée des Romains, lesquels entr' autres manieres d' affranchir leurs serfs, en avoient une particuliere qui estoit de donner le bonnet. Ainsi l' apprenons nous de Seneque au 6. de ses Epistres, où parlant de plusieurs bons & recommandables services que les Maistres avoient receuz de leurs serfs, apres avoir haut loüé leur fidelité. Dicet aliquis (fait-il) me vocare ad pileum servos. Le semblable fait Macrobe au premier de ses Saturnales, où apres avoir desrobé tout le discours de Seneque, il finit par mesme conclusion que luy, Dicet aliquis nunc me dominos de fastigio suo deijcere, & quodammodo ad pileum servos vocare. Comme si l' un & l' autre eussent voulu dire, on dira que je veux donner le bonnet aux serfs au prejudice de leurs Maistres, qui est à dire la liberté.

Or en cette ancienneté il n' y a rien qui ne soit loüable: je crains que le semblable ne soit à ce que je veux maintenant deduire: Car toutes & quantesfois que nous empruntons quelques Coustumes de Payens, & les adjoignons à nos jours de festes, je ne le puis trouver bon. Nous penserions faire tort au premier jour de l' an, auquel nous celebrons la Circoncision de nostre Seigneur, si nous ne l' accompagnions d' Estreines, c' est à dire, de dons que nous envoyons les uns aux autres. Ce qui fut observé avec telle devotion par nos ancestres, que nous recognoissions plus le premier jour de l' an sous le nom d' Estreines, qu' autrement. Nous tenons cette Coustume en foy & hommage du Payen. Suetone en la vie de Tibere, Prohibuit strenarum usum ne ultra Calendas Ianuarias exercerentur. Or que cela se fust depuis perpetué en l' Estat de Rome, nous le recueillons de Theodoret en son Histoire Ecclesiastique, quand il dit que l' Empereur Julian voulant discerner le Soldat Chrestien d' avec le Payen, il les estrenoit par fois le premier jour de sa nativité, & en recevant estreines de luy, il vouloit que les Soldats incensum (c'estoit   que nous appellons encens) ei offerrent. Erat enim ante eum positum thus. Symaque au 6. de ses Epistres, nous dit que les Estreines se bailloient dans Rome le premier jour de l' an, & qu' elles furent ainsi appellees, Quia viris strenuis dabantur. Au demeurant que telles Estreines fussent mises entre les actes d' idolatrie, nous en avons un grand Maistre, c' est Tertulian, lequel au Livre qu' il a fait de l' Idolatrie, dit que le Precepteur Chrestien, qui enseigne aux Escholes des Ethniques est idolatre, adjoustant ce mot, etiam strenae captandae sunt, voulant dire qu' à l' imitation des Payens il faudroit qu' il prit des Estreines. C' estoit, comme il est vray-semblable, une Coustume familiere aux Payens, qui enseignoient la jeunesse, de prendre tous les ans des Estreines, comme nous voyons maintenant les Regens des Colleges prendre tous les ans des dons & presens de leurs disciples, sous le nom de Lendiz.

Encores y a-il plus d' excuse en cette Coustume, qu' en celle des Roys, laquelle nous solemnisons avec une infinité de desbauches de bouche, qui emportent ordinairement quant & soy plusieurs autres sortes de hontes & pudeurs. Et faut neantmoins que ceux qui en furent les premiers introducteurs fussent gens de lettres par toutes les rencontres qui se trouvent en ce deduit. Nous commençons dés la vueille, non de prier Dieu, mais de faire bonne chere. Celuy qui est le maistre du banquet a un grand gasteau, dans lequel y a une febue cachee, Gasteau, dy-je, que l' on coupe en autant de parts qu' il y a de gens conviez au festin. Cela fait on met un petit enfant sous la table, lequel le Maistre interroge sous ce nom de Phebé, comme si ce fut un qui en l' innocence de son aage representast une forme d' Oracle d' Apollon. A cet interrogatoire l' enfant respond d' un mot Latin Domine: sur cela le Maistre l' adjure de dire à qui il distribuera la portion du Gasteau qu' il tient en sa main, l' enfant le nomme ainsi qu' il luy tombe en la pensee, sans acception de la dignité des personnes, jusques à ce que la part est donnee à celuy où est la febue, & par ce moyen il est reputé Roy de la compagnie, encores qu' il fust le moindre en authorité. Et ce fait, chacun se desborde à boire, manger, & danser. Il n' y a respect des personnes, la festivité de la journee le veut ainsi. Qu' il n' y ait en cecy beaucoup de l' ancien Paganisme, je n' en fais doute. Ce que nous representons ce jour là, est la feste des Saturnales que l' on celebroit dedans Rome sur la fin du mois de Decembre, & commencement de Janvier. Les anciens Romains eurent cette ferme opinion, que sous le regne du Roy Saturne tous biens estoient en commun, & qu' il n' y avoit ny mien ny tien entre les vivans, & moins encores estoient ces qualitez de Maistres, & Serfs en usage. C' est pourquoy on appelloit son siecle un aage d' or, & en commemoration de ce, en solemnisant sa feste tous les ans, toutes choses sembloient communes dans les maisons entre les maistres, & les valets. Ce n' estoient que festins, & allegresses: les maistres despoüilloient leur grandeur, & les serviteurs leurs bassesses, voire commandoient lors à leurs maistres, si le sort de ce faire avoit rencontré sur eux. Seneque au 6. de ses Epistres, en la 47. Epistre disoit, Nec illud quidem videtis quam omnem invidiam maiores nostri dominis, omnem contumeliam servis detraxerint: dominum patrem familiae appellarunt, servos, (quod etiam in mimis adhuc durat) familiares. Instituernut diem festum, non quo solum domini cum servis vescerentur, sed quo etiam honores illis in domo gerere, ius dicere permiserunt, & domum pusillam Rempublicam esse iudicaverunt. C' estoit en la feste des Saturnales, de laquelle Tacite disoit au 13. Livre de ses Annales, Festis Saturno diebus inter alia aequalium ludicra regnum iusu sortientium, evenerat ea sors Neroni. Cela monstre qu' en rendant tout le monde esgal dans les maisons, encores faisoient-ils lors un Roy. Chose que l' on voit au doigt & à l' œil s' estre transplantée chez nous, non vrayement au mois de Decembre, ains en celuy de Janvier son plus proche, & en la Feste des Roys sur la rencontre du nom: Car quant à ce que nous y employons la febue, nous l' avons emprunté de la Grece. Xenophon au Livre des dits, & actes de Socrates, nous enseigne que dans la ville d' Athenes les Magistrats estoient creez au sort de la febue: Paravanture leur servoit-elle de balote, & c' est pourquoy quand Pythagore nous enseignoit à fabis esse abstinendum, il entendoit parler des Magistrats. Ainsi l' explique Erasme en ses Chiliades, comme s' il eust voulu dire qu' il y avoit plus d' asseurance en une vie privee, qu' en celle qui estoit exposee aux flots, & tempestes publiques.

mercredi 9 août 2023

9. 18. Introduction des Professeurs du Roy, autre plant des Escoles de l' Université de Paris.

Introduction des Professeurs du Roy, autre plant des Escoles de l' Université de Paris.

CHAPITRE XVIII.

Je vous ay cy-dessus discouru deux diverses manieres de leçons qui se firent en l' Université de Paris: L' une qui gisoit és grandes Escoles, & lors les Escoliers estoient espandus par la ville, avecques permission de vaguer où il leur plaisoit: L' autre aux Colleges, dans lesquels la jeunesse fut depuis enfermee pour y estudier. Et n' est pas certes une question petite, de sçavoir laquelle des deux est meilleure. La premiere a pour ses garends les Estudes d' Athenes, esquelles on voyoit les Escoles publiques des Academiciens, Peripateticiens, Stoïques, Epicuriens, & plusieurs autres, sous la conduite de ceux qui par une abondance, ou presomption de leurs sens, se faisoient chefs de part en leurs Sectes. Que cela mesme fut soigneusement observé, lors que les bonnes lettres quittans leur sejour d' Athenes, se vindrent loger dedans Rome: specialement sous les Empereurs, & entr'eux sous l' Empire d' Alexandre Severe, lequel ordonna Auditoires publics, non seulement à ceux qui enseignoient les Arts Liberaux, ains aux Mechaniques mesmes, quand ils se trouvoient exceller en leurs manufactures: Et à peu dire, les anciennes villes, esquelles les sciences furent en vogue, n' eurent jamais cognoissance des Colleges, tels que nous avons dedans Paris, desquels on pourroit dire ce que disoit le Demea de Terence, que le tout bien calculé, l' aage, le temps, & l' usage, nous faisoit souvent trouver mauvaises les choses qu' avions auparavant embrassees, & bonnes celles que vilipendions. Que cecy se verifie au cas qui s' offre: qu' en l' institution de la jeunesse, il n' est pas seulement question des lettres, ains des mœurs. Que celuy qui est logé en chambre par la ville, peut plus aisément lascher la bride à sa desbauche: Partant que le Conseil des peres & meres fut plus sage, d' enfermer leurs enfans dedans les Colleges, qui par ce moyen seroient contraincts de s' accoustumer à l' estude, & tout d' une main imprimer l' image des bonnes mœurs en leurs ames. Mais à quel propos tout cecy? Non pour autre, sinon pour me condamner, & vous dire que ce sont de beaux propos dressez mal à propos: car comme les affaires de nostre Université sont composees, nous y exerçons l' une & l' autre police. Enfermans les enfans de bas aage dedans les Colleges pour y estudier, & s' estans par quelques annees accreus d' aage, & de sçavoir, nous les envoyons aux leçons publiques des Professeurs du Roy: qui est le sujet du present chapitre, dans lequel & autres suivans je me delibere discourir de fonds en comble comme les choses se sont pour cet esgard passees & conduites jusques à huy. Nous eusmes sur nos jeunes ans un Roy François I. de ce nom, zelateur des bonnes lettres, lequel le renvia non seulement sur tous ses ancestres, ains en rapporta le laurier. Le malheur du temps avoit voulu qu' ores que l' Université de Paris fust en honneur par dessus toutes les autres de l' Europe, toutesfois on n' y cognoissoit la langue Hebraïque que de nom: Et quant à la Grecque, bien que l' on en fist quelque estat, c' estoit plus par contenance, que d' effect. Car mesmes lors qu' il estoit question de l' expliquer; ceste parole couroit en la bouche de plusieurs ignorans, Graecum est, non legitur: Et au regard de la Latine (exercice ordinaire des Regens) c' estoit un langage goffe & grossier. Ce Roy estoit, comme j' ay dit naturellement adonné aux lettres, dont dés sa jeunesse (portant le seul titre de Duc d' Angoulesme) il avoit fait si belles preuves, que le gentil Baltazard de Chastillon en son Courtizan, se promettoit de luy, qu' estant Roy il restabliroit les bonnes lettres dedans son Royaume. Esperance dont il ne fut trompé; car quelques annees apres que ce Prince fut arrivé à la Couronne, il pourpensa d' eriger un nouveau College de doctes hommes, par lesquels les langues Grecque, & Latine, ensemble les sciences seroient diversement enseignees.

Je voy quelques uns discourans par advis de pays sur cette affaire, attribuer ce nouveau mesnage, les aucuns au docte Guillaume Budé seulement, les autres à Messire Jean du Bellay Cardinal, & Jean Lascary, & que par leur advis le Roy fut induit à ce faire. Non, il n' eut en cecy autre instigateur que soy mesme. Il estoit (comme j' ay dit) naturellement adonné aux lettres, aussi fut-il naturellement de soy-mesme inspiré à cette noble devotion. Bien recognoistray-je que depuis Budé servit de fidele instrument au public pour l' y maintenir. Et a fin que l' on ne pense que je parle maintenant par cœur, ains par livre, Christofle de Longueil, l' autre Ciceron de son temps, ayant sommé Budé par lettres, de luy mander comme il gouvernoit ses estudes. Elles sont (luy respondit-il) en friche; J' ay quitté ma maison de Marly (qui estoit leur sejour ordinaire) pour m' habituer à la Cour & suite de mon Roy: Que si je voulois maintenant reprendre la route de ma maison, l' on diroit que par une fetardise de moy, je serois deserteur de mon devoir envers ma patrie. Sçavoir pourquoy? Depuis que j' ay eu cet honneur d' haleiner le Roy, il luy est souvent advenu de declarer publiquement, non par hazard, ains de bon sens & propos deliberé qu' il vouloit bastir dedans Paris, les villes de Rome, & d' Athenes, pour y planter à bon escient la langue Latine, & la Grecque, & tout d' une main immortalizer sa memoire dedans la posterité. Voyant cette belle opinion nee en luy, je n' ay depuis doubté en le gouvernant, de la luy ramantevoir, non une, ains plusieurs fois, selon que les occasions s' offroient. Chacun se repaist de cette belle promesse, elle court par la bouche de tous, & chacun par un vœu & souhait commun me promet la conduite & direction de cet ouvrage, se faisant accroire que j' en estois le premier autheur. Au moyen dequoy si maintenant je m' absentois tant soit peu de la Cour sans le congé de mon Maistre, on m' imputeroit cela à une faute inexcusable: d' autant qu' il pourroit advenir que cependant l' ardeur Royale & Divine du Roy se tiediroit tout à fait. Quoy faisant on diroit que j' avois sous faux gages gaigné la faveur d' un Prince, lequel ayant de son propre mouvement & instinct embrassé ceste sainte institution, je me devois du tout dedier à l' entretenement & augmentation d' icelle. Ce que n' ayant fait, je tomberois en la malebouche de tous, si tant estoit (ce que ja à Dieu ne plaise) que ce beau projet reüssist à neant.

A tant Budé. Je me suis estudié d' habiller à la Françoise, & rendre, non mot pour mot, ains à ma guise, le sens de ce passage que j' ay extraict de la premiere du troisiesme livre de ses lettres Latines. Et parce qu' elle porte seulement la date du mois & du jour, non de l' annee, cette faute est suppleee par une autre subsequente du mois de Decembre 1520. qu' il adressa à Jacques Tusan, depuis Professeur du Roy en la langue Grecque, de laquelle le commencement est tel. Je croy facilement ce que m' escrivez, que la promesse faite par le Roy d' eriger un nouveau College, dont je vous ay donné advis par mes lettres, a resveillé en vous, & vos semblables un desir indicible d' estude. Et combien que depuis on n' en ait rien fait ny parlé, toutesfois je ne fais aucune doute que ce nouveau project sortira son effect tel que je souhaiterois, sinon qu' il advienne quelque desastre generalement à la France, & à moy particulierement, & à ceux qui avec moy ont embrassé cette affaire.

De ces deux missives je recueille, premierement que le Roy fut induit à cette noble entreprise de son propre instinct, puis entretenu en icelle par Budé & quelques autres Seigneurs; & finalement que ce College n' estoit encore creé en l' annee mil cinq cens vingt. Les coadjuteurs de Budé furent ainsi qu' est la commune voix, Messire Jean du Bellay Cardinal, & Jean de Lascary de la famille des derniers Empereurs de Constantinople.

La fuitte du Connestable de Bourbon, l' expedition en Italie pour le recouvrement du Milannois, la prise du Roy François premier, sa prison en Espagne, Ostages de Messieurs ses enfans, allees & venuës pour la negociation de sa rançon, tout cela dis-je, fut cause de mettre en surseance ce beau dessein, jusques à ce que les affaires de France s' estans par un Traicté de paix assez fascheux, aucunement r'affermies de mal en bien, & de bien en mieux; le Roy en fin se trouvant deliuré de corps & d' esprit, revenant à son premier penser, ouvrit la porte à ce College, non toutes-fois tout d' un coup, ains selon & à mesure que Budé (sur lequel il se reposoit) trouvoit gens sortables pour luy presenter, sur la nomination duquel ils obtenoient leurs lettres de provision, chacun aux gages de deux cens escus, valans quarante cinq sols pour piece. Son premier dessein n' estoit pour le fait dés langues, que de la Grecque, 

& Latine, comme vous voyez par le passage de Budé, toutesfois mettant la main à l' œuvre il y adjousta l' Hebraïque. Chose dont Vulteius, qui lors avoit acquis quelque nom de Poëte, congratuloit à la France au second livre de ses Epigrammes, escrivant à Estienne Dolet

Nunc ubi gymnasium, Schola nunc ubi, quaeso, trilinguis

Gallia nunc habet hoc nobile Regis opus.

Et en quelque Epigramme suivante, qu' il adresse au Roy.

Barbaries, Latij quicquid sermonis habebant, 

Abstulerat Gallis rusticitate sua. 

Iussisti renovare artes, & crescere linguas,

Te duce ius retinet lingua Latina suum. 

Ausonias, Graecas, resonat gens Gallica voces,

Hebraeasque tuo munere docta colit. 

Hoc miratur opus terrarum maximus orbis, 

Et loquitur mores Barbara terra tuos. 

Caesaris Augusti cecinit miracula Marcus,

Augusto nobis Caesare maior eris. 

Iamque Minerva suos te praeside iactát honores, 

Exultat Pytho nomine clara tuo.

Barbaries contempta gemit, te Principe victus

Exulat impostor, monstráque cuncta jacent. 

Vive diu foelix Francisce, hoc nomine Regem

Quem primum nostro fata dedere bono.

Vive iterum, atque iterum foelix Francisce, Minerva

Ut vivas foelix, & moriare, cupit. 

Epigramme que je vous estale tout de son long, non que j' y trouve aucun nez, ains seulement d' autant que vous y trouvez l' establissement des trois langues en ce college, par celuy qui escrivoit en ce temps-là: car ses Epigrammes furent imprimees à Lyon l' an 1537.

Au demeurant il n' y eut sous le regne de François I. qu' unze places destinees à ce noble & Royal exercice, & la 12. erigee à la postulation & requeste de Charles Cardinal de Lorraine par le Roy Henry second, en faveur de Pierre Ramus, sous le titre de Professeur du Roy en l' Oratoire & Philosophie. Et le premier de tous fut Pierre Danes, depuis Evesque de la Vaur, & Ambassadeur pour le Roy, au Concil de Trente, lequel fut enterré l' an 1577. en l' Eglise sainct Germain des Prez aux Faux-bourgs de Paris, combien que son Epitaphe le qualifie premier Lecteur Royal és lettres Grecques: Ce qui pourroit apporter quelque obscurité sur le fait de cette primauté, pour dire qu' il fut seulement le premier au faict de cette profession, non des autres. Toutesfois la verité est qu' il fut le premier de tous les autres Professeurs, pourveu par le Roy François. Et voicy comment: Budé directeur de ceste compagnie, faisoit singuliere profession de la langue Grecque, comme vous peuvent tesmoigner les 5. livres de ses Epistres Latines, qu' il parseme ordinairement, non d' une simple parole Gregeoise, ainsi que faisoit anciennement Ciceron escrivant à son bon amy Atticus, ains de 12. & 15. lignes, & quelquesfois d' une page entiere: chose fort familierement par luy exquise & affectee; Mesme composa un livre de depesche en Grec, & finalement nous fit part de ses Commentaires de la langue Grecque. C' est pourquoy il meit premierement cette profession en avant, & par mesme moyen en fit pourvoir Danes de la premiere place de Lecteur. Quoy que soit nous ne luy revoquasmes jamais en doute cette primauté sur tous les autres pendant nostre jeunesse, ny mesme Monentueil Professeur du Roy, ancien és Mathematiques l' an 1594. apres la reduction de Paris en la harangue qu' il fit en l' honneur des Professeurs du Roy, à la premiere ouverture de les leçons: Et pour ne m' esloigner du temps de leurs creations, encore en trouverez vous quelque remarque dedans le mesme Vulteius, par moy cy-dessus allegué au premier livre de ses Epigrammes: où ayant dressé une Epigramme à Budé comme port'enseigne de cette compagnie, il en adresse tout soudain apres un autre à Danes, puis à Tusan, puis à Vatable, Oroncefinee, Stragelle, & Sylvius: Et y a bien grande apparence qu' il les honora tous selon l' ordre de leurs receptions. Cette notable compagnie sur son advenement & depuis, produisit diversement plusieurs personnages d' honneur: En la langue Grecque uns Danes, Tusan, Stragelle, Cheradame, Dorat, Lambin, Helias: En l' Hebraïque Vatable, Mercerus à nous plus cogneu sous ce nom, que sous celuy de Mercier: Genebrard: Es Mathematiques Oronce, Maignan Pemia Forcadel: En la Medecine Sylvius, Goupille, Duret; Es lettres Humaines & Philosophie Gallandius, Tournebus, Regius, Aquercu, Charpentier, Passerat: Et entre ceux-cy principalement Tournebus & Ramus. Celuy-là admirable tant en la langue Grecque & Latine, qu' en la cognoissance de toute l' ancienneté, comme nous rendent certain tesmoignage les livres par luy intitulez Adversaria. Cestuy-cy d' un esprit universel, comme on recueille par ses œuvres, concernans tant les lettres Humaines que Philosophie. J' ay autres-fois appris de trois Allemans, gens d' honneur, qu' en plusieurs Universitez d' Allemagne, lors que ceux qui sont en chaire alleguent Tournebusb & Cujas, aussi tost mettent ils la main au bonnet, pour le respect & honneur qu' ils portent à leurs memoires. Et qu' és Universitez qui sont sous la domination du Lanthgrave de Hain, ils ont banny la Philosophie d' Aristote, pour embrasser celle de Ramus. Se donnans ceux qui estudient en Dialectique le nom & titre de Ramistes. Entre les Professeurs du Roy que je vous ay icy touchez, je ne nomme point les vivans: qui trouveront dedans la posterité leurs trompettes s' ils s' en rendent dignes.

Les Troubles de nostre temps, advenus sous le nom de la Ligue & saincte Union l' avoient effarouché de nostre Université tous les Escoliers vrays François: mais le feu Roy Henry le Grand quatriesme du nom, y ayant esté reintegré en l' an 1594. aussi commença elle à se repeupler: Et l' an d' apres Monentueil Professeur és Mathematiques, ouvrant le pas à ses leçons fit une harangue, comme j' ay dit cy-dessus en l' honneur de tous les Professeurs du Roy, qui avoient tousjours esté diversement espars par la ville: Ayans d' un commun concours choisi le College de Cambray, nombril de l' Université, pour y faire gratuitement leurs leçons publiques: College caduque & antique: cela fut cause que cet honneste homme en sa harangue, souhaita que nos Rois voulussent honorer cette compagnie d' un nouveau College. Souhait qui depuis a sorty effect. Parce que le docte Cardinal du Perron moyenna cet ouvrage envers nostre Henry quatriesme, duquel il estoit grand Aumosnier. Et par son Conseil fut arresté que des deux Colleges de Cambray & Triquier, qui s' attouchoient, en seroit fait un. Lequel sous la conduite de luy, a esté encommencé d' un si superbe arroy, qu' estants parachevé il ne trouvera son pareil en toute l' Europe.

Il y avoit au College de Sorbonne d' une bien longue ancienneté deux Bacheliers en Theologie, qui enseignoient sans gages la Theologie. Ramus dedans les Remonstrances qu' il fit au Roy Charles neufiesme, quelque peu auparavant nos Troubles de l' an mil cinq cens soixante & un, le supplia tres-humblement qu' il luy pleust appointer de bons gages, non des simples Bacheliers, ains deux Docteurs qui seroient tirez des plus Doctes Theologiens, dont l' un enseigneroit les sainctes lettres en Hebrieu, & l' autre en Grec. Cette Requeste fut un souhait pendu au croc, jusques à ce que Henry le Grand estant r'entré dedans Paris, le mesme Cardinal du Perron, estant lors seulement Evesque d' Evreux, obtint de luy que pour cet effect il y avroit deux chaires en la Sorbonne, aux gages de trois cens escus: Et qu' en celle de la matinée seroit faite une leçon de la Theologie contemplative, & en celle de l' apresdisnée, de la Morale. Et sur la nomination faite par ce docte Prelat, fut donnee la matinée à du Val, & l' apresdisnée à Gamasche. Tous deux superlatifs en ce suject, & voulut qu' avenant la mort de l' un d' eux, il fust procedé par le commandement de l' Evesque de Paris, à nouvelle eslection, sans brigues, appellez tous les Docteurs de la Sorbonne, & les deux plus anciens du College de Navarre. Lettres en forme de Chartres du mois de Juin 1597. verifiées au Parlement le 8. d' Aoust, & en la Chambre des Comptes, le 15. Septembre ensuivans.

mardi 15 août 2023

10. 17. Que sans calomnie on ne peut remarquer en Brunehaud qu' elle fut cause de la ruine des Roys Theodebert & Theodoric

Que sans calomnie on ne peut remarquer en Brunehaud qu' elle fut cause de la ruine des Roys Theodebert & Theodoric ses petits enfans: ainsi que la commune de nos Historiographes soustient.

CHAPITRE XVII.

Ceux qui de guet à pens ont voüé leurs plumes pour assassiner la reputation de Brunehaud, sur le fait des assassinats, luy imputent entr' autres choses, voire peut estre principalement, qu' elle fit entendre à Theodoric, que Theodebert n' estoit son frere; ains fils d' un simple jardinier, dont sourdirent les divisions qui furent entre les deux freres, & d' elles la ruine totale de leur famille. On dict que celuy qui fait profession de mentir doit estre accompagné de memoire, a fin qu' il ne se trouve disconvenable en ses propos. Je veux assassiner ces menteurs par leurs propos mesmes. Repassez sur Fredegaire & Aimoïn, vous trouverez que depuis la mort du Roy Childebert pere, qui fut l' an six cens, Theodebert & Theodoric ses enfans vesquirent en perpetuelle paix jusques en l' an six cens dix, que Theodoric leva les armes contre Theodebert, sur le faux donner à entendre de Brunehaud, qu' il estoit fils d' un jardinier: car ainsi l' apprens-je d' Aimoïn. De la levee d' armes je la croy, mais que ce fust sur ce sujet je le nie, par les raisons par moy cy dessus deduites, & pour l' evenement que je vous representeray maintenant. Tant y a que cette levee d' armes fut un feu de paille, aussi tost esteint, qu' allumé. Car par la mort de Protade Maire de son Palais, l' armee fut aussi tost licenciee, & ne trouverez que depuis Theodoric se soit souvenu de la mettre aux champs sous le pretexte de cette fausse imputation. Au contraire Theodebert fut le premier promoteur de leurs partialitez en l' an six cens quinze, dont depuis il paya le premier la folle enchere: Et de ce je ne veux plus asseuré tesmoin qu' Aimoïn. Voyons donc ce que nous apprenons, & ce qu' il en avoit apris de Fredegaire: car, l' un & l' autre symbolizent en cette particularité.

Anno decimo quinto regni sui (dit le Moine chapitre nonante cinq, livre troisiesme) Theodebertus aliqua sibi de fratris Theodorici posseßionibus adiungere parans, eum in se excitanvit. Veruntamen provido prudentium consilio virorum, electus est locus, cui Saloyssa cognomen, ut fratres ad destinatum locum cum paucis, sed Franciae primoribus, convenientes, quae pacis essent eligerent. Ibi Theodoricus cum decem millibus virorum solum; Theodebertus vero cum magna Austrasiorum affuit manu: bello etiam si frater petitis annueret, turbare pacem volens. Theodoricus tantae multitudinis contemplatione perturbatus, quae ille cupiebat conceßit. Conventus Fratrum huiusmodi fuit, ut Alesatio, & Sugitensi, Turonensi quoque, ac Campanensi cederet Comitatu Theodoricus, & ad Theodebertum ius omnium horum transiret. Inde cum gratia, sed simulata, discessum est, ac se invicem salutantes, uterque ad sua regna sunt regreßi.

Passage que je rendray François au moins mal qu' il me sera possible, a fin que chacun y ait part.

Theodebert le 15. an de son regne se voulant accommoder de quelques terres de Theodoric son frere, le reveilla contre soy; toutesfois par l' advis de quelques preudhommes, fut choisi un certain lieu appellé Saloïsse, ou les deux freres se trouveroient avec peu de suite (& singulierement qu' il y eust des François) où les 2. freres s' aboucheroient ensemblément pour vuider leurs differens à l' amiable. 

Là se trouva Theodoric suivy de dix mil hommes seulement: Mais Theodebert d' une forte & puissante armee, en bonne deliberation de troubler la paix, quand bien son frere luy passeroit condamnation de toutes ses demandes. Chose dont Theodoric estonné fut contrainct de caller la voile, & d' acquiescer à toutes les pretensions de Theodebert, quoy faisant luy furent adjugez les Comtez d' Azas, Sagitense, Touraine & Champagne, & par ce moyen se partirent contens l' un de l' autre: mais d' un contentement simulé.

Quels estoient ces Comtez là, & en quoy ils gisoient, j' en laisse la decision à quelques plus curieux que moy. Suffise vous qu' on voit par cela que Theodoric ne fut le premier demandeur ou complaignant en cette querelle, ains Theodebert. Et à tant que c' est une vraye ignorance, ou imposture de l' improperer à Brunehaud. Mais considerons quel progres elle eut, & en quoy nous pouvons nous aheurter contre cette Princesse. Le mesme Aimoïn recite tout au long comme les choses depuis se passerent entre les deux freres au chap. suivant qui est le 96. & parce qu' il est trop long je penserois icy abuser de vostre loisir, & du mien de le vous copier comme l' autre; ains me contenteray de vous dire que j' apprens de cet Autheur, que peu apres Theodebert fit mourir sans aucune cause Brunechilde sa femme, pour espouser Thendephilde. Et que Theodoric se voulant ressentir de l' affront & supercherie qui luy avoient esté faits, s' arma à bon escient contre luy. Cruelle bataille entr'eux pres la ville de Thou, par laquelle Theodebert fut mis à vauderoute. Quelque temps apres autre plus cruelle pres de Tolbiac, où Theodebert fut tout à fait vaincu sans esperance de ressource. En toutes lesquelles procedures je ne voy rien engagé de la reputation de Brunehaud. Mais voicy maintenant le grand coup auquel je demeure moy mesme engagé: Quelle fut la mort de Theodebert, quelle celle de son fils, ou de ses enfans. Si vous en parlez à Fredegaire il le fait prisonnier de Bertaire Chambellan du Roy Theodoric qui en fit present à son Maistre, lequel l' envoya aussi tost lié & garotté à Chaalons sur Saone; & pour tous enfans ne luy en donne qu' un bien petit, auquel il fit escraser la teste en la ville de Mets: & là se ferme cet Autheur en cet endroit. Mais Aimoïn fait tué traistreusement Theodebert dedans la ville de Colongne, par l' un de ses sujets qui fit present de sa teste à Theodoric, & luy donne plusieurs enfans masles, dont le plus petit enfançon fut meurtry par sa bisayeule, la teste contre une muraille, une fille belle en perfection conservee: des autres enfans masles, il n' est plus faite memoire: Qui monstre que c' est un coup de plume traversier d' un Moine. Mais en bonne foy, auquel des deux adjousterons nous plus de creance, ou a Fredegaire qui atoucha de plus pres le temps dont il parloit, ou à Aimoïn qui en fut beaucoup plus esloigné, que vous voyez estre contrepointez l' un à l' autre? Ainsi perit la famille de Theodebert, & ainsi s' impatroniza Theodoric de son Estat d' Austrasie.

Voyons maintenant quel jugement nous ferons de sa fin. Fredegaire le fait mourir d' une caquesangue. Aimoïn le fait mourir par le poison qu' industrieusement luy brassa son ayeule. De moy je ne demanderay jamais pardon, si j' adjouste plus de foy à l' ancien Autheur qu' au moderne. Singulierement eu esgard que je voy Aimoïn par les deux chapitres de luy que j' ay cy-dessus alleguez, n' avoir ignoré les deux opinions de Fredegaire, dont il fait mention sans le nommer. Toutesfois pour ne forligner de sa bonne coustume, il choisit les deux pires au prejudice de cette Princesse. Et neantmoins puis qu' il avoit à desdire celuy duquel il emprunte en cet endroict la plus part de ses mesdisances, il me semble qu' il devoit cotter quelque Autheur de marque, sur lequel il asseurast son desmentir, sans le vouloir authoriser de soy mesme, puis qu' il contrevenoit par sa confession mesme à l' ancienneté.

vendredi 4 août 2023

8. 9. Du Proverbe, Je veux qu' on me tonde, dont userent anciennement nos Peres, & ayeuls, pour signifier une peine.

Du Proverbe, Je veux qu' on me tonde, dont userent anciennement nos Peres, & ayeuls, pour signifier une peine.

CHAPITRE IX.

Ce n' est pas chose de petite recommandation que la longue chevelure, & mesmement entre les Gaulois. Pour le moins le pouvons nous recueillir de ce que l' une partie de nos Gaules estoit appellee Comata, à la difference de celle que l' on appelloit Togata: & encores en ce que nos premiers Roys de la France, par un commun vœu remarquoient leurs Majestez par une bien longue perruque, voire qu' il y eut un Gondovault, qui faillit de se faire declarer Prince du sang soubs la premiere lignee de nos Roys soubs une fause remarque des longs cheveux. Herodote au premier livre recite une Histoire fort notable pour cest effect, quand il dit que les Lacedemoniens avoient accoustumé d' estre tondus, & les Argives autre peuple de la Grece de porter longue chevelure: Toutesfois depuis une bataille entre eux donnee, par laquelle les Lacedemoniens eurent du bon, gaignans sur les autres l' Isle de Tyrce, les victorieux commencerent de porter longs cheveux contre leur ancienne coustume, & les vaincus les tondre avec un ferme propos de ne les laisser croistre, jusques à ce qu' ils eussent recoux leur Isle. De ma part je ne fais point de doute que l' ancienneté tira à gloire & honneur la cheveleure, & estime que cela fut cause que ceux qui quittoient le monde pour se renger aux Cloistres, furent raiz, pour monstrer qu' ils renonçoient à toute mondanité, & aussi paravanture pour tesmoigner toute soubmission & obeyssance envers leurs Superieurs. Nos plus vieilles Croniques parlans d' un homme que l' on rendoit Moine, disoient qu' il avoit esté tondu, & dans le quatriesme livre des Loix de Charlemagne, article vingtdeuxiesme. Si quis puerum invitis parentibus totunderit, aut puellam velaverit. Nous usons encores d' une autre signification de ce mot de Tondre contre celuy qui a perdu sa brigue, ou est descheu de son entreprise, quand nous disons qu' il a esté tondu de sa brigue, ou de son entreprise. Comme si le contraire fust un signe de la victoire, tout ainsi qu' aux Lacedemoniens contre les Argives. Si vous croyez Nicolas Gilles en ses Annales de France, Clodion le Chevelu fut ainsi surnommé: par ce qu' ayant conquis quelque partie des Gaules sur les confins du Rhin, il restablit les cheveux aux Gaulois, que Jules Cesar en signe de victoire leur avoit faict abbatre: Au contraire si à l' Abbé Triteme, il dit que ce surnom luy fut donné, d' autant qu' apres avoir vaincu une partie des Gaulois, il les fit tondre: à fin de les discerner d' avec les François qui avoient participé à ses victoires. Tant y a que soit l' une ou l' autre opinion veritable, le tondre estoit imposé au vaincu, & à vray dire, il semble par ce Distique que le Romain estant victorieux fit tondre les pays par luy subjuguez, pour magnifier leurs victoires: quand Ovide dans ses Amours escrivant à sa Maistresse qui commençoit d' user de faulse Perruque: dit ainsi:

Nunc tibi captivos mittet Germania crines, 

Culta Triumphatae munere gentis eris.

Maintenant tout le Germain 

Fait Romain 

T' envoyera ses cheveux, 

Aux despens de ce pays 

Nouveau pris, 

Cointe seras si tu veux.

Mais dont peut estre provenu que nos predecesseurs passans plus outre denoterent en ce mot de tondre une maniere de peine? François de Villon ce bon fripon en ses Repuës franches parlant du temps qu' il alla à Paris.

Pource que chacun maintenoit 

Que c' estoit la ville du monde, 

Qui plus de monde soustenoit, 

Et où maint estranger abonde, 

Pour la grand science profonde 

Renommee en icelle ville, 

Je partis & veux qu' on me tonde,

S' à l' entree avois croix, ou pille.

Et moy-mesme en ma jeunesse ay veu ce Proverbe fort familierement tomber en nos bouches: maintenant que nous ne nourrissons plus les longs cheveux, on se mocqueroit de celuy qui en useroit. Car nous souhaiterions une peine que nous tournons à honneur. Et certes il ne faut point faire de doute que ce fut anciennement une remarque de peine. Dedans le troisiesme livre des loix de Charlemagne, article 9. De conspirationibus quicunque facere praesumpserunt, & sacramento quamcunque conspirationem firmaverunt, ut triplici ratione iudicentur, Primò ut ubicunque aliquod malum per hoc perpetratum fuit, authores facti interficiantur: Adiutores verò eorum singuli alter ab altero flagellentur, & nares sibi invicem procidant, ubi verò nihil mali perpetratum, similiter quidam inter se flagellentur, & capillos sibi invicem tondeant. C' estoit que celuy qui estoit d' une conjuration, si elle estoit arrivee à quelque effect, devoit estre puny de mort, & ses complices condamnez à s' entrefoüeter, & couper les nez les uns aux autres: Et s' il n' y avoit eu que la simple conjuration, sans passer plus outre, encores se devoient ils fustiger, & couper les cheveux les uns aux autres. Et au 4. livre, art. 17. Qui Epistolam nostram quocunque modo despexerit, iussu nostro ad palatium veniat, & iuxta voluntatem nostram, congruam stultitiiae castigationem accipiat. Et si homo liber aut ministerialis comitis hoc fecerit, honorem qualemcunque, sive beneficium amittat, & si servus, nudus ad palum vapulet, & caput ei tondeatur. En l' un & l' autre article avec le fouët on ordonne l' abatis des cheveux, comme peine extraordinaire. Quelques uns disent que soubs ce mot de tondre on entendoit rendre Moine. Qui est une inepte explication. Parce que les esclaves ne pouvoient en France estre rendus Moynes.

Le jugement que je fais de cecy est, que le commun peuple voyant nos Roys faire profession expresse de porter longues perruques, tira tellement cela à honneur, qu' il estima n' y avoir plus grand signe d' ignominie que d' estre tondu: Car naturellement les sujets desirent se composer aux mœurs de leur Roy. Lors de mon jeune aage nul n' estoit tondu, fors les Moines. Advint par mesme adventure que le Roy François premier de ce nom, ayant esté fortuitement blessé à la teste d' un tizon, par le Capitaine Lorges, sieur de Montgoumery, les medecins furent d' advis de le tondre. Depuis il ne porta plus longs cheveux, estant le premier de nos Roys, qui par un sinistre augure degenera de cette venerable ancienneté. Sur son exemple, les Princes premierement, puis les Gentils-hommes & finalement tous les subjects se voulurent former, il ne fut pas que les Prestres ne se meissent de cette partie. Ce qui eust esté auparavant trouvé plein de mauvais exemple. Sur la plus grande partie du regne de François premier, & devant chacun portoit longue chevelure, & barbe raze, où maintenant chacun est tondu, & porte longue barbe. Accordez je vous supplye la bien seance des deux temps. Cela mesme est autresfois advenu dans Rome, voire aux Empereurs: Parce que les quatorze premiers porterent barbe raze, comme l' on voit par leurs effigies, jusques à l' Empereur Adrian, qui premier enseigna à ses successeurs de nourrir leurs barbes.

mercredi 16 août 2023

10. 24. Qu' Aimoïn faisant mention de Brunehaud, en parle avec passion contre l' honneur d' elle.

Qu' Aimoïn faisant mention de Brunehaud, en parle avec passion contre l' honneur d' elle.

CHAPITRE XXIV.

Fredegaire qui pour sa premiere démarche nous sert dés l' entree de son livre d' une menterie, & apres luy Aimoïn, desgoisent comme ils ont voulu une infinité de mesdisances atroces, contre la memoire de Brunehaud. Mais sur tout j' observe Aimoïn avoir voulu gaigner le dessus de son devancier en ce beau mestier, autrement il eust estimé faire faute, & pecher (si ainsi me permettez de le dire) contre le S. Esprit. Apres que Gontran Roy d' Orleans, & de Bourgongne eut adopté Childebert Roy d' Austrasie son nepueu, & fait son heritier, avec les solemnitez telles que ce grand ouvrage requeroit, finalement il le prit à part, & descouvrit par maniere de leçon, à ce jeune Prince, les Seigneurs de sa Cour ausquels il se devoit fier, & ceux dont il se devoit deffier, & pour conclusion adjousta comme nous apprenons de Gregoire: Ne ad matrem accederet, ne forte aliquis daretur aditus, qualiter ad Gondobaldum scriberet, aut ab eo scripta reciperet. Ce Gondebaud estoit un nouveau Roy imaginaire, lequel arrivé de Constantinople en France, par ses longs cheveux, & quelques autres conjectures, soustenoit estre le cinquiesme enfant du Roy Clotaire I. de ce nom: & partant qu' il devoit quintoyer au Royaume avec les 4. autres enfans. Et sur ce donner à entendre attira plusieurs grands Seigneurs à sa cordelle: Qui excita un estrange gargoüille par toute la France. Que si Brunehaud fut de sa partie (comme toutesfois il est mal-aisé de croire, pour l' affection maternelle qu' elle portoit naturellement à son fils) mais accordons qu' elle eust esté de la partie, paraventure y avroit-il sujet de ne luy imputer à crime, ains de le remettre sur une conscience timoree qui estoit en elle, estimant qu' on faisoit tort à Gondebaud de ne le vouloir recognoistre. Au moyen dequoy elle ne douta d' adherer à ce nouveau Prince, voire ao desadvantage de son propre enfant: au contraire Gontran soustenoit qu' il estoit un imposteur, & sous cette opinion jamais ne cessa qu' il ne l' eust fait mettre à mort. Or soit que Brunehaud favorisast la cause de Gondebaud ou non, vous voyez que Gontran conseilla à son nepueu Childebert de se deffier de la Royne Brunehaud sa mere. Parce que cela importoit à son Estat, comme nous apprenons du 7. livre de Gregoire chap. 33. Voyons maintenant de combien Aimoïn le voulut renvier, lequel apres avoir tout au long emprunté de luy l' ordre que l' on tenoit en l' adoption, & comme le tout s' estoit passé entre l' oncle & le nepueu, poursuit ainsi son discours livre 3. chap. 68. Denique instruens eum, quos fidelium de rebus agendis consuli, quosve à consilio oporteret amoveri, seu quibus corporis curam committi, Aegidij Episcopi fraudulentias, ac periuria, matris Brunechildis versutias cavendas praemonuit. Gregoire s' estoit bien gardé d' user de ces mots, Aimoïn ne pouvoit faire ce discours sans s' en prevaloir.

Aimoïn voulant reciter l' assassinat commis en la personne du Roy Chilperic, par le pourchas de la Royne Fredegonde sa femme. Erat autem, dit-il, praefata Fredegundis, forma egregia, consilio callida, dolis, (excepta Brunechilde) parem non agnoscens. Il ne peut faire ce discours sans donner quelque atteinte à Brunehaud, ores qu' il n' en fust question, tant estoit sa plume, voüee à la mesdisance d' elle. 

Passons plus outre, & voyons de quelle façon il s' est comporté avec Fredegaire qui luy avoit mis plusieurs pieces de ses mesdisances és mains. Fredegaire chap. 38. parle en cette façon de l' execution de la victoire, que Theodoric Roy de Bourgongne eut contre son frere Theodebert Roy d' Austrasie vers Tolbiac. Dirigensque Theodoricus ultra Rhenum, post tergum Theodeberti, Bertharium cubicularium. Qui diligenter insequens, cum iam cùm paucis fugeret, Theodebertum captum, Coloniam, in conspectum Theodorici praesentat. Exibi tum vestes regales, Theodebertus expoliatus, equusque eius cum statura Regis, hoc totumque Berthario à Theodorico conceditur; Theodebertus vinctus, Cabillonem destinatus, filius eius, nomine Merouei, parvulus, iussu Theodorici apprehensus à quodam, per pedem, ad petram percutitur, cerebroque eius capitis erupto, emisit spiritum. 

Cruauté vrayment barbaresque, & neantmoins Theodebert n' a icy qu' un petit enfant. Oyons maintenant Aimoïn discourir sur mesme subject, chap. 99. du 3. liv. Theodoricus ubi factum est indicium Theodebertum evasisse, incentivum accelerandi itineris acceßit, ut conficiendi belli compendium putaret, si Dux & populus bello promptior interciperetur. Adveniens itaque cum suis in Ripuariorum fines sese immisit, occurrentia quaeque devastans, vel exurens. Cuius incolae ad eum venerunt rogatum, ne ob unius culpam, dißidium pararet eis, quos suos fore sciret iure victoriae. Quibus ille: non (inquit) vobis, sed Theodeberto, interitus paratur, cuius caput, si meam promereri vultis gratiam, vos necesse est auferre, aut ipsum vivum, victumque ad me perducere. Illi Regiam Coloniae introgreßi, Theodeberto taliter loquuti sunt. Sic (inquiunt) mandat Theodoricus frater tuus. Si (ait) recipere meruero thesauros paternos, quos Theodebertus adhuc iniuste retinet, pervasos, proprias festinus repedabo domos. Ideo hortamur te, Domine Rex, ut portione quae debetur reddita, nostra eum non sinas infestare domicilia. His Theodebertus dictis credulus, pro vero prolata arbitratus, locum, quo regalis continebatur gaza, pariter cum ipsis ingressus. Eo igitur perscrutante, quid fratri opportunius, sine sui damno, posset restituere, unus è circumstantibus, evaginatum gladium, cervici illius illidens, caput abstulit, ac per muros Coloniae circumtulit. Quod cernens Theodoricus, ipse confestim urbe potitus, Regias invasit opes, & primates civitatis, in sua sibi verba, iurare compellit. Vous voyez en cette histoire double leçon: parce que Fredegaire fait Theodebert prisonnier de guerre envoyé lié & garoté à Chaalons sur Saone, siegere du Royaume de Bourgongne de Theodoric: Et Aimoïn le rend occis dedans la ville de Colongne, par ses sujets. Accordez je vous prie ces deux histoires: mais n' estant le but où je vise, je passeray plus outre. Compositis (dit Aimoïn) ex sententia rebus, inde cum multis spoliis progressus, secum adduxit filios fratris sui, cum filia, quae specie nitebat decora. Dum Metas advenisset reperit aviam suam Brunechildem inibi obviam venisse. Quae arreptis Theodeberti filijs eos sine mora neci tradidit, & minorem quidem natu, Merouei nomine, in albis adhuc positum, lapidi illisum, coegit exhalare spiritum. Regnavit itaque Theodebertus annis 17. Quidam vero Authores scripserunt Theodebertum, post illam Theodorici victoriam, suamque aerumnam, Rhenum transivisse, & Theodoricum cap-* Colonia, Bertharium cubicularium suum ad comprehendendum eum misisse, à quo comprehensus, & ad Theodoricum perductus, indumentisque suis Regijs exutus, Cabilonas dicitur esse in exilium relegatus, ob compensationem autem tam praeclari operis Bertharius equum eius, cum structura regia fertur à Theodorico percepisse.

Cette seconde opinion estoit celle de Fredegaire; à laquelle Aimoïn devoit adjouster que l' enfant Meroüee avoit esté meurdry par le commandement de Theodoric son oncle: ce qu' il s' est bien donné garde de faire, tant il estoit aheurté à la mesdisance contre Brunehaud. Mais voyez de combien plus il faict valoir ce mestier sur l' autre: qui n' avoit donné qu' un Meroüee enfant à Theodebert, car icy ce Moine luy en donne plusieurs, qui tous sont occis par le commandement de Brunehaud leur bisayeule, & Meroüee de la façon piteuse que dessus. Mesme qu' il semble que cette Princesse se fut transportee de propos deliberé à Mets, pour faire ces magnifiques exploits contre son propre sang: & signamment contre le petit enfant Meroüee qu' elle fit ecerveler, n' estant encore baptizé. Car ainsi explique Nicolas Gilles, & autres apres luy ces mots, qu' il estoit encore in Albis.

Fredegaire parlant de la mort de Theodoric. Theodoricus (dit-il chap. 39.) Metis profluvio ventris moritur. Entendez maintenant quel commentaire a fait Aimoïn sur ceste mort. liv. 3. chap. 100. car chacun a interest de la sçavoir. Interea dum Metis moraretur Theodoricus amore filiae fratris Theodeberti (quam Coloniae captitaverat) deperire coepit. Quin cum sibi copulare vellet, ab avia ne hoc faceret prohibebatur. Cui ille: Et quid (ait) incurram offensionis, si illam uxorem duxero? Ad haec Brunechildis. Non (inquit) fas est fratris progenitam habere te coniugem. Ad haec Theodoricus, ut audivit, felle commotus, tali ei respondit modo. Nonne tu Deo odibilis, cunctisque invisa bonis, mihi dixeras eum fratrem non esse meum, ut quid imposuisti mihi tam grave onus fratricidij? Et evaginato ense, voluit eam percutere: quae à circunstantibus erepta, ac manibus damno elapsa, mortis quidem evasit discrimen, sed nepoti dolos paravit temeritate foeminea. Nam egredienti è balneo, per manus ministrorum pecunia corruptorum, veneni porrexit poculum. Quo hausto, ut poenitens scelerum quae gesserat, vitae sortitus est terminum, quam criminibus foedaverat. Tradunt vero memorati scriptores, eum ad Metensem urbem, dum contra Clotarium expeditionem agere meditaretur, disenteriae morbo interiisse 18. regni sui anno. Celuy dont Aimoïn entend parler tant par les 99. que 100. chap. du 3. liv. de Fredegaire. Je demanderois volontiers pourquoy sans le nommer il l' a voulu dementir en ces 2. dernieres particularitez, luy qui d' ailleurs emprunte la plus part de son mesdire, de Fredegaire, sinon qu' en ces deux dementirs il se pensoit advantager de reputation sur luy: d' autant qu' il mesdisoit davantage de Brunehaud: Et neantmoins au bout de ces comptes fascheux il est contraint de dire, apres que cette pauvre Princesse eut esté cruellement traitee en sa mort, au livre 4. chap. I. Non tamen ex toto vecors extitit, quin Dei, ac sanctorum eius, memorias à praedecessoribus structas, venerabiliter excoleret, ipsaque novas fabricando devote multiplicaret. Nam in suburbano Laudunensi, basilicam in honorem S. Vincentij constituit, & apud Augustodunum, aliam sancto inaedificari Martino iußit, usa sanctis ad id opus ministerijs, venerabilis viri Siagrij praedictae urbis  Episcopi. Multis quidem & alijs in locis sub nomine S. Martini magnificas fundavit Ecclesias, illum sibi prae caeteris adjutorem sibi confidens, & confidendo exposcens. Aedificia sane ab ipsa constituta, usque in hoc tempus durantia, ostenduntur, tam innumera, ut incredibile videatur, ab una muliere, & in Austria tantummodo, & Burgundia regnante, tanta, in tam diversis Franciae partibus, construi potuiße. Quelqu'un pourra par ce passage inferer que tout ce qu' Aimoïn avoit auparavant mesdit d' elle ne doit estre creu, veu qu' il n' a oublié sur la fin de luy donner un eloge si magnifique. Quant à moy je recueille de ce placard, que tous ceux qui ont diversement rapetassé le livre d' Aimoïn, se sont abusez representans Brunehaud cruelle, de la façon comme ils font: car toutes ces Eglises ne peuvent estre basties que par une ame devote envers Dieu, & ses SS. Et combien que dedans telles ames la paillardise n' ait accoustumé se loger, si advient il quelquesfois le contraire par l' instigation du Diable; car combien que ce peché soit formellement contre Dieu, toutesfois il ne l' est contre la nature, j' entens contre nostre nature depravee & corrompuë. Mais la cruauté en soy est contre Dieu, & cette nostre nature tout ensemble. Et à tant il se peut faire que Brunehaud s' estant eschappee à soy mesme, s' amouracha d' un Protade, qui apporta scandale à l' Estat. Mais qu' elle se fust desbordee en toutes les cruautez plus que brutales, qui se trouvent dedans Fredegaire & Aimoïn, je ne le puis croire. Dedans Fredegaire (dis-je) non seulement pour le peu de nom qui est en luy, mais aussi que dés l' entree de son livre, je le voy broncher en l' Histoire. Dedans Aimoïn non seulement par trois fautes, que je voy en luy de mesme parure, mais aussi pour avoir esté eschantillonné de tant de pieces, qui me sont toutes suspectes, si elles ne se rapportent au sens commun; & signamment je ne me puis rapporter à leurs opinions, en ce que je les voy discorder à Gregoire Evesque de Tours, au grand Gregoire I. Pape de ce nom, & des remonstrances du bon Colombain, tous trois beatifiez & mis au Kalendrier des saincts, qui parlerent tous trois de ce qu' ils veirent, ou peurent voir. Et combien que n' ayans rien escrit de la main de Colombain, toutesfois je ne vous ay rien dit de luy, que je ne l' aye coppié de Fredegaire, & Aimoïn, je veux dire les Remonstrances que ce bon & sainct homme fit à Brunehaud, dedans lesquelles nulle mention de sa cruauté, qu' il n' eust oubliee si elle se fust trouvëe en elle, telle que nos Annalistes la qualifient.

mardi 1 août 2023

8. 3. De la diversité de l' ancienne langue Françoise, avecques celle du jourd'huy.

De la diversité de l' ancienne langue Françoise, avecques celle du jourd'huy.

CHAPITRE III.

J' ay dit au premier Chapitre de ce Livre, que tout ainsi que selon la diversité des temps on change d' habits, voire de Magistrats en une Republique, aussi se changent les langues par une taisible alluvion. Pierre Crinit en ses livres de l' honneste discipline, dit que l' on avoit peu autres-fois observer dans Rome quatre ou cinq diversitez de langues. La vieille des Saliens, qui pour sa longue ancienneté n' estoit presque entenduë, laquelle puis apres s' eschangea au Latin des douze Tables, qui receut quelque polisseure, sous le Poëte Ennius & Caton le Censeur, jusques à ce que petit à petit elle attaignit à sa perfection du temps de Ciceron, Cesar & Saluste, & depuis alla tousjours en telle decadence, qu' en fin elle fut ensevelie dedans l' Italienne. 

Je ne fais point de doute que le semblable ne soit advenu à nostre langue Françoise, laquelle selon la diversité des siecles, a pris diverses habitudes, mais de les vous pouvoir representer, il est mal aisé. Parce qu' anciennement nous n' eusmes point une langue particulierement courtizane, à laquelle les bons esprits voulussent attacher leurs plumes. Et voicy pourquoy. Encores que nos Rois tinssent la superiorité sur tous autres Princes, si est-ce que nostre Royaume estoit eschantillonné en pieces, & y avoit presque autant de Cours que de Provinces. La Cour du Comte de Provence, celle du Comte de Tholose, celle du Comte de Flandres, du Comte de Champagne, & autres Princes & Seigneurs, qui tous tenoient leurs rangs & grandeurs à part, ores que la plus part d' eux recogneussent nos Rois pour leurs souverains. De là vint que ceux qui avoient quelque asseurance de leurs esprits, escrivoient au vulgaire de la Cour de leurs Maistres, qui en Picard, qui Champenois, qui Provençal, qui Tholozan, tout ainsi que ceux qui estoient à la suite de nos Rois, escrivoient au langage de leur Cour. Aujourd'huy il nous en prend tout d' une autre sorte. Car tous ces grands Duchez & Comtez, estans unis à nostre Couronne, nous n' escrivons plus que en un langage, qui est celuy de la Cour du Roy, que nous appellons langage François. Et ce qui nous oste encore d' avantage la cognoissance de cette ancienneté, c' est que s' il y eust un bon livre composé par nos ancestres, lors qu' il fut question de le transcrire, les copistes les copioient non selon la naïfve langue de l' Autheur, ains selon la leur. Je le vous representeray par exemple: entre les meilleurs livres de nos devanciers, je fais estat principalement du Roman de la Roze. Prenez en une douzaine escrits à la main, vous y trouverez autant de diversité de vieux mots, comme ils sont puisez de diverses fontaines. J' adjousteray que comme nostre langue prenoit divers plis, aussi chacun copiant changeoit l' ancien langage à celuy de son temps. Cela s' observe non seulement en ce vieux Roman de la Roze, mais aussi en l' ordonnance de sainct Louys de l' an mil deux cens cinquante quatre sur les Baillifs, Seneschaux, Prevosts, Viguiers, & autres choses concernans la police generale de la France: Ordonnance que je voy diversifiee en autant de langages, comme il y a eu de diversité de temps. Si vous veux-je dedans cette obscurité mettre en veuë un eschantillon qui merite d' estre recogneu.

L' un des vieux Autheurs François que nous ayons, est Geoffroy de Villardoüin Mareschal de Champagne du temps de Philippe Auguste, lequel nous redigea par escrit tout le voyage d' outre-mer de Baudoüin Comte de Flandres. Chose dont il pouvoit fidelement parler, comme celuy qui fut de la partie. Or voila le commencement de son œuvre dont Blaise Viginelle nous a fait present.

Sçachiez que mille cent quatre vingts & dix-huict ans apres l' Incarnation de nostre Seigneur Jesu-Christ, al temps Innocent III. Apostoille de Rome, & Philippe Roy de France, & Richard Roy d' Angleterre, ot un sainct homme en France, qui ot nom Folque de Nuilly, Cil Nuiliz si est entre Laigny sor Marne, & Paris, & il ere Prestre, & tenoit le Paroiche de la ville: & Cil Folque dont je vous dy, commença au parler des Diex par Frances, & par les autres terres & entre nostre Sire, fit mains miracles par luy. Sçachiez que la renommee de cel sainct homme alla tant qu' elle vint à l' Apostoille de Rome Innocent, & l' Apostoille envoya un sien Cardinal, Maistre Perron de Chappes Croisie, & manda par luy le pardon tel comme vous diray. Tuit Cil qui se croiseroient, & feroient le service deu, un an en l' ost, seroient quittes de tous les pechez qu' ils avoient faits. Porce que cil pardon fu issy gran, si sen esmeurent mult li cuers des gens, & mult s' en croißierent, porce le pardon ere si grand.

Viginelle qui a retrouvé cette Histoire, & opposé à chaque page le vieux langage au nouveau, l' a rendu en cette façon:

L' an mille cent quatre-vingts dix & huit, apres l' incarnation de nostre Seigneur Jesus-Christ, au temps du Pape Innocent troisiesme, de Philippe Auguste Roy de France second de ce nom, & de Richard Roy d' Angleterre, il y eut un Sainct homme en France appellé Foulques de Nuilly, Prestre & Curé du mesme lieu, qui est entre Laigny sur Marne & Paris. Cestuy-cy se meit à prescher la parole de Dieu par la France, & les terres circonvoisines, & nostre Seigneur fit tout plein de miracles par luy, tant que la renommee en alla jusques au sainct Pere, lequel envoya ce preudhomme à ce que sous son nom & authorité, il eust à prescher la Croisade, & bien tost apres il y depescha un sien Cardinal Maistre Pierre de Cappes Croisé, pour y inviter les autres à son exemple, avec les Indulgences & Pardons que je vous vois dire: Que tous ceux qui se croiseroient pour servir à Dieu un an durant en l' armee qui se dressoit pour conquerir la terre Saincte, avroient planiere absolution de tous leurs pechez dont ils feroient confez & repens: Et pource que ces Indulgences furent si grandes, s' en esmeurent fort les cœurs des personnes, & plusieurs se croiserent à ceste occasion.

Je ne vous baille pas le passage de Villardoüin pour naïf François, car estant né Champenois, & nourry en la Cour du Comte de Champagne, je veux croire qu' il a escrit selon le ramage de son pays. Toutes-fois conferez son ancienneté à ce qui est de nostre temps, vous direz que ce qu' a fait Viginelle est plus une traduction, qu' imitation. Celuy de nos Autheurs anciens que je voy suivre de plus pres Villardoüin est Guillaume de Lorry qui fut du temps de S. Louys, & apres luy Jean de Mehun sous le regne de Philippes le Bel. Voyez les anciennes coppies de leur Roman, & les parangonnez au langage que Clement Marot leur donna du temps du Roy François premier, vous en direz tout autant. Vray que par une grande prudence il y voulut laisser quelques vieilles traces en la fin de plusieurs vers, pour ne sortir du tout des termes de la venerable ancienneté.

Nostre langue commença grandement à se polir de cette ancienne rudesse, vers le milieu du regne de Philippes de Valois, si les Registres de nostre Chambre des Comptes ne sont menteurs, esquels vous voyez une pureté qui commence de s' approcher de nostre aage. Vous y trouverez encores uns Enformer, pour informer, non contrestant, pour nonobstant, Diex, pour Dieu. Mais au demeurant tout le contexte des paroles ne s' esloigne gueres des nostres. Comme aussi en tous les Romans qui furent depuis faits en prose. Et plus nous allasmes en avant, plus nostre langue receut de polisseure: tesmoins les œuvres de Maistre Alain Chartier, en son Quadrilogue, Curial, & Poësies (que je ne reprendray icy, pour luy avoir cy-dessus donné Chapitre particulier au 5. Livre de ces Recherches) & successivement Philippes de Commines en son Histoire des Rois, Louys XI. & Charles VIII. Et apres luy, Maistre Jean le Maire de Belges, du temps du Roy Louys XII. Claude Seissel tant en son Apologie du Roy Louys XII. & discours de la Loy Saiique, qu' és traductions de Thucidide, Eusebe, & Appian. Je trouve sous le regne de François I. une plus grande naïfveté de langage en Jacques Amiot, ores qu' il ait principalement paru soubs Henry II. qui sembla avoir succé sans affectation tout ce qui estoit de beau, & de doux en nostre langue: Tous les autres qui sont depuis survenus se licencierent ou en paroles, ou en abondance de metaphores trop hardies, ou en une negligence de stile. Quoy que soit il me semble que je voy en luy cette belle fleur qui estoit aux autres, se ternir.

Il n' est pas dit que tout ce que nous avons changé de l' ancienneté, soit plus poly, ores qu' il ait aujourd'huy cours. Nos ancestres avoient pris de Verus, & Vera, Voir, & Voire, dont il ne nous est resté que les adverbes, voire, & voirement: Nous en avons fait uns vray, & vraye, qui sont beaucoup plus rudes, & de difficile prononciation que les premiers. Nous disions aux preterits parfaicts de ces Verbes, Tenir & Venir, Tenit & Venit, lesquels on eschangea depuis en Tiensit, & Viensit, finalement nous en avons fait Tint & Vint, en ces mutations allans tousjours en empirant: car il ne faut faire de doute que Tenit, & Venit ne fussent selon les reigles de la Grammaire meilleurs, & plus naturels.

J' ay remarqué plusieurs belles paroles anciennes, dont les aucunes sont du tout perduës par la nonchalance, & les autres changees en pires par l' ignorance des nostres. Nos ancestres userent de Barat, Guille, & Lozange, pour Tromperie, & Barater, Guiller, & Lozanger, pour tromper: Dictions qui nous estoient naturelles, au lieu desquelles nous en avons adopté des Latines, Dol, Fraude, circonvention: Vray qu' encores le commun peuple use du mot de Barat: A fin cependant que je remarque icy en passant que comme nos esprits ne sont que trop fertils, & abondans en tromperie, aussi n' y a-il parole que nous ayons diversifiee en tant de sortes que cette-cy: Parce que Guille, Lozange, Barat, Malengin, Dol, Fraude, Tromperie, Circonvention, Deception, Surprise, & Tricherie, denotent cette mesme chose. Le Roman de Pepin dit Enherber, nous Empoisonner. Le mesme Roman, & encores le Comte Thibaut de Champagne en ses Amours Maleir, pour ce que nous disons Mauldire. Le vieux valoit bien le nouveau, si nous voulons nous arrester à l' analogie de beneir, qui est son contraire. Nos predecesseurs dirent grigneour puis grigneur, dont encores est faite frequente mention dans quelques anciennes coustumes: Nous disons plus grande, & meilleure part, rendans en deux mots ce qu' ils comprenoient sous un seul. Nous disons aujourd'huy Magistralement, Hugues de Bersy Maistrement, qui est moins Latin. Nous usons du mot adjourner, quand nous faisons appeller un homme en justice par la semonce d' un Sergent, le Roman de Pepin en a usé pour dire que le jour estoit venu, Qui n' estoit pas trop mal propre: nous en avons perdu la naïfveté, pour la tourner en chicanerie. Dans le mesme Autheur, Hosteler, pour loger, qui n' estoit pas moins bon que le nostre: Malotru est dedans Hugues de Bersy: barguigner, mot aussi familier entre les marchands, que chicaner entre les praticiens, est dans Huon de Mery en son Tournoy de l' Antechrist, ces deux se sont perpetuez entre nous jusques à huy. Le Latin a dit Ambo & Duo, pour denoter le nombre de deux: De ces deux mots l' Italien a fait un ambedue, & dans le Roman de la Roze je trouve pour pareille signification ambedeux, mot qui n' est plus à nostre usage: Endementiers avoit eu vogue jusques au temps de Jean le Maire de Belges, car il en use fort souvent, pour ce que nous disons par une Periphrase, en ce pendant, Joachim du Bellay dans sa traduction des quart, & sixiesme livres de Virgile le voulut remettre sus, mais il n' y peut jamais parvenir. Nessum pour nul, Ades pour maintenant. Nous les avons resignez à l' Italien aussi bien que lozenger, qui estoit à dire tromper, en ces mots Nessuno, Adesso, *Lozingar. Le Cattivo Italien, & le chetif François symbolizerent, comme semblablement Albergar, & heberger, je ne sçay si l' Italien le tient de nous, ou nous de luy. L' Italien dit Schifar pour ce que nous dismes anciennement Eschever, & aujourd'huy Esquiver. Ce que nos anciens appellerent Heaume (Helm, helmet, elm, yelmo), on l' appella sous François premier, Armet, nous le nommons maintenant Habillement de teste. Qui est une vraye sottie de dire par trois paroles ce qu' une seule nous donnoit. Ainsi est-il de Tabour, que les soldats appellent maintenant Quesse, sans sçavoir dire pourquoy. Ainsi de l' Estendart, Banniere, ou Enseigne, que nous disons aujourd'huy Drapeau. Vray qu' il est plus aisé d' en rendre la raison que de l' autre: Cela estant provenu d' une hypocrisie ambitieuse des Capitaines, qui pour paroistre avoir esté aux lieux, où l' on remuoit les mains, veulent representer au public leurs enseignes deschirees, encores que peut-estre il n' en soit rien. Dans les livres de la discipline Militaire de Guillaume de Langey vous ne trouverez ny corps de garde, ny sentinelle, ains au lieu du premier il l' appelle le Guet, & le second estre aux escoutes. Ces deux qui estoient de tres-grande & vraye signification, se sont eschangez en corps de garde, & sentinelle: & nommément le mot d' escoute estoit plus significatif que celuy de sentinelle, dont nous usons. De mon temps j' ay veu plusieurs mots mis en usage, qui n' estoient recogneus par nos devanciers. Et peut estre le mesme mot de Devancier. Le premier qui mist en œuvre Avant-propos pour Prologue, fut Louys le Charond en ses Dialogues, dont on se mocquoit du commencement: Et depuis je voy cette parole receuë sans en douter: Non sans cause. Car nous avons plusieurs mots de mesme parure, Avant-garde, avant-jeu, avant-bras, & croy qu' il y avoit plus de raison de dire Avant-chambre, que ce que nous disons Antichambre. Il voulut aussi d' un Jurisconsulte Latin, faire en nostre langue un Droict-conseillant, mais il perdit son François. Piafer, que l' on approprie à ceux qui vainement veulent faire les braves, est de nostre siecle, comme aussi aller à la Picorée, pour les gensd'armes qui vont manger le bon homme aux champs, faire un affront pour braver un homme, la populace, mot qu' avons esté contrainct d' innover par faute d' autre pour denoter un peuple sot. Le premier où j' ay leu Courtizer, est dans la Poësie d' Olivier de Maigny. Parole qui nous est pour le jourd'huy fort familiere. Je n' avois jamais leu Arborer une enseigne, pour la planter, sinon aux ordonnances que fit l' Admiral de Chastillon, exerçant lors la charge de Colonnel de l' infanterie, mot dont Viginelle a usé en l' histoire de Villardoüin. Nous avons depuis trente ou quarante ans emprunté plusieurs mots d' Italie, comme Contraste pour Contention, Concert, pour Conference, Accort, pour Advisé, En conche, pour en ordre, Garbe, pour je ne sçay quoy de bonne grace, faire une supercherie à un homme, quand on luy fait un mauvais tour à l' impourveu. En l' escrime nous appellons Estramassons, des coups de taille. Le Pedant, pour un Maistre és arts mal appris, & façon Pedantesque, en consequence de ce mot. Comme aussi nous avons quitté plusieurs mots François qui nous estoient tres-naturels, pour enter dessus des bastards. Car de Chevalerie nous avons fait Cavallerie, Chevalier, Cavalier, Embusche, Embuscade, attacher l' escarmouche, attaquer, au lieu de bataillon, nous avons dit Escadron: Et pour nos pietons ou avanturiers anciens, nous ne serions pas guerriers si nous ne disions Infanterie, mots François que nos soldats voulurent Italianiser, lors que nous possedions le Piedmont, pour dire qu' ils y avoient esté: & de mal-heur aussi quittasmes nous nos vieux mots de fortification, pour emprunter des nouveaux Italiens. Parce qu' en telles affaires les Ingenieurs d' Italie sçavent mieux debiter leurs denrees que nous autres François. Il n' est pas que n' ayons mis sous pieds des paroles, qui estoient de quelque honneur, pour donner cours à d' autres de moindre valeur. Le mot de Valet anciennement s' adaptoit fort souvent à titre d' honneur pres des Rois: Car non seulement on disoit Valets de Chambre, ou Garderobe, mais aussi Valets Trenchans, & d' Escurte. Et maintenant le mot de Valet se donne dans nos familles à ceux qui entre nos serviteurs sont de moindre condition, & quasi par contemnement, & mespris. Vray est qu' il avoit un valet, Qu' on appelloit nihil valet, diz Marot en se mocquant. La Chambriere estoit destinee pour servir sa maistresse en la chambre: Maintenant les Damoiselles prendroient à honte d' appeller celles qui les suivent Chambrieres: ains les appellent Servantes. Mot beaucoup plus vil que l' autre que l' on approprie à celles qui servent à la cuisine. Le nom de Grand Bouteiller estoit un Office de la Couronne, comme celuy de Connestable: Aujourd'huy non seulement la memoire en est oubliee en la Cour du Roy, mais il n' y a rien de si bas que la charge de Bouteiller. Et pour cette cause ceux qui sont aujourd'huy en telles charges, sont appellez Sommeliers. Une vieille dotation faite à l' hospital de Mascon en May 1323. par Barthellemy de Chevriere eschanson du Roy, l' appelle en Latin Bartholomeus Caprarij Scancio domini nostri Regis. Qualité qui succeda à celle du grand Bouteiller. Nous avons accreu nostre langue de plusieurs nouvelles dictions tirees de nous mesmes, comme pour exemple, de Chemin, nos predecesseurs firent acheminer, de compagnon, accompagner, de raison arraisonner: Comme au contraire une negative en adjoustant De, Car ils dirent desaison, desaisonner, mais de nostre temps nous y apportasmes plus de liberté: Parce que d' Effect, Occasion, Violent, Diligent, Patient, Medicament, Facile, Neceßité, Tranquille, nous fismes: Effectuer, Occasionner, Violenter, Diligenter, Patienter, Medicamenter, Faciliter, Necessiter, Tranquilliser. Je n' ay point encores leu poßibiliter, de poßible: Il n' est pas que Montagne en ses Essaiz, & Ronsard en la derniere impression de ses œuvres (avant qu' il mourut) n' ayent par une nouveauté fait un nouvel ainsin: Car lors que ce mot est suivy d' une voyelle immediate, ils mettoient une N, derriere, pour oster la Cacophonie: Si ces nouveautez enrichissent ou embellissent nostre langue, j' en laisse le jugement à la posterité, me contentant de marquer ces chaches, pour monstrer je ne sçay quoy de particulier en nous, qui n' estoit point en nos ayeuls.

Chacun se fait accroire que la langue vulgaire de son temps est la plus parfaite, & chacun est en cecy trompé. De ma part je ne doute point que Hugue de Bersy, Huon de Mery, Jean de S. Cloct, Jean le Nivelet, Lambert Licors, & tous nos vieux Poëtes, n' eussent jamais mis la main à la plume, s' ils n' eussent estimé rendre leurs œuvres immortelles: Lesquelles neantmoins ont esté ensevelies dans les ans par le changement du langage. Ne restans plus de tous leurs escrits qu' une carcasse. Et Lorry mesmes, & Clopinel fussent aussi au tombeau, si Marot ne les en eust garentis par le langage de nostre temps qu' il leur donna. Quoy doncques? Dirons nous que les langages ressemblent aux rivieres, lesquelles demeurans tousjours en essence, toutes-fois il y a un continuel changement des ondes: aussi nos langues vulgaires demeurans en leur general, il y ayt changement continu de paroles particulieres, qui ne reviennent plus en usage? Je vous diray ce que j' en pense. Je croy que l' abondance des bons Autheurs, qui se trouvent en un siecle, authorise la langue de leur temps par dessus les autres: On a recours à leurs conceptions originaires, qu' il faut puiser d' eux. Le vulgaire de Rome fut en sa perfection sous Ciceron, Cesar, Saluste & Virgile. Le Toscan sous Petrarque, & Bocace: Et combien que le temps apportast changement à ces deux langues, toutes-fois leur perfection a esté tousjours rapportee au temps de ces grands Maistres. De faire un prognostic de la nostre, il me seroit tres-malaisé, y voyant mesmes quelques changemens, qui se peuvent mieux penser, que exprimer en ceux qui se sont donnez diversement les premiers lieux. Clement Marot fut le premier de sa volee sous le grand Roy François. Lisez Ronsard, qui vint sous Henry II. il le passe d' un long entrejet. Jettez l' œil dessus du Bertas, qui se fit voir sous Henry III. encores y a-il dedans ses 2. Sepmaines je ne sçay quelle sorte de vers, & conceptions, plus enflees que dans Ronsard, vray qu' entre le peu du premier, & le trop du dernier, il me semble que Ronsard tient le lieu de la mediocrité. Je diray doncques que s' il y a rien qui perpetuë la langue vulgaire qui est aujourd'huy entre nous, ce seront les braves Poëtes qui ont eu vogue de nostre temps. Car pour bien dire, je ne pense point que Rome ait jamais produit un plus grand Poëte que Ronsard, lequel fut suivy de quelques autres fort à propos. Nostre parler de l' un à l' autre prendra diverses habitudes, mais ceux qui voudront escrire, seront bien aises de se proposer un si grand personnage pour miroüer. Les Autheurs qui se sont disposez de traicter discours de poids, & estoffe, pourront servir à mesme effect, & moy-mesme faisant en ma jeunesse mon Monophile, puis mes dix Livres des lettres Françoises, & ces presentes Recherches, les ay exposees en lumiere sous cette mesme esperance.

vendredi 4 août 2023

8. 19. De ces mots, Maistre, Souverain, Suzerain, Sergent.

De ces mots, Maistre, Souverain, Suzerain, Sergent. 

CHAPITRE XIX.

Il en prend aux mots, comme à nos fortunes: Nous voyons quelques-fois gens de peu de merite estre levez aux grans honneurs sans sçavoir pourquoy, & les autres ravaller de leurs dignitez. Ainsi est-il des paroles, dont les aucunes furent autres-fois vilipendees, que nous voyons puis apres venir en valeur, & les autres qui avoyent esté en valeur, estre puis apres contemnees. Je m' en rapporte à ce mot d' Heresie Grec depuis transplanté dedans Rome qui signifioit opinion, & par succession de temps nous l' avons tourné en si mauvaise part, que nous n' en usons que contre ceux qui nous contreviennent à la Foy & Religion Catholique. Le semblable est advenu au mot de Tyran que l' on approprioit à tout Prince Souverain, qui vivoit selon les Loix communes de son pays, sans extravaguer, & depuis on l' a adapté à celuy qui contre tout ordre de droict se fait croire à la foule & oppression de ses subjects. Autant en est-il advenu à ce mot de Maistre, qui n' estoit anciennement attribué qu' aux dignitez authentiques, & maintenant est venu en tel raval, que quand on se veut mocquer d' un homme, on l' appelle un Maistre és arts, & n' y a mestier où l' on usurpe le mot de Maistre pour celuy qui a fait son chef-d'oeuvre. Les deux plus grandes compagnies de la France, chacune en son endroit, sont la Cour de Parlement, & Chambre des Comptes de Paris. Au temps du premier plant & establissement du Parlement on appelloit les Conseillers Maistres du Parlement. En l' Ordonnance de l' an 1321. Deffence aux Maistres de sortir de la Chambre sans la permission du Souverain, & en un autre article de ne desemparer la ville sans la licence du Chancelier & du Souverain. Ce mot s' est perpetué jusques à huy en la Chambre des Comptes, en laquelle tous les Conseillers sont appellez Maistres des Comptes. Chose qui estoit provenuë d' une bien longue ancienneté. Theodoric Roy d' Italie escrivant au Senat de Rome dans Cassiodore livre I. Eugenitem illustrem virum, litterati dogmatis opinione fulgentem: Magisterij honore subveximus, ut gereret, quam nomine poßidebat dignitatem. C' estoit qu' il l' avoit fait Senateur de Rome, & mandoit au Senat de l' admettre en leur compagnie. Ce mot estoit tellement authorisé par nos anciens, que l' on l' attribuoit encore aux plus grandes dignitez, comme aux Maistres des Requestes. J' ay veu un reiglement fait en l' an 1350. par Philippes de Valois, des Officiers de sa maison, où il appelle le Grand Fauconnier & Grand Veneur, Maistre Veneur & Maistre Fauconnier.

Or y eut encore un autre mot qui fut familier entre nos anciens, car ils appellerent Souverain celuy qui estoit le Superieur des Maistres, tesmoings les deux articles de l' Ordonnance de Philippes le Long par moy cy-dessus cottez. Car quand on fait deffence aux Maistres de sortir de la Chambre sans la permission du Souverain, c' est à dire, de celuy que nous avons depuis appellé President. L' un des plus anciens Presidens de la Chambre des Comptes, fut le Sire de Suilly. Et par l' Ordonnance de l' an 1316. il est appellé Souverain des Comptes, mot qui estoit encores en essence sous le regne de Philippes de Valois, lequel en l' an 1344. commandoit à la Chambre de recevoir l' Esleu de Langres qu' il avoit nommé pour l' un des Souverains d' icelle. En l' an 1356. Messire Louys de Beaumont President en la mesme Chambre du temps du Roy Jean est appellé Souverain. Celuy qui avoit toute intendance sur le Thresor 1342. Souverain du Thresor. Messire Pierre de Villiers grand Maistre auquel Charles VI. avoit baillé la charge de l' Oriflambe, est appellé en l' an 1372. Souverain Maistre d' Hostel du Roy. En une Ordonnance de Charles VI. du 6. Janvier 1407. le Comte de Tancarville Souverain Maistre & General reformateur des Eauës & Forests. Il n' est pas que les Baillifs & Seneschaux ne fussent aussi appellez Souverains à l' esgard des Prevosts & autres qui estoient en leurs sieges au dessous d' eux. Non pas que tous ces sieurs eussent une puissance absoluë en leurs dignitez, comme est maintenant l' usage du Souverain: mais par ce mot on entendoit simplement celuy qui estoit le Superieur des autres. Ce que vous recueillerez encores plus amplement de nos vieilles Ordonnances qui sont Latines & Françoises, esquelles si vous trouvez au Latin parlant des Seneschaux & Baillifs, Salva superioritate & ressorto, nos ancestres le tournerent en François. Sauf la souveraineté & ressort: Et ce grand Edit qui fut faict par Charles cinquiesme, Regent par l' advis des trois Estats sur la reformation du Royaume, il deffend aux Baillifs & Seneschaux de cognoistre d' aucune cause, sinon en cas de ressort & de Souveraineté. Mot qui est vrayement du nombre de ceux que nous pouvons appeller Romans, c' est à dire, que nous transportasmes en nostre langue, non par les reigles de la Grammaire Latine: mais quand par communication avec les Romains, nous eschangeasmes nostre langage Walon en Roman. Car il est certain que les Romains prononçoient l' V par la diphthongue Gregeoise, *gr comme nous apprenons de ces deux vers d' Ausone à Paulin.

Una est in nostris qua respondere Lacones 

Littera, & irato Regi dixere negantes.

Et encores par une ordinaire prononciation nous changeasmes le P Latin en un V comme nous voyons en ces mots Praepositus, Lepus, & autres, Prevost, Leurault. Parquoy ce que le Romain appelloit Superior, prononçant l' V en Ou, nous en fismes le mot de Souverain de la signification telle que dessus: Ce que j' ay dit du Souverain, se marque encores plus expressément en l' Ordonnance de S. Louys de l' an 1256. qui portoit cet article entr'autres. Nous commandons que nuls Seneschaux & Baillifs ne tiennent trop grand planté de Sergiens, mais au plus po qu' ils pourront en ayent pour faire les commandemens de nou & de noz Cours: Et voulons que le Bedel & Sergien soient nommez en plaine Assise, autrement ne seront-ils pas nommez pour Bedels ne pour Sergiens, & si le Sergiens est envoyé en parties loingtaines ne soit pas creu sans lettre de son Souverain. C' est à dire qu' il se donne bien garde de faire exploict en pays esloigné sans la commission de son Baillif ou Seneschal. Mot encore en usage pour mesme effect, en l' an 1386. où par le Reiglement faict par Charles sixiesme entre les Baillifs & Prevosts, est deffendu aux Prevosts de faire aucun don à leurs Juges Souverains. Ce mot ayant avec le temps gaigné plus grande authorité pour avoir esté approprié seulement aux Princes qui peuvent absolument s' en faire croire, ceux qui furent nourris aux escoles firent le mot de Superieur suivant nostre prononciation Françoise, & les autres qui suivirent la pratique delaisserent le mot de Souverain trop hardy, & en forgerent un autre qui approchoit aucunement de cestuy. Ce fut d' appeller Juges Souverains qui cognoissoient par appel des causes de leurs Juges inferieurs. Par ainsi voila comme d' un mot de Souverain qui s' employoit communément à tous ceux qui tenoient les premieres dignitez de la France, mais non absolument, nous l' avons avec le temps accommodé au premier de tous les premiers, je veux dire au Roy. Et quant au mot de Maistre qui s' adaptoit par antonomasie aux plus grandes dignitez de la France, encores que chacun en son particulier soit intitulé Maistre, si est-ce que nous rapportons aujourd'huy cette qualité aux moindres, comme sont les Escoliers & Maistres és arts, & Maistres des mestiers. Mais puis que je me suis donné le loisir de discourir sur le mot de Souverain, & qu' en l' Ordonnance de S. Louys il est faict mention des Sergens, il me plaist icy de faire le soubresaut de Phaëton & me precipiter du Ciel en Terre. Je veux doncques maintenant deduire dont procede ce mot. Ce grand IC. Cuias l' estimoit prendre son origine du Caesarianus Latin qui avoit quelque rencontre en sa charge avec le Sergent, & que par corruption de langage on en eust fait un Caesarien, & depuis Sergien. Les autres qui ne veulent rien desrober à leur patrie, le disent estre un mot composé, Sergens quasi Serre-gens, d' autant que leur estat est voüé à la capture des mal-gisans. Toutes-fois je ne doute nullement qu' il ne vient de l' un ny de l' autre, car il est certain qu' il vient de Serviens diction Latine par un changement d' V en G, qui nous est fort familier comme nous voyons que ces mots Vasco, vastare, vagina, nous avons fait Gascon, gaster, gaine, voire que du milieu de la diction de Phlegma, nous avons fait le mot de Phleume. Aussi nos plus vieux François firent du Latin Serviens un Sergiens que nous avons depuis appellé Sergent. Dans la vieille Histoire de S. Denis en la vie du Debonnaire, l' Autheur appelle les serviteurs de Dieu Sergens de Dieu: En la vie du Begue les Evesques de France escrivans à Jean Pape de Rome, s' appellent Sergens & disciples de sa saincte Authorité. Et dans le Roman de la Rose les amoureux sont souvent appellez Sergiens d' Amour, mais sur tout je vous veux cotter un passage tres-expres du Roman de Guerin de Mortbrune.

Si advint qu' un Sergiens qui à cour repairoit

Feut pris de larrecin, des anneaux qu' il embloit,

La vieille vint à luy en la prison tout droit

Si luy dit: Mon amy le tien corps mourir doit:

Mais si faire voulois ce que l' on te diroit,

Tu serois deliuré, & mis hors du befroit,

Dame, dy ly Varlets, qui de cœur l' escoutoit,

Il n' est rien en ce monde que mes corps ne feroit, 

Pour garentir, &c.

En un Registre de Parlement de l' an 1317. les Huissiers de la Cour sont appellez Valeti Curiae. Que si vous me demandez dont vient que ceux qui executoient les mandemens de Justice furent appellez par nos anciens, Sergens, qui ne sonnoit autre chose que Serviteurs. C' estoit parce que du commencement les Baillifs & Seneschaux employoient à cette charge leurs Serviteurs domestiques, & depuis en gratifierent uns & autres ainsi qu' il leur plaisoit. C' est pourquoy pour donner ordre à cet abus, on trouve en un vieil Registre du Parlement de l' an 1286. Praeceptum fuisse praeposito Parisiensi, ut effrenatam Servientium multitudinem ad certum numerum reduceret, pedites scilicet ad septuaginta, & equites ad triginta quinque. Et en l' Ordonnance de Philippes le Bel de l' an 1302. reduisant sa volonté à celle de son ayeul S. Louys de l' an 1256. Praecipimus quod qui in Servientes eliguntur, praestent idoneas cautiones. Par l' Ordonnance de S. Louys par moy cy-dessus cottee, on les appelle indifferemment Bedeaux & Sergens. Dans le vieux Coustumier de Normandie chapitre 5. est mise difference entre les Sergens à l' espee & les Bedeaux. En ce (dit le texte) que les premiers estoient ceux qui devoient Justicier vertueusement à l' espee tous malfaicteurs, & principalement faire que ceux qui estoient possesseurs fussent tenus en paix: Et les Bedeaux estoient les moindres Sergens qui devoient faire les moindres services. En fin ce mot de Bedeau est demeuré aux supposts du Recteur de l' Université de Paris qui vont aux ceremonies publiques devant luy, avecques leurs Masses argentees. Et encores en quelques subalternes Jurisdictions, comme au Four l' Evesque de Paris, où les Sergens sont appellez Bedeaux.