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mardi 20 juin 2023

3. 24. De la puissance que noz Roys ont sur la discipline & meurs de leur Clergé,

De la puissance que noz Roys ont sur la discipline & meurs de leur Clergé, & comme s' ils veulent regner heureusement, il est requis qu' ils n' en mes-usent. 

CHAPITRE XXIV.

Jamais la France ne receut tant de traverses sans changement d' Estat, comme elle fit soubz Charles sixiesme: voire qu' il sembloit que toutes choses y feussent disposees, un Roy mal ordonné de son bon sens, les deux premieres, & plus grandes familles de la France en dissensions, chacune desquelles pour le soustenement de ses affaires se targeoit de l' authorité du Roy, selon qu' il la pouvoit empieter, guerres civiles, à la queuë desquelles l' Estranger s' estoit emparé de la plus grande partie du Royaume (comme c' est presque la fin & aboutissement de telles communes desbauches) & Estranger mesmement ancien, & capital ennemy de la France, qui commandoit dedans Paris, ville avec laquelle la fortune de noz Roys semble être liee: & qui est encores davantage à considerer, c' est que paravanture nous n' eusmes jamais Roy de moindre effect que Charles septiesme. Car au milieu de toutes ces calamitez & tempestes, il entretenoit au veu & sceu de toute la France, une belle Agnés, & estoit de si peu de tenuë en toutes ses actions, que tous les ans il changeoit de nouveaux favoriz: mesmes s' estoit rendu, ainsi faut que je le die, si contemptible envers ses Seigneurs, que Tanneguy du Chastel fut si hardy de tuer en sa presence dans son Conseil le sieur du Bueil, de la maison de Sanxerre qui lors avoit la meilleure part au Roy: & neantmoins Dieu luy envoya de si bons & fideles Capitaines, que tout ainsi que les enfans d' Israël par la conduite de Moyse furent deliurez de la tyrannie des Pharaons, aussi furent le Roy, & tous les sujects afranchis de toutes les extortions, & pilleries, qu' avoient produit ces guerres intestines, & les Anglois exterminez tout à fait. Au contraire souz Louys d' Outremer & Lothaire son fils, souz lesquels il n' y avoit tant d' aparence de mutation d' Estat (car & l' un & l' autre estoient pleins de sens, ores qu' ils eussent la fortune rebource & traversiere à leurs desseins) toutesfois Dieu leur osta le sceptre des mains, pour le transporter en une autre famille. Et vrayement quand je considere toutes ces particularitez, & qu' au milieu de ces orages, je voy que les Benefices estoient à l' abandon en France souz Loys & Lothaire, & distribuez par l' authorité, ou connivence du Prince aux Capitaines gendarmes, & guerriers: & que souz les regnes de Charles sixiesme, & septiesme, tous les *voeus generaux de la France ne visoient qu' à reformer les abus qui estoient en l' Eglise, non point à coups de dagues, ou espees, qui n' est pas la voye qui nous a esté prescrite de Dieu, ains par Concils, par Presches, Assemblees de preud'hommes, s' accordans en une mesme devotion: il me semble qu' il est fort aisé de juger dont vint la condamnation des uns, & restablissement des autres. C' est à sçavoir, pour autant que les premiers n' ayans eu soing de la maison de Dieu, ains en faisans un hebergement de chevaux, Dieu aussi n' eust soing de la leur: comme au rebours il prit en main la defense de celle qui avoit, non point par mines exterieures, ains vivement defendu la sienne. Tellement que les premiers fondemens en ayans esté jectez souz Charles sixiesme, & l' edifice parachevé soubz son fils par la Pragmatique Sanction, Dieu leur voulut attribuer ceste bonne devotion, restituant plus par miracle, que par main d' homme, tout le Royaume à Charles septiesme. De façon que depuis ce Roy prospera tousjours, au contentement de tout le monde, s' estant rendu recommandé à la posterité, comme l' un des plus grands Roys de la France.

Aussi seroit-il mal-aisé d' aporter plus grande, & sage police en nostre Eglise, que celle qui fut moyennee par ceste Pragmatique Sanction, ny mesmes par voye plus douce. Car tout ainsi qu' aux anciens Concils, que nous celebrions dans Paris, Orleans, Tours, Arles, Chaalons, Rheims, & autres villes, selon les occurences des affaires, nous y apportions peu du nostre, ains espuisions noz Constitutions Synodales des Concils generaux, ou particuliers du Levant, approuvez par toute l' Eglise: aussi empruntames nous ceste Pragmatique Sanction de deux Concils generaux, de Constance, & de Basle. Par ainsi demeurans souz l' authorité du S. Siege, & recognoissans l' Eglise Romaine, comme Premiere, Universelle, & Catholique en ce qui concernoit la foy & religion Chrestienne, nous bannimes ce qui causoit la confusion. Surquoy quelques particuliers avoient pris argument de se separer du corps de l' Eglise. Or outre les choses par moy cy-dessus discouruës, il restoit encores la reformation des mœurs, & falloit au moins mal qu' il seroit possible exterminer l' avarice, & l' ambition de nostre Eglise: l' avarice en la distribution des saincts Sacremens, & autres choses qui dependent du ministere, & administration des Ecclesiastics: l' ambition en plusieurs rencontres qui dependoient de l' exercice de leurs justices. Pour dire la verité, c' estoit au Clergé mesmes d' y mettre la premiere main: mais en ce defaut, il n' est pas impertinent d' avoir recours au souverain Magistrat seculier.

Et par especial en la France, en laquelle de toute ancienneté nous avons recogneu noz Roys, sinon pour chefs de leur Eglise, pour le moins comme faisans l' une des meilleures, & plus saines parties d' icelle. Qui est la cause, pour laquelle l' ouverture de noz premiers, & anciens Concils, tant souz la premiere que seconde lignee, se faisoit souz leur authorité, & quelquesfois y presiderent * mesmes en trois Concils, dont l' un fut souz Louys le Debonnaire, tenu en la ville d' Aix, l' autre souz l' Empereur Lothaire son fils, en la ville de Paris, le troisiesme en la ville de Majence, souz Arnoul, qui fut en Allemaigne le dernier rejection de la lignee de Charlemaigne, il fut dés la premiere entree accordé, que le corps de toute l' Eglise estoit divisé en deux dignitez, en la Sacerdotale & en la Royale, portant signamment le second article du Concil de Paris. Principaliter totius Ecclesia corpus in duas personas eximias, Sacerdotalem videlicet, & Regalem, divisas esse novimus. Et pour ceste cause, apres avoir disputé de la dignité Sacerdotale, ils touchent à son rang ce qui concernoit la Royale, comme si l' une ne se pouvoit passer de l' autre: & entre autres Decrets de ce Concil, il fut par l' article deuxiesme arresté, qu' aux Roys de France appartenoit d' avoir l' œil sur la discipline Ecclesiastique, lors que le Clergé se rendoit nonchalant à le faire: estant l' article de ceste substance & teneur. Principes sæculi nonnumquam intra Ecclesiam potestatis adeptae culmina tenent, ut per eandem potestatem, disciplinam Ecclesiasticam muniant. Cæterum intra Ecclesiam potestates necessariae non essent, nisi ut quod non prævalet sacerdos efficere per doctrinae sermonem, potestas hoc imperet per disciplinae terrorem. Saepe per regnum terrenum cœleste regnum proficit: ut qui intra Ecclesiam positi, contra fidem, & disciplinam Ecclesiae agunt, rigore principum conterantur, ipsamque disciplinam, quam Ecclesiae utilitas exercere non prævalet, cervicibus superborum potestas principalis imponat, & ut venerationem mereantur, virtutem potestatis impertiatur. Cognoscant principes seculise Deo debere rationem propter Ecclesiam, quam à Christo tuendam suscipiunt. 

Les Princes & Seigneurs temporels (dit-il) quelquefois exercent dedans l' Eglise le haut poinct de la puissance qu' ils ont a fin que par elle ils reparent la discipline Ecclesiastique. Au demeurant les puissances & authoritez ne seroient desirees en l' Eglise, sinon de tant que ce à quoy l' Ecclesiastic ne peut parvenir par Presches & sainctes exhortations, il faut que le Magistrat le commande, & face executer par la crainte de sa police. Assez souvent le Royaume des Cieux sent profit par l' aide du Royaume terrestre. C' est à sçavoir, quand ceux qui au milieu de l' Eglise vivans contre la foy & discipline Ecclesiastique, par la rigueur du Magistrat sont opprimez, & qu' à ceste discipline, que l' Eglise ne peut exercer à son utilité, sont reduits les plus hautains & superbes, par la puissance du Prince: lequel par ce moyen se rend venerable envers un chacun. Que les Princes doncques entendent qu' ils rendront quelque jour compte à Dieu de l' Eglise, qui leur a esté par luy baillee en garde. 

Passage que j' ay voulu copier & rendre François mot pour mot de cest ancien Concil de Paris, par ce qu' il feut expressement dressé pour noz Roys dans la ville capitale de France. Qui me fait en passant esbahir, pourquoy Gratian en son Decret l' atribuë à Isidore Autheur Espagnol, lequel ne le tient en foy & hommage d' autres que de nous: & eust esté plus seant à ce moine de puiser de la fontaine, & de plus grande authorité, en le recognoissant d' un Synode. 

Or est la puissance de nostre Roy estimee être de tel effect & merite sur son Eglise, que tout le Clergé. Et pour conclusion ce grand Concil de Paris, prie le Roy de vouloir establir des escoles publiques par son Royaume en trois villes, c' estoit ce que depuis nous appellames Universitez. Qu' il luy pleut pareillement de restablir quelques Eglises Episcopales, lesquelles non seulement demeuroient veufves, & destituees de Pasteurs, mais par l' injure du temps sembloient être du tout suprimees, & reduites à neant: & aussi que les Abbez, & Abbesses, ensemble les Chanoines, tant Reguliers, que Seculiers fussent per luy admonnestez serieusement de servir de bon exemple au peuple, & ne faire riens qui fut mal-seant à leurs ordres, & professions, qu' ils tinssent en bon, & suffisant estat les lieux qui leur estoient communs. Quoy faisant il ne falloit faire nulle doubte que les affaires de la France ne prissent puis apres bon train. Et de ce mesme fonds, proceda que les Roys Charlemaigne, & Louys le Debonnaire, feirent plusieurs constitutions Canoniques par leur Royaume, lesquelles furent confirmees en un autre Concil tenu à Aix soubz Pepin fils du Debonnaire: pareillement que les constitutions conciliaires n' avoient lieu, sinon de tant, & entant qu' elles estoient confirmees par noz Roys, & mises aux archifs de leurs Palais: comme nous voyons qu' il fut faict pour les cinq Concils tenus diversement par le commandement du Debonnaire. Et de faict en ce mesme Concil d' Aix il est dit que les Canons par eux promulguez sortiront leur entier effect par authorité Pontificale, & Royale Majesté.

mardi 8 août 2023

9. 4. Que l' opinion est erronée, par laquelle on attribuë l' institution de l' Université de Paris à l' Empereur Charlemagne.

Que l' opinion est erronée, par laquelle on attribuë l' institution de l' Université de Paris à l' Empereur Charlemagne.

CHAPITRE IV.

He vrayement ce n' est pas un petit honneur à cette noble Université, si elle a eu pour parrein l' Empereur Charlemagne, qui luy ait donné ce nom; quoy que soit qu' il ait esté dedans Paris le premier Autheur & Promoteur des bonnes lettres. De mesme façon vois-je qu' on luy attribuë l' Institution, & de nos Parlemens, & de nos douze Pairs de France. Luy (dis-je) qui fut premierement Roy de France, puis Patriciat de Rome, & de toute la Lombardie, & finalement Empereur de tout l' Occident. Tant y a qu' il se veit commander absolument à la France, Italie, & Allemagne. Il estoit vrayment grand Prince, personnage d' esprit, bien nourry és bonnes lettres, grand Capitaine & guerrier, a l' espee duquel nostre Royaume de France doit beaucoup; mais j' ose dire que sa memoire n' est moins obligee à nos plumes. Car quant à moy j' estime, que ny l' Ordre des Parlemens, ny des Pairs ne luy est deu, comme j' ay amplement verifié par parcelles dedans mon second Livre, ny aussi de l' Université de Paris, ainsi que j' ay amplement discouru au vingt-troisiesme chapitre du troisiesme. Toutesfois d' autant que ce Livre est expressément dedié pour la deduction des Universitez de la France, je donneray à cette nouvelle opinion plus d' air, contrevenant à l' ancienne. Les deux premiers que je vois de nostre temps, ou quelque peu auparavant n' avoir voulu adherer à Vincent, Gaguin, Gilles, & autres, sont Paule Emile, & Messire Jean du Tillet Evesque de Meaux, l' un en son Histoire generale de nostre France, l' autre en sa Chronique abregee. Deux personnages dont je fais grand compte en ce subject, & m' asseure qu' ils n' eussent oublié de faire mention de cette opinion, si par leurs estudes & recherches ils l' eussent trouvee veritable. Ils ne l' ont expressément contredite; ains seulement teuë, j' ay voulu dire sagement, monstrant par cette sagesse, qu' ils n' y adjoustoient aucune foy. Je suis le moindre des moindres: mais je pense avoir esté celuy, qui premier levay la paille en cet endroit l' an 1564. quand en ce grand theatre de la Cour de Parlement de Paris, en presence d' une infinité de gens de lettres plaidans pour l' Université de Paris, contre les Jesuites, apres avoir faict mon preambule, tel que je pensois necessaire, je commençay le demeurant de ma narration par ces mots. 

L' Université de Paris, soit qu' elle ait pris son commencement sous le grand Empereur Charlemagne (ainsi que le vulgaire de nos Annales estime) ou sous ce grand Philippes Auguste, sous lequel les bonnes lettres prindrent leur grand advancement & progrez, specialement en cette ville, par le moyen de Messire Pierre Lombard, Evesque du lieu, (en faveur duquel nous celebrons tous les ans un Anniversaire dedans l' Eglise sainct Marcel) a tousjours esté grandement cherie, aimee, & favorisee de nos Roys. Je me fermay en cela pour cet esgard: car ce n' estoit mon intention d' en discourir. Et a fin que ne pensiez que ce fust par nouvel esprit de contradiction que j' entray deslors en ce nouveau party, je sçay quel honneur je dois porter à une opinion commune, mais aussi sçay-je bien que la verité doit estre beaucoup plus honoree. Et pour cette cause je vous diray encore un coup que ce ne nous seroit pas un petit Autheur de nostre Université que Charlemagne: toutesfois je ne voy, ny qu' Aimoïn, ny Rheginon, ny Adon, ny Sigebert en facent aucune mention (car quant à l' Histoire de Turpin, c' est une Histoire supposee, & neantmoins encore n' en parle t' elle point.) Chose que non seulement ils n' eussent escoulé sous silence, mais l' eussent pris à nostre tres-grand honneur, s' estans arrestez par leurs œuvres à plusieurs parcelles, qui ne sont de tel merite que cette-cy. Mesme que Eghinard qui se dit avoir esté son Secretaire, semble avoir laissé aux autres Historiographes la deduction des exploits militaires de cet Empereur, & pris pour son partage seulement ce qui regarde le sçavoir & bonnes lettres qui estoient en cet Empereur, nous discourant qu' il avoit esté nourry, non seulement en sa langue naturelle, mais aussi en plusieurs estrangeres; Et specialement que la Latine luy estoit aussi familiere que sa langue maternelle: Et quant à la Grecque qu' il l' entendoit, ores qu' il ne la sceust prononcer, comme pareillement il avoit esté instruit en la Grammaire, & aux arts liberaux, premierement par Pierre Pisan, puis par Albin, surnommé Alcuin, voire avoit l' intelligence de l' Astronomie. Qu' il fit la vie des Roys de France en vers: donna à son vulgaire les noms des mois & des vents: Qu' à ses repas, pour ne perdre le temps, il se faisoit lire ou reciter quelque belle histoire: Bref estant la plus belle remarque dont Eghinard embellisse la vie de Charlemagne, que le soing qu' il avoit eu aux bonnes lettres & sciences; je ne me puis persuader, qu' il n' eust à la queuë de cecy parlé de cette Université, s' il en eust esté fondateur, tant pour la dignité du lieu, où elle eust esté establie (ancien sejour de nos Roys de France, dés l' advenement de Clovis) que pour l' excellence mesme d' un tel œuvre. Estant la plus belle closture que cet Historien eust peu adjouster à la suite de cette belle narration. J' ay dit tout cela en mon 3. Livre, je le repete mot pour mot, & paravanture la repetition n' en sera frustratoire & oiseuse, ayant à desraciner l' opinion fabuleuse de nostre Vincent de Beauvais. Ce que je vous verifieray encore amplement par un passage exprez des Constitutions de Charlemagne, & Louys le Debonnaire son fils, au 2. Livre article 5. où le Debonnaire escrit en cette façon aux Evesques qui habitoient en ses Provinces. Scholae sanè ad filios instruendos, vel edocendos, sicut nobis praeterito tempore, ad Attiniacum, promisistis, & vobis iniunximus, in congruis locis, ad multorum utilitatem & profectum, vobis ordinari, non negligatur. 

Il estoit Roy & Empereur, & comme tel desiroit qu' on establist Escoles en divers lieux, l' avoit auparavant, comme il dit, commandé. Commandement qu' il reïteroit par expres: Croyez que si cette mesme institution eust esté auparavant faite dedans Paris par l' Empereur son pere, il n' eust pas espargné cet exemple pour exciter ceux ausquels il avoit affaire, pour estre induits à luy obeïr.

J' adjouste que Charlemagne fit tenir pendant son Empire cinq Concils, à Majence, Rheims, Tours, Arles, & Chaalons sur Saone, & apres son decez Louys le Debonnaire son fils, puis Charles le Chauve son arriere-fils plusieurs autres, en tous lesquels nulle mention de cette Université, ny des Escholes qui y furent lors, ny depuis dressees. Car quant à tous les autres Roys qui sont venus depuis le Roy Louys le Gros, vous ne trouvez que chamaillis, coups d' espees, & à peu dire images des Rois, jusques à la venuë de Hugues Capet, & encore moins aucun soucy des sciences, non pas mesmes sous les mesmes Capet, Robert, Henry, Philippes premier de ce nom. Il estoit question d' assassiner un vieux Estat, & en asseurer un nouvel, puis de faire nouvelles conquestes au Levant sur les Sarrazins. En tous les livres qui ont esté diversement escrits de ce qui estoit de ce temps là, vous ne trouverez un seul mot de ces pretenduës Escoles. Qui me semblent grands arguments, pour monstrer que ce que l' on dict de Charlemagne, & de l' Anglois, & des Escossois est une Histoire fabuleuse. Singulierement eu esgard que tout ce que j' ay deduit cy-dessus prend sa source, dés & depuis Charlemagne sans discontinuation, & si ainsi me permettez de le dire de fil en aiguille, jusques à nostre Philippes II. qui fut le quatriesme Roy successif de nostre troisiesme lignee. Au contraire le plus ancien auquel nous sommes redeuables de cette creation faite par Charlemagne, c' est à Vincent de Beauvais, Religieux de l' Ordre des Freres Prescheurs de sainct Dominique, qui nasquit en Espagne l' an 1205. & mourut l' an 1258. Au regard de Charlemagne, qui nasquit l' an 742. & mourut l' an 814. Prenez tout cet entrejet de temps de sa nativité jusques à son decez, & le joignez à celuy de Vincent, vous y trouverez quelques quatre cens ans d' intervalle que plus que moins. Et luy mesme recognoist ne la tenir que d' une Cronique d' Arles, qui est sans nom, & depuis s' est avecques le temps perduë. Joint que je fais grand estat d' un Paule Emile, d' un Jean du Tillet Evesque, Jean du Tillet Greffier au Parlement son frere, Claude Fauchet premier President des Monnoyes, qui n' ont rien ignoré de nostre Histoire, & neantmoins passent ce present discours sous silence. Et ores que Pierre Maçon, & Jean de Serre, facent Charlemagne fondateur, l' un & l' autre oublie le compte des Moines Escossois: & signamment de Serre apres avoir sur le commencement de la vie, dit en passant que Charlemagne avoit esté fondateur de nostre Université, & poursuivant puis apres d' un long discours toute cette histoire, il ne touche un seul mot concernant cette fondation, non plus que Belle-Forest. Il n' est pas que Veigner au second Tome de son Histoire, apres avoir fait contenance de favoriser cette opinion, la contredit immediatement en l' article subsequent. Antoine l' Oisel Advocat, en son plaidoyé concernant la Collation de l' Eglise Parrochiale de Sainct Cosme & Sainct Damien, la soustint formellement estre supposee. Comme j' avois fait auparavant en l' an 1564. & depuis par le 23. chap. de mon 3. Livre, lequel vous pourrez pareillement voir, comme y estans plusieurs autres raisons deduites, que je n' ay icy touchees. Partant mettez en la balance les deux opinions qui regardent cette fondation, vous trouverez que celle qui est pour la negative est la meilleure. Voyons doncques maintenant quelle fut l' Institution & progrez de cette Université.

lundi 29 mai 2023

2. 12. Des Ducs & origine d' iceux.

Des Ducs & origine d' iceux.

CHAPITRE XII. 

De toutes les dignitez que je lis avoir, selon le changement des temps diversifié de façons, je trouve que c' est celle de Duc. Car premierement ce mot ne sonnoit entre les Romains autre chose qu' un Magistrat militaire, comme celuy que nous appellons Capitaine, & la diction du Duché, ce que nous disons Capitainerie. Et ainsi se doivent-ils prendre dans Suetone en la vie de Neron, chapitre trentecinquiesme, où il dict que l' Empereur Neron fit noyer un sien parent & allié, nommé Ruffin, par ce qu' abusant du pretexte de luy, il jouyoit les Duchez, c' est à dire les Estats des Capitaines de guerre. Et depuis par traitte de temps on en usa pour un certain degré au faict de la guerre, & comme on montast graduellement aux honneurs militaires, apres avoir esté soldat on estoit Tribun, puis Duc, puis Legat, ausquels termes, je ne m' arresteray pour n' être de nostre gibier, ains me contenteray d' en donner les addresses à ceux qui en voudront être plus amplement informez: lesquels pourront, si bon leur semble, trouver ce que je dis, veritable: lisans la vie d' Alexandre dans Lampride, & celle de Maximian dans Jules le Capitolin. 

Or combien que l' on en usast particulierement pour celuy qui devançoit au fait de guerre le Tribun, & secondoit le Legat, si est-ce que la generalité de ce mot (Duc) ne laissoit pas d' être employee aux Tribuns, Legats, & autres chefs de guerre: Ny plus ny moins que nous voyons entre nous y avoir Capitaine, Lieutenant & Enseigne: Et toutesfois chacun d' entr' eux separément être par les soldats appellé Capitaine. Parquoy, tout ainsi que sur le declin de la Republique de Rome ceste diction d' Empereur, qui ne signifioit auparavant qu' un General ou Colomnel d' une armee, se tourna puis apres par factions & guerres civiles pour mot souverain d' honneur, en la faveur de celuy qui usurpa toute la tyrannie sur le peuple, aussi la Monarchie & Empire des Romains commençant grandement à balancer par la venuë des nations estrangeres, les Empereurs se voyans affligez d' une continue des guerres, furent contraincts de donner les grandes charges des Provinces aux Ducs & à ceux qui au precedent avoient les conduittes des guerres. Tellement que le Duc, qui se prenoit premierement pour chef de guerre, commença lors d' être pris pour un Gouverneur, & depuis par succez de temps, pour nom de Principauté. Le premier endroict où j' ay leu le Duc être pris pour un Gouverneur ou Visempereur, est dans Vopisque en la vie de l' Empereur Bonose, la part où il dict que cest Empereur avoit esté Duc de la Marche Rhetique. Aussi entre tous les Estats & gouvernemens des Provinces recitez par Cassiodore aux 6. & 7. livres de ses Epistres, je trouve être faicte mention d' un seul Duc Rhetique. De façon qu' il semble que ce pays là fut premier auquel le mot de Duché commença de se prendre pour gouvernement. Et estime que l' occasion de cecy vint, pour autant qu' il estoit exposé à l' emboucheure de l' Allemaigne, dont sourdoient de jour à autre infinies novalitez: pour ausquelles obvier estoient les Empereurs contraincts tirer du corps de leur gendarmerie un Capitaine pour y envoyer: Par ce qu' il luy estoit besoin avoir l' œil sur une gendarmerie, comme sur les propres subjects. Et à ceste cause nous apprenons du mesme Cassiodore que quand l' Empereur donnoit telle dignité Ducale à celuy qu' il envoyoit en la Marche Rhetique, c' estoit avec une telle preface. Ce n' est pas mesme chose de commander à une nation quoye & comme à celle que l' on tient pour suspecte, & pour laquelle on ne craint seulement les vices, ains les guerres. La Rhetique est un boulevard d' Italie, laquelle non sans grand cause fut ainsi appellee par ce qu' elle est exposee aux nations brutales pour les surprendre, ainsi que les bestes sauvages aux rets & penneaux. En ce pays-là on reçoit les assauts des Barbares, & les met-on en suitte à coups de sagettes. Au moyen dequoy tels assauts vous sont une perpetuelle chasse, & par maniere de dire jeu, pour les repousser. Pour ceste cause nous bien & deüement informez, de vostre sens, preu d' hommie, & suffisance, par ces presentes vous donnons le Duché & charge de la Marche Rhetique: A fin que par vostre moyen nostre gendarmerie vive paisiblement, & qu' avec elle vous couriez diligemment tous les environs de vostre pays. Estimant ne vous avoir point esté donnee petite charge, puis que la tranquillité de nostre Empire depend de vostre diligence. A la charge toutesfois que vos soldats vivent avec nos subjects de gré à gré. Qui nous apprend que la necessité du pays fut cause de commettre en tel pays un Duc, non seulement pour être Capitaine general sur une gendarmerie, mais aussi Gouverneur de ceste contree. La mesme necessité apprit puis apres aux Romains d' user de mesme façon. Car estans agitez d' infinies guerres des nations qui les venoient assaillir de toutes parts ils furent contraincts donner la charge des villes à leurs Ducs. Et la premiere distribution que je voy en avoir esté faite, ce fut à l' occasion de Totile Roy des Ostrogots, lequel desconfit deux fois les Romains avec une telle cheute & vergógne (vergongne), que jamais il n' avoit esté presque memoire qu' ils eussent receu semblable playe. Au moyen dequoy, Procope au troisiesme de ses histoires, dit qu' à la seconde route, eux estans reduicts en toute extremité, les gens d'armes abandonnerent la campaigne, se tenans clos & couverts dans leurs villes, contre les advenues de leurs ennemis. Et dit cest autheur, que les Ducs & Capitaines prindrent lors chacun en partage la garde des villes, c' est à sçavoir Constantin, celle de Ravenne, Jean celle de Rome, Besse, de Spolete: Justin de Florence, Ciprian de Perouse. Laquelle police depuis se continua apres que les Ostrogots furent chassez & reduicts à neant par Narses: Car lors que Longin fut commis au Gouvernement d' Italie par le r'appel de Narses, il establit tout un nouvel ordre au pays, d' autant qu' au lieu des Prefects qui tenoient auparavant le Gouvernement des villes, il y commit Ducs & Capitaines, pour tenir par un mesme moyen, un chacun en bride, & obvier aux courses de leurs ennemys: & quant à luy, choisissint son domicile dedans la ville de Ravenne, où il prit le nom d' Exarque. De là en avant, commença le nom de Ducs à s' accroistre, & mesmement les François s' estans impatronizez de la Gaule, apprindrent des Romains à user de ce nom de Duc, pour un Gouverneur de Province. Ainsi que nous pouvons apprendre de noz vieilles histoires Françoises. Gregoire de Tours au huictiesme de ses histoires, nous atteste qu' au lieu d' un Berulphe, Gontran Roy d' Orleans donna pour Duc aux Poictevins & Tourangeaux un nom né Ennode: & au neufiesme il dict, qu' à l' instigation de quelques uns, il l' osta depuis. Desquels lieux il est aisé de tirer que le nom de Duc se prenoit lors pour nom de simple Gouverneur, que les Roys mettoient & deposoient à leurs volontez.

Or comme toutes choses ont quelque revolution avec le temps, ces Ducs petit à petit furent mots de Principautez, & non de Gouvernemens. Et les premiers qui userent de telle façon, feurent les Lombards: Lesquels, comme recite Paul le Diacre, apres que Cleph leur second Roy feust decedé, (cecy estoit vers le temps de Clotaire, premier de ce nom, Roy de France) voulurent être gouvernez par Ducs, com ne par une forme d' Aristocratie. De maniere, que par l' espace de dix ans entiers chaque Duc eut sa Cité, de laquelle il recevoit les fruicts: toutesfois les dix annees expirees, le peuple voulut de rechef avoir un Roy. Ce qui fut faict & luy contribua chaque Duc la moitié de son revenu, pour luy servir de Domaine. Ceste police neantmoins ne trouva si tost lieu en ceste France: Car soubs la premiere lignee de Clovis, le nom de Duc fut viager & temporel. Bien est vray que sur le declin de ceste lignee, de la mesme façon que les Maires du Palais avoient attiré à leur Estat toute la puissance Royale, & l' avoient faicte comme hereditaire en leur famille: aussi voulut chaque Duc en faire autant en son endroict. Et de faict se treuve que du temps de Charles Martel, Loup Duc de Gascongne, & aussi Eude Duc d' Aquitaine, s' estoient faicts Ducs perpetuels, ne voulans recognoistre le Roy de France à superieur. Voire que j' ay trouvé en quelque endroict escrit, que lors quelques Ducs se voulurent intituler Roys de leurs pays, tout ainsi que depuis Pepin fit de tout le Royaume de France. Toutesfois ils furent tous reduits l' un apres l' autre en leur devoir tant par Charles Martel, que par Pepin, & en fin par Charlemaigne, & le Debonnaire son fils.

Auquel temps s' introduisit autre nouvelle police des Ducs. Car tous ceux qui estoient dedans le pourpris, & enceinte de ce Royaume, demourerent comme Gouverneurs des Provinces, desquelles ils estoient appellez Ducs. Et de là vint que (comme j' ay plus amplement deduit au Chapitre des Pairs) vous voyez tantost une Aquitaine être appellee Duché, quand ce pays estoit regy par grands Seigneurs, puis à un instant, Royaume quand Charlemagne en investit à perpetuité par forme de partage son fils Louys le Debonnaire. Toutes fois és pays loingtains & que l' on ne pouvoit pas si aisément contenir, il y avoit double maniere de Ducs. Les uns possedans les Duchez comme leur propre patrimoine, mais avec certaine recognoissance ou redeuance qu' ils faisoient à noz Roys. Les autres comme Gouverneurs, & de la mesme façon que ceux qui estoient dans la France. Du premier rang estoit Tassile Duc de Bavieres, selon que tesmoigne Theodulphe, duquel je suis content d' inserer les propres mots, pour autant que son œuvre n' est pas imprimé, Tassilonem in Ducatu Boioiariorum collocavit per suum beneficium: Pepinus autem Rex tenuit Placitum suum in Compendio cum Francis, ibique Tassilo venit Dux Boioiariorum in vassatico se commendans, sacramento iurans, multas & innumerabiles reliquias sanctorum per manus imponens, & fidelitatem Regi Pepino promisit, & filiis eius, scilicet vassum recta mente & firma devotione. Il donna (dit-il) en fief le Duché de Bauieres à Tassille, puis tint Pepin son Parlement en la ville de Compieigne, auquel lieu vint Tassille luy faire foy & hommage, & mettant les mains sur plusieurs sainctes Reliques, jura de luy garder la fidelité requise & à ses enfans, telle qu' un bon & loyal vassal est tenu faire à son Seigneur. De mesme façon se voit dans Aimoïn au quatriesme de ses histoires un Grimovauld Duc de Benevent en Italie, qui devoit par chacun an à l' Empereur le Debonnaire sept mil escus de tribut. Ce nonobstant au mesme pays d' Italie y avoit quelques Ducs qui ne tenoient les villes que par forme de gouvernement, comme nous apprenons du mesme autheur, qui dict au mesme livre que Sapon Duc de Spolete estant mort, le Roy Louys le Debonnaire y envoya Atalarde Comte de son Palais en son lieu. Desquels passages & autres qu' on peut lire dans les anciens, nous apprenons qu' és pays loingtains de la France, les aucuns Ducs (comme j' ay dit) tenoient leurs Duchez par maniere de gouvernement, & les autres à tiltre de principauté pour eux & leurs hoirs à perpetuité. Laquelle derniere coustume s' insinua depuis entre nous en ceste grande confusion & chaos, qui advint soubs le regne de Charles le Simple. Car estant le Royaume abbayé par plusieurs grands Princes, tant par le moyen de son bas aage, que de sa simplicité & sottie, comme j' ay deduict au dixiesme chapitre de ce livre: ce temps pendant chaque Duc, voire chaque Comte en chaque ville, commença de se faire grand par la ruyne du Roy. Je ne puis mieux comparer ce temps là, qu' à ceste grande mutation qui advint depuis dans l' Italie, par les guerres du Pape & de l' Empereur Federic second, soubs les noms de la faction des Guelphes & Gibelins. Car tout ainsi que pendant que chacun estoit ententif à mener guerre, s' il se trouva lors quelque puissant personnage qui eut voix & authorité dans sa ville, feignant de la garder à celuy duquel il se disoit être partizan, il l' appropria au long aller à soy & aux siens: Dont vint l' origine des Ducs de Ferrare, Milan & d' autres villes dont les unes estoient auparavant Imperiales, les autres Papales. Aussi se trouva lors le semblable en ceste France: car estant ainsi le sceptre de France envié de toutes parts, ceux qui se disoient Ducs & Comtes, faisants semblant de garder les villes & provinces desquelles ils estoient Gouverneurs, au profit du Roy & sous son nom, tirerent toute la prerogative, voire tout le Domaine devers eux. En quoy ils se fortifierent : de façon que Hugues Capet occupa le Royaume de France, il trouva une infinité de Ducs, Comtes, & grands Seigneurs, qui concurroient avec luy (par maniere de dire) en grandeur. Bien est vray que par une pacification generale, estant chacun d' eux grand en son endroict, si recogneurent-ils tous, devoir le baise-main au Roy: demourans en tout le surplus demy esgaux à sa Majesté, en leurs Duchez & Comtez. Et par ceste mutation se trouverent lors les Roys petits tertiens, au regard de ceux qui avoient regné depuis la venuë de Clovis: car au lieu où ils s' estoient veus posseder toute la Gaule, l' Allemagne & l' Italie, tantost le tout, tantost moins, de là en avant sur l' advenement de Capet, ils tenoient seulement en leur pleine possession, une partie de la Bourgongne, Picardie, Sologne, la ville de Paris & la Beausse. Si commencerent noz Roys à abbaisser l' orgueil de ces grans Seigneurs, premierement par Louys le Gros, dés le vivant de Philippes son pere, pendant que les plus grands Ducs & Comtes estoient occupez au premier voyage de Jerusalem. A cause dequoy Guillaume de Nangis en ses Croniques de France, l' appelle le batailleux. Et depuis Philippes Auguste conquit la Normandie & l' Aquitaine, qui estoient tombees és mains des Anglois par mariages: Et du mesme temps par l' entremise de Simon Comte de Montfort, reduisit presque à sa devotion Raimond Comte de Tholoze, & une partie du Languedoc: tant que finallement, soit par alliances, soit par guerres, ou par forfaictures, la plus grand partie de tous les Duchez & Comtez ont esté joincts & reconsolidez à la Couronne: & seroit mal-aisé de dire quelle utilité apporterent pour cest effect à noz Roys, les premiers voyages d' outremer. Car pendant que la plus grande partie des Ducs & Comtes s' estoient d' une devotion esperduë du tout vouez à la conqueste de la terre saincte, noz Roys qui demourerent par deça, seurent fort bien faire leur profit de ceste longue absence, pendant laquelle ils guerroyoient les plus petits, & puis s' attacherent aux plus grands, remettans petit à petit en leurs mains, ce que l' injustice du temps avoit soustrait de leur Couronne. Ceste reunion apporta puis apres autre forme de Duchez en la France: car au lieu que l' on avoit veu quelques fois les Duchez être eschangez en Royaumes, & d' un Royaume être fait apres un Duché, depuis par une nouvelle maniere, noz Roys ont fait, de petites villes, Bourgades, & Seigneuries, Duchez & Comtez à leur appetit. En ceste façon fut erigé Longue-ville en Duché l' an 1510. Vandomois en Duché & Pairrie le quatorziesme Mars 1514. Guyse au mois de Janvier 1527. Estampes 1536. Neuers en Duché & Pairrie en Janvier 1538. & au mesme an, Montpensier aussi en Duché & Pairrie : Aumale en Duché & Pairrie 1547. Montmorency qui n' estoit que simple Baronnie, en Duché & Pairrie 1552. Le tout a fin qu' ayans noz Roys reincorporé sous leur puissance la plus grand' part des anciens Duchez, ils ne semblassent toutesfois avoir effacé les anciennes dignitez de France, par lesquelles ce Royaume sembloit être ilustré & embelly entre les autres, combien qu' à prendre les choses au vray, les Ducs & Comtes qui sont aujourd'huy ne soient qu' images de ceux qui estoient du temps de Hugues Capet: N' ayans ce semble, aucune prerogative sur les autres Seigneurs, sinon par une pompe de nom, & pour les ceremonies exterieures, car le Duc va devant le Comte, & cestuy devant le Baron. Dont est à mon jugement, procedé que quelques uns nous ont icy apporté certaines maximes qu' ils content par quaternions. Disans qu' il failloit qu' un Empereur eust soubs soy quatre Royaumes: un Roy quatre Duchez: un Duc quatre Comtez: un Comte, quatre Baronnies: un Baron, quatre Chasteleniés, & un Chastellain quatre fiefs. Chose inventee à credit par gens plus plains de loisir que de sçavoir: d' autant que si leur proposition avoit lieu, il n' y avroit gueres de Ducs & Comtes pour le jourd'huy. Car mesmes le Duché d' Angoulmois, que l' on baille pour appanage au tiers enfant de France, n' a que le Comté de la Rochefoucault dessouz soy. Et ausurplus encores que sur le premier advenement de noz Roys, les Ducs fussent plus grands que les Comtes en dignitez, si est-ce qu' en ceste generale confusion qui vint en la France, quand depuis le regne du Simple, jusques à Capet & ses successeurs, chaque Seigneur prit son eschantillon du Royaume, & au desavantage du Roy, certainement les provinces prindrent le nom, qui de Duchez, qui de Comtez, plus par hazard & fortune, que par discours. Tellement que non moindre estoit en son endroict un Comte de Flandres, ou de Champaigne, qu' un Duc de Guyenne, ou de Normandie : ains en egalité de puissances, differoient seulement de noms. Et de faict nous voyons mesmement qu' un Comte de Champaigne avoit soubs soy sept Comtes pour ses vassaux, comme j' ay cy-dessus remarqué. Et en effect voila les mutations qu' ont eu diversement les Ducs: estans premierement simples Capitaines, puis par succession de temps Gouverneurs de Provinces, en apres s' estans faits presque esgaux aux Roys, & finalement estans reduicts au petit pied tels que nous les voyons aujourd'huy, au regard de ces autres grands, qui florirent sur la venuë de Hugues Capet à la Couronne.

dimanche 2 juillet 2023

5. 3. Guerres civiles, entre l' Empereur Louys le Debonnaire & ses enfans.

Guerres civiles, entre l' Empereur Louys le Debonnaire & ses enfans.

CHAPITRE III.

Soudain apres que Louys eut esté recogneu heritier Souverain & Universel de l' Empereur Charlemagne son pere, dedans la ville d' Aix la Chappelle, il chassa d' aupres de soy je ne sçay quelle enjance de femmes dont la Cour de son pere estoit plaine: & quelque peu apres donna ordre à la reformation de la discipline Ecclesiastique, qui estoit aucunement en desordre. Et pour le regard des armes reduisit sous son obeissance les Bretons qui s' en estoient soustraicts. Tous actes dignes de recommandation: mais en ce dernier il fit un hola. Car en tout le demeurant de sa vie, il se monstra d' une façon assez fetarde, qui cousta depuis grandement à cette France, comme vous pourrez remarquer parce que je vous reciteray presentement.

Combien qu' il ne fust permis à un nouveau Pape, apres avoir esté esleu, d' entrer en son throsne Pontifical, qu' il n' eust esté auparavant confirmé par lettres patentes de l' Empereur, qui estoit l' un des plus beaux fleurons de sa Couronne Imperiale, toutes-fois le Pape Paschal I. de ce nom pour le peu de courage qu' il recognoissoit en nostre Empereur, ne douta de s' instaler de son authorité privee en son siege, sans le reblandir, & en fut quitte pour telles quelles excuses dont il le paya. C' est l' un des premiers coups de massuë que nostre France receut dedans la ville de Rome. Qui fut secondé par une autre recharge non moins dure. Car l' Empereur ayant depuis envoyé vers le mesme Pape, Lothaire son fils aisné, pour estre par luy honoré de la Couronne Imperiale, il receut nouvelles, qu' apres son retour, Paschal avoit dedans son Palais de Latran fait creuer les yeux à Theodore son premier Secretaire, & à Leon son Nomenclateur, & tout d' une suite fait mourir l' un & l' autre. Non pour autre raison, sinon que Lothaire sejournant à Rome ils luy avoient fait demonstration de plusieurs grands & affectionnez services. Cruauté tenuë pour tres-asseuree par toute l' Italie. Toutesfois apres quelques ceremonies d' Ambassades, dont nostre Empereur se flattoit ordinairement, il se contenta pour toute satisfaction d' un des-adveu faict par le Pape, revestu de son serment: Ores qu' il fust desdit par le seul recit de l' Histoire, & par la voix generale & universelle de tout le peuple: Les Italiens qui en s' agrandissant par effect de nos despoüilles, ne furent chiches de belles paroles, voulurent attribuer cecy à une pieté, & pour cette cause l' honorerent du mot Latin Pius, & les Sages-mondains de nostre France l' imputans à un manque & faute de courage, l' appellerent le Debonnaire. Couvrans sa pusillanimité, du nom de Debonnaireté. Sur ce propos il me souvient que le Roy Henry troisiesme disoit en ses communs devis, qu' on ne luy pouvoit faire plus grand despit que de le nommer le Debonnaire. Parce que cette parole impliquoit sous soy, je ne sçay quoy du sot. Le prenant de cette façon, c' est emporter la piece à cet Empereur. Et neantmoins de l' accuser de sottise tout à fait, ce seroit grandement errer, s' il vous plaist remarquer les deux grands coups d' Estat, dont j' ay parlé au precedent Chapitre, quand pour asseurer son Empire il fit mourir son nepueu Bernard qui estoit plus à craindre, d' une mort naturelle, & ses trois freres bastards, qui estoient de plus foible alloy, d' une mort civile. Or voyez je vous prie comme Dieu se mocque de la sagesse des hommes qui n' est qu' une folie envers luy. Et vrayement ce n' est pas sans raison qu' aux prieres de nos Eglises nous le supplions de ne se vouloir souvenir, ny de nos pechez, ny de ceux de nos peres & meres, & n' en faire tomber la punition sur nous. Le Debonnaire selon le monde s' estoit affranchy de la crainte de ceux qui luy pouvoient plus nuire. Dieu veut qu' il ne soit affligé, ny par son nepueu, ny par ses freres bastards, ains par ses propres enfans, & que cette playe saigne contre toute sa posterité jusques au dernier souspir, tant en la France, qu' Allemagne, qui est le suject du present chapitre.

Pour ne confondre cette histoire faut noter que le Debonnaire eut trois enfans masles d' Hermingarde sa premiere femme, qu' il assortit de divers Royaumes. Car à Pepin son second fils, il donna celuy d' Aquitaine, à Loys son troisiesme, celuy de Baviere, & pour le regard de Lothaire son fils aisné il le designa son heritier principal en tout le demeurant de ses terres & Seigneuries, luy donnant mesmement deslors le tiltre de Roy d' Italie, & d' Empereur. Hermingarde estant decedee, il convola en secondes nopces avecques Judict, dont il n' eut qu' un seul fils, nommé Charles, qui fut un nouveau suject de tragedie. Car elle possedant son mary, moyenna de luy une donation de tous les pays d' Austrasie, en faveur de son fils, c' est celuy que nous avons depuis appellé le Chauve. Les enfans du premier lict sont irritez de cette immense donation. Je vous traceray le crayon de cette histoire en gros, laissant les autres particularitez à ceux qui en ont cy devant escrit. Nouvelle guerre suscitee par les enfans contre le pere, dont le succez fut tel, que Judict est renduë Religieuse voilee à saincte Radegonde de Poictiers, sous la puissance de Pepin: & le Debonnaire & Charles demeurent sous celle de Lothaire. Depuis se fait entr'eux quelque surseance de mauvaises volontez, l' Empereur & sa femme restablis en leurs dignitez, par l' entremise de Pepin & Louys seulement. Judict, rongeant une vengeance mortelle contre Pepin, est la garde duquel elle avoit esté confinee, pendant son affliction, faict donner par le pere à son fils Charles le Royaume d' Aquitaine, au lieu de l' Austrasie. Quoy faisant c' estoit defrauder le titulaire de celuy qui luy estoit dés pieçà acquis. Seminaire d' une autre guerre, mais beaucoup plus furieuse que la premiere, qui produisit des espouventables effects. Car en moins de rien les enfans rendus les plus forts se saisirent en la ville de Compiegne, tant de l' Empereur que de l' Imperatrice, envoyant Judict à Tortonne ville de la Lombardie pour y tenir prison clause. Ce fait Pepin & Louys retournerent en leurs Royaumes, laissans leur pere és mains de leur frere aisné, qui luy fit faire & parfaire son procés par le Clergé. De maniere qu' en l' Eglise sainct Medard de Soissons au milieu d' une infinité de peuple, il fut degradé de sa dignité imperiale.

Quelque temps apres les deux freres puisnez ayans pitié du mauvais traictement que leur pere recevoit par Lothaire, se liguent ensemblement contre luy à la suscitation de Pepin, auquel toutesfois l' injure avoit esté faicte, & donnerent si bon ordre à leur faict que l' Empereur & sa femme furent reintegrez, nonobstant les destourbiers & empeschemens que leur frere aisné y apportast. Si en cette histoire tragique il y avoit eu quelque lieu de reprimende, c' estoit en la personne de Lothaire qui s' estoit continuellement opiniastré à la ruine de son pere, & si quelque lieu de repremiation, c' estoit en faveur des deux puisnez, lesquels apres leurs rebellions estoient revenus à recognoissance & honnestes submissions envers leur pere, luy donnans confort & ayde sur son restablissement. Toutesfois par un jugement rebours l' opiniastreté profita à Lothaire, & les submissions nuisirent à ces deux puisnez. Pepin decedé quelque temps apres, delaissé un sien fils du mesme nom que luy pour son successeur au Royaume d' Aquitaine. Judict qui d' un costé ne respiroit en son ame qu' une grandeur pour son fils Charles à quelque condition que ce fust, mais qui d' un autre avoit senty combien la main de Lothaire estoit pesante, s' advisa d' un nouveau conseil. Qui fut de l' attirer à soy en la façon qui s' ensuit. Il est mandé de l' Italie par l' Empereur qui luy propose sa volonté estre telle, de faire un partage de tous ses pays entre luy & Charles, fors & excepté celuy de Bavieres qui appartiendroit à Louys: A la charge que tout ainsi qu' il avoit tenu son plus jeune frere sur les fons baptismaux, aussi seroit-il tenu d' estre son parrain en la protection qui escherroit en son lot. Offre non seulement acceptee franchement, mais aussi promise & juree solemnellement par Lothaire. Et sur ces conventions fut faict le partage entr'eux au souhait de l' Imperatrice, dans lequel entre autres contrees escheut particulierement à son fils la Neustrie, qui est la France que nos Roys possedent aujourd'huy. Par ce partage la part & portion de Louys Roy de Bavieres estoit racourcie au petit pied sans esperance de ressource, advenant la mort de son pere. Et quant au jeune Prince Pepin, il demeuroit lourche, son Royaume d' Aquitaine estant confus en celuy de Charles le Chauve son oncle. Occasion pour laquelle le Clergé & la Noblesse d' Aquitaine envoyerent par devers l' Empereur, l' Evesque de Poictiers & quelques autres Prelats, pour le supplier vouloir avoir pitié de son petit fils. La responce qu' ils eurent de luy, fut qu' il avroit esgard à leurs remonstrances, au prochain Parlement qu' il tiendroit en la ville de Chaalons, & qu' en attendant sa responce ils s' en retournassent en leurs pays. Promesse faicte, mais non tenuë, & de faict le Parlement rompu, il s' en va avecques sa femme en Auvergne faisant partie de l' Aquitaine, où les Prelats & principaux de la Noblesse firent le serment de fidelité à Charles. De là il arrive à Poictiers en deliberation de recevoir le semblable des Poictevins, mais sur ces entrefaictes nouvelles luy vindrent que Louys son fils avoit pris les armes, & remuoit nouveau mesnage contre luy. Au moyen dequoy il fut contraint de rebrousser chemin pour luy faire teste, mais comme il estoit en cette deliberation, vaincu de l' aage & de despit pres de Majence, il fut surpris d' une maladie dont 40. jours apres il mourut. Jamais il n' y eut plus d' injustice de pere envers ses enfans que cette cy, d' apparier en tout & par tout un cadet avec son aisné, tenir Pepin son petit fils pour un chiffre, & Louys pour une piece de rebut. Nonobstant les grandes obligations qu' il eust en luy, l' Imperatrice Judict n' avoit autre plus grande asseurance pour le soustenement de son fils que Lothaire. Toutesfois Dieu veut qu' il en soit le premier infracteur, & lors voicy un nouveau mesnage qui se pratique entr'eux. Car Louys & Charles se liguent contre leur aisné avecques lequel Pepin son nepueu se mit de la partie, esperant que pour closture du jeu il trouveroit en luy quelque ressource contre Charles. Il ne fut point lors question de passer leurs affaires à l' amiable. Leur different se vuida en la campagne de Fontenay à trois lieuës pres d' Auxerre, où fut liuree une bataille la plus sanglante qui fut jamais en cette France, en laquelle mourut la fleur de la Noblesse de tous leurs pays: de là en avant ce fut rat en paille. Car ces Princes ayans affaires de guerriers & les guerriers de places à leurs bienseances, ils s' en firent accroire sans que leurs Roys les en ozassent bonnement desdire. En fin ils acheverent leurs querelles par où ils devoient commencer, & s' en rapporterent à quelques seigneurs de marque, lesquels apres avoir loti Lothaire comme aisné & Empereur, laisserent à Louys la plus grande partie de toute l' Allemagne, lequel de là en avant prit titre non de Roy de Bavieres, ains de la Germanie, & à Charles advint la Neustrie & autres pays circonvoisins, prenant pour cette cause qualité de Roy de France. Car comme j' ay dict nostre France Occidentale estoit lors appellee Westrie, & depuis Neustrie, à la difference de la France Orientale que l' on appella du commencement Ostrie, & par succession de temps Austrasie. Et à vray dire, c' est en luy auquel commença le plant de la France, tel que l' on a depuis veu continuer en la lignee de Hugues Capet. Or se donnerent-ils par leur partage la peau de l' Ours qui estoit en vie. Je veux dire non seulement ce qu' ils possedoient reellement & de fait, mais aussi ce qu' ils ne possedoient, ains pretendoient devoir posseder à tort ou à droit. Tellement que la paix generalle entr'eux arrestee, estoit un acheminement de nouvelles guerres, contre uns & autres seigneurs possesseurs, dont ils ne devoient avoir autres garends de leurs lots, que leurs glaives, ny pour ce partage toutesfois ils ne laisserent d' enjamber les uns sur les autres quand les occasions s' y presenterent. Qui fut cause pendant leurs divorces intestins, de donner voye aux Sarrazins dedans l' Italie, aux Hongres dedans l' Allemagne, aux Danois (que nous appellasmes Normans) tant en la France, qu' Allemagne: Et combien qu' auparavant ces derniers vinssent, si ainsi voulez que je le die, en nostre France a tatons, ils y vindrent sous Charles le Chauve en flotes, & depuis continuerent leurs inundations, guidez tantost de la riviere de Loire, tantost de celle de Seine, l' oree desquelles ils establirent leurs demeures premierement en la ville de Blois, puis en celle de Roüen & des environs.

Mais pour n' anticiper sur les temps, Charles le Chauve garny de son partage se voulut avant tout œuvre heurter contre Pepin son nepueu Roy d' Aquitaine, mais voyant qu' il y faisoit mal ses affaires, tourna visage tant contre les Bretons qui s' estoient donnez un nouveau Roy, que contre les Normans qui rodoient le pays d' Anjou, & de Touraine. Ausqueis il voulut opposer Robert grand Capitaine, yssu de Saxe, luy assignant un grand territoire sous le nom & tiltre de Marquisat, comme celuy qu' il destinoit pour defendre contr'eux les marches & limites de la Touraine & Anjou. Ce choix cousta puis apres la ruine totale des siens dedans cette France. Car c' est de luy dont de main à autre nasquit le Roy Hugues Capet. Ce que Charles le Chauve n' avoit peu gaigner par armes contre Pepin son nepueu, il pourpensa de l' obtenir par pratiques sourdes. Comme de fait ce jeune Roy trahy luy fut liuré par les siens, l' accusant d' exercer une cruelle tyrannie contr'eux, & tout d' une main fut rendu Moine par son oncle en l' Abbaye sainct Medard de Soissons où il paracheva ses jours, le Chauve se faisant couronner Roy d' Aquitaine dedans la ville de Bordeaux, Dieu ne le voulut pas rendre exempt de la punition qu' il devoit porter pour l' injustice par luy commise envers son nepueu. Parce que Carloman l' un de ses enfans le guerroya quelque temps apres. Vray qu' en fin vaincu, il fut condamné par le pere d' avoir les yeux creuez. Supplice auquel le pere avoit part, aussi bien comme le fils, ou bien nature manquoit en luy. Il n' est pas qu' il ne sentist une algarade du Roy de Germanie son frere sous le mesme pretexte que celuy avoit exercé contre son nepueu, d' autant qu' il fut solicité par quelques seigneurs de la France de vouloir s' emparer de l' Estat, pour mettre fin aux tyrannies que le Roy Charles exerçoit sur ses sujects. Sur cette sollicitation les portes de la France luy sont ouvertes, où sans autre destourbier il fut ordonné Roy dedans la ville de Sens, pendant que le Chauve estoit empesché contre les Normans, & advança grandement ses affaires, favorisé d' un esclair de fortune qui luy fit courte compagnie. Car ayant eu advis d' une nouvelle revolte qui se faisoit en Allemagne contre luy, pour y remedier, il y envoya ses gensdarmes & sujects qui luy estoient tres-fonciers, estimant que ceux qu' il s' estoit fraischement acquis le conserveroient en sa nouvelle dignité. En cecy grandement trompé de son opinion, parce que de la mesme facilité qu' ils s' estoient rendus à luy, ils s' en soustrahirent: Se reduisans sous l' obeïssance originaire de leur vray & legitime Roy. Et par ainsi se reconcilierent les deux freres par beaux semblans, en attendant commodité plus propice, pour empieter l' un sur l' autre. Je vous recite cecy, ne gardant point l' ordre des temps, pour monstrer en quel mesnage estoient lors les affaires de cette famille dedans nostre France.

L' Empereur Lothaire voulant faire penitence des torts & injures qu' il avoit procurees au Debonnaire son pere se rend Moine, delaissant tous & chacuns ses biens à ses enfans. Dont Louys son aisné fut Roy d' Italie, & Empereur, Lothaire son second Roy du païs d' Austrasie, qui depuis emprunta de luy le nom de Lotharingie, & Charles son dernier Roy de Provence, Dauphiné, Savoye, & d' une partie du Lyonnois. Charles meurt quelque temps apres, & delaisse son Royaume à ses deux freres qui le partagerent entr'eux sans fraude & malengin. Il fut suivy quelques ans apres par Lothaire qui n' avoit autre plus proche heritier que Louys l' Empereur son frere, lequel lors estoit empesché dans l' Italie à se defendre contre les Sarrazins, comme semblablement Louys Roy de Germanie son oncle encontre quelques siens sujects nouvellement revoltez. Il n' estoit pas adoncques question de les secourir par Charles le Chauve ainsi qu' il estoit obligé de faire, mais luy abusant de ces occasions, donna si bon ordre à son faict qu' en peu de temps il se rendit maistre & seigneur du Royaume de Lothaire, & comme tel se fit couronner Roy d' Austrasie ou Lotharinge dedans la ville de Mets. Nouvelle discorde entre les deux oncles, non pour rendre à Louys leur nepueu le bien qui luy appartenoit, ains pour le partager ensemble, & pour n' en venir aux mains, à Louys de Germanie escheurent les villes & contrees attenans le Rhin, & au Chauve, la Provence, le Dauphiné, & la Savoye. Cet Empereur Louys ainsi frustré par ses oncles decede n' ayant qu' une seule fille nommee Hermingarde: Charles le Chauve, qui estoit aux escoutes, adverty de cette mort negotie son fait de si bonne sorte avecques le Pape Jean huictiesme de ce nom, que moyennant une grande somme de deniers dont il luy fit present, ce Pape le couronna Empereur & Roy d' Italie le jour de Noüel l' an 876. luy vendant un droict auquel il n' avoit aucun droict. Toutesfois le seul tiltre coulouré de l' authorité de ce grand Prelat, luy rendit cette qualité asseuree: lequel tout d' une suitte s' achemine à Pavie, où en presence de tout le Clergé & de la Noblesse du païs, il se fit proclamer & couronner Roy de Lombardie. Je vous laisse icy les divisions & rumeurs qui se trouverent pour cette cause entre luy & le Roy de Germanie son frere: comme Carloman son premier fils voulut venir en l' Italie pour envahir l' Estat, & plusieurs autres particularitez, n' ayant icy entrepris de vous escrire toute cette histoire, ains de la vous monstrer au doigt en passant. Et me contenteray de vous dire, que tout ce qui fut lors entrepris contre le Chauve fut en vain: La fortune ne voulut permettre à Carloman de passer plus outre. Sur ces entrefaites Louys Roy de Germanie va de vie à trespas delaissez Carloman, Louys & Charles, depuis surnommé le Gras, qui tous porterent diversement titres & qualitez de Roys. Ce que je vous reciteray cy apres est un inventaire de morts violentes, & non naturelles qui se trouverent en cette famille. Charles le Chauve meurt apres en l' an huict cens septante huict, empoisonné par Zedechie Juif son medecin lors qu' il retournoit d' Italie. Auquel succeda Louys le Begue son fils unique, qui fut couronné Empereur par le Pape Jean, mais à vray dire il n' en porta que le masque. Il regna seulement deux ans, & mourut aussi de poison, tout ainsi comme son pere. Il eut deux enfans bastards, Louys & Carloman, & un legitime nommé Charles le Simple qui nasquit apres son decés. Cela fut cause que ses deux freres bastards entreprindrent sur luy la couronne de France, & regnerent quelques anees. Louys monté sur un bon coursier, poursuivant à toute bride par forme de jeu une Damoiselle, elle se lance dans une maison, ferme la porte sur soy, & ce Prince ne pouvant retenir son cheval fort en bride, se heurta de telle façon, qu' il se rompit les reins, dont il mourut. Apres sa mort Carloman son frere chassant fut tué par un sanglier, n' ayant qu' un fils nommé Louys, qui mourut dedans l' an de son regne. Et par ces trois morts, à Charles le Simple vray & legitime heritier devoit appartenir la couronne de France. Voila de quelles façons moururent ces quatre Princes chez nous. Ne pensez pas que les Princes Allemans furent de beaucoup meilleure condition. Car des trois enfans de Louys Roy de Germanie, Carloman mourut le premier, delaissé seulement Arnoul son bastard, auquel il donna par son appanage la Carinthie. Loys le Jeune eut un seul fils portant le mesme nom que luy, qui mourut du vivant de son pere d' une malheureuse mort. Car folastrant dedans une chambre avecques quelques seigneurs de son aage, il tomba casuellement du haut en bas d' une fenestre & se rompit le col: Suivy peu apres de son pauvre pere esploré. De maniere que toutes les grandes terres, Seigneuries & possessions qui estoient hors le pourprix de ce Royaume de France eschevrent à Charles le Gras restant seul & unique des Princes de ce cette famille qui habitoient outre le Rhin: Comme aussi dedans cette France ne restoit plus autre rejetton de cette grande famille des Martels que Charles le Simple.

Je commenceray par Charles le Gras, & puis acheveray par l' autre. Jamais ne se vit un si grand conflus de bonnes fortunes qu' en cettuy du commencement, & jamais Prince ne fut en fin touché d' un si malheureux revers que luy mesme, quand fortune luy voulut tourner visage. Car en moins de rien il se vit par le decés de ses deux freres, Empereur & Roy de tous les pays qui avoient esté possedez par Charlemagne son bisayeul. Manquoit à sa grandeur nostre Royaume de France, lors affligé par les courses des Normands, nostre Charles le Simple ne se trouvant assez suffisant pour leur faire teste, les François appellerent à leur secours l' Empereur Charles le Gras, & l' establirent Roy de la France, vray qu' il n' y fit pas grand sejour. Ainsi plaisoit-il à fortune, pour rendre la puissance de ce Roy generalement absoluë. Mais peu de temps apres, elle luy joüa un tour de son mestier. Car en moins d' un clin d' œil il fut abandonné de soy, de sa femme, de sa sœur Hildegarde, & de ses principaux favoris, & par mesme moyen de tous ses sujects. Je dis abandonné de soy: Parce qu' à un instant il devint stupide, & perclus de son cerveau: Je dis de sa femme, laquelle le voyant par cette indisposition, estre tombé au mespris de tous les siens, se fit separer d' avecques luy en plain Parlement, où elle jura que pendant dix ans qu' ils estoient demeurez ensemble, ils ne s' estoient cognus par attouchemens mutuels. Chose dont son mary fut d' accord. Je dis par Hildegarde sa sœur, laquelle d' un esprit bizarre, indignee du changement inopiné de son frere, au lieu de luy subvenir, sollicita à face ouverte ceux ausquels il avoit plus de fiance, de se soustraire de son obeïssance. Ce qu' ils firent; luy baillans pour son gouverneur, Arnoul bastard son nepueu, lequel sous ce tiltre s' empara des Royaumes de la Germanie & Italie, se faisant proclamer Empereur. N' estant resté pour tout partage que la mendicité à ce pauvre Prince, lequel fut contraint d' avoir recours, non aux armes pour le recouvrement de son Estat, ains aux larmes, & tres humbles supplications, a fin qu' il pleust à Arnoul luy bailler quelques terres pour son entretenement, ce qu' il fit, mais d' une main assez chiche. Tant ce pauvre Prince estoit tombé au mespris de tous. Histoire pleine de compassion & pitié, en laquelle je remarque deux Charles avoir esté grands terriens: Le premier surnommé le Grand, & l' autre le Gras: mais tout ainsi qu' en l' un residoit la vivacité de cœur, & en l' autre la pesanteur de corps & d' esprit, aussi produisirent-ils deux effects du tout contraires. Arnoul mourant laissa Louys son fils unique, successeur de son Estat, aagé seulement de sept ans, qui mourut, l' an neuf cens douze, en l' aage de dix-huict ans, sans hoirs procreez de son corps. Et en luy finit toute la posterité de Charlemagne qui habitoit outre le Rhin. Que si les loix introduites en faveur des successions, eussent lors eu lieu, il est certain que Charles le Simple, comme son plus proche parent luy devoit succeder. Mais ce fut un autre joüet de fortune, non moins miserable que Charles le Gras. Tant y a que par la mort de Louys, Conrad Duc de Franconie fut creé Roy d' Allemagne, & apres luy Henry Duc de Saxe, duquel vindrent les Othons, nouveau plant de Royauté en Allemagne. Restoit en cette France Charles le Simple, autre vray portraict entre les Princes de calamité & misere, dont premierement son bas aage, puis sa sottise furent autheurs & architectes. Car pendant son enfance, ses freres bastards usurperent sur luy la couronne, & depuis Eude son tuteur se fit couronner Roy de France, lequel mourant le restablit par son testament. Restably qu' il fut, il oublia tous les malheurs de son bas aage: & favorisant un Aganon simple gentil-homme, par dessus tous les Princes & grands seigneurs de la France, il engendra un si grand despit dans leurs ames, qu' en haine de ce seul object, Robert frere d' Eude comme son heritier se fit proclamer Roy de France, titre qui fut continué apres sa mort en Raoul Duc de Bourgongne son gendre. La France estant lors generalement affligee par le conflit de ces nouveaux Roys, contre le Simple, & entierpied par les Normans, qui sçeurent fort bien faire leur profit de ces longs troubles: en fin ce pauvre Roy finit ses jours dedans les prisons de Peronne, par les artifices d' Heribert arriere-fils de Bernard Roy d' Italie. De maniere que la Royne Ogine sa veufve fut contrainte de se retirer chez le Roy d' Angleterre son frere, avecques Louys son petit enfant, auquel pour ceste cause la posterité donna le surnom d' Outremer. Hugues le Grand, fils de Robert qui sans porter titre de Roy, fassoit trophees de nos Roys, semond Ogine de retourner en cette France avec promesse de recevoir son fils en son Throsne, comme il fit quelque peu de temps: Et neantmoins il ne fut au long aller gueres mieux traicté que son pere. Car laissant à part le demeurant de son histoire, Hugues luy fit tenir prison clause, un an entier dedans la ville de Laon, sous la garde de Thibault Normand soldat de fortune, qui dans les troubles s' estoit fait Comte de Chartres, homme du tout voüé à la faction de Hugues. Finalement ce jeune Roy estant remis en liberté, apres avoir esté diversement traversé, courant un loup, son cheval luy faut des quatre pieds, & le tua. Il avoit deux enfans masles, Lothaire, & Charles, celuy-là qui fut Roy de France par image tout ainsi que Louys d' Outremer son pere, cettuy-cy Duc de Lorraine, qui recogneut tenir son Duché en foy & hommage de l' Empire. Quelque temps apres Lothaire est empoisonné, auquel succede Louys son fils qui mourut de pareille mort. Et par son decez Hugues Capet fils de Hugues le Grand, s' impatronisa de l' Estat, sans qu' autre Prince luy fist contre-teste. Vray que deux ans apres Charles oncle de Louys, se souvint de s' y opposer, & prit les armes contre luy, mais un peu trop tard. Joinct qu' il avoit accueilly la haine publique des François, pour s' estre rendu imperialiste en son Duché. Fortune en fin pour abandonner de tout poinct cette famille, le fit liurer és mains de Hugues Capet, par la trahison d' Adalberon Evesque de Laon, auquel il avoit mis toute sa fiance. De là fut mené prisonnier avec sa femme & ses enfans en la ville d' Orleans, où ils moururent. Ainsi prist fin cette grande famille de Charles Martel en ce dernier Charles: & ainsi prindrent accroissement deux autres nouvelles familles: l' une des Othons dedans l' Allemagne, & celle de Hugues Capet dedans cette France. Pepin fils de Martel fut couronné Roy de France en la ville de Soissons l' an 750. Louys dernier Roy de cette famille mourut l' an 981. 75. ans apres la mort de l' autre Louys, qui fut aussi le dernier Roy des Carliens en Allemagne. La famille des Martels regna 237. ans en nostre France: celle de Capet jusques à huy, qui est la fin de l' an 1606. l' espace de 616. ans. Non sans recevoir unes & autres algarades, dont avec l' aide de Dieu elle s' est autant de fois garentie.

jeudi 22 juin 2023

3. 32. Chanoinies & Prebendes

De l' institution des Chanoinies & Prebendes, & dont vient que pendant l' ouverture de la Regale nos Roys les peuvent conferer. 

CHAPITRE XXXII. 

Jusques icy je pense avoir assez amplement discouru, comme sans le consentement de nos Roys, nul ne pouvoit être Evesque en France. Reste maintenant à deduire dont vient que non seulement ils perçoivent les fruicts des Eveschez vacquans en Regale: mais aussi ont droict de conferer les prebendes, & autres benefices à simple tonsure, & non les Cures & Benefices, qui ont charges d' ames. En quoy semble qu' il y ait plus d' obscurité non seulement pour la qualité du collateur, qui est homme lay, auquel l' on donne en ce faisant les charges, & fonctions d' une personne Ecclesiastique: mais aussi qu' il semble de prime face que si on luy voulut donner anciennement céte (sic) autorité, il y avoit plus d' aparence qu' il conferast les Cures & s' abstint des Chanoinies & Prebendes, à tout le moins de celles qui sont és Eglises Cathedrales, qui sont destinees pour les Conseillers generaux des Evesques: car ainsi estiment plusieurs, que quand S. Hierosme disoit que l' Eglise avoit un Senat de cent personnes, il entendoit parler des Colleges des Chanoines. Et mesmes que par les regles modernes des Canonistes, celuy qui a Cure, & Prebende, est dispensé de desservir sur sa Cure, moyennant qu' il reside actuellement en la grande Eglise dont il est Chanoine. Toutesfois qui voudra considerer comme les choses de l' Eglise anciennement se passerent, il sera aisé d' y donner bonne & prompte solution.

La dignité des Evesques & Prestres n' estoit qu' une du commencement de nostre Religion Chrestienne, & lors ils avoient autour d' eux les Diacres, Lecteurs, Acolites, Exorcistes, Huissiers, qui tous faisoient part, & portion de l' Eglise. Depuis la necessité requerant que l' on en feist deux charges separées, l' on appropria le mot d' Evesque à celuy qui avoit l' œil & intendance generale sur toute la province, & celuy de Prestre à ceux qui seroient destinez pour administer la parole de Dieu, & saincts Sacremens, en unes & autres Eglises particulieres sous les Evesques. Or se faisoient les Prestres de tous ces Clercs, qui residoient en la maire & principale Eglise, montans par degrez de l' un à l' autre. Les Prestres doncques residoient sur leurs Eglises, fors qu' en cas de necessité, ils se trouvoient avec leur Evesque, pour leur servir de conseil és choses qui estoient d' importance. Et tout le demeurant, je veux dire de ces Diacres, Lecteurs, Acolites, Exorcistes, & Huissiers, residoit en la grande Eglise, pour aider à l' Evesque au service divin, dependans en tout de la volonté, & estoient nourris & alimentez du revenu de l' Evesché, tout ainsi que l' Evesque, & encores soubs un mesme toict, comme estans la vraye famille de l' Evesque: Voire estimoient luy atoucher de si pres pour la necessité de leurs charges, que l' Evesque decedant, ils pensoient être seuls heritiers de tous ses biens meubles. Pour ceste cause tournans tout cecy en une coustume abusive, soudain que l' Evesque estoit mort, ils se donnoient en proye tous les biens de sa maison, par forme de desconfiture. Ce qui leur fut prohibé en un Concil tenu à Aix la Chapelle, sous Louys le Debonnaire, en l' an huict cens seize. Et comme toutes choses se sont changees avecq' le progrez du temps en l' Eglise, aussi advisa l' on de faire de ce commun Clergé, des Colleges, lesquels seroient toutesfois logez en cloüestres, joignant la maison de leur Evesque, tout ainsi comme les Moines pres de leur Abbé. Et ecclipsa l' on avec le temps du revenu, & temporel de chaque Evesché, pour en faire une table separee en faveur de ceux-cy, qui seroit par eux menagee, ainsi qu' ils trouveroient bon de faire. Police certainement qui ne fut establie tout en coup, ny un long temps apres le declin de la primitive Eglise. L' on trouve qu' en l' Eglise de Tours, qui estoit estimee l' une des premieres de la France, tout ce Clergé, que nous appellons maintenant Chanoines, ne fut erigé en cest ordre de corps & College, sinon sous Baudin 16. Archevesque, qui fut du temps du roy Clothaire I. ainsi que Gregoire de Tours nous enseigne au 10. livre de son histoire: & Flodoard en son 2. livre dit, que Rigobert Archevesque de Rheims establit viures, & heritages, & thresor commun aux Chanoines de Rheims, & combien ils devoient avoir de gens pour leur service, estant le passage de ceste teneur. Hic nonnulla in Episcopatu collapsa reparavit, & Canonicam Clericis religionem restituit, & sufficientia Victualia constituit, & prædia quaedam illis contulit, nec non aerarium eorum usibus commune instituit, ad quos has villas delegavit, &c. Et apres avoir denombré plusieurs villages, qu' il leur donna, il adjouste tout de suitte.

Scilicet ut in sua transitus die sufficiens eis inde refectio pararetur. Quæ superessent ipsis communiter dividenda cederent: famulos quoque, & eorum colonias, ad necessaria Canonicorum servitia deputavit. Auquel lieu vous voyez presque une nouvelle police, qui fut instituee par Rigobert en ceste grande Eglise de France, & la separation qu' il feit d' entre l' Evesque & tout ce commun peuple, que du commencement il appelle Clercs, puis Chanoines: Clercs, pour autant qu' en ces Colleges nul d' eux n' estoit Prestre, non pas que sous le mot de Clerc ne soit copris le nom de Prestre, comme une espece sous son genre: mais quand il est question à l' ancienneté de parler de ceux qui estoient Prestres, on leur faict tousjours cest honneur, à cause de leur dignité d' en faire remarque speciale. Et les appelle encores Chanoines, non point pour la pension que l' on appelle autrement Canon, qui leur estoit attribuee, mais par un mot digne de l' Eglise. Par ce qu' en les erigeant en College, on leur donna plusieurs belles reigles, & institutions Canoniques. Comme de fait nous voyons dans plusieurs Concils tenus, tant sous Charlemaigne, que soubs Louys le Debonnaire son fils: Par celuy de Maience, tenu en l' an 813. soubs Charlemaigne, portant le *50. article. In omnibus igitur, quantum humana permittit fragilitas decernimus, ut Canonici Clerici canonice vivant, observantes divinae scripturae doctrinam, & documenta sanctorum Patrum, & nihil sine licentia Episcopi sui, vel magistri eorum compositi agere praesumant in uno quoque Episcopatu, & ut simul manducent, & dormiant, ubi facultas id faciendi suppetit, vel qua de rebus Ecclesiasticis stipendia accipiunt, & singulis diebus mane primo ad electionem veniant, & audiant quid eis imperetur. En toutes choses doncques (dit-il) entant que l' humaine fragilité le peut permettre, nous ordonnons que les Chanoines Clercs vivent canoniquement, observans la doctrine de l' escriture saincte, & les enseignemens des bons Peres, & qu' ils ne soient si osez de rien entreprendre sans le congé de leur Evesque, ou de celuy qui leur est donné pour superieur, & maistre en chaque Evesché, & qu' ils mangent & dorment ensemble, s' ils ont moyen de ce faire, ou qu' ils ayent assez de biens de l' Eglise pour l' effectuer, & qu' ils aillent tous les jours du matin à la leçon, & prestent l' aureille à ce qui leur sera commandé. Passage qui monstre presque au doigt, & à l' œil l' occasion pour laquelle on les appella Chanoines: & d' avantage que sous ces mots de Clercs Chanoines, l' on ne parloit point des Prestres, lesquels, pour le rang qu' ils tenoient lors en l' Eglise, on n' asubjettissoit ny d' aller tous les jours aux leçons, pour avoir ja passé ces destroicts, ny d' obeyr à autres maistres, qu' à leurs Evesques. Ce que l' on recueille encores mieux du 58. article du Concil de Mets, tenu sous Charles le Chauve, l' an 845. estant de telle substance. Canonicorum, qui in Parochiis tonsurantur, & erudiuntur, interdum etiam & ordinantur sine authoritate, dignitas Regalis in suum periculum non dignetur recipere. Que des Chanoines (dit-il) qui sont tonsurez, & instruicts aux parroisses, & mesmes par fois appellez aux ordres de Prestrise sans authorité, qu' il plaise à la Majesté Royale de n' en prendre la protection.

Tous lesquels articles, & plusieurs autres, que l' on tint au Concil celebré souz le Debonnaire à Aix la Chappelle, nous rendent certain tesmoignage que ce grand College des Eglises Cathedrales n' estoit composé de Prestres: partant n' estoit le conseil general de l' Evesque, comme quelques-uns ont mal estimé, ains une pepiniere de Clercs nourris en la grande Eglise, que l' on distribuoit puis apres par les Eglises parochiales, lors qu' ils avoient esté faits Prestres. Et de ceste ancienne coustume vient qu' encores aujourd'huy nous disons qu' une Chanoinie est un Benefice à simple tonsure.

Ceux-cy doncques estans du commencement simples Clercs: d' ailleurs les biens qui leurs estoient assignez pour leurs viures, que l' on appella en vieux François Provendes, & en Latin Prebendes, ayans esté premierement tirez du fonds & ancien temporel des Eveschez, dont le revenu appartenoit à nos Roys, tant & si longuement que les Eveschez estoient sans Pasteur, on estima qu' à eux aussi appartenoit la collation de ces Benefices, & de tous autres qui estoient à simple tonsure. Et combien que selon les Ordonnances du droict Canon, la collation de tous Benefices soit estimee faire part & portion des fruicts, si ne voulurent nos Roys toucher aux Cures, & autres Benefices qui avoient charge d' ames, par une modestie qui leur a fait perpetuelle compagnie, sinon lors que par importunité de leurs favoris ils s' en sont quelquesfois detraquez. Et fut à ceste occasion faite l' Ordonnance de Philippes de Valois que l' on appelle la Philippine par moy couchee tout de son long au precedent chapitre.

Et ne faut pas trouver estrange que telles Collations soient tombees en la main d' un Roy, que l' on estime personne laye. Car qui voudra repasser sur l' ancienneté il trouvera que ce fut une coustume fort familiere à tous Roys, & qui se tourna en nature, d' adjoindre à leur Royauté l' entremise des choses sacrees & spirituelles, pour se rendre plus reverez de leurs sujects. Car a fin que j' escoule sous silence plusieurs exemples de ce suject, & m' attache seulement aux plus notables, ores que les Romains eussent dechassé leurs Roys de leur Republique, avecq' un vœu, & serment solemnel de ne retomber jamais sous la puissance d' un seul, si eurent-ils ceste proposition en telle recommandation, & l' estimerent tant, que nul sacrifice ne pouvoit être fait sans l' authorité d' un Roy, & lors mesmes que plus ils avoient en horreur le nom de Roy, ils introduisirent pour leurs ceremonies un Roy qu' ils appellerent le Sacrificateur. Et long temps apres, Jules Cesar ayant envahy la liberté populaire, & transmis la tyrannie à sa posterité, ses successeurs Empereurs estimerent qu' ils seroient courts de puissance s' ils n' unissoient à leur Majesté, la puissance Pontificale. Mais tout cela se faisoit sous une autre banniere que la nostre. Car nous estans nez sous la vraye Religion il faut que nous l' entretenions par zele & devotion Chrestienne, non par discours politics, si nous ne voulons gaster tout. Et certes, s' il vous plaist considerer les graces & privileges qu' il pleust à Dieu distribuer particulierement à nos Roys, il n' y a riens d' extraordinaire, en toute ceste discipline, que nous observons en la Regale. Parce que par un mystere caché jamais ne fut que nous ne les ayons eus en opinion de personnes, qui ont grande participation avecq' l' Eglise, par le sceptre qu' ils portent en la main. Pour ceste cause sont-ils oincts de la saincte Ampoulle à leurs sacres, guerissent des Escroüelles par leurs attouchemens, en plusieurs Eglises sont reputez Chanoines, par le seul tiltre de leur Couronne, comme en celles d' Angers, & du Mans, & és Eglises de S. Martin de Tours, & S. Hilaire *de Poictiers: Voire qu' en la distribution de leur justice souveraine, qui represente leur Majesté, leur Parlement est un corps mixte, & composé part de Juges Ecclesiastics, part de Laiz, pour nous enseigner qu' autant s' estend la puissance bien reglee de nos Roys sur les Ecclesiastics, comme sur les Laiz. Toutes lesquelles considerations nous appreignent que combien que de prime-face ceste police de Regale semble être du tout Françoise, comme vrayement elle est: toutesfois ce n' est pas sans grande raison, qu' elle est nostre. Et c' est la cause pour laquelle les Papes sçachans que nos Roys iouyssent de la Regale, non par Benefice du S. Siege, ains par un droict qui est né dedans, & avecq' la Couronne, jamais ils ne nous la querellerent, ains seulement aux Empereurs d' Allemaigne. Et n' y eut qu' un Boniface VIII. qui nous le voulut mal à propos revoquer en doute, dont il en fit le premier la penitence.

mercredi 16 août 2023

10. 25. Cheute de la seconde famille nos Roys. / Fin du Dixiesme Livre des Recherches.

Cheute de la seconde famille nos Roys.

CHAPITRE XXV.

Je laisse à nos autres Historiographes les conquestes, glorieuses victoires, & superbes arrois de cette seconde famille: car quant à moy j' ay maintenant pris pour mon partage ses ruines: Quoy faisant je ne pense rapporter peu de profit à nos Princes, & grands Seigneurs, quand de bon heur ils se feront sages par la folie d' autruy. Nous sommes les gettons des Roys, qu' ils font valoir plus ou moins, comme il leur plaist, & les Roys sont les gettons de Dieu: Jamais famille ne receut plus de faveur, & benediction du ciel, que celle des Martels en trois Princes consecutifs, Charles Martel, Pepin, & Charlemagne & jamais elle ne fut tant terrassee qu' en trois autres, qui les survesquirent, Louys le Debonnaire, Charles le Chauve, & Louys le Begue. Je nomme entre ces six Charles Martel, ores qu' il ne portast jamais titre de Roy entre les siens, mais ce fut luy qui par sa proüesse & sage conduite, fit voye aux siens à la Royauté. Joint qu' apres son decez, sa statuë fut honoree d' une Couronne Royale, en son tombeau, comme l' on peut voir en l' Eglise, & Abbaïe de S. Denis. Les trois premiers furent torrens de fortune, qui l' augmenterent: les trois derniers precipices qui la ravalerent: car quant aux autres qui leur succederent, ce ne furent que des avortons qui ne firent que contenance de regner sans regner. Et combien qu' en Charlemagne fust l' accomplissement de la grandeur de cette famille; toutesfois je dirois volontiers s' il m' estoit loisible, qu' il jetta les premiers fondemens de la ruine. Vous entendrez les raisons pourquoy.

Le Roy Pepin mourant laissa deux enfans, Charles & Carloman: Ausquels par partage fait entr'eux escheut tout ce qui estoit compris és Gaules dedans l' enceinte du Rhin, monts Pyrenees & Apennin: & à Carloman tout ce qui nous appartenoit au delà du Rhin. Cestuy-cy mourut trois ans apres le decez de son pere, delaissez de la Royne Berthe sa femme, deux enfans. Et adonc Charles, par un droict de bienseance s' empara de tous & chacuns leurs pays. Chose dont la veufve voulant avoir premierement sa raison, se retira avec ses enfans vers Tassilon Duc de Baviere, mais l' ayant trouvé trop foible, pour venir à chef de cette vengeance, elle prit sa route vers Didier Roy des Lombards, qu' elle pensoit avoir juste cause d' indignation contre luy. D' autant qu' ayant espousé en premieres nopces Theodore sa fille, il la luy avoit renvoyee dedans le premier an de leur mariage. Toutesfois le malheur voulut, que Didier ayant esté desconfit à la semonce du Pape Adrian par Charles, & despoüillé de son Royaume, fut avec sa Royauté enseveli le tort que Charles tenoit à ses nepueux. Cette histoire est aucunement touchee par nos Annalistes, & toutesfois mise au rang des pechez oubliez, comme si ce ne fust qu' une peccadille d' avoir mis à nud ses nepueux en la succession de leur pere. Peché neantmoins qui fut rudement vangé sur les siens par un juste jugement de Dieu.

Apres avoir repudié la fille du Roy Didier, il espousa consecutivement trois femmes, dont de la premiere il eut six enfans, Charles, Pepin, Louys, Bertrude, Berthe, & Gillette: de la seconde, Tetrude, & Hildude: & de la troisiesme, nuls. Charles mourut du vivant du pere, sans hoirs procreez de soy, Pepin son second fils Roy d' Italie mourut pareillement le pere vivant, delaissé son fils Bernard pour son successeur: De maniere qu' à Charles (depuis dit Charlemagne, pour la magnanimité de ses faits) ne restoit plus de masle que Louys pour son fils, & Bernard pour arriere-fils. Or est-ce la verité qu' apres le decez de sa quatriesme femme il se ferma en matiere de mariage. Mais comme il est mal aisé de tenir une bonne fortune en bride, aussi ce grand Prince ayant attaint au dessus de tous ses desirs, par les grandes victoires qu' il avoit rapportees de ses ennemis, commença de n' avoir dedans sa maison, autre plus grand ennemy que soy mesme. Se donnant à la veüe de tous diverses garces, desquelles il eut trois bastards, Dreux, Hugues, & Theodoric, sans faire estat des bastardes. Et à l' exemple de luy, ses propres filles ne manquerent de serviteurs, non plus que la plus part des autres Dames. De maniere que la Cour de ce grand Empereur, n' estoit qu' une banque de toute honte & pudeur. Qui le fit tomber en telle nonchalance de son devoir, que combien qu' en luy fut l' accomplissement de cette famille: toutes-fois la fin de sa vie fut le commencement de sa ruine.

François Petrarque fort renommé entre les Poëtes Italiens, discourant en une Epistre Latine son voyage de la France, & de l' Allemagne, nous raconte que passant par la ville d' Aix la Chappelle, il apprit de quelques Prestres une histoire prodigieuse, qu' ils tenoient de main en main pour tres-veritable. Qui estoit que Charles le Grand, apres avoir conquesté plusieurs païs, s' esperdit de telle façon en l' amour d' une simple femme, que mettant tout honneur & reputation sous pieds, il oublia non seulement les affaires de son Empire, mais aussi le soing de sa propre personne, au grand desplaisir de chacun. Estant seulement ententif à courtizer ceste Dame, laquelle par bon heur commença de s' alliter d' une fort grosse maladie qui luy apporta la mort. Dont les Princes & grands Seigneurs furent grandement resjoüis. Esperans que par cette mort Charles reprendroit comme devant, & ses esprits, & ses affaires en main. Toutesfois il se trouva tellement infatué de cet amour, qu' encores cherissoit il ce cadaver, l' embrassant, baisant, & accolant de la mesme façon que devant, & au lieu de prester l' aureille aux legations qui luy survenoient il l' entretenoit de mille bayes, comme s' il eust esté plein de vie. Ce corps commençoit desja, non seulement de mal sentir, mais aussi se tournoit en putrefaction, & neantmoins n' y avoit aucun de ses favoris qui luy en ozast parler; Dont advint que l' Archevesque Turpin mieux advisé que les autres, pourpensa que telle chose ne pouvoit estre advenuë, que par quelque sorcelerie. Au moyen dequoy espiant un jour l' heure, que l' Empereur s' estoit absenté de la chambre, commença de foüiller le corps de toutes parts: Finalement trouva dedans sa bouche au dessous de sa langue un anneau, qu' il luy osta le jour mesme. Charlemagne retournant sur ses premieres brisees, se trouva fort estonné de voir une carcasse ainsi puante. Parquoy, comme s' il se fust reveillé d' un profond somme, commanda que l' on l' ensevelit promptement. Ce qui fut fait, mais en contr'eschange de cette folie, il tourna tous ses pensemens vers l' Archevesque porteur de cet anneau, ne pouvant estre de là en avant sans luy, & le suivant en tous les endroits. Quoy voyant ce sage Prelat, & craignant que cet anneau ne tombast és mains de quelque autre, le jetta dedans un lac prochain de la ville. Depuis lequel temps l' on tenoit que l' Empereur s' estoit trouvé si espris de l' amitié du lieu, qu' il ne desempara la ville d' Aix, où il bastit un Palais, & un Monastere, en l' un desquels il parfit le reste de ses jours, & en l' autre voulut y estre ensevely: ordonnant par son testament que tous les Empereurs de Rome eussent à se faire sacrer premierement en ce lieu.

Que cela soit vray ou non je m' en rapporte, tout ainsi que le mesme Petrarque, à ce qui en est: si estoit-ce un commun bruit, qui lors couroit en la ville d' Aix, lieu ou reposerent les os de Charlemagne. De laquelle histoire ou fable Germantian a fort bien sceu faire son profit, pour averer & donner quelque authorité à l' opinion de ceux qui soustiennent les malins esprits se pouvoir enclorre dedans des anneaux. Or que Charlemagne fust grandement adonné aux Dames sur la fin de son aage, mesme que ses filles qui estoient à la suite fussent quelque peu entachees d' amourettes, Aimoïn le Moine, vivant du temps du Debonnaire, nous en est tesmoin authentique: qui dit qu' à l' advenement de ce Prince à la Couronne, la premiere chose qu' il eut en recommandation, fut de bannir de la Cour les grands troupeaux des filles de joye qui y estoient demeurez depuis le decez de Charlemagne son pere, & aussi de confiner en certains lieux ses sœurs, qui ne s' estoient peu garentir des mauvais bruits, pour la dissoluë frequentation qu' elles avoient euës avec plusieurs hommes. Quelque grandeur de souveraineté qui soit en un Roy, ores que comme homme, de fois à autres il s' eschape, si doit-il tousjours rapporter ses pensees à Dieu, & croire qu' il est le vray juge de nos actions, pour les punir quelquesfois en nous de nostre vivant, ou bien à nos enfans apres nos decez. Chose que trouverez averee en ce que je discourray cy-apres. N' attendez doncques de moy au recit de ce present suject, que des injustices, partialitez & divisions entre les peres & les enfans, guerres civiles de freres à freres, oncles qui malmenerent leurs nepueus, tromperies entremeslees de cruautez, le tout basty par juste jugement de Dieu. Et parce que des trois enfans masles de Charlemagne il ne restoit que Louys le Debonnaire son fils, & Bernard son petit fils, c' est en cestuy auquel je commenceray les discours de cette histoire tragique.


Fin du Dixiesme Livre des Recherches.

tombeau, Charlemagne, Carlomagno, Carolus Magnus, Carles Magne, Carolo Magno