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jeudi 20 juillet 2023

6. 35. De quelques traicts miraculeux,

De quelques traicts miraculeux, tant pour garentir l' innocence de la calomnie, que pour averer en Justice un delict, qui ne se pouvoit presque descouvrir: Exemple dernier advenu de nostre temps en la personne d' un nommé Martin Guerre.

CHAPITRE XXXV.

Il me plaist sur le mesme Seigneur des Ursins, dont j' ay parlé en l' autre Chapitre, bastir le commencement de cestuy. Je ne luy veux servir de trompette, bien diray-je que sa vie seroit digne d' une Histoire particuliere, pour nous induire tous à bien faire. Ce personnage extraict de la grande famille des Ursins de la ville de Rome, avoit eu un oncle Evesque de Mets, & son pere nommé Napolitain des Ursins qui fut tué en la journee de Poictiers pour le service de nostre Roy Jean. Cestuy ayant eu plusieurs enfans, entr'autres eut Maistre Jean Juvenal des Ursins, qui du commencement par privilege special fut Garde de la Prevosté des Marchans de Paris, & depuis Advocat du Roy au Parlement. Or comme il estoit sur tout zelateur du repos public, & fort, pour s' opposer aux deportemens de Jean Duc de Bourgongne: Aussi ce Prince resolut de le ruiner de vie & de biens, comme il avoit fait plusieurs autres. Les grands Seigneurs ne manquent jamais de ministres qui applaudissent à leurs passions. Le Duc de Bourgongne donna charge à deux Examinateurs du Chastelet de Paris d' informer encontre ce grand personnage. Ceux-cy oyent plusieurs tesmoins apostez, qui deposent plus que l' on ne desiroit. Ce fait, rapporterent au Duc que l' information estoit faite, ne restant plus que de la grossoyer, & mettre au net. mais luy qui ne demandoit qu' une prompte depesche de Juvenal, leur respondit qu' il suffisoit que la minute fut mise par devers les gens du Roy du Parlement, pour prendre leurs conclusions contre luy: mais eux cognoissans en leurs ames que ce preud'homme estoit tout autre qu' on ne le representoit par ces informations, tirerent l' affaire en longueur. Parquoy par commission du Conseil fut delegué un Advocat Auvergnac, nommé Maistre Jean de Landriguet, pour exercer en ce procez l' Office du Procureur du Roy. Tout cecy se brassoit sous main au desceu de l' accusé, mesme avecques une diligence sans respit. Car en moins de deux jours furent faictes toutes ces depesches, & le lendemain il devoit estre pris au corps pour estre emmené au bois de Vincennes devant le Roy, où sa condamnation eust esté prompte. Mais en ces entrefaictes, Dieu voulut que ceux qui manioient cette affaire se transportassent en un cabaret de la Cité: la, l' un de ces Examinateurs met sur le bout de la table les charges, & (comme l' on dit en commun proverbe) apres bon vin, bon cheval: ils commencerent de gausser: de façon que folastrans ensemblément les pieces tomberent à terre, sans qu' aucun d' eux s' en apperçeut: lesquelles recueillies d' un jeune chien, il s' en batit les machoüeres en la ruelle d' un lict. Eux partis, & la nuict venuë, la Dame du logis trouve ces papiers qu' elle monstre à son mary: lequel voyant que ce pacquet s' adressoit au Garde de la Prevosté des Marchans, se transporte à son logis, & luy communiqua le tout. Le lendemain à peine estoit le Seigneur des Ursins hors du lict, qu' on l' adjourne de comparoir le mesme jour en personne devant le Roy à Vincennes. Chacun commença lors de murmurer par la ville pour l' amitié qu' on luy portoit: & de fait luy s' acheminant fut suivy de quatre ou cinq cens Bourgeois, au bois de Vincennes, auquel lieu l' Auvergnac avecques un grand appareil de paroles commence à desgorger de furie contre luy, suivant les instructions & memoires, qui luy avoient esté baillez: A quoy Juvenal respondit avec toute modestie, que pour manifester la calomnie de son adversaire, il employoit seulement les charges & informations: A cette parole l' autre eut soudain recours aux deux Examinateurs du Chastelet qui l' assistoient, eux à leur sac, mais ils n' y trouverent que du vent: Au moyen dequoy du commun advis de tous, Juvenal fut renvoyé absous par le Roy, de cette calomnieuse accusation, & depuis comme Dieu veut que toutes choses viennent avec le temps à revelation, les tesmoins esmeus d' un juste remords de leurs consciences, se confesserent de leurs fausses depositions au Penitencier de Paris, lequel pour l' enormité du cas les renvoya devers le Pape, a fin d' avoir absolution: Adonc estoit Legat en France Messire Pierre de la Lune, qui depuis fut Pape en Avignon, auquel ils se reconcilierent, & leur donna absolution, leur enjoignant pour penitence d' aller requerir pardon en chemise au Seigneur des Ursins le Vendredy S. les visages toutesfois voilez, ce qu' ils firent par la bouche de l' un d' eux, sans nommer leurs noms, comme ne leur estant commandé: mais luy qui avoit veu les charges, les nomma tous par noms & surnoms, dont ils furent si estonnez, qu' adoncques ils luy reciterent tout au long ceux qui avoient esté les subornateurs de leurs tesmoignages.

Voila comme un homme innocent se garantit sans y penser d' une calomnie, dont la suitte n' estoit qu' un acheminement à sa mort. Voyons maintenant comme Dieu quelques-fois permet que les crimes soient averez, lors que les Juges pensent estre plus esloignez de la preuve. En la ville d' Artigues, Diocese de Rieux, ressort du Parlement de Tholose, advint qu' un Martin Guerre ayant esté marié l' espace de dix ou unze ans avec Bertrande Rosli, depuis par un je ne sçay quel mescontentement qu' il eut de son pere, abandonna sa maison, se retirant au service de l' Empereur Charles V. & depuis du Roy Philippes son fils, où il fut l' espace de douze ans, jusques à ce qu' à la prise de S. Quentin il perdit une jambe, & y ayant environ huict ans que sa femme n' avoit eu vent ny voix de luy, un nommé Arnaut Tillier, natif du Comté de Foix, que quelques uns estimoient avoir esté nourry en la Magie, prist argument de joüer le personnage de Martin Guerre, aidé en cecy tant de la longue absence de luy, comme aussi que les traicts & lineamens de son visage se rapportoient aucunement à ceux de l' autre. S' estant presenté à la femme, du commencement elle ne le vouloit recognoistre: mais outre les conformitez du corps, il luy discourut tant de privautez qui s' estoient passees entr'eux deux, mesmes la premiere nuict de leurs nopces, voire jusques aux hardes qu' il avoit laissees dans un coffre lors de son partement: Choses qui ne pouvoient estre sçeuës que par le vray mary: tellement qu' en fin non seulement elle, mais la plus part de ses proches parens & amis, le recogneurent pour Martin Guerre: & en cette opinion s' escoulerent quatre ans entiers, sans aucune contradiction: Au bout desquels un soldat passant par là, dist que Martin Guerre avoit perdu une jambe. Peu auparavant cette femme estoit entree en quelque deffiance de son mary putatif: au moyen dequoy elle prit acte sous main pardevant deux Notaires, de la declaration du soldat. Cette deposition pour bien dire estoit evoluee: premier mal-heur toutes-fois de ce miserable Tillier. Car comme il est mal-aisé à un menteur de ne varier, aussi recueillit la femme plusieurs propos de luy, qui la firent esbranler contre luy, & de fait sollicitee par Pierre Guerre, oncle de Martin, non seulement l' abandonne, mais le poursuit extraordinairement pardevant le Seneschal de Rieux, où il fut condamné à mort par sentence, de laquelle il appella au Parlement de Tholose, qui se trouva infiniment perplex sur la nouveauté de ce faict. Car d' un costé Tillier descouvroit de poinct en poinct toutes les particularitez qui s' estoient passees entre luy & sa femme devant sa desbauche, les discours qu' ils avoient eus ensemblément le premier soir de leurs nopces, nommoit ceux qui leur avoient apporté le lendemain matin le Chaudeau: qu' on leur avoit noüé l' aiguillette l' espace de huict ans entiers: laquelle leur fut depuis denoüee par le moyen d' une vieille, racontant par le menu le temps, le lieu, les personnes, qui avoient esté employees à cette affaire. Que depuis estans allez aux nopces d' un de leurs parens aux champs, pour autant que le lieu estoit trop estroict pour les coucher, & qu' il falloit que sa femme couchast avec une autre, il fut entr'eux advisé que lors que les autres seroient endormis, il iroit se jouër avecques sa femme: qu' ils avoient eu un enfant, nommant le nom du Prestre qui le baptiza, & des parrains qui l' avoient tenu sur les fonds: le tout d' une telle franchise & asseurance, que la femme y perdoit pied: adjoustant les motifs de son partement, les fatigues qu' il avoit eües tant en Espaigne qu' en France. Toutes lesquelles particularitez se trouverent depuis estre vrayes par le rapport de Martin Guerre. Et ce qui rend cette Histoire plus esmerveillable, c' est que ce supposé mary n' avoit jamais familiarisé avec l' autre. Les presomptions qui combatoient encores pour luy estoient, une dent gemelle, un ongle enfoncé en la main dextre, certains pourreaux, & en l' œil une tache rouge, tout ainsi comme Martin Guerre: mesmes qu' il ressembloit aucunement à ses sœurs. Lesquelles s' estoient tellement aheurtees à une sotte opinion, qu' elles l' avoüoient pour leur frere. D' un autre costé faisoit contre luy la deposition du soldat, une infinité de tesmoins produits par la femme, entre lesquels un hostellier d' une ville prochaine deposoit que le cognoissant, & l' ayant veu passer, il l' avoit appellé Arnault par son nom, il le pria en l' aureille de ne le nommer ainsi, mais bien Martin Guerre: Outre cela se trouva autre preuve d' un sien oncle, lequel le voyant en voye de perdition, vint tout esploré devers luy pour l' admonester de sa faute, & qu' il ne voulust achever de se perdre. Ce neantmoins ces preuves n' estoient si poignantes, qu' elles annullassent les autres: car à toutes les objections qu' on luy faisoit, il respondoit constamment, rejettant tout l' artifice de ce qu' on le tourmentoit contre Pierre Guerre son oncle, lequel il avoit quelque temps auparavant menacé de luy faire rendre compte de la tutelle & curatelle qu' il avoit autresfois euë de luy. Et pour donner fueille à son dire, il requist que sa femme fust assermentee, sçavoir si elle ne le vouloit recognoistre pour son vray mary, declarant qu' il remettoit sa vie, ou sa mort au serment qu' elle feroit. Ce qui l' estonna tellement, qu' elle ne le voulut accepter. Circonstances qui émeurent tellement les Juges en la faveur de l' accusé, qu' ils firent mettre en prisons separees l' oncle, & la niepce, a fin qu' ils n' eussent à prendre langue l' un de l' autre. Estimans que cette femme avoit esté subornee à faire cette accusation par les menees de l' oncle, qui estoit en danger de sa personne. Or comme les Juges estoient en cest estrif, il advient que le vray Martin Guerre retourne en sa maison, où il fut dés la premiere salutation recognu de tous ses parens, & voisins, & dés l' instant adverty de l' affront que l' autre luy avoit fait, il s' achemine droict à Tholose, où il presente requeste pour estre receu partie. Dés lors les Juges se trouvent plus estonnez qu' auparavant: Parce que Tillier avec une honte effacee soustenoit que cestuy estoit un affronteur atiltré par ses parties adverses. C' estoit proprement la rencontre de Mercure, & Sosias dedans l' Amphitrion de Plaute. En cest estrif, les Juges pour s' asseurer, firent attaindre de prison l' oncle tout pasle, & defait, & mirent Martin Guerre au milieu de quelques autres, habillez de mesme parure que luy, pour voir s' il le recognoistroit: mais soudain il le vint choisir avec une infinité de caresses, & accolades: Le semblable fit puis apres Bertrand, luy requerant pardon du tort qu' elle luy avoit fait insciemment: Toutesfois le mary ne prenant ces paroles en payement, d' un mauvais œil commença de la blasmer. Comment est-il possible (luy dit-il) que tu ayes presté consentement à cest abbus? Car & en mon oncle, & en mes sœurs il y peut avoir quelque excuse: Mais nulle en l' attouchement de l' homme à la femme. Et en cette aigreur persevera longuement, nonobstant quelques remonstrances qu' on luy fist. Ce qui flechit le cœur des Juges, & leur donna aucunement à penser que cette violente douleur estoit une tres-poignante presomption pour le recognoistre vray mary. Toutesfois ce qui les tint aucunement en suspens, fut que les Commissaires de la Cour interrogeans Martin Guerre s' il avoit jamais eu le Sacrement de Confirmation, respondit qu' ouy, en la ville de Palmiers, & cotta le temps, l' Evesque, & ses parrains & maraines. A quoy Arnault separément fit toute pareille response. Ce nonobstant en fin par arrest du mois de Septembre 1560. il fut declaré attaint & convaincu du fait dont il estoit accusé, & en ce faisant condamné à faire amende honorable en chemise, la torche au poing en plain Parlement, & en apres devant la porte de la principale Eglise d' Artigues, & puis à estre pendu & estranglé, & son corps bruslé, & converty en cendres. Jugement qui fut prononcé aux grands arrests de Tholose en la my-Septembre, & depuis executé, ayant ce malheureux homme auparavant que de mourir recogneu toute la verité de l' histoire. Maistre Jean Corras, grand Jurisconsulte, qui fut rapporteur du procés, nous en representa l' histoire par escrit, avec certains Commentaires pour l' embellir de poincts de droict. Mais je demanderois volontiers si ce Monsieur Martin Guerre, qui s' aigrit si asprement contre sa femme, ne meritoit pas une punition aussi griefve qu' Arnault Tillier, pour avoir par son absence esté cause de ce mesfait? Si le Preteur de Rome Pison en eust esté juge, il n' en faut point faire de doute. Car on recite de luy, que deux hommes s' estans combatus l' un contre l' autre, il advint qu' un d' eux ayant grandement blecé son ennemy, pensant l' avoir blecé à mort s' en fuit. Tellement qu' il n' en fut nouvelle de quatre ans. Ce pendant la Justice s' estoit saisie du blecé, auquel on fit le procés extraordinaire, pensant qu' il eust tué l' autre. Les choses s' estans acheminees en longueur, il est en fin condamné à mort par Pison, & comme l' on vouloit proceder à l' execution de la sentence, il advint que celuy que l' on estimoit mort, se trouva beuvant en une hostellerie, qui estoit au marché: lequel apres avoir entendu que l' on devoit executer son compagnon, pour un homicide que l' on pretendoit avoir commis de luy, vint remonstrer au Bourreau que l' on faisoit mourir ce pauvre-patient sous fausse cause. Parce que luy qui parloit, estoit celuy que l' on pretendoit avoir esté occis. Sur cela, le Bourreau demeure tout court, & va remonstrer à Pison ce que dessus, lequel ce nonobstant ne voulut reformer sa sentence sur cette nouvelle production: Mais au contraire le rengregeant, ordonna qu' avec le condamné, cest homme mourust aussi, pour avoir esté par son absence, cause de la condamnation de l' autre, & tout d' une suitte le Bourreau, pour avoir esté si osé de superseder l' execution de son jugement sur le donner à entendre de l' autre. Je serois grandement marry d' approuver ce malheureux jugement: Car pour bien dire, il eust esté digne de grande recommandation à la posterité; si ce cruel Juge se fust par un mesme moyen condamné à mort. Mais au cas qui se presente il en va tout autrement. Car il ne doit point estre permis à un homme marié de quitter sa femme sans cause, mesmes d' une si longue absence, & au bout de cela d' en avoir esté quitte pour une colere representee devant ses Juges: il me semble que c' estoit une vraye mocquerie, & illusion de Justice. Or tout ainsi que le Jugement de Pison a esté trompeté par la posterité, comme tres-monstrueux: au contraire si Martin Guerre eust esté condamné à mort, parce qu' estant le vray mary, il avoit sans raison abandonné sa femme l' espace de dix ans: absence qui avoit esté le principal argument, & subject de toute cette imposture: J' estime que nos survivans eussent solemnisé cest arrest comme tres-sainct: pour le moins m' asseuré-je que les femmes n' en eussent esté marries.

mardi 27 juin 2023

4. 12. D' une coustume ancienne que l' on observoit en France en matiere de prisonnier de guerre.

D' une coustume ancienne que l' on observoit en France en matiere de prisonnier de guerre.

CHAPITRE XII.

Par l' Edict du Roy Jean, lors que par l' advis des trois Estats il fit la premiere augmentation de la Gabelle sur le sel, & imposition pour un an de huict deniers pour liure sur toute denree venduë, entre autres articles il y en avoit un, par lequel il deffendoit aux Connestables, Admiraux, Maistres des Arbalestiers de ne prendre part & portion de ce qui avroit esté pris par les soldats sur l' ennemy, nonobstant le droict par eux pretendu, si ainsi n' estoit qu' eux ou leurs gens eussent esté en la besongne. C' estoit que le Connestable qui a toute charge sur les gens de cheval, & le Maistre des Arbalestiers qui estoit Colonnel le l' infanterie, avoient droict de prendre sur les prises faites sur les ennemis, ainsi que nous voyons aujourd'huy les Admiraux, tant du Ponant, que Levant, l' avoir sur celles qui ont esté faictes en mer, estans declarees de bonne prise. Outre cela je trouve que ce fut une coustume ancienne en cette France, que toutesfois & quantes que la rançon de guerre excedoit dix mille liures, le prisonnier appartenoit au Roy, en payant par luy les dix mille liures au maistre du prisonnier, pour le moins le tiré-je d' un passage qui me semble à ce propos fort notable. Quand Jeanne la Pucelle fut prise devant Compieigne par le bastard de Vendosme, qui en saisit Messire Jean de Luxembourg, l' un des principaux favoris du Duc de Bourgongne, l' Evesque de Beauvais les interpella de la mettre entre ses mains, a fin de luy faire & parfaire son procez, comme ayant esté prise en & au dedans de son Diocese: Pour les inviter à ce faire il dit que le Roy Henry offroit de bailler à Jean de Luxembourg 6000. liures, & assigner au bastard de Vendosme 300. liures de rente de son Estat. 

Qui n' estoit point peu de recompense à l' un & à l' autre, eu esgard à la pauverté & disette qui estoit provenuë de la longueur des guerres: puis il adjouste dedans l' acte de sommation ces mots: Et où par la maniere avant dite, ne vueillent, ou soient contens d' obtemperer à ce que dessus, combien que la prise d' icelle femme ne soit semblable à la prise du Roy, Princes, ou autres de grand estat, lesquels toutesfois se pris estoient, ou aucun de tel estat, fut Roy, le Dauphin, ou autres Princes, le Roy les pourroit, s' il vouloit, selon le droict, usance & coustume de France, avoir moyennant dix mille liures, le dit Evesque somme, & requiert les dessusdits au nom que dessus que la dite pucelle luy soit deliuree en baillant seureté de la dicte somme de dix mille francs, pour toutes choses quelconques. Cette sommation est l' une des premieres pieces qui se trouvent au procez de la Pucelle, & ne pense point que l' Evesque de Beauvais eust esté si impudent de proposer cette coustume, mesme contre des seigneurs de marque, si elle n' eust esté vraye: Tellement que pour ce point je le croy, mais non qu' il fust en sa puissance de faire le procez a une prisonniere de guerre, quelque sophistiquerie que les Escoliers eussent sçeu trouver pour faire tomber la vie de cette brave guerriere à la mercy des Anglois.

lundi 29 mai 2023

2. 12. Des Ducs & origine d' iceux.

Des Ducs & origine d' iceux.

CHAPITRE XII. 

De toutes les dignitez que je lis avoir, selon le changement des temps diversifié de façons, je trouve que c' est celle de Duc. Car premierement ce mot ne sonnoit entre les Romains autre chose qu' un Magistrat militaire, comme celuy que nous appellons Capitaine, & la diction du Duché, ce que nous disons Capitainerie. Et ainsi se doivent-ils prendre dans Suetone en la vie de Neron, chapitre trentecinquiesme, où il dict que l' Empereur Neron fit noyer un sien parent & allié, nommé Ruffin, par ce qu' abusant du pretexte de luy, il jouyoit les Duchez, c' est à dire les Estats des Capitaines de guerre. Et depuis par traitte de temps on en usa pour un certain degré au faict de la guerre, & comme on montast graduellement aux honneurs militaires, apres avoir esté soldat on estoit Tribun, puis Duc, puis Legat, ausquels termes, je ne m' arresteray pour n' être de nostre gibier, ains me contenteray d' en donner les addresses à ceux qui en voudront être plus amplement informez: lesquels pourront, si bon leur semble, trouver ce que je dis, veritable: lisans la vie d' Alexandre dans Lampride, & celle de Maximian dans Jules le Capitolin. 

Or combien que l' on en usast particulierement pour celuy qui devançoit au fait de guerre le Tribun, & secondoit le Legat, si est-ce que la generalité de ce mot (Duc) ne laissoit pas d' être employee aux Tribuns, Legats, & autres chefs de guerre: Ny plus ny moins que nous voyons entre nous y avoir Capitaine, Lieutenant & Enseigne: Et toutesfois chacun d' entr' eux separément être par les soldats appellé Capitaine. Parquoy, tout ainsi que sur le declin de la Republique de Rome ceste diction d' Empereur, qui ne signifioit auparavant qu' un General ou Colomnel d' une armee, se tourna puis apres par factions & guerres civiles pour mot souverain d' honneur, en la faveur de celuy qui usurpa toute la tyrannie sur le peuple, aussi la Monarchie & Empire des Romains commençant grandement à balancer par la venuë des nations estrangeres, les Empereurs se voyans affligez d' une continue des guerres, furent contraincts de donner les grandes charges des Provinces aux Ducs & à ceux qui au precedent avoient les conduittes des guerres. Tellement que le Duc, qui se prenoit premierement pour chef de guerre, commença lors d' être pris pour un Gouverneur, & depuis par succez de temps, pour nom de Principauté. Le premier endroict où j' ay leu le Duc être pris pour un Gouverneur ou Visempereur, est dans Vopisque en la vie de l' Empereur Bonose, la part où il dict que cest Empereur avoit esté Duc de la Marche Rhetique. Aussi entre tous les Estats & gouvernemens des Provinces recitez par Cassiodore aux 6. & 7. livres de ses Epistres, je trouve être faicte mention d' un seul Duc Rhetique. De façon qu' il semble que ce pays là fut premier auquel le mot de Duché commença de se prendre pour gouvernement. Et estime que l' occasion de cecy vint, pour autant qu' il estoit exposé à l' emboucheure de l' Allemaigne, dont sourdoient de jour à autre infinies novalitez: pour ausquelles obvier estoient les Empereurs contraincts tirer du corps de leur gendarmerie un Capitaine pour y envoyer: Par ce qu' il luy estoit besoin avoir l' œil sur une gendarmerie, comme sur les propres subjects. Et à ceste cause nous apprenons du mesme Cassiodore que quand l' Empereur donnoit telle dignité Ducale à celuy qu' il envoyoit en la Marche Rhetique, c' estoit avec une telle preface. Ce n' est pas mesme chose de commander à une nation quoye & comme à celle que l' on tient pour suspecte, & pour laquelle on ne craint seulement les vices, ains les guerres. La Rhetique est un boulevard d' Italie, laquelle non sans grand cause fut ainsi appellee par ce qu' elle est exposee aux nations brutales pour les surprendre, ainsi que les bestes sauvages aux rets & penneaux. En ce pays-là on reçoit les assauts des Barbares, & les met-on en suitte à coups de sagettes. Au moyen dequoy tels assauts vous sont une perpetuelle chasse, & par maniere de dire jeu, pour les repousser. Pour ceste cause nous bien & deüement informez, de vostre sens, preu d' hommie, & suffisance, par ces presentes vous donnons le Duché & charge de la Marche Rhetique: A fin que par vostre moyen nostre gendarmerie vive paisiblement, & qu' avec elle vous couriez diligemment tous les environs de vostre pays. Estimant ne vous avoir point esté donnee petite charge, puis que la tranquillité de nostre Empire depend de vostre diligence. A la charge toutesfois que vos soldats vivent avec nos subjects de gré à gré. Qui nous apprend que la necessité du pays fut cause de commettre en tel pays un Duc, non seulement pour être Capitaine general sur une gendarmerie, mais aussi Gouverneur de ceste contree. La mesme necessité apprit puis apres aux Romains d' user de mesme façon. Car estans agitez d' infinies guerres des nations qui les venoient assaillir de toutes parts ils furent contraincts donner la charge des villes à leurs Ducs. Et la premiere distribution que je voy en avoir esté faite, ce fut à l' occasion de Totile Roy des Ostrogots, lequel desconfit deux fois les Romains avec une telle cheute & vergógne (vergongne), que jamais il n' avoit esté presque memoire qu' ils eussent receu semblable playe. Au moyen dequoy, Procope au troisiesme de ses histoires, dit qu' à la seconde route, eux estans reduicts en toute extremité, les gens d'armes abandonnerent la campaigne, se tenans clos & couverts dans leurs villes, contre les advenues de leurs ennemis. Et dit cest autheur, que les Ducs & Capitaines prindrent lors chacun en partage la garde des villes, c' est à sçavoir Constantin, celle de Ravenne, Jean celle de Rome, Besse, de Spolete: Justin de Florence, Ciprian de Perouse. Laquelle police depuis se continua apres que les Ostrogots furent chassez & reduicts à neant par Narses: Car lors que Longin fut commis au Gouvernement d' Italie par le r'appel de Narses, il establit tout un nouvel ordre au pays, d' autant qu' au lieu des Prefects qui tenoient auparavant le Gouvernement des villes, il y commit Ducs & Capitaines, pour tenir par un mesme moyen, un chacun en bride, & obvier aux courses de leurs ennemys: & quant à luy, choisissint son domicile dedans la ville de Ravenne, où il prit le nom d' Exarque. De là en avant, commença le nom de Ducs à s' accroistre, & mesmement les François s' estans impatronizez de la Gaule, apprindrent des Romains à user de ce nom de Duc, pour un Gouverneur de Province. Ainsi que nous pouvons apprendre de noz vieilles histoires Françoises. Gregoire de Tours au huictiesme de ses histoires, nous atteste qu' au lieu d' un Berulphe, Gontran Roy d' Orleans donna pour Duc aux Poictevins & Tourangeaux un nom né Ennode: & au neufiesme il dict, qu' à l' instigation de quelques uns, il l' osta depuis. Desquels lieux il est aisé de tirer que le nom de Duc se prenoit lors pour nom de simple Gouverneur, que les Roys mettoient & deposoient à leurs volontez.

Or comme toutes choses ont quelque revolution avec le temps, ces Ducs petit à petit furent mots de Principautez, & non de Gouvernemens. Et les premiers qui userent de telle façon, feurent les Lombards: Lesquels, comme recite Paul le Diacre, apres que Cleph leur second Roy feust decedé, (cecy estoit vers le temps de Clotaire, premier de ce nom, Roy de France) voulurent être gouvernez par Ducs, com ne par une forme d' Aristocratie. De maniere, que par l' espace de dix ans entiers chaque Duc eut sa Cité, de laquelle il recevoit les fruicts: toutesfois les dix annees expirees, le peuple voulut de rechef avoir un Roy. Ce qui fut faict & luy contribua chaque Duc la moitié de son revenu, pour luy servir de Domaine. Ceste police neantmoins ne trouva si tost lieu en ceste France: Car soubs la premiere lignee de Clovis, le nom de Duc fut viager & temporel. Bien est vray que sur le declin de ceste lignee, de la mesme façon que les Maires du Palais avoient attiré à leur Estat toute la puissance Royale, & l' avoient faicte comme hereditaire en leur famille: aussi voulut chaque Duc en faire autant en son endroict. Et de faict se treuve que du temps de Charles Martel, Loup Duc de Gascongne, & aussi Eude Duc d' Aquitaine, s' estoient faicts Ducs perpetuels, ne voulans recognoistre le Roy de France à superieur. Voire que j' ay trouvé en quelque endroict escrit, que lors quelques Ducs se voulurent intituler Roys de leurs pays, tout ainsi que depuis Pepin fit de tout le Royaume de France. Toutesfois ils furent tous reduits l' un apres l' autre en leur devoir tant par Charles Martel, que par Pepin, & en fin par Charlemaigne, & le Debonnaire son fils.

Auquel temps s' introduisit autre nouvelle police des Ducs. Car tous ceux qui estoient dedans le pourpris, & enceinte de ce Royaume, demourerent comme Gouverneurs des Provinces, desquelles ils estoient appellez Ducs. Et de là vint que (comme j' ay plus amplement deduit au Chapitre des Pairs) vous voyez tantost une Aquitaine être appellee Duché, quand ce pays estoit regy par grands Seigneurs, puis à un instant, Royaume quand Charlemagne en investit à perpetuité par forme de partage son fils Louys le Debonnaire. Toutes fois és pays loingtains & que l' on ne pouvoit pas si aisément contenir, il y avoit double maniere de Ducs. Les uns possedans les Duchez comme leur propre patrimoine, mais avec certaine recognoissance ou redeuance qu' ils faisoient à noz Roys. Les autres comme Gouverneurs, & de la mesme façon que ceux qui estoient dans la France. Du premier rang estoit Tassile Duc de Bavieres, selon que tesmoigne Theodulphe, duquel je suis content d' inserer les propres mots, pour autant que son œuvre n' est pas imprimé, Tassilonem in Ducatu Boioiariorum collocavit per suum beneficium: Pepinus autem Rex tenuit Placitum suum in Compendio cum Francis, ibique Tassilo venit Dux Boioiariorum in vassatico se commendans, sacramento iurans, multas & innumerabiles reliquias sanctorum per manus imponens, & fidelitatem Regi Pepino promisit, & filiis eius, scilicet vassum recta mente & firma devotione. Il donna (dit-il) en fief le Duché de Bauieres à Tassille, puis tint Pepin son Parlement en la ville de Compieigne, auquel lieu vint Tassille luy faire foy & hommage, & mettant les mains sur plusieurs sainctes Reliques, jura de luy garder la fidelité requise & à ses enfans, telle qu' un bon & loyal vassal est tenu faire à son Seigneur. De mesme façon se voit dans Aimoïn au quatriesme de ses histoires un Grimovauld Duc de Benevent en Italie, qui devoit par chacun an à l' Empereur le Debonnaire sept mil escus de tribut. Ce nonobstant au mesme pays d' Italie y avoit quelques Ducs qui ne tenoient les villes que par forme de gouvernement, comme nous apprenons du mesme autheur, qui dict au mesme livre que Sapon Duc de Spolete estant mort, le Roy Louys le Debonnaire y envoya Atalarde Comte de son Palais en son lieu. Desquels passages & autres qu' on peut lire dans les anciens, nous apprenons qu' és pays loingtains de la France, les aucuns Ducs (comme j' ay dit) tenoient leurs Duchez par maniere de gouvernement, & les autres à tiltre de principauté pour eux & leurs hoirs à perpetuité. Laquelle derniere coustume s' insinua depuis entre nous en ceste grande confusion & chaos, qui advint soubs le regne de Charles le Simple. Car estant le Royaume abbayé par plusieurs grands Princes, tant par le moyen de son bas aage, que de sa simplicité & sottie, comme j' ay deduict au dixiesme chapitre de ce livre: ce temps pendant chaque Duc, voire chaque Comte en chaque ville, commença de se faire grand par la ruyne du Roy. Je ne puis mieux comparer ce temps là, qu' à ceste grande mutation qui advint depuis dans l' Italie, par les guerres du Pape & de l' Empereur Federic second, soubs les noms de la faction des Guelphes & Gibelins. Car tout ainsi que pendant que chacun estoit ententif à mener guerre, s' il se trouva lors quelque puissant personnage qui eut voix & authorité dans sa ville, feignant de la garder à celuy duquel il se disoit être partizan, il l' appropria au long aller à soy & aux siens: Dont vint l' origine des Ducs de Ferrare, Milan & d' autres villes dont les unes estoient auparavant Imperiales, les autres Papales. Aussi se trouva lors le semblable en ceste France: car estant ainsi le sceptre de France envié de toutes parts, ceux qui se disoient Ducs & Comtes, faisants semblant de garder les villes & provinces desquelles ils estoient Gouverneurs, au profit du Roy & sous son nom, tirerent toute la prerogative, voire tout le Domaine devers eux. En quoy ils se fortifierent : de façon que Hugues Capet occupa le Royaume de France, il trouva une infinité de Ducs, Comtes, & grands Seigneurs, qui concurroient avec luy (par maniere de dire) en grandeur. Bien est vray que par une pacification generale, estant chacun d' eux grand en son endroict, si recogneurent-ils tous, devoir le baise-main au Roy: demourans en tout le surplus demy esgaux à sa Majesté, en leurs Duchez & Comtez. Et par ceste mutation se trouverent lors les Roys petits tertiens, au regard de ceux qui avoient regné depuis la venuë de Clovis: car au lieu où ils s' estoient veus posseder toute la Gaule, l' Allemagne & l' Italie, tantost le tout, tantost moins, de là en avant sur l' advenement de Capet, ils tenoient seulement en leur pleine possession, une partie de la Bourgongne, Picardie, Sologne, la ville de Paris & la Beausse. Si commencerent noz Roys à abbaisser l' orgueil de ces grans Seigneurs, premierement par Louys le Gros, dés le vivant de Philippes son pere, pendant que les plus grands Ducs & Comtes estoient occupez au premier voyage de Jerusalem. A cause dequoy Guillaume de Nangis en ses Croniques de France, l' appelle le batailleux. Et depuis Philippes Auguste conquit la Normandie & l' Aquitaine, qui estoient tombees és mains des Anglois par mariages: Et du mesme temps par l' entremise de Simon Comte de Montfort, reduisit presque à sa devotion Raimond Comte de Tholoze, & une partie du Languedoc: tant que finallement, soit par alliances, soit par guerres, ou par forfaictures, la plus grand partie de tous les Duchez & Comtez ont esté joincts & reconsolidez à la Couronne: & seroit mal-aisé de dire quelle utilité apporterent pour cest effect à noz Roys, les premiers voyages d' outremer. Car pendant que la plus grande partie des Ducs & Comtes s' estoient d' une devotion esperduë du tout vouez à la conqueste de la terre saincte, noz Roys qui demourerent par deça, seurent fort bien faire leur profit de ceste longue absence, pendant laquelle ils guerroyoient les plus petits, & puis s' attacherent aux plus grands, remettans petit à petit en leurs mains, ce que l' injustice du temps avoit soustrait de leur Couronne. Ceste reunion apporta puis apres autre forme de Duchez en la France: car au lieu que l' on avoit veu quelques fois les Duchez être eschangez en Royaumes, & d' un Royaume être fait apres un Duché, depuis par une nouvelle maniere, noz Roys ont fait, de petites villes, Bourgades, & Seigneuries, Duchez & Comtez à leur appetit. En ceste façon fut erigé Longue-ville en Duché l' an 1510. Vandomois en Duché & Pairrie le quatorziesme Mars 1514. Guyse au mois de Janvier 1527. Estampes 1536. Neuers en Duché & Pairrie en Janvier 1538. & au mesme an, Montpensier aussi en Duché & Pairrie : Aumale en Duché & Pairrie 1547. Montmorency qui n' estoit que simple Baronnie, en Duché & Pairrie 1552. Le tout a fin qu' ayans noz Roys reincorporé sous leur puissance la plus grand' part des anciens Duchez, ils ne semblassent toutesfois avoir effacé les anciennes dignitez de France, par lesquelles ce Royaume sembloit être ilustré & embelly entre les autres, combien qu' à prendre les choses au vray, les Ducs & Comtes qui sont aujourd'huy ne soient qu' images de ceux qui estoient du temps de Hugues Capet: N' ayans ce semble, aucune prerogative sur les autres Seigneurs, sinon par une pompe de nom, & pour les ceremonies exterieures, car le Duc va devant le Comte, & cestuy devant le Baron. Dont est à mon jugement, procedé que quelques uns nous ont icy apporté certaines maximes qu' ils content par quaternions. Disans qu' il failloit qu' un Empereur eust soubs soy quatre Royaumes: un Roy quatre Duchez: un Duc quatre Comtez: un Comte, quatre Baronnies: un Baron, quatre Chasteleniés, & un Chastellain quatre fiefs. Chose inventee à credit par gens plus plains de loisir que de sçavoir: d' autant que si leur proposition avoit lieu, il n' y avroit gueres de Ducs & Comtes pour le jourd'huy. Car mesmes le Duché d' Angoulmois, que l' on baille pour appanage au tiers enfant de France, n' a que le Comté de la Rochefoucault dessouz soy. Et ausurplus encores que sur le premier advenement de noz Roys, les Ducs fussent plus grands que les Comtes en dignitez, si est-ce qu' en ceste generale confusion qui vint en la France, quand depuis le regne du Simple, jusques à Capet & ses successeurs, chaque Seigneur prit son eschantillon du Royaume, & au desavantage du Roy, certainement les provinces prindrent le nom, qui de Duchez, qui de Comtez, plus par hazard & fortune, que par discours. Tellement que non moindre estoit en son endroict un Comte de Flandres, ou de Champaigne, qu' un Duc de Guyenne, ou de Normandie : ains en egalité de puissances, differoient seulement de noms. Et de faict nous voyons mesmement qu' un Comte de Champaigne avoit soubs soy sept Comtes pour ses vassaux, comme j' ay cy-dessus remarqué. Et en effect voila les mutations qu' ont eu diversement les Ducs: estans premierement simples Capitaines, puis par succession de temps Gouverneurs de Provinces, en apres s' estans faits presque esgaux aux Roys, & finalement estans reduicts au petit pied tels que nous les voyons aujourd'huy, au regard de ces autres grands, qui florirent sur la venuë de Hugues Capet à la Couronne.

lundi 17 juillet 2023

6. 28. Fin de la seconde famille d' Anjou; Comté de Provence

Fin de la seconde famille d' Anjou, avec un Sommaire discours tant sur le Comté de Provence escheu à noz Rois, que des voyages de Naples par eux entrepris.

CHAPITRE XXVIII.

Par cette Princesse Yoland, la seconde famille d' Anjou fondit en celle de Lorraine, & voicy comment.

Jean dix & neufiesme Duc de Lorraine, eut deux enfans, Charles son fils aisné qui luy succeda apres son decés, & Ferry Comte de Vaudemont, puisné.

De Charles nasquit Isabeau de Lorraine qui fut conjointe par mariage avec René Duc d' Anjou, qui se donnoit qualité de Roy de Sicile.

De ce mariage nasquirent Jean & Yoland. Car quant à une Marguerite femme d' un Roy d' Angleterre, je n' en fay mise, ny recepte, comme estant une piece hors œuvre.

Jean d' Anjou mourut auparavant René son pere, & eut un fils nommé Nicolas, qui mourut pareillement auparavant son ayeul. De maniere que toute la maison de René estoit aboutie en une seule Princesse Yoland d' Anjou.

De Ferry Comte de Vaudemont premier de ce nom, nasquit Anthoine, & de luy Ferry second.

Isabeau de Lorraine femme de René pretendoit apres le decés de Charles son pere, que le Duché de Lorraine luy appartenoit, comme seule fille & heritiere du Duc.

Anthoine au contraire soustenoit que ce Duché estoit un fief affecté aux masles qui ne pouvoit tomber en quenoüille. Partant qu' ores qu' il fust seulement issu du puisné, toutesfois estant masle il forcluoit cette Princesse. Nouveau subject de guerre entre luy & René. Auquel en fin René se trouva avoir du pire. Et ayant esté faict prisonnier d' Antoine, pour moyenner sa deliurance, il accorda le mariage d' Yoland sa fille avec Ferry fils d' Antoine. Quoy faisant on unit les deux branches de l' aisné & puisné de Lorraine ensemble. Sage conseil pour faire cesser les differents qui estoient entre eux. Mariage toutesfois que jamais René ne peut bonnement gouster pour avoir esté extorqué de luy. Tellement que tous ses projets ne tendoient qu' à coupper les aisles à son gendre. Et de faict Philippes de Commines nous tesmoigne, que s' il n' eust esté prevenu par le desastre qui advint à Charles Duc de Bourgongne contre les Souisses, il se fust donné à luy. Qui eust esté un mauvais party pour la France.

Or avoit il un frere puisné nommé Charles, auquel entre autre biens il laissa pour son partage le Comté du Maine, la Baronnie de Mayenne la Iouais, la Ferté Bernard, Sablé, & autres grandes terres & seigneuries. Ce Seigneur eut un fils portant le nom de Charles comme luy, que René par son testament de l' an mil quatre cens septante huict, institua son heritier universel: lequel choisit pour son domicile la Provence, dont il estoit Seigneur souverain, & y mourut quatre ans apres, & par son testament à l' instigation de Palamedes Forbin Seigneur de Soliers, qui avoit grande part en ses bonnes graces, institua son heritier particulier au Comté de Provence, le Roy Louys unziesme & ses successeurs Roys de France.

En ce Prince Charles dernier masle, prit fin, & le nom, & la familie d' Anjou, & fondit en celle de Lorraine par le mariage d' Yoland avecques Ferry de Lorraine, dont sont issus ces grands Princes Lorrains, que nous voyons aujourd'huy. Famille d' Anjou, (vous dis-je) enflee, tant en pretensions, que d' effect de trois Royaumes, Sicile, Poüille, & Hierusalem (& encore de celuy d' Arragon, si on eust faict droict à Yoland d' Arragon femme de Louys deuxiesme) de trois Duchez, Anjou, Lorraine, & Calabre, de trois Comtez, Provence, le Maine, & Bar; dont le dernier fut depuis erigé en Duché. Et furent les pieces esmorcillees à divers Princes: l' Arragonnois se lotit de la Sicile, Poüille & Calabre: Le Lorrain de la Lorraine & du Barrois, & encores de plusieurs autres seigneuries esparses, tant au pays du Maine, Provence, que plusieurs autres endroicts de la France. Le Roy Louys unziesme de la Provence, par le moyen du testament de Charles, & des Duché, d' Anjou, & Comté du Mayne par nostre droict de reversion à la Couronne, comme estans de l' ancien Domaine de France, qui ne tomboient en quenoüille. Car quant au Royaume de Hierusalem, ce fut un titre de parade, dont ny la premiere, ny seconde lignee d' Anjou, ne jouyt actuellement. Et comme le Roy Louys XI. estoit Prince qui ne laissoit perdre les occasions de s' advantager quand elles se presentoient, aussi se voulut-il faire accroire, que les quatre Baronnies du Duché de Bar luy appartenoient en proprieté, la force estoit pardevers luy: car quant au bon droit je m' en remets à ce en qui estoit. Tant y a que par accord faict entre luy, & René Duc de Lorraine, le seigneur de la Jaille le 14. de Mars 1479. pour le Roy de Sicile meit entre les mains de Louys pour six ans, la ville de Bar, pour en jouyr pendant ce temps, & y mettre telle garde qu' il luy plairoit. Et le lendemian (lendemain) les manans & habitans feirent le serment de fidelité au Roy, conformément au traité fait & passé entre les deux Princes. Et tant & si longuement que Louys vesquit le Prince Lorrain ne s' en oza plaindre.

Quelque temps apres son decez Charles huictiesme son fils, luy ayant succedé à la Couronne en l' aage seulement de quinze ans, René Duc de Lorraine vint en Cour, & en plein Conseil du Roy (auquel estoit Philippes de Commines, comme Conseiller d' Estat, duquel j' ay emprunté ce Placard) feit instance, tant pour le Duché de Barrois, qu' il soustenoit luy avoir esté induëment occupé par le feu Roy, que pour le Comté de Provence qu' il disoit luy devoir appartenir du chef de la Royne Yoland d' Anjou sa mere, qui avoit est plus proche habille à succeder à Charles d' Anjou son cousin germain. Et ce nonobstant le testament par luy faict en faveur du Roy Louys unziesme, comme n' en ayant peu disposer par les anciens statuts de Provence.

Particularité que je vous touche icy par expres contre l' opinion de ceux qui se font accroire que le Roy s' en estoit emparé par un droict de bienseance seulement & sans tiltre. Car si cela eust esté vray, le Duc de Lorraine ne l' ust oublié, non plus que du pays de Barrois. Mais au cas qui lors se presentoit, il demoura d' accord le testament avoir esté faict, & revoqua seulement en doubte, sçavoir s' il avoit peu estre faict au prejudice de la plus proche lignagere. De moy je vous puis dire l' avoir eu, veu, & leu en bonne forme & authentique, en la cause du Vicomte de Martygues, que par trois diverses matinees d' uns Lundy, Mardy, & Jeudy, nous plaidasmes au parlement de Paris, l' an mil cinq cens septante trois à huis ouvert, en la presence de tous les Princes & Princesses Lorrains & Lorraines residents en cette France, moy plaidant pour Messire Henry de Lorraine Duc de Guyse, & Maistre Claude Mangot grand & excellant Advocat, pour la fille unique de Messire Sebastien de Luxembourg. Testament qui servoit à la decision de nostre cause, lequel fut fait par Charles, le dixiesme Decembre mil quatre cens octante & un, dedans lequel il institua le Roy Louys unziesme son heritier particulier au Comté de Provence, & apres luy, tous ses successeurs Roys de France. Tellement qu' il ne faut point revoquer en doute, si ce testament a esté fait, puisque René en demouroit d' accord, mais bien si Charles en avoit peu gratifier nos Roys par son Ordonnance testamentaire. En quoy il n' y avoit aucune obscurité, d' autant que la Provence est un pays de droict escrit, auquel il est loisible à chacun de disposer de tous & chacuns ses biens, par son testament. Et mesmement avoit esté cette cause prejugee en cas individu par deux diverses dispositions: La premiere du Comte Beranger au profit de Beatrix femme de Charles d' Anjou frere de S. Louys, au desadvantage de ses trois sœurs qui la precedoyent d' aage: La seconde par la Royne Jeanne premiere Comtesse de Provence en faveur de Louys Duc d' Anjou premier de ce nom. Lequel en jouyt apres le decés d' elle, & le transmeit à ses successeurs. Qui estoit du tout clorre la bouche du Prince Lorrain. Comme aussi sagement & justement le conseil du Roy fut d' advis de luy rendre le Duché de Bar, mais non le Comté de Provence. Vray que pour luy oster toute opinion de remuëment de mesnage, Pierre Duc de Bourbon beau-frere du Roy Charles huictiesme, qui lors avoit tout le gouvernement des affaires de France en main, luy feit bailler une compagnie de cent gendarmes, & pension de soixante mille liures pour quatre ans. Leçon qui luy avoit esté expres enseignee par le Roy Louys son beau-pere, avant que de mourir, luy enjoignant que sur toutes choses il empeschast qu' on ouvrist la porte aux armes dedans son Royaume, tant & si longuement que son fils seroit en bas aage. Comme aussi n' y a-il riens qu' il faille tant craindre, que la guerre, pendant la minorité d' un Roy.

Nostre Roy & le Duc de Lorraine diversement assortis des biens, terres, & seigneuries de la maison d' Anjou, restoit à partager entre eux l' esperance des trois Royaumes & du Duché de Calabre, chacun d' eux pretendants y avoir la meilleure part: car combien que les François se l' adjugeassent en consequence du testament de Charles d' Anjou, toutesfois les Princes Lorrains n' en voulurent lors quitter le tiltre. Ainsi Yoland s' intitula Royne de Sicile, jusques au jour de son decés, qui fut l' an mil quatre cens quatre vingts neuf, & apres elle René son fils: Le tout au veu & sceu de nos Roys sans aucune contradiction. Et d' un autre costé combien que Charles huictiesme cornast la guerre contre l' Arragonnois pour la recousse du Royaume de Naple, toutesfois jamais René ne feit protestation contraire. Voire en plus forts termes, sommé & interpellé par les Napolitains qui s' estoient revoltez contre leur Roy Ferdinand, de s' armer & joindre ses forces avecques les leur, comme celuy qui y avoit le principal interest, il saigna du nez, soit qu' il estimast cette querelle estre la nostre, ou qu' il se fust faict sage par les folastres voyages des Princes d' Anjou ses predecesseurs.

Tellement que ce fut une chasse morte aux Lorrains: mais non à nous autres François, & le premier de nos Roys qui s' engagea à cette querelle fut Charles huictiesme (contre l' advis des plus sages) poussé d' un boüillon de sa grande jeunesse, & de je ne sçay quels mignons apprentis au fait de la guerre. Voyage qui eut une entree heureusement courte, & une retraicte plus heureuse que ne se promettoit la sagesse de tous les Potentats d' Italie. Toutesfois je ne voy point que nostre France raportast de ce voyage autre fruict, que la perte du corps & des biens. Car c' est celuy auquel on doit l' origine de cette malheureuse maladie, que quelques uns nommerent depuis mal de Naples, pour y avoir premierement mis son siege, & les autres mal des François, parce qu' ils en porterent les premieres marques. Et pour le regard des biens, nous devons au mesme voyage le premier engagement du Domaine de la Couronne pour subvenir aux affaires de la guerre. Car le Roy Charles estant sorty du Royaume à la vanuole, sans auparavant recognoistre quel estoit le fonds de ses finances, se trouvant en la ville de Plaisance court d' argent, decerna ses lettres patentes en Octobre mil quatre cens quatre vingts quatorze, pour engager de son Domaine jusques à la somme de six vingts mil escus. Et parce que c' estoit un chemin non encores frayé par la France, il voulut authoriser ses lettres de l' advis de treize seigneurs ses principaux Conseillers. Ces lettres envoyees au Parlement furent du commencement trouvees de tres-fascheuse digestion, toutesfois la necessité n' ayant point de loy, il fut trouvé bon pour desgager nostre Roy de ce perilleux voyage de tolerer cest engagement, pour ce coup tant seulement, & sans le tirer en consequence, portoit la verification du vingtiesme Novembre au mesme an. Belle protestation sans effect. Et de moy toutes & quantes fois que je lis cette sage clause portant un, Sans le tirer en consequence, pour faire passer & donner cours à une ouverture nouvelle, je m' en ris: comme estant une clause contrevenante au naturel de ce Royaume, qui est un Royaume de consequence. Ce que nous avons depuis esprouvé en ce mesme subject: car combien que le Domaine de la Couronne soit une chose sacrosaincte, & que l' alienation n' en soit faicte qu' à faculté de rachapt perpetuel, sans aucune limitation de temps: toutesfois ce mesnage par succession de temps est arrive à tel desbord & desarroy entre nous, que horsmis les tiltres generaux du Domaine, pour le regard des terres particulieres, à peine en trouverez vous aujourd'huy aucunes, esquelles nos Roys se puissent heberger.

Discours qui n' est pas du present subject: mais pour reprendre mes brizees, l' observation que je fais en tous ces voyages de Naples, est une belle promesse de fortune sur nos arrivees, mais fascheuses fins pour closture de nos entreprises. Apres le decés du Roy Charles, trois Roys successivement & l' un apres l' autre s' y voüerent, uns Roys Louys douziesme par l' entremise du Seigneurd' Aubigny, François premier par le Mareschal de l' Autrec, & Henry deuxiesme par le Duc de Guyse, tous grands Capitaines & guerriers. Et ces trois Roys se trouverent successivement, & l' un apres l' autre deceuz de leurs esperances, apres avoir faict une despense infinie, & perte d' une infinité de Seigneurs & Capitaines de marque: J' excepte le dernier voyage, par ce qu' il fut interrompu par un changement de volonté du Pape Carrafe qui nous y avoit appellez. Que si nous eussions employé, quand les occasions s' y sont presentees, au recouvrement des pays qui nous attouchent, & sont de nostre ancien estoc, tout l' argent qu' avons despendu en la recherche de ce Royaume de nous separé, & de mœurs, & d' un long entrejet de chemins, il nous en fust beaucoup mieux pris. Lisant les Historiographes qui en ont escrit, vous trouverez de grandes fautes advenuës de la part de ceux qui prés de nos Roys estoient estimez les plus sages. Et quant à moy je les impute à nostre malheur, y ayant eu quelque Ange qui par le vouloir expres de Dieu, s' opposa aux desseins qu' entreprismes de là les Monts, & tint en bride ceux que pouvions selon les rencontres, aisément executer à nos portes aux pays bas.

jeudi 20 juillet 2023

6. 33. Du gouvernement des Provinces qui tombe és femmes, & de la magnanimité ancienne de quelques Princesses.

Du gouvernement des Provinces qui tombe és femmes, & de la magnanimité ancienne de quelques Princesses.

CHAPITRE XXXIII.

Tout ainsi qu' une principauté tombant sous la minorité d' un Prince, est exposee à plusieurs hasards: aussi l' est-elle estant gouvernee par une Princesse: En l' un, on craint la foiblesse de l' âge, en l' autre la foiblesse du sexe, & en tous deux l' imbecilité de leurs sens. Je ne foüilleray point dedans l' ancienneté, remarquez seulement ce qui s' est passé depuis trente-cinq ans par l' Europe, en laquelle Dieu voulant commencer une subversion, ou mutation d' Estats, ou de familles, vous veistes d' une mesme assiette cinq ou six grands Royaumes regis & gouvernez par femmes: nostre France par Catherine de Medicis Roine mere, l' Angleterre par la Roine Elizabeth regnant encores à present, l' Escosse par la Roine Marie, le Portugal tombé és mains de l' Infante, fille de la Roine Leonor: le Navarrois, & Bearn par la Roine Jeanne, & finalement la Flandre, & autres pays bas par la Duchesse de Parme, sœur bastarde de Philippes Roy d' Espagne: Nous avons veu tout cela, & tout d' une suitte un pesle mesle, & confusion de toutes choses en cette France, en Escosse, en Flandres, en Portugal, qui est aujourd'huy tombé en mains Espagnoles. Que les femmes en ayent esté les motifs, je ne le veux pas dire, mais bien qu' elles ont esté les outils dont on s' est servy: encores que la plus part de ces Princesses ne faillit point de jugement en la conduite des affaires: Et toutes-fois pour rendre cette Histoire plus esmerveillable à une posterité, cest qu' au milieu de toutes ces Dames, qui ont veu sous leurs gouvernemens les Provinces affligees, où elles commandoient, une seule Elizabeth, qui ne se voulut jamais exposer sous la puissance d' un mary, non seulement a garenty son Royaume de toutes guerres & oppressions civiles, mais qui plus est, en a estendu les limites jusques à Holande, & Zelande, pays qu' elle a conquis sur Philippes Roy d' Espagne, le plus grand terrien, & pecunieux qui se soit veu entre les Monarques, depuis trois ou quatre cens ans. En quoy l' on peut descouvrir combien sont grands les mysteres de Dieu. Vray que je crains bien qu' apres le decez de cette Dame, l' Angleterre n' ait part aux calamitez comme nous: Car à bien dire son repos ne despend que du filet de la vie de cette Princesse. On veit presque en une mesme saison deux Roines en France, Brunehaut, & Fredegonde: l' une qui fit mourir six ou sept Princes, & broüilla toutes leurs Provinces de divisions, & guerres intestines: Au contraire une Fredegonde non seulement conserva le Royaume à Clotaire second son fils, qui estoit en berceroles, lors que Chilperic son pere fut tué: mais qui plus est, avecques le temps se veit seul Roy & Maistre de toutes les Provinces, qui avoient esté par deux fois partagees en quatre, depuis la mort de Clovis. Isabelle de Bavieres assistee du Duc de Bourgongne, troubla infiniement ce Royaume pendant les troubles d' esprit de Charles sixiesme son mary: De maniere que le Duc de Guyenne son fils aisné venu en aage de cognoissance fut contrainct de la confiner en Touraine. Au contraire la Roine Blanche mere de sainct Louys conduisit avec une telle sagesse les affaires de France, qu' elle conserva heureusement le Royaume à son fils, qui n' avoit que quinze ou seize ans quand il vint à la Couronne, & croy que pour cette chose les Roines meres depuis se voulurent nommer Roines Blanches, comme tiltre le plus specieux qu' elles se pouvoient donner pendant leur viduité. Il y a és femmes par fois des defaux, par fois aussi des vertus non moindres qu' aux hommes. J' ayme mieux estre leur paranymphe, que ressembler Jean de Mehun, qui en son Romant de la Roze fit profession expresse de les blasmer. Je veux doncques icy discourir la magnanimité & proüesse de quelques Dames. Je commenceray par la Roine Fredegonde, laquelle je ne veux excuser de la mort de son mary qu' on luy impute: Mais le sujet de ce Chapitre estant dedié aux Dames, qui se sont renduës recommandables par les armes, je donneray à cette-cy selon l' ordre des temps le premier, & plus ancien lieu. Sigebert Roy de Mets tenoit assiegé son frere Chilperic dedans la ville de Cambray, l' ayant reduit en tel desarroy, qu' il ne luy restoit autre espoir que de tomber à la misericorde de son ennemy. Quoy voyant la Roine Fredegonde, elle attiltre deux Gentils-hommes pour aller assassiner Sigebert, leur faisant plusieurs grandes promesses de biens, s' ils venoient à la fin de cette entreprise sans danger: & s' il advenoit qu' ils y mourussent, elle les asseuroit d' un Paradis par les intercessions & aumosnes qu' elle feroit faire pour la redemption de leurs ames. Ces Gentils-hommes vaincus par telles remonstrances s' y acheminerent, ils tuent le Roy Sigebert. Le fruict de cette entreprise fut que ceux-cy y demeurerent pour les gages: mais aussi tost fut le siege levé. En cecy il y avoit du renard, en ce que je diray cy-apres il se trouve beaucoup du lyon. Apres le meurdre de Chilperic, Fredegonde se trouva mere de Clotaire second, qui lors estoit au berceau. L' opinion que l' on avoit, estoit que cet enfant n' estoit fils du Roy Chilperic. Qui occasionna Childebert Roy de Mets de luy faire la guerre à outrance: Et comme les deux Osts fussent sur le point de s' entreheurter, Fredegonde montee sur un grand destrier se promena au milieu de tous les rangs, portant son enfant entre ses bras, les exhortant d' avoir pitié de leur petit Prince, & les sceut tellement animer, que pour conclusion elle obtint lors la victoire. Encore merite d' estre recité un stratageme & ruze de guerre qu' elle exerça lors, commandant à tous ses gens de prendre un rameau en leurs mains, & pendre au col de leurs chevaux une clochette: De ce pas elle les conduisit droict vers ses ennemis, où arrivant sur la diane, les sentinelles estimans que ce fussent bœufs, & vaches qui fussent en des pastis, elle les surprend si à propos, que Childebert fut contrainct de s' enfuir: Cette Princesse de là en avant conduisant si à propos les affaires de son fils, qu' apres Clovis, en toute la premiere lignee de nos Roys il n' y eut Prince plus grand terrien que luy.

Fredegonde avoit fait tuer son mary, comme l' on dit, parce qu' il avoit descouvert les amourettes d' elle avecques Landry. Celle dont je parleray maintenant en usa d' une façon, sinon semblable, pour le moins non du tout dissemblable, en une querelle plus juste. Isabelle fille du Roy Philippes le Bel fut mariee avecques Edoüard le tiers Roy d' Angleterre, Prince de toutes façons abandonné à ses plaisirs, mesme qui pour user d' une volupté prepostere, à l' instigation de Hues le despensier, ministre de ses passions, traictoit infiniement mal sa femme: D' ailleurs exerçoit une infinité de cruautez, n' y ayant presque Prince, ou grand Seigneur, auquel il ne fist trancher la teste. Isabelle ne pouvant plus supporter les hontes & indignitez qu' elle recevoit de luy, s' enfuit avecques son fils Edoüard Prince de Galles en France par devers le Roy Charles le Bel son frere, a fin qu' il luy voulust donner secours pour guerroyer son mary. Ce que luy ayant refusé, elle se retire au pays de Hainaut, qui la favorisa en toute cette entreprise. Ayant doncques assemblé grand nombre de Hennuyers, ils passerent en Angleterre: Là fut le Roy assiegé en la ville de Bristoye avecques Hues le despensier, par la Roine, de telle façon que la ville luy fut en fin renduë. Elle envoya lors son mary sous bonne & seure garde à Londres, & prit le chemin de Herfort, où estant arrivee, elle fit faire le procez à Hues le despensier, lequel par Arrest fut condamné à mort, & là sur un escharfaut eut le membre & les genitoires coupez (comme detestable Sodomite) qui furent dés l' instant mesme en sa presence jettez dans un feu, & en apres il fut vif ouvert par le ventre, le cœur tiré hors, & jetté dans le mesme feu: Puis on luy trancha la teste, & son corps mis au gibet. Sa teste prise & portee à Londres: le jour de Noël ensuivant par deliberation des Estats tenus à Londres le Roy Edoüard fut demis de sa Couronne Royale, & Edoüard son fils couronné Roy: c' est celuy qui depuis fit tant de guerre à Philippes de Valois, pretendant que le Royaume luy appartenoit, comme plus proche de la Couronne de France.

Aux magnanimitez de deux Princesses, dont j' ay cy-dessus parlé: il y a eu quelque chose à redire: En la premiere, la mort du mary, en la seconde la prison: Mais celle que je reciteray maintenant est digne d' estre mise au parangon de toutes les Dames, qui furent jamais en quelque pays, & nation que ce soit. Apres l' Arrest de Conflans donné au profit du Comte de Blois contre Jean Comte de Montfort, pour le Duché de Bretagne, le Roy Philippes de Valois prit les armes pour le Comte de Blois son nepueu. Advient que par trahison le Comte de Montfort est pris dedans Nantes vers l' an mil trois cens quarante deux, & mené prisonnier à Paris dans la grosse tour du Louvre, où il demeura deux ans entiers, & depuis estant evadé il mourut, delaissée la Comtesse de Montfort sa veufve, sœur du Comte de Flandres, chargee d' un petit enfant, qui portoit aussi le nom de son pere. Pour avoir perdu son mary, elle ne perdit pas le courage: parce que elle reprit plusieurs villes & chasteaux, mesme la ville de Rennes, devant laquelle le Comte de Blois mit le siege, aidé des forces de France. Quoy voyant la Comtesse de Montfort, elle a recours au Roy d' Angleterre, avec lequel elle brasse le mariage de son fils avec sa fille. Pendant lequel pourparler Rennes est renduë au Comte de Blois, qui vint mettre le siege devant la ville d' Hemboust, où lors estoit la Comtesse de Montfort avec son fils, il liure l' assaut, qui est fortement soustenu par ceux de la ville: pendant lequel, la Comtesse, qui estoit armee de toutes pieces, alloit sur un coursier par toutes les ruës pour donner courage à ses gens, & n' y avoit Dame ny Damoiselle, qui ne servist de quelque chose: les unes portoient des pierres sur les murs, les autres des eaux boüillantes pour jetter sur les ennemis: mais cette Princesse non contente de cela, fit encore un traict de plus signalee entreprise: Car apres estre montee sur le haut d' une tour, pour considerer la contenance de ses ennemis, voyant leurs tentes vuides, & tous les Seigneurs estre ententifs à l' assaut, elle remonte à cheval suivie de 60. hommes armez, & sortant par une poterne d' un costé de la ville, qui n' estoit assiegé, donna droit jusques aux pavillons de son ennemy qu' elle brusla. Quoy voyant le Comte de Blois, qui pensoit estre trahy, se retira de l' assaut, & quelques jours apres leva le siege pour l' aller mettre devant Aulroy, laissant seulement quelque nombre de soldats pour boucler Hemboust, lesquels affuterent contre la ville quelques engins de guerre, qui endommagerent tellement ceux de dedans, qu' ils estoient resolus de se rendre sans les instantes prieres que leur feit cette vertueuse Princesse de superseder leur deliberation jusques à quelques jours, pendant lesquels elle se promettoit avoir secours des Anglois, lequel arrivé, les François furent contraincts de lever le siege: & encores que les hazards de la guerre fussent depuis longuement tenus en balance, si est-ce que pour fin, & closture de jeu, le Duché de Bretagne demeura en la Maison de Mont-fort. Le semblable n' advint pas à la fille de René Duc d' Anjou, & Comte de Provence, femme de Henry sixiesme, qui s' intituloit Roy de France & d' Angleterre: car combien que son mary estant pris par Richard, elle eust enlevé son fils de la fureur de son ennemy: & encore elle seule garenty des brigands au milieu d' une forest, & depuis eu la victoire de Richard en plein champ de bataille, auquel elle fit depuis couper la teste: si est-ce que puis apres, abandonnee des siens, elle perdit son mary & son fils, & demeura le Royaume és mains d' Edoüard fils de Richard.

vendredi 19 mai 2023

CHAPITRE III. Combien le nom Gaulois s' amplisia anciennement ...

Combien le nom Gaulois s' amplisia anciennement: & contre les calomnies de quelques autheurs, qui, souz leur faux donner à entendre, voulurent obscurcir noz victoires.

CHAPITRE III.

Sur tous les peuples qui se sont adonnez à covrir l' Univers, l' on en peut à mon jugement remarquer trois de grande recommandation: entre lesquels, faut donner le plus ancien lieu aux Gaulois, le second aux Germains, & le tiers aux Sarrazins. D' autant que les premiers avant que Rome eust attaint au grand degré de souveraineté, les seconds sur la fin de l' Empire d' Italie, & les derniers, celuy de Constantinople commençant à tomber en ruïne, donnerent tant d' espreuves de leurs vaillantises, qu' il y eut peu de contrees, desquelles, selon la varieté du temps ils ne goustassent. Et vrayement quant à noz Gaulois, il fut une saison qu' ils establirent en tant de regions leurs conquestes, que pour ceste occasion plusieurs gens appellerent indifferemment l' Europe souz le nom de Celte ou Gaulois qui se rapportent l' un à l' autre. Qui fut cause que Joseph Juif, pensant subtiliser contre Appion le Grammairien, voulut improperer aux Historiographes Gregeois une ignorance du faict des Gaules: pour autant qu' indifferemment ils comprenoient plusieurs nations souz leur nom, qui n' estoient de leur originaire enceincte. Mais non toutesfois s' avisant que luy-mesmes en cest endroict s' abusoit. Parce qu' en la plus part de toutes les contrees de l' Europe, les Gaulois avoient eu victoires, & bien souvent avecques leurs victoires planté leurs noms. Ainsi tesmoigne Cesar qu' ils avoient anciennement occupé plusieurs environs de la grand Bretaigne. Et d' avantage il atteste qu' ils ficherent aussi leurs demeures dans la Germanie vers la coste de la forest Hercinienne. Et non contens de ce païs, continuerent leurs conquestes jusques en la Scythie, (comme en font foy les Celtoscythes) & aux Espaignes, ainsi que nous pouvons tirer des Celtiberes, peuples, au rapport de Plutarque, extraicts du vieil rige des Gaulois. S' estans veuz mesmement commander à une partie d' Italie, de la Grece, & de la Phrigie. Tellement qu' ayans fait sonner leurs victoires en une Germanie, Scithie, Espaignes, grande Bretaigne, Italie, Grece, & Bithinie, il ne faut trouver trop estrange, que non seulement les Grecs, mais aussi quelques autres, qui nous attouchoient de plus pres, confondissent sous ce nom Gaulois les autres peuples qui dépendoient de la grandeur d' eux. Tout ainsi, comme l' on a veu depuis, une Germanie avoir prins le nom universel d' Allemaigne (qui avoit ses bornes à part) mais pour la victoire que les Allemans firent quelquesfois du reste de la Germanie. Non pourtant que tels autheurs, comme il est à presumer pour telle confusion, n' entendissent le fonds & source de nostre Gaule, mais pource que d' elle, comme d' un grand arbre, s' estoit estendu le branchage parmy toute ceste Europe. Et mesmement que les anciens Gaulois, lors qu' ils avoient conquesté nouvellement un pays, estoient coustumiers d' en exterminer de tout poinct les premiers habitateurs, ou bien leur permettoient viure souz eux comme leurs subjects & vassaux, en la maniere que depuis les mesmes Gaulois esprouverent par la venuë  des François. Or entre tant de conquestes s' en trouvent trois principalement, desquelles, (encores que sur toutes memorables) si n' en avons nous instructions, que par les mains de noz ennemis. La premiere est ceste grande expedition, qui fut faite souz Ambigat Roy de Bourges quand Bellovese & Sigovese ses nepueux prindrent par sort en partage, l' un le pays de l' Italie, & l' autre celuy de la Germanie: leur succedant leur entreprinse si heureusement, que chacun d' eux sans grand destourbier prit terre la part où il avoit projecté: eternisans en chaque pays, par la fondation des villes qu' ils y bastirent, la memoire des nations qui s' estoient avecques eux acheminees à si nobles voyages. 

A maniere que les Venitiens mesmes (afin que je ne m' arreste aux autres peuples d' Italie, qui nous doivent leur nativité, desquels Troge Pompee fait assez grande mention, par l' organe de son abreviateur Justin) prindrent leur nom de ceste flotte, c' est à dire, du peuple de Vannes. De laquelle gloire, combien que quelques Italiens (comme Marc Anthoine Sabellic,) veullent frustrer nostre Gaule, pour la rapporter à quelques Enetiens, peuples forgez à credit, & qu' ils veulent tirer du pays de Paphlagonie, si eit-ce que Polibe autheur ancien attestoit par le confrontement & rapport des mœurs des Venitiens d' Italie, avec les citoyens de Vannes, qu' ils avoient pris leur ancienne origine de nous. Chose, à laquelle condescend volontairement Strabon. Certes les historiographes Latins, qui voulurent discovrir sur ce voyage, pour obscurcir quelque peu la loüange qu' ils ne nous pouvoient bonnement desrober, disent que les Gaulois allechez de la douceur des vins d' Italie, dont ils avoient en certaine information par espions, se donnerent de plus grande ardeur ce pays en proye: toutesfois, l' on sçait que toutainsi que d' un costé Bellovese s' achemina en Italie, aussi d' une autre part Sigovese prit l' adresse de la Germanie, pays pour lors & encores pour le jourd'huy, bien peu cultivé de vignoble. Qui monstre que ce ne fut une friandise des vins, qui nous feit apprendre le chemin de delà les monts, ains la proximité & cofinage des lieux. Parquoy les autres un peu plus sobres, & non si advantageux à mesdire, disent que l' occasion de ce grand desbord fut pour descharger le pays des Gaulois, adonques trop abondant en peuple. Laquelle opinion, bien qu' elle ne soit animeuse comme la premiere, si est-ce que qui considerera le commun cours de nostre nature, mal-aisément qu' il trouve que la Gaule doiue jamais avoir esté plus populeuse qu' à present. Car les grands & peuplez pays (comme il est certain) se sont ou par la disposition du ciel, comme sont les climats froids & Septentrionnaux, ou par la force des loix, qui pour suppléer au commun defaut du pays addressent tous leurs privileges aux mariages, pour inviter par ce moyen les subjects à multiplier en hommes, leur patrie: comme furent plusieurs ordonnances des Lacedemoniens, Atheniens, & Romains, & encor' de nostre temps d' avantage, entre les Mahumetistes, qui pour ceste cause permettent à un seul homme avoir en une mesme famille plusieurs femmes. Lesquelles deux reigles ayans deffailly en nostre Gaule, je ne trouve point raison pourquoy nous devions estimer ces bons peres du vieux temps, plus seconds en peuples, que quand depuis quatre cens ans en ça avec une infinité de Chrestiens souz la main de Boüillon (Bouillon) & autres Princes nous nous croisasmes encontre les Infideles. Par quoy, à dire le vray, leur vertu, ensemble leurs loix militaires, les acheminerent lors & plusieurs fois depuis à si loüables entreprises. Que si paraventure aujourd'huy se trouvoit estrange qu' à un amas de gens de guerre noz Roys avec grande difficulté levent trente ou quarante mil hommes, & que les anciens Gaulois comptoient leurs armees par cent & deux cent mille, je responds que l' occasion de cela procede de la diversité des polices, l' une apprenant principalement à iouer des cousteaux, & l' autre à manlet une plume: tellement que tout ainsi que noz anciens ne marchoient point en champ de bataille qu' avec une fourmiliere de peuples, aussi maintenant en contr' eschange noz Roys leveroient plustost deux cens mille, suyvans l' estat de la plume, que trente mille hommes de guerre. Qui a esté cause que quelque estranger escrivant dessus Ptolomee, à bon droict nous reproche qu' en ce seul pays de France se trouvent plus de chiquaneux & gaste-papiers, qu' en une Allemaigne, Italie, & Espaigne, trois autres grandes regions de l' Europe. De laquelle façon de faire combien que les anciens Gaulois ne fussent du tout eslongnez, ayans aussi bien que nous gens deputez à la vuidange des proces, si avoient-ils d' une autre part, ainsi que je disois au premier chapitre, Chevaliers du tout affectez à la guerre, soubs la devotion desquels de toute ancienne coustume se consacroient diversement les gens du tiers Estat & menu peuple: ne faisans autre compte de mort ou de vie, que celle qui plaisoit au seigneur, souz lesquels ils s' estoient vouez. Qui causoit, & que la justice ne demeuroit point en friche, & que les guerres se faisoient avecques si grand nombre de gens, que les Gaulois de leurs propres forces & sans armes auxiliaires subjuguerent toute l' Europe. En ceste façon, pour retourner sur mes arrhes, conquirent-ils la plus grande partie d' Italie, & aussi de la Germanie, souz leurs Princes Bellovese & Sigovese. En ceste façon exploicterent-ils leur second voyage, quand les Senonois, ayans passé les monts, meirent pour quelques indignitez qu' ils recevrent des Ambassadeurs des Romains, la ville de Rome à sac: dans laquelle ayans quelques journees commandé, ils en furent finalement dejectez tant par defaillance de viures, que par une surprise de Camille. En ceste façon soubs Belgion, & depuis soubz Brennon leurs Capitaines, occuperent-ils une grande partie de la Grece, & de là passans en la Bythinie que maintenant nous appellons Natolie, fonderent en l' une & l' autre contree un grand Royaume. Lesquels trois voyages, il me suffit monstrer seulement au doigt, tant pour être assez amplement couchez par Tite-Live, Justin & autres anciens autheurs, que pour en avoir esté la memoire rafraichie de nostre temps és livres expressément à ce dediez, par feu Messire Guillaume du Bellay, Chevalier, & depuis par Guillaume Postel, ausquels tout homme studieux pourra avoir son recours. Bien adjousteray-je apres eux, que le voyage de Rome rendit de là en avant le nom des Gaulois si redouté au peuple Romain, que lors que le moindre bruit s' eslevoit d' une entreprinse Gauloise, les Romains couroient aux armes comme au feu. Et pour ceste occasion s' estans à leurs propres cousts & despens faicts sages de nostre vertu, curent tousjours argent peculier & de reserve au thresor public, auquel jamais on ne touchoit, sinon pour subvenir aux fraiz des affaires qui se presentoient contre eux de nostre part. Et d' avantage, aux immunitez & exemptions des guerres, qu' ils ottroyoient, ils estoient coustumiers par clause ordinaire excepter celles qui s' offriroient du costé des Gaules. Et au regard de la Grece, y ayans assis nostre demeure, on recite qu' en toutes les grandes entreprises qui se brassoient au Levant, les Princes avoient vers nous leur recours, comme à un ressort de franchise, soit qu' il feust question de restablir en son trosne un pauvre Roy depossedé, ou de porter confort & aide à quelques peuples desolez. En toutes lesquelles entreprises combien que par fois nous cussions du bon, par fois du pire (comme sont les armes de leur nature journalieres) si est-ce que le desastre ne vint jamais en comparaison de nostre heur. Je sçay bien quelques historiographes voulurent anciennement soustenir, que tous ceux qui s' estoient retirez vers la Grece, avoient esté desconfits par la seule puissance de Dieu, au ravage du temple de Delphe, si faut-il bien presumer que la calamité ne fust si grande, veu qu' apres tant de revolutions d' annees, sainct Hierosme recognoissoit que le langage des Galates ou Gallogrecs se conformoit en grande partie avec celuy des Trevires, peuples situez dans nostre Gaule Belgique. Au demeurant, entant que touche le Camille tant rechanté par les Romains, & dont à chaque propos ils font banniere contre nous, pour quelque victoire qu' il rapporta de nous pendant le siege du Capitolle, je croy qu' il leur eust esté du tout plus seant de s' en taire: pour-autant que, si le commencement de ceste guerre fut entrepris (comme nous enseignent leurs propres histoires) pour un juste droict d' espee violé par leurs Ambassades, encores verra l' on que la fin trouva plus malheureuse issuë. Car qui est celuy, qui ne sçait que pendant une surseance d' armes, je veux dire, lors que par commune capitulation des deux osts, les Gaulois estoient au conseil pour sçavoir s' ils devoient lever le siege pour l' argent qui leur estoit offert, ou le continuer, Camille leur vint covrir sus en temps du tout importun & aliene des armes? Laquelle chose mesmement (afin que je ne m' aide d' autre tesmoignage, que de celuy de leurs Princes ) luy fut puis apres assez souvent reprochee en plein Senat par Manle le Capitolin. Et toutesfois quelle que ait esté ceste roupte, il la faut plustost imputer à la famine, qui long temps auparavant batailloit contre nous, qu' au Capitaine Camille: lequel, à bien dire, estonna plustost nostre armee ja attenuee d' une longue faim, qu' il ne luy meffit, quoy que Tite-Live, perpetuel ennemy du nom Gaulois, en vueille dire: Et qu' ainsi ne soit, Jules Frontin, au livre qu' il nous a laissé par escrit des ruses de guerre, est tesmoing qu' apres ceste deffaite, les Romains nous donnerent passage par la riviere du Tybre (Tíber): fournissans viures & munitions, jusques à ce que nous fussions bien loing esloignez de leur ville. Qui nous peut asseurer, qu' il y avoit gens assez de nostre costé pour intimider ou escarmoucher les Romains, & que la retraicte, que nous fismes, procedoit: plus d' une disette de victuailles, que de victoire signalee qu' ils eussent euë contre nous. Je ne doute point qu' il semblera à quelques uns, qui presteront l' œil au present discours, que je me soye plustost destiné, & en ce chapitre & aux autres deux de devant, à la loüange ou deffence de nos vieux Gaulois, qu' à une simple deduction ou narré. Chose que librement je confesse: n' estant pas grandement soucieux que l' on m' ait en opinion de Panegyriste ou Encomiaste, moyennant que ce que je dis se rende conforme au vray: aussi que la necessité m' y semond. Car s' estant l' authorité de quelques autheurs Latins par longue trainee de temps insinuee entre nous, ou, pour mieux dire, affinee, tellement qu' ils sont reputez veritables, il est fort mal-aisé de desraciner ceste opinion du commun, que par un mesme moyen l' on ne passe les bornes d' un simple narrateur. En quoy l' on ne sçavroit mieux convaincre tels-autheurs, que par ce que nous apprenons d' eux-mesmes. D' autant que voulans quelquesfois denigrer nos victoires pour donner lustre aux leurs, ils ne s' avisent pas qu' ils se contredisent, c' est à dire, qu' ils veulent donner à entendre d' un à nostre desavantage: & neantmoins qui confrontera leurs longs propos piece à piece, il trouvera qu' ils monstrent tout le contraire. Or est-ce un dire ancien, qui tombe souvent en la bouche du commun peuple, qu' il faut que tous braves menteurs soient gens de bonne memoire, pour se garder de mesprendre.

lundi 29 mai 2023

2. 14. De l' ancienneté des terres tenuës tant en Fief, qu' en Alleud

De l' ancienneté des terres tenuës tant en Fief, qu' en Alleud: Escuyers, Gentils-hommes: Du Ban & Arriereban. 

CHAPITRE XIIII (XIV). 

Tout ainsi que nous n' avons livres anciens qui nous baillent à poinct nommé certain advertissement des choses que je me suis en ce lieu mis en bute, aussi tout tant que nous sommes n' en parlons que par conjectures tirees de noz particuliers jugemens, lesquels encores le plus du temps nous reglons par noz particulieres passions. Car premierement en tant que touche les Fiefs, je voy que les aucuns en rapportent la premiere source aux François, Bourguignons, Lombards, & autres peuples de la Germanie, qui donnerent dans l' Empire de Rome. Les autres pensans plus ingenieusement bannir une barbarie de leurs discours, adaptent ceste invention aux plus anciens Romains, & les autres à noz Gaulois, pour gratifier à nostre patrie. Soustenans chacun en son endroict, les uns, qu' auparavant la venuë des François, & autres nations estrangeres, n' estoit mention des Fiefs en la Gaule: & les autres, que dans la ville de Rome, & és Gaules, estoit ceste police en credit, sinon souz les noms de Seigneurs & Vassaux, pour le moins souz d' autres de mesme efficace. Certainement qui voudra repasser tout au long l' ancienneté, il trouvera que dés la premiere naissance & fondation de Rome, Romule premier Roy de ce lieu cognoissant que l' entretenement de toute Republique bien composee, depend de la liaison des grands avec les petits, voulut que le menu peuple se mit diversement souz la protection des plus Nobles & opulents, avec telles obligations que tout ainsi que les Nobles estoient tenus de deffendre ceux qui s' estoient ainsi adonnez à eux, encontre toutes indignitez & injures: Semblablement estoient ceux-cy au reciproque obligez faire leur querelle de celle des Nobles: voire leur subvenir de leur bien en cas que le besoin le requit: Lesquelles alliances estoient aux Romains appellees souz les noms de Patrons & Clients, que plusieurs doctes personnages, entre lesquels Guillaume Budé, honneur de nostre Paris, & apres luy Zaze Jurisconsulte insigne, voulurent approprier aux vasselages que nous observons maintenant. Or si cest ordre fut en quelque recommandation à l' endroict des premiers Romains, encores fut-il plus religieusement observé par noz Gaulois. Car comme ainsi fust que le commun peuple fust tenu comme en nul nombre, & que toute la puissance demourast tant par devers les Druides, qui avoient la charge de la Religion & de la Justice, que par devers les Chevaliers, qui estoient destinez pour la guerre: aussi ce peuple ordinairement le voüoit souz la protection des uns & des autres Chevaliers, a fin qu' estant d' eux authorisé, il se peut revanger de toutes oppressions & encombres que l' on luy eust voulu pourchasser. Et deslors qu' un homme estoit entré en ce vœu, il ne faisoit autre estat de la vie, que celuy qui dependoit de la fortune de son protecteur. Tellement que (comme dit Jules Cesar au troisiesme livre de ses Memoires de la Gaule) l' on n' avoit veu gueres de telles gens retiver à la mort, lors que celuy souz la devotion & clientelle duquel ils s' estoient consacrez, se trouvoit avoir esté meurdry: parce que leur commune profession estoit (dit-il au septiesme livre) de courir toute semblable fortune que luy, & jamais ne l' abandonner, mesmement aux plus grands desastres. Qui sont toutes choses qui simbolisent grandement avec noz fiefs, & par lesquels ce docte Parisien, François de Conan, d' une gentillesse d' esprit voulut soustenir que ceste vieille ordonnance Gauloise donna la premiere entree aux Fiefs. Laquelle opinion se trouve confirmee de quelque autre presomption qui n' est pas du tout hors propos. Car de la mesme façon que nous voyons és Fiefs toutes choses retourner à leur poinct, je veux dire au Roy duquel releve & depend directement un grand Seigneur, & de luy plusieurs arriere-vassaux de main en main, aussi ces Clientelles commençoient premierement par les plus grands Quantons, souz lesquels se voüoient les plus petites Citez & Republiques, selon ce qu' elles en pensoient recevoir plus de faveur & defense: quoy faisans se rendoient subjettes de prendre les armes pour eux: & à ceste imitation le peuple se soubmettoit soubz la Clientelle des Nobles. Ainsi recite le mesme Cesar au septiesme livre, que par generale diette des Gaulois fut conclud que les Heduens, avec leurs Clients, qui estoient les Secusians, Ambivares, & autres, feroient trente cinq mille hommes de guerre. Et au sixiesme livre, parlant de la grandeur des mesmes Heduens, il la fonde specialement sur leurs Clientelles. Ne faisant pas moindre estat d' icelles pour le regard de la communauté des Heduens, qu' il faict en un autre passage, prix pour prix, pour le regard des Chevaliers, où il dit que plus un Seigneur estoit riche ou d' ancienne lignee, & plus il avoit autour de soy de telle maniere de Cliens. Voire que ny plus ny moins qu' à l' occasion des fiefs, furent introduits par noz ancestres les Bans & Arrierebans, qui est une proclamation publique à tous vassaux de se trouver la part qui leur estoit assignee par le Roy, comme nous dirons cy-apres, aussi semble-il qu' anciennement en la Gaule y eust une telle forme de Ban. Car aux urgentes affaires se faisoit une proclamation generale, à laquelle tous hommes qui se disoient extraicts de l' ancien estoc des Chevaliers, & qui pouvoient porter armes, estoient tenus de comparoir: Et dont ils furent si estroicts observateurs, que le dernier y venant, pour exemple de sa paresse estoit exposé à la mort, ainsi que le recite Cesar en propres termes, parlant de l' entreprise que brassoit contre luy Induciomare, Roy de Triers. Qui monstre qu' il y avoit és Gaules plusieurs choses qui se conformoient avec noz Fiefs. Toutesfois à bien dire, je ne voy point qu' en tous ces devoirs de Clientelles, soit que nous tournions nostre esprit à la loy ancienne de Rome, ou que nous nous arrestions à la police des Gaules, il y eust assignation certaine de terres: à raison desquelles seulement en matiere de Fiefs, nous nous advoüons hommes de noz seigneurs Feodaux, & leur faisons les fois & homages. Au moyen dequoy, plusieurs doctes personnes sont d' advis, que l' invention de ces Fiefs proceda des possessions que les Empereurs distribuoient à leur gendarmerie, sur les païs frontiers, & limitrophes. Laquelle opinion me semble être la plus probable, encore que les deux autres que j' ay cy-dessus recitees, ayent bons garends qui leur assistent. 

Toutesfois pour discourir ceste opinion tout au long, faut noter que lors que la Republique de Romme tomba soubz la puissance d' un seul, cestuy establit diverses garnisons en toutes les frontieres, tant pour oster à ses subjects toute opinion de revolte, que pour empescher les courses des nations estranges. A ceste cause lisons nous qu' il y eut plusieurs legions esparses le long du Rhin, qui faisoit la separation ancienne des Gaules & des Allemaignes. Et pour autant que ces Empereurs fondoient le principal estat de leur authorité & grandeur sur leur gendarmerie, par le moyen de laquelle ils avoient occupé la liberté populaire, Auguste qui premier se fit à tiltre ouvert proclamer Empereur de Rome, pour captiver le cœur des soldats, commença de leur donner certaines assiettes de terres, ainsi que nous pouvons recueillir du lieu où Melibee soy complaignant à Titire dans la premiere Pastorelle de Virgile, disoit que les terres & possessions seroient appropriees à l' impiteux gendarme, pendant que luy pauvre & chetif en seroit à tort defraudé. Laquelle coustume depuis fut tres-estroictement observee par les successeurs d' Auguste, comme ceux qui faisoient leur principal fonds sur leurs gen darmes, lesquels le plus du temps tumultuairement, & sans conseil deposoient les Empereurs de leur siege, gratifians de la couronne de l' Empire, à autres de leurs chefs & superintendans, qui leur estoient plus agreables. Qui fut cause que depuis, la posterité (voyant les Empereurs avoir esté mis non par la grandeur de lignage & honneur, ains par les tumultuaires suffrages & proclamations des gens d'armes) a dit & encores disons aujourd'huy, que l' Empereur est fait par force, & le Roy par nativité. De ces departemens & distributions faictes aux Capitaines & soldats, nous voyons assez frequente mention és anciens Jurisconsultes, comme au chapitre premier du tiltre traictant des Reivendications au chapitre 21. du tiltre des Evictions, & encores au 10. livre des Constitutions Imperiales, au tiltre qui est expressemment dedié à la deduction des terres limitrophes qui estoient octroyees aux soldats: Je dy aux soldats nommément, parce qu' à autres ne se distribuoient telles terres: lesquelles (qui est chose à noter) ne leur estoient du commencement octroyees qu' à vie. Et le premier qui franchit le pas en la faveur des heritiers des gens d'armes, fut l' Empereur Alexandre Severe: qui permit (comme dit Lampride en la vie de luy) que leurs hoirs iouyssent de ces terres là, & au cas toutesfois, qu' ils suivissent les armes, & non autrement. Ordonnant tres expressément que jamais tels heritages ne peussent tomber és mains de ceux qui meneroient vie privee. Et quelque temps apres luy, Constantin le Grand au commencement de son Empire donna à ses principaux Capitaines, & ceux, desquels il se pensoit plus prevaloir encontre ses corrivaux, à jamais & perpetuité, les terres qui leurs estoient assignees, si nous croyons à Pomponius Lætus, autheur non du tout à vilipender. A dire le vray, tout ainsi que la gendarmerie Romaine estoit grande, & qu' il eust fallu en chaque contree grand territoire, pour en faire part à chacun, ou bien faire les portions fort petites, aussi est-il à presumer que c' estoit premierement aux chefs de guerre, puis aux bandes de plus grand choix & eslite, qu' estoient faictes telles gracieusetez. Je trouve que sur le declin de l' Empire il y eust principalement deux manieres de gens de guerre qui furent sur tous les autres en reputation d' être braves au faict des armes: dont les uns furent appellez Gentils, & les autres Escuyers, desquels specialement Julian l' Apostat faisoit compte, lors qu' il sejournoit aux Gaules. De ceux-cy parle assez souvent Amian Marcellin avecq' marques d' honneur, & expressemment au 17. livre de ses histoires, où il raconte que Julian ayant repris la ville de Colongne, il s' en alla hyverner en celle de Sens, en attendant le Printemps pour renouveller la guerre, & espandit son armee en divers lieux, afin que les viures ne luy fussent couppez. Haec solicitè expensantem (dit-il) hostilis agreditur multitudo oppidi capiundi spe, in manus accensa: Ideo confidentes quod nec Scutarios adesse (prodentibus profugiis) didicerant, nec Gentiles, per municipia distributos, ut commodius versarentur. 

Qui est à dire: Julian soigneusement ententif à ces choses, fut sur ces entrefaictes assailly par une troupe d' ennemis, qui esperoient prendre la ville: A ceste esperance induits, d' autant qu' ils avoient entendu par quelques uns qui s' en estoient enfuys, que les Escuyers n' estoient avec luy, ny semblablement les Gentils, ains tenoient garnison és environs, pour plus commodemment viure. Au livre vingtseptiesme, parlant de Salvius, & Lupicia, deux braves soldats, Scutarius unus, alter è schola Gentilium: L' un (dit-il) estoit Escuyer, l' autre sorty de l' escole des Gentils. Et au vingtiesme, De Scutariis & Gentilibus excerpere quemque promptissimum & ipse perducere Scintula tunc Caesaris stabuli Tribunus iussus: Scintule Comte de l' Estable de Cesar (dit-il) eut commandement de choisir des plus bragards & prompts à la main d' entre les Escuyers & Gentils, & de les conduire. Et afin que l' on ne pense point que ce mot d' Escuyer se rapportast aux Escuyers d' Escuyries, qui ont esgard dessus les chevaux du Prince (parce qu' en ce dernier passage il est dit, que Scintule Comte d' Estable eut charge de choisir des plus braves d' entre les Escuyers) c' est que ces Escuyers avoient leur Capitaine à part & separé du Comte d' Estable: Tellement que ce fut lors une commission extraordinaire, qui fut adressee à Scintule, comme il appert par un passage du quatorziesme livre: Infamabat haec suspicio Latinum domesticorum Comitem, & Agilonem tribunum stabuli, atque Scudilonem, Scutariorium rectorem. Ceste suspition (fait-il) diffamoit Latin Comte des domestiques, Agilon Comte d' Estable, & Sculidon conducteur des Escuyers. Desquels passages l' on voit notoirement que les Gentils & Escuyers furent compagnies de guerres, sur lesquelles les derniers Empereurs de Rome, constituoient la meilleure partie de leur force (ainsi qu' anciennement un Souldan d' Egypte sur les Mammelus: maintenant le grand Turc sur les Janissaires: Et nous autres François quelquesfois, tant sur les Archers, que sur les Arbalestiers) & à ce propos recite Procope que vingt & deux Escuyers desconfirent trois cens Vandales. Qui fut, selon mon jugement, cause qu' en ceste distribution de terres, qui se faisoit aux soldats, ces Gentils & Escuyers estoient les mieux assortis comme les plus estimez. Or que ces terres s' appellassent Benefices, comme firent du commencement les Fiefs entre nous, je ne l' ay pas veritablement remarqué. Bien trouvé-je être faicte mention des gens d'armes Beneficiers: Qui semblent avoir esté seuls ausquels l' on faisoit telles assignations. Et de tels gens d'armes trouverez vous passages expres, & non grandement esloignez de mon intention, en la vingt uniesme, & vingt-septiesme Epistre de Pline à l' Empereur Trajan. Et mesmement Valere le Grand au livre 4. chapitre de la liberalité, parlant qu' apres l' Asie subjugee, le peuple Romain avoit donné ce pays à Atalus Roy, pour le recognoistre tenir de la Republique de Rome, dit ainsi, Asiam bello raptam, Atalo Regi muneris loco, possidendam tribuit populus Romanus, eò excelsius & speciosius urbis futurum imperium credens, si ditissimam atque amoenissimam partem terrarum orbis, in beneficio, quàm in fructu suo reponere maluisset. Passage que nous pourrions tourner en François, selon l' usage present, que le peuple Romain aima mieux joüir de l' Asie feodalement que domanialement.

Or comme les affaires de la gendarmerie Romaine se demenoient de ceste sorte par la Gaule, d' un autre costé les Princes de France vindrent occuper ce pays. Ils avoient lors abandonné leur propre patrie & contree, en intention de gaigner terre sur les Romains, ayans avecq' eux un grand attirail & suitte de gens d'armes, lesquels d' une mesme devotion s' estoient vouez & consacrez à la conqueste de ce Royaume. Parquoy, apres avoir en partie satisfaict à leur opinion, la raison vouloit bien que noz Roys usassent de liberalité à l' endroict de leurs soldats, selon leurs degrez & merites. Pour ceste cause en recompense de leurs travaux, ils leurs assignerent certaines terres qu' ils appellerent, Benefices. Ainsi pour me recueillir, il n' est pas hors de tres-poignante suspition, d' estimer, que tout ainsi que les Romains appelloient leurs gens d'armes Beneficiers, c' est à sçavoir ceux ausquels ils assignoient les terres frontieres & limitrophes aussi noz Roys voulans user de semblables, voire plus grandes liberalitez envers les leurs (car comme victorieux, ils leurs firent part de leurs conquestes au beau milieu de la Gaule) ils appellassent les terres qu' ils leur octroyoient Benefices. Diction que nous voyons être pure Romaine, & de laquelle nos premiers François userent familierement, pour nous signifier ce que depuis nous avons voulu nommer Fiefs. De toutes les choses que j' ay cy dessus discourues, selon mon advis, proceda, que ny plus ny moins que ces distributions limitrophes ne se faisoient qu' en faveur du soldat Romain, semblablement n' estoient les benefices & fiefs donnez par noz Roys, qu' à leur gendarmerie. Et mesme de la façon que ces assignations Romaines estoient viageres seulement, aussi furent du commencement les benefices donnez à vie par nos Roys. De là aussi proceda que les Gaulois qui avoient veu durant l' Empire des Romains, les Escuyers & Gentils entre les autres soldats emporter sur les pays frontiers les plus belles pieces de terre, commencerent (comme il est à presumer) par une accoustumance tiree de ce qu' ils avoient veu observer entre les Romains, d' appeller Gentils-hommes & Escuyers, ceux qu' ils veirent estre pourveuz par nos Roys de tels benefices, comme estans principalement baillez à ceux, qui en l' ost & exercite du Roy reluisoient de quelque proüesse. Et pour autant qu' ils voyoient ceux-cy n' être chargez d' aucune redeuance pecuniaire à raison de leurs terres Beneficiales envers le Prince, & outre plus qu' à l' occasion d' icelles ils devoient prendre les armes pour la protection & deffence de ce Royaume, le peuple commença de fonder le seul & unique degré de Noblesse, sur telle maniere de gens. De façon que par long usage de temps nous avons appellez Gentils-hommes & Escuyers, ceux que nous estimons être Nobles. Toutes lesquelles rencontres nous donnent assez à entendre de quel fonds sourdit l' invention de nos benefices: desquels est faite ample mention dedans les loix de Charlemagne. Car d' estimer (je diray cecy en passant) que nous les ayons empruntees des Lombards, comme je voy la plus part du peuple se le faire accroire, c' est un abus. D' autant qu' il est certain, & sans doute, que du temps de Clovis, ceste police estoit ja en regne dans ceste France: comme nous apprenons d' un passage d' Aimoïn au 7. chap. du I. livre, où ayant deduict qu' Aurelian avoit esté envoyé par Clovis pour negotier le mariage de luy & de Clotilde: ce qu' il avoit conduit à chef par ses pratiques & menees, il adjouste. Unde cum Clodoveus regnum suum usque ad Sequanam, atque post modum usque ad Ligerim fluvios ampliasset: Milidunum castrum eidem Aureliano cum totius Ducatu regionis iure Beneficii concessit. A cause dequoy, (dict il) ayant Clovis amplifié les bornes de son Royaume jusques à la riviere de Seine premierement, puis à celle de Loire, il donna à Aurelian le chasteau de Melun, avec tout le Duché & gouvernement de ceste region, pour le tenir de luy par droict de Benefice. Duquel lieu nous remarquerons que deslors non seulement l' on donnoit à tiltre de Benefice les lieux & places, comme villes, bourgades; & chasteaux, mais les contrees mesme. Non toutesfois qu' il faille estimer que la diction de Duché, qui est portee par ce passage, se preigne pour mot de principauté, comme depuis elle fit sous la lignee de Capet, mais veut cest autheur dire que Clovis bailla ce qui estoit du gouvernement de Melun à Aurelian, pour le tenir de luy par forme de benefice, c' est à dire en foy & homage. Au demeurant, ce lieu nous monstre apertement que c' est totalement errer, d' approprier l' origine de ces Benefices ou Fiefs aux Lombards: lesquels aborderent tant seulement en Italie soubs l' Empire de Justin second, c' est à dire, long temps apres le decez de Clovis, qui florissoit du temps de Zenon, puis d' Anastaise, Empereur de Constantinople: apres lesquels y a deux Empereurs de suitte, Justin premier, puis Justinian son successeur, qui tindrent l' Empire pres de quarante cinq ans, & impererent tous deux auparavant Justin second: Tellement qu' il est beaucoup plus croyable que les Lombards ayent mandié de nous ceste invention, que non pas nous des Lombards. Toutesfois pour autant que jamais aucun de nos François ne s' ingera de voguer à plaine voile sur ce subject, ains que tous ceux qui en ont parlé, l' ont faict comme à la traverse, & quasi traictans autre chose: Et au contraire qu' un Orbert de Orto Milannais nous en a laissé quelque recueil, qui court avec les livres du droict Civil, l' ignorance du temps a voulu que plusieurs ayent attribué aux Lombards l' introduction d' une chose, dont eux mesmes nous sont redeuables. 

Estans doncques les François arrivez és Gaules, & s' en estans faicts maistres & patrons, ils establirent double police en ceste contree: l' une tiree du Romain, & l' autre de leur propre estoc. Parquoy ils diviserent les terres en Beneficiales & Allodiales, destinans les premieres, pour ceux qui faisoient profession des armes: & celles-cy pour tous subjects indifferemment. Les benefices (comme j' ay dit) de leur primitive origine, furent entre nous viagers, toutesfois tout ainsi comme au lieu du mot de benefice nous en avons un nouveau, par lequel nous le designons, qui est ce que nous appellons Fief: Aussi comme toutes choses varient, au lieu où ces Benefices nous estoient du commencement donnez par usufruict seulement, nous les avons depuis faicts & rendus patrimoniaux à nos successeurs. Bien est vray qu' au lieu de cecy il nous en est resté quelque remarque entre nous. Car tout ainsi que ces Fiefs & Benefices estoient primitivement viagers, pareillement à cest exemple, quand l' Eglise commença de s' enrichir par les aumosnes des gens de bien, l' on appella les Eveschez, Abbayes, Priorez, Cures, Benefices. Par ce que les Ecclesiastiques les possedoient tout de la mesme façon que les anciens gens d'armes faisoient leurs Benefices & Fiefs. Et mesmement de cest ordre s' en ensuyvit au long aller un desordre: Car voyans nos Roys que les Abbayes s' estoient faictes tres-opulentes, & qu' elles estoient presque reduites à l' instar de leurs benefices militaires, ils commencerent de les conferer à leurs gens d'armes. Ce qui se trouva pratiqué depuis le regne de Charles le Chauve, jusques à celuy de Robert. Ne redoutans les grands Seigneurs qui suivoient les armes de s' appeller Abbez & Doyens, non plus que maintenant Ducs, Comtes, Barons ou Chastellains. Si fut ceste forme, de viage és fiefs, selon mon advis introduite avecq' tres-grande sagesse. D' autant que nos Roys ne voulans epuiser le fonds de leurs liberalitez, ains retenir sous leur devotion leurs braves Capitaines & soldats sans bourse deslier, ils leurs donnoient durant leurs vies, terres & possessions, avec charge expresse de porter les armes pour eux, tant & si longuement qu' ils en seroient detenteurs. Estimans que telles possessions & heritages estoient suffisans, tant pour le deffroy des guerres que pour passer honorablement le commun cours de ceste vie. Et en ceste façon Barthelemy Georgievich au livre où il traitte des meurs & conditions des Turcs, nous tesmoigne que les Princes & grands Seigneurs de Turquie, qui ont tousjours admiré sur toutes nations, les François, ne possedoient aucune cité ou bourgade par droict successif, ny ne la pouvoient transporter par leur decez à leurs enfans, sans permission expresse du grand Seigneur.

Or combien que ces Benefices fussent du commencement distribuez aux gens dediez au faict de la guerre, si ne leur estoit-il pourtant deffendu de tenir terres en Alleud: Qui estoient terres que l' on tenoit en proprieté, & qu' en mourant l' on transferoit à ses heritiers. Ceste diction d' Alleud prit selon mon jugement, sa premiere source d' un ancien mot François, Leud, qui signifioit un Subject. Gregoire de Tours, au huictiesme Livre de ses histoires, recitant comme Gontran Roy d' Orleans vint à Paris, pour lever sur les fonds Clotaire fils unique du feu Roy Chilperic, indigné de ce qu' on luy usoit de remises: par ce qu' on luy avoit donné premierement assignation au jour & feste de Noel, puis à Pasques, & finalement à la sainct Jean Baptiste, pour baptiser cest enfant, & neantmoins on luy avoit tousjours failly de parole: Veni igitur & ecce absconditur nec ostenditur mihi. Unde quantum intelligo, nihil est quod promittitur: sed, ut credo, alicuius ex Leudibus nostris fit filius, nam si de stirpe nostra fuisset, ad me utique fuisset deportatus. Je suis icy venu (dict-il) & voila que l' on me le cache, & qu' on ne me le monstre point. Au moyen dequoy, à ce que je voy, ce sont frivoles dont on me repaist: & doit être certainement cest enfant le fils de quelqu' un de nos Leuds: car s' il fust de nostre lignee, on me l' eust pieça apporté. Et au livre neufiesme recitant la teneur du traitté de paix qui fut entre le mesme Gontran, & Childebert Roy de Mets son nepueu, Similiter convenit ut nullus alterius Leudes nec sollicitet, nec venientes recipiat. Il a esté semblablement accordé entre' eux, qu' aucun d' eux ne solicite, ne tire par devers soy les Leuds de son compaignon. Et au mesme endroict. Similiter convenit ut secundum pactiones inter domnum Gontranum & bonae memoriae domnum Sigisbertum initas, Leudes illi qui domno Gontrano post transitum domni Clotarii sacramenta praebuerunt, si postea convincunturse in parte alia tradidisse, de locis ubi manere videntur, convenit ut debeant removeri: similiter & qui post transitum domni Clotarii convincuntur domno Sigisberto sacramenta primitus præbuisse, & se in aliam partem transtulerunt, simili modo removeantur.: Aussi a esté accordé que selon les traittez & convenances qui furent faictes entre Dom Gontran, & feu de bonne memoire Dom Sigisbert, les Leuds qui avroient fait le serment à Gontran apres le trespas de feu Dom Clotaire, s' ils sont convaineus de s' estre depuis ce temps là retournez de l' autre costé, qu' ils ayent à vuider des lieux esquels ils semblent avoir assis leur demeure. Et en cas semblable ceux qui se trouveront apres le decez du mesme Clotaire, avoir presté le serment és mains de feu Dom Sigisbert, & l' avront depuis delaissé, qu' ils soient tenus de retourner. Desquels lieux on voit appertement que la signification de Leud entre nos François, se prenoit pour un sujet. Comme encores l' on peut tirer clairement d' un passage de Aimoïn au 8. chapitre du 3. de ses histoires, Fuit Gontranus in bonitate præcipuus, leudis suis benevolus, gentibus externis pacatus. Gontran fut souverain en bonté, gracieux & debonnaire à ses Leuds, & aux estrangers paisible. De ce mot vint que nos anciens Roys de France faisans és Gaules le departement general des terres appellerent celles être tenues en Alleud, qui devoient cens & redeuance. Estant à mon jugement cest Alleud, la pension que l' on payoit pour recognoissance des heritages en signe de subjection. Pour laquelle occasion furent dites aucunes terres être tenues en franc Alleud, c' est à dire celles qui n' estoient pas de si grande marque que les Benefices, lesquelles furent assignees diversement à la commune des François, desquels nos Roys, par un passe droict special, ne voulurent prendre aucune recognoissance de cens, comme ils firent des Gaulois. Dont advint que s' estans depuis ces deux nations confuses par telle course de temps, qu' il estoit mal aisé à distinguer l' une de l' autre, on employa ce mot de franc Alleud à toutes terres indifferemment, que par possession immemoriale on maintenoit être exemptes de cens & rentes. Et en ceste façon recite Procope, que les Vandales avans occupé l' Afrique, le Roy Gentzerich leur donna plusieurs belles terres franches de toutes redeuances, que l' on appella de là en avant, terres des Vandales. Qui n' est pas chose grandement eslongnee du franc Alleud des François. 

De ceste diction, Alleud, est venu ce que nous appellons Lotir, pour partager une chose qui est en censive, & Lot pour part & portion. Car quant à ce qu' en cas d' achapt, il faut payer les Lots & ventes, cela est venu d' un autre vieil mot François, Los, qui signifie gré & volonté: Duquel encores nous disons Alloüer pour la chose que nous avons pour agerable. Et ainsi en est usé en la vieille Histoire sainct Denis, chapitre septiesme, où il est dit que le Pape Adrian tint un Concile, par lequel il fut ordonné que les Archevesques & Evesques seroient de là en avant investis de leurs prelatures par Charlemaigne: & s' ils entrent (porte le texte) par autruy sans son gré & sans son Los, qu' ils ne peussent de nully être sacrez: Parquoy nous appellasmes payer Los & ventes, la recognoissance qui se faisoit par nous à nostre Seigneur direct & foncier, par le gré & los duquel nous estions impatronisez, & entrions en plaine saisine de la chose qui nous estoit venduë. 

Lors de la premiere distribution tant de ces terres Beneficiales, qu' Allodiales, il n' estoit point mention de Tailles, ains estoient les Nobles tenus de supporter à cause de leurs seigneuries, le fais des armes: & le demourant du peuple qui n' estoit necessité à ce faire, en recompense payoit par forme de tribut, les cens & Alleuds à nos Roys, pour supporter en partie les frais qui leur conviendroit faire. Depuis (comme toutes choses par long usage de temps changent de face) ces Benefices ou Fiefs se firent perpetuels: prenant ceste mutation grand advancement sous la lignee de Charlemaigne, & sa fin & accomplissement sur la venuë de Capet. Et deslors les Seigneurs qui tenoient les grands benefices des Roys, commencerent à les subdiviser à autres personnages, desquels ils attendoient service: leurs baillans telles conditions de fois & homages que bon leur sembloit. A doncques commencerent de s' insinuer entre nous les termes des fiefs & arrierefiefs (que nous avons ainsi appellez pour la feauté que nous promettons à nos Seigneurs) & de vassaux & arriere vassaux: ces derniers estans ainsi appellez, à la difference de ceux qui relevent directement & sans moyen, leurs Fiefs du Roy. 

Aussi commençames nous d' appeller les aucuns de ces vassaux, hommes, liges, qui sans exception promettoient tout devoir de fidelité à leurs Seigneurs: & les non liges, ceux qui seulement promettoient devoir à raison du Fief superieur, dont despendoit le leur qui estoit inferieur. Semblablement vindrent en usage les loix de droict d' ainesse, non cogneuës par nos François sur leur premiere arrivee. De ces mutations aussi, il advint que par succession & progrés de temps, les gens roturiers, coustumiers & non Nobles, commencerent à posseder Fiefs, contre leur ancienne & primitive institution. Qui apporta une question qui fut autrefois traictee en plain Parlement, ainsi que feu maistre Matthieu Chartier (que je nomme icy par honneur, comme celuy qui par l' espace de quarante cinq ans a tenu le premier rang d' Advocat fameux en nostre Palais) m' a autrefois asseuré avoir leu dedans quelque vieux registre: Sçavoir si un Gentil-homme estoit tenu prester foy & homage à un bourgeois, nouvel acquereur d' un Fief, lequel auparavant il relevoit d' un Noble homme. Et toutesfois combien que les roturiers eussent à la longue gagné cest advantage sur les Nobles, si falloit-il neantmoins que du commencement, & long temps apres, ils impetrassent cecy par benefice du Prince, & luy en païassent finance, tout de la mesme forme & maniere que font les Ecclesiastiques, lors qu' ils veulent amortir par chartres du Roy, quelques terres qu' ils ont acquises. C' est pourquoy nos Roys decernent fort souvent des lettres sur les francs Fiefs & nouveaux acquests, par lesquelles ils commettent certains Juges des Cours souveraines, pour faire vuider les mains des Fiefs que les roturiers ont de nouvel acquis, si mieux ils n' ayment payer finance, pour laquelle ils chevissent & composent avec les Comissaires.

Or tout ainsi que ces Fiefs tomberent sans aucune distinction és mains du Noble & non Noble, du gendarme, & du Bourgeois: aussi commencerent petit à petit à s' amortir entre nous les loix militaires. Et eust esté un chacun tres-content de jouyr de la franchise de sa terre, & neantmoins se soustraire du faix & travail de la guerre. Au moyen dequoy commencerent à être mis en avant par nos Roys les Ordonnances du Ban & Arriereban pour raison des Fiefs.

Ce mot de Ban, estoit une vieille diction Françoise, par laquelle nos anciens voulurent signifier une chose qui estoit publique, ainsi que je deduiray plus amplement au septiesme livre, & singulierement approprierent ce mot a une proclamation qui se faisoit parmy le peuple. A ceste occasion voyons nous que pour oster les mariages clandestins, nous faisons faire par nostre Curé en nos Eglises, les bans qui sont annonces publiques du mariage qui se traicte entre les futurs espoux, a fin que nul n' en pretende aucune cause d' ignorance. A ceste mesme occasion se sont les adjournemens que nous appellons à ban & cry public. Et en outre les bannissemens, lesquels anciennement se faisoient à son de trompe, a fin que le banny n' eust à soy repatrier en la terre de laquelle il estoit exilé. Tout de la mesme façon nos Roys qui dressoient leurs camps de leurs beneficiers & vassaux, avoient accoustumé de les faire bannir de la France, c' estoit à dire proclamer: & à ceste semonce convenoient tous, la part qui leur estoit ordonnee. Flodoard parlant que Raoul Roy de France, se preparoit à la guerre contre les Normans, Rodulphus interea de Burgundia revertitur in Franciam, & ut se ad bellum contra Normannos præparat Francis banno denunciat. Ainsi voyons nous en l' ancien coustumier de Normandie, chapitre quarante & troisiesme être porté en tels termes: L' ost au Prince de Normandie dés le jour qu' il est banny prolonge les querelles. De là, nous appellasmes Bans & Arrierebans les proclamations qui se faisoient des vassaux & arriere-vassaux du Roy, pour luy faire compagnie en guerre. Si (peut être) ne voulons dire que ceste diction d' Arriereban soit venuë du mot Heriban, dont nous voyons être faite frequente mention dans la Loy Salique, lors que nos Roys convioient leurs subjets de les suivre en la guerre. Et deslors que telles proclamations estoient faites, chaque vassal estoit tenu de soy presenter en personne en bon equipage, sans user d' exoine, ou de remise, sinon qu' il fust, peut-être malade: auquel cas il estoit tenu d' envoyer homme suffisant en son lieu. Toutesfois tombans les Fiefs aussi bien en main roturiere comme Noble, nos Roys userent de Bans & Arrierebans, comme d' une forme de taille. Estant loisible à chacun qui tient Fief, d' aller en personne servir le Roy, pour la tuition du Royaume, ou en son lieu, de deleguer homme mettable & de sorte, ou bien en tout evenement fournir argent pour le defroy du Ban & Arriereban, que l' on leve en chaque Bailliage ou Seneschaussée.