mercredi 16 août 2023

10. 22. Qui furent Fredegaire & Aimoïn les mesdisans:

Qui furent Fredegaire & Aimoïn les mesdisans:

CHAPITRE XXII.

Je veux estre par ce Chapitre du tout Escolier Latin. Aussi est-il dedié à deux, dont le premier fut surnommé le Scolastique, & le second fut un Moine; Fredegaire, & Aimoïn, qui se lascherent toute bride à la mesdisance contre Brunehaud; mais Aimoïn plus que Fredegaire. Suivis depuis par ceux qui escrivirent nostre Histoire. Quant à Fredegaire il fut du commencement adjousté par forme de supplément, pour unziesme livre sans nom, à la suite des dix de Gregoire, & eut de cette façon vogue plusieurs ans. Voire que de nostre temps le docte Veignier aux quatre livres qu' il fit imprimer de nostre Histoire l' an mil cinq cens septante sept, ne l' allegue que sous ce titre de Supplément: Mais depuis fut trouvé par ceux qui fureterent les bibliotheques des Moines, qu' il se nommoit Fredegaire le Scolastique. Et neantmoins pour vous monstrer quelle foy on luy doit adjouster, je ne veux que le troisiesme Chapitre du peu qu' il nous a laissé par escrit. Cumque Guntrano perlatum fuisset, eo quod frater suus Chilpericus esset interfectus, festinans perrexit Parisios, ibique Fredegundem cum filio Chilperici Clotario ad se venire praecepit, quem in Ruilio villa baptizari iubet, & eum de facto baptismate excipiens, in regnum patris firmavit. Par ce passage vous voyez qu' il vous figure un Clotaire fils de Chilperic tenu sur les fonts par Gontran son oncle, soudain apres le meurtre advenu en la personne du Roy Chilperic son pere. Et neantmoins la verité est qu' il ne fut baptizé que huit ou neuf ans apres, comme nous apprenons de Gregoire livre huictiesme chapitre neufiesme. Et quand par le vingt-huictiesme chapitre du mesme Autheur livre dixiesme il fut tenu sur les fonts: Quo mysterio celebrato, invitatum ad epulum, parvulum multis muneribus oneravit. Similiter & Rex (c' estoit Gontran) ab eodem invitatus plerisque donis refertus abceßit, & Cabillonem urbem redire statuit. Entreveües faictes par les deux Roys, & dons faicts d' une part & d' autre, qui monstrent que Clotaire lors de son baptesme avoit attaint de l' aage, & estoit grandelet, & à tant que Fredegaire ne nous devoit sur le commencement de son livre paistre d' un mensonge, s' il vouloit estre creu de tout le demeurant.

Car quant à Aimoïn il n' y a Autheur en toute l' ancienneté, qui ait apporté plus de noises sur son faict que luy, je veux dire sur son nom, sur sa demerue, & encore sur la generale oeconomie de son œuvre. En ma jeunesse il couroit sous le nom d' Annonius Monachus, sous lequel il est souvent allegué par nostre Paule Aemile, & ainsi avoit-il esté nommé par nos ancestres, deux ou trois cens ans auparavant. Depuis par la diligence de Nicot Aimoïnus, & par celle de Fauchet Aimonius: Il n' est pas que quelques uns ne le nomment Aimoénus selon les occurrances. Que si en son nom on s' est trouvé empesché, le semblable a il esté en son habitation: d' autant que tous sont d' accord qu' il fut Religieux de l' Ordre de sainct Benoist: Mais en quel Monastere, c' est en quoy on demeure court. Les aucuns disent que ce fut en celuy de sainct Benoist le Flory sur Loire. Opinion qui n' est pas sans apparence: car il dedia son œuvre à Abbon Abbé de ce lieu. Les autres le font Religieux profez du Monastere de sainct Germain des Prez de Paris, & est tel le jugement de frere Nicolas du Brueil. Et à la mienne volonté qu' il eust esté aussi candide en mon endroit, comme je suis envers luy, quand dedans ses Antiquitez de Paris il me desroba neuf fueillets sans me nommer; parlant de l' institution du Parlement de Paris, & des Maistres des Requestes, tant de l' Hostel du Roy que du Palais. Mais laissant ceste querelle à part, il est induit à le croire Moine de sainct Germain. Parce entr'autres choses, que dedans son Histoire est faite frequente mention des Abbez & Abbaïes sainct Germain, & nulle de celle de Floriac sur Loire: Et qu' il se trouva quelque accident, par le moyen duquel luy fut permis de se retirer à Floriac. A cause dequoy dressant son Histoire, il la dedia à Abbon qui en estoit Abbé. Opinion toutesfois qui ne demeure pas sans response: car ceux qui sont du premier advis, disent & soustiennent, que le denombrement des Abbez, & privileges de sainct Germain, est une addition faite par quelque Moine du lieu, sur Aimoïn qui estoit en leur Librairie. Que l' on trouve encore dedans sainct Benoist sur Loire, un Aimoïn manuscrit, n' en faisant aucune mention, & qui plus est, le titre portoit anciennement: Amoïni Monachi Floriacensis coenobij. Qui ne sont pas petits argumens pour convaincre la seconde opinion: laquelle des deux soit la vraye, je m' en rapporte à ce qui est, pour le peu d' interest que le public y peut avoir.

Mais pour le regard de l' oeconomie generale de son œuvre, il a cours entre nous sous le nombre de cinq livres. Chose que du Brueil soustient estre veritable, horsmis ce qui regarde l' Histoire de Philippes Auguste. Quo fit (dit-il en l' Epistre liminaire qu' il a faict sur cet Autheur) ut his libenter assentiar, qui librum quintum, usque ad nativitatem Philippi Augusti, id est annum redemptionis orbis MCLXV. protensum, non esse Aimoini, sed alterius, aut plurium appendicem asserunt. Par cela vous voyez que par la confession de du Brueil on presta quelques charitez à Aimoïn. Mais j' en voy un autre avoir fait une plus belle anatomie de ses livres. Celuy dont je parle, est Gulielmus Ranchinus, au premier livre de ses diverses leçons chapitre quinziesme. Quisquis Aimoinum legis (dit-il) adverte quae nunc dicam, & gratiam habe pro iudicio. Non solus Aimoinus eius historiae author, quae illius nomine circumfertur, sunt alij posteriores, ijdemque, incerti omneis, atque ignoti, cuncti tamen Monachi si vera conijcio. Eos autem sic distinguimus. Scripsit Aimoinus usque ad initium regni Pipini, ut clare ipse testatur in limine sui operis, libris quatuor divisi, unde sequitur, ut maior libri quarti pars, in qua de Pipini Caroli Magni Ludovici Pii, rebus gestis agitur, itemque totus liber quintus, aliis authoribus tribuendus fit. A quo autem capite separatio fit facienda, disquiram ut potero. Sunt & qui à cap. 42. libri quarti, Aimoinum decurtent; sed ij verius librum castrant & detruncant. Plurimum quidem tribuo libro Floriacensi, cuius id authoritate fieri dicitur, sed plus tribuo ipsi Aimoino, qui usque ad id temporis, quo Pipinus, Caroli Magni pater regnare coepit, historiam suam se producturum monet, in eo autem capite, non modo, non ad Pipinum, sed quidem ad Carolum Martellum illius parentem perventum est. Sit igitur finis Annalium Aimoini, caput quinquagesimum quartum, aut sexagesimum primum. Sine dubio, alterum è duobus, quodnam autem affirmare vix dudeo.

Apres cela il fait une enumeration particuliere, de combien de diverses mains il estime l' ouvrage qui court sous le nom d' Aimoïn, avoir esté fait. Et par ses conjectures estime y avoir eu cinq divers Autheurs, sans toutesfois les specifier. Je ne sçay qui a le premier escrit, ou Ranchin, ou du Brueil: car soustenans deux diverses opinions ils ne font mention, l' un de l' autre, & neantmoins en ceste diversité, encore sont ils d' avis chacun en leur endroit, qu' il y a eu de l' addition à Aimoïn.

Mais sur tout me plaist le jugement qu' en fait le docte Pierre Pitou, lequel en la recherche de telles antiquailles se rendit admirable, & beaucoup plus judicieux en l' examen d' icelles, tellement qu' il m' est en ce subject un autre Aristarque. Il eut un Aimoïnus manuscrit dedans sa bibliotheque, lequel est depuis tombé és mains de Messire Jacques Auguste de Thou, President, Conseiller d' Estat, & intendant des Finances, & de la direction, vraye lumiere de nostre siecle en toute erudition & doctrine; voicy qui est escrit de la main de Pitou sur le commencement du livre en la façon qui s' ensuit.

Monachus S. Dionysij ait: Suum quisque sibi fecit Aimoinum.

In Codice Dionysiano: Aimoini non sunt ea, quae à capite vigesimo libri secundi, ex Codice Monasterij Divi Germani adscripta sunt, quae ad Monasterium illud pertinent.

Libro 4. inserta sunt plura capitula de Dagoberto, quae ne in Germaniciano, aut impreßis ex eo reperiuntur, atque incipit esse diversus stylus.

Gesta Ludovici Pii, ex quibus confectus est totus pene lib. 5. Aimoini in impressis exemplaribus, ex Germaniciano primum exscripta sunt.

Aimoïnus purus, putus. 

Incipit Prologus Historiae Francorum, Aimoini Monachi Floriacensis Coenobij. 

Domino venerabili, & in Christi dilectione fundato, Abboni, Abbati totius gregis, illi à Deo conceßi, minimus Aimoinus, perpetuae munus foelicitatis.

Voila quelle estoit l' opinion du docte Pitou, qui ne fut jamais en ses estudes vendeur de parfums, & à tant je veux avecques luy croire que le nom de ce deuxiesme Autheur fut d' Aimoïn, Religieux de l' Abbaïe de sainct Benoist de Floriac, & non de sainct Germain des Prez. Et au surplus suivant l' opinion du Moine de sainct Denis, chaque Monastere a voulu habiller Aimoïn à sa guise, les uns par chapitres entiers, les autres par apostilles mises en marges, depuis glacees dedans les textes, non seulement en ce qui concernoit la grandeur d' uns S. Germain, & sainct Denis, & autres Monasteres: mais aussi en plusieurs particularitez, esquelles les Moines escrivans se sont par leurs ignorances flatez, au desadvantage de ceux qui sous le nom de cet Autheur voudroient leur adjouster foy. Et c' est pourquoy diversement ceux qui ont quelque nez trouvent, qu' en tout ce qui concerne l' Abbaïe de sainct Germain, & sainct Denis, a esté adjousté au livre, & signamment plusieurs chapitres qui regardent le Roy Dagobert, & generalement tout ce qui touche le regne de Pepin, & de sa posterité, pour ne faire Aimoïn menteur de la promesse qu' il avoit faite en son Epistre liminaire à son Abbé de Floriac. A quoy quelqu'un me pourra dire, & non paravanture sans propos, que toutes ses additions sont depuis le temps de Brunehaud, & de Fredegonde, & n' ont rien de commun avecques ces Princesses. Repassons doncques s' il vous plaist sur leurs temps, chose que je voüe au chapitre suivant.