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mardi 8 août 2023

9. 9. Que du commencement il n' y avoit que deux facultez és Escoles de Paris, qui print le nom d' Université.

Que du commencement il n' y avoit que deux facultez és Escoles de Paris, qui print le nom d' Université.

CHAPITRE IX.

Nostre Université est assise sur quatre forts pillotis, qui la soustiennent sur les quatre facultez de Theologie, Decret, Medecine, & des Arts: toutesfois comme les choses ne furent jamais faites & parfaites tout d' un coup, & en mesme temps, aussi luy est il advenu le semblable. Je vous ay cy dessus remonstré, comme la Theologie, l' Humanité, & la Philosophie s' enseignoient du commencement en la maison Episcopale, & comme par succession de temps les Escoles s' enflans, on fut contrainct d' en rejetter une partie, qui fut l' Humanité & Philosophie, en l' Eglise de sainct Julian, & lors nulle nouvelle, ny de la Faculté de Decret, ny de Medecine. Et comme ce dont depuis fussent lors composées nos Escoles, ne consistast qu' en ces deux Estudes: aussi trouvons nous unes Bulles du Cardinal sainct Estienne in monte Celio, Legat en France, du mois d' Aoust. 1217. derniere annee du Pontificat d' Innocent III. pendant le regne de Philippes Auguste, qui deceda, comme j' ay dit, l' an 1223. Bulles (dy-je) dont la teneur est telle. Si aliquis obierit Magister in artibus, vel Theologia, medietas magistrorum eat ad sepulturam una vice, & alia medietas, alia vice, & non redeat donec completa sit sepultura, nisi rationabilem habeat caussam. Si aliquis obierit Magister in artibus vel Theologia, omnes Magistri intersint vigilijs, quilibet legat, vel legere faciat Psalterium, quilibet moram faciat, ubi celebratur vigilia, usque ad mediam noctem, vel maiorem partem noctis, nisi rationabilis caussa obstiterit. Die quo tumulatur Magister, nemo legat, aut disputet. Datum anno Gratiae M. CC. XV. mense Augusti. Vous voyez qu' en tout ce passage il n' est fait distinction que des Arts, & de la Theologie, & encores de ceux de ces deux Facultez qui iroient de vie à trespas, c' est à sçavoir de ceux qui estoient Escoliers ou és Arts, & en la Philosophie, ou en la Theologie. Et apres avoir dit l' Ordre qu' il falloit observer en leur sepulture, il vient puis apres à parler de celuy qu' il falloit tenir, quand l' un des Maistres és Arts, ou de la Theologie estoit decedé. Passage certes qui nous enseigne qu' il n' y avoit lors que les facultez des Arts, & Theologie en essence chez nous: car on n' eust oublié de faire mention de l' honneur qu' il convenoit faire aux sepultures tant des Maistres, & Escoliers du Decret, que de la Medecine, si ces deux facultez eussent lors fait part de nostre Université comme du depuis, & fut depuis nostre Université composée de quatre Facultez, dont les trois de Theologie Scholastique, Decret, Medecine, n' estoient encores en essence quatre cens ans apres le decez de Charlemagne: Tesmoignage certain qu' il ne fut premier fondateur d' icelle.

9. 8. Paris, Université, Philippes Auguste

Que ce n' est pas un petit honneur à la ville de Paris, d' avoir esté premierement nommee Université souz le regne de Philippes Auguste.

CHAPITRE VIII.

Quand je vous ay recité ce que dessus, je ne pense pas faire moins d' honneur à nostre Université de Paris, que ceux qui attribuent son origine à l' Empereur Charlemagne. Nous avons trois familles de nos Roys qui produisirent trois grands Roys sur tous les autres. La premiere le grand Clovis; la seconde l' Empereur Charlemagne, & la troisiesme, Philippes second surnommé Auguste, qui eut plusieurs belles correspondances avecques Clovis. Ils furent tous deux faits Roys en l' aage de quinze ans, & deslors par un taisible instinct de leurs natures se trouverent disposez à plusieurs grands exploits de guerre. Clovis combatit l' heresie Arrienne qui lors estoit en vogue par la Gaule, depuis appellee France: Et Philippes l' heresie Albigeoise, qui en avoit de son temps infecté une bonne partie. Clovis rendit les Roys Bourguignons à soy tributaires, Philippes reduisit au baise-main Eudes Duc de Bourgongne, s' estant contre luy revolté, Clovis en la journee de Tolbiac, obtint contre les Allemans une victoire espouventable, dont long temps apres ils ne se peurent relever: Et l' autre en un mesme jour en obtint deux, l' une à Bouines contre Othon Empereur d' Allemagne, Ferrand Comte de Flandres, Hugues Comte de Boulongne conducteur des sujets rebelles. 

L' autre à la Roche-dumaine, par Louys fils de Philippes contre Jean Roy d' Angleterre, avec une telle cheute qu' il ne s' en peut relever, quelque masque que depuis il voulust emprunter de l' authorité du Sainct Siege, quand il se mit sous son vasselage. Et qui est une chose grandement remarquable, c' est qu' en la bataille de Bouines, il y avoit trois soldats ennemis contre un des nostres. Et pour finir ce discours par où je l' ay commencé, je veux dire par la Religion: tout ainsi que Clovis, auparavant que d' estre Chrestien, ayant entendu que Sainct Denis estoit l' Apostre titulaire des Gaules, eut son recours vers luy en la journee de Tolbiac, se voyant pressé par son ennemy en ces mots (Sainct Denis mon joye) pour ma joye, par une parole de Prince qui n' estoit pas bonnement nourry en nostre vulgaire, voulant dire que s' il pouvoit estre garanty du peril qui l' assiegeoit, il se feroit de là en avant Chrestien. Parole qui servit depuis longuement à nos Roys de mot de Guet en leurs affaires militaires. Aussi le Roy Philippes d' une non moins forte devotion, jamais n' entreprit guerre, qu' il ne se presentast avecques tres-humbles prieres à Dieu dedans l' Eglise de Sainct Denis, & apres la Messe dite, ne prit par les mains de l' Abbé son estendard, que depuis nous appellasmes Auriflambe, qui servit par plusieurs siecles à nos Roys, pour leur estre comme une estoile qui les conduisoit en toutes les entreprises qu' ils faisoient contre leurs ennemis. Quand je vous fais cette comparaison du Roy Philippes, avecques le Roy Clovis, je ne pense faire peu de chose pour luy: Car je n' estime qu' il y ait eu jamais en France, un si grand Roy que Clovis, & n' en excepte pas Charlemagne, quelque grandeur que l' ancienneté luy ait voulu attribuer.

Mais encore veux-je passer plus outre. Le Roy Philippes dont je parle, fut deslors de sa naissance, appellé par la voix commune du peuple, Dieu-donné. D' autant que le Roy Louys son pere n' avoit eu de ses deux premieres femmes que des filles, & de sa troisiesme sur son vieux aage Dieu luy envoya ce Prince masle, pour luy succeder à sa Couronne: Et depuis pour les grandes conquestes qu' il fit, fut par sa posterité surnommé le Conquerant, & encore dés son vivant appellé par les siens Auguste, sur le moule d' Auguste premier Empereur de Rome: Et veritablement non sans cause, pour les familieres rencontres qui se trouverent entre ces deux Princes. Ils regnerent tous deux quarante & trois ans: Tous deux prindrent plaisir d' embellir de plusieurs ouvrages signalez, le premier la ville de Rome, le second celle de Paris, toutes deux villes capitales de leurs Empire & Royaume. L' Empereur Auguste bastit le Temple de Mars le Vainqueur, celuy d' Apollon au Palais, & de Jupiter foudroyant au Capitole: Nostre Roy Philippes Auguste fit paver toute nostre ville de Paris, auparavant comblee de fanges, clorre de murailles tout le quartier, qui deslors prit le nom d' Université, comme pareillement le grand Cimetiere de Sainct Innocent, fonda l' Abbaïe de Nonnains joignant Paris, souz le nom de Sainct Antoine des Champs, environna de murailles le Bois de Vincennes, distant de Paris d' une lieuë, qu' il peupla de plusieurs bestes sauvages pour servir de plaisir à luy, & à ses successeurs. L' Empereur Auguste divisa la ville de Rome en divers quartiers. Nostre Roy Auguste ordonna la police del' Eschevinage dedans Paris, & en outre y establit les Hales, magasin pour y debiter toutes sortes de marchandises. L' autre conquit la Cantabrie, Aquitaine, Pannonie, Dalmatie, Illirie. Nostre Philippes le Vermandois, la Normandie, Guyenne, Poictou, Anjou, le Maine, Touraine. D' une chose furent-ils en cecy difformes. Car celuy-là se fit grand par l' induë usurpation de sa Republique sur les siens. Au contraire cestuy-cy s' agrandit des despoüilles de ceux qui s' estoient induëment enrichis des nostres. Parce que toutes les Provinces par luy conquises, estoient de l' ancien estoc de nostre Couronne. Tellement que ce ne fut point tant conqueste, que reünion à sa premiere nature.

Le corps d' Auguste fut apres son decez porté sur les espaules des Senateurs, au lieu où il devoit estre bruslé, suivant l' ancien Paganisme, & ses cendres recueillies par les premiers de l' Ordre de Chevalerie, nuds pieds, pour estre d' une main mises en un magnifique cercueil; faveur qui ne fut jamais depuis faicte à aucun de ses successeurs. Aux obseques de nostre Philippes Auguste se trouverent l' Evesque de Portueuse Legat du Sainct Siege, deux Archevesques de Reims, & Sens, & vingt Evesques, sans y comprendre la fleur de la Noblesse de France, & avecques cette devote, & noble procession il fut inhumé en l' Eglise de sainct Denys, ancien & ordinaire tombeau de nos Roys. Honneur qui ne s' est jamais trouvé aux funerailles d' aucuns d' eux, ny devant ny apres luy. Honneur toutesfois à luy procuré, non par une vaine ambition mondaine reparée du manteau de devotion, ains par mystere caché de Dieu. Car lors le Roy deliberant d' aller guerroyer les heretiques Albigeois à toute outrance, s' estoit faite cette grande assemblee dedans Paris, sous l' authorité du Pape, pour sçavoir quel ordre on devoit tenir au deffroy de cette guerre. Et adoncques il pleut à Dieu de l' appeller à soy, voulant que la fin & catastrophe de sa vie fust couronnée d' une si belle assemblée, tant de Prelats, que Princes, Barons, & braves Chevaliers. Et pour me retrouver à mon but, ainsi que sous l' Empereur Auguste, la Poësie fut en plus grand credit qu' elle n' avoit esté auparavant dedans Rome, aussi advint il le semblable à nostre France sous Philippes Auguste. Car lors nous eusmes Guillaume de Lorry, & Helinan Poëtes François, & uns Leoninus Galterus, & Gulielmus Brito, qui en vers heroïques Latins meirent les mains à la plume. Le premier en la version d' une grande partie de la Bible, le second en la vie du Roy Alexandre sous le titre d' Alexandreide, & le dernier en celle de nostre Philippes son Maistre sous le nom de Philippide. Bien recognoistray-je qu' en ce subject Auguste emporta un grand advantage sur nostre Philippes. Mais il s' en sçeut fort bien revanger. Car sous luy fut plantee dedans Paris, l' Université des bonnes lettres, & sciences: Ce qui n' estoit advenu à Auguste dedans Rome.

Mais à quel propos tout cecy? Pour vous dire que si Charlemagne, fut à bonne raison surnommé le grand, dont nous avons forgé en nostre vulgaire celuy de Charlemagne, par une corruption de langage, Philippes second ne fut pas à moindre, des uns surnommé Auguste, des autres le conquerant, & de tous Dieu-donné. Et ceux qui attribuent l' origine de l' Université à Charles s' abusent, tout ainsi qu' en celle des douze Pairs, qui ne sont pas deux petits ordres en nostre France: Et neantmoins la verité est, que tout ainsi que l' Université prit son origine, puis croissant de la façon que dessus, & sous Philippes commença d' estre dite Université: Ainsi fit elle le semblable au fait des Pairs: car cest ordre ayant pris sa source & progrés, comme j' ay deduit par mon second livre, en fin le premier sacre de nos Roys, auquel est faite mention des Pairs qui s' y trouve, fut en celuy de Philippes Auguste. Tellement qu' il faut attribuer la verité de ces deux grandes polices bien & deuëment formées à Philippes, & le commun bruit au Roy Charles.

9. 4. Que l' opinion est erronée, par laquelle on attribuë l' institution de l' Université de Paris à l' Empereur Charlemagne.

Que l' opinion est erronée, par laquelle on attribuë l' institution de l' Université de Paris à l' Empereur Charlemagne.

CHAPITRE IV.

He vrayement ce n' est pas un petit honneur à cette noble Université, si elle a eu pour parrein l' Empereur Charlemagne, qui luy ait donné ce nom; quoy que soit qu' il ait esté dedans Paris le premier Autheur & Promoteur des bonnes lettres. De mesme façon vois-je qu' on luy attribuë l' Institution, & de nos Parlemens, & de nos douze Pairs de France. Luy (dis-je) qui fut premierement Roy de France, puis Patriciat de Rome, & de toute la Lombardie, & finalement Empereur de tout l' Occident. Tant y a qu' il se veit commander absolument à la France, Italie, & Allemagne. Il estoit vrayment grand Prince, personnage d' esprit, bien nourry és bonnes lettres, grand Capitaine & guerrier, a l' espee duquel nostre Royaume de France doit beaucoup; mais j' ose dire que sa memoire n' est moins obligee à nos plumes. Car quant à moy j' estime, que ny l' Ordre des Parlemens, ny des Pairs ne luy est deu, comme j' ay amplement verifié par parcelles dedans mon second Livre, ny aussi de l' Université de Paris, ainsi que j' ay amplement discouru au vingt-troisiesme chapitre du troisiesme. Toutesfois d' autant que ce Livre est expressément dedié pour la deduction des Universitez de la France, je donneray à cette nouvelle opinion plus d' air, contrevenant à l' ancienne. Les deux premiers que je vois de nostre temps, ou quelque peu auparavant n' avoir voulu adherer à Vincent, Gaguin, Gilles, & autres, sont Paule Emile, & Messire Jean du Tillet Evesque de Meaux, l' un en son Histoire generale de nostre France, l' autre en sa Chronique abregee. Deux personnages dont je fais grand compte en ce subject, & m' asseure qu' ils n' eussent oublié de faire mention de cette opinion, si par leurs estudes & recherches ils l' eussent trouvee veritable. Ils ne l' ont expressément contredite; ains seulement teuë, j' ay voulu dire sagement, monstrant par cette sagesse, qu' ils n' y adjoustoient aucune foy. Je suis le moindre des moindres: mais je pense avoir esté celuy, qui premier levay la paille en cet endroit l' an 1564. quand en ce grand theatre de la Cour de Parlement de Paris, en presence d' une infinité de gens de lettres plaidans pour l' Université de Paris, contre les Jesuites, apres avoir faict mon preambule, tel que je pensois necessaire, je commençay le demeurant de ma narration par ces mots. 

L' Université de Paris, soit qu' elle ait pris son commencement sous le grand Empereur Charlemagne (ainsi que le vulgaire de nos Annales estime) ou sous ce grand Philippes Auguste, sous lequel les bonnes lettres prindrent leur grand advancement & progrez, specialement en cette ville, par le moyen de Messire Pierre Lombard, Evesque du lieu, (en faveur duquel nous celebrons tous les ans un Anniversaire dedans l' Eglise sainct Marcel) a tousjours esté grandement cherie, aimee, & favorisee de nos Roys. Je me fermay en cela pour cet esgard: car ce n' estoit mon intention d' en discourir. Et a fin que ne pensiez que ce fust par nouvel esprit de contradiction que j' entray deslors en ce nouveau party, je sçay quel honneur je dois porter à une opinion commune, mais aussi sçay-je bien que la verité doit estre beaucoup plus honoree. Et pour cette cause je vous diray encore un coup que ce ne nous seroit pas un petit Autheur de nostre Université que Charlemagne: toutesfois je ne voy, ny qu' Aimoïn, ny Rheginon, ny Adon, ny Sigebert en facent aucune mention (car quant à l' Histoire de Turpin, c' est une Histoire supposee, & neantmoins encore n' en parle t' elle point.) Chose que non seulement ils n' eussent escoulé sous silence, mais l' eussent pris à nostre tres-grand honneur, s' estans arrestez par leurs œuvres à plusieurs parcelles, qui ne sont de tel merite que cette-cy. Mesme que Eghinard qui se dit avoir esté son Secretaire, semble avoir laissé aux autres Historiographes la deduction des exploits militaires de cet Empereur, & pris pour son partage seulement ce qui regarde le sçavoir & bonnes lettres qui estoient en cet Empereur, nous discourant qu' il avoit esté nourry, non seulement en sa langue naturelle, mais aussi en plusieurs estrangeres; Et specialement que la Latine luy estoit aussi familiere que sa langue maternelle: Et quant à la Grecque qu' il l' entendoit, ores qu' il ne la sceust prononcer, comme pareillement il avoit esté instruit en la Grammaire, & aux arts liberaux, premierement par Pierre Pisan, puis par Albin, surnommé Alcuin, voire avoit l' intelligence de l' Astronomie. Qu' il fit la vie des Roys de France en vers: donna à son vulgaire les noms des mois & des vents: Qu' à ses repas, pour ne perdre le temps, il se faisoit lire ou reciter quelque belle histoire: Bref estant la plus belle remarque dont Eghinard embellisse la vie de Charlemagne, que le soing qu' il avoit eu aux bonnes lettres & sciences; je ne me puis persuader, qu' il n' eust à la queuë de cecy parlé de cette Université, s' il en eust esté fondateur, tant pour la dignité du lieu, où elle eust esté establie (ancien sejour de nos Roys de France, dés l' advenement de Clovis) que pour l' excellence mesme d' un tel œuvre. Estant la plus belle closture que cet Historien eust peu adjouster à la suite de cette belle narration. J' ay dit tout cela en mon 3. Livre, je le repete mot pour mot, & paravanture la repetition n' en sera frustratoire & oiseuse, ayant à desraciner l' opinion fabuleuse de nostre Vincent de Beauvais. Ce que je vous verifieray encore amplement par un passage exprez des Constitutions de Charlemagne, & Louys le Debonnaire son fils, au 2. Livre article 5. où le Debonnaire escrit en cette façon aux Evesques qui habitoient en ses Provinces. Scholae sanè ad filios instruendos, vel edocendos, sicut nobis praeterito tempore, ad Attiniacum, promisistis, & vobis iniunximus, in congruis locis, ad multorum utilitatem & profectum, vobis ordinari, non negligatur. 

Il estoit Roy & Empereur, & comme tel desiroit qu' on establist Escoles en divers lieux, l' avoit auparavant, comme il dit, commandé. Commandement qu' il reïteroit par expres: Croyez que si cette mesme institution eust esté auparavant faite dedans Paris par l' Empereur son pere, il n' eust pas espargné cet exemple pour exciter ceux ausquels il avoit affaire, pour estre induits à luy obeïr.

J' adjouste que Charlemagne fit tenir pendant son Empire cinq Concils, à Majence, Rheims, Tours, Arles, & Chaalons sur Saone, & apres son decez Louys le Debonnaire son fils, puis Charles le Chauve son arriere-fils plusieurs autres, en tous lesquels nulle mention de cette Université, ny des Escholes qui y furent lors, ny depuis dressees. Car quant à tous les autres Roys qui sont venus depuis le Roy Louys le Gros, vous ne trouvez que chamaillis, coups d' espees, & à peu dire images des Rois, jusques à la venuë de Hugues Capet, & encore moins aucun soucy des sciences, non pas mesmes sous les mesmes Capet, Robert, Henry, Philippes premier de ce nom. Il estoit question d' assassiner un vieux Estat, & en asseurer un nouvel, puis de faire nouvelles conquestes au Levant sur les Sarrazins. En tous les livres qui ont esté diversement escrits de ce qui estoit de ce temps là, vous ne trouverez un seul mot de ces pretenduës Escoles. Qui me semblent grands arguments, pour monstrer que ce que l' on dict de Charlemagne, & de l' Anglois, & des Escossois est une Histoire fabuleuse. Singulierement eu esgard que tout ce que j' ay deduit cy-dessus prend sa source, dés & depuis Charlemagne sans discontinuation, & si ainsi me permettez de le dire de fil en aiguille, jusques à nostre Philippes II. qui fut le quatriesme Roy successif de nostre troisiesme lignee. Au contraire le plus ancien auquel nous sommes redeuables de cette creation faite par Charlemagne, c' est à Vincent de Beauvais, Religieux de l' Ordre des Freres Prescheurs de sainct Dominique, qui nasquit en Espagne l' an 1205. & mourut l' an 1258. Au regard de Charlemagne, qui nasquit l' an 742. & mourut l' an 814. Prenez tout cet entrejet de temps de sa nativité jusques à son decez, & le joignez à celuy de Vincent, vous y trouverez quelques quatre cens ans d' intervalle que plus que moins. Et luy mesme recognoist ne la tenir que d' une Cronique d' Arles, qui est sans nom, & depuis s' est avecques le temps perduë. Joint que je fais grand estat d' un Paule Emile, d' un Jean du Tillet Evesque, Jean du Tillet Greffier au Parlement son frere, Claude Fauchet premier President des Monnoyes, qui n' ont rien ignoré de nostre Histoire, & neantmoins passent ce present discours sous silence. Et ores que Pierre Maçon, & Jean de Serre, facent Charlemagne fondateur, l' un & l' autre oublie le compte des Moines Escossois: & signamment de Serre apres avoir sur le commencement de la vie, dit en passant que Charlemagne avoit esté fondateur de nostre Université, & poursuivant puis apres d' un long discours toute cette histoire, il ne touche un seul mot concernant cette fondation, non plus que Belle-Forest. Il n' est pas que Veigner au second Tome de son Histoire, apres avoir fait contenance de favoriser cette opinion, la contredit immediatement en l' article subsequent. Antoine l' Oisel Advocat, en son plaidoyé concernant la Collation de l' Eglise Parrochiale de Sainct Cosme & Sainct Damien, la soustint formellement estre supposee. Comme j' avois fait auparavant en l' an 1564. & depuis par le 23. chap. de mon 3. Livre, lequel vous pourrez pareillement voir, comme y estans plusieurs autres raisons deduites, que je n' ay icy touchees. Partant mettez en la balance les deux opinions qui regardent cette fondation, vous trouverez que celle qui est pour la negative est la meilleure. Voyons doncques maintenant quelle fut l' Institution & progrez de cette Université.

9. 3. Opinion commune que Charlemagne a esté fondateur de l' Université de Paris.

Opinion commune que Charlemagne a esté fondateur de l' Université de Paris.

CHAPITRE III.

Chose admirable qui ne doibt estre teuë, ains sceuë, voire cornée à son de trompe, & cry public que nous avons douze ou treize Universitez, en cette France, diversement destinées pour l' enseignement d' unes & autres bonnes lettres, mot anciennement incognu par les Latins, pour cette signification. Et n' y a ville qui porte ce titre là qu' elle ne sçache qui feust le Roy, lequel l' honora premierement de ce nom. Nul ne doubte que Paris n' ait cest honneur d' estre la ville Metropolitaine de la France, & que tout d' une suite elle ne soit la premiere, & plus ancienne de toutes nos Universitez. Toutesfois (ô malheur) nous n' avons dedans nos archifs, aucuns titres, & enseignements dont nous puissions sçavoir qui feut le premier Autheur, & instituteur de cette Université: non seulement nous ne l' avons, mais qui plus est discourant sur son origine, chacun de nous en parle à tastons, l' atribuant, qui à Charlemagne, qui à Louys le Gros, qui à Louys le jeune, son fils, qui à Philippe second, dit Auguste. 

Et parce que la commune opinion va à l' Empereur Charlemagne, & que de croire le contraire, c' est estre heretique en l' Histoire, par plusieurs personnes, je toucheray premierement cette corde, puis diray franchement ce que j' en pense, à la charge d' estre desdit par ceux qui seront de contraire advis: Ce que je ne prendray à cœur, moyennant que je suis combatu par bonnes & vifves raisons.

La commune opinion est, que quatre Escossois disciples du venerable Beda Anglois, estant arrivez en France, publioient par toutes les villes esquelles ils passosent, qu' ils avoient de la doctrine à vendre, & que celuy qui en desiroi d' en acheter vint par devers eux, il raporteroit ce qu' il souhaitoit. Ce dont l' Empereur Charlemagne adverty, apres les avoir halenez leur assigna la ville de Paris pour cest effect, & que deslors l' Université de Paris commença d' estre en vogue. Ces nouveaux vendeurs estoient Alcuinus ou bien Albius, Joannes, Claudius, Pisanus. 

Le premier que je trouve nous avoir servy de cette opinion est Vincent de Beauvais Religieux de l' Ordre des freres Minimes, comme nous aprenons du titre de ses œuvres qui n' estoit point un Personnage de peu de merite, comme nous aprenons des quatre tomes qu' il fit soubs le nom de miroüer. Speculum Historiale, lib. 32. Speculum naturale 33. Speculum doctrinale lib. 13. Speculum morale lib. 3. Estant homme de telle marque, il ne le faut aisément condamner. Je vous raporteray doncques icy tout au long ce que j' emprunte de luy. Au Chap. LXXIV. du XXIV. livre de son miroüer historial nous aprend qu' Albuin avoit esté envoyé en Ambassade d' Angleterre, à nostre Roy Charles, lequel l' ayant trouvé homme de doctrine l' avroit honoré de l' Abbayé de sainct Martin de Tours, qui lors estoit regie par des Religieux seulement, & non secularisée. Puis il adjouste ce qui s' ensuit. In Chronicis Metropolis Arelatensis legitur, Omnipotens verum dispositor ordinatorque regnorum & temporum &c. & peu apres parlant du Roy Charles le grand. Qui cum in occiduis partibus regere solus caepisset & studia litterarum ubique eßent in oblivione, adeoque verae deitatis cultura teperet, contigit duos Scotos monachos de Hibernia cum mercatoribus Britannis, litus Galliae advenire, viros & in sacris & in secularibus scripturis eruditos. Qui quotidie cum nihil ostenderent venale ad convenientes emendi gratia turbas, clamare caeperunt: si quis sapientiae cupidus est veniat ad nos, & accipiat, nam vaenalis est apud nos. Tandiu conclamata sunt ista, donec ab admirantibus, licet insanos putantibus, ad aures Regis Caroli semper amatoris sapientiae sunt prolata; qui celeriter illos ad praesentiam suam evocatos interrogavit si vere scientiam haberent, ut ipse compararet: Sapientiam, inquiunt & habemus & in nomine Domini, eam quaerentibus dare parati sumus. Qui cum quaesisset ab his quid pro ipsa peterent, responderunt. Loca tantum opportuna & animas ingeniosas, & sine quibus ista peregrinatio transiri non potest alimenta, & quibus tegamur. Quo ille accepto ingenti gaudto repletus, primum quidem apud se parvo tempore tenuit. Postea vero cum ad expeditiones bellicas urgeretur, unum eorum, nomine Clementem, in Gallia Parisius scilicet residere fecit, cui & pueros nobilißimos, mediocres & infimos satis multos commendavit. Et eis prout necessarium habuerunt victualia ministrari praecepit habitaculis opportunis ad metandum deputatis, alterum vero in Italiam direxit. Cum & Monasterium S. Aug. juxta Tirenensem urbem delegavit, ut illic si voluissent ad discendum congregari possent. Audito autem Albinus de natione Anglorum, qui graviter sapientes, ac Religiosos viros susciperet Carolus, conscensa navi venit ad eum, cum socijs in omnibus scripturis exercitatus. Utpote doctißimi Bedae discipulus. Quem Rex usque ad finem Regni iugiter secum retinuit, nisi cum ad ingruentia bella processit. Deditque & illi Abbatiam sancti Martini, ut quando ipse absens esset illic resideret, & ad se confluentes doceret. Cuius intantum doctrina fructificavit, ut Franci antiquis Romanis, & Atheniensibus aequiparentur. 

En tout ce que dessus il n' est fait nulle mention expresse de l' Université, & neantmoins sans la nommer il est aisé de penser qu' il entendoit en parler. Comme de fait Nicole Gilles en ses Annales de France a presque traduit de luy mot à mot tout le passage en la vie de Charlemagne. En ce temps (dit-il) vindrent d' Irlande en France deux Moines, qui estoient d' Escosse, moult grands Clercs, & de saincte vie, lesquels par les citez & pays preschoient & crioient, qu' ils avoient science à vandre, & qui en voudroit achapter, vint à eux. Ce qui vint à la cognoissance de l' Empereur Charlemagne, qui les feit venir devers luy, & leur demanda s' il estoit vray, & qu' ils eussent science à vendre, lesquels respondirent que voirement ils l' avoient, par don de graces de Dieu. Et qu' ils estoient venus en France pour la prescher, & enseigner à qui la voudroit apprendre. L' Empereur leur demanda quel loyer ils voudroient avoir pour la monstrer. Et ils respondirent qu' ils ne vouloient fors lieux convenables à ce faire, & la substance de leurs corps tant seulement, & qu' on leur administrast gens & enfans ingenieux pour la recevoir. Quand l' Empereur les eut oüis, il fut bien joyeux, & les tint avecques luy, jusques à ce qu' il luy convint aller en guerre. Et lors commanda à l' un d' eux nommé Clement, qu' il demeurast à Paris, & luy feit bailler des enfans de gens de tous estats, les plus ingenieux qu' on sçeut trouver, & feit faire lieux & Escoles convenables pour apprendre, & commanda qu' on leur administrast ce qu' il leur seroit besoing, & leur donna de grands privileges, franchises, & libertez, & de là vint la premiere institution du corps de l' Université de Paris. L' autre fut par luy envoyé, & luy donna une Abbaïe de S. Augustin, pres la cité de Pavie. Lors y avoit en Angleterre un moult grand Clerc, Philosophe & Theologien nommé Alcuin, lequel estoit Anglois de nation, & avoit esté disciple du venerable Bede, & estoit remply de toutes sciences, tant en Grec, que Latin. Quand il sceut que l' Empereur Charlemagne recueilloit les sages hommes & grands Clercs, qui avoient pouvoir de monstrer, & enseigner sciences, il passa en France, & vint devers le dit Empereur, qui le reçeut honorablement, & le retint avecques luy tant qu' il vesquit, & l' appelloit son Maistre. Toutesfois quand il alloit en guerre, il le laissoit, & ne le menoit pas avecques luy, & ordonna qu' il demeurast en l' Abbaïe Sainct Martin de Tours. Et par le moyen des dicts Maistres fut multipliee science à Paris, & en France. Et parce à la requeste du dit Alcuinus, translata (comme dit est) le dit Charlemagne, l' Université qui estoit à Rome, & laquelle paravant y avoit esté transferee d' Athenes, & la feit tenir à Paris: & furent fondateurs de la dite Estude & Université quatre grands Clercs, qui avoient esté disciples de Bede: C' est à sçavoir le dit Alcuinus, Rabanus, Claudius, & Joannes. Tellement que la vraye source y a tousjours depuis esté. Vous voyez que tout ce passage a esté nommément extraict de celuy de Vincent de Beauvais, horsmis quelques particularitez: mais bien courtes. Et voicy que Robert Gaguin Religieux de l' Ordre de la Sainte Trinité, Ministre des Mathurins de Paris en dict en sa Chronique Françoise. 

Carolo, cum specie corporis valetudo, & robur, ingenium insuper excellens, gravitas atque incessus, dignitati Regiae non discors, liberalibus disciplinis animum excoluit, praeceptore primum, Petro Pisano, deinde Alcuino Anglo, viro apprime divinis, humanisque artibus erudito, quem Glossae in Bibliam (quam Ordinariam vocant) Authorem Anthonius Florentinus prodit. Quamvis enim Alcuinus à Regibus Anglis ad Carolum missus esset Orator, solius tamen Gallici benignitate delectatus apud Carolum mansit. Quo Authore Parisiensis Schola (quam universitatem vocant) hac occasione coepit. Delati nave ex Scotia, Claudius & Ioannes, Rabanus quoque, & Alcuinus ex Venerabilis Bedae discipulis, in Gallias cum venissent, nec quicquam praeter bonas disciplinas patria exportassent, se sapientiam profiteri, eamque vaenalem conclamant. Qua re ad Carolum perlata, illos ad se vocat, vocati libere profitentur; sapientiam illis esse: quam adipisci cupientes gratis edocerent, si vita, locusque tantum eis praeberetur. Intellexit Imperator ingenuam hominum mentem, eosque cum aliquot dies apud se tenuisset, Claudium, cui nomen erat Clemens Parisijs conversari, & generosos adolescentes bonis disciplinis instituere iubet. Ioannem vero Papiam misit. Hoc initium habuit Parisiensis schola, celebre mox Philosophiae, atque Theologiae Gymnasium, unde prodiere insigni doctrina atque eruditione viri, qui non secus atque illuminatißimae faces, mirum Christianae Religioni fulgorem effuderunt. Ita ut non abs re, bonorum studiorum parens (non quidem annis, sed liberalibus, religiosisque disciplinis) antiqua, à plerisque nominetur.

A la suite dequoy je voy les aucuns avoir suivy cette opinion à laquelle Baptista Aegnatius adhere es vies des Empereurs. Et apres luy beaucoup plus amplement Bernard de Girard Seigneur du Bertas donna plus d' air que ses devanciers au quatriesme livre de nostre Histoire de France. 

Et de cette mesme est Nicolas Veigner en son Sommaire de l' Histoire de France. Et encore quelques annees apres au second Tome de sa Bibliotheque Historiale. Papirius Maçonius sans particulariser cette Histoire, attribuë en son general cette institution à Charlemagne. Et François de Belle-Forest en ses grandes Annales de France, vie de Charles le Grand chapitre septiesme sur la fin. Et depuis quelques annees en ça, frere Jacques du Brueil Religieux de Sainct Germain des Prez, en son Theatre des Antiquitez de Paris. Chacun desquels il faut diversement honorer, en ce que ils nous ont par leur diligence laissé par escrit. Le commun dire de Pline le grand nous est assez familier, par lequel il se vantoit ne lire livre, dont il ne rapportast profit. A plus forte raison devons nous dire le semblable de tous ceux-cy dont nous devons estimer les œuvres de recommandation.

lundi 7 août 2023

8. 61. Pleger celuy qui boit à nous d' autant, Coquu, Avoir veu le Loup, Loup-garou, Abry,

Pleger celuy qui boit à nous d' autant, Coquu, Avoir veu le Loup, Loup-garou, Abry, Toutes manieres de dire dont on use à contre-sens.

CHAPITRE LXI.

Puisque le Chapitre precedant a esté dedié à la friponnerie, pourquoy ne puis-je dedier cestuy à l' yurongnerie? S' il n' y a de la raison en cecy, pour le moins y a il de la rime. Davantage, quelle raison pouvez vous demander à un homme yure? Cela est en partie le sujet du present Chapitre. Nous avons une coustume non seulement aux banquets, mais aux communes tables, de boire les uns aux autres: Chose que nous tirons à courtoisie, voire pour signal d' amitié. Le formulaire que l' on tient est, que si un homme boit à moy, à l' instant mesme, le remerciant je luy diray, que je le plegeray promptement, c' est à dire, que je m' envois boire à luy. Response certainement inepte, & qui ne se rapporte aucunement à l' assaut que l' on m' a liuré. Car le mot de plege signifie en soy celuy qui intervient pour un autre. Je vous diray doncques ce que j' en pense. Encores que cette coustume eust esté introduite d' une bien-veillance mutuelle, si est-ce qu' à la longue elle se tourna en abus. Et de fait repassez par toute l' Allemagne, la Flandre, & pays bas, & plusieurs Provinces de nostre France, quand un homme a beu à un autre d' autant, il tire cela en obligation, voire le tourne à mespris & injure, si l' assailly ne luy rend la pareille. Cela fut cause que nostre Charlemagne, pour les querelles qui en sourdoient, deffendit expressément aux Soldats, de ne boire les uns aux autres, quand ils seroient en l' armee, au livre 3. de ses Ordonnances chap. 33. Et encores au premier livre art. 138. il est dit en termes expres, ut nemini liceat alterum cogere ad bibendum. Mon opinion donc est que quand celuy auquel on avoit beu, ne vouloit faire la raison à l' autre (tel est le terme dont usent les bons biberons) fust, ou par sagesse, ou par impuissance, alors l' un de ses amis, ou quelque bon compagnon declaroit qu' il l' alloit pleger, & prenant le verre en la main beuvoit d' autant à celuy qui avoit esté l' assaillant. Si vous le prenez autrement, il n' y a aucun sens en nostre response & aplegement. Cela mesme se practique aujourd'huy par ceux qui veulent faire la desbauche, entre lesquels s' il y en a un qui vueille estre plus retenu, il prend un second pour le deffendre & pleger contre tous les autres qui le semondront de boire.

Pareille faute faisons nous quand nous appellons Coquu celuy dont la femme va en dommage: Car au contraire la nature de cet oyseau est d' aller pondre au nid des autres, comme nous apprenons de Pline au X. de son Histoire naturelle. Parquoy pour rapporter proprement le Coquu à l' homme, il y avroit plus de raison de l' adapter à celuy qui agit, & non qui patit.

De mesme ignorance est venu quand nous voyons un homme enroüé, que nous le disons avoir veu le Loup. Car à l' opposite, il faudroit dire le Loup l' a veu. D' autant que si nous croyons au mesme Pline, livre VIII. si le Loup fiche le premier sa veuë sur nous: il nous fait affoiblir la voix. C' est pourquoy le Poëte disoit,

Lupi illum videre priores.

Le mesme Pline, au mesme livre se mocque de ceux qui de son temps croyoient que quelques hommes estoient transformez en Loups: Erreur qui s' est transmis jusques à nous, quand nous les appellons Loups garoux. Vray que pour en user proprement il le faudroit rapporter à la Lycantropie, maladie discovruë par les Medecins, quand une personne affligee d' une imagination furieuse, pense estre transformé en Loup. Je ne veux icy oublier le mot de Apricus Latin dont les nostres ont formé Abry, & toutesfois tous deux de contraire signification. Car le Latin signifie estre à l' ouvert, & le nostre, au couvert du Soleil.

8. 56. Vespres Siciliennes, Sicile

Vespres Siciliennes, Proverbe sur lequel est par occasion discouru de l' Estat ancien de la Sicile, & des traictemens que recevrent ceux qui la possederent.

CHAPITRE LVI.

Les fureurs qui se sont passees en cette France soubs ces mots de Huguenot & Catholic, me font souvenir de celles qui furent autresfois en Italie soubs deux autres mots partiaux de Guelphe & Gibelin, au bout desquelles furent attachees les Vespres Siciliennes, premier but, mais non seul & principal de ce chapitre. Quand par quelques sourdes pratiques advient un inopiné massacre à ceux qui pensoient estre à l' abry du vent, les doctes appellent cela les Vespres Siciliennes. Proverbe vrayement nostre, pour nous avoir esté cher vendu. Au recit duquel je vous feray voir une Sicile, jouët de la ville de Rome, amusoir des Princes estrangers aux despens de leurs ruines, & si ainsi me permettez de le dire, or de Thoulouse fatalement malheureux aux familles, qui le possederent anciennement. Je veux doncques sur le mestier de ce Proverbe tresmer un discours d' assez long fil, & vous representer les tragedies qui feurent jouees sur le Theatre d' Italie l' espace de cent ans ou environ, dans lesquelles vous verrez des jugemens esmerveillables de Dieu, & pour closture une nouvelle face d' affaires, & changement general d' Estat. Que si quelque escollier Latin me juge manquer d' entregent en ce livre, que j' avois seulement dedié à l' ancienneté de nostre Langue, & de quelques mots & proverbes François, il ne m' en chauld, moyennant que puissions nous faire sages par les follies de nos ancestres. Usez de ce chapitre, comme d' une piece hors d' œuvre, dedans laquelle je glasseray en passant ce qui regarde nos Vespres Siciliennes.

Depuis que l' Empire des Romains fut divisé en deux, l' un prenant le nom & tiltre du Levant dedans Constantinople, & l' autre du Ponant dessoubs Charlemagne, combien que ce grand guerrier eust esté faict Seigneur de l' Italie, toutesfois les affaires se passerent de telle façon, que les pays de Sicile, Poüille, & Calabre demeurerent à l' Empereur de Constantinople, & depuis pour sa neantize hereditaire, qui se transmit de l' un à l' autre, feurent une bute, tantost des Hongres, tantost des Sarrazins, chacun d' eux jouants au boutehors selon la faveur ou desfaveur de leurs armes: Les Gregeois y retenans telle part & portion qu' ils pouvoient. Apres plusieurs secousses, advient que quelques braves guerriers Normands habituez en cette France, ne voulans forligner de leurs devanciers, se resolurent par une belle saillie, de faire nouvelles conquestes. A cette fin levent troupes, voguent en pleine mer, viennent surgir à la Sicile, où par leurs proüesses ils planterent leur siege, & ayants esté longuement gouvernez par Ducs, en fin establirent une Royauté feudatrice du Sainct Siege, non tant par devotion que sagesse, pour estre leur grandeur assistee d' un grand parrein. Conseil toutesfois qui ne leur succeda pas ainsi comme ils s' estoient promis. Car les Papes se lassans par traite de temps de leur voisiné, n' eurent autre plus fort pretexte pour les supplanter que cette infeodation, dont ils firent aussi banniere, tant à l' endroit des Allemands, que François, depuis qu' ils s' engagerent dedans leurs querelles. Mais pour n' enjamber sur l' ordre des temps, Guillaume troisiesme de ce nom Roy de Sicile, estant decedé sans enfans, Tancrede Prince du sang se voulant impatroniser du Royaume, il en fut empesché par le Pape Celestin troisiesme. Lequel attire à sa cordelle Henry fils aisné de l' Empereur Federic premier. Or y avoit-il une Princesse du sang nommee Constance niepce du deffunct Roy plus proche habile à succeder, mais il y avoit un obstacle qui l' en empeschoit: estant religieuse Professe, & Abesse de Saincte Marie de Palerme. Le Pape la relaxe du vœu pleinement & absolument, & lors en faict un mariage avecques Henry, & tout d' une main les investit du Royaume, à la charge de la foy & hommage lige, & de certain tribut annuel envers le sainct Siege. Grand tiltre, mais de peu d' effect sans l' exequution de l' espee, comme aussi ne leur avoit il esté baillé que sous ce gage. Sur ces entrefaictes meurt Federic premier, & apres son decés Henry est esleu Empereur. Adoncques luy & Tancrede commencent de joüer des cousteaux, & à beau jeu, beau retour. Tancrede meurt, & par sa mort, Henry sans grand destourbier se faict Maistre & Seigneur de tout le pays. Mesmes Sibille veufve du deffunct, ses trois filles, & un sien fils se rendent à luy soubs le serment qu' il leur fist de les traiter selon leur rang & dignité. Promesse toutesfois qu' il ne leur tint: Parce que soudain qu' ils furent en sa possession, il les confine dedans une perpetuelle prison, & leur fit creuer les yeux, & par une abondance de pitié fit chastrer le masle, affin de luy oster toute esperance de regrés à la Couronne. Premier trait de tragedie qui se trouve en cette histoire, indigne non seulement d' un Chrestien, mais de toute ame felonne de quelque Religion qu' elle fust.

Constance aagee de 51. ou de 52. ans accoucha d' un fils, auquel fut donné le nom de l' Empereur Federic son ayeul. L' enfant estant encore à la mammelle, il fut declaré Roy des Romains par les Princes de l' Empire, & comme tel luy rendirent le serment de fidelité, l' an 1197. Le tout à la solicitation, priere & requeste du Pere, qui deceda quelques mois apres, laissant son fils au gouvernement de la mere, laquelle le fist couronner Roy de Sicile en l' aage de trois ans seulement.

Elle quitte ce monde l' an 1199. mais avant que de le quitter, supplia par son testament le Pape Innocent III. d' en vouloir prendre la tutelle, ce qu' il fit. Sagesse admirable d' une mere, mettant son enfant en la protection de celuy, qui à la conduite de sa Papauté monstra que ses predecesseurs avoient esté escoliers, au regard de luy.

Jamais Prince ne receut tant d' heurs dés son enfance, dy tant de heurts de fortune sur son moyen aage, jusques à la mort, que cestuy. Proclamé Roy des Romains dés le bers, couronné Roy de Sicile à trois ans, estre demeuré Orphelin de pere & de mere sur les quatre: Adjoustez que sa nativité pouvoit estre revoquee en doute, comme d' une part supposé, la mere estant accouchee au cinquante deuxiesme an de son aage, temps incapable aux femmes pour tel effect, selon la regle commune des Medecins. D' ailleurs une Royauté nouvelle bastie sur une dispence extraordinaire. Et neantmoins sa couronne luy fut conservee en ce bas aage, non vrayement sans quelques traverses. Car Gautier Comte de Brienne, mary de l' une des Princesses aveuglees, esbrecha son Estat pour quelques annees, & l' Empereur Othon cinquiesme prist quelques villes de la Poüille sur luy: Mais tous ces desseins s' esvanoüirent finalement en fumee: Ceux du premier par Dielpod ancien serviteur de Henry, & du second soubs l' authorité du Pape Innocent. J' adjousteray que non seulement elle luy fut conservee, mais l' an 1210. en son absence, luy ne le sçachant, ny poursuyvant, n' ayant atteint que l' aage de seize ans pour le plus, fut au prejudice de l' Empereur, esleu par les eslecteurs se remettans devant les yeux l' ancien serment de fidelité qu' ils luy avoient faict. Et depuis reduisit Othon à telle extremité, qu' il le contraignit de sonner une retraicte à sa fortune, & d' espouser une vie privee. Chasse tout à faict ce qui restoit des Sarrazins dedans la Sicile: nettoye son Royaume des mutins, d' un Thomas & Matthieu, freres Comtes d' Anagni, qui avoient pendant son absence voulu remuer son Estat, & annexe à sa couronne tous leurs biens, pour le crime de leze Majesté par eux commis. Fut il jamais une chesne de plus belles fortunes que celle là? qui dura dés & depuis sa nativité, jusques en l' an 1221.

Toutesfois lors qu' il estoit au comble de ses souhaits, & pensoit avoir cloüé sa bonne fortune à clouz de diamant, elle luy tourne tout à coup visage, & voicy comment. Les deux freres Comtes d' Anagny proches parens du Pape Innocent, ont recours vers le Pape Honoré IV. qui lors siegeoit, & combien que auparavant il eust fait profession d' amitié avec Federic, toutesfois il prit l' affliction de ces deux Seigneurs au point d' honneur, & avec une impatience admirable, fit de leur querelle la sienne, a recours aux remedes ordinaires des siens, qui sont les fulminations: Nouveaux troubles, nouveau mesnage entre eux. Federic en ce boüillon de jeunesse, auquel il estoit, au lieu de reblandir le Pape par honnestes soubmissions, ainsi qu' il devoit, donne ordre de rappeller les Sarrazins par luy chassez, & les logea en la ville de Lucerie, depuis nommee Nocere la Sarrazine, pour luy servir de blocus contre les avenues de Rome: faute du tout inexcusable, & pour laquelle je veux croire que Dieu le permist depuis estre comblé d' une infinité d' afflictions, dont les Papes furent les outils. Car Honoré estant decedé, Gregoire IX. son successeur se fit son ennemy sans respit, & dés son avenement proceda par autres censures & excommunications irreconciliables contre luy. 

L' Empereur pour se mettre en sa grace entreprit sur son commandement, le voyage d' outremer, où les affaires luy succederent si à propos qu' à la barbe du Soudan d' Egypte, il remist soubs l' obeyssance des Chrestiens, toute la Palestine, & fut Couronné Roy de Hierusalem. Il pensoit par ce bon succez se reconcilier avec le Pape, & obtenir de luy sentence d' absolution. Il despesche Ambassades pour cet effect: mais en vain, voire que le Pape excommunie tous ceux, qui le vouloient suivre, donnant ordre que les havres leur fussent fermez. Medecine paraventure plus dure & fascheuse que la maladie, d' autant que le deny de cette absolution estoit fondé seulement sur ce que l' Empereur à son partement n' avoit receu sa benediction, faute qui avoit peu estre compensee par les heureux succés de l' Empereur au profit de la Chrestienté: qui eussent bien poussé plus outre, mais voyant de quelle façon il estoir (estoit) traitté, & craignant que ses affaires n' allassent de mal en pis de deçà, il fut contrainct de rebrousser chemin, & laissa imparfaict le bel ouvrage qu' il avoit encommencé. Voila comment les affaires des Infidelles commencerent à se restablir, & celles des Chrestiens à s' affoiblir tant au Levant, que Ponant, pour mesler je ne sçay quoy de l' homme dedans nostre Religion. L' Empereur à son retour trouve ses affaires embarrassees dedans un chaos, tant en Allemagne qu' Italie: dedans l' Allemagne prou de Princes & grands Seigneurs le guerroyer: dedans l' Italie prou de villes se dispenser de leurs consciences contre luy: Le tout fondé sur les excommunications & censures. Et pour consommation de ces procedures, Gregoire estant decedé, eut pour successeur Innocent IV. auparavant fort familier de l' Empereur, dont ses principaux favoris s' esjoüirent, estimant que cette nouvelle promotion mettroit fin à leurs differents, mais luy plein d' entendement leur dist. Vous vous abusez, Cardinal il m' estoit amy, Pape il me sera ennemy. Monstrant par cela qu' il estoit un grand homme d' estat, car tout ainsi qu' il l' avoit predit, il advint: Dautant que ce nouveau Pape r'enviant sur les opinions de son devancier, non seulement excommunia l' Empereur, mais fit assembler un Concil general dans Lyon, par lequel en confirmant toutes les fulminations precedantes, il fut privé, & de son Empire, & de ses Royaumes, & declaré incapable d' en tenir. Qui ne fut pas un petit coup pour sa ruine: Parce que combien que dextrement il parast aux coups, n' estant aprenty à ce mestier, toutesfois estant ores dedans, ores dehors, il estoit plus souvent dehors que dedans. Si de toutes ces querelles vous parlez à l' Abbé d' Urspergence qui en vit une partie, il donne le tort à Gregoire IX. Si à tous les autres autheurs, ils le donnent à Federic, & le nomment Persecuteur de l' Eglise Romaine. Si j' en fuis creu Federic ne se peut excuser du remplacement qu' il fit des Sarrazins dedans la Sicile, ny Gregoire de luy avoir denié l' absolution lors qu' il besongnoit si heureusement au Levant. Et si vous me permettez de passer outre je diray qu' avec tout ce que dessus, l' Empereur n' avoit un plus grand ennemy, que sa grandeur, ne voulant ny Gregoire, ny Innocent IV. un si grand voisin que luy pres d' eux. Leçon qui lors estoit ordinaire à Rome, & que la domination Espagnole luy a fait depuis oublier par la longueur du temps.

Federic second en fin mourut de sa belle mort l' an 1150 (1250). n' ayant trouvé aucun repos que lors depuis l' an 1121 (1221). Il laissa plusieurs enfans legitimes de 3. licts, & plusieurs bastards: Mais tous aboutirent en deux, l' un legitime, qui fut Conrad, l' autre bastard qui fust Mainfroy. Conrad est empoisonné par Mainfroy, d' un poison lent & mesuré: Et ne sçachant ce pauvre Prince de quelle main luy estoit procuree cette mort, il l' institua tuteur, & curateur de Conradin fils unique de Henry fils aisné de Federic qui estoit mort du vivant du pere. Mais Mainfroy ne suyvant la voye du grand Innocent, au lieu de conserver l' Estat à son pupille, l' empiete sur luy, & prend le titre de Roy. Et pour estayer cette induë usurpation donne en mariage une sienne fille unique Constance à Pierre fils de Jacques Roy d' Arragon. Ses deportemens desplaisoient, non sans cause, au Pape Urbain IV. successeur d' Innocent, il l' excommunie, & affranchit tous ses subjects de l' obeyssance qu' ils luy avoient vouée. Et pour faire sortir effect actuel au plomb, semond Charles Comte d' Anjou, & de Provence, frere de nostre S. Louys, à cette entreprise: Lequel s' y achemine d' un franc pied, avec une puissante armee. Escarmouches diverses, il estoit sur l' offensive, l' ennemy sur la deffensive, clos & couvert dedans ses villes & forteresses: La guerre prend quelque trait, toutesfois apres avoir marchandé longuement d' une part & d' autre chacun estimant avoit (avoir) le vent à propos, la bataille se donne. Charles obtient pleine victoire, Mainfroy occis, son armee mise en route, les villes ouvertes aux victorieux, & luy couronné Roy de Sicile par le Pape. Et pour surcroist de grandeur le fait Vicaire general de l' Empire dedans l' Italie.

Estat nouveau, & non auparavant cognu, partant il ne sera hors de propos d' en discourir le subject. Auparavant tous ces troubles, l' Italie ne recognoissoit toutes ces principautez particulieres, que nous y avons depuis veuës, l' Empereur en estoit general possesseur, fors de la ville de Rome, & du Patrimoine de S. Pierre, & de ce dont la Seigneurie de Venise jouyssoit, & s' il y avoit quelque Seigneur souverain particulier, il estoit fort rare: l' Empereur envoyoit par les villes ses Juges & Podestats, pour juger les procez comme celles qu' il possedoit en plein Domaine. Puissance qui esclairoit de bien pres, non la spirituelle de Rome, ains la temporelle, dont les Papes s' estoient faits Maistres par une longue & sage opiniastreté. Et pour cette cause le principal but où ils visoient, estoit de bannir & esloigner cette puissance Imperiale, le plus loing qu' ils pourroient d' Italie. Les grandes & longues guerres qui furent entre le Pape Alexandre troisiesme, & l' Empereur Federic premier enseignerent à plusieurs villes de mescognoistre leur Empereur. Comme de fait vous lisez que pour s' y estre la ville de Milan aheurtee, il la ruina rez pied, rez terre, & lors plusieurs autres villes balancerent entre l' obeïssance & rebellion. L' excommunication faicte par le Pape contre Federic portoit quant & soy absolution du serment de fidelité aux subjets, & en cas de ne s' en dispenser, suspension de l' administration du service divin dedans les villes & plat pays. Que pouvoit moins faire une ville pour se garentir de ce haut mal, que de quitter l' obeïssance de son Prince, qu' il n' appelloit rebellion, ains reduction au droict commun, obeïssant à l' authorité & mandement du sainct Siege? En fin se voyant Federic premier tant pressé par la force spirituelle que temporelle du Pape, qui estoit assisté de Guillaume troisiesme Roy du nom de Sicile, il fut contraint de condescendre à la paix, que le Pape & luy jurerent dans Venise, ville neutre, & non subjecte aux dominations temporelles de l' un ny de l' autre Seigneur. Et lors fut l' accomplissement du malheur. Parce que la commune des Historiographes demeure d' accord que Federic s' estant mis à genoux pour baiser les pieds du S. Pere, il le petilla avec cette outrageuse parole, Super aspidem & basiliscum ambulabis, & conculcabis Leonem & Draconem: Particularité sagement passee sous silence par Platine Italien, & l' Abbé d' Urspergense Alleman dedans leurs Histoires pour couvrir la pudeur tant de celuy qui fit le coup, que de l' autre qui le receut. Mais tant y a que cet acte en paix faisant porta plus grand coup contre l' Empire, que toutes les guerres passees, auquel ce grand Empereur Federic para seulement de ces quatre mots, Non tibi, sed Petro: De maniere qu' il fut de là en avant fort aisé aux villes d' Italie de secoüer d' elles le joug de l' Empire. Comme de fait les affaires s' y acheminerent depuis en flotte: Car apres le decez de Henry sixiesme fils aisné de Federic, Philippes son puisné ayant esté appellé à l' Empire par les Princes Electeurs, & empesché par Innocent troisiesme, qui luy opposa un Othon avec ses fulminations, ce fut un nouveau seminaire des guerres civiles entre le Pape & l' Empereur, pendant lesquelles les villes d' Italie mettoient fort aisément en nonchaloir l' obeïssance qu' elles devoient rendre à l' Empire. Et pour accomplissement de ce malheur advindrent les grandes guerres de la Papauté, & l' Empire du temps de Federic second, pendant lesquelles se logerent les partialitez des Guelphes & Gibelins, les unes se faisans toutes Guelphes, les autres toutes Gibelins: Et quelquesfois dedans une mesme ville se trouvant confusion de l' un & de l' autre party. Les Guelphes favorisans le party des Papes Gregoire, & Innocent, & les Gibelins celuy de l' Empereur Federic. Et comme l' Italie estoit en ces alteres, apres la mort de Federic, & de Conrad son fils, il y eut une forme d' interregne d' Empire l' espace de vingt ans dedans l' Allemagne, qui fut par eschantillons possedee, & trois divers portans le titre, mais non l' effect d' Empereurs. Et de ce grand chaos s' escloït la diversité des Ducs, Marquis & Comtes, & par mesme moyen des Republiques souveraines d' Italie, chacun prenant son lopin non seulement au prejudice de l' Empire, ains des Papes mesmes, selon que la necessité de leurs affaires le portoit. Chacun d' eux s' approprians souverainement du domaine des villes, & neantmoins avec une recognoissance de foy & hommage, qui envers l' Empire, qui envers la Papauté. Et depuis ce temps on ne recogneut plus dedans l' Italie cette grande puissance & authorité qui estoit de tout temps & ancienneté deuë aux Empereurs. Et par ce moyen obtindrent les Papes ce qu' ils avoient si long temps desiré. Or tout ainsi que la ruine des affaires y avoit produit ce nouvel ordre particulierement sur unes & autres villes, aussi les Papes pour le fait general de l' Italie, introduisirent un Vicaire de l' Empire qui n' estoit pas un Empereur, car il faisoit son sejour dedans l' Allemagne, mais un Procureur absolu, qui pouvoit disposer des biens qui restoient de l' Empire. Et c' est l' Estat dont Charles d' Anjou fut gratifié par Urbain quatriesme apres qu' il eut occis Mainfroy & toute sa suite en bataille rangee. Restoit encores Conradin de la posterité de Federic deuxiesme, lequel croissant d' aage, creut par mesme moyen de cœur, & voulut entrer en l' heritage qu' il estimoit loyaument luy appartenir, trouve argent, leve gens, prend pour compagnon Federic d' Austriche sien parent. La decision de ce grand procez despendoit d' une bataille. Pour le faire court: la victoire demeure par devers Charles, & quant aux deux Princes ils se garentissent par la fuitte, & desguisez se rendent en la maison d' un meusnier, où ils furent nourris 8. jours durans à petit bruit, tant qu' ils eurent argent en bourse, mais leur defaillant ils furent contraints mettre une bague de cinq cens escus entre les mains de leur hoste, pour la vendre, lequel recogneut par cela que ce n' estoient simples soldats, & en donne advis au Roy Charles, qui se saisit de leurs personnes. Selon le droit commun de la guerre ils en devoient estre quites par leurs rançons. Et de faict telle estoit l' opinion de sa Noblesse Françoise: toutesfois le Roy en voulut estre esclaircy par le Pape, qui en peu de mots luy manda que la vie de Conradin estoit la mort de Charles. Le Roy gouste fort aisément cet advis, & neantmoins pour y apporter quelque fueille, fit juger cette cause par neuf ou dix Jurisconsultes Italiens, lesquels sçachans où enclinoit le Roy, firent aussi passer la loy par son opinion: ces deux pauvres Princes sont exposez au supplice en pleine place sur un eschaffaut, où ils eurent les testes tranchees, & à l' instant mesme, on en fait autant au bourreau, a fin qu' à l' advenir il ne se glorifiast de les avoir executez. O que la Justice eust esté plus belle si on y eust aussi compris tous ces Jurisconsultes flateurs! Car quant à celle du Roy elle fust reservee à un plus grand Roy. L' Histoire porte que Conradin avant que de s' agenoüiller, jetta un de ses gands au milieu du peuple, comme un gage de bataille contre le Roy Charles, priant la compagnie de le relever, & porter à l' un des siens, pour vanger l' injure ignominieuse qui luy estoit faite & à son cousin. Gand qui fut relevé par l' un de sa troupe, & porté au Roy d' Arragon, avec la sommation du jeune Prince.

Le sacrifice ainsi fait de ces deux ames innocentes, Charles d' une sanglante main poursuit sa route, faisant passer la plus grande part des Seigneurs Siciliens, & Napolitains au fil de l' espee, & bannissant les autres qui avoient favorisé le party de Conradin, & demolissant leurs Chasteaux. En recognoissance dequoy le Pape Urbain luy fait donner l' Estat de Senateur de Rome par la voix du peuple. C' estoit un Estat que les Citoyens avoient mis sus pour reigler toute la Police seculiere au prejudice du Pape, de l' authorité duquel ils pretendoient estre exempts en cet affaire ainsi que j' ay touché ailleurs. Ce Senateur representoit ceux qui sur le declin de l' Empire occuperent dedans Rome sous le nom de Patrices, sur la dignité Imperiale qui estoit à Constantinople. Et combien que ces dignitez de Senateur dedans Rome, & de Vicaire de l' Empire dedans l' Italie, tombans en une main commune fussent seulement images des vrayes, toutesfois estans tombees entre les mains de celuy, qui sous le titre de Roy de Sicile, commandoit à la Sicile, la Poüille, & la Calabre, mesmes qui avoit obtenu deux grandes victoires contre Mainfroy & Conradin, croyez qu' elles luy apporterent grande puissance & authorité par tout le pays: Car lors il s' en voulut faire accroire absolument, mesmes dedans la ville de Rome. Auparavant la grandeur de Federic estoit suspecte aux Papes pour estre trop proche de leur ville, & lors il y avoit plus de subject de redouter celle de Charles qui estoit nourrie dedans le sein de la ville: Baudoüin son beau pere avoit esté chassé de Constantinople par Michel Paleologue usurpateur de son Estat. Le gendre veut armer en faveur du beau pere, estimant qu' en restablissant il s' establiroit. Toutes choses luy avoient ry jusques en ce temps, mais lors la fortune commença de se mocquer, & rire de luy.

Jean Prochite grand Seigneur Sicilien avoit couru mesme traictement que les autres Seigneurs, en son bien, mais s' estoit garanty de la vie par une bonne & prompte fuite: ne respirant en son ame qu' une vangeance, par le moyen de laquelle il se promettoit d' estre reintegré en ses biens. Il visite Pierre Roy d' Arragon gendre de Mainfroy, luy met devant les yeux, & sa femme, & le gand à luy envoyé, cartel de defy, luy promet tous bons & fideles services. Pour le faire court on entreprend contre Charles une tragedie qui fut joüee à trois personnages, dont Prochite estoit sous la custode, le Protecole, uns Pierre Roy d' Arragon, Michel Paleologue Empereur de Constantinople, le Pape Nicolas troisiesme. Pierre leve une grande armee, faisant contenance de vouloir s' acheminer au Levant pour secourir les Chrestiens, Paleologue fournit aux frais: Il n' est pas que Philippes troisiesme de ce nom Roy de France, nepueu de Charles ne contribuast au defroy de cette guerre, estimant que ce fust pour guerroyer les Infideles. (Voyez comme quand Dieu nous delaisse nous sommes traictez.) Le Pape Innocent se voyant ainsi appuyé ne doute de luy rongner les aisles à l' ouvert, le debusquant & de l' Estat de Senateur, & du Vicariat de l' Empire. Qui n' estoit pas un petit coup d' Estat, & ne fust-ce que pour ravaller sa reputation, par laquelle ordinairement les Grands maintiennent leurs grandeurs: Et depuis ce temps Charles alla tousjours au deschet. D' un costé l' Arragonnois fait voile avecques ses trouppes, d' un autre Prochite sous l' habit de Cordelier practique la rebellion de ville en ville par toute la Sicile. Quoy plus? cette tresme est ourdie de telle façon, qu' à point nommé le jour de Pasques selon le rapport de quelques Historiens, ou de l' Annonciade, ainsi que disent les autres, le premier son des Cloches de Vespres, par toutes les villes, bours & bourgades, servit de toxin general, sur lequel tout le peuple Sicilien se desbanda d' une telle furie contre les François qu' ils les massacrerent tous, sans acception, & exception de personnes, de sexe, ny d' aage, ne pardonnans pas mesmes aux femmes Italiennes qu' ils estimoient estre enceintes du fait des François. L' Arragonnois estoit anchré sur mer & aux escoutes, pour sonder quelle issuë avroit la practique de Prochite, & adverty de ce qui s' estoit passé, y accourt à toute voile, le bien venu & embrassé de tout le peuple. Cela fut fait l' an mil deux cens quatre-vingts deux en la Sicile qui eut de là en avant nouveau Roy & non à la Poüiile, où la ville de Naple est assise, ny pareillement en la Calabre, qui demeurerent és mains de Charles: Pour cette cause on commença d' un Royaume en faire deux. Et au lieu que auparavant on appelloit Roy de Sicile seulement celuy qui commandoit à ces trois païs: L' Arragonnois fut appellé Roy de Sicile, & Charles & ses successeurs Rois de Naples. Et en effect, voila quand, comment, & dont est venu ce brutal, & cruel Proverbe de Vespres Siciliennes, dans le discours duquel j' ay voulu comprendre tous les autres exploits tragiques de je ne sçay de combien d' annees.

Les Historiographes sont grandement empeschez de rendre raison de ce malheur. Les Italiens pour excuser cette cruauté Barbaresque l' imputent aux insolences des François qui n' espargnoient pas mesmement la pudicité des femmes de bien, és lieux où ils avoient plein commandement, & les nostres au contraire, à une trop grande bonté, disans que si nous les eussions tenus en bride, comme depuis les Espagnols ont fait, jamais nous ne fussions tombez en un si piteux desarroy. Discours toutesfois qui me semble grandement oiseux. Parce que s' il vous plaist rechercher la cause de tout ce que je vous ay cy-dessus deduit, ce furent coups du Ciel. Je vous ay dit que Henry contre son serment avoit fait creuer les yeux à la mere, aux filles, & à un jeune enfant, lequel il avoit d' abondant fait chastrer, leur faisant espouser tout d' une suite une prison clause en Allemagne. Esperant perpetuer par ces moyens inhumains, en sa famille la Couronne de Sicile. Dieu veut que Federic son fils en joüisse, mais avec tant de revers & algarades de fortune depuis l' an 1221. jusques en l' an 1250. qu' il est mal aisé de juger s' il regnoit, ou si en regnant il mouroit. Et pour closture finale de ce jeu, Dieu veut que la famille de Henry soit affligee par elle mesme, & qu' apres la mort de Federic, Mainfroy son bastard empoisonne Conrad son fils legitime, & vray heritier, que non assouvy de cette meschanceté, il empiete la Royauté sur Conradin son pupille, fils de Conrad: En fin que Conradin & Federic d' Austriche son cousin meurent sur un eschaffaut. Ne voyez vous en cecy une Justice tres-expresse de Dieu pour expier l' inhumanité de Henry, Justice, dis-je, executee par les injustices des hommes? Qu' il y eust du Machiaveliste és morts des deux Princes Allemans, & de tout le demeurant des pauvres Seigneurs du Royaume, 

qui furent occis de sang froid, je n' en fais aucune doute, pour cuider par Charles asseurer à luy & à sa posterité le Royaume de Sicile. Henry avoit commencé par les veuës, & cestuy-cy achevé par les vies, tous deux à mesme progrez. Le sang innocent des deux Princes, & de toute la suitte des Seigneurs assassinez, cria vangeance devant Dieu, qui exauça leurs prieres, & permist cette cruelle Vespree, non contre la personne du Roy, ains contre ses sujets, qui est en quoy il exerce ordinairement les punitions quand les Princes ont faict quelque faute signalee. Et je veux croire que si l' Arragonnois eust consenty à ce detestable carnage, luy ou sa posterité eussent esté chastiez de Dieu. Bien trouvé-je qu' il avoit mis en besongne Prochite pour faire revolter le peuple, mais non qu' il eust consenty à cette execrable boucherie. Belles leçons pour enseigner à tous Princes Chrestiens de ne maintenir leurs estats par ces malheureux preceptes que depuis Machiavel a voulu recueillir de l' ordure, honte & pudeur de quelques anciennetez en son chapitre de la Sceleratesse, au traicté du Prince.

Voila le premier fruict que je desire estre cueilly de ce chapitre: Il y en a encore un autre, qui est, qu' au faict de la Religion nous devons tous viure en l' union de l' Eglise sous l' authorité du sainct Siege de Rome, comme celuy qui fut basty sur la pierre de sainct Pierre, & cette-cy assise sur celle de Jesus-Christ: mais quand avec la Religion on y mesle l' Estat, & que par belles sollicitations, & promesses on nous semond de passer les monts, c' est tout un autre discours, & en une asseurance de tout il faut tout craindre, je ne dis pas que quelquesfois les affaires ne soient pas reüssies à souhait, comme à uns Pepin & Charlemagne, qui furent deux torrens de fortune, mais pour ces deux il y en a peu d' autres qui ne s' y soient eschaudez. La papauté est une dignité viagere, qui produit ordinairement successeur non heritier des volontez du predecedé. Tellement que la chance du jeu se tournant, celuy en fin de jeu se trouve lourche, qui pensoit estre maistre du tablier, comme vous voyez qu' il advint aux trois familles des Normans, Allemans & François dont je vous ay cy-dessus discouru. Adjoustez, que les volontez mesmes de ceux qui nous employent sont passageres selon la commodité ou incommodité de leurs affaires, & faillent souvent au besoin.

Federic II Sicile
(Federic II)


8. 54. Marquis, Marchal, Mareschal, Maire.

Marquis, Marchal, Mareschal, Maire.

CHAPITRE LIV.

Mon opinion est que le mot de Marquis signifie un Estat anciennement inventé pour la protection & deffence des pays frontiers, & limitrophes, que nous appellons de tout temps & ancienneté Marches. En la vie du Debonnaire, dans la vieille Chronique de S. Denis: Au mois de May tint l' Empereur Parlement à Aix la Chappelle. Là vindrent les Messagers des Bulgeois qui moult longuement avoient demeuré en Baviere: Si estoit telle leur intention, qu' apres la confirmation de Paix & alliance, on traictast debonnairement des Marches qui sont entre les Bulgeois, Allemands, & François Austrasiens. Mot certes fort ancien, & usurpé par plusieurs fois par Aimoin en son Histoire, mais par passage merveilleusement exprés au cent dixhuictiesme chapitre de son quatriesme livre, où il dit que le mesme Debonnaire tint Parlement en la mesme ville d' Aix, où l' on traicta du fait de la guerre, puis adjouste, Simili modo de Marcha Hispanica constitutum est, & hoc illius limitis praefectis imperatum: c' est à dire, En cas semblable il fut en ce lieu arresté touchant la Marche d' Espagne, & enjoinct d' y avoir esgard à ceux qui avoient la charge de cette frontiere: Auquel endroit vous voyez en moins de rien Marche & Limite estre pratiquez l' un pour l' autre, à cette occasion dirent nos anciens Marchir, pour confiner à quelque pays. Froissard au 3. volume: La Comté de Blois marchist à la Duché de Touraine. Et en la sus mentionnee Histoire de S. Denis: Ils degasterent la contree d' unes gens qui pres eux marchissoient, qu' on appelloit Toringiens: Et en la vie de Philippes fils de Henry: Si advint en ce temps qu' entre Adam l' Abbé S. Denis, & Boucard de Mont-morency sourdit contention pour aucunes de leurs terres, qui ensemblement marchissoient. Et de là à mon jugement vint celuy que nous appellasmes en François Marquis, & en Latin Marchio, je veux dire celuy auquel on commettoit la garde des lisieres d' un pays: Pour l' explication duquel mot les Romains furent contraints avant le desbord des nations Septentrionales user d' une periphrase, & circonlocution, estant par eux appellé celuy qui estoit commis pour garder les limites d' Orient Comes limitis Orientis, qui vaut autant à dire comme si nous disions Comte des Marches du Levant. De cette mesme façon use assez souvent Aimoin: Car vous y trouverez tantost un Praefectus limitis Britannici, tantost un Custos Avarici limitis, & neantmoins le mesme autheur le definit d' un tout seul mot au chap. 2. du 5. livre, auquel lieu parlant du Debonnaire Roy pour lors d' Aquitaine, qui fut mandé par Charlemagne son pere, Accersivit filium iam bene equitantem cum omni populo militari, relictis tantum Marchionibus, qui fines regni tuentes omnes, si forte ingruerent, hostium arcerent incursus. Or comme ainsi soit que pour distinguer les Marches & limites, l' on ait accoustumé d' asseoir bornes, que l' on peut appeller Marques, aussi avons nous façonné entre nous une diction qui respond à cette signification. Car nous appellons Marcher ou marquer, toutes & quantesfois que par signal, affiche, recognoissance, ou autrement nous assignons certains buts, limites, & separations entre les personnes, & de cette parole ainsi prise vient que nous appellons Marchal des logis du Roy celuy qui marche ou marque, & assigne diversement les logis aux domestiques de la maison du Roy, & Marchal du camp celuy qui marque & departit aux uns & autres Capitaines les Cantons & assietes diverses du camp. Car comme je viens de toucher, marcher & marquer, n' est qu' un, & en use-l'on indifferemment en commun langage, comme mesmes vous recognoistrez plus à plein dans les œuvres de Clement Marot. Tellement que c' est errer d' appeller telles gens Mareschaux des logis du Roy, ou du Camp, d' autant que le mot de Mareschal, qui reçoit l' e s' aproprie vrayement aux quatre Mareschaux de France, & vient de deux dictions corrompuës Maire, qui est une alteration, & changement de Maistre, & Chal pour Cheval, comme si on les eust voulu dire estre Maistre de la Chevalerie apres un Connestable (comite stabuli) de France. Quelques-uns toutesfois sont d' advis comme du Tillet, qu' il vient du mot de Marsk (Mark) qui signifioit Cheval, soit l' un ou l' autre, je m' en rapporte à ce qui en est.

8. 53. De cette diction, Riens.

De cette diction, Riens.

CHAPITRE LIII.

Je veux que l' on pense que je ne traicte icy rien discourant sur cette parole de Riens. Un chacun de nous estime que ce mot ne signifie autre chose que ce que nous disons autrement Neant, & pour cette cause qui voudroit representer en nostre langue ce que le Latin dit, Ex nihilo nihil fit, il ne le pourroit en meilleurs termes representer, que Riens ne se faict de riens: Aussi quand il advient en commun langage à quelqu'un de dire s' il veut riens mander, on s' en mocque, & dit on ordinairement qu' à riens mander, il ne faut point de messager response: Toutesfois qui considerera ce mot en sa vraye source & nature, il verra que ce que le Latin a dit Res, nous l' avons rapporté en nostre langue sous cette diction de Riens: & de fait lisant dans les anciens, vous le trouverez aussi souvent usurpé pour ce mot de Chose, que pour Neant: & voy le plus du temps nos anciens avoir dit nulle Riens, & Toute Riens, pour nulle chose, & toute chose, faisans Riens feminin, comme les Latins ont fait Res. Jean de Mehun (je suis contraint l' appeller souvent à garand, comme l' un de nos plus anciens approuvez autheurs) faisant instruire la jeune Dame par la Vieille.

Sur toutes Riens gardez ces poincts, 

A donner ayez les cloz poincts

Et à prendre les mains ouvertes.

Et l' Autheur de la grande Cronique, parlant de Protaide qui fut maire du Palais de Theodoric Roy de Bourgongne. Sage homme estoit (dit-il) & de bon conseil, mais avaricieux, & convoiteux sur toutes Riens, c' est a dire en l' un & l' autre passage sur toutes choses. Jean de Mehun en un autre lieu, où Genius dit à Nature que la femme ne peut celer un secret, quoy qu' elle ne feust semonce de le descouvrir.

Et si aucun ne luy demande 

Si le dira elle vrayement,

Sans estrange admonestement 

Pour mille riens ne se tairoit. 

Peu apres le mary à sa femme. 

Dame si Diex m' avoye,

Pour mille riens ne le diroye. 

Au lieu mesme.

Mais il est droicturier sans doute, 

Car en luy reluict bonté toute,

Autrement seroit en defaut

Cil à qui nulle riens ne faut.

En tous lesquels passages est adjoustee une negative, pour faire signifier nulle chose, & toutesfois le mesme Jean de Mehun en plusieurs autres passages prend bien Riens, pour Neant, comme au lieu où il introduit Genius devisant de la creation de ce monde.

Car le rien fait-il tout saillir, 

Luy qui a rien ne peut faillir,

N' oncques riens ne le meut à faire 

Fors sa volonté debonnaire.

Auquel lieu les deux premiers Riens sont usurpez pour Neant, & le tiers pour quelque chose. Ce que j' ay voulu remarquer en passant pour contenter les esprits de ceux qui ambitieusement se delectent mesmes aux plus petites anciennetez de nostre France. Mais d' où vient que de ce mot Res tant familier aux Romains, dont nos Ancestres avoient fait un Riens, nous usons en tout nostre commun langage du mot de Chose, qui a esté empruntee de cette diction Latine Causa, qui n' a rien de commun avec nostre Chose Françoise? D' en rendre la raison je ne puis. Bien diray-je que dés pieça le trouvay-je avoir esté ainsi pratiqué: Et mesmement par Pepin Roy d' Italie fils de Charlemagne, au chapitre De Itinerantibus où il deffend aux Evesques, Abbez, Comtes, & ses vassaux passans pays, Ut non praesumant ipsi aut homines illorum, ulli suam caussam tollere aut suum laboratum. Qui voulut dire qu' ils ne fussent si hardis, ny eux, ny leurs gens de ravir à qui que fust, une sienne Chose, ou de son labour.

8. 45. Capet & Hutin.

Capet & Hutin.

CHAPITRE XLV.

Vrayement je ne puis que je ne me plaigne de l' injure que nous faisons à la memoire de nostre Hugue qui a esté l' un des plus grands Roys de la France, Roy dis-je qui a donné vogue à la troisiesme lignee de nos Rois, lequel nous avons surnommé Capet: Et neantmoins je n' en trouve presque un tout seul, qui nous enseigne pourquoy luy ait esté baillé ce surnom. Quelques uns (comme Nicolas Gilles en ses Annales) disent que ce fut par forme de sobriquet: D' autant que luy jeune avoit accoustumé de jetter en folastrant, les chappeaux des jeunes Princes & Seigneurs qui le suivoient: Mais si les Chaperons estoient lors, & long temps apres, plus en usage que les chappeaux, je ne voy point sur quel pied nous puissions fonder cette divination: joint que la grandeur de ses gestes, sur laquelle il establit avec le progrez de temps sa fortune, pouvoit faire oublier toutes ces jeunesses, & folastries. C' est pourquoy j' ayme mieux adherer avec le bon homme Cenalis Evesque d' Auranches, qui en ses Perioques dit que tout ainsi que Charles fils de Pepin fut par aucuns appellé Charles le Grand, & des autres Charlemagne, d' un mot corrompu du Latin, pour la grandeur de ses Chevaleries: Aussi Hugue pour le grand sens qu' il apporta en la conduite de ses affaires, fut appellé Capet, d' un mot à demy Latin qui signifie le Chef: Car aussi à vray parler, vous trouverez en toutes ses actions plus de conseil, que de hauts faits d' armes.

Cecy me fait tomber de luy à Louys Hutin, duquel messire Jean du Tillet Evesque de Meaux en son abbregé des Croniques de France, dit en deux mots, Louys Hutin, quasi Mutin. En quoy la rime se trouvera bonne & riche: Mais quelques uns pourroient douter que la raison ne soit de mesme parure, & neantmoins nostre Paule Aemile est de mesme advis. Il est certain que le mot de Hutin à nos anciens signifioit noise, pour le moins ainsi le trouvé-je dans Froissard, au 15. chap. du I. Tome de son histoire, où racontant l' appareil que le Roy Edoüard faisoit en Angleterre contre Robert Roy d' Escosse, & les allegresses que l' on fit à la venuë de sire Jean de Hainaut. Là pouvoit-on voir (dit-il) Dames noblement parees & richement, qui eust eu le loisir de danser, ou de plus festoyer. Mais nenny. Car tantost apres disner un grand Hutin commença entre aucuns garçons des Hannuyers, & des Archers d' Angleterre. Et peu apres. Quand les nostres eurent nouvelles de ce Hutin. Lequel mot il repete encore au 45. chap. & Jean Moulinet en quelque passage de ses œuvres dit Hutiner pour noiser ou quereller. Mais pourquoy appellerons nous ce Roy Hutin pour noiseux? Car je ne recognois rien de querelleux en luy par tout le discours de sa vie. Un autre que moy le devinera. Parce que l' histoire de son regne est si courte, que nous n' avons le moyen de juger quelle fut sa vie. Car de luy attribuer (comme quelques uns le pensent) l' establissement du Parlement de Paris, c' est errer.

dimanche 6 août 2023

8. 44. Ribaux, Ribaudes, Roy des Ribaux.

Ribaux, Ribaudes, Roy des Ribaux.

CHAPITRE XLIV.

Il n' y a dignité temporelle en France, qui entre en comparaison avecques celle du Roy: & neantmoins il n' y a parole en laquelle nos devanciers se soyent tant licentieusement desbordez qu' en cette cy, en subjects, les uns plus ravalez, les autres plus relevez. Roy des Merciers, Roy des Barbiers, Roy des Poëtes, Roy des Arbalestiers, Roy d' armes, Roy des Ribaux. Je vous laisse celuy de la Bazoche qui a lieu entre les Clercs du Palais. Et seroit tresmalaisé, voire impossible de dire pourquoy on honora les superieurs de ces six ordres du nom de Roy, au desavantage de tous les autres, & plus encores de deviner en quels temps ces Royautez imaginaires feurent introduites, fors celle des Arbalestiers, en laquelle nous trouvons lettres patentes de Charles

VI. du 26. Avril 1411. portans que le Roy avoit receu la suplication des Roy, Connestable, & Maistres de la Confrairie des soixante Arbalestiers de Paris: Le Roy des Merciers avoit l' œil sur les poids, aulnes, & mesures des Marchands: Le Roy des Barbiers, sur tous les autres Barbiers, ores qu' ils fussent passez Maistres en leur mestier & pouvoient l' un & l' autre, chachun endroit soy, proceder par amendes contre ceux esquels ils trouvoient quelque defaut.

Le Roy des Poëtes estoit celuy qui és jeux floraux de nostre Poësie ancienne se trouvoit avoir mieux besongne que tous les autres fatistes, & des lors l' année ensuivant jugeoit des Poësie (Poësies) de ses compagnons, ainsi que j' ay monstré au cinquiesme Chapitre du sixiesme livre de ces miennes Recherches: Le Roy des Arbalestiers, celuy qui avoit gaigné le prix sur ses Confreres au jeu de l' Arbaleste: & à vray dire les deux premiers visoient au gain sous le pretexte de leurs visitations, & les deux derniers à l' honneur. Quant aux Roys d' armes ou des armes, c' estoient les Heraux, lesquels comme messagers de paix ou de la guerre revestus de leurs cottes de velours pers pourfilées devant & derriere des armoiries d' or de la France, pouvoient aller trouver l' ennemy avec toute asseurance de leurs personnes pour executer ce qui estoit de leur charge.

Le dernier fut le Roy des Ribaux auquel j' ay dedié ce present Chapitre. De tous les autres nous sommes asseurez quelles estoient leurs fonctions; de cettuy cy on en doubte.

Si vous parlez à du Tillet, voicy quel en feut son advis, que je vous transcriray mot pour mot du tiltre du Prevost de l' Hostel du Roy.

Es Estats des Roys Philippes nommez au Chapitre precedant est faicte mention du Roy des Ribaux officier domestique, lequel se devoit tousjours tenir hors de la porte de l' Hostel du Roy, par l' ordonnance du Roy Philippe le long faite à Lorry en Gastinois le Jeudy 17. Novembre 1317. nommant Crasse Ire qui tenoit le dit office, ainsi appellé pour ce que les mauvais garçons estoient deslors appellez Ribaux, comme les filles, ou femmes abandonnées Ribaudes. Le mot de Roy estoit appliqué au superieur ou Juge, tout ainsi qu' au grand Chambrier le Roy des Merciers, à la Bazoche leur Roy, aux Arbalestiers leur Roy, & semblables. La charge du dit Roy des Ribaux estoit de faire Justice des crimes commis à la suite du Roy hors son Hostel. De ceux faits dedans, le grand & autres Maistres du dit hostel avoient la cognoissance. Le dit Roy des Ribaux avoit Varlets, ou Archers pour la force, & execution de son office, qui ne portoient verges au dit Hostel, & estoient de la jurisdiction des Maistres des Requestes de l' Hostel, lesquels anciennement avoient leur siege à la porte du dit Hostel, pour ouïr les Requestes, & plaintes de ceux de dehors, ainsi qu' il sera plus amplement deduit en leur Chapitre. Est ce que dessus concernant les Varlets du Roy des Ribaux recité au plaidoyé de la cause de I. Iunet le 16. Mars 1404. és Arrests de la Pentecoste 1270. est escrit Poincard Prevost des Ribaux. Car longues années apres, & le 22. Fevrier 1353. au second Arrest de Jean de Beauleem, le Roy des Ribaux est nommé pour chef de l' office, qui a depuis changé de nom, & regnant Charles VI. se trouve intitulé Prevost de l' Hostel du Roy. Les filles de joye suivantes la Cour font sous sa charge, & tous les mois de May sont subjettes aller faire sa Chambre.

Tout le reste du Chapitre concerne le fait, & charge du Prevost de l' Hostel. Et vrayement cette opinion n' est pas de petit effect, tant pour estre assistée d' un tel parrein, que le parrein des Arrests par luy alleguez, que je veux croire avoir esté par luy veus, puis qu' il en a cotté les dates, & noms des parties. Vray que j' eusse desiré qu' il eust particularizé le cas de l' un des Arrests pour en estre plus esclaircy.

Si vous vous adressez au President Fauchet vous le trouverez formellement de contraire advis au Chapitre du Roy des Ribaux premier livre des dignitez, & Magistrats de la France.

Celuy (dit-il) qu' on appelloit Roy des Ribaux ne faisoit pas l' Estat du grand Prevost de l' Hostel, comme aucuns ont cuidé, ains estoit celuy qui avoit la charge de bouter hors de la maison du Roy ceux qui n' y devoient manger, ou coucher. Car au temps passé ceux qui estoient deliurez de viandes (qui est ce que depuis on a dit avoir bouche en Cour) aprés la cloche sonnée se trouvoient au tinel, ou salle commune pour manger, & les autres estoient contraints de vuider la maison, & la porte fermée, les clefs estoient apportées sur la table du grand Maistre, & parce qu' il estoit defendu à ceux qui n' avoient leurs femmes de coucher en l' Hostel du Roy, & aussi pour voir si aucuns estrangers s' estoient cachez, ou avoient amené des garces, ce Roy des Ribaux, une torche au poing alloit par tous les coings, & lieux secrets de l' Hostel chercher ces estrangers soit larrons, ou autres de la qualité susdite.

En ces mots finit l' opinion de Fauchet sans toutesfois la fortifier d' autre authorité que de la sienne, luy qui d' ailleurs en tout son œuvre est prodigue en alleguation d' uns & autres Autheurs anciens, pour le soustenement de ses opinions; Vray qu' une page apres, sur la fin du Chapitre il adjouste ces mots. C' est trop s' asseurer de l' antiquité, de dire que le Roy des Ribaux faisoit l' Estat du Prevost de l' Hostel. Car dés le temps mesme de Charlemagne, il y avoit un Comes Palatij, qui jugeoit des differens des gens de la suite de sa Cour. Ainsi qu' on voit dans Eginard qui a escrit la vie de cest Empereur.

Je ne suis pas si mal apris que je vueille entreprendre jurisdiction & cognoissance sur ces deux personnages: Chacun d' eux porte son saufconduit sur le front; toutesfois si vous en croyez la voix commune du peuple, elle adhere plus à l' opinion du premier que du second, nonobstant son Comes Palatij, qui sous la troisiesme lignee de nos Rois a esté attribué à celuy qu' on appella grand Maistre. Et est certain que tout ainsi que le grand Maistre a pretendu estre fondé en jurisdiction des crimes qui estoient commis dedans la maison du Roy, aussi faisoit le semblable celuy qui sous la premiere, & seconde lignée, s' appelloit Comes Palatij, horsmis qu' en ce qui concernoit les Grands, il falloit en passer par le jugement du Roy. Et neantmoins si l' on me permet franchir le pas, & passer outre, je m' advantureray de dire que je treuve beaucoup à redire au premier: Car si le Ribaud estoit de son premier estre tel qu' il presuppose, je veux dire celuy qui abuse effrontément de son corps envers les femmes: Et la Ribaude celle qui fait le semblable à l' endroit des hommes. Pour à quoy remedier fut trouvé la jurisdiction du Roy des Ribaux, comme il dit. Hé vrayement nos ancestres ne furent guere sages, quand voulans designer celuy qui cognoissoit des causes criminelles en Cour, il fut par eux appellé, non Prevost, non Baillif, non Seneschal, ains Roy, & encore Roy des Ribaux, comme si la paillardise eust fait son principal & ordinaire sejour en la Cour de nos Rois. Chose fausse: car nous voyons par l' Ordonnance de sainct Louys de l' an 1254. qu' il chassa non seulement des villes, ains des champs, & consequemment de sa Cour, toutes garces & filles de joye. Et quand bien il s' y fust trouvé quelque abus, il falloit chastier ce vice sous le mot general de juge, comme l' on fait en toutes les autres jurisdictions de la France, & non le designer particulierement sous ce nom honteux du Roy des Ribaux. C' est pourquoy je veux deschifrer cette ancienneté tout d' un autre sens, qui n' a encore esté fait par aucun des nostres, & vous dire que du temps de Philippe Auguste, Ribaud n' estoit un mot de pudeur, ains d' honneur. Je ne doute point que dés cette premiere demarche je ne reçoive diverses atteintes, non seulement de la populace, ains de ceux qui font profession de bien entendre nostre langue Françoise. Le mot de Ribaud en France, ou de Ribaldi dans l' Italie, ne se peut prendre en bonne part, dit Nicot en son Dictionaire François. Adjoustez y le mot de Ribaude, encore y trouverez vous plus de honte; ce sont deux paroles pleines de vergongne. C' est pourquoy je supplie le Lecteur de suspendre son jugement jusques à la fin de ce mien discours, dedans lequel il verra une metamorphose admirable. Le mot de Ribaud sous le regne de Philippe Auguste estoit baillé à des soldats, ausquels il avoit tres-grande creance, en ses exploits militaires. Guillaume le Breton au troisiesme Livre de sa Philippide, dit que ce Roy estant venu pour donner confort & aide à la ville de Mante, que le Roy Henry d' Angleterre tenoit assiegee, soudain apres son arrivee, le Seigneur de Bar brave cavalier, avec ceux de sa banniere, & les Ribaux, attacqua chaudement l' escarmouche, & logea la spavente au camp de l' Anglois.

Hi, paucique aiij stimulante cupidine laudis,

Eminus admisso post Barrica signa feruntur, 

Armigerique suis dominis, qui deesse nequibant,

Et Ribaldorum nihilominus agmen inerme, 

Qui nunquam dubitant in quaevis ire pericla:

Et quelques vers apres, les nostres ayans vaillamment combatu & batu l' ennemy.

Nec munus armigeri, Ribaldorúmque manipli,

Ditati spolijs, & rebus, equisque subibant; 

Nec mora, Rex, & caetus ouans rediere Medonta, 

Et laeti somno se curavere, ciboque: 

Anglicus ex illo tunc tempore non fuit ausus 

Armato, nostros adoriri, milite fines.

Vous voyez qu' entre toutes les compagnies, il fait un singulier estat de celle des Ribaux. Le Roy Philippe apres avoir subjugué le Poitou, voulant assieger la ville de Tours, & trouvant la riviere de Loire luy faire obstacle. il choisit un Capitaine Ribaud pour la gayer.

Rex quodam duce Ribaldo vada tentat ubique,

Donec inundantis medio se fluminis, hasta

Appodians, ripa subito stetit ulteriori, 

Inventoque vado quasi per miracula, contra

Spem, contra fluvij naturam, transit absque

Remigis officio.

Et sur l' exemple de son Roy, toute l' armee ne douta de passer à gay la Loire, dont le Capitaine Ribaud leur avoit ouvert le premier chemin. Le Roy ayant mis le siege devant Tours: Ribaldi Regis (dit Rigord) qui primos impetus in expugnandis munitionibus facere consueverunt, eo vidente, in ipsam civitatem impetum fecerunt, & per muros cum schalis ascendentes ex improviso ceperunt. Quo audito Rex & exercitus, integram civitatem accepit, positis ibi custodibus, & ibidem aliquot dies gratias Deo agentes, solemnizaverunt.

Vous pouvez recueillir de ces passages, & specialement du dernier, que la compagnie des Ribaux estoit ordinairement à la suitte du Roy Philippe, tout ainsi que la Pretoriane dedans Rome à celle des Empereurs. J' ay repassé tout au long sur les dix livres de la Philippide du Breton, je ne trouve point en tout son œuvre qu' il donne nom expres à aucune autre compagnie qu' à celle-cy. Qui me fait dire que c' estoit la compagnie ordinaire de la garde du Roy; Et comme ainsi fust que l' on n' y enrolast que soldats d' eslite: aussi est-il advenu que depuis ce temps là jusques à huy, nous avons appellé puissans Ribaux, non les putassiers, ains tous hommes forts & membrus. Il leur falloit un Capitaine pour les conduire. Or tout ainsi que le Heraut qui estoit pres du Roy, fut appellé Roy d' armes, aussi fut ce Capitaine appellé Roy des Ribaux, non pour leur faire le procez ainsi qu' un Prevost de l' Hostel; ains pour les conduire à la guerre quand les occasions se presentoient. Ainsi le recueillay-je du Roman de la Rose, quand le Dieu d' Amours assemblant son ost, pour deliurer Bel-accueil de la prison en laquelle il estoit detenu, le dessus du Chapitre porte:

Comment le Dieu d' Amours retient,

Faux semblant qui des siens devient, 

Dont ses gens sont joyeux & baux,

Car il le fait Roy des Ribaux.

Et dans le discours du Chapitre.

Faux semblant par tel convenant, 

Tu seras à moy maintenant, 

Et à nos amis aideras, 

Et point tu ne les greveras:

Ains penseras les enlever, 

Et tous nos ennemis grever,

Tien soit le pouvoir & le baux 

Car le Roy seras de Ribaux.

Il est certain qu' en l' un & en l' autre vers le Roy des Ribaux est pris, non pour Juge; ains pour Capitaine. Tout de la mesme façon que depuis nous appellasmes Coronal de l' Infanterie celuy qui la conduisoit, mot qui approche de la Royauté. Et d' autant que cette compagnie estoit voüée à la garde du Corps du Roy, il falloit que son Capitaine tint pied à boule à la porte du chasteau. Le plus ancien Estat de la Maison du Roy, est celuy qui se trouve au plus vieux Memorial de la Chambre des Comptes de Paris cotté Croix, de l' an 1285. c' estoit la derniere annee du Roy Philippes le tiers fils de S. Louys, portant entr'autres ces deux articles.

Item ils seront deux portiers en Parlement quand le Roy n' y est, Philippot le Camus & un autre, & aura chacun 2. sols de gages, pour toute chose, & on leur defendra que par leur serment ils ne prennent rien de Prelat, ne d' aucuns, & qu' ils ne laissent nulli entrer en la chambre des Prelats, sans commandement des Maistres.

Item le Roy des Ribaux a six deniers de gages, & une provende, & un valet à gages, soixante sols pour robbe par an.

Le Parlement n' estoit lors resseant en la ville de Paris, ains suivoit la Cour du Roy. Au moyen dequoy il y avoit sa chambre pour juger les procez, & deux portiers, avec expresses inhibitions & deffences de prendre argent des Prelats pour y entrer. Et on y met apres le Roy des Ribaux que j' explique pour la garde du Corps du Roy. Chose qui se descouvre bien amplement par un autre Estat fait sous le Roy Philippes le Long, qui est au mesme Memorial.

C' est l' Ordonnance de l' Hostel du Roy Philippes le Grand, faite à Lorry en Gastinois le Jeudy dix-septiesme jour de Novembre mil trois cens dix-sept. Quand on vient à parler de ceux qui devoient avoir la garde des portes de la Maison du Roy.

Les Huissiers de Salle cinq. C' est à sçavoir Thiebaut, Olivier, Philippe, Jean le Clerc, & Geoffroy. Dont il y en aura tousjours 3. en Cour, & s' aideront pour servir par temps, & aura chacun une provende d' avoine, & XIX. deniers de gages pour toutes choses, & liuraison de chandelles, IX. quayer, & VI. conistres, & non point liuraison de vin.

Item portiers quatre, dont les trois seront tousjours en Cour, & aura chacun une provende d' avoine, & XIII. deniers de gages pour toutes choses, ils doivent avoir conistres, & aura la porte 9. cinquain, 9. quayer, & 12. chandelles courtes, & aura pour tout demie moule de busches.

Item trois varlets de porte qui mangeront à Cour, & n' avront autre chose, mais qu' eux trois ensemble avront 9. quayer pour esveiller, & chacun une conistre, & une bote de feurre. 

Item Crasse Joé Roy des Ribaux ne mangera point à Cour: mais il aura six deniers tournois de pain, & deux quartes de vin, une piece de chair, & une poule, & une provende d' avoine, & 13. deniers de gages, & sera monté par l' Escurie, & se doit tousjours tenir hors la porte, & garder qu' il n' y entre que ceux qui y doivent entrer. 

Du Tillet s' est aidé de cet article pour verifier son intention, & dit que l' on recueille de luy que le Crasse Joé qui y est nommé Roy des Ribaux estoit comme le Prevost de l' Hostel. Je voudrois sçavoir sur quel tiltre il voulut faire ce commentaire: Car nulle mention de juger, au contraire prenez l' Ordonnance tout de son long, vous verrez estre question seulement de la garde de l' Hostel du Roy. Et à cet effect elle commence par cinq Huissiers, puis passe à quatre Portiers, puis à trois varlets des portiers, declarant quelles estoient leurs charges, & en fin aboutit au Roy des Ribaux, auquel vous voyez estre aussi enjoint de garder la porte, mais avec plus d' appointement que tous les autres, luy assignant mesme un cheval de l' escurie du Roy; Qui est celuy qui ne voye que par cet article on n' entendit jamais parler d' un qui representast le Prevost de l' Hostel, lequel ne fut jamais commis à la garde des portes de la Maison du Roy: Mais bien que ce Roy des Ribaux avoit la charge de garder la porte, comme celuy qui estoit Capitaine des gardes du Roy. Je sçay bien que depuis ces Ribaux degenererent de leur ancienne vertu: comme je toucheray cy-apres. Ny pour cela ne fut ceste Capitainerie supreme, dont on voyoit l' image, non l' effect. Parce que l' on trouve au Memorial de la Chambre des Comptes cotté C. une Ordonnance du Roy Philippes de Valois sur son Hostel, & sur celuy de Monsieur le Duc d' Orleans son fils du 28. May 1350. par laquelle apres avoir compris sous un general article, Tailleur, Cordonnier, une Guette, un Huissier de la Salle, deux Portiers, deux Varlets de porte, quatre Varlets servans du vin, on adjouste immediatement cet article. Le Roy des Ribaux cinq sols par jour pour toutes choses. Qui estoit garder la mesme police que celle de Philippes le Long, mais avec un retranchement de sa pension ancienne. Jusques à ce qu' en fin pour monstrer combien cette charge estoit venuë avec le temps en nonchaloir, je trouve au Memorial cotté E, une Ordonnance du Roy Charles VI. du mois de Janvier 1386. portant ces mots. Le Roy des Ribaux 4. sols parisis par jour quand il sera à Cour pour toutes choses. Toutes les autres Ordonnances ne portoient point cette restriction de Cour. A la verité Fauchet avoit eu quelque ressentiment de cette ancienneté, quand il disoit que le Roy des Ribaux avoit la charge de fermer la porte à ceux qui ne devoient entrer en l' Hostel, mais de la particulariser de la façon comme il fait, je voudrois pour m' en rendre capable, avoir un autre garand que de luy seul.

Et pour m' estancher de ce long discours, & monstrer en peu de paroles, qu' il n' y avoit aucune communauté entre le Roy des Ribaux, & celuy que depuis nous appellasmes Prevost de l' Hostei, je prens droit (permettez moy de faire icy l' Advocat pour le soustenement de mon opinion) sur ce que du Tillet dit en la fin de son Chapitre. Des sentences du Prevost de l' Hostel (dit-il) en matiere civile les appellations ressortissent du Parlement, comme appert par les Registres d' iceluy des 21. Avril, & 29. Decembre 1486. Or est-il qu' en ce mesme temps il y avoit un Roy des Ribaux couché en l' Estat de l' Hostel du Roy, comme je vous ay cy-dessus touché: Il est donc vray de dire que c' estoient offices distincts. Ny pour ce que j' en discours je n' entens m' advantager au desadvantage de la memoire de du Tillet, ausquels la France a tres-grande obligation. En ces douteuses anciennetez je laisse la liberté aux plumes de me contredire, & au Lecteur de suivre telle opinion qu' il luy plaira: Sauf aux ans de juger des coups.

Quelqu'un paravanture desirera sçavoir de moy dont ce nom de Ribaud a esté emprunté, qui prendra cy-apres un autre visage. Cette compagnie de Ribaux, n' est, ny la premiere, ny la derniere, qui ont eu noms particuliers dont on ne sçait l' origine, desquelles les unes reüssirent avec le temps à honneur, & les autres à deshonneur. Amian Marcellin nous tesmoigne que vers le declin de l' Empire il y eut deux braves compagnies guerrieres, l' outrepasse de toutes les autres, dont l' une estoit appellee Gentilium, & l' autre Scutariorum, sans que sçachions comment, ny pourquoy leur furent baillez ces deux noms. Et de ma partie veux croire, comme j' ay traité ailleurs, que d' elles vindrent en usage ceux que depuis nous appellasmes en France Gentilshommes & Escuyers: Car il est certain que nostre Noblesse Françoise prist son commencement par les armes, & qu' entre toutes les nations estrangeres, qui se firent riches de la despoüille de l' Empire, il n' y en eut pas une des autres, qui emprunta tant des mœurs, & discipline des Romains que la Françoise, comme nous tesmoigne Procope.

Ces deux compagnies de Gentils & Escuyers prospererent. Au contraire deux autres qui avoient tenu dedans la France, lieu de primauté entre les guerriers, s' abastardirent avec le temps, & par un mesme moyen tomberent en l' opprobre de tout le monde. Pendant la prison de nostre Roy Jean, les Anglois s' estans emparez de la ville de Melun fermoient la porte aux basteaux & marchandises qui descendoient du haut de la riviere de Seine à Paris. Au moyen dequoy Charles son fils lors Regent en France, pour faciliter la descente ordonna certain nombre de Soldats, Brigands, Paluoisiens, Archers, & Arbalestiers qui seroient continuellement en basteaux couverts, pour servir d' escorte aux autres basteaux. Par cela vous voyez que la compagnie des Brigands estoit lors mise la premiere en ordre, comme estant de plus grand respect que les autres. Le semblable avoit il esté auparavant en celle des Ribaux: Et neantmoins l' une & l' autre forlignans par succession de temps, des Brigands on feit des Voleurs & guetteurs de chemins en nostre commun langage, & des Ribaux une je ne sçay quelle enjance de putassiers. Deux vices assez familiers aux soldats, si par une discipline estroite ils ne sont tenus en bride par leurs Capitaines. Or commença cette desbauche bien avant sous le regne du Roy Philippes le Bel, comme vous pouvez descouvrir par le Roman de la Rose, dedans lequel vous trouvez, Ribaux & Ribaudes estre pris pour personnes qui mettent indifferemment leurs corps à l' abandon, sans aucun soin de leur honneur. Et signamment quand vous voyez le Dieu d' Amours faire Faux semblant Roy des Ribaux: Car la beauté de ce passage est, que Jean de Mehun Autheur du Roman, qui vivoit sous Philippes le Bel, nous ayant representé quelle estoit la nature du Roy des Ribaux de son temps, qui ne signifioit autre chose que Capitaine, il represente aussi quel estoit le vice des Ribaux de son temps, ausquels il baille pour Capitaine Faux semblant. Et est une chose esmerveillable qu' avec le temps l' Estat de ce Roy des Ribaux alla tellement au raval, que je le voy avoir esté pris pour executeur de haute Justice. Jean Boutillier dedans son livre intitulé Somme Rurale, qui commença d' estre mis en lumiere le 22. Juillet 1490. Cela s' appelle la derniere annee du regne de nostre Roy Charles VII. Ce docte praticien (dis-je) discourant les droits qui appartenoient aux 2. Mareschaux de France: car lors il n' y en avoit d' avantage. Ces 2. Mareschaux (poursuit-il) peuvent faire & accoustrer un Prevost, qui peut & doit avoir pouvoir d' eux deux, où soient empraintes les armes des dits Mareschaux, & premieres du premier Mareschal. Par devant lequel Prevost peuvent estre ventilees toutes les causes qui au droit des dits Mareschaux appartiennent en la Judicature, & doit avoir de chacune commission 2. sols: de chacune amende 60. sols, en quoy il commande, il doit avoir 17. sols. Et pareillement si l' amende estoit de 60. liures, en quoy enqueurt toute personne qui fait ou vient contre les Estats des dits Mareschaux, il a aussi 17. liures. Item a le dit Prevost le jugement de tous les cas advenus en l' ost, ou chevauchie du Roy, & le Roy des Ribaux en a l' execution. Et s' il advenoit qu' aucun forface de corps, qui soit mis à execution criminelle, le Prevost de son droict a l' or & l' argent de la cheinture au malfaicteur: & les Mareschaux ont le cheval, & le harnois, & tous outils se ils sont; reservé le droict, & les habillemens quels qu' ils soient & dont ils sont vestus, qui sont au Roy des Ribaux qui en fait l' execution. Le Roy des Ribaux se fait toutes-fois que le Roy va en ost, ou en chevauchie: appellez l' executeur de ses sentences, & commandement des Mareschaux, & de leur Prevost. Le Roy des Ribaux a son droict à cause de son office, & cognoissance sur tous jeux de dez & de berlans, & d' autres qui se font en l' ost & chevauchee du Roy. Item sur tous les logis de bourdeaux & femmes bourdelieres doit avoir 2. sols la semaine.

Je ne feray aucun commentaire sur cet article; car le texte est assez clair, pour cognoistre quelle estoit la charge du Roy des Ribaux du temps de Jean Boutillier. Mais je vous prie de considerer en quel desarroy est en cet endroit nostre histoire: Car du Tillet estime que les filles de joye sont aujourd'huy sous la charge du Prevost de l' Hostel en Cour, comme ayant emprunté cette belle dignité du Roy des Ribaux lors qu' il estoit en pleine vogue: Au contraire Boutillier la luy attribuë, lors que de grand Capitaine, on luy veit faire la charge d' executeur de la haute Justice. Au demeurant pour ne laisser en ce sujet rien en arriere: Je sçay qu' il y a quelques vieux exemplaires de l' Ordonnance du Roy S. Louys de l' an 1254. qui parle des femmes folles & Ribaudes, en l' article auquel il bannit du Royaume tous les bordeaux. Chose qui pourroit apprester à penser que deslors le mot de Ribaud fut pris de mauvaise part. Cette Ordonnance fut faite en Latin (ainsi que l' usage commun de la France le portoit lors, & auparavant) & depuis traduite par diverses plumes, chacune desquelles approprioit sa version au langage commun de son temps. Et de fait je vous puis dire avoir veu une version plus ancienne que celle-là, portant au lieu de Ribaudes, femmes follieuses. Pareille faute trouvons nous aux anciens manuscrits de nostre Roman de la Rose: en chacun desquels le langage François est tel qu' il estoit lors qu' ils furent copiez, horsmis la ruine des vers, ausquels ils ne peuvent donner aucun ordre. Voire y trouverez vous je ne sçay quoy du ravage de ceux qui en furent copistes, je veux dire de leur Picard, Normand, Champenois. Qui sont choses ausquelles le Lecteur doit avoir grand esgard premier que d' y interposer son jugement.